Audition de M. Olivier GOHIN,
professeur de droit public à l'Université de Paris-II
(24 janvier 2006)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Monsieur le professeur, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation pour être auditionné sur un sujet passionnant, délicat et difficile.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Olivier Gohin prête serment .

M. Georges Othily, président .- Nous vous écoutons pour votre exposé liminaire.

M. Olivier Gohin .- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, votre commission enquête sur l'immigration clandestine en France, en particulier outre-mer, où la situation est d'une gravité exceptionnelle en raison du contexte économique et social toujours fragile et souvent dégradé dans lequel se trouvent placées les collectivités territoriales concernées qui ont un territoire exigu, la Guyane et la Nouvelle Calédonie exceptées.

C'est ainsi que l'immigration clandestine représenterait environ les trois quarts des étrangers en Guyane et à Mayotte et que le quart de la population de ces deux collectivités d'outre-mer serait étrangère (on a même lu un tiers).

Il est établi qu'à Mamoudzou, les deux tiers des naissances sont le fait de femmes comoriennes et qu'à Saint-Laurent, la moitié des femmes surinamiennes sont en situation irrégulière, une notion plus large que l'immigration clandestine.

Le nombre des mesures de reconduite à la frontière serait, pour l'ensemble de la France, de 20 000 à fin 2005, dont 7 200 pour Mayotte, 5 500 pour la Guyane et 1 200 pour la Guadeloupe, soit, pour ces trois collectivités d'outre-mer, environ 70 % du total français. On aurait d'ailleurs tort de penser que seules ces trois collectivités sont touchées. Il faudrait aussi évoquer la question de Saint-Martin, en raison de l'absence de tout contrôle entre les deux parties de l'île alors que l'aéroport international se trouve dans la partie néerlandaise, et ajouter que les situations de la Martinique et de la Réunion sont fragilisés par les relations que ces deux collectivités d'outre-mer ont, respectivement, avec la Guadeloupe et Mayotte.

Autrement dit, en chiffres relatifs, l'immigration clandestine en France est d'abord, massivement, un problème ultramarin, alors que le débat public se focalise à ce sujet sur la métropole, si ce n'étaient les récents événements de Mayotte accompagnant la suggestion du ministre de l'outre-mer, François Baroin, à la mi-septembre 2005, de revoir localement le droit de la nationalité française compris comme le droit du sol. L'idée de base serait, semble-t-il, de freiner l'accès à la nationalité française de ressortissants d'Etats, à proximité de certaines collectivités d'outre-mer français, qui visent à permettre à leurs enfants d'accéder au plus tôt à la nationalité française avec tous les avantages sociaux qui sont supposés s'y attacher.

Cette modification ou cette adaptation du droit de la nationalité française s'appuierait, si on l'a bien compris, sur les marges offertes par l'article 74 de la Constitution telles qu'elles résultaient de la décision du Conseil constitutionnel en date du 20 juillet 1993, loi réformant le code de la nationalité en tant qu'elle est relative non pas à Mayotte mais aux îles Wallis-et-Futuna.

Cette décision de 1993 admettait en effet de façon implicite mais certaine que le droit de la nationalité pourrait avoir suivi, dans ce territoire d'outre-mer de l'époque, « un régime spécifique attaché à l'organisation particulière de ce territoire ». Pour autant, il faut aussitôt observer que cette solution de 1993 valait dans le cadre de l'ancien article 74, d'ailleurs inapplicable à Mayotte.

Cette solution vaut-elle dans le nouveau cadre défini pour l'article 74, pour toutes les collectivités territoriales d'outre-mer qui ne sont ni départementalisées, ni régionalisés, la Nouvelle Calédonie devant être exclue à titre transitoire ? Une réponse positive se fonde sur l'alinéa 12 de l'article 74 nouveau qui est ainsi rédigé : « Les autres modalités de l'organisation particulière des collectivités relevant du présent article sont définies et modifiées par la loi après consultation de l'assemblée délibérante ». C'est, du reste, le statut de chaque collectivité d'outre-mer de l'article 74 qui fixe les modalités de l'organisation particulière de cette collectivité.

Autrement dit, on trouve dans l'ancien comme dans le nouvel article 74 l'expression « organisation particulière » utilisée par le Conseil constitutionnel en 1993.

