Audition de M. Eric LE DOUARON,
directeur central de la police aux frontières
(18 janvier 2006)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Monsieur le directeur, nous vous remercions d'avoir accepté d'être entendu par notre commission d'enquête.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Eric Le Douaron prête serment.

M. Georges Othily, président .- Je vous propose de nous faire un exposé liminaire, après quoi le rapporteur et nos collègues vous poseront des questions ou vous demanderont d'apporter quelques précisions.

M. Eric Le Douaron .- Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, comme vous le savez, la maîtrise des flux migratoires est un enjeu majeur sur lequel les pouvoirs publics français ainsi que les instances européennes sont mobilisés.

La représentation parlementaire y contribue largement en nous donnant les moyens juridiques et budgétaires de conduire notre action de manière efficace. En contrepartie, elle a des exigences accrues en matière de transparence, dont la satisfaction est encadrée tant par la nouvelle procédure budgétaire instituée par la LOLF que par le rapport annuel du gouvernement au parlement en matière de politique d'immigration institué par l'article L. 111-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Le gouvernement a marqué fermement son intention de traiter cette problématique à hauteur des défis qu'elle revêt pour les équilibres sociaux et économiques de notre pays. Le ministre d'Etat, qui s'est exprimé récemment devant cette commission, a même qualifié la lutte contre l'immigration clandestine comme « l'un des grands enjeux planétaires de notre temps ». Il l'a d'ailleurs érigé au titre des objectifs fondamentaux du ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire pour les années à venir.

Ainsi, à la faveur de la circulaire qu'il nous a adressée le 23 août 2005, il a souhaité solennellement confier le pilotage et l'animation de « la police de l'immigration », concept sur lequel j'aurai l'occasion de revenir, à une direction spécialisée de la police nationale : la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).

Cette responsabilité nouvelle qu'il me revient d'assumer est tout d'abord une marque de reconnaissance pour les résultats qui ont déjà été acquis précédemment et, surtout, un gage de confiance dans notre capacité d'adaptation permanente afin de travailler au mieux sur les enjeux migratoires contemporains. C'est ce que j'essaierai de vous montrer dans une première partie.

Mais cette responsabilité est également porteuse d'exigence et servira de cadre et de référence à l'action que la police aux frontières conduira tout au long de l'année à venir. Nous examinerons cela, si vous le voulez bien, dans un second temps.

La direction centrale de la police aux frontières recherche en permanence à s'adapter au mieux, par ses structures et ses moyens, à une immigration clandestine organisée qui est elle-même en mutation constante, notamment dans le domaine des filières.

L'une des caractéristiques fortes de notre direction est indubitablement sa capacité d'innover et d'évoluer structurellement et fonctionnellement afin d'être toujours en phase avec le risque migratoire irrégulier.

La police aux frontières, de ce point de vue, a su changer sa physionomie en se réorganisant profondément au cours des deux dernières années et elle va continuer à le faire dans l'année qui vient -c'était simplement le premier socle-, dans le sens souhaité de la simplification administrative portée par la réforme de l'Etat.

Comment s'organise-t-elle aujourd'hui ?

Au niveau de l'échelon central, tout d'abord, nous avons simplifié son organisation autour de trois sous-directions dont une est absolument essentielle, la sous-direction de la lutte contre l'immigration, l'autre étant la sous-direction qui traite de toutes les affaires de sûreté dans les aéroports, les ports, etc. et de tous les aspects internationaux qui nous occupent. Elle joue évidemment un rôle important, notamment dans tous les accords que nous pouvons avoir avec les différents pays pour essayer de traiter les choses à la source d'une façon ou d'une autre.

Au niveau central, je citerai deux éléments très importants.

Le premier est l'OCRIEST, qui a une mission fondamentale de traitement des filières et du travail illégal. Ce service va fêter ses dix ans, mais il prend une dimension importante depuis une année et celle-ci va aller croissante l'an prochain.

Le deuxième est une unité de coordination de la lutte contre l'immigration irrégulière qui est dans le droit fil de la circulaire du mois d'août dernier, la concrétisation de la mission nouvelle d'une coordination globale qui est donnée à la direction de la police aux frontières sur tous les acteurs qui concourent de près ou de loin à la répression de l'immigration irrégulière. Par ce biais, nous avons la coordination sur les forces de gendarmerie nationale, de même qu'en ce qui concerne les douanes, par exemple.

