B. UN ACCENT PORTÉ SUR LA FORMATION

Dans sa résolution du 16 septembre 1997 sur la nécessité d'une campagne européenne de tolérance zéro à l'égard de la violence contre les femmes, le Parlement européen soulignait « l'importance de la formation, s'agissant des personnes - représentants de l'ordre, juristes, personnel médical ou personnel des services du logement et des services sociaux - qui s'occupent de femmes victimes de sévices » et estimait que « cette formation doit être obligatoire pour les magistrats devant juger des cas de violence sexuelle ».

1. La formation médicale

Dans son rapport de février 2001, consacré au rôle des professionnels de santé en matière de violences conjugales, le Professeur Roger Henrion notait que « les femmes ne parlent pas beaucoup aux soignants des violences qu'elles subissent et ceux-ci ne posent pas beaucoup de questions ou ne posent tout simplement pas les bonnes questions ».

En France, les médecins ne pratiquent pas suffisamment le dépistage systématique , qui constitue pourtant la seule manière de découvrir les violences au sein du couple dans un contexte de non-dit.

Selon le rapport Henrion, « l'examen a posteriori des cas d'homicide a parfois permis de constater que si les acteurs de santé et de justice avaient tenu compte des signes d'alerte, le drame aurait pu être évité ».

Peu de médecins, au cours de leurs études universitaires, ont reçu une formation qui leur permette de réagir efficacement face à des cas de violences au sein des couples.

Le rapport Henrion, selon lequel « certains médecins généralistes restent volontiers passifs face aux violences conjugales ou trouvent ces situations particulièrement difficiles à gérer », rappelait les principales difficultés qu'ils peuvent rencontrer :

- « beaucoup de médecins sont inconscients de l'ampleur du problème et du fait que la violence peut s'exercer dans n'importe quel milieu sans égard à l'âge, la race, l'éducation, la religion, le statut marital, le niveau socio-économique. Beaucoup pensent que le phénomène est réservé à des couches de population défavorisée et ne peut atteindre leur clientèle [...] » ;

- « ils pensent que toute enquête est une intrusion dans la vie privée du couple et craignent d'offenser la patiente en posant certaines questions » ;

- « ils sont découragés par la complexité du problème, l'attitude des femmes, leur réticence à se confier, leur ambivalence, leur refus de quitter leur compagnon ou de porter plainte, mais aussi par la fréquence des retraits de plainte qui les mettent en porte-à-faux et la difficulté d'agir sur le comportement de l'agresseur. Ils redoutent la réaction des familles qui leur reprochent d'être à l'origine de mesures qui les font montrer du doigt par le voisinage ou, pour les enfants, par les camarades d'école ».

Quant à M. Bernard Basset, sous-directeur de la santé et de la société à la direction générale de la santé du ministère des solidarités, de la santé et de la famille, il a évoqué la réticence des praticiens à s'investir sur le sujet de la prévention et de la lutte contre les violences , qui peut les placer dans une position très délicate et inconfortable à l'égard des patients.

Mme Marielle Thuau, chef du bureau de l'aide aux victimes et de la politique associative du service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville du ministère de la justice, a signalé que l'association « SOS femmes » de Nantes avait envoyé un kit médical dénommé « Oser en parler » à tous les médecins, un certain nombre d'entre eux ne souhaitant pas prendre parti dans un conflit opposant deux membres d'une famille dont ils assurent le suivi médical d'ensemble.

Votre délégation considère, dès lors, qu'il est indispensable de prévoir des formations adaptées au cours des études universitaires médicales et paramédicales afin de mettre un terme aux réticences, freins culturels et méconnaissance de la situation par les professionnels de santé, mis en exergue par le rapport Henrion.

Evoquant la plus grande sensibilisation des professionnels, en particulier dans le domaine médical, Mme Nicole Ameline, quant à elle, a cité devant votre délégation la réflexion engagée avec le Conseil national de l'ordre des médecins et celui des pharmaciens sur l'introduction de la victimologie dans les études médicales.

M. Bernard Basset a néanmoins estimé que ce type de problématique relevait plus naturellement de la formation continue que de la formation initiale qui s'adresse à des étudiants avant tout soucieux d'acquérir des bases scientifiques et cliniques.