Cependant, cette situation particulière n'est plus la même d'un article 74 à l'autre. Elle renvoie au statut propre de chaque collectivité d'outre-mer qui se définit sur mesure. Ce régime juridique sur mesure peut être un régime plus ou moins de spécialité, mais aussi un régime plus ou moins d'assimilation. Au demeurant, c'est ce statut fixé par loi organique qui peut évoluer au sein de l'article 74.

Dès lors, si la solution de la décision de 1993 pouvait être transposée, ce serait à la rigueur pour les collectivités d'outre-mer de l'article 74 qui sont en régime de spécialité si celui-ci est particulièrement caractérisé, c'est-à-dire si nous sommes dans un statut de pays d'outre-mer doté d'un statut d'autonomie. C'est le cas de la Polynésie française dans le cadre de l'article 74, mais cela pourrait être après tout le cadre de la Nouvelle Calédonie ultérieurement.

Dans ces deux hypothèses, la possibilité d'un droit de la nationalité dérogatoire viendrait rompre à notre sens l'unité de la République, de même que l'égalité des citoyens devant la loi, deux dispositifs constitutionnels : l'unité de la République à travers l'indivisibilité (cf. Conseil constitutionnel du 15 juin 1999) et l'égalité à travers la Déclaration de 1789 elle-même.

Or ces principes d'unité et d'égalité postulent que les conditions d'accès à la nationalité française soient les mêmes sur l'ensemble du territoire français. A fortiori, il en est de même de Mayotte et de la Guyane.

Il en est de même à Mayotte, dont le statut législatif actuel est celui de la collectivité dite départementale, qui est encore un statut sui generis de l'article 72 alinéa 1 er de la Constitution, statut qui suit le principe de spécialité, mais la nationalité est au nombre des exceptions d'assimilation fixées par la loi du 11 juillet 2001 (statut actuel, article 3-1-1 er ).

Il en serait de même du reste si, à l'occasion de la prochaine loi statutaire, qui devrait être une loi organique, Mayotte, collectivité d'outre-mer de l'article 74, basculait en régime d'assimilation, ce qui est prévu. Il en serait toujours de même, a fortiori, si Mayotte accédait un jour au régime de l'article 73.

Quant à la Guyane, département d'outre-mer depuis 1946, la nationalité y est une compétence d'Etat qui est insusceptible d'être adaptée par son conseil régional ou son conseil général (article 73 alinéa 4) et une telle adaptation par l'Etat s'y heurterait au contrôle strict que le juge constitutionnel exerce sur les caractéristiques et contraintes particulières de l'alinéa 1 er de l'article 72 (voir en ce sens, la décision du 12 août 2004 Libertés et responsabilités locales au sujet du refus du différé de transfert des TOS dans les départements et régions d'outre-mer).

On ajoute à cette argumentation juridique le fait que la France est un Etat nation et qu'elle est donc, historiquement et politiquement, un Etat dans lequel l'accès à la nationalité française n'a pas été et ne peut pas être différencié entre la métropole et l'outre-mer ou entre les différents outre-mers.

Cela ne veut pas dire que le droit de la nationalité soit intangible. Cela veut dire que les conditions d'acquisition de la nationalité française peuvent être revues, mais que si elles sont revues, elles doivent l'être de façon uniforme sur l'ensemble du territoire de la République. En particulier, en tant qu'elles relèvent de l'exercice de la souveraineté nationale, dans le respect de la Constitution et des traités, ces conditions d'accès pourraient être revues dans le sens d'un durcissement qui pourrait, avec bien d'autres mesures, contribuer efficacement non pas à supprimer, mais, du moins, à réduire l'immigration clandestine.

Par exemple, dès lors que l'enfant est né en France de deux parents étrangers, l'acquisition de la nationalité peut être avancée à ses 13 ans, du moins si, à cet âge, il réside habituellement en France depuis cinq ans, sur la base d'une demande formée par ses parents et avec son accord.

On pourrait envisager d'établir la régularité du séjour des parents en France à la date de la demande comme condition supplémentaire pour l'acquisition de la nationalité automatique, sachant qu'à sa majorité, l'enfant ferait ce qu'il voudrait, évidemment.

S'agissant du droit des étrangers, on est d'avis en revanche que ce droit n'a pas à être le même sur tout le territoire de la République, c'est-à-dire qu'il peut ne pas suivre le droit commun et qu'il peut varier selon la collectivité territoriale d'outre-mer considérée en fonction directe du régime juridique auquel elle est soumise, selon qu'il s'agit d'un régime de plus ou moins grande assimilation ou de plus ou moins grande spécialité.

