Audition de M. Anthony BERNARDI, chef de la section « Etrangers et minorités » à la direction centrale des renseignements généraux, sur la place du fait religieux dans les quartiers (26 septembre 2006)

Cette audition a eu lieu à huis clos et ne fait pas l'objet d'un compte rendu.

Audition de M. Jean-Louis BORLOO, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, et de Mme Catherine VAUTRIN, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité (27 septembre 2006)

Présidence de M. Alex TÜRK, président.

M. Alex TÜRK, président .- Madame la Ministre, monsieur le Ministre, merci d'avoir bien voulu accepter notre invitation et de venir à la fois présenter vos conceptions sur la préoccupation qui est la nôtre dans le cadre de cette mission et répondre aux questions, nombreuses et affûtées, qui pourront vous être posées. Je vous donne tout de suite la parole.

M. Jean-Louis BORLOO .- Monsieur le Président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je vais essayer de revenir en quelques mots sur un sujet extraordinairement difficile.

Au-delà de l'explication factuelle, je dirai deux mots du contexte dans lequel la crise a éclaté. Je vous rappelle qu'elle était explicitement présente dans le préambule de la loi de programmation pour la cohésion sociale. Je vous en cite la dernière phrase de mémoire : « L'écart continue à se creuser entre ceux dont la descendance a un avenir et ceux qui ont le sentiment d'en être privé, distribuant la rage et la violence en signe de diplôme. » Je le dis en accord avec Catherine Vautrin et tous ceux qui, dans ce que l'on appelle le pôle de cohésion sociale, Gérard Larcher ainsi que, en son temps, Marc-Philippe Daubresse, Laurent Hénart et Nelly Olin, sont très préoccupés par cette situation.

Il s'agit de sujets dans lesquels on constate un très grand écart entre les mesures et leurs échéances, un dossier incroyablement complexe sur lequel il y a eu pendant longtemps un malentendu dans notre pays. On a longtemps exprimé  c'était une culture dominante  que l'on avait beaucoup fait pour les territoires ou leurs populations. La grande mode était de demander beaucoup d'argent alors que la réalité objective n'est pas exacte.

Le malentendu a été grave puisque, dans nos quartiers, pour dire les choses simplement, on avait le sentiment d'être peu ou prou abandonné alors que l'on faisait croire au reste du pays que l'on avait fait beaucoup. Un énorme malentendu est né dans notre pays, ce qui a d'ailleurs expliqué que beaucoup de mesures spécifiques ne sont venues souvent qu'en substitution de procédures de droit commun absentes.

On peut dire aujourd'hui que ce malentendu est brisé. Nous avons le sentiment que nos compatriotes ainsi que les grands canaux d'information ou de réflexion considèrent que ce n'est pas un sujet ponctuel ou territorial et qu'il en va de l'avenir de la République. Je suis très frappé par le changement d'impression générale sur ce problème. Nos compatriotes nous donnent clairement mandat pour régler cet écart par des moyens appropriés et massifs.

Je répète que c'est un changement. Alors qu'auparavant, c'était un problème de spécialistes, il y a aujourd'hui une pression locale pour ne pas considérer que le centre-ville est le seul sujet de la communauté de destin de la ville. On constate l'existence d'un consensus national pour considérer qu'il en va de la communauté de destin de notre pays. Certains ont cette conviction par inquiétude ou par peur, d'autres par humanisme, d'autres encore au titre d'une bonne gestion des ressources humaines de notre pays. Quelle que soit la motivation, nous avons basculé.

Où en sommes-nous objectivement ?

Mon premier point a trait à la ségrégation urbaine et territoriale. Qu'on le veuille ou non, pour des raisons que l'on peut détailler, un certain nombre de territoires étaient moins qualifiés, parfois disqualifiés. Or on sait que la ségrégation urbaine entraîne la ségrégation sociale et, parfois, la ségrégation ethnique ou religieuse. Pendant vingt ou vingt-cinq ans, on a essayé de faire des programmes « de la cage d'escalier », et je le dis sans aucune ironie parce que la situation n'est pas la même que celle qui prévalait il y a vingt ans.

Aujourd'hui, on sait que, pour recréer de la fluidité entre un territoire et le reste, il faut que ce territoire anciennement déqualifié devienne plus beau que le reste du bassin de vie dans lequel il s'inscrit.

C'est le contenu du programme de rénovation urbaine, un programme partenarial en guichet unique qui, comme tous les programmes de cette ampleur et de cette envergure, est complexe à mettre en place. Si je devais le résumer, je dirais que cette bataille sur la ségrégation qu'urbaine va globalement être gagnée. 20 milliards d'euros y ont été consacrés au moment du lancement du programme et nous en sommes à 35 aujourd'hui, pour une raison simple : les 190 quartiers prioritaires sont servis normalement, comme prévu, et 90 % ont démarré. Il y avait aussi tout le problème des quartiers qui n'étaient pas dans cette situation mais qui, sans un effort massif, pouvaient basculer. C'est ce qui explique l'ajout de 400 nouveaux quartiers dans le programme et ce qui a rendu l'ensemble du dispositif un peu plus complexe. En tout cas, l'ensemble des partenaires est calé et c'est un combat de tous les jours.

En réalité, je n'ai pas de doute sur le fait que ce programme ira à son terme dans de bonnes conditions. J'en profite pour saluer la mobilisation des élus et de la famille HLM dans son ensemble car, dans une période aussi courte de deux ou trois ans, le fait d'avoir triplé la production de logement social et copiloté un programme de cette envergure, ce qui est d'une complexité extrême, a vraiment été une performance.

Le sentiment de Catherine Vautrin, Gérard Larcher et moi-même, c'est que nous allons gagner cette bataille. J'ai lu attentivement les auditions de votre mission, qui couvrent d'ailleurs un spectre très large et qui sont très intéressantes. Il a été dit à un moment donné que des violences ont eu lieu dans 65 sites où des conventions ont été signées. Il ne faut pas confondre la signature des conventions et les réalisations effectives, car on voit bien que, sur ces sujets, il y a une masse critique à partir de laquelle le quartier a basculé.

Il faut même être encore plus précis. Quand un quartier bascule  on en a maintenant une cinquantaine , il n'est plus générateur en lui-même de tensions, ce qui ne veut pas dire que de mauvaises habitudes antérieures, voire quelques trafics, ne soient pas de nature à ce qu'il y ait du droit commun particulier et adapté à ce qu'était anciennement ce quartier. Nous pourrions entrer dans les détails et citer des quartiers sur l'ensemble du territoire national dans lesquels on voit que, du Chemin Vert, à Boulogne, jusqu'à la Duchère, à Lyon, on a basculé et que l'on n'est plus du tout dans la même situation de décrochement par rapport à la commune, mais plutôt dans une logique de raccrochement.

Cela dit, en attendant et pendant cette guerre qui sera gagnée, il y a tout le reste, la déstructuration d'une partie du tissu humain et social, notamment en matière éducative au sens le plus large du terme.

Je rappellerai pour mémoire, plus pour l'information que pour la démonstration ou la plaidoirie, qu'un certain nombre de préalables sont réglés mais qu'ils auront des effets dans le temps.

Le premier, qui était une volonté de toutes les collectivités locales, était d'accorder plus de moyens directs à des territoires de cette nature. C'était la réforme de la DSU. Je vous redonne les ordres de grandeur :

- le Fonds d'intervention pour la ville (FIV), destiné au fonctionnement dans les quartiers, disposait au départ d'environ 150 millions d'euros et il en est aujourd'hui à 190, affectés directement aux collectivités sans passer par des procédures complexes (c'était une demande forte) ;

- la réforme de la DSU représente 650 millions d'euros sur cinq ans, pour la troisième ou la quatrième année, soit 350 millions d'euros d'augmentation, ce qui permet aux villes d'avoir un impact direct sur ces points.