Sur le plan territorial, ma direction est organisée de façon relativement simple en six directions zonales dans un espace beaucoup plus large que la simple région : six zones de police aux frontières pour la métropole et une zone outre-mer.

Nous avons par ailleurs 41 directions départementales, dont 37 en métropole, 84 services locaux et 6 services déconcentrés qui ont une assise territoriale atypique. J'entends par là un certain nombre de collectivités outre-mer dans lesquelles il y a une fusion entre les services, les zones, etc. pour des raisons purement géographiques, ainsi que les aéroports parisiens qui, en eux-mêmes, ont une spécificité très particulière.

En ce qui concerne ses moyens en hommes, cette organisation a également connu une progression forte au cours de l'année 2004 puisque nous avons franchi le cap des 8 000 fonctionnaires (nous en sommes exactement à 8 164 au 1 er janvier), soit une progression de près de 900 fonctionnaires, et cette progression va encore se poursuivre normalement à hauteur de près de 300 autres fonctionnaires au cours de cette année.

A quelles tâches vont-ils être affectés ? Tout d'abord, nous allons continuer à développer l'implantation d'un certain nombre de services départementaux, tout simplement pour répondre aux évolutions du paysage. Ainsi, le Journal Officiel du 1 er janvier vient de publier la création de trois nouvelles directions départementales de la couronne parisienne (77, 78 et 95) et, surtout, d'une direction départementale dans l'Oise, ce qui est nouveau, pour pouvoir prendre en compte l'aéroport international de Beauvais, où on a constaté une évolution absolument extraordinaire du nombre de passagers avec l'implantation nouvelle des compagnies « low cost ».

Je ne vous donnerai que deux chiffres pour vous montrer cette progression : en 2002, on en était à 678 000 passagers et on en est aujourd'hui à 1 800 000 avec une caractéristique nouvelle : dans un premier temps, il s'agissait surtout de vols européens alors que, désormais, nous avons affaire à des vols à très grand niveau vers tous les pays du Maghreb et, souvent, vers d'autres destinations. Il était donc absolument nécessaire que nous nous préoccupions désormais, comme pour les aéroports de grande importance, de cette plate-forme de Beauvais.

J'ai parlé tout à l'heure de l'OCRIEST au niveau central pour tout ce qui concerne le travail sur les filières. Au sein des directions zonales de la police aux frontières, il existait déjà un certain nombre de brigades mobiles de recherche zonale. Là aussi, nous avons franchi une étape nouvelle avec la création d'un certain nombre d'autres brigades, qu'il s'agisse du territoire métropolitain ou de l'outre-mer.

Trois nouvelles brigades sont déjà opérationnelles depuis octobre dernier à Dijon, Grenoble et Orléans, et six vont l'être au cours de cette année. Elles seront basées à Avignon, Caen, Limoges, Nancy, Reims et Saint-Etienne.

Ces brigades mobiles de recherche, au-delà de l'OCRIEST, sont localement l'outil fondamental de recherche judiciaire. C'est, en quelque sorte, la déconcentration de l'outil de travail sur les filières. En effet, on peut prendre une filière au niveau international, mais aussi comme, je le dis souvent, par le petit bout, parce qu'il faut bien que cela aboutisse quelque part. En général, cela n'aboutit pas quelque part par hasard ; cela existe parce qu'il y a un environnement de travail ou autre chose. Nous nous sommes donc mis en capacité d'appréhender le problème par tous ses aspects et tous ses niveaux possibles.

Enfin, dans le cadre de la déconcentration du dispositif de coordination dont je vous ai parlé, qui s'appelle l'unité de coordination de la lutte contre l'immigration irrégulière (UCOLII) et qui est un peu comme l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) transposée avec une référence de structure en ce qui concerne l'immigration, nous aurons, au niveau de chacune des directions zonales de la police aux frontières, une cellule de coordination opérationnelle zonale qui prendra en charge tous les aspects de l'activité opérationnelle, aussi bien administrative que judiciaire, qu'il s'agisse des moyens propres de la police aux frontières, des moyens de la sécurité publique, de la gendarmerie ou des douanes, sous la coordination du directeur zonal de la police aux frontières.

