c) Dans la Méditerranée

En Méditerranée, la France est exposée à la fois au risque de tsunamis régionaux en provenance de l'Algérie et au risque de tsunamis locaux liés à un séisme en mer Ligure ou à un glissement de terrain dans la zone comprise entre Nice et Vintimille. Confrontées à des délais de réaction courts, le centre national d'alerte aux tsunamis, pour être efficace, a intérêt à être géré par un organisme scientifique capable d'affiner en moins de 15 minutes le message d'alerte régional 63 ( * ) 24h sur 24, 7 jour sur 7 et de le transmettre au centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) et aux autorités de protection civile régionales et locales, le cas échéant.

Le CEA a vocation à se charger de cette mission puisqu'il assure déjà l'alerte auprès des autorités françaises en cas de séisme de magnitude supérieur à 4 sur le territoire national, qu'il héberge le centre sismique euro-méditerranéen et qu'il constitue un organisme de référence en matière de simulation de tsunami, d'évaluation de l'aléa et de gestion de l'alerte aux tsunamis en Polynésie française. Comme les côtes françaises sont soumises au risque de tsunami dans plusieurs bassins, on pourrait imaginer que le futur centre national d'alerte gère à la fois les alertes en Méditerranée, dans les Caraïbes 64 ( * ) et dans l'océan Indien.

Par ailleurs, puisqu'il devra être destinataire de toutes les données en provenance des stations sismiques et des stations de mesure du niveau de la mer (marégraphes et tsunamimètres), il pourrait assumer le rôle de centre régional d'alerte aux tsunamis, sachant que la responsabilité ultime de déclencher l'alerte revient aux autorités nationales.

Lors du colloque international organisé à Nice en février 2005, le ministre de l'écologie de l'époque, M. Serge Lepeltier avait estimé que le centre sismologique euroméditerranéen constituait « une structure prédisposée pour jouer un rôle majeur dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'un système d'alerte sur le bassin méditerranéen . ».

En avril 2006, le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Nicolas Sarkosy, avait demandé à l'administrateur général du CEA si ce dernier pourrait assumer la fonction de centre régional d'avis au tsunami pour la Méditerranée. Le CEA avait alors donné son accord de principe 65 ( * ) , à condition de disposer des moyens humains et financiers adéquats.

Concrètement, la proposition du CEA faisait référence à deux types de dépense :

- les frais d'investissement initiaux (2,7 millions d'euros pour le CEA) : il s'agit essentiellement de l'adaptation de certaines stations sismiques du CEA, de l'acquisition d'un système de réception SMT ; du développement de logiciels sismiques très rapides (2 à 6 minutes) ; de l'intégration des logiciels de réception des données et des messages du SMT ainsi que de l'intégration des logiciels de visualisation en temps réel des données marégraphiques ; du développement des logiciels d'acquisition des données des stations sismiques hors CEA. Cette somme ne comprend pas les équipements sismiques des stations existantes à l'étranger à l'exception du coût des antennes VSAT, la mise à niveau de la station de Madères avec l'université de Lisbonne et la création d'une station sismique aux Açores. Les coûts liés à l'installation de 20 marégraphes et de 6 tsunamimètres sont évalués à 2,4 millions d'euros 66 ( * ) ;

- les frais de fonctionnement (3,5 millions d'euros) : ils correspondent en grande partie aux dépenses supplémentaires en personnel liées à la mise en place d'une équipe de permanence 24 h sur 24 ; sont également compris le coût des transmissions par VSAT et de l'entretien des équipements correspondants, la maintenance et l'évolution des moyens de traitement et de diffusion de l'alerte, le stockage des bases de données, la mise à jour des modélisations de scénarios et les coûts engendrés par la participation aux réunions du GIC/SATANEM. Le coût de la maintenance des marégraphes et des tsunamimètres est évalué à 310 000 euros par an.

Or, depuis l'envoi officiel de la proposition technique du CEA aux ministères concernés 67 ( * ) en novembre 2006, aucune négociation concrète n'a débuté. Certes, plusieurs réunions se sont tenues au niveau des services techniques, mais elles n'ont pas pu aboutir. En effet, jusqu'à la session de Lisbonne du 20-23 novembre 2007, aucune décision politique n'avait été prise sur la nature de la contribution française au système d'alerte aux tsunamis et sur les crédits à y consacrer, laissant sans réponse des questions aussi essentielles que :

- est-ce que la France, par le biais du CEA/CSEM, sera centre régional d'alerte aux tsunamis dans la Méditerranée et, dans l'affirmative, pour quelle zone géographique 68 ( * ) ?

- si la France ne souhaite pas devenir centre régional, créera-t-elle quand même un centre national d'alerte aux tsunamis et quelle sera sa configuration ?

- dans quelle mesure la France souhaite participer à la mise à niveau des marégraphes existants sur son territoire et à l'installation de marégraphes et de tsunamimètres au large de l'Algérie pour protéger ses côtes ?

