Audition de M. Marc GUILLAUME,
directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice
(18 janvier 2006)

Présidence de M. Alain GOURNAC, vice-président,
puis de M. Georges OTHILY, président

M. Alain Gournac, président .- Mes chers collègues, nous recevons M. Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, que nous allons écouter avec beaucoup de plaisir.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Marc Guillaume prête serment.

M. Alain Gournac, président .- Je vous propose de vous exprimer dans un premier temps, après quoi les commissaires pourront vous poser des questions.

M. Marc Guillaume .- Merci beaucoup, monsieur le président. mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le garde des sceaux a déjà été auditionné il y a quelques jours par votre commission et je ne reviendrai pas sur l'ensemble des précisions qu'il lui a apportées sur l'immigration clandestine et la lutte qui doit être mise en oeuvre contre celle-ci, mais je vais essayer de reprendre quelques-uns de ces points au regard des questions que vous vous êtes posées.

Je commencerai par quelques données statistiques pour vous permettre de bien comprendre la situation à ce jour.

Nous avons actuellement environ 270 000 mariages célébrés en France chaque année, dont à peu près 45 000 sont dits mixtes, c'est-à-dire entre un ressortissant français et un étranger. A ces 45 000 mariages mixtes, il faut ajouter environ 45 000 mariages célébrés à l'étranger et transcrits en France, la quasi-totalité de ces 45 000 mariages concernant un Français et un étranger, sachant qu'il est rare que deux Français se marient à l'étranger, même si cela arrive, bien sûr.

Cela fait donc environ 90 000 sur un total d'environ 320 000.

Ce chiffre est à la fois exact et incomplet puisqu'il ne prend pas en compte les mariages à l'étranger dont les intéressés ne demandent pas la transcription. Le chiffre de 45 000 mariages célébrés à l'étranger entre un Français et un étranger étant décompté par le ministère des affaires étrangères lorsque les intéressés en demandent la transcription au service central de l'état civil, nous sommes sûrs que ce chiffre de 45 000 est sous-estimé, même si nous ne savons pas de combien. Par exemple, on sait bien qu'en Allemagne, les gens qui se marient ne demandent jamais la transcription. Ils ne le font que bien des années plus tard lorsqu'il y a des conséquences patrimoniales.

On peut dire qu'un petit tiers des mariages célébrés en France ou à l'étranger concernant un Français sont des mariages mixtes. Il convient de rapporter ce nombre très élevé au fait qu'environ 8 à 10 % de la population vivant en France est étrangère. La comparaison de ces deux chiffres est importante.

Je peux vous donner une autre statistique sur la base des chiffres qui nous ont été communiqués par le ministère des affaires étrangères, puisque, comme vous le savez, le ministère de la justice ne tient pas de statistiques en la matière, l'autorité judiciaire n'intervenant pas dans la célébration des mariages sauf, le cas échéant, pour s'y opposer. Ce n'est pas nous qui comptons les mariages célébrés en France ni les mariages célébrés à l'étranger, bien sûr. Cette statistique qui ressort donc des chiffres du ministère des affaires étrangères est l'évolution dans le temps des nationalités des conjoints étrangers. En 2004, nous constatons une augmentation très forte, depuis une dizaine d'années, des mariages avec des ressortissants de pays du Maghreb (environ 300 % d'augmentation), puisque nous sommes passés d'un chiffre d'environ 4 600 mariages en 1993 à moins de 20 000 mariages en 2004 sur un total de 45 000.

Pour ce qui est des statistiques des mariages mixtes en France, il n'existe pas de statistiques par sexe et par nationalité.

Ces chiffres, associés à la découverte de réseaux, montrent que le contrôle des mariages est un enjeu migratoire important. 50 % des titres de séjour sont délivrés à des ressortissants étrangers conjoints de Français, et vous savez que, l'année dernière, environ 36 000 acquisitions de la nationalité française ont eu lieu par mariage.