Tel est le cas au titre de l'adaptation dans les collectivités d'outre-mer qui sont régies par l'article 73 de la Constitution. Je prends l'exemple de la Guyane. Dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a validé l'absence d'effet suspensif des arrêtés de reconduite des étrangers à la frontière de la Guyane. De même, le Conseil constitutionnel a admis, dans sa décision du 22 avril 1997, le principe du contrôle des véhicules dans les zones frontalières, en Guyane, sous de nombreuses contraintes d'ailleurs.

Tel est le cas aussi, dans les collectivités d'outre-mer, de l'article 74, ou en Nouvelle Calédonie (qui suit un régime dérogatoire de façon transitoire), où les conditions d'entrée et de séjour des étrangers sont déterminées par une ordonnance qui est propre à chaque collectivité concernée : par exemple, l'ordonnance 2000-373 du 26 avril 2000 pour Mayotte telle qu'elle est modifiée par l'ordonnance du 24 juin 2005, la loi du 26 novembre 2003 n'étant pas applicable directement dans ces collectivités d'outre-mer spécialisées.

Quelle est, en général, l'amplitude de la variation du droit commun dans l'outre-mer français ? Il faut préciser tout d'abord que le droit des étrangers ne doit pas être contraire aux libertés fondamentales, constitutionnellement garanties, notamment dans les termes des articles 73 et 74, puisque l'un et l'autre de ces deux articles réserve l'hypothèse des libertés publiques et des droits constitutionnellement garantis (article 73 alinéa 6, article 74 alinéa 11).

Cette mention que l'on trouve à l'article 74 alinéa 11 est une prescription qui est d'ailleurs d'application générale dans le droit de la décentralisation territoriale, « garantie accordée sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques », comme le précise le texte, et le législateur, qui est ici organique, est invité à ne pas méconnaître la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui demande que les conditions d'exercice d'une liberté soient les mêmes sur l'ensemble du territoire national. En ce sens, la décision du 18 janvier 1985 est extrêmement claire.

On précise que le droit des étrangers touche à la sécurité et à l'ordre public, de sorte que l'on est ici dans une matière de souveraineté insusceptible d'être transférée à la collectivité territoriale d'outre-mer (voir en ce sens les articles 73 et 74 alinéa 4).

Autrement dit, le droit des étrangers peut varier entre métropole et outre-mer et d'un outre-mer à l'autre en fonction du degré d'assimilation ou de spécialité de cet outre-mer pour autant qu'il relève de la législation de l'Etat exclusivement et que le régime uniforme d'exercice des libertés publiques est préservé dans les conditions de la jurisprudence constitutionnelle : égalité objective, intérêt général, proportionnalité, etc.

Dans ces conditions et sous ces réserves, les marges de variation se différencient tant en ce qui concerne, par exemple, le régime de l'article 74 pour les collectivités d'outre-mer assimilées. C'est le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon ; cela devrait être le cas de Mayotte ; ce sera bientôt le cas de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. C'est vrai aussi en article 73. C'est le cas de la Guyane et cela pourrait être le cas de Mayotte.

Il reste la question du statut personnel résultant de l'article 75 de la Constitution qui prévoit ceci : « Les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l'article 34, conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé ». Il s'agit donc d'un statut que l'on ne peut pas acquérir, sous réserve de la filiation, la renonciation étant définitive, sauf la révision constitutionnelle relative à la Nouvelle Calédonie qui permet le retour au statut civil coutumier .

Prenons encore le cas de Mayotte. Comme il s'agit d'un statut civil qui s'attache à la personne, les évolutions institutionnelles de cette collectivité territoriale sont sans incidence sur l'existence de ce statut, qui est constitutionnellement garanti. Cela ne veut pas dire que le contenu de ce statut personnel soit indifférent.

D'une part, le statut personnel doit rester conforme à l'ordre public, lequel inclut la garantie constitutionnelle des libertés individuelles. D'autre part, la transformation envisagée de Mayotte en collectivité d'outre-mer assimilée ou en département d'outre-mer implique que ce statut personnel puisse s'inscrire dans le contexte du droit de l'assimilation adaptée selon les marges qui sont autorisées.

Tel est l'effort entrepris par le législateur sous l'impulsion du député Mansour Kamardine lorsque, en 2003, il écarte, pour l'avenir et en toute hypothèse, la polygamie, la répudiation et l'inégalité successorale afin de satisfaire à des prescriptions qui relèvent de l'ordre public français tel qu'il est constitutionnellement et conventionnellement affirmé.