Or, les incertitudes pesant sur la contribution réelle de la France au système d'alerte aux tsunamis en Méditerranée placent la délégation française dans une position particulièrement inconfortable : faute de directive ministérielle précise et en l'absence de crédits dédiés à la prévention du risque de tsunami, la délégation française ne peut faire aucune proposition qui engagerait la France financièrement.

Les représentants des administrations et des organismes de référence qui la composent ont ainsi atteint les limites de leurs compétences : ils ont pu accomplir correctement leurs missions tant que les réunions du GIC/SATANEM consistaient d'une part à dresser la liste des travaux scientifiques réalisés dans le domaine de l'évaluation de l'aléa et, d'autre part, à faire le bilan quantitatif et qualitatif des instruments de mesure sismiques et marégraphiques dans chaque Etat.

Toutefois, depuis la session à Bonn, le projet de système d'alerte aux tsunamis dans la Méditerranée est passé en phase de réalisation, chaque nouvelle réunion donnant lieu à la présentation par les Etats de leurs réalisations concrètes. Ainsi, l'Italie a annoncé à Bonn qu'elle assurerait la collecte et le traitement permanent des données sismiques en provenance des mers situées autour de l'Europe. Les bulletins d'information sur les tsunamis seraient diffusés par l'INGV (Instituto Nazionale di Geofisica et Vulcanologia).

En revanche, les organismes scientifiques français refusent de s'engager en l'absence d'engagement financier de la part du gouvernement et d'instruction officielle. La question de la mise à niveau des marégraphes est révélatrice. Le SHOM gère 23 marégraphes en métropole, dont 5 en Méditerranée, mais seul celui du Conquet transmet ses données en temps réel. Dans la mesure où le passage en temps réel ne constitue pas une priorité pour ce service et qu'aucun moyen complémentaire ne lui a été accordé pour accélérer la mise à niveau des marégraphes et assurer leur maintien en condition opérationnelle, la plupart des données des marégraphes français ne seront pas exploitables en 2010, date à laquelle le système d'alerte aux tsunamis en Méditerranée devrait être opérationnel.

Le fait que depuis la démission de l'ancien directeur du laboratoire Géoscience-Azur comme contact national en juin dernier, la France n'ait pas été capable de le remplacer témoigne également du blocage de la situation : officieusement, les membres de la délégation française sont unanimes pour affirmer que cette mission devrait incomber au CEA. Néanmoins, ce dernier refuse d'en assumer le financement sur ses fonds propres et attend donc un engagement du gouvernement pour accepter cette charge.

Votre rapporteur constate donc que jusqu'à la session de Lisbonne, la France a été incapable non seulement de préciser son rôle dans la future architecture du dispositif d'alerte aux tsunamis en Méditerranée, mais aussi de désigner son point focal (chargé de transmettre le message d'alerte aux services de la protection civile) et son point de contact national (chargé de représenter la France aux réunions du GIC/SATANEM). Quant à la contribution française à la mise à niveau des instruments de mesure du niveau de la mer, elle est mal engagée faute de crédits pour la financer.

Votre rapporteur se félicite néanmoins de l'évolution de la position française lors de la session de Lisbonne qui s'est tenue deux semaines seulement avant l'adoption de cette étude par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

La quatrième réunion du GIC/SATANEM du 21-23 novembre 2007 apparaissait de nouveau très mal engagée pour la France puisqu'un jour avant le commencement de cette session, la délégation n'avait toujours pas d'instruction de la part du gouvernement et s'apprêtait donc à faire profil bas.

Le chef de la délégation a cependant reçu des « éléments de langage » de la part du cabinet du Premier ministre traduisant une évolution favorable de la politique de la France et sa volonté de s'engager dans la mise en place d'un système d'alerte aux tsunamis.

Concrètement, la délégation française a fait part de l'intérêt de la France pour héberger un centre régional d'alerte aux tsunamis qui gèrerait l'alerte pour les pays de la Méditerranée occidentale et de l'Atlantique Nord Est en coopération avec le centre régional chargé de la Méditerranée orientale.

Il a alors été décidé de créer une « équipe spéciale » 69 ( * ) chargée de se réunir en janvier prochain pour définir l'architecture du système d'alerte en Méditerranée et dans l'Atlantique Nord-Est, les partenaires impliqués, le calendrier de mise en oeuvre ainsi que la détermination du budget nécessaire et les sources de financement.

Eléments de langage

« La France rappelle que, lors de la conférence de Kobé, elle s'est engagée à participer à la conception et à la mise en oeuvre d'un dispositif de surveillance et d'alerte multirisque océanique dans le cadre d'une démarche internationale pilotée par la COI.

La question de la prévention des risques par la surveillance des aléas notamment marins qu'ils soient d'origine géophysique ou météorologique est aujourd'hui l'un des sujets majeurs de préoccupation de la France compte tenu de l'importance du linéaire côtier réparti sur les principaux bassins maritimes de la planète où elle est présente. En effet, les perspectives annoncées par le monde scientifique en matière de réchauffement climatique, se traduisant notamment par l'élévation du niveau de la mer et par la survenue de phénomènes météorologiques plus intenses, nécessitent dès à présent une véritable mobilisation des Etats à l'échelle des différents bassins dans un cadre collégial.

