Audition de M. Louis SCHWEITZER,
président de la Haute autorité de lutte
contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE)
(24 janvier 2006)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Monsieur le président, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Louis Schweitzer prête serment .

M. Georges Othily, président .- Nous vous écoutons.

M. Louis Schweitzer .- Je ne vais pas faire un exposé sur l'immigration mais vais me contenter de répondre à vos questions, parce que je suis devant vous en tant que président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, qui n'a pas de responsabilité directe sur le sujet de l'immigration. De façon explicite, nous avons pour mission de lutter contre toutes les discriminations prohibées par la loi ou par un traité auquel la France est partie.

Il est donc clair que l'application de la législation ou des règles relatives à l'immigration, même si elles conduisent à traiter différemment des personnes différentes, n'entre pas dans le champ de notre Haute autorité.

Cependant, nous avons à intervenir vis-à-vis de personnes immigrées soit qui sont en situation régulière et qui ont des droits à ce titre, soit qui sont en situation irrégulière et qui ont quand même des droits. Je pense par exemple à un cas sur lequel nous sommes intervenus parce que les enfants d'une famille en situation irrégulière s'étaient vu refuser l'accès à une école au prétexte que leurs parents étaient en situation irrégulière. Evidemment, on n'a pas le droit de punir ou de priver un enfant de scolarité parce que ses parents sont en situation irrégulière.

Cela étant dit, pour ne pas prendre trop de temps, je vais rappeler brièvement ce que nous faisons, après quoi je répondrai, dans la limite de ce que je sais, aux questions que vous voudrez bien me poser.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (on dit la HALDE parce que le nom complet est un peu long, même s'il a l'avantage d'être très explicite) est une institution nouvelle puisqu'elle a été créée par une loi du 30 décembre 2004. Son collège a été nommé le 8 mars 2005 et son installation est intervenue en juin. Elle fonctionne donc effectivement depuis un peu moins de neuf mois.

Nous avons trois métiers dans le cadre général dont j'ai parlé.

Notre premier métier est de répondre à toutes les réclamations dont nous sommes saisis par toute personne qui s'estime victime d'une discrimination. Nous avons reçu à ce jour environ 1 300 réclamations individuelles que nous classons par lieu et par motif de discrimination. Le lieu de discrimination est l'emploi dans la moitié des cas et ce que nous appelons le service public pris au sens large dans 20 % des cas : cela peut être un texte réglementaire ou un arrêté qui est discriminant ; cela peut aussi être une attitude de l'administration. Quant aux motifs de discrimination, ils sont liés, dans plus de 35 % des cas, à ce qu'on appelle l'origine, ce qui recouvre la nationalité et la race réelle ou supposée (pour reprendre l'expression de la loi), et, dans 15 % des cas, à l'état de santé ou au handicap, les autres motifs venant derrière.

Pour traiter ces réclamations, nous avons des pouvoirs d'investigation et d'étude, nous pouvons proposer des médiations et nous pouvons saisir la justice, mais nous n'avons pas de pouvoir de sanction aujourd'hui. Un projet de loi qui a été adopté par le gouvernement et qui a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale (comme il est soumis à l'urgence, il devrait venir sur le bureau du Sénat au cours du mois de février) a pour objet, entre autres, de nous donner un pouvoir de sanctions propre. Il ne s'agit pas de se substituer à la justice -la discrimination est un délit-, mais de faire en sorte que la discrimination ne reste pas impunie dans la plupart des cas. En effet, il faut rappeler qu'aujourd'hui, il y a quarante condamnations pénales par an pour discrimination alors que nous avons tous conscience que des dizaines de milliers d'actes de discrimination sont commis régulièrement en France. Cela pose donc un problème de crédibilité de la sanction des discriminations commises aujourd'hui.

Nous première mission est donc de traiter les problèmes individuels dont nous sommes saisis par toute personne qui peut utiliser l'intermédiaire d'un parlementaire ou d'une association, mais qui peut aussi nous saisir directement.

M. Alain Gournac .- Il ne faut pas passer par un parlementaire ?

M. Louis Schweitzer .- Non. Toute personne peut nous saisir directement. Je dois dire d'ailleurs que l'immense majorité des saisines que nous recevons vient de personnes physiques. Je le dis en passant : nous avons constaté que les associations, qui sont assez nombreuses dans ce cas, préfère traiter elles-mêmes leur dossier jusqu'au bout, pour le dire ainsi, plutôt que de le transmettre à une autorité indépendante qui a pour objectif de lutter contre les discriminations.