Il fallait faire cette réforme. Elle a été votée à l'unanimité au Sénat, je le rappelle, malgré tout ce qui en avait été dit, notamment en évoquant le lobby rural. Finalement, dans un grand moment parlementaire, cela a été voté à l'unanimité, ce qui change fondamentalement la donne sur les cinq ans, même si les effets sont forcément un peu longs, avec des territoires épuisés qui ont des problématiques très complexes à gérer.

Du reste, la demande de soutien pour un FIV renforcé reste patente : ces territoires étaient tellement épuisés que cela les a remis à niveau pour l'essentiel, mais on ne peut pas dire que cela ait changé fondamentalement la donne.

Le deuxième très grand sujet que je souhaite aborder et qui reste à construire, est celui des tout petits et des « moyens petits ». Il s'agit d'être en capacité non pas de faire du soutien scolaire, mais, dès les premières impressions de la communauté éducative que tel ou tel enfant a plus de difficultés que d'autres à s'insérer dans un dispositif collectif, d'avoir des moyens libres d'intervention. C'est ce qu'on a appelé peut-être improprement les Programmes de réussite éducative (PRE), qui se mélangent avec d'autres mots, mais cela consiste à avoir, sur ces territoires, une association entre le chef d'établissement, les parents d'élèves, la CAF et les collectivités locales, dont le département, avec des moyens spécifiques pour entourer ces enfants.

Le lancement de cette opération a été effectué assez discrètement. Nous avons réuni au Stade de France les principaux acteurs à un moment assez fort, le 29 juin, avec 380 équipes de réussite éducative pour entourer ces enfants par tous les moyens : pour des problèmes de logement, des problèmes bucco-dentaires, des problèmes de fratries compliquées, des problèmes médicaux ou autres. Au bout d'un an, nous avons commencé à dresser un bilan, le risque étant toujours que ce soit réutilisé pour des systèmes normaux ou plus conventionnels.

Je peux citer par ailleurs un certain nombre de points complémentaires comme les zones franches urbaines nouvelles et étendues, dont nous pourrons reparler un peu plus longuement, ainsi que des mesures plus récentes et plus ponctuelles :

- des moyens accrus apportés à l'ANPE,

- les contrats de professionnalisation pour les quartiers en ZUS,

- le Parcours d'accès aux carrières territoriales, hospitalières et de l'Etat (PACTE), qui est un programme de recrutement par apprentissage spécifique pour ces quartiers, étant entendu qu'en réalité, on voit bien que la machine des trois fonctions publiques évolue lentement ; ce dispositif n'étant pas mentalement considéré comme une action absolument prioritaire, les résultats sont lents et non pas forcément très discriminants.

Enfin, pour terminer de vous brosser le tableau général, j'évoquerai la discrimination en tant que telle. On peut se la raconter comme on veut : notre pays était tellement certain d'être parfaitement républicain et avait tellement bien réussi, entre la fin du XIXe siècle et les années 60 ou 70, qu'il n'a pas forcément pris conscience, face à un certain nombre de facteurs comme l'immigration de travail, la citoyenneté devenant de l'installation familiale ou la ségrégation urbaine, qu'il s'agissait d'un sujet prioritaire et systématique.

J'ai le sentiment que les mentalités évoluent, et je citerai à cet égard la loi que nous avons portée avec Catherine Vautrin sur la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), tout le débat autour de la CNIL sur la possibilité de dénommer ou non les choses et les chartes de la diversité, qui se mettent indiscutablement en place (nous en sommes à 1 300 aujourd'hui). On constate donc cette prise en compte de la société française, sans parler de beaucoup d'autres choses qui sont directement privées comme les recrutements par habileté qui permettent de dépasser un certain nombre de préventions.

On voit donc que l'ensemble de la société change et bouge, mais tout cela dépend d'un changement de mentalités dont les effets ne sont pas immédiatement opérationnels. C'est probablement sur ce point que nous avons le plus d'efforts à accomplir. Cela repose sur le consensus républicain, et non pas seulement sur des mesures techniques, législatives ou gouvernementales, sur lequel nous sommes probablement plus démunis parce que nous ne nous sentons pas acteurs de culpabilité, avec cette espèce de plafond de verre qui se télescope avec bien d'autres sujets.

J'ai le sentiment général que des programmes lourds, culturels ou techniques sont en marche et qu'il s'agit de mettre en place un programme exceptionnel de rattrapage sur les 12-25 ans avec des formes différentes à chaque fois dont nous ne voyons d'ailleurs pas encore très bien le contenu, sachant que, dans ce domaine, ce qui n'a pas réussi est franchement dévastateur.

Voilà notre sentiment général : beaucoup de grands programmes aux effets lents, une prise de conscience nationale et un grand point d'interrogation sur le dernier sujet.

Mme Catherine VAUTRIN .- Je ne vais pas répéter, beaucoup moins bien que lui, ce que vient de dire Jean-Louis Borloo. Je me contenterai d'ajouter un ou deux éléments pour dire que, depuis maintenant trois ans, après cet effort massif de rénovation urbaine dont Jean-Louis Borloo vient de dire que nous avions maintenant du temps pour le réaliser, il est nécessaire d'avoir la capacité à travailler sur l'humain. C'est tout le sens de ce qui a été fait dans le plan de cohésion sociale.

Moi aussi, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt les commentaires qui ont été faits lors des différentes auditions de votre mission et je voudrais revenir sur différents mots qui ont été évoqués parce qu'ils nous préoccupent également. Il s'agit tout d'abord de la notion d'évaluation, à laquelle Jean-Louis Borloo vient de faire allusion, mais également de la notion de pérennisation. Quand on discute avec l'ensemble des acteurs de terrain qui, au quotidien, assurent ce maillage territorial, on constate les grandes difficultés que représentent les incertitudes liées à l'évolution des politiques de la ville et aux évolutions budgétaires.

C'est la raison pour laquelle il nous est apparu, avec Jean-Louis Borloo, qu'il était nécessaire de nous doter d'une structure pour un domaine qui ne se gère pas mais qui se vit : on ne gère par l'humain comme on peut gérer l'urbain. Pour autant, à chaque fois que l'on peut mettre en place des systèmes qui facilitent les choses et permettent d'être plus efficace, il faut essayer de le faire. C'est dans cet esprit que, lors de la dernière séance du Comité interministériel à la ville, après le travail qui a été fait par Marc-Philippe Daubresse au cours des Assises de la ville, nous avons travaillé autour des Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS).

Au cours de mes rencontres avec l'ensemble des acteurs de la politique de la ville, tout le monde nous a dit que, quelles que soient les imperfections des contrats de ville  et je souligne à cet égard la grande qualité du rapport de Pierre André qui nous a beaucoup inspirés pour le contrat urbain de cohésion sociale , il nous semblait important d'être en mesure de mettre en place une contractualisation à l'échelle d'un territoire, dont l'intérêt est d'avoir maintenant les moyens de s'installer dans la durée.

En d'autres termes, nous souhaitons faire en sorte qu'au plan local, le maire ou le président de l'agglomération  il appartient aux élus de le déterminer localement en fonction des spécificités locales , avec le représentant de l'Etat qu'est le préfet, puisse bâtir ces contrats dont la logique est la suivante. Nous avons voulu reprendre les thématiques que vous avez tous évoquées à un moment ou un autre, qu'il s'agisse de l'éducation, de l'accès à l'emploi, de la citoyenneté ou de l'accès à la santé, tout le travail qui est fait au quotidien avec l'ensemble des associations, pour contractualiser sur une période plus longue, c'est-à-dire sur trois ans, avec un système d'évaluation annuel qui peut être mis en place localement à l'intérieur d'une enveloppe unique.