Dans sa décision du 17 juillet 2003, Loi de programmation pour l'outre-mer , le Conseil constitutionnel (dont on se demande d'ailleurs pourquoi il a été saisi sur ce point) a considéré que, « dès lors qu'il ne remettait pas en cause l'existence même du statut civil du droit local », le législateur « pouvait adopter des dispositions de nature à en faire évoluer les règles dans le but de les rendre compatibles avec les principes et droits constitutionnellement protégés ».

Cela veut dire que, dans le même sens, le mariage à Mayotte peut très bien devenir pour tous un mariage civil, c'est-à-dire devant l'officier d'état-civil, préalable au mariage religieux ou coutumier, par exemple devant le cadi, et qu'il ne serait pas contraire à la Constitution, particulièrement au statut personnel de l'article 75, que cette réforme soit entreprise dans le contexte de l'assimilation auquel Mayotte veut et va accéder.

De même, on conçoit sans peine que tout ce qui, à Mayotte, va dans le sens de l'établissement et de la consolidation d'un Etat civil de droit commun au standard métropolitain va aussi dans le sens de la réduction des facultés ou des facilités de contournement de la loi qui sont actuellement ouvertes aux immigrés clandestins dans cette collectivité territoriale.

On est enfin d'accord pour penser que l'aide au développement est un facteur efficace de la lutte contre l'immigration clandestine. Pourquoi cette immigration clandestine à Mayotte ? C'est aussi pour répondre à des besoins de santé et d'éducation que les Comores, Anjouan en particulier, ne sont pas en mesure de satisfaire. Dès lors, construire sur les fonds de la coopération régionale une maternité performante et une ou plusieurs écoles, voire un collège à Anjouan serait une réponse adaptée moins chère, à la vérité, que les 100 millions d'euros qui sont actuellement dépensés à Mayotte pour la reconduction des clandestins vers les Comores.

De même, former du personnel de santé ou d'éducation pour les Comores à l'Université de la Réunion serait aussi une réponse adaptée. Cela suppose une antenne de l'IUFM à Mamoudzou et une faculté de médecine à l'Université de la Réunion, une question que j'avais posée à mon président lorsque j'avais l'honneur d'y servir en 1988. Je constate que, vingt ans plus tard, ce n'est toujours pas le cas.

J'ai pris ici l'exemple de Mayotte et des Comores, mais je pourrais évidemment prendre celui de la Guyane et du Surinam ou de la Guadeloupe et d'Haïti. Les problèmes s'y posant dans les mêmes termes, les réponses devraient être similaires.

Je résume : pas de droit de la nationalité française différencié sur le territoire de la République ; un droit des étrangers qui, en revanche, peut être différencié par l'Etat entre la métropole et l'outre-mer ou entre les outre-mers pour tenir compte des situations locales ; des mesures qui assurent, en aval, la généralisation du droit commun de l'état-civil pour faire obstacle à la fraude en tant qu'elle alimente l'immigration clandestine, notamment à Mayotte ; des mesures d'accompagnement, en amont, qui favorisent l'aide ciblée au développement au titre de la coopération régionale.

Monsieur le Président, mesdames et messieurs, je vous remercie de votre attention.

M. Georges Othily, président .- Je vous remercie, monsieur le professeur. La parole est maintenant à M. le Rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Monsieur le président, M. Gohin a pratiquement tout dit dans son intervention, et en particulier dans sa conclusion. J'ajouterai simplement un point sur la modification du droit des étrangers qui, si j'ai bien compris, pourrait être adapté en fonction des territoires : à la limite, le droit français ne remettrait pas en cause le fait que le droit applicable aux étrangers situés à Mayotte ne soit pas tout à fait le même que celui qui s'appliquerait aux Surinamiens en Guyane ou aux Haïtiens qui arrivent à Saint-Martin. Cela ne poserait-il vraiment aucune difficulté selon vous ?

M. Olivier Gohin .- Le droit français tel qu'il s'applique à des étrangers qui sont eux-mêmes différents peut varier en raison de la situation locale auquel il s'applique. Par exemple, si nous prenons le cas de la Guyane, nous sommes dans l'hypothèse où le droit des étrangers peut être adapté aux caractéristiques et contraintes particulières par l'Etat aux termes de l'article 73 alinéa 1 er de la Constitution, sous le contrôle extrêmement restrictif du Conseil constitutionnel, comme je l'ai dit, avec des marges qui me paraissent ici plus faibles que celles qui sont possibles pour une collectivité de l'article 74, même lorsque celle-ci est en assimilation, parce qu'une collectivité de l'outre-mer assimilée n'est pas exactement la même chose qu'un département d'outre-mer.