Vous constatez donc que notre organisation s'est affinée en prenant la mission dans sa globalité, en fédérant tous les acteurs aussi bien au niveau central qu'au niveau zonal, en déterminant et en suivant la politique, en aidant à la mise en place des dispositifs, en les coordonnant et en remontant évidemment ensuite à tous les résultats et les analyses pour nous permettre de faire la boucle et de continuer à travailler dans une meilleure intelligence et une meilleure compréhension de l'évolution des choses.

Cette adaptation de nos structures est absolument nécessaire lorsque nous voyons au fil des mois que, dès que nous mettons en place un dispositif, les choses évoluent.

Le risque migratoire auquel nous avons affaire peut être qualifié à deux niveaux.

Le premier est une migration irrégulière de simple transit vers un autre territoire. Pour ce qui nous concerne, il s'agit essentiellement de la Grande-Bretagne, avec un point de fixation qui n'est plus celui qui date de quelques années mais qui demeure important quant à l'image que cela représente sur le secteur de Calais.

Cependant, nous avons également d'autres pays qui constituent des zones d'attractivité et pour lesquels nous sommes une simple plate-forme de transit : l'Espagne et l'Italie, tout simplement parce que certaines nationalités préfèrent y aller pour essayer d'y travailler clandestinement ou pour des raisons culturelles, notamment de langue, et aussi du fait des dernières mesures de régularisation qui ont constitué une certaine attractivité, notamment celles qui ont été prises en Espagne.

Le deuxième, au-delà de cette immigration irrégulière de transit, est une immigration d'installation, elle-même alimentée tant par des personnes qui sont entrées régulièrement sur le territoire et qui s'y sont maintenues illégalement que par celles qui sont directement entrées clandestinement.

Cette nature duale complexifie la riposte à mettre en oeuvre, d'autant que les problématiques migratoires sont sensiblement distinctes entre la métropole et l'outre-mer et que les modalités de contrôle offertes sont profondément différentes selon la nature de la frontière considérée.

D'une manière générale, la pression migratoire en métropole relevée par l'activité de la police aux frontières et donnant lieu soit à une mesure de refus d'entrée -c'est ce qu'on appelle la non-admission-, soit à une réadmission, s'exprime de façon relativement équilibrée entre deux éléments principaux.

Le premier concerne les frontières aériennes extra Schengen. Dans ce contexte, je ne vous surprendrai pas en vous disant que le point principal des tentatives d'entrée est l'aéroport de Roissy, qui représente à lui seul près de la moitié des mesures de réadmission prononcées en 2005 pour le territoire métropolitain et plus de 80 % des placements en zone d'attente au plan national.

La prééminence de cette plate-forme aéroportuaire explique la présence aux deux premières places des étrangers non admis sur le sol métropolitain que sont les Chinois et les Boliviens. J'expliquerai tout à l'heure pourquoi.

Le deuxième élément concerne les frontières terrestres intérieures, qui représentent 40 % de la pression migratoire avec une acuité constante aux frontières avec l'Italie (15,7 % des réadmissions) et à celles avec l'Espagne (12,7 %). En vertu du principe de libre circulation au sein de l'espace Schengen, nous avons à mettre en place un certain nombre de dispositions dont un contrôle extrêmement fort, au-delà des points de passage autorisés aux frontières, pour surveiller les vecteurs ferroviaires et les vecteurs routiers. J'en reparlerai éventuellement tout à l'heure.

Quant à la pression migratoire sur les frontières maritimes, elle est extrêmement minoritaire et stable pour la métropole : elle représente entre 5 et 6 %.

Pour le territoire métropolitain, les nationalités qui sont les plus représentées sont à peu près toujours globalement les mêmes au cours des années passées. On observe simplement en 2005 un certain nombre d'évolutions du classement des dix nationalités les plus représentées parmi les étrangers en situation irrégulière interpellés. En l'occurrence, deux nationalités, les Irakiens et les Somaliens, ont considérablement progressé, et ont ravi les premières places de ce classement aux Maghrébins, notamment les Marocains et les Algériens, qui sont maintenant relégués aux troisième et quatrième places de ce dispositif de comptage. Les Tunisiens, quant à eux, ont considérablement régressé à ce niveau et ne sont plus aujourd'hui qu'au dixième rang du dispositif.