Si ce phénomène est en croissance importante, cela vient évidemment de la mondialisation et de la globalisation des échanges, ce qui est très positif. Il s'agit simplement de s'assurer que la validité de l'intention matrimoniale a pu être contrôlée et que les procédures sont suffisamment efficaces pour détecter les cas où ce ne serait pas le cas.

C'est l'objet du projet de loi que le garde des sceaux a décrit devant vous il y a environ trois semaines : compléter quelque peu l'article 63 du code civil pour tous les mariages afin de bien distinguer les quatre étapes successives (fourniture d'un dossier, audition des candidats au mariage, certificat de capacité de mariage à l'étranger et publication des bans) et arriver à se donner les instruments nécessaires pour s'assurer de l'effectivité de cette intention matrimoniale. C'est le coeur de ce texte

Il est peut-être intéressant de revenir sur le non-respect des procédures dans le droit actuel. Que se passe-t-il aujourd'hui si on se marie à l'étranger et qu'on ne demande pas la transcription de ce mariage ? Bien entendu, ce mariage reste pleinement valable au regard du droit de l'Etat dans lequel les intéressés se sont mariés, que ce soit à Las Vegas ou en Asie. Dès lors que ce mariage a été régulièrement célébré dans cet Etat, il en porte la plénitude des conséquences.

M. Alain Gournac .- Même à Las Vegas ?

M. Marc Guillaume .- En tout état de cause, la loi française ne serait pas compétente pour se prononcer sur la régularité d'un mariage à Las Vegas. C'est le droit américain qui est valable, et même le droit des Etats fédérés, en l'occurrence. La seule question qui se pose à nous est de savoir quels sont les effets que ce mariage célébré à l'étranger va avoir dans notre pays.

A ce jour, vous savez que la transcription d'un mariage célébré à l'étranger n'est pas exigée pour produire un effet en France à deux exceptions près. La première, c'est l'acquisition de la nationalité française et la deuxième, l'obtention d'un titre de séjour. Si vous voulez obtenir un titre de séjour ou acquérir la nationalité française, vous devez, lorsque vous avez épousé un Français à l'étranger, faire transcrire votre mariage au service central de l'état civil relevant du ministère des affaires étrangères. Ce sont les 45 000 mariages dont je parlais tout à l'heure.

La transcription n'est pas systématiquement demandée parce que, comme je viens de le dire, les effets patrimoniaux et successoraux peuvent jouer en France. On constate ici une lacune du droit actuel, qui ne distingue pas vraiment bien les mariages qui ont été célébrés et pour lesquels les intéressés auront respecté la règle de droit en demandant la transcription des mariages non transcrits qui vont produire eux aussi des effets très importants. Ce n'est pas une incitation très forte à vérifier que les intéressés ont respecté les formalités du droit français pour obtenir cette transcription.

On voit donc bien que cela ne nuira en rien à tous les Français qui se marient à l'étranger valablement, de bonne foi et avec une intention matrimoniale réelle, auxquels on demandera de respecter les mêmes conditions que les Français se mariant en France, c'est-à-dire de réunir la fiche d'identité, l'état-civil et les documents nécessaires à la constitution d'un dossier.

Ensuite, comme les officiers de l'état civil peuvent le faire en France, une audition pourra se tenir devant le consul ou l'agent diplomatique à l'étranger. Vous savez que c'est très important pour lutter contre les mariages forcés, parce que c'est le moment où on va pouvoir s'assurer de la réalité des intentions.

De même, la publication des bans doit pouvoir se faire comme en France. Pourquoi, lorsqu'on se marie à l'étranger, ne pourrait-on pas demander de publier les bans, notamment au domicile de l'intéressé en France ? S'il est de bonne foi, cela ne peut lui nuire en rien. En revanche, si c'est pour cacher une intention matrimoniale frauduleuse qu'il va se marier à l'étranger, le fait de publier les bans dans sa commune permettra peut-être de le savoir.

