b) Préserver les droits des victimes non parties à l'action

Non seulement l'association engage l'action de groupe sans avoir à en informer les victimes, mais ces dernières peuvent choisir, dans le mécanisme retenu par vos rapporteurs pour la constitution du groupe des victimes, d'en bénéficier ou de s'en exclure. Cependant, elles ne se détermineront qu'une fois connue l'issue du jugement sur la responsabilité. Si les délais de prescription de leur action individuelle continuaient à courir pendant l'instance de l'action de groupe, le risque serait grand qu'elles soient forcloses.

En outre, il convient, autant que possible, d'encourager les victimes à obtenir réparation dans le cadre de l'action de groupe et éviter ainsi que se multiplient les instances individuelles. Or, le fait que le cours de la prescription ne soit pas suspendu pendant l'action de groupe conduirait les intéressés à introduire parallèlement une action individuelle afin de préserver leurs intérêts si le recours collectif échouait ou ne les satisfaisait pas.

C'est pourquoi, dans l'idée de préserver les droits des victimes non parties à l'action, le groupe de travail préconise de prévoir la suspension du cours de la prescription de l'action individuelle en responsabilité pour les membres potentiels du groupe, pendant la durée de la première phase de l'action de groupe.

Recommandation n° 12 - Prévoir que les personnes susceptibles d'avoir subi le dommage visé par l'action de groupe bénéficient de la suspension de la prescription sur leur action individuelle jusqu'à ce que la décision statuant sur la responsabilité de l'entreprise ou du professionnel mis en cause devienne définitive.

c) Protéger les entreprises contre les actions infondées ou abusives et garantir le respect des droits de la défense

Les réflexions du groupe de travail ont été animées par le souci constant de préserver la compétitivité des entreprises françaises et d'éviter, grâce à la définition de mécanismes procéduraux adaptés, qu'elles puissent être soumises à des tentatives de déstabilisation qui prendraient la forme d'actions de groupe abusives.

Or, les associations représentatives des entreprises ont à cet égard fait part de deux inquiétudes.


• La protection contre les actions abusives ou infondées

Les représentants des entreprises ont exprimé la crainte qu'en l'absence d'un contrôle préalable de recevabilité de la demande, les actions puissent se multiplier sans que le juge puisse écarter celles qui seraient manifestement abusives ou infondées, alors que, pendant toute la durée de l'instance, une exploitation médiatique qui nuirait aux intérêts du professionnel injustement mis en cause pourrait se développer.

Les inquiétudes ainsi exprimées sont légitimes. Cependant, le groupe de travail considère que le mécanisme qu'il propose permet d'y répondre.

En effet, le jugement rendu sur le principe de la responsabilité du professionnel intègre, comme tout jugement, un contrôle de la recevabilité de l'action. À ce titre, le juge devra s'assurer que l'action de groupe introduite devant lui l'est par une association agréée et qu'elle porte sur des préjudices indemnisables par l'action de groupe. Il lui appartiendra en particulier de vérifier que l'action relève bien du champ de la consommation, de la concurrence ou du droit financier et qu'elle vise bien un préjudice matériel identique ou analogue entre plusieurs victimes et non des préjudices individuels non homogènes. Les actions manifestement abusives ou infondées pourront donc être écartées dès le stade du premier jugement.

En outre, l'action de groupe proposée s'intégrant aux règles traditionnelles de la procédure civile, les dispositions relatives à la sanction des actions abusives ou des recours dilatoires sont aussi applicables, en particulier l'article 32-1 du code de procédure civile qui prévoit que « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ». L'instrumentalisation médiatique d'une action de groupe à des fins déloyales pourrait quant à elle tomber sous le coup du délit de diffamation prévu par les articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.


• La question de la préservation des droits de la défense

Le respect du contradictoire constitue le second sujet de préoccupation des représentants des entreprises, qui craignent que le professionnel attaqué n'ait pas la possibilité à l'instance d'opposer le fait des plaignants, ou qu'il n'ait pas de moyen, faute de précision suffisante, de contester les éléments de preuve produits par la partie adverse. Une fois le jugement acquis, et le groupe des plaignants connus, le professionnel ne pourrait plus remettre en cause le principe de sa responsabilité, alors même que celle-ci ne devrait pas être engagée vis-à-vis de certains membres du groupe.

Vos rapporteurs considèrent que la procédure retenue ne porte pas atteinte au principe du contradictoire. En effet, lors de la première phase de jugement, l'association agréée, qui agit au nom de la défense de l'intérêt des consommateurs en général, est la seule partie requérante à l'instance. Le défendeur à l'action connaît son adversaire : il n'y a donc aucun obstacle à l'organisation d'échanges contradictoires. Les cas exemplaires soumis par l'association au juge peuvent être contestés par le professionnel attaqué.

Lors de la seconde phase de jugement, les membres du groupe des victimes sont tous identifiés. À l'occasion de l'examen de leur demande en réparation de leur préjudice, le professionnel a la possibilité d'opposer toutes les causes d'exonération de sa responsabilité qui seraient liées aux particularités de la situation individuelle des intéressés par rapport aux cas exemplaires sur lesquels le juge s'est prononcé au cours de la première phase de jugement. Il peut par exemple s'agir de la participation de la victime à son propre dommage ou d'un élément qui devrait l'exclure du groupe des victimes. Ainsi, l'obligation d'information en matière de placements financiers n'a pas la même portée vis-à-vis d'un consommateur sans expérience particulière et vis-à-vis d'un consommateur averti dans ce domaine, en raison de sa formation ou de sa profession.

D'une certaine manière, s'agissant de l'action qui opposera les victimes et le professionnel, le contradictoire n'est pas nié : il est seulement décalé dans le temps, puisqu'il n'intervient que dans la seconde phase de jugement, au moment où l'ensemble des parties sont présentes à l'instance 73 ( * ) .

Un point mérite d'être souligné : le passage à la seconde phase de jugement qui opposera, selon une procédure simplifiée, l'entreprise à l'ensemble des victimes alléguées dépend de l'issue de la première phase de jugement. Sauf à porter gravement atteinte aux intérêts du défendeur à l'action, il est nécessaire que le principe de sa responsabilité soit définitivement établi pour que s'engage l'instance relative à l'indemnisation individuelle des plaignants. À défaut, des dommages-intérêts pourraient être versés, alors même qu'une décision d'appel ou de cassation remettrait en cause le principe de la responsabilité du professionnel. C'est pourquoi vos rapporteurs préconisent de n'autoriser le passage à la seconde phase du jugement que lorsque la décision rendue sur le principe de la responsabilité est devenue définitive. Il conviendrait que les recours soient traités suffisamment rapidement, par exemple par une procédure d'appel à jour fixe.

Recommandation n° 13 - Prévoir que le juge se prononce, à l'issue du procès, sur la responsabilité de l'entreprise par un jugement déclaratoire de responsabilité.

Recommandation n° 14 - Ne permettre le passage à la seconde phase de l'action de groupe qu'une fois les voies de recours éventuelles expirées et le jugement déclaratoire de responsabilité passé en force de chose jugée.

* 73 Sur ce point, cf. Soraya Amrani-Mekki, « Action de groupe et procédure civile », Revue Lamy droit civil, n° 32, 2006, § 28.

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