Les Pakistanais qui, jusqu'à présent, étaient peu présents dans ces arrivées sur le territoire, sont maintenant au septième rang du classement et il convient de noter que la représentativité des Turcs décroît, puisqu'elle est passée de la cinquième place en 2004 à la neuvième en 2005.

La problématique migratoire est différente -cela n'étonnera plus personne- mais tout aussi disparate dans les départements et les collectivités d'outre-mer.

Si elle est inexistante en Polynésie et en Nouvelle Calédonie, ou en tout cas très marginale, elle s'exprime de manière préoccupante en Guyane avec deux nationalités : les Surinamiens et les Brésiliens.

M. Georges Othily, président .- Les Haïtiens sont les plus importants.

M. Eric Le Douaron .- C'est exact. Ils mettent à profit la porosité naturelle de la frontière fluviale et terrestre de ce département qui est extrêmement difficile à surmonter.

Mayotte est également préoccupante avec un flux extrêmement fort de Comoriens.

Enfin, dans les Caraïbes, la pression migratoire qui a été enregistrée par la police aux frontières a progressé dans nos constatations de près de 58 % en une année, mais aussi, comme vous le verrez, avec des ripostes et des résultats d'éloignement en forte progression également.

Ces flux sont essentiellement alimentés par les ressortissants des îles voisines : Haïti, République dominicaine, Sainte-Lucie et autres.

L'immigration d'outre-mer rentre inévitablement dans l'immigration maritime. A cet égard, nous connaissons des difficultés dans les interceptions de bateaux clandestins, puisque nous sommes pris alors entre notre souhait d'efficacité dans la réalisation de l'interception et le risque que cela présente pour des passagers clandestins qui sont à bord et qui doivent être protégés eux-mêmes en cas de mauvais déroulement de l'opération.

En ce qui concerne Mayotte, par exemple, nous remportons beaucoup de succès grâce à la mise en place d'un dispositif de détection à base de radars qui sont désormais très efficients et du fait de nos différents moyens humains (gendarmes mobiles, douane, police, marine nationale).

Pour vous donner une simple image du résultat, sachez que, depuis le 1 er janvier, nous avons eu trois interceptions réussies avec, à chaque fois, à bord des bateaux interceptés, entre 30 et 40 clandestins et l'interpellation des passeurs, évidemment, qui s'équipent de plus en plus en moyens techniques comme le GPS, ce qui montre qu'il existe des filières très organisées de transferts.

Pour ce qui concerne les Antilles, nous sommes actuellement en cours d'étude avec la marine nationale pour mettre en place un dispositif assez semblable de détection, même si les caractéristiques de la mer, là-bas, ne sont pas du tout comparables à celles de l'environnement de Mayotte.

Voilà ce que je voulais dire pour vous présenter notre dispositif et, en quelques grands traits, l'immigration à laquelle nous avons à faire face.

J'aborde maintenant, si vous le voulez bien, l'activité de la police aux frontières au cours de l'année passée, après quoi je compléterai mon intervention par les objectifs qui nous ont été fixés et que nous allons essayer d'atteindre.

Le bilan de l'année 2005, qui vient d'être établi, montre que tous les paramètres d'activité que nous utilisons sont au vert, c'est-à-dire que, tant en ce qui concerne l'activité préventive qu'en ce qui concerne l'activité répressive, ils sont en progression constante et même forte pour un certain nombre d'entre eux. Il en est de même dans le domaine des éloignements, et j'y reviendrai aussi dans un instant.

Dans le volet préventif, il s'agit d'empêcher l'entrée sur le territoire, au moment où elle se produit, si la personne n'a pas les sauf-conduits valables, ce qui représente déjà des chiffres très importants puisque, tous éléments confondus, que ce soit sur les aéroports ou aux différentes frontières, ce sont plus de 37 000 étrangers qui ont été non admis ou réadmis directement de manière préventive, soit sur les aéroports, soit sur les différents points de passage autorisés, dont 25 000 rien qu'en métropole, ce qui correspond à une progression de plus de 12 % par rapport à 2004.