Le constituant a eu le souci de hiérarchiser, en quelque sorte, les différentes collectivités territoriales, étant précisé que celles-ci peuvent, si elles le souhaitent, passer de l'article 73 vers l'article 74, ou inversement, comme elles peuvent bouger à l'intérieur de l'article 74 ou à l'intérieur de l'article 73.

M. Alain Gournac .- Tout ce que vous nous avez dit est tout à fait intéressant, monsieur le Professeur, puisqu'il s'agit de deux droits : le droit des Français, qui est le même droit partout, et le droit des étrangers, sur lequel il y a une marge de manoeuvre et des possibilités.

Je suis allé en Guyane, où j'ai visité l'hôpital de Saint-Laurent, et j'ai vu les terribles difficultés posées par le nombre de naissances de surinamiennes ou brésiliennes. C'est pourquoi j'avais proposé à un moment qu'une partie internationale soit rattachée au centre hospitalier lui-même, sachant que des locaux sont disponibles, et que ces naissances puissent avoir lieu dans une partie internationale. Ce serait la France qui le ferait et ce serait très bien. Le problème, c'est ce qui se passerait après ces naissances, parce que, comme vous le savez, certaines personnes repartent et d'autres essaient d'avoir des droits à la mairie, comme me l'a dit le maire de Saint-Laurent du Maroni que j'ai rencontré.

Pensez-vous qu'il serait possible d'avoir une partie internationale dans cette maternité ou est-ce une pure utopie qui serait interdite ? Du fait du droit du sol et des naissances qui ont lieu sur place, c'est une chose qui m'intéresserait.

M. Olivier Gohin .- Je doute que la France puisse provoquer elle-même une extraterritorialité. Cela me paraît extrêmement délicat d'un point de vue juridique. Cela dit, je suppose que vous pensez aux zones internationales dans les aéroports. Je ne pourrai pas vous donner une réponse aussi rapide parce que l'interconnexion entre le droit interne et le droit international public est un problème assez compliqué, mais je peux faire étudier la question si vous le souhaitez, monsieur le sénateur.

M. Alain Gournac .- Cela me semblerait utile. Lorsqu'on va là-bas et que l'on constate tout ce qui s'y passe, on est un peu bousculé, et cela pourrait aussi constituer une réponse pour d'autres territoires que vous avez cités et dans lesquels on est attiré par le fait que l'on va pouvoir bien se faire soigner et, surtout, moins cher. Je pense en particulier à Mayotte, où nous sommes allés également et qui attire beaucoup de monde pour des raisons de santé. C'est donc une question générale que je vous pose ici.

M. Olivier Gohin .- Je comprends bien, mais je pense que, pour que nous ayons un système d'extraterritorialité, il faut que nous puissions nous rattacher à une convention ou à un instrument international de rattachement. Or je ne vois pas bien où il serait dans ce cadre. On peut le trouver en matière d'aviation civile, mais je ne vois pas comment on peut trouver quelque chose, en l'occurrence.

J'ajoute qu'il peut paraître un peu gênant que l'Etat français lui-même abandonne une partie de son propre territoire dans une fonction de souveraineté, puisque, après tout, nous sommes dans des problèmes de santé publique et que nous touchons là à une matière qui est très liée à l'Etat et à l'hôpital public.

M. Georges Othily, président .- Sur ce point, laissez-moi vous dire que la France a reconstruit l'hôpital à Albina pour permettre aux Surinamiens d'y accoucher, mais que ce n'est pas ce qui intéresse les Surinamiens. Ce qui intéresse les Surinamiens, c'est, accessoirement, d'accoucher en Guyane, dans l'hôpital de Saint-Laurent, mais, surtout, de bénéficier de prestations sociales par la suite. Voilà la difficulté que nous avons.

M. Olivier Gohin .- Pour le coup, le droit a une réponse, qui est de procéder à une différenciation. Il y a un minimum que l'on ne doit pas différencier : tout ce qui touche à la dignité de l'homme et de la personne humaine qui doit donner lieu à une prestation, notamment l'aide médicale ou l'hébergement d'urgence. On peut imaginer également qu'il y ait une prestation d'éducation au moins pour une année scolaire, encore que cela puisse se discuter. Je veux dire que l'on pourrait définir le minimum, en quelque sorte, mais on n'est pas non plus obligé de tout donner, dans toute condition, à toute personne qui se trouve sur le territoire français.