Enfin, il faut évidemment une transcription. Il importe de bien distinguer la situation des Français qui se marient à l'étranger et qui respectent les règles de droit correspondant exactement à celles des Français se mariant en France. Evidemment, ces Français mariés à l'étranger doivent obtenir la transcription de droit à l'issue du processus, le parquet ayant la possibilité, comme c'est toujours le cas, de saisir la juridiction parce qu'il estime qu'il y a eu fraude et de distinguer la situation des gens de bonne foi (qui n'auront, encore une fois, une situation ni meilleure, ni moins bonne que celle des Français se mariant en France) de celle des Français qui, s'étant mariés à l'étranger et n'ayant pas respecté ces procédures qui s'appliquent purement et simplement aux Français en France, se verraient dire lorsqu'ils demanderaient la transcription : « Vous n'avez pas respecté les règles jusqu'à présent, nous allons donc vous auditionner et si cette audition laisse penser qu'il y a des indices sérieux de défaut d'intention matrimoniale, ce sera à vous de saisir la juridiction pour prouver que vous aviez bien cette intention, par exemple que vous vivez ensemble, etc. »

L'orientation est assez simple. Nous sommes face à l'une des illustrations de la mondialisation : davantage de nos concitoyens épousent des ressortissants d'autres Etats, ils le font davantage en France et ils le font aussi davantage à l'étranger. Il ne s'agit absolument pas de se demander s'il est mieux ou moins bien de se marier en France ou à l'étranger. Dans le temps, les familles allaient se marier à Venise, par exemple, et on peut donc continuer à se marier à l'étranger. Simplement, si les intéressés veulent voir transcrire leur mariage à l'état-civil en France, appliquons les mêmes règles que pour les Français se mariant en France. Ce sera l'occasion de vérifier, via l'audition, si l'intention matrimoniale existe et, au lieu de stigmatiser, de fournir un outil.

J'en viens maintenant à deux questions importantes. Arrive-t-on déjà à repérer, dans l'état du droit actuel, des intentions frauduleuses dans certains mariages mixtes ? Comment les procédures d'annulation sont-elles engagées à ce jour ?

Pour vous donner les chiffres, 874 procédures d'annulation ont été traitées en 2004 par les tribunaux de grande instance (à rapprocher des totaux que je citais tout à l'heure : 320 000 mariages dont 270 000 en France) et elles ont été engagées à raison de 90 ou 95 % par les parquets et à raison de 5 à 10 % par les intéressés, l'intéressé s'apercevant qu'on ne l'a épousé que pour obtenir la nationalité par exemple.

Ces 874 procédures d'annulation ont conduit les tribunaux à rendre 597 décisions d'annulation, dont 83 % concernaient des mariages mixtes. Cela signifie que 17 % des mariages entre Français étaient des erreurs ou des mariages de complaisance.

Sur ces 83 % qui sont des demandes d'annulation de mariages mixtes, les trois motifs les plus fortement présentés pour fonder ces annulations étaient l'absence de consentement (dans 97 % des cas, les mariages pour absence de consentement concernaient des couples mixtes), la bigamie ou la polygamie (76 % des affaires de ce type concernaient des mariages mixtes) et l'absence de l'un des époux lors de la célébration du mariage (98 % des affaires de ce type concernaient des mariages mixtes).

Il faut signaler que ce chiffre de 874 procédures ne reflète pas la totalité des situations dans lesquelles il a pu être soupçonné que le mariage était dénué d'intention frauduleuse parce que, lorsqu'ils voient arriver dans les mairies un couple qui a le projet de se marier, les officiers de l'état civil peuvent surseoir en disant qu'il faut procéder à une vérification, selon le mécanisme qu'a mis en place la loi de 2003 et, dans un certain nombre de cas, cette procédure est suffisamment dissuasive pour que les intéressés, s'ils étaient dénués d'intention matrimoniale, abandonnent le projet de mariage. Il est donc plus difficile d'avoir ce dernier chiffre.