Parallèlement, nous avons reçu 3 281 demandes d'asile dont plus des trois quarts ont été faites sur les aéroports parisiens au moment de l'arrivée.

Au-delà de cet aspect préventif sur nos différents points fixes, nous mettons en place avec nos partenaires européens, notamment les Espagnols et les Italiens, ce que nous appelons des opérations de contrôle « à haut impact », notamment sur les vecteurs ferroviaires et les vecteurs autoroutiers. Les patrouilles mixtes que nous mettons en place nous permettent ainsi de bien contrôler les vecteurs les plus difficiles sur ces deux zones.

Pour vous donner une idée de notre efficience, rien qu'entre l'Italie et la France, nous avons interpellé en patrouilles mixtes 2 040 personnes l'an passé, ce qui est important.

Enfin, la police aux frontières participe aux opérations conjointes de surveillance menées par les Etats-membres de la communauté européenne aux frontières extérieures, aériennes, terrestres et maritimes sous l'égide de la nouvelle Agence aux frontières extérieures (FRONTEX), dont le siège est basé à Varsovie et qui est en activité depuis le 1 er octobre 2005.

Cette activité est dissuasive car elle envoie un message clair aux candidats à l'immigration irrégulière qui soit renoncent devant la difficulté, soit modifient leur parcours. C'est à nous de nous adapter en conséquence.

J'en veux pour preuve les fruits positifs que nous avons réussi à récolter cette année par le renforcement des effectifs que nous avons affectés sur l'aéroport de Roissy et qui, sur cinq ans, ont progressé de 26,9 %. Cela nous a permis de développer une stratégie très offensive en systématisant les contrôles en porte d'avion sur les lignes les plus sensibles.

Par exemple, en 2005, ce sont presque 15 000 vols qui ont été contrôlés ainsi en porte d'avion, ce qui a permis de détecter 8 154 passagers qui ne présentaient pas soit des conditions d'entrée sur le territoire, soit des conditions de transit. En général, en effet, beaucoup d'entre eux étaient en position de transit et soit n'avaient pas le document autorisant ce transit, soit essayaient d'entrer dans les zones internationales au niveau de l'aéroport en faisant en sorte que, leurs papiers ayant brusquement disparu ou ayant été brusquement perdus, ils ne sachent plus d'où ils venaient.

Cette activité préventive est également le travail que nous faisons au quotidien sur l'ensemble du territoire national, en dehors de ces points de passage obligés. Nous avons réalisé ainsi 73 000 arrestations d'étrangers en situation irrégulière en France l'an passé avec une progression de 26 % par rapport à 2004. C'est vous dire combien notre activité a crû de ce point de vue.

J'en viens au volet répressif après le volet préventif. J'y ai beaucoup tenu. Mon prédécesseur avait déjà amorcé les choses, je l'ai accentué et je le ferai encore plus fortement cette année : nous avons tourné le volet répressif vers la lutte contre les structures et les réseaux d'immigration illégale. Il s'est ainsi pleinement inscrit dans la politique plus générale qui vise à éradiquer cette forme d'économie souterraine qu'est le travail illégal, puisque les deux sont souvent liés à un moment ou à un autre.

Cette activité judiciaire particulière importante, que le gouvernement a souhaité privilégier, est conduite, comme je l'ai dit tout à l'heure, par les brigades mobiles de recherche au niveau zonal et par l'OCRIEST au niveau central.

L'OCRIEST, au cours de l'année passée, a démantelé 14 filières nationales ou internationales. Quand on connaît le travail d'enquête que cela représente, c'est vous dire l'efficience de cet Office.