L'intérêt, c'est que ce sont, localement, les élus et le préfet qui font le bilan de l'action et qui se rendent compte que telle action a très bien fonctionné et qu'elle a besoin d'être un peu boostée ou que telle autre a besoin d'être suspendue parce qu'elle ne correspond pas aux besoins. A l'intérieur de ce programme et de ce contrat, il y aura cette possibilité par la fongibilité.

C'est la raison pour laquelle nous avons voulu, pour l'exercice 2007 et pour trois ans, mettre en place ces nouveaux contrats qui permettent d'ajouter le pendant humain de l'Agence de rénovation urbaine par une approche mieux structurée, une approche de confiance vis-à-vis des associations.

Nous avons tous entendu ces acteurs de terrain expliquer à longueur de journée qu'ils cherchent des financements du 1 er janvier au 30 juin, qu'ils commencent à les recevoir en octobre et qu'en novembre, on leur demande des évaluations. C'est sur ce point que nous voulons changer la donne en leur permettant de s'inscrire dans la durée. Cette année, nous avons essayé de faire un effort en matière de délégation de crédits. Comme nous étions en première année de la LOLF, ce n'était probablement pas la meilleure année, mais je souhaite que nous continuions, avec la délégation interministérielle, à déléguer les crédits beaucoup plus tôt pour que les associations, sur le terrain, disposent des crédits de fonctionnement dont elles ont besoin.

Je ne reviendrai pas sur l'évolution des budgets que Jean-Louis Borloo a commentée tout à l'heure. Quand on considère l'ensemble des crédits, qu'il s'agisse du FIV, des équipes de réussite éducative, des adultes relais, des programmes Ville-vie-vacances ou de la DSU, on se rend compte que nous disposons maintenant, en matière de politique de la ville, d'un budget qui nous donne les moyens de conduire les actions nécessaires à chacun des territoires. Le PLF tel qu'il est présenté aujourd'hui sur l'exercice 2007 nous permet de nous inscrire dans cette logique. La politique de la ville avait aussi besoin de cette pérennité.

Aujourd'hui, nous sommes sur un ensemble totalement rénové et sur des contrats que nous souhaitons rendre plus lisibles et qui devraient permettre à l'ensemble des acteurs de terrain de se retrouver avec un acteur unique, l'Agence nationale de la cohésion sociale, dont le représentant sur le territoire et le délégué sera le préfet, de telle sorte que, là aussi, la visibilité soit beaucoup plus importante.

Pour autant, nous savons bien que les thématiques restent tout à fait importantes. Dans les différentes missions de l'Agence de cohésion sociale, lorsque nous réfléchissons à d'autres accompagnements  je pense par exemple au service civil volontaire ou à «Défense 2 e chance , nous répondons à un besoin de structures permettant d'accueillir tous ces jeunes qui ont entre 15 et 26 ans. J'ai été frappée de voir ces jeunes, à Montlhéry, il y a quinze jours, m'expliquer qu'après avoir quitté l'école en seconde et cherché quoi faire pendant un an, ils étaient finalement assez contents de trouver une structure dans laquelle ils pouvaient essayer de rebâtir quelque chose et de redémarrer.

En lançant, au côté du service civil volontaire, ce contact avec les associations, nous avons des moyens qui permettent à des jeunes, quel que soit leur intérêt, qu'il soit humanitaire, social ou environnemental, de se montrer à eux-mêmes qu'ils peuvent apporter quelque chose et qu'ils ont toute leur place dans la société. C'est en tout cas le sens de ce programme qui est financé sur une ligne spécifique créée dans le budget 2007 et qui sera gérée par l'Agence de cohésion sociale.

Pour me résumer : des outils réformés et une politique plus lisible pour répondre à des besoins qui restent extrêmement importants.

M. Alex TÜRK, président .- Merci, madame la Ministre. Je passe maintenant la parole aux sénateurs qui souhaitent vous poser des questions.

M. Jacques MAHÉAS .- Madame la Ministre, monsieur le Ministre, j'ai été très sensible au discours de M. Borloo, d'autant plus qu'il nous a décrit une situation qui est assez réaliste. Cependant, que se passe-t-il réellement sur le terrain ?

Nous venons, au Sénat, de traiter de prévention. Il était une bonne idée de faire en sorte que les ministres intéressés (justice, collectivités territoriales, personnes âgées, etc.) soient réunis, mais on a oublié le ministre de l'emploi et le ministre du logement. Or je vous assure que, dans ces quartiers difficiles  je suis moi-même élu de Seine-Saint-Denis , cela me semble être la pierre d'achoppement pour au moins une personne sur deux qui dérive dans la délinquance et qui, grâce à un travail et un logement, pourrait retrouver un équilibre. L'action interministérielle mériterait donc d'être largement élargie sur ces quartiers.

Vous nous avez parlé par ailleurs d'augmentation de la DSU et d'autres fonds, mais la réalité est tout autre. Sur la DSU, c'est exact, sauf peut-être à Pavillons-sous-Bois... (Rires.), mais le maire de Pavillons-sous-Bois, qui m'a d'ailleurs écrit, a constaté que, globalement, la participation de l'Etat au budget des communes difficiles est en diminution...

M. Philippe DALLIER .- Je n'ai pas écrit cela.

M. Jacques MAHÉAS .- ...et que c'était pire chez lui que chez moi. Je lui ressortirai la lettre s'il le souhaite. Si j'en crois le tableau qu'il m'a fourni, elle est en diminution, en tout cas à Neuilly-sur-Marne.

Je suis prêt, monsieur le Ministre, à vous envoyer les participations globales et à comparer les cinq années Jospin avec les cinq années des gouvernements Raffarin-Villepin, tout en considérant que la DSU a augmenté.

Vous ne me ferez pas croire non plus que, s'il n'y avait pas eu les violences urbaines, les associations de terrain qui ont été peu subventionnées n'auraient pas eu de rattrapage. Elles l'ont eu, même si cela n'a pas toujours été le cas. Par exemple, la MOUS de Neuilly-sur-Marne a subi une baisse de 40 % d'une année sur l'autre.

En ce qui concerne ces quartiers, j'ai eu un poste de police à disposition, mais il n'y a quasiment plus personne : je vois peu évoluer la police de proximité et le nombre de policiers en Seine-Saint-Denis a largement diminué. Il manque cinq cents policiers en Seine-Saint-Denis, ce dont a d'ailleurs convenu M. Sarkozy hier puisqu'il a annoncé qu'il allait en mettre trois cents.

Vous dites, madame Vautrin, que vous voulez pérenniser la vie de ces associations, ce qui est une bonne chose, parce qu'il est vrai qu'elles recevaient bien souvent leurs crédits en fin d'année et que les collectivités territoriales devaient assurer le fonctionnement, parfois par des prêts, en plus des subventions qu'elles donnaient.

A cet égard, je citerai le cas des entreprises d'insertion dans le domaine de la restauration, dans lequel nous restons à un taux de TVA de 19,6 %, dont ne se plaignent pas seulement les petits restaurateurs. Il n'empêche qu'elles sont dans une situation de trésorerie épouvantable alors que ces entreprises d'insertion sont une réussite pour presque 100 % des filles et 50 % des garçons.

Le constat que je fais s'applique-t-il uniquement à Neuilly-sur-Marne ou peut-il être généralisé ? Si cela ne concernait que Neuilly-sur-Marne, je serais prêt à vous rencontrer pour que nous puissions gommer cette anomalie.