Je pourrais aussi vous dire un mot, monsieur le président, sur les dispositions du projet de loi annoncé par le garde des sceaux visant à lutter contre la fraude documentaire. Il s'agit par exemple de la personne qui demanderait une carte d'identité ou un certificat de nationalité française et qui pourrait produire un certain nombre de documents à l'appui de sa demande, sachant que les actes de l'état civil à l'étranger, en application de l'article 47 du code civil, font foi sauf preuve contraire.

L'article 47 du code civil nécessite d'être modifié parce que la procédure de vérification qu'il prévoit ne fonctionne pas bien. Il faut évidemment, puisqu'on sait que, dans un certain nombre de pays étrangers, la valeur probante des actes d'état civil pose parfois question, pour dire les choses ainsi, pouvoir opposer des doutes sur l'authenticité et la véracité d'un acte et donner un délai suffisant, notamment aux autorités diplomatiques et consulaires, pour opérer une vérification.

M. Alain Gournac .- Tout ce que nous venons d'entendre concerne-t-il également les départements d'outre-mer ?

M. Marc Guillaume .- Oui. C'est la France.

M. Alain Gournac .- Pourtant, il y a de gros problèmes de mariage à Mayotte. Je ne sais pas si c'est dans vos statistiques, mais, à Mayotte, les mariages ne sont pas tous célébrés par l'officier de l'état civil et c'est une chose qui nous pose problème aujourd'hui.

Par ailleurs, vous avez dit qu'il fallait publier les bans, mais qui les regarde, sincèrement, s'ils sont sur un panneau je ne sais où ? Cela ne concerne que les photographes ou les commerçants qui cherchent à vendre des photos ou des dragées, mais, globalement, ce n'est pas vraiment un élément de sécurité.

Enfin, je dois dire ici que, pour le maire, il est très difficile de détecter ce genre de fraude. Dans ma commune, l'adjointe au maire célébrant les mariages un jour a remarqué que le même bouquet servait à plusieurs mariages : c'était un bouquet en tissu. C'est ainsi que nous avons constaté que le troisième mariage était frauduleux. On peut dire qu'ainsi, une filière commençait à s'installer au Pecq. Je souhaitais insister sur ce point sans vouloir être excessivement répressif.

Nous avons donc encore des difficultés certaines dans la détection. C'est pourquoi je m'inquiète des mariages à l'étranger. Pour notre part, nous connaissons les gens mais, à l'ambassade de tel ou tel pays, comment vont-ils faire ?

M. Marc Guillaume .- L'inquiétude que vous exprimez est celle à laquelle le projet de loi que le garde des sceaux a présenté en Conseil des ministres dans les premiers jours de février cherche à répondre : il s'agit, tout simplement, de faire en sorte qu'encore une fois, un mariage célébré en France et un mariage célébré à l'étranger soient soumis aux mêmes conditions. Il n'y a rien d'exceptionnel. Comme vous l'avez dit, ces diverses formalités peuvent paraître insuffisantes si on les prend individuellement (réunir un dossier, faire une audition et publier des bans), mais, du fait de la liberté du mariage, chacune de ces formalités vise simplement à s'assurer qu'il y a une intention matrimoniale.

Le seul objet est de dire que, si on se marie à l'étranger et si on veut que son mariage soit transcrit en France, c'est-à-dire produise des effets, on va appliquer les mêmes règles. Il faudrait d'ailleurs mieux distinguer les effets par rapport à aujourd'hui.

M. Alain Gournac .- Il y a beaucoup à faire à cet égard, en effet.

M. Marc Guillaume .- Aujourd'hui, que vous respectiez les règles ou non, à part un ou deux effets, tous les effets sont les mêmes, ce qui est paradoxal.

Pour les bans, vous avez raison de dire que la mesure n'est pas suffisante à elle toute seule. Si un Français va se marier à l'étranger, le fait de publier les bans dans sa commune n'aura peut-être aucun effet dans un certain nombre de cas, mais si, pour la troisième ou la quatrième fois, pour la même personne, on a une publication de bans, elle finira par se faire repérer.