Nous avons reçu quelques lettres portées par des parlementaires, mais l'immense majorité des cas (ayant prêté serment, je ne voudrais pas donner un chiffre imprécis) relève de saisines directes qui viennent des personnes concernées elles-mêmes.

J'en viens à notre deuxième mission. Nous en sommes aujourd'hui à 1 300 saisines depuis le début de notre existence, soit un rythme d'environ dix saisines par jour, et d'environ 3 000 saisines par an, ce qui est très en deçà de la réalité des discriminations, tout d'abord parce que beaucoup de gens ignorent notre existence et ensuite parce que le fait de saisir une autorité administrative indépendante, même sans frais, est une démarche qui ne va pas de soi pour beaucoup de gens : cela implique un acte positif.

Nous sommes donc amenés aussi à nous autosaisir de cas de discrimination : nous n'avons pas besoin d'attendre d'être saisis pour nous autosaisir.

Nous pouvons le faire pour des cas que nous découvrons dans le journal : quand nous lisons dans un article un cas de discrimination ou ce qui apparaît comme tel, nous pouvons intervenir. Nous pouvons aussi nous autosaisir en faisant ce qu'on appelle du testing , c'est-à-dire en mettant à l'épreuve une personne qui offre des emplois ou qui donne à louer un logement, pour nous assurer qu'il n'y a pas un processus de discrimination ou d'exclusion pour un motif interdit par la loi.

Notre troisième mission relève de la prévention, en travaillant de façon générale pour faire respecter l'égalité. Par exemple, nous avons écrit aux 150 plus grandes entreprises françaises pour leur proposer une série de mesures qui nous paraissent de nature à aider à la lutte contre les discriminations, pour leur dire que nous souhaitions créer une bourse des bonnes pratiques et pour leur demander de nous rendre compte de ce qu'elles faisaient, étant entendu que, dans notre rapport annuel, puisque nous en faisons un, nous indiquerions ce que nous avions trouvé de bien, en disant qui l'avait fait, et ce que nous avions trouvé de mal, en disant aussi qui l'avait fait.

De même, nous avons passé une convention avec la FNAIM, dans le domaine immobilier, pour peser sur les agences immobilières qui ne s'affirment jamais comme discriminantes mais qui disent souvent qu'elles n'ont pas d'autre choix que de porter les discriminations des propriétaires, sans quoi ils se tourneraient vers d'autres agences. Le fait de passer cette convention avec une institution qui regroupe l'immense majorité des agences immobilières nous permet de sortir de cette logique dans laquelle, si je puis dire, les vertueux sont punis par le fait qu'ils ne s'engagent pas dans des pratiques discriminatoires. Voilà un second exemple d'action positive.

Nous nous sommes aussi tournés vers la fonction publique, qu'elle soit d'Etat, territoriale ou hospitalière, parce qu'il nous apparaît qu'elle doit être exemplaire en matière de discrimination.

Voilà quelques exemples d'actions que nous menons.

Vous constaterez que je n'ai pas beaucoup parlé du sujet de l'immigration clandestine. Je répète que nous avons été saisis, dans un certain nombre de cas, par des personnes qui se plaignaient auprès de nous d'avoir des difficultés à obtenir un visa ou de se voir refuser un visa ou un droit d'entrée, mais nous n'avons pu que leur dire que ces questions n'entraient pas dans notre champ de compétences et nous les avons invitées à saisir les autorités administratives en leur indiquant le cas échéant le nom d'associations, qui pourraient les aider à faire valoir leurs droits dans cette situation.

M. Georges Othily, président .- Merci, monsieur le président.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai une question relative aux personnes qui réclament ou se plaignent auprès de vous. Je suppose que vous ne faites pas de distinction entre celles qui sont en situation régulière et celles qui sont en situation irrégulière.

M. Louis Schweitzer .- Pour ce qui est du traitement de la réclamation, nous n'excluons pas une personne sous prétexte qu'elle serait en situation irrégulière. Il peut simplement se faire que la régularité de sa situation ait ou n'ait pas un impact sur les droits qu'elle fait valoir. J'ai cité l'exemple d'un cas pour lequel le fait que les parents étaient en situation irrégulière n'avait aucun impact sur la situation des enfants.