Je vous en donne une illustration à la mi-décembre : le démantèlement d'une filière que nous avons appelée la filière Pachtou, qui faisait venir des gens depuis l'Afghanistan et le Pakistan pour les amener en Angleterre via le Calaisis. C'est une opération qui a été initiée par l'OCRIEST et la direction centrale de la police aux frontières, qui a demandé un an d'enquête, qui nous a permis de travailler avec cinq de nos partenaires européens (l'Italie, la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne et l'Angleterre, mais aussi avec la Grèce et, en partie, la Turquie) et qui nous a amenés à réaliser simultanément, au même moment, sur l'ensemble de ces pays et sur une commission rogatoire internationale, l'arrestation de 53 personnes, toutes de haut niveau : financiers ou organisateurs de convoiement de cette filière.

Pour le territoire national, nous en avons arrêté 23, 14 ont été déférés et 12 sont aujourd'hui sous écrou. Cela vous montre aussi que les gens qui ont été arrêtés ne l'ont pas été du tout par hasard : ils avaient véritablement une part extrêmement importante dans cette affaire.

En Angleterre, qui était l'aboutissement de la filière, on a arrêté tous ceux qui sous-tendaient financièrement cette opération et, au cours de leur perquisition, nos collègues anglais ont retrouvé l'officine qui préparait tous les faux papiers anglais pour recevoir les gens qui aboutissaient sur leur territoire grâce à cette filière.

Nous ne nous sommes pas arrêtés là. Ce travail de fond a permis d'interpeller également 2 619 passeurs parmi lesquels on trouve deux nationalités prédominantes : des Français, à hauteur de plus de 40 %, puis des Turcs, les autres étant répartis entre différentes autres nationalités.

Ce travail d'interpellation des passeurs avec le nombre de personnes arrêtées a permis une progression de 38,5 % par rapport à 2004 et une progression de 88 % par rapport à 2003. Là aussi, ce sont des chiffres qui parlent d'eux-mêmes et qui montrent l'effort que nous avons entrepris dans ces différents points.

Les filières sont une chose. Le travail illégal en est une autre. Nous avons également mis un accent extrêmement fort sur cet aspect des choses. C'est ainsi qu'ont été mis en cause, au cours de 601 opérations conjointes menées sous notre autorité au cours de l'année 2005 dans 97 départements, 1 666 employeurs illégaux. 925 de ces personnes ont été placées en garde à vue, les autres ayant fait l'objet de procédures contraventionnelles, et 47 ont été déferrées.

Il convient d'ajouter à ces opérations coordonnées sur les différents départements 181 opérations à notre propre initiative et avec différents partenaires. Ces opérations ont justifié l'entrée en action non seulement des diverses forces de police ou de gendarmerie et nous-mêmes, mais également les autres administrations, qu'il s'agisse de l'inspection du travail, des impôts, des douanes, etc.

Après le travail préventif et le travail répressif, j'en viens à l'éloignement.

En 2005, l'éloignement, pour la métropole, représente 19 841 étrangers en situation irrégulière qui ont été reconduits hors du territoire national, soit une progression de 26,7 %. Il faut rappeler qu'en 2004, nous en étions à 15 660 et à 9 225 en 2001.

Pour ce qui concerne l'outre-mer, l'activité d'éloignement a été stable avec 15 532 éloignements. Je ne dirai pas que cela n'a pas progressé sur beaucoup de sites, mais nous avons eu un problème à Mayotte avec l'interruption de la ligne maritime avec Anjouan. Elle vient d'être rétablie au cours du mois de décembre, mais nous n'avons pas eu de vecteurs valables pour arriver à mener nos éloignements à bien.

Globalement, sur le territoire national, 35 373 éloignements effectifs ont ainsi été réalisés, si on cumule la métropole et les DOM-TOM.

Ces éloignements se sont passés dans de bonnes conditions, puisque nous n'avons eu aucun incident particulier, qu'il s'agisse d'éloignements par vols réguliers (une ou deux personnes escortées) ou par vols groupés.

Quant aux vols groupés, je rappelle qu'il ne s'agit pas d'une procédure collective, chaque personne reconduite faisant l'objet d'un examen administratif et judiciaire d'une parfaite légalité. Nous avons initié 15 vols particuliers en 2005.

J'en viens aux objectifs qui nous sont fixés pour 2006.

Le principal est relatif aux éloignements. Le ministre d'Etat m'a fixé un objectif de 25 000 reconduites et éloignements pour l'année à venir. Nous aurons quelques atouts pour y arriver.