Il en est de même pour l'audition. Aujourd'hui, si un Français habite en France et son futur conjoint à l'étranger, par définition, on ne peut pas faire d'audition commune, ce qui est un souci puisque c'est lors de l'audition commune que vous pourriez repérer si le mariage est forcé. Dans ce cas, le projet de loi vise à donner la possibilité d'organiser deux auditions et de rapprocher leurs contenus pour vérifier si les renseignements sont concordants. Cela n'a rien de discriminatoire et cela ne risque en rien d'attenter à la liberté du mariage ; cela ressort même du bon sens, mais, jusqu'ici, on ne faisait pas deux auditions, on ne rapprochait pas les deux procès-verbaux et on ne publiait pas les bans. Cela ne discriminera en rien les gens parce que, encore une fois, le monde a changé et la globalisation fait qu'un certain nombre de nos concitoyens se marient plus à l'étranger qu'aujourd'hui.

Simplement, si on veut que ce soit transcrit et que cela produise des effets en France, il est assez logique que nous ayons les mêmes formalités.

M. Louis Mermaz .- J'ai peut-être été distrait, mais je voudrais savoir comment va se faire, dans le nouveau projet de loi, l'intervention éventuelle de l'autorité judiciaire. Y a-t-il une différence par rapport au système actuel ?

M. Marc Guillaume .- L'idée de ce contrôle, monsieur le ministre, est d'arriver à distinguer clairement les gens qui ont respecté les trois ou quatre formalités que l'on a en France si on veut se marier. Si les formalités préalables ont été respectées, la transcription à l'état civil doit être de droit. Si, entre le moment où ces formalités ont été exercées et le mariage est célébré, un élément qui surgit conduit le parquet à soupçonner quelque chose, il peut saisir, mais il faut qu'in fine, les formalités préalables ayant été respectées, la transcription soit de droit pour ces gens, puisque c'est la loi. C'est une première situation.

La deuxième situation est celle dans laquelle le mariage a été célébré à l'étranger malgré l'opposition du parquet, qui est préalable à la célébration du mariage, le certificat de mariage ayant été refusé parce que l'intéressé aurait déjà été marié, par exemple. Si le mariage a déjà été célébré, la seule possibilité est que les époux obtiennent une mainlevée par le tribunal, ce qui serait la même chose sur notre territoire.

Nous avons donc deux situations. Première situation : les formalités préalables ont été respectées et la transcription est de droit ; deuxième situation : les intéressés se sont mariés malgré l'opposition du parquet et il faut une mainlevée.

Il en existe une troisième : les intéressés n'ont pas respecté les formalités, c'est-à-dire qu'ils sont allés se marier devant l'autorité locale à Las Vegas, par exemple, ils ne sont jamais passés devant l'autorité consulaire diplomatique et ils n'ont jamais rempli un dossier ni fait d'audition. Dans ce cas, on leur dit qu'ils doivent refaire ces formalités, c'est-à-dire qu'on va les auditionner. Si, lors de ces formalités, aucun indice sérieux n'existe, il y aura transcription et si, en revanche, on relève des indices sérieux, c'est à eux de saisir la juridiction pour établir leur bonne foi.

Il n'y a rien de très particulier. Il faut bien que nous arrivions à distinguer ceux qui ont respecté la règle de droit de ceux qui ne l'ont pas respectée.

M. Bernard Frimat .- Nous voulions vous poser une série de questions statistiques, mais vous avez déjà répondu d'emblée que l'INSEE ne les relevait pas. Par exemple, les mariages mixtes sont-ils des mariages entre des gens qui ont acquis la nationalité française ou qui ont une double nationalité ?