Il y a un autre cas qui me vient à l'esprit : une personne se plaignait de faire l'objet d'une discrimination parce qu'elle ne touchait pas le RMI et nous avons constaté qu'elle n'avait pas le permis de séjour ni la durée de séjour lui permettant de bénéficier du RMI et que, dès lors, il n'y avait pas de discrimination interdite au sens de la loi. J'ai écrit à cette personne que sa plainte était reçue, mais qu'elle était écartée parce qu'elle n'était pas fondée.

Mme Gisèle Gautier .- Vous nous avez indiqué que vous n'aviez pas de pouvoir de sanction, ce qui est une indication très importante. J'aimerais que vous nous donniez un exemple tout à fait concret pour savoir quelles sont les limites de votre champ d'intervention et de compétence et jusqu'où vous pouvez aller pour essayer de régler ces problèmes, que ce soit vous qui vous saisissiez d'un dossier ou qu'on vous en saisisse.

M. Louis Schweitzer .- Je vais prendre quelques exemples illustrant différentes actions que nous pouvons avoir en vous montrant pourquoi le pouvoir de sanction me manque parfois.

Je prends un premier exemple concret. Nous avons reçu la plainte d'une série de chômeurs de plus de 45 ans qui nous disaient qu'ils voyaient des offres d'emploi stipulant qu'il faut avoir 25 à 40 ans. C'était une discrimination fondée sur l'âge, ce qui est interdit. On peut éventuellement admettre qu'il y ait une discrimination fondée sur l'âge s'il s'agit de jouer un rôle pour un comédien, mais il s'agissait en l'occurrence de tâches administratives pour lesquelles le fait d'avoir 41 ans ne devait pas interdire de les accomplir. Il y avait donc clairement une inégalité.

Dans ce cas précis, nous avons transmis le cas au parquet -c'était un délit constitué-, parce qu'il nous semble qu'il faut essayer d'effacer ce genre de pratique. Le risque, bien sûr, c'est que le parquet classe. L'expérience montre que le parquet classe très naturellement parce que ce sont des affaires le plus souvent relativement compliquées et qu'au fond, le trouble à l'ordre public, qui, à mes yeux, est réel, est moins évident que dans le cas d'un vol à la tire. Nous avons donc pris une position et nous avons transmis au parquet, mais le risque est élevé qu'il ne se passe rien.

J'évoquerai un second type d'exemples pour lequel notre intervention sera plus utile. J'ai à l'esprit plusieurs cas où des salariés nous ont saisis parce qu'ils avaient été victimes de discriminations soit fondées sur leur origine, soit fondées sur une appartenance syndicale, soit fondées sur un problème de santé. Ces salariés s'étaient adressés aux prud'hommes, mais ils se sont aussi tournés vers nous, sachant que, conformément à la loi, nous pouvons intervenir dans une procédure civile à la demande des parties. Dans ces cas précis, nous interviendrons, à la demande de ces salariés, devant le conseil des prud'hommes, celui-ci ne jugeant pas toujours très vite, hélas. Notre intervention ne relèvera pas simplement de la théorie et j'espère que, puisqu'elle sera fondée sur une investigation que nous avons faite, grâce aux témoignages que nous avons recueillis et au dossier que nous avons constitué, elle aura un certain poids devant le conseil des prud'hommes, pèsera dans la décision qui sera prise et apportera donc une réponse aux préoccupations des salariés.

Evidemment, on pourrait se demander pourquoi nous n'avons pas saisi au pénal. La réponse, c'est qu'au nom d'une règle que vous connaissez et qui veut que le pénal tienne le civil en l'état, il y avait à nos yeux un vrai risque que, si on saisissait le pénal, le salarié voie l'espérance d'avoir satisfaction aux prud'hommes reculer de façon indéfinie. Si c'était pour aboutir à un classement sans suite par le parquet, le salarié aurait été doublement pénalisé : son procès aurait été retardé et le pénal ne lui aurait pas apporté de complément. C'est un cas où une capacité de sanction nous aurait non pas interdit d'aller aux prud'hommes mais aurait crédibilisé notre action.

Le troisième cas que j'évoquerai, c'est la possibilité qui nous est donnée de proposer des médiations, ce qui implique évidemment que les deux parties soient d'accord et que celui qui discrimine, au fond, ne soit pas de mauvaise foi, soit prêt, d'une certaine façon, à reconnaître qu'il y a matière à redressement, et que celui qui a été discriminé soit dans un état, si je puis dire, où la conciliation est encore possible.