La France considère donc qu'il importe aujourd'hui d'engager un processus incrémental qui réponde au calendrier international proposé par la COI, qui s'appuie sur ce qui est aujourd'hui disponible où le sera à court terme (à 3 - 4 ans) et qui traite en particulier des submersions marines causées par des phénomènes océaniques issus de sources lointaines.

Plus particulièrement, sur le bassin méditerranéen et sur l'Atlantique Nord-Est, la France ne sous estime pas le rôle déterminant qu'elle doit tenir eu égard, d'une part à l'importance et à la diversité de son linéaire côtier ainsi qu'à la variété des aléas qui peuvent s'y manifester et, d'autre part, aux accords de coopération, notamment en matière de secours qu'elle a passés avec plusieurs Etats riverains. Elle dispose, en outre, de compétences en matière sismique, géophysique et météorologique.

Ce rôle, la France ne peut le jouer seule mais bien en partenariat avec d'autres Etats, parties prenantes comme elle à ce problème. Il s'agit en effet d'un projet euroméditerranéen qui, par sa complexité et les coûts engendrés, demande un regroupement des forces et des moyens dans lequel l'Union européenne doit également prendre toute sa part, notamment dans le cadre de ses programmes relatifs à l'environnement et à la sécurité.

C'est dans ce contexte que la France manifeste son intérêt pour héberger un centre régional de surveillance pour les tsunamis, notamment pour la partie méditerranée occidentale et Atlantique Nord-Est, comme contribution au SATANEM. Ce centre travaillerait en lien avec le centre agissant sur la méditerranée orientale de façon à créer un binôme pour l'ensemble du bassin. En contact permanent, ces centres auront vocation à se suppléer en cas de besoin ; ils émettront leurs avis directement auprès des autorités nationales en charge de la dissémination de l'alerte.

Pour faire aboutir cette démarche partenariale et disposer d'un projet global euro méditerranéen pour la fin du premier semestre 2008, la France propose de réunir dès le mois de janvier (date à fixer à Lisbonne) une équipe spéciale. Celle ci associerait à la dimension scientifique et technique un volet politique. Elle aura pour mission :

- de définir l'architecture, les moyens, les partenaires du centre de surveillance pour la région méditerranée occidentale et Atlantique Nord-Est générale de celui ci ;

- d'établir un calendrier prévisionnel de mise en place et de passage en mode opérationnel ;

- d'évaluer le coût des différentes tranches du projet et d'examiner les contributions envisageables ;

- de prendre en compte les apports possibles et probables à terme des systèmes d'observation et de veille existants et en cours de développement.

Cette équipe spéciale présentera le résultat de son travail lors de la prochaine réunion du GIC SATANEM en identifiant notamment les premiers financements nécessaires à la constitution d'un « noyau dur » de surveillance et d'alerte répondant aux préoccupations euroméditerranéennes et internationales en matière de risques côtiers d'origine océanique.

Enfin, la France suggère que cette équipe spéciale soit animée par le CEA, compte tenu de son expérience dans l'océan Pacifique et du fait qu'il est la structure d'accueil du centre sismique euro méditerranéen. »

* 63 Comme il a été indiqué précédemment, le message d'alerte au niveau régional s'appuiera sur une matrice de décision qui peut néanmoins se révéler partiellement inadaptée au niveau local. Ainsi, Antibes est une zone plus vulnérable aux tsunamis que Nice en raison de son relief et de sa bathymétrie. De même, les ports sont plus sensibles aux tsunamis en raison des courants et des tourbillons que ces derniers génèrent.

* 64 Au moins pour les tsunamis régionaux et les éventuels télétsunamis. En cas de tsunamis locaux, l'alerte doit être automatisée par le biais de sirènes déclenchées automatiquement.

* 65 Pour l'alerte aux tsunamis régionaux, c'est-à-dire avec un délai de réaction d'une demi-heure au minimum.

* 66 Ces coûts pourraient être en partie mutualisés dans le cadre d'un financement européen à définir.

* 67 Il s'agit du ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, du ministère de l'intérieur, de l'Outre-mer et des collectivités territoriales et du ministère des affaires étrangères.

* 68 Il semblerait qu'au moins trois centres soient amenés à coexister, l'un pour les alertes aux tsunamis en provenance de l'Atlantique, un autre pour les alertes aux tsunamis en provenance de la Méditerranée orientale et un troisième pour les alertes aux tsunamis en provenance de la Méditerranée occidentale.

* 69 Elle sera composée par tous les Etats intéressés par cette proposition, le comité directeur du GIC/SATANEM et les présidents des 4 groupes de travail ainsi que des représentants d'autres organisations comme la commission européenne, l'organisation météorologique mondiale, le centre sismique euro-méditerranéen. Cette équipe spéciale sera co-présidée par la France et le Royaume-Uni.

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