Compte rendu du déplacement au centre d'appels
de France Telecom à Ivry-sur-Seine
(jeudi 10 juin 2020)

Composition de la délégation : Jean-Pierre Godefroy, président,
Gérard Dériot, rapporteur, Alain Gournac et Jean Desessard

- Accueil par Pierre Louette, directeur exécutif, Laurent Zylberberg, directeur des relations sociales, Pierre-Antoine Badoz, directeur des affaires publiques, Alexandre Martinez, directeur territorial Ile-de-France et Christiane Peter, directrice du centre d'appels.

Pierre Louette a tout d'abord apporté quelques éléments d'explication sur la crise traversée par le groupe ces derniers mois. Celle-ci revêt trois dimensions :

- il s'agit d'abord d'une crise de sens. A la suite des changements technologiques et managériaux de ces dernières années, les salariés n'ont plus perçu le projet de l'entreprise, devenu moins visible, moins compréhensible et moins mobilisateur. Les objectifs de rationalisation budgétaire et d'économies, rendus nécessaires par la situation financière tendue de l'entreprise, l'ont emporté sur les objectifs à dominante plus sociale ;

- c'est ensuite une crise de l'organisation. Un « néo-taylorisme » a été mis en place sans mesurer les effets qu'il pouvait avoir sur les salariés. Le choix de cette nouvelle organisation s'est imposé en raison du contexte très concurrentiel et de mutation permanente dans lequel évolue une entreprise de haute technologie comme France Telecom ;

- elle est enfin une crise de la fonction ressources humaines (RH). Sans doute, la fonction RH n'était-elle pas adaptée aux changements organisationnels vécus par l'entreprise ces dernières années.

Il a ensuite expliqué que la nouvelle équipe dirigeante, conduite par Stéphane Richard depuis le 1 er mars 2010, entend placer la « refondation sociale » au coeur de sa stratégie, en insistant sur le capital humain. Un nouveau projet d'entreprise a été élaboré, à partir des remontées de terrain, et sera présenté officiellement au début du mois de juillet.

- Présentation du centre d'appels d'Ivry-sur-Seine par Christiane Peter, directrice du centre

Christiane Peter a rappelé que l'entreprise France Telecom compte :

- 100 000 salariés en France et 200 000 dans le monde ;

- 50 millions de clients en France ;

- 600 boutiques en France ;

- 20 000 conseillers clients répartis dans vingt centres d'appels établis en France (à cela s'ajoutent quinze centres sous-traitants, situés à l'étranger, notamment au Maroc et en Tunisie).

Le centre d'appels d'Ivry-sur-Seine emploie 470 personnes, dont 353 sont en CDI, 68 en intérim et 49 sont des apprentis. Les salariés sont majoritairement des femmes (57 %). Il gère 120 000