M. Marc Guillaume .- Sur le premier point, monsieur le sénateur, je peux vous répondre. Par définition, pour les 45 000 mariages en France, l'INSEE ne distinguera jamais entre le Français à la naissance et celui qui sera devenu français, ne serait-ce que parce que jamais ce renseignement n'est demandé aux intéressés.

M. Bernard Frimat .- Bien sûr. Ce sont donc des questions sur lesquelles on voit bien que nous n'avons pas de réponses. Personne ici ne souhaite encourager les réseaux mafieux à prospérer et tout le monde pense qu'il est une bonne chose de les combattre. Pour autant, il y a une question de climat général qui fait qu'aujourd'hui, comme nous pouvons tous le déplorer, la xénophobie progresse dans les têtes.

Je voudrais donc savoir comment on fait le partage, dans le projet de loi, pour éviter que les mariages mixtes ne soient mis dans une situation présupposée de délinquance alors que la majorité des mariages mixtes obéissent sans doute à une logique de personnes qui se rencontrent et qui veulent vivre ensemble ? C'est en fait une question de sentiment.

Il serait également intéressant d'avoir la localisation et la cartographie, selon les départements, des 45 000 mariages mixtes, puisque ce que vous nous avez dit inclut les départements d'outre-mer. De la même manière, une cartographie fine au niveau des mairies pourrait nous donner un certain nombre de renseignements.

Je ne suis pas gêné ni choqué intellectuellement par le fait que l'on demande aux gens qui se marient à l'étranger les mêmes papiers que ceux qui se marient en France, mais il s'agit plutôt d'une question de climat. C'est pourquoi je dis que, dans la manière dont va être présenté le projet qui va arriver, on devrait veiller à ce qu'il sorte d'une logique que nous ressentons plus particulièrement et qui s'apparente souvent à une chasse aux étrangers, en transformant ce problème en premier problème pour la France alors que ce n'est pas du tout le cas.

J'ai une dernière question pour terminer. Quand vous parlez de 45 000 mariages mixtes à l'étranger, sont-ils enregistrés dans les représentations consulaires ou non ?

M. Marc Guillaume .- Je commence par ce dernier point. Ce sont 45 000 mariages dont les intéressés demandent la transcription au service central de l'état civil à Nantes. A ce jour, la quasi-totalité de ces 45 000 mariages sont célébrés par des autorités étrangères sur leur sol.

Mme Catherine Tasca .- Les consulats font bien la transcription automatique.

M. Marc Guillaume .- Ils récupèrent les données et les envoient au service central de l'état-civil pour les Français mariés à l'étranger qui est basé à Nantes. C'est donc à Nantes que s'opère la transcription.

M. Bernard Frimat .- Combien y a-t-il de mariages célébrés par les autorités consulaires françaises ?

M. Marc Guillaume .- Très peu. Aujourd'hui, il ne doit rester que treize Etats -c'est un décret de 1939- dans lesquels les consuls français peuvent procéder au mariage. Historiquement, ce sont des Etats dans lesquels (c'est un peu différent maintenant et la liste date quelque peu) il n'y avait que des mariages religieux et c'est pourquoi la France avait souhaité que ses ressortissants puissent se marier auprès du consul. Dans cette liste, par exemple, nous avions le Maroc, zone de Tanger.

Pour autant, les 45 000 mariages dont je parle sont célébrés par les autorités étrangères et les Français disent simplement : « Je voudrais que ce mariage produise des effets en France et soit donc transcrit ».

Pour en revenir à votre question initiale, monsieur le sénateur, je pense que vous pouvez être pleinement rassuré en constatant que c'est le ministre de la justice, alors que l'on est en train de modifier le code civil, qui vient vous présenter ce projet de loi équilibré. C'est de nature à répondre à votre question sur le climat que vous évoquez, puisque ce projet de loi que présente monsieur le garde des sceaux n'a aucune autre fin que celle de s'assurer que l'intention matrimoniale existe. Encore une fois, nous avons repris purement et simplement les conditions dans lesquelles les mariages sont célébrés en France.