Voilà quelques exemples d'intervention que nous faisons, mais qui montrent bien qu'au fond, nos moyens de pression sont limités parce que la mécanique judiciaire se met difficilement en mouvement sur les sujets de discrimination. Nous avons quarante affaires par an et c'est un chiffre relativement stable depuis cinq ans.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Es-qualité, vous avez été saisi par des associations sur deux situations, l'une à Paris et l'autre à Marseille, concernant des étrangers qui occupaient des meublés ou des logements pour lesquels les services fiscaux ont refusé de délivrer des certificats de non-imposition qui étaient susceptibles d'ouvrir des droits. Y a-t-il eu une suite et l'autorité a-t-elle rendu une décision ? La saisine est récente.

M. Louis Schweitzer .- Je n'en ai pas connaissance sur Paris, mais, pour ce qui est de Marseille, nous avons reçu le dossier. Les plaignants alléguaient que, de façon systématique, on ciblait des refus de certificat de non-imposition sur certaines populations. Ce dossier est encore en cours d'instruction parce qu'il est évidemment assez compliqué et donc aucune décision n'a été rendue. C'est un dossier en cours d'instruction.

M. Alain Gournac .- Je tiens tout d'abord à vous remercier, parce que j'ai découvert des choses que je ne connaissais pas.

M. Louis Schweitzer .- Nous avons un vrai déficit de notoriété, monsieur le sénateur.

M. Alain Gournac .- Cela va sans doute s'arranger, monsieur le président, parce que vous travaillez avec une personne que je connais bien et avec laquelle j'ai travaillé dans d'autres fonctions.

De quels moyens d'investigation disposez-vous et comment pouvez-vous constater ou non la discrimination ? Avez-vous des juristes en interne ou faites-vous appel à des juristes extérieurs ? Avez-vous des enquêteurs ? Comment cela se passe-t-il sur le terrain si un cas se situe à Lyon ou un autre Strasbourg ? De même, pouvez-vous intervenir hors de l'hexagone ?

Par ailleurs, travaillez-vous avec les services de police et de gendarmerie ainsi qu'avec la justice ?

Enfin, donnez-vous aux prud'hommes les pièces et informations recueillies par la Haute autorité si les conseils de prud'hommes vous le demandent ?

M. Louis Schweitzer .- En ce qui concerne nos moyens d'investigation, nous avons un service juridique qui comporte des juristes, dont certains sont des experts en matière de discrimination. Nous sommes actuellement une petite organisation : notre effectif budgétaire pour 2005 était de 50 personnes, nous avons fini l'année avec environ 45 personnes, nos effectifs budgétaires autorisés pour 2006 sont de 66 et nous pensons atteindre cet effectif vers la mi-année.

Je donne ces chiffres parce qu'ils sont un peu inférieurs à ceux de notre homologue belge. C'est vous dire qu'à l'échelle du pays, nous ne sommes pas excessivement dotés. Quant à mon homologue anglais, qui n'est compétent qu'en matière raciale, il a des effectifs de l'ordre de 300 personnes. Cela démontre que nos moyens sont relativement limités.

Ces juristes écrivent, téléphonent et demandent des pièces. Nous avons le droit de procéder à des investigations sur place, mais il faut pour cela une habilitation du procureur général près de la cour de Paris. Cette habilitation a été demandée et elle n'est pas encore reçue, mais nous ne désespérons pas : nous savons que la justice a son rythme et nous avons confiance en elle. Nos juristes ont donc un droit d'enquête sur place, sous réserve de cette habilitation, sur l'ensemble du territoire national.

Nous n'avons pas choisi de décentraliser nos services parce que nous n'avons pas des forces telles qu'en les répartissant sur le territoire, nous ayons un poids significatif.

Par ailleurs, nous pouvons faire appel, notamment pour le testing , à des huissiers de justice pour valider ce que nous faisons, puisque nos enquêteurs n'ont pas la qualité d'officiers de police judiciaire et n'ont donc pas de capacités de témoignage particulières. Nous pouvons aussi faire appel à des avocats, bien sûr.

Nous n'avons pas d'exemples qui montrent que nous soyons allés hors de l'hexagone à ce stade. En parlant d'hexagone, j'entends le territoire français, bien sûr, car il est clair dans mon esprit que les départements d'outre-mer font partie, dans ce cas, de l'hexagone.