Dressant le bilan des actions de formation ouvertes par le ministère de la santé dans ce domaine, il a chiffré à 560 le nombre de personnes formées, ce qui incorpore non seulement des médecins mais aussi d'autres catégories de personnels, et notamment des directeurs d'établissements pénitentiaires. Il a cependant mis en évidence un certain manque de popularité de ces formations au sein du corps médical , tout en indiquant que les efforts de sensibilisation se poursuivaient avec, par exemple, le concours de la Fédération française de psychiatrie sur le thème de la prise en charge des auteurs d'abus sexuels.

Il a explicité les raisons pour lesquelles il pouvait sembler préférable d'incorporer ces modules dans la formation continue des médecins, estimant que c'est au cours de la vie professionnelle du praticien que se manifeste avec le plus d'acuité l'importance des problèmes humains des patients au-delà du strict enjeu médical.

Votre délégation estime elle aussi que, si la formation initiale est bien entendu importante, une formation sur ces questions doit plutôt intervenir en cours de carrière, au niveau de la formation continue, car la qualité des réponses apportées aux victimes demande à la fois une réelle expérience professionnelle et une maturité relationnelle et humaine.

2. La formation des agents des services de sécurité

La formation des policiers comme des gendarmes doit notamment porter sur l'amélioration de l'accueil des victimes des violences au sein des couples, tant il est vrai que la qualité de l'accueil qui leur est réservé par les services détermine la mesure du phénomène en limitant le nombre de faits échappant à la police et à la gendarmerie et contribue à donner aux femmes le courage nécessaire pour se rendre dans un commissariat et déposer plainte, ainsi que l'ont relevé, au cours de leur audition respective, tant M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces à la Chancellerie, que M. Michel Gaudin, directeur général de la police nationale au ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

A cet égard, il faut se féliciter de ce que les formations initiales des trois corps de la police aient été rénovées afin d'intégrer la dimension particulière de l'accueil des victimes en général, et des femmes victimes de violences en particulier.

La formation initiale des policiers à l'accueil des victimes

La scolarité des gardiens de la paix a, notamment, pour objectif de les rendre capables d'accueillir le public. A cette fin, 25 heures sont consacrées :

- au repérage des différentes catégories de public qui se présentent à l'accueil, en ciblant les plus sensibles et à l'acquisition de comportements favorisant le dialogue en situation d'accueil ou d'aide aux victimes ;

- à la capacité à apporter une réponse adaptée à une personne se présentant à l'accueil ;

- à mettre en oeuvre les principes de base de l'accueil téléphonique.

Par ailleurs, un séminaire de trois heures, avec la participation d'intervenants spécialisés, permet d'engager une réflexion collective sur les réponses à apporter, en termes d'assistance et de réconfort, aux personnes en difficultés et en détresse.

La formation des élèves lieutenants réserve 16 heures à l'accueil du public et à l'accompagnement des victimes par la pratique du dialogue avec les intervenants institutionnels et associatifs.

A l'intérieur de ce volume horaire, sont abordées les violences volontaires, dont les violences faites aux femmes, la place de la victime dans le processus judiciaire et policier, les relations police/population et les atteintes aux mineurs et à la famille.

La scolarité des élèves commissaires de police met notamment l'accent sur l'accueil du public et l'aide aux victimes, avec un volume horaire global de 10 heures. La problématique de l'accueil des victimes appartenant à des catégories particulièrement vulnérables est abordée sous forme de conférences assurées par des intervenants extérieurs.

Source : direction générale de la police nationale.

Par ailleurs, dans le cadre de la formation continue , des actions spécifiques sont proposées :

- un stage de deux à trois jours sur la problématique de l'accueil du public et de la gestion des publics violents ;

- un stage de deux jours intitulé « Victimes : de la prise en compte à l'assistance » 35 ( * ) ;

- un stage spécifique de quatre jours sur les aspects techniques et psychologiques des violences conjugales sera proposé en 2005 36 ( * ) .

Il convient cependant de souligner l' existence d'écarts entre la théorie des formations dispensées et la réalité du suivi effectif des stages . Ainsi, il a été indiqué à votre rapporteur qu'une formation à l'accueil aurait dû être suivie par l'ensemble des fonctionnaires de police du commissariat central de Tours, ce qui n'a pas été le cas, faute de pouvoir libérer de leurs tâches certains d'entre eux.