De ce point de vue, le texte de loi ne change à peu près rien aux 45 000 mariages mixtes célébrés en France. Nous allons mettre dans la loi, pour que ce soit plus compréhensible, le contenu du dossier que l'on doit présenter lorsqu'on se marie, mais ce n'est pas cela qui change les choses fondamentalement. Le coeur du projet, ce sont les mariages célébrés à l'étranger. Or le texte ne distingue pas, alors que cela aurait été intellectuellement possible mais constitutionnellement plus difficile, entre le mariage de deux Français à l'étranger et celui d'un Français et d'un ressortissant étranger à l'étranger. Pour ne pas pointer ce type de mariage, il est indiqué simplement dans le texte que, lorsqu'on se marie à l'étranger, si on souhaite que ce mariage produise des effets en France, il faut remplir les formalités.

Enfin, il faut bien arriver à distinguer les effets d'un mariage transcrit de ceux d'un mariage non transcrit, parce que, s'il n'y a que la différence sur la nationalité et le titre de séjour, c'est un peu faible.

Mme Catherine Tasca .- Peut-être pourriez-vous nous préciser auprès de qui seraient organisées ces fameuses auditions qui permettent de vérifier l'engagement dans le mariage ?

Par ailleurs, je souhaite évoquer un élément important si nous voulons avoir les mêmes formalités en France et à l'étranger : la fiabilité de certains documents (vous avez parlé de « fraude documentaire » et je préfère pour ma part cette notion de fiabilité) dans des pays où l'état civil n'est pas organisé comme chez nous. Qu'est-il envisagé, notamment sur le plan de la coopération internationale, pour arriver à se mettre d'accord sur les documents à fournir ?

A l'occasion de demandes de certificats de nationalité qui sont faites à Nantes, très souvent, les demandeurs ont un mal fou à déterminer les pièces qu'ils doivent produire, tout simplement parce que, dans leur pays d'origine, lorsqu'il s'agit d'étrangers, il n'est pas aussi facile que dans une mairie française d'obtenir des certificats de naissance. Que peut-on faire pour améliorer ce point sans que cela entraîne une insécurité pour les personnes qui suivent ces procédures.

M. Marc Guillaume .- Je répondrai à votre première question que, comme aujourd'hui, c'est l'officier de l'état civil qui fait l'audition : en France, c'est le maire et, à l'étranger, c'est l'officier consulaire ou diplomatique, c'est-à-dire le consul ou l'agent. Encore une fois, nous y sommes très sensibles pour les mariages forcés : c'est en effet là que nos agents consulaires arrivent à remarquer que le mariage est dénué d'intentions matrimoniales.

Sur votre deuxième question, vous avez raison, madame le ministre, de souligner que cela s'adresse principalement aux documents dont nous demandons la délivrance, c'est-à-dire principalement la carte nationale d'identité et le certificat de nationalité française.

Quant au fait de savoir s'il est facile ou non, pour les intéressés, de se procurer ces documents dans l'Etat étranger dont ils sont ressortissants, la solution est de laisser des délais un peu plus longs. S'il est particulièrement compliqué d'obtenir une photocopie ou de faire la vérification et si un délai de deux mois est trop court pour cela, il faudra peut-être fixer un délai de six ou huit mois pour s'assurer que cette période est mieux utilisée pour réunir tous les éléments. Cependant, si, au terme de ce délai, les documents ne sortent toujours pas, il est logique que l'intéressé saisisse le juge pour dire qu'il n'y est pas parvenu ou que l'on doute des éléments qu'il a apportés mais qu'il souhaite faire valoir sa cause.

Voilà les réponses que je pouvais vous apporter.

M. Alain Gournac .- Il faut aussi que ce soit traduit.

M. Marc Guillaume .- Bien sûr, vous avez raison.

M. Georges Othily, président .- Nous en avons terminé. Nous vous remercions de tous ces éclaircissements que vous nous avez apportés.

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