M. Georges Othily, président .- Nous avons constaté, avec les commissaires, la fuite des capitaux qui partent dans des directions bien précises. Or ce sont bien les prestations sociales ou les rémunérations issues d'un travail illégal ou parallèle qui sont envoyées dans des pays bien précis. Là aussi, il faut trouver quelque chose.

Mme Gisèle Gautier .- Monsieur le professeur, j'ai noté que l'article 74 de la Constitution ouvrait un statut propre aux collectivités qui est fixé par la loi organique, et vous avez donné l'exemple de la Polynésie française qui a un statut spécial.

Au passage, une phrase a attiré mon attention. Vous avez dit en substance, en ce qui concerne la nationalité, que les conditions peuvent être revues sur l'ensemble du territoire national. Cela sous-tend quelque part que vous avez peut-être quelques suggestions. Sous quels aspects et dans quels domaines pourrait-on imaginer une révision ?

M. Olivier Gohin .- J'ai donné une suggestion. Je pense que cela pourrait aller dans le sens d'un durcissement, dans des hypothèses d'acquisition anticipée de la nationalité française, par exemple. La question qui pourrait éventuellement se poser est la suivante : les personnes qui sont des immigrés clandestins peuvent-elles faire acquérir la nationalité française à leurs propres enfants ? Je demande simplement que, s'il y avait des solutions, elles soient les mêmes partout.

Tout d'abord, le droit de la nationalité n'est pas exclusivement un droit du sol, évidemment, puisque, si un enfant naît de parents français à l'étranger, il reste français, et ce n'est pas le droit du sang. Ensuite, quand il y a lieu de faire intervenir le droit du sol ou le droit du double sol, qui existe aussi, il faut que ce soit la même chose pour tous.

J'avais été choqué par les propos du ministre de l'outre-mer lorsqu'il a envisagé la possibilité qu'un droit du sol fût différent à Mayotte. Je trouve d'ailleurs que c'est illogique puisque nous sommes précisément dans une thématique de Mayotte française et de Mayotte dans une perspective d'assimilation. Donc je ne vois pas bien comment cela peut se concevoir. J'ajoute que, de toute façon, on se transporte sur l'ensemble du territoire français et qu'on ne peut pas avoir des Français de deux classes ou de deuxième zone. A mon avis, ce n'est pas concevable.

Maintenant si l'harmonisation peut se faire dans un sens plutôt favorable ou dans un sens plutôt défavorable, pourquoi pas ? La loi de 1998 était plutôt favorable et il semble que celle qui s'annonce le sera moins, d'après ce que j'ai compris du projet envisagé dans le cadre du comité interministériel.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Nous avons rencontré un grand nombre d'élus sur l'île de Saint-Martin. Tous réclame pour leur territoire plus d'autonomie, notamment en matière de gestion des flux des étrangers. Pensez-vous que cette autonomie soit compatible à terme avec l'article 74 ?

M. Olivier Gohin .- Autant que je sache, l'autonomie que souhaite Saint-Martin est encore dans le statut de base de l'article 74, c'est-à-dire qu'il n'est pas question d'avoir un statut d'autonomie réel : on doit s'arrêter aux premiers alinéas de l'article 74. D'après ce que j'ai cru comprendre aussi, Saint-Martin ne souhaite pas sortir du territoire communautaire, contrairement à Saint-Barthélemy, car la situation de Saint-Martin, aujourd'hui, en succession de la Guadeloupe, est d'être en article 73.

Si Saint-Martin est en situation d'être dans le droit commun adapté avec une adaptation relativement faible et, au surplus, une présence du droit communautaire, il me semble que les marges sont faibles.

J'ajouterai quand même que, puisque nous sommes dans une île qui est partagée, il serait peut-être bon que les habitants de Saint-Martin se rapprochent de leurs homologues hollandais et qu'ils construisent un statut juridique qui ne soit pas trop éloigné, au fond, de celui de la partie néerlandaise de Saint-Martin qui est également dans un statut dérogatoire. Il serait bon que les dérogations soient un peu alignées, autant que ce soit possible. Cela dit, il serait bon aussi que l'Etat français et l'Etat néerlandais voient ce qui relève de leurs propres compétences et les traitent de la même façon, notamment en termes de gestion des étrangers. Cela me paraît tout à fait raisonnable.