Je souhaite maintenant revenir sur ce que vous avez appelé le basculement des quartiers dans le domaine positif. Lorsque quelque chose se passe, qu'il y a une prise en main et une restructuration, c'est évidemment positif, mais l'inverse peut se produire. Je citerai à cet égard le quartier des Fauvettes, que je connais bien  je suis maire depuis longtemps  et que nous avons toujours tenu la tête hors de l'eau. Du fait des restructurations urbaines dans le nord du département et des démolitions de logements, on reloge dans ce quartier des familles en difficulté. Ne pourrait-on pas concevoir qu'un quartier classé ANRU ne doit pas recevoir des familles d'autres quartiers qui sont eux-mêmes en restructuration ?

J'ai rencontré moi-même les responsables de l'office HLM concerné pour leur dire que, même s'ils avaient des habitants en difficulté dans ces quartiers, il était difficile de les remettre dans d'autres quartiers en restructuration urbaine.

Je cite un autre exemple. Madame Vautrin, vous êtes venue à Neuilly-sur-Marne pour visiter l'hôpital psychiatrique de Maison Blanche, et vous avez investi des locaux pour y mettre un grand nombre de sans domicile fixe jouxtant ce quartier ANRU.

Je comprends bien que l'on puisse faire ce genre d'opérations sur une ville comme Neuilly-sur-Marne, notamment parce qu'il y a des locaux et aussi parce que, comme vous pourrez me le répondre peut-être, ce n'est quand même pas dans le 16 e arrondissement ou à Neuilly-sur-Seine que vous allez les mettre parce que la fibre n'est pas tout à fait la même. Je le conçois.

Vous êtes venue le matin, mais je peux vous assurer que, si vous étiez venue l'après-midi, vous auriez constaté que ces pauvres gens, qui sont en situation de désespoir, traînent, boivent beaucoup et essaiment dans ces quartiers qui sont déjà en difficulté. Alors que l'on parle de basculement des quartiers, je vois ici un basculement négatif des quartiers.

J'ajoute que cette opération s'est faite sans que l'on prenne évidemment l'attache du maire de Neuilly-sur-Marne, mais je le comprends parce que, quel que soit le maire auquel on se serait adressé, il aurait souhaité, comme moi, que l'on s'occupe de ces gens toute la journée  j'insiste sur ce point  et non pas de les laisser boire de l'alcool près de magasins, ce qui entraîne de graves difficultés, stigmatise ce secteur et n'est aucunement positif.

Je souhaiterais par ailleurs vous poser une question sur ce point d'accueil qui devait durer un mois et que vous avez pris l'engagement de pérenniser pendant six mois. Là encore, ce sont des sans domicile fixe de Paris qui y viennent. Or, ce matin, lorsque j'ai vu une femme seule vivant avec trois enfants, dont des jumeaux, qui avait couché dans l'escalier de son HLM parce qu'elle a été jetée de l'appartement de ses parents, et que je me suis adressé à cette association parce que je n'avais pas d'autre solution, on m'a dit qu'on ne recevait pas de femme avec des enfants à l'intérieur d'un hôpital psychiatrique, ce que je peux comprendre d'ailleurs. Cela dit, la même opération que je condamnais a été faite à Ville-Evrard avec des familles et la Croix Rouge.

Certes, Neuilly-sur-Marne est la cité de l'abbé Pierre au démarrage, nous y avons une fibre sociale et nous sommes prêts à accueillir des gens en difficulté, mais je souhaiterais que vous ne chargiez quand même pas la barque, sans quoi nous ne saurons plus le faire.

Je vous le dis très nettement : malgré votre bonne volonté et le fait que des crédits sont engagés en restructuration urbaine, vous devez essayer de maintenir un fragile équilibre de population. Dans ces quartiers en difficulté, où j'ai une dizaine de sociétés ou offices de HLM et où je ne peux évidemment en aucun cas envoyer du monde pour chaque logement attribué, ne peut-on pas faire du maire le partenaire qui indiquerait les besoins d'un équilibre social dans tel secteur pour l'attribution de logements et dont l'avis pourrait être, sinon prépondérant, du moins pris étroitement en compte ?

Cela dit, je suis content que la ville de Neuilly-sur-Marne ait été retenue dans le programme ANRU et j'ose espérer que cela ira vite et que nous aurons la signature officielle très rapidement (on nous a dit que, pour la signature des différents partenaires, il faut quasiment trois à six mois, ce qui est beaucoup), afin que nous puissions concrétiser cette rénovation urbaine, mais à condition de bien regarder les choses sur le plan humain.

M. Philippe DALLIER .- Madame et monsieur les ministres, je tiens simplement à bien préciser les choses par rapport à ce qu'a dit Jacques Mahéas, parce que je ne voudrais pas qu'il y ait d'ambiguïté. Comme je l'ai dit ici au cours d'une audition précédente et comme je le lui ai écrit, je ne parlais que des villes qui percevaient uniquement la DGF, ce qui est le cas de la mienne, et je lui ai démontré que, sur dix ans, ce qui inclut deux législatures, celle de Lionel Jospin et l'actuelle, les dotations de l'Etat avaient baissé de 10 %. La DGF augmentant d'environ 1 % par an et l'inflation étant d'environ 2 %, le calcul est vite fait. C'est ce que j'ai tenté de vous démontrer et je pense que vous m'avez suivi.

Je suis aussi capable de démontrer  et je vous transmettrai les chiffres  que, pour la Seine-Saint-Denis, mais également pour les Bouches-du-Rhône (j'avais posé la question à Marseille et j'avais reçu les chiffres), lorsqu'on faisait la somme de la DSU augmentée et des crédits déconcentrés de l'Etat, alors que toutes les associations disaient, pour des raisons diverses, que les crédits avaient baissé, on arrivait, au final, à une augmentation. Certes, les maires se retrouvent en partie avec une masse provenant de la DSU plus importante et certains crédits déconcentrés ont baissé, mais le total a augmenté. Avec la rallonge de 168 millions d'euros de 2006 et sa consolidation dans le PLF 2007, il sera évident que la totalité aura très largement augmenté.

Je ferme cette parenthèse, mais je ne voudrais surtout pas que l'on me fasse dire ce que je n'ai absolument pas dit.

J'en viens à une question touchant au débat actuel sur la carte scolaire. Les problèmes d'éducation et de réussite à l'école dès le primaire sont très importants et l'échec scolaire, à mon avis, explique en grande partie le malaise de nos quartiers et l'échec que vivent beaucoup de ces gamins qui vont parfois jusqu'à commettre des actes très graves.

Le débat qui a été lancé m'inquiète un peu en tant qu'élu de Seine-Saint-Denis. En effet, si on me dit tout d'un coup que la carte scolaire saute, que ferons-nous ? Ne serait-ce que pour le primaire, quand les parents se précipiteront en mairie pour nous demander d'inscrire leur gamin dans la meilleure école de la ville (sachant que, quelle que soit la ville, il y a toujours à la fois une « meilleure » école et une école que les gens veulent absolument éviter), si on fait purement et simplement sauter la carte scolaire, j'aimerais que l'on m'explique comment les élus locaux pourront gérer les choses, et c'est encore plus vrai pour les collèges et les lycées.

Dans le département de la Seine-Saint-Denis, on connaît un phénomène d'évitement évident, auquel s'ajoute le succès croissant et embellissant des établissements privés. Les parents qui ont les moyens de le faire se précipitent alors pour inscrire leurs enfants dans des écoles ou des collèges privés et cela entraîne des situations extraordinaires : les gens paient pour avoir 35 élèves par classe alors que, dans ma ville, comme je l'ai encore constaté à la rentrée, j'ai une école en ZEP avec une moyenne par classe de 21 enfants, ce qui est très acceptable, et que, dans l'école la plus chargée, je dois avoir 25 gamins en moyenne.

