5. Disposer de moyens financiers suffisants

a) Le manque de moyens financiers est parfois une réalité

La mise en place des « 35 heures » s'est accompagnée d'une raréfaction du personnel, que les établissements, tenus par les « prix de journée », n'ont pas eu la possibilité financière de contrecarrer intégralement. Ainsi, comme cela a déjà été exposé, en contrepartie d'une perte globale de 10 % du temps de travail, les créations d'emploi n'ont souvent compensé que 6 % de ce temps.

Par ailleurs, certains établissements sont amenés à offrir des places d'accueil temporaire, qu'ils doivent financer eux-mêmes intégralement (pour la plus grande utilité de tous).

Enfin, les établissements doivent intégrer dans leur prix de journée le remboursement de leurs emprunts, ce qui est à la source d'inégalités de coûts.

D'une façon générale, une clarification des financements s'imposerait. Le président de la commission d'enquête vient de déposer, conjointement avec M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, une proposition de loi comprenant des règles souples de répartition des financements que la commission d'enquête reprend à son compte dans la proposition suivante.


Proposition

Opérer une clarification des financements au terme de laquelle :

- les prestations de formation professionnelle (sans préjudice des compétences de la région) et d'aide par le travail, ainsi que, par extension, les prestations d'insertion par l'activité professionnelle relèveraient exclusivement de l'Etat ;

- les prestations d'hébergement, d'aide à domicile et d'accompagnement à la vie sociale seraient à la charge du département ;

- les prestations de soins demeureraient à la charge de l'assurance maladie.

b) Le manque de moyens financiers constitue un prétexte irrecevable pour justifier toute prise de risque et toute forme de maltraitance

(1) Les prises de risque à proscrire

Une certaine légèreté dans le recours aux différentes formes d'emploi précaire et au bénévolat engendre une prise de risque, tant dans la qualité que dans la continuité de l'action sociale et médico-sociale, qu'il convient de proscrire . Ainsi, M. Patrick Gohet, délégué interministériel aux personnes handicapées, a déclaré à la commission d'enquête : « De nombreuses maisons d'accueil spécialisé récemment créées doivent recourir à des emplois peu qualifiés . Nous devons nous poser la question de leur formation et de leur statut. Je ne milite pas en faveur de l'enfermement dans des statuts sclérosants, mais, dans ce secteur, un minimum de perspective et de sécurité doit être garanti . Les auxiliaires de vie scolaire ont connu les mêmes problèmes et leur devenir rencontre des difficultés que les associations et les collectivités publiques s'emploient à résoudre. Je me demande, en effet, quelle catégorie de population aurait accepté que ses enfants bénéficient d'un accompagnement scolaire à condition de trouver des mécènes . 60( * ) »

Par ailleurs, si le ratio en personnel varie selon le handicap des enfants et l'organisation de l'établissement pour une prise en charge de qualité équivalente, il est permis de s'interroger sur cette qualité en dessous d'un certain coût. Ainsi, Mme Catherine Jacquet, inspectrice des affaires sanitaires et sociales a constaté que certains établissements affichent un coût à la place de 50 % inférieur au coût moyen national . Il conviendrait de s'assurer que les tutelles n'encouragent jamais des économies déraisonnables.

(2) Les maltraitances inacceptables

Comme cela a déjà été évoqué, pour des raisons tenant au mode de tarification, il arrive que certains établissements refusent de remettre les pensionnaires à leur famille tous les week-ends , comme ces dernières peuvent le souhaiter, mais seulement un week-end sur deux, en raison de la nécessité de satisfaire à un taux d'occupation de 80 % .

En dépit de certains « arrangements » des directeurs avec les tutelles ou avec leur conscience, qui ont été rapportés à la commission d'enquête à l'occasion de ses déplacements (dans tel département, il existe un accord tacite au terme duquel la journée entière est facturée dès lors qu'un seul repas est pris, telle directrice déclare la présence de certains pensionnaires certains week-ends alors qu'ils ont été remis à leurs familles, afin de ménager la liberté des personnes handicapées tout en assurant la poursuite de leur prise en charge), cette difficulté a été signalée plusieurs fois à la commission d'enquête, qui estime qu'il s'agit d'une forme particulièrement grave de maltraitance passive .

En effet, le retour dans les familles doit pouvoir s'effectuer aussi librement que possible , pour des raisons bien connues : toute séparation subie constitue une maltraitance inacceptable , et le renforcement du lien avec les familles constitue une nécessité 61( * ) et un rempart contre les maltraitances (supra) .

Il est donc impératif d'aménager le mode de tarification de telle sorte qu'à coût inchangé, les établissements aient la faculté de laisser leurs hôtes rejoindre leurs familles tous les week-ends et un temps de vacances équivalent à celui des congés scolaires . Il semble absurde à la commission d'enquête, compte tenu de la mise sous tension les personnels résultant de la diminution du temps de travail, de les consigner pour s'occuper de personnes handicapées qui ne demandent qu'à partir !