M. Alain Gournac .- Le statut de Saint-Barthélemy n'est déjà pas le même que le nôtre puisque cette île garde des éléments qui datent du passage des Suédois en ce qui concerne notamment les impôts. Il y a donc bien des différences possibles dans la gestion des territoires.

M. Olivier Gohin .- C'est exact, monsieur le sénateur, mais ils ont des difficultés avec le Conseil d'Etat. Il est clair que le fait d'être une commune de la Guadeloupe en article 74 ne sera pas tout à fait la même chose que d'être une collectivité territoriale à part entière avec son propre statut de l'article 74. De ce point de vue, Saint-Barthélemy, qui a très fortement soutenu la réforme qui lui a été proposé, va mettre son droit en accord avec les faits et va se permettre d'avoir des marges en matière de fiscalité alors qu'elle sortirait du territoire communautaire.

M. Georges Othily, président .- Monsieur Gohin, dans le cadre de l'évolution institutionnelle d'un département d'outre-mer, toujours dans le cadre de l'article 73, ou à Mayotte, qui est une collectivité à statut particulier, une loi organique qui serait votée pourrait-elle faire en sorte que l'immigration soit une compétence partagée entre la collectivité et l'Etat ?

M. Olivier Gohin .- Monsieur le président, si Mayotte est en article 73, nous sommes en loi ordinaire, bien entendu, et si elle est en article 74, nous sommes en loi organique. De toute façon, comme je l'ai indiqué, l'immigration relève à mon sens de l'ordre et de la sécurité publique et, en conséquence, nous sommes dans une matière qui n'est pas susceptible de transferts vers l'Etat, ni dans le régime de l'article 73, ni dans celui de l'article 74, car une liste de compétences de souveraineté a été établie par le pouvoir constituant et peut être complétée par une loi organique. Il me semble que l'immigration, sous réserve de ce que dirait le Conseil constitutionnel, fait partie de ces compétences de souveraineté. Je répondrai donc que la compétence ne peut pas être partagée, ni dans un cas, ni dans un autre.

La Guyane ne pourrait pas partager la compétence en matière d'immigration parce qu'elle ne peut pas accéder à cette compétence à raison de l'article 73 alinéa 4, pas plus que Mayotte en article 74.

M. Bernard Frimat .- Monsieur le professeur, quand vous insistez sur l'aide au développement en tant que facteur efficace de la lutte contre l'immigration clandestine en évoquant les maternités et les écoles, je pense que vous touchez en même temps le problème du fonctionnement et, à cet égard, l'exemple d'Albina, en face de l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, est bien choisi. Il en est de même de l'hôpital Louis Constant à Saint-Martin puisqu'il travaille à raison de 55 % et 45 % entre population nationale et population étrangère.

Or ce qui attire la population étrangère -et on ne peut pas uniquement le déplorer-, c'est l'aspect humanitaire et l'aspect de l'accès plus facile à la santé dans un contexte ô combien difficile. Sur les écoles, nous avons la même chose : il s'agit de l'obligation de scolarité qui existe sur le territoire national, indépendamment du fait de savoir si l'enfant est issu de travailleurs en situation irrégulière ou en situation régulière ; c'est simplement le fait d'être là qui compte.

Je suis donc de plus en plus interrogatif sur l'aspect des contraintes et de plus en plus dubitatif sur l'aspect qui consiste à durcir systématiquement la législation.

Vous dites que, depuis 1993, l'absence d'effet suspensif d'un arrêté de reconduite à la frontière existe en Guyane. Nous avons vu que son efficacité pour reconduire les gens était avérée, mais que son efficacité pour régler le problème de l'immigration clandestine était quasiment nul puisque, plus de douze ans après, nous avons des estimations chiffrées tout à fait exorbitantes. Autrement dit, ne sommes-nous pas là dans une apparence de solution qui favorise l'accès à la reconduite à la frontière, mais qui, en réalité, n'aborde rien au fond, la majorité des éléments de contraintes étant beaucoup plus des éléments de communication que des éléments de solution du problème ?

Deux éléments nous ont frappés et je voudrais avoir votre avis à ce sujet qui ne relève pas du tout du droit du sol : d'une part, l'étroite imbrication entre l'immigration clandestine et le travail clandestin (je rappelle qu'on ne reconduit pas les travailleurs clandestins à la frontière, surtout quand ce sont des nationaux), qui constitue un aspect explicatif important ; d'autre part, d'après les statistiques qui nous ont été données, l'aspect que constituent la taille des familles et les éléments de reconnaissance frauduleuse en termes de paternité. Si vous avez des reconnaissances frauduleuses en termes de paternité par des nationaux, le droit du sang s'applique inexorablement, même si, au vu et au su de tout le monde, l'enfant reconnu n'est pas celui du père qui l'a reconnu.