Deuxièmement, vous m'avez demandé si nous avions une coopération avec les services de police, de gendarmerie et de justice. Nous avons saisi la justice dans un certain nombre de cas et nous pouvons faire appel aux inspections du travail et à la direction du travail, mais je n'ai pas d'exemple qui montre que nous avons fait appel, jusqu'à présent, à la police ou à la gendarmerie.

Enfin, pouvons-nous transmettre les dossiers ? Il faut avoir conscience que la plupart de nos saisines datent de la fin de l'été, puisque notre installation a eu lieu en juin dernier. Nous avons donc déjà des cas dont j'ai évoqué les exemples et pour lesquels nous avons dit que nous étions prêts à aller en justice pour intervenir sur un dossier, mais nous n'avons pas encore de cas où cela ait été audiencé. Quand nous transmettons le dossier au contentieux et au parquet, il s'agit du dossier complet tel que nous l'avons avec les pièces qu'il contient.

Mme Catherine Tasca .- Ma première question concerne les discriminations imputables au service public lorsque vous en êtes saisi. Ne serait-il pas logique de les transmettre au médiateur de la République lorsqu'il s'agit de manquements de l'administration ?

Deuxièmement, je voudrais en savoir plus sur les liens entre la Haute autorité et la justice. Vous nous avez indiqué que vous transmettiez les dossiers dont vous jugez qu'ils sont réellement discriminatoires, notamment au parquet, mais la Haute autorité a-t-elle une personnalité morale et est-elle reconnue comme ayant un intérêt à agir dans les procès ? Je pense en effet au travail qui est fait depuis des années par les associations concernant l'environnement sur toute une série de contentieux, dont les élus locaux que nous sommes ne sont d'ailleurs pas toujours ravis.

Pour que vous alliez jusqu'au bout et pour avoir une réelle capacité d'action, ne faudrait-il pas que vous vous portiez partie aux procès et non pas simplement transmettre le dossier ?

M. Louis Schweitzer .- Votre première question concerne le médiateur de la République et la Haute autorité. A l'évidence, il y a des plages de recouvrement. Dans certains cas, la personne peut choisir de saisir soit le médiateur, soit la Haute autorité. Le choix que nous avons fait jusqu'à présent avec le médiateur -je m'en suis entretenu avec lui- a été de ne pas essayer de tracer une frontière comme entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives, avec un tribunal des conflits pour débattre des difficultés. Nous avons convenu que celui qui était le premier saisi, s'il se sent la capacité de traiter le dossier, puisse le mener.

En réalité, le médiateur est censé intervenir le plus souvent dans des cas où l'application de la loi est légalement correcte mais où la pratique aboutit à une anomalie alors que, pour notre part, nous avons comme charge première d'intervenir dans les cas où il y a une illégalité et un délit. Nous sommes donc quand même dans une situation un peu différente du cas le plus fréquent d'intervention du médiateur, qui est une application de la loi aboutissant à une inéquité alors que nous intervenons fondamentalement pour une chose qui est interdite par la loi.

Disons que nous faisons en sorte que les subtilités juridiques que l'on pourrait déduire de ma présentation ne perturbent pas ceux qui nous saisissent.

Par ailleurs, nous n'avons pas la personnalité morale et nous ne pouvons donc pas être partie civile. Il y a, dans la loi qui a créé la Haute autorité, des procédures légèrement différentes pour le civil et le pénal qui nous permettent d'intervenir, au pénal, soit au niveau de l'instruction, soit au niveau du jugement, et, au civil, comme je l'ai dit tout à l'heure, au niveau de l'audience, c'est-à-dire tout au long de la procédure.

J'ajoute qu'en dehors de ces règles formelles, nous essayons d'établir des liens pratiques avec la justice, c'est-à-dire que, concrètement, quand nous transmettons une affaire au parquet, nous ne nous bornons pas à faire une lettre saisissant le procureur de la République ; nous nous attachons, comme le ferait un avocat normal, à relancer le procureur, à appeler son attention sur les choses, bref à faire en sorte que notre affaire ne soit pas oubliée ou ne prenne pas la poussière dans l'appareil judiciaire.

Pour autant, nous n'avons pas la capacité qu'a une association établie de se porter partie civile.

M. Georges Othily, président .- Monsieur le président, le premier président de la Cour des comptes, quand il a été auditionné, a estimé que l'immigration irrégulière avait un impact considérable sur la capacité de l'ensemble des populations issues de l'immigration à être intégrées. Partagez-vous ce point de vue ou quel est votre sentiment sur cet aspect de la question ?