Le premier atout est une augmentation substantielle des places en centres de rétention administrative, qui passeront d'un millier actuellement à 1.600 en juin ou juillet prochain, pour atteindre un objectif de 2.400 à l'été 2007. Je ne vous détaillerai pas les différents centres qui vont s'ouvrir, ce qui serait fastidieux, d'autant plus que vous les trouverez de façon détaillée dans le document que je vais vous laisser.

Le deuxième consistera à mieux rentabiliser les rotations. Nous essaierons d'avoir un meilleur taux d'efficience dans nos relations avec les consulats qui nous délivrent parcimonieusement un certain nombre de laissez-passer consulaires. Nous avons déjà fait des progrès et nous entamons une grande campagne de sensibilisation auprès d'eux depuis plusieurs mois.

Le troisième est un nouveau logiciel, un outil d'aide à la décision qui va être déployé au plan national et qui permettra de suivre de façon très fine la gestion de toutes ces places dans les centres de rétention.

Pour l'avenir, j'ai donné mon accord de principe au directeur général de la police nationale pour que, afin de rationaliser le fonctionnement de ces centres de rétention administrative, la police aux frontières en récupère la gestion et l'armement en termes d'hommes. C'est un aspect important, puisque cela fait partie du chaînage de l'éloignement et d'une partie de la politique de l'immigration.

Je vous ai parlé tout à l'heure de l'activité déjà forte que nous avons développée sur les filières de travail illégal. Nous allons continuer cette progression pour l'année à venir. Alors que nous en étions à un peu plus de 1.600 passeurs, nous nous sommes fixé un objectif de 2.300 qui, s'il est atteint, sera encore d'une progression forte.

Enfin, nous allons développer et mettre en place, selon le degré de réalisation, un certain nombre de moyens technologiques nouveaux. Il s'agit essentiellement du système Biodev qui permet à un certain nombre de consulats -il y en avait cinq jusqu'à présent- de délivrer des visas avec des données biométriques. Ils passeront cette année à une quarantaine et nous équiperons aéroports et ports principaux de systèmes de lecture, ce qui permettra une meilleure efficience.

Je vais m'arrêter là, monsieur le président, car je crains d'avoir été un peu long, tout en m'efforçant d'être exhaustif, et je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.

M. Georges Othily, président .- Merci, monsieur le directeur.

M. Louis Mermaz .- Vous nous avez beaucoup parlé des éloignements, monsieur le directeur, mais je voudrais que vous nous parliez des admissions. Que se passe-t-il si, lorsqu'on arrive sur notre territoire, on demande à bénéficier du droit d'asile ? Je voudrais que vous nous décriviez ce qui se passe depuis la porte jusqu'à l'admission.

Dans un second temps, je voudrais savoir ce que deviennent les zones de correspondance qui se situent entre la porte de l'avion et l'entrée sur le territoire français.

M. Eric Le Douaron .- La demande d'asile est prise automatiquement, sans la moindre restriction. Au plan européen, ont été développées les bornes Eurodac qui permettent à tout candidat à l'asile de se faire identifier sur ces bornes qui sont installées au niveau européen, dans l'espace Schengen, et qui nous indiquent si la personne qui demande l'asile chez nous n'a pas déjà, par hasard, demandé l'asile dans un autre pays, auquel cas elle est réadmise immédiatement vers le pays où elle a fait sa première demande d'asile et où son dossier est traité normalement.

Si tel n'est pas le cas, elle fait l'objet de la procédure normale avec une prise en compte par l'OFPRA.

M. Louis Mermaz .- Quelle est l'action exacte de l'officier de quart qui est présent ? Avant d'être présenté devant l'OFPRA, la personne passe devant l'officier de quart. Comment cela se passe-t-il avant que la personne soit présentée à l'OFPRA ?

M. Eric Le Douaron .- La procédure initiale se met en place et la personne a un récépissé de déclaration de sa demande.

M. Louis Mermaz .- Que se passe-t-il si elle ne parle pas français ?

M. Eric Le Douaron .- A Roissy, nous avons tous les interprètes qui conviennent sur les langues que peuvent parler les différents candidats à l'immigration ou à l'asile. Cela ne pose pas de problème.