En tout état de cause, et quel qu'en soit le coût pour les établissements, il faut que cessent immédiatement les contingentements qu'ils tentent parfois d'imposer aux familles.

En outre, cette pratique s'inscrit résolument en faux avec les évolutions sous-tendues par la loi du 2 janvier 2002, dont l'article 15 62( * ) dispose en particulier : « Les établissements et services sociaux et médico-sociaux délivrent des prestations à domicile, en milieu de vie ordinaire, en accueil familial ou dans une structure de prise en charge. Ils assurent l'accueil à titre permanent, temporaire ou selon un mode séquentiel, à temps complet ou partiel, avec ou sans hébergement, en internat, semi-internat ou externat. »


Proposition

Aménager le mode de tarification des établissements de telle sorte qu'à prise en charge financière inchangée, les établissements aient la faculté de laisser leurs hôtes qui le souhaitent rejoindre leurs familles tous les week-ends et un temps de vacances équivalent à celui des congés scolaires . Dans l'attente, proscrire aux établissements toute tentative d'imposer des contingentements aux familles.


Les autres difficultés ayant une origine financière signalées à la commission d'enquête concernent essentiellement les CAT. Une recherche excessive de rentabilité y serait observée, selon plusieurs interlocuteurs de la commission d'enquête, qui se trouverait à la source de diverses sortes de maltraitances.
Ces observations sont, de surcroît, étayées par plusieurs témoignages reçus à l'adresse électronique de la commission d'enquête, même si, en sens inverse, les CAT visités n'ont pas laissé aux commissaires présents cette impression de recherche d'une rentabilité excessive .

Ainsi, des CAT détermineraient un niveau de salaire moralement, sinon financièrement préjudiciable . Actuellement, l'évaluation de la productivité d'un travailleur handicapé en CAT résulte d'une estimation souveraine de son directeur, qui peut ainsi la fixer - ou la ramener sans préavis - à 5% du SMIC. Cette situation est naturellement de nature à favoriser certains dérapages : « diminutions » vexatoires ou intéressées, lorsqu'il s'agit pour l'établissement, par exemple, de rembourser des investissements.

En principe, la rentabilité n'est pas un facteur de recrutement dans les CAT. Pourtant, selon M. Jean-Pierre Picaud, Président de la confédération des personnes handicapées libres, d'une façon générale, « la rentabilité est l'un des facteurs les plus graves de la maltraitance en CAT et en AP ».

D'une façon générale, la rentabilité ne devrait jamais être un objectif final, mais, au mieux, un objectif intermédiaire, destiné à favoriser la bientraitance de tous les travailleurs handicapés. A cet égard, la vision de M. Philippe Nogrix, représentant de l'Assemblée des départements de France, suscite l'adhésion : « ...on reproche aux CAT de faire de la concurrence aux milieux économiques. Il est vrai que certains CAT gagnent beaucoup d'argent en s'étant spécialisés dans des produits intéressants . Tant mieux pour eux ! Qu'on les incite à embaucher et qu'ils remplissent leur rôle. Voilà ce qui m'inquiète : dans le social, on donne toujours plus à ceux qui ont et l'on oublie de donner à ceux qui n'ont rien. Certains CAT ont des restaurants dignes d'un trois-étoiles. À côté, des parents ont du mal à nourrir leur enfant qui n'a pas de place en CAT. De même, certains CAT possèdent des véhicules pour pouvoir organiser des excursions le week-end. Nous devons arrêter de donner à ceux qui ont pour donner à ceux qui ont moins . Sur ce point, le milieu associatif doit se montrer raisonnable. Certaines associations disposent de moyens beaucoup plus importants que d'autres parce qu'elles s'occupent de handicaps mieux suivis. Le principe de la solidarité nationale représente un aspect très important en ce qui concerne le handicap et il ne doit pas être négligé. »

En tout état de cause, il ne fait aucun doute pour la commission d'enquête que les CAT devraient toujours privilégier leur fonction d'accompagnement.

Le président de la commission d'enquête vient de déposer, conjointement avec M. Nicolas About, président de la commission des Affaires sociales, une proposition de loi comprenant des règles destinées garantir une fixation plus équitable de la rémunération des travailleurs handicapés, que la commission d'enquête reprend à son compte dans la proposition suivante.


Proposition

Modifier le fonctionnement de la garantie de ressources pour les travailleurs handicapés accueillis en CAT en donnant, notamment, une base législative à la rémunération du travail versée directement par le CAT et en encadrant sa fixation, de telle sorte que celle-ci rende compte de la capacité réelle de travail de la personne.

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