M. Louis Schweitzer .- Le président de la Haute autorité, en tant que tel, n'a pas d'opinion sur ce sujet. Cela dit, en oubliant le président de la Haute autorité et en me posant la question de savoir si, à titre personnel, j'ai une opinion sur ce sujet, je répondrai que je n'ai pas la capacité de mesurer le tort que peut provoquer l'immigration irrégulière, si je comprends bien la question, sur ceux qui sont dans une situation régulière, c'est-à-dire s'il y a des externalités négatives. Je ne suis pas capable de les mesurer.

En l'absence totale d'immigration irrégulière, les immigrés réguliers seraient-ils mieux traités et dans de meilleures conditions et une telle absence est-elle concevable ? Ce sont des questions sur lesquelles je suis un peu perplexe.

J'assistais la semaine dernière à une réunion franco-britannique avec mon homologue britannique et l'équivalent anglais du directeur de la surveillance du territoire. La Grande-Bretagne, comme vous le savez, a un contrôle de l'immigration beaucoup plus rigoureux que le nôtre, du fait notamment de sa géographie et de sa non-appartenance à l'espace Schengen. Je leur ai demandé s'ils avaient le sentiment que la situation différente de la Grande-Bretagne par rapport à nous leur facilitait considérablement la vie et je dois dire que l'un et l'autre m'ont répondu de façon négative.

Mme Gisèle Gautier .- Vous nous avez parlé, monsieur le président, de l'attitude de l'administration pour tout ce qui concerne l'origine, la santé et les handicaps. Nous avons vu aussi que vous pouviez vous autosaisir et faire du testing , notamment en matière d'emploi et sans doute aussi dans les cabarets et les boîtes de nuit, qu'il faut bien évoquer également.

Cependant, vous n'avez pas évoqué les propos discriminatoires, qui sont nombreux sur notre territoire. J'aimerais savoir comment vous les traitez et s'ils sont pris à la même hauteur de considération. En effet, les propos discriminatoires sont graves : ils atteignent la dignité de la personne et ils font autant de mal, en termes de droit et de dignité, que le fait de ne pas avoir accès à la santé. De quelle façon peuvent-ils être traités de votre part ?

M. Louis Schweitzer .- Je vais répondre à votre remarque importante par deux réflexions.

Tout d'abord, vous soulignez une difficulté bien réelle qui est la différence entre le langage juridique et la réalité perçue par les gens. Nous sommes compétents, nous, sur les discriminations, ce qui inclut, en termes de propos, l'appel à la discrimination. Pour prendre un exemple simple, si quelqu'un dit : « N'allez pas dans ce magasin parce qu'il est tenu par une personne de telle origine », c'est un appel à la discrimination et nous sommes compétents à cet égard.

En revanche, le propos discriminatoire en lui-même, au sens usuel du mot, c'est-à-dire le fait de traiter de façon dévalorisante dans ses propos une catégorie donnée de personnes, par exemple les handicapés, les personnes de telle ou telle origine ou les femmes (c'est un cas dont nous avons été saisis), n'est pas une discrimination au sens juridique. Lorsque les gens nous écrivent en nous disant qu'ils ont entendu des propos discriminatoires, la réponse techniquement correcte est de leur dire que ce sont des propos discriminatoires, certes, mais que ce ne sont pas des discriminations et que nous ne sommes donc pas compétents. Nous avons donc une difficulté à cet égard, parce que nous avons techniquement raison, mais, pour la personne qui nous a saisis, ce n'est pas juste.

Cela me conduit à ma seconde réponse : dans ce cas, nous avons déterminé comme politique, quand les faits nous paraissent raisonnablement établis (parce que nous avons parfois des plaintes de gens qui sont généralement malheureux et qui écrivent là où ils pensent trouver quelqu'un qui leur répondra), de dire à la personne : « Nous ne traitons pas votre sujet, mais nous transmettons au parquet les remarques que vous avez faites et qui nous paraissent pouvoir constituer un délit », en donnant la qualification pénale correcte de ces propos. Nous ne prenons pas position sur le fait qu'ils constituent réellement un délit, parce que nous ne sommes pas qualifiés pour ce faire.

Cela montre bien la difficulté devant laquelle nous sommes. Quand les experts parlent aux experts, cela va à peu près, mais les gens avec lesquels nous sommes en relation ne sont pas des experts.

M. Georges Othily, président .- Nous n'avons plus de questions, monsieur le président. Je vous remercie de ces réponses et des éclaircissements que vous nous avez apportés.

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