M. Louis Mermaz .- En quels termes sont reçues les demandes de droit d'asile ? Comment s'exprime celui qui demande l'asile et qu'attend-on de lui ?

M. Eric Le Douaron .- Ce n'est pas à ce moment-là que le cas sera instruit et que l'on va donc lui demander de nombreux justificatifs. Il ne s'agit que d'une chose très formelle et ce n'est pas du tout une enquête de départ ni quoi que ce soit.

Quant aux zones d'attente, elles sont aujourd'hui peu fournies, notamment à Roissy, qui est le pôle essentiel d'arrivées. La moyenne quotidienne est aujourd'hui située à environ 50 à 60 personnes à un instant t en zone d'attente.

M. Louis Mermaz .- Combien de temps cela dure-t-il ?

M. Eric Le Douaron .- Cela dure très peu de temps et cela dépend des nationalités. Pour les Chinois, qui sont vraiment la nationalité la plus importante dans le domaine de la non admission ou de la réadmission, il faut compter en général une journée ou une journée et demie. Parfois, il s'agit même d'un simple départ immédiat sur le vol de retour ou sur le vol de transit. La moyenne, actuellement, n'est même pas de deux jours parce que ce contrôle en porte d'avion a l'avantage de nous permettre d'identifier tout de suite la provenance et la nationalité de la personne. Par conséquent, il n'y a pas besoin, ensuite, de perdre du temps, pendant x jours, ce qui était le cas précédemment il y a encore quelques années, pour arriver à retrouver sa nationalité, sa provenance, etc.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'aurai une simple question sur les départements et collectivités d'outre-mer, en pensant en particulier à la Guyane et aux Antilles. Pensez-vous que vos services ont des moyens suffisants, sur le plan matériel et sur celui des effectifs, pour remplir leur mission ?

M. Eric Le Douaron .- Je crois que c'est le cas. Les effectifs ont été calibrés à un niveau relativement intéressant et je peux vous donner quelques chiffres.

En ce qui concerne Mayotte, nous avons une centaine de policiers. En ce qui concerne la Guyane, nous en sommes à 238 exactement, et nous venons de rouvrir un nouveau poste, ce qui est important parce que nous avions eu des difficultés jusque là. En ce qui concerne la Guadeloupe, nous en sommes à 234. Enfin, en ce qui concerne la Martinique, nous en avons 142.

J'estime que ce sont des moyens suffisants. J'ajoute que, sur ces départements comme au niveau des zones de police aux frontières qui correspondent aux zones de défense sur le territoire métropolitain, où nous créons des cellules de coordination opérationnelle zonales, étant donné la position particulière de ces lieux, nous faisons en sorte que la PAF développe ces même cellules. C'est ce que je viens de décider il y a environ un mois pour la Martinique et la Guadeloupe. Cela nous permet de mettre en bonne conjonction de moyens et de complémentarité la gendarmerie, les douanes et nous-mêmes. Les moyens de réussite se situent plus dans ce cadre que dans une augmentation d'effectifs propre.

Le second moyen est d'arriver, comme nous l'avons fait à Mayotte, à mettre des moyens de détection radar suffisamment corrects pour pouvoir guider des interceptions ou accueillir ces passeurs avec leurs passagers au moment de l'approche de la côte.

M. Alain Gournac .- Nous avons déjà une certaine connaissance de ce que vous nous avez expliqué, monsieur le directeur, car nous sommes allés voir fonctionner les agents de vos services. Pour vous dire la vérité, nous avons d'ailleurs été très bien reçus et les hommes et les femmes que nous avons rencontrés étaient extrêmement ouverts à nous montrer les choses et à répondre à nos questions.

J'ai cependant une dernière question à vous poser : quand les immigrants irréguliers ont de l'argent sur eux, qui paie les retours ?

M. Eric Le Douaron .- Les retours sont entièrement pris en charge par la collectivité.

M. Alain Gournac .- Même s'ils ont de l'argent sur eux ?

M. Eric Le Douaron .- Tout à fait.

M. Georges Othily, président .- Monsieur le directeur, nous vous remercions de l'exposé très sérieux et exhaustif que vous nous avez fait et des réponses que vous nous avez apportées.

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