Ce sont des chiffres corrects. Pour autant, les parents préfèrent payer. J'ajoute que, même dans une commune qui, comme la mienne, est encore relativement équilibrée, on voit une fuite du primaire vers le privé parce que les parents anticipent le collège et le lycée.

On voit bien que le problème de la carte scolaire est clairement posé et existe, mais je n'ai pas la recette miracle et je voudrais donc savoir ce que vous en pensez.

Mme Raymonde LE TEXIER .- Madame la Ministre, monsieur le Ministre, je voudrais faire une observation et soulever deux ou trois points à propos desquels j'aimerais avoir votre point de vue.

Mon observation porte sur la discrimination à l'embauche, que vous avez évoquée, monsieur le Ministre, en disant que c'était peut-être là qu'il y avait le plus d'efforts à accomplir et que c'était une affaire de consensus républicain. Je partage à 100 % votre point de vue.

Vous avez parlé des chartes qui ont été signées avec des grosses entreprises. Il faut savoir qu'au-delà des quelques entreprises importantes qui ont signé cette charte, on continue, dans les sites sensibles  je suis dans l'est du Val-d'Oise  de nous répondre : « Désolé, madame, mais, chez moi, c'est exclusivement du bleu blanc rouge ! » Ce problème de la discrimination à l'embauche a des conséquences ravageuses dans les quartiers, non seulement pour les jeunes qui n'ont pas de formation, ceux qui tiennent les murs et qui se font claquer la porte au nez de tout type d'entreprises, même lorsqu'ils postulent à un emploi d'entretien, mais aussi pour ceux qui ont un bac + 4 ou bac + 5 et auxquels on ne répond même pas à leur CV s'ils n'ont pas le bon nom ou la bonne adresse, y compris dans le Val-d'Oise et à huit kilomètres de la zone aéroportuaire de Roissy, malgré les discours que tiennent les DRH.

Cela entraîne un sentiment d'abandon et de désespoir. La violence se nourrissant du désespoir  il n'est pas nécessaire de faire une thèse pour le savoir , si nous ne trouvons pas de solution pour l'enrayer, cela va sauter à nouveau et, à mon avis, plus fort et plus longtemps.

La deuxième conséquence que nous observons dans nos villes, et en tout cas dans la mienne, c'est un repli communautaire sans précédent. Les jeunes filles que j'ai vues il y a deux ans en minijupe dans la main de leur petit copain sont aujourd'hui voilées, en noir de la tête au pied. J'en voyais même une ce matin qui n'arrivait pas à descendre les marches pour prendre son train parce que la fente qui devait libérer ses yeux était si étroite qu'elle ne voyait pas ses pieds. Elle suivait respectueusement son jeune époux à un mètre.

Le discours de ces jeunes est finalement assez clair : « Je suis né ici, j'étais à l'école avec vos enfants, j'ai fait des études et je n'arrive pas à trouver du travail ; puisque vous ne voulez pas de nous avec notre différence, nous nous replions sur notre communauté », ce qui est à mon avis gravement explosif.

J'en viens à mes questions, qui touchent à des problèmes qui ont déjà été évoqués en filigrane.

La première a trait au mythe de la mixité sociale, sur laquelle nous avons un discours complètement déconnecté de la réalité. Dans les quartiers, quoi que l'on fasse, quelle que soit la bonne volonté de chacun et quoi qu'il ait été dit des mesures qui sont mises en place, je crains que tout cela soit sans effet si on ne trouve pas de solution, sachant que, très honnêtement, je ne vois pas quelle solution on peut trouver dans les quartiers qui existent actuellement, c'est-à-dire des lieux où on a construit des logements sociaux par paquets de mille dans les champs de luzerne, à la périphérie des villes, et non pas en leur coeur.

Dans ces quartiers, la mixité sociale n'existe plus depuis longtemps : celui qui a les moyens d'aller ailleurs quitte le quartier qu'il définit lui-même comme marqueur de la relégation sociale, et on voit que celui qui va le remplacer arrive plus ou moins contraint et forcé, parce qu'il n'a pas le choix, parce qu'on ne veut pas de lui ailleurs ou parce qu'il n'a pas les moyens d'aller ailleurs. J'ajoute que la famille qui vient le remplacer a très exactement le même profil sociologique que les voisins qu'elle va retrouver, ceux que son prédécesseur vient de quitter. Cela a pour conséquence des problèmes de ségrégation sociale et d'échec scolaire.

Cela dit, on ne peut pas passer sous silence les quelques expériences qui ont été conduites au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et dont des jeunes sociologues comme Eric Morin ou Georges Felouzis se sont fait l'écho ces derniers temps. Pour décrire les choses rapidement, sachez qu'en Angleterre, une famille qui quitte un quartier sensible pour aller dans un quartier où elle paiera son logement 10 % de plus voit les résultats scolaires de ses enfants progresser de 10 % et qu'aux Etats-Unis, l'enfant qui vit dans une famille dont les parents n'ont aucun diplôme risque deux fois plus d'être en échec scolaire s'il est entouré de familles qui ne sont pas diplômées que si, vivant dans la même famille sans diplôme, il habite un quartier où les autres parents sont diplômés.

J'ajoute cette expérience menée aux Etats-Unis, où on a sorti des familles volontaires de quartiers extrêmement fragiles pour les mettre dans des quartiers plus favorisés, l'Etat prenant à sa charge la différence de loyers : deux ans après, tous ces enfants, qui étaient pauvres et noirs, avaient rattrapé leur retard scolaire et il n'y avait plus d'agressivité ni à l'école, ni au sein de la famille.

Ces exemples prouvent bien qu'hélas, quoi que l'on fasse, si on laisse entre eux des gens qui présentent les mêmes profils socio-économiques et qui sont tous en difficulté, on continuera de les tirer vers le bas. Je crains donc que nous nous battions contre des moulins à vent malgré notre volonté à tous, en particulier la vôtre en ce moment puisque c'est vous qui êtes « aux affaires », de tirer tout cela vers le haut. Je suis pessimiste et cela me fait extrêmement peur.

Ma question suivante concerne la police dans ces quartiers. Nous constatons tous, au-delà des écrits officiels, que les policiers ne sont pas assez nombreux, trop jeunes et insuffisamment encadrés. Je ne souhaite pas polémiquer sur cette fameuse police de proximité à laquelle on a mis très rapidement un terme, mais je vous assure que, pour l'avoir vécue, sur le terrain, elle n'était pas si mal que cela. Il en est de même pour les maisons de la justice et du droit, qui permettaient de faire un rappel à la loi immédiat, qui sont en train de fermer les unes après les autres et qui n'étaient pas une solution stupide non plus.

Ma dernière observation a trait à la scolarité. J'ai dit l'essentiel en vous citant quelques exemples relatés par d'autres avant moi. On tire les choses vers le bas et je partage complètement les angoisses de notre collègue sur le problème de la carte scolaire : cette histoire ne tient pas debout car on risque encore de favoriser les ghettos. Il n'empêche que, en concentrant les enfants qui sont dans des familles en difficulté et qui cumulent tous les handicaps dans les mêmes lieux, les mêmes causes produisant les mêmes effets, je crains que les problèmes soient encore devant nous, quoi que l'on fasse.

J'ouvrirai quand même une petite parenthèse pour les ZEP. Là aussi, nous avons connaissance d'autres expériences ailleurs : malgré des enseignants pleins de bonne volonté, s'il s'agit d'avoir 24 enfants au lieu de 26, ce n'est pas ce qui va changer fondamentalement la question. Vous savez bien qu'ailleurs, on trouve des quartiers dont les écoles ne sont pas à 80 % en ZEP avec 8 % de moyens supplémentaires, mais 8 % d'écoles en ZEP avec 80 % de moyens supplémentaires. On dispose ainsi d'expériences aux Etats-Unis avec quatorze enfants par classe et trois adultes, voire quatre, qui travaillent en même temps avec les enfants et les familles et qui obtiennent de vrais résultats, mais on se heurte ici à l'impossibilité de toucher à l'éducation nationale.