Mme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, si elle s'est félicitée de l'amélioration de la formation des policiers, s'est toutefois montrée beaucoup plus réservée sur l'attitude de certains magistrats qui, selon elle, proposent trop souvent aux victimes de violences une solution de médiation. Elle a relevé la difficulté de former les magistrats à cette problématique , car ceux-ci n'acceptent bien souvent d'être formés que par leurs pairs. Ainsi, les magistrats, à la différence des policiers, n'auraient guère participé aux sessions de formation organisées par des travailleurs sociaux.

3. Le rôle des associations

a) La formation dispensée par les associations

Les associations jouent aussi un rôle important en matière de formation.

Par exemple, certaines associations affiliées à la Fédération nationale Solidarité Femmes participe à des actions de sensibilisation et de formation des policiers, menées sur la base du volontariat de la part de ces derniers.

Les statuts de la Fédération nationale sont d'ailleurs en cours de modification de manière à lui permettre de devenir un centre de formation spécialisé dans la lutte contre les violences au sein du couple.

Mme Catherine Le Magueresse, présidente de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, a d'ailleurs jugé que l'influence des associations se faisait ressentir sur la meilleure formation et la plus grande sensibilisation des agents de police.

L'INAVEM organise lui aussi des actions de formation et envoie des intervenants, par exemple à l'Ecole nationale de la magistrature. Toutefois, il semble que la formation continue des magistrats à la problématique des violences au sein du couple soit insuffisante. De surcroît, lors des auditions, plusieurs difficultés ont été soulignées s'agissant de la formation des magistrats. Les différents juges éprouveraient parfois des difficultés à travailler ensemble et à coordonner leur intervention.

Mme Maïté Albagly, secrétaire générale du Mouvement français pour le planning familial, a signalé que le MFPF, agréé en tant qu'organisme de formation, avait compétence pour informer les professionnels dans le champ de la sexualité et des violences faites aux femmes : les associations départementales du MFPF animent ainsi dans les établissements scolaires et auprès de jeunes adultes des séances de travail et d'échanges sur la relation garçon/fille et les comportements sexistes. Elle a insisté sur la nécessité de la prévention qui doit se traduire par des interventions dans les écoles, cette information précoce étant fondamentale pour contribuer à un changement de mentalité globale dans la société.

b) Mettre en place des actions en direction des hommes violents

Mme Marielle Thuau, chef du bureau de l'aide aux victimes et de la politique associative du service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville du ministère de la justice, a évoqué une réflexion spécifique des associations ayant conduit à la mise en place, du côté des agresseurs, de groupes de paroles destinés aux hommes, notamment en liaison avec le parquet de Paris qui peut enjoindre les agresseurs à y participer.

Selon Mme Maïté Albagly, secrétaire générale du Mouvement français pour le planning familial, les actions de formation doivent aussi concerner les agresseurs, car la violence qu'ils font subir à leur conjointe, en dehors des cas de pathologies mentales avérées, est souvent un comportement acquis qu'il est possible de modifier .

Mme Sabrina Bellucci, coordinatrice du pôle « Animation Réseau » de l'INAVEM, a indiqué à votre rapporteur, lors de son déplacement au commissariat central de Tours, qu'il était urgent de concevoir des actions de formation à des fins de prévention en direction des hommes violents. Elle a en effet estimé qu'il serait réducteur de ramener le problème des violences au sein du couple à une question de « domination masculine », à moins de renoncer à faire changer la situation. Ainsi, au Canada, au Québec en particulier, des expérimentations très intéressantes ont été entreprises en direction des hommes violents, avec une réelle efficacité en termes de recul des violences.

* 35 Cette formation, dispensée aux fonctionnaires de police du corps de maîtrise et d'application et du corps de commandement et d'encadrement, a pour objet d'apporter aux policiers confrontés à des personnes traumatisées de meilleures capacités d'alerte, de prévention et de traitement des crises majeures, par l'acquisition des connaissances nécessaires en matière de psychologie des victimes, notamment au niveau de leur comportement individuel et de leurs réactions.

* 36 Cette formation, dont le programme a été communiqué à votre délégation par le directeur général de la police nationale au cours de son audition, comporte à la fois des rappels de la législation en vigueur, la présentation de mécanismes psychologiques, le rôle d'associations intervenant en faveur des droits des femmes (services d'écoute, hébergement...) et des mises en situation.

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