Nous avons là une série d'éléments qui relèvent des reconnaissances frauduleuses et du travail clandestin qui me semblent être des vecteurs de l'immigration clandestine et qui sont très loin du problème du droit du sol. La santé et l'éducation sont des vecteurs au moins aussi importants, me semble-t-il, que l'aspect des prestations monétaires, sachant que l'on peut aller jusqu'à des gens qui sont en situation régulière en Guyane et qui, tout en ayant une carte de séjour régulière, habitent au Surinam, dont les enfants sont en Guyane et qui font fonctionner l'aspect des prestations monétaires.

M. Olivier Gohin .- Je suis bien d'accord pour dire que le droit ne peut pas donner toutes les réponses. Je pense que, très largement, ce problème d'immigration est également culturel et sociologique, qu'il a une dimension humanitaire très forte et que nous ne pouvons pas arriver à maîtriser cela.

Je crois simplement comprendre que les populations locales se sentent très fortement déstabilisées et qu'elles accepteraient sans doute des choses mais qu'il y a un moment où cela fait beaucoup et qu'elles supportent mal les perturbations. On cherche à trouver des réponses, mais il est vrai qu'elles sont très difficiles. C'est pourquoi il ne faut pas être trop brutal dans ce genre de matière parce que tout cela est une question d'équilibre et qu'il faut faire preuve de modestie.

A ce point de vue, j'ai trouvé la déclaration du ministre extrêmement brutale. Elle a peut-être été politiquement voulue pour provoquer un choc et pour que la question soit sur la table, comme le font parfois les hommes politiques, mais il faut être très prudent. Localement, les gens estiment sans doute que les enfants sont pris en otage assez fréquemment dans ces affaires et que les parents peuvent se servir d'eux parce qu'ils savent que ces enfants seront particulièrement protégés s'ils naissent sur le territoire français, s'ils continuent d'y vivre et s'ils y sont scolarisés, mais vous voyez bien la difficulté que cela implique : toute solution qui consisterait à expulser toucherait non seulement les parents, mais aussi les enfants, et on sait que jamais aucune civilisation ne traite de la même façon les majeurs responsables ou coupables et les enfants, ce qui est tout à fait raisonnable.

C'est ce qui fait la difficulté des choses et c'est pourquoi nous sommes un peu mal à l'aise quand nous abordons ces questions : derrière tout cela, il y a effectivement une très grande misère et une très grande pauvreté, mais je pense qu'il y a aussi une misère et une pauvreté des gens qui sont sur place et qui pensent que, de ce fait, ils ont aussi des droits particuliers. Il est vrai qu'ils ont des droits qui doivent être reconnus : le droit au travail et le droit à la santé. Si des Françaises en Guadeloupe ne sont pas en situation d'accoucher parce que les lits sont occupés par des Haïtiennes, cela peut poser des questions et des difficultés, bien sûr.

M. Alain Gournac .- Vous êtes ici sur un sujet très précis que nous avons nous-mêmes constaté : l'école n'a lieu que le matin dans une partie de nos territoires. Je suppose que vous connaissez l'histoire de Mayotte : les enfants des nationaux ne peuvent avoir l'école que le matin ou l'après-midi du fait du trop grand nombre d'enfants.

On pourrait se dire que la France ne fait rien, mais ce n'est pas le cas. J'ai constaté en effet que le nombre d'écoles et de collèges que la France construisait là-bas est absolument énorme. C'est en quelque sorte une pompe aspirante. Il commence d'ailleurs à y avoir des problèmes au moment de la rentrée des classes, les nationaux disant : « Vous êtes en train de favoriser les autres et non pas nous ». Ce que vous avez dit est donc tout à fait vrai : il y a le droit mais aussi la réaction des Français qui sont sur les territoires.

M. Olivier Gohin .- Ce sont des contribuables et ils ont des droits civils et politiques, en effet.

M. Alain Gournac .- C'est tout ce que je voulais ajouter, parce que nous l'avons vu dans l'expérience de Mayotte.

M. Georges Othily, président .- Nous n'avons plus de questions. Merci, monsieur le professeur.

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