M. Jean-Paul ALDUY .- Je vais essayer de vous donner une petite note d'espoir. Sinon, il faut arrêter de faire de la politique. Chez nous, la maison de la justice et du droit sera créée la semaine prochaine.

Mme Raymonde LE TEXIER .- La mienne ferme alors qu'elle a vingt ans.

M. Jean-Paul ALDUY .- Quant à la police de proximité, c'est la police municipale qui la réalise et cela permet à la police nationale de se consacrer à des tâches sur lesquelles elle est beaucoup plus efficace et outillée.

Enfin, sur la carte scolaire, j'avais un collège dans un quartier gitan où il n'y avait plus que deux cents élèves et il y en a aujourd'hui sept cents, de façon totalement diversifiée : on a concentré les Classes à horaire aménagé pour la musique (CHAM) sur ce collège, ce qui fait que toutes les classes sociales de la ville, y compris les plus bourgeoises, ont dû envoyer leurs enfants au coeur des quartiers en difficulté si elles souhaitaient que leurs enfants apprennent le violon. On peut donc le faire.

Mme Raymonde LE TEXIER .- Nous ne vivons pas dans les mêmes villes, excusez-moi.

M. Jean-Paul ALDUY .- J'y arrive, justement. Certains exemples montrent que l'on peut faire quelque chose, mais je ne dis pas que c'est possible partout.

Mme Raymonde LE TEXIER .- Ce n'est pas la même chose.

M. Jean-Paul ALDUY .- Je pense que la grande difficulté française qui fait que ces quelques exemples ne sont pas forcément généralisables est liée au fait qu'il n'y a pas de gouvernance des villes. La région de Cologne est capable de mettre en oeuvre le droit au logement opposable, et non pas l'hébergement, sans loi, tout simplement parce que, dans cette région, on a fusionné quarante communes et on a 1 200 000 habitants sur un territoire pertinent avec un maire qui dispose de toutes les compétences, y compris sociales.

En France, en revanche, les communautés diverses et variées ont des compétences et des périmètres flous, multiples, morcelés et en évolution : le département s'occupe de l'aide sociale et nous avons en plus la communauté urbaine, la commune, la région et l'Etat (dans toutes ses composantes) qui ont chacun leurs compétences. Résultat des courses : il n'y a pas de gouvernance des villes.

J'en viens à la question que je souhaitais donc vous poser, monsieur le Ministre : n'avez-vous pas le sentiment, après ces années d'efforts et de combats acharnés que vous avez menés et avec les succès que vous avez rappelés et que vous me permettrez de rappeler à mon tour, qu'un préalable n'a toujours pas été traité en France : le problème de la gouvernance des villes ? A partir de là, vous ne savez pas sur qui vous appuyer. En ce qui concerne les CUCS, vous le faites sur les maires parce que vous n'avez pas de compétence sur les agglomérations. L'ANRU travaille avec les maires, à quelques exceptions près, parce que les agglomérations n'ont pas la compétence.

Ce matin, le conseil d'administration de l'ANRU a indiqué qu'il allait transférer par délégation le financement des projets ANRU aux communautés d'agglomération ou aux communautés urbaines quand elles seront volontaires pour accélérer les financements et éviter de suivre le circuit qui passe par le secrétaire général, la DDE, l'ANRU, etc., qui est complexe et dont les difficultés sont ressenties par les uns et les autres.

J'irai même plus loin. En province, nous avons un début de gouvernance des villes : les intercommunalités existent partout, parfois depuis longtemps, et elles ont des blocs de compétences qui se sont renforcés, ce qui permet de faire des choses.

Pour moi, le pire est la région parisienne. J'ai passé trente ans en région parisienne dans l'administration de la ville, je suis maintenant en province depuis douze ans et je suis impressionné par le retard qu'a pris la région parisienne en matière de gouvernance. Pour moi, la région parisienne est un gros tiers du problème que nous posons.

Ma question sera donc la suivante, monsieur le Ministre : n'avez-vous pas le sentiment qu'il est temps, dans la période intéressante que nous connaissons sur le plan électoral, que les différents partis politiques et les différents candidats posent la question de la gouvernance urbaine alors que je n'ai vu dans aucun des programmes de gauche ou de droite poser cette question de la gouvernance urbaine ? Je pose cette question à un ministre qui vient de passer quelques années sur ce sujet et je voudrais qu'il nous livre son diagnostic sur cette question.

Mme Marie-Thérèse HERMANGE .- Monsieur le Ministre, je voudrais revenir sur les derniers propos de ma collègue, qui a suggéré la nécessité de travailler conjointement avec les enfants et les familles, ce qui me paraît fondamental. J'ai en tête l'expérience que nous avons conduite à Paris, au fin fond du 18 e arrondissement, pour l'apprentissage de la lecture dès la PMI, dans des crèches, en nous adressant à des populations et des nationalités très différentes, dans le but de donner aux parents le goût de faire un parcours éducatif ensemble.

J'insiste sur ce point parce que, à l'école, comme des études l'ont prouvé, lorsque l'enfant se trouve confronté à deux courroies de transmission et d'autorité qui, parfois, n'en sont plus parce que ni l'une ni l'autre ne sont lisibles, il se trouve confronté à un conflit et doit faire un choix entre ses deux pères que sont la famille et l'école. C'est ainsi que, là où il n'y a pas une éducation comme à la maison, les problèmes risquent de devenir plus graves par la suite. Je pense donc qu'il est fondamental de travailler très tôt en la matière.

J'ajouterai une observation sur l'intervention de notre collègue Alduy. Il est vrai qu'il y a une problématique particulière en région parisienne, mais avec un atout fondamental à Paris : on est à la fois  c'était mon cas  conseiller général et conseiller municipal. J'avais la responsabilité du CHU, mais on ne pouvait rien faire pour pratiquer différentes politiques, notamment pour les publics les plus précaires. Cela étant, il est vrai que la problématique de la région parisienne est très spécifique en matière de gouvernance.

M. Pierre ANDRÉ, rapporteur .- Madame et monsieur les ministres, je partage ce que vous avez pu dire sur la situation actuelle et, ayant défendu les lois que vous avez présentées, j'y souscris tout à fait. Je regrette simplement de ne pas l'avoir fait avec encore plus de vigueur, parce que la réussite est sur le terrain.

Nous sommes en train de préparer le rapport d'une mission d'information qui est composée d'un certain nombre de collègues qui ne sont pas tous présents aujourd'hui, nous nous sommes rendu dans la France entière et j'en tirerai deux grands constats qui ne feront pas forcément plaisir ici parce que, si vous considérez la composition de notre mission, vous constaterez la surreprésentation de la région parisienne et, en particulier, de la Seine-Saint-Denis. Ce n'est pas gênant puisque nos collègues nous ont aidés à mieux prendre conscience des difficultés de la Seine-Saint-Denis et de la région parisienne. Nous sommes allés sur le terrain, à Clichy-sous-Bois, à Montfermeil et dans un certain nombre de communes.

Je ne vais pas aborder aujourd'hui les propositions que nous ferons et que j'ai envie de faire à la mission d'information, mais je pense que, si nous ne traitons pas à part le cas de la Seine-Saint-Denis avec une politique discriminatoire, ou en tout cas différente, et s'il n'y a pas, pour la région parisienne, une prise de décision forte, ce n'est pas la peine d'aborder le problème de la politique de la ville en France.

Je vous le dis franchement : l'Ile-de-France et la Seine-Saint-Denis, malgré les difficultés que connaissent ces territoires  vous pouvez à cet égard lire Le Monde daté d'hier soir , apparaissent comme des enfants gâtés si on considère la richesse de ce département et de cette région par rapport à ce qu'ils coûtent à la France et au contribuable français. Certes, vous avez des difficultés, mais vous avez aussi des moyens beaucoup plus importants que nous ne pouvons pas avoir, nous, dans la plupart des communes et des villes françaises. J'aimerais bien que des études soient faites sur le potentiel fiscal de ce département ainsi que sur les dépenses qui y sont engagées et sur le montant de la fiscalité qui est payée par la population de la Seine-Saint-Denis en les comparant à la plupart de nos villes.

Cela dit, je ne suis pas ici pour faire la guerre à la Seine-Saint-Denis mais pour demander de faire plus et différemment pour ce département. En effet, on se rend bien compte que l'on ne peut pas, de Perpignan à Strasbourg, de Lille à Marseille ou du Havre à Grenoble, appliquer à l'ensemble du territoire français la même politique pour régler les problèmes de la ville. Aujourd'hui, nous devons pratiquer de la chirurgie et travailler de façon très fine, et Jean-Paul Alduy a bien fait de le souligner.

Dans les vraies questions que nous devrons nous poser aujourd'hui  cela fait partie des propositions que je vous ferai , figure le problème de la gouvernance de la politique de la ville. Donnons plus de poids à ceux qui décident au sommet et à ceux qui sont directement concernés, c'est-à-dire aux maires. Ce sont eux, les piliers de la politique de la ville !

Je ne le lis pas sur des papiers ou des rapports ; je l'ai vu dans toutes les villes étrangères que nous avons visitées, que ce soit à Londres, à Barcelone, à Kaiserlautern ou à Rotterdam. Lorsque le maire est véritablement au centre de la politique de la ville, qu'il peut travailler la main dans la main avec l'Etat représenté par son préfet et que nous avons, comme on le voit en ce moment, ce qui n'a pas toujours été le cas, une équipe qui se consacre à la politique de la ville, avec un ministre qui est un homme de poids, une ministre de la ville et un pôle de cohésion sociale, nous pouvons apporter une réponse aux problèmes de la politique de la ville.

En revanche, quand, à une certaine époque et sous un certain gouvernement, nous avons eu un secrétaire d'Etat ayant en charge la responsabilité de la ville, cela ne pouvait pas fonctionner. En effet, pour que la politique de la ville soit efficace, il faut un ministre qui ait suffisamment d'autorité, qui puisse gagner les arbitrages face à Bercy et qui soit l'homme clé de la politique de la ville.

Je crois donc énormément à cet axe de gouvernance de la politique de la ville. Je pourrais encore vous dire beaucoup de choses, mais vous n'auriez plus aucun plaisir à lire notre rapport, monsieur le Ministre, et je m'arrêterai donc là.

M. Alex TÜRK, président .- Cela fait quelques questions que je vous transmets, monsieur le Ministre.

M. Jean-Louis BORLOO .- Je commencerai par quelques remarques d'ordre général, en étant un peu navré qu'une mission de réflexion se transforme en quelques piques concernant les crédits. Je pense vraiment qu'il va falloir changer de niveau de diagnostic.

Monsieur Mahéas, vous êtes un très honorable sénateur et vous connaissez parfaitement la situation budgétaire de ce pays. Il ne vous aura donc pas échappé que la politique de la ville, en 2002, représentait 291 millions d'euros, dont 37 pour la rénovation urbaine, et qu'en 2007, elle en représentait 769 millions, compte non tenu des 465 millions d'euros par an de rénovation urbaine dans les quartiers.

M. Jacques MAHÉAS .- En 2002, c'était votre budget : il ne faut pas l'oublier.

M. Jean-Louis BORLOO .- Pas du tout : c'est votre budget qui a été présenté, mais je veux bien remonter à 2001 : c'est pire, puisque ce sont les mêmes chiffres et qu'il n'était prévu que 28 millions d'euros pour la rénovation urbaine au lieu de 37 !

En vous disant cela, je ne fais pas le malin, parce que j'estime que les problèmes auxquels nous sommes confrontés méritent un débat beaucoup plus approfondi, mais je ne peux pas laisser cela dans les documents sans y répondre.

Par ailleurs, monsieur Mahéas, vous avez évoqué un point sur lequel je suis d'accord avec vous : le logement. Il est vrai que, parmi les problèmes des quartiers, la politique du logement, comme celle de l'emploi, est cruciale. Cependant, vous parlez de l'équilibre des populations des quartiers et des difficultés que vous rencontrez avec l'un de vos offices de HLM. Si c'est le cas, ce que je regrette, c'est un problème de relation entre vous-même et les offices, qui s'est aggravé du fait que l'offre de logement social en France a été scandaleuse pendant une demi-décennie. Dois-je vous rappeler, monsieur l'honorable sénateur, que les chiffres noirs du logement social financé en France datent de 1999, avec seulement 38 000 logements sociaux construits sur le territoire national, c'est-à-dire sur toute la France ? Pendant cinq ans, on a tourné aux alentours de 40 000 à 42 000 logements sociaux et on a même atteint 44 000, ce qui était alors un exploit, et cette situation a créé une tension très grave sur le logis en France. Nous en sommes à 96 000 logements sociaux cette année et nous dépasserons les 100 000.

Sur l'offre de logement, même si je suis d'accord sur le fond de votre remarque, dois-je vous rappeler que, pour offrir à tout le monde une palette plus large, encore faut-il construire et que, à la même époque, vous construisiez 277 000 logements, tout compris, en France alors que nous en sommes à 545 000 permis de construire cette année. Je vous dis cela parce qu'il faut que nous traitions le sujet principal au bon niveau. Nous pouvons avoir des expressions, des inquiétudes, des sensations et des préconisations différentes, mais c'est un débat qui, je crois, mérite de ne pas tomber dans ce type de discussions.

En ce qui concerne l'acquisition par votre mairie, monsieur le Sénateur, de l'établissement concerné, je laisserai répondre Mme Vautrin, qui connaît ce sujet beaucoup mieux que moi.

Enfin, la ville de Pavillons-sous-Bois fait effectivement partie de ces villes qui sont dans un territoire complexe et qui, de par leur taille et leur structure, ne peuvent bénéficier d'aucun des dispositifs, ni de l'Etat, ni des régions, ni des départements. Cela fait partie de ces oubliés de la République qui ne sont dans aucun des modèles administratifs français. Il est vrai que cette ville ne bénéficie pas de la DSU : c'est un fait. En réalité, il faudrait une DSU départementale en ce qui concerne la Seine-Saint-Denis.

Vous avez évoqué par ailleurs, madame Le Texier, des choses très fortes sur le mythe de la mixité sociale et le repli communautaire, et M. le sénateur Dallier nous a interrogés sur la carte scolaire. Que fait-on, en fait, au-delà des choses qui sont lancées ?

Il est peu discutable que l'organisation actuelle de la carte scolaire a tendance à dupliquer les mêmes ségrégations territoriales. Nous savons à peu près tous que les plus informés peuvent le mieux biaiser, pour le dire de cette façon. Cependant, une totale liberté d'inscription serait absolument ingérable.

Nous avons eu cette discussion ici même il y a deux ans. Je reste convaincu que le premier problème est celui de l'enfermement de l'établissement scolaire dans le quartier. Je suis également convaincu que c'est moins un problème de population intrinsèque que le fait de rester culturellement dans le quartier.

A cet égard, j'évoque l'exemple de l'école maternelle et élémentaire de Bron, une ville gérée par une dame tout à fait remarquable. Nous sommes là dans le symbole absolu. En réalité, l'école est strictement au milieu du quartier à un point tel que, pour aller directement du hall de l'immeuble à la classe, lorsque l'école était fermée, les quatre murs ont été défoncés afin de passer directement de la chambre à coucher à la classe, en y descendant en appareillage d'appartement, si vous voyez ce que je veux dire.

Cet exemple est excessif, mais l'idée de construire l'école dans le quartier, en termes de ségrégation urbaine, tant que l'on n'a pas réglé le problème de la fluidité, est une erreur très grave. Il faut savoir que 200 mètres suffisent à changer la donne. Le fait de traverser la grande avenue pour aller de l'autre côté change complètement la donne en termes comportementaux. Lorsque l'école est au milieu, ce sont les règles du quartier qui l'imposent et non pas les règles de l'école. Il y a donc évidemment un sujet physique et également un sujet d'inscription.

On sait bien qu'en matière de rénovation urbaine, si on change radicalement le quartier, on change la fluidité, sauf si l'école continue à avoir la même réputation, car pas un parent ne sacrifie l'avenir de ses enfants ou l'idée qu'il s'en fait.

Premièrement, je suis convaincu qu'il faut faire un travail sur la géographie physique, qui est à la fois un problème monstrueux et peu de chose. En effet, si cela consiste à construire quatre ou cinq cents bâtiments à 500 ou 800 mètres pour faire un peu de mixité voulue à l'échelle d'un pays, cela ne me paraît pas être absolument extravagant. Même si la compétence est, à certains égards, communale ou départementale, c'est un problème national.

Deuxièmement, je pense qu'il doit y avoir une priorité de choix au moins provisoire pour le quartier et non pas une liberté totale, sans quoi nous allons nous retrouver dans une situation strictement ingérable.

Sur votre pessimisme que je partage à certains moments, madame la sénatrice, je pense que la mixité est le mot du désarroi car cela rejoint l'idée selon laquelle il y aurait des gens moins bien que d'autres. Je ne partage pas cette idée : je pense qu'il y a des conditions de vie plus compliquées et moins favorables qui créent les situations difficiles et les tensions. Tout le monde sait que l'un des facteurs majeurs de réussite ou d'échec scolaire vient des conditions d'habitat de l'enfant. Toutes les études qui sont sorties à ce sujet sont spectaculaires. C'est pourquoi le problème n'est pas lié à l'école en tant que telle mais à son environnement qui concerne les enfants.

Puisque vous prenez des références américaines, je citerai un programme exemplaire qui a été salué dans le monde entier : un programme américain qui s'intitule le Peri Preschool Program et qui correspond exactement aux équipes de réussite éducative. En fait, il vaudrait mieux parler d'équipes d'embrassement ou de soutien de l'enfant dans ce qu'il est par rapport aux conditions de la famille et aux rapports qu'il a avec ses parents. Je faisais dernièrement allusion, dans le 18 e arrondissement, à Mission possible, qui tend à associer les parents à l'éducation de l'enfant.

La mixité est presque un mot qui ne dit pas que l'on a gagné. Dans ce mot, on veut presque dire qu'il faut mélanger du bien avec du moins bien et il est vrai qu'on l'utilise beaucoup. Je pense qu'il vaut mieux parler de fluidité. Faire en sorte de supprimer une barrière, en 80, 100 ou 150 mètres, entre un lieu global de vie et un territoire donné est une chose possible, mais cela se fait sur la liberté.

Les exemples, qui ne sont peut-être pas universels, dans lesquels la masse critique de transformation a été suffisante ont abouti à une réappropriation volontaire, en général par de l'accession sociale à la propriété. Je peux prendre à cet égard l'exemple de la Duchère, qui est très symptomatique : aujourd'hui, les programmes d'accession à la propriété se développent considérablement et ce quartier est en train de gagner son pari. C'est vrai aussi du Chemin Vert, à Boulogne, des hauts de Montereau-Surville, de Chanteloup, où nous avons énormément des transformations, et aussi de Valenciennes, où le quartier de la Briquette a radicalement changé et fait partie de ceux qui sont les plus demandés de la ville.

Je pense comme vous, madame la sénatrice, que nous touchons un sujet très compliqué. La seule façon d'aller vers le règlement est, d'une part, d'offrir l'ensemble des dispositifs de logement de manière très large et, d'autre part, d'offrir dans ces quartiers un niveau de prestations, de visibilité et donc de symbole meilleur que dans le reste du territoire de référence.

Enfin, j'en viens au problème de la gouvernance. Je suis absolument convaincu que nous avons un problème de gouvernance, notamment en Ile-de-France. Lorsque, pour dire les choses simplement, nous avons un quartier qui cumule tous ces problèmes et qui est porté par une agglomération de province ou une ville centre puissante, la bataille on doit gagner cette bataille.

En revanche, lorsqu'il s'agit d'une juxtaposition de terrains plantés là, comme vous le disiez, sans que l'on sache pourquoi, ou une juxtaposition de villes qui ne sont en réalité que ces quartiers  c'est le cas, en partie, de la Seine-Saint-Denis , où la taille du problème est aussi gros que la taille de la ville support, nous avons manifestement un problème de gouvernance globale. C'est le cas de l'Ile-de-France et ce que je dis n'est pas une critique à l'institution régionale : ce n'est pas le niveau de mon propos.

Cependant, je suis convaincu que, comme les institutions ne vont pas changer radicalement dans les quinze jours, seul un programme exceptionnel en Seine-Saint-Denis et quelques sites complémentaires d'Ile-de-France permettront d'arriver à quelque chose.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire dans cette même salle il y a trois ans, c'est à cause des problèmes de gouvernance que nous avons proposé au Conseil général de Seine-Saint-Denis un diagnostic partagé sur la rénovation urbaine de ce département en saisissant deux cabinets sur ce point, et il est vrai que nous avons constaté les difficultés et les enjeux de pouvoir auxquels était confrontée l'Ile-de-France. Même cela a été compliqué ; cela s'est fait, mais à condition que cela ne se sache pas, parce qu'on considérait qu'en matière de programme de rénovation urbaine, la Seine-Saint-Denis était le territoire prioritaire des territoires prioritaires. Si ma mémoire est bonne, nous avons d'ailleurs consacré 6 milliards d'euros spécifiquement sur le programme de Seine-Saint-Denis.

Nous avons là un problème d'ingénierie et de gouvernance, et je pense que c'est une totale réalité qui est assez difficile à juguler.

Il est vrai que, vu de loin, c'est-à-dire en dehors de l'Ile-de-France, il est paradoxal de constater qu'il s'agit de populations qui sont en grande fragilité avec des institutions riches. Les institutions publiques sont riches, effectivement. En même temps, elles se disent que, si elles mettent la main dans ce problème, elles ne vont pas y arriver. Cela fait un système dans lequel on tourne un peu en rond.

Ce n'est donc pas un problème de moyens mais un problème de méthode et de pacte républicain. Tout le monde pourrait comprendre qu'il y ait des mesures particulières, mais elles devront aller loin. En effet, j'espère que l'exemple des entreprises « bleu blanc rouge » est très limité, mais je sais bien que ce sujet des origines territoriales existe et que, si nous ne lançons pas des mesures puissantes, nous connaîtrons encore cette difficulté pendant longtemps.

Il est donc vrai que nous avons un problème de gouvernance en Ile-de-France.

M. Alex TÜRK, président .- Merci, monsieur le Ministre. Je vous informe que le rapport du rapporteur sortira dans moins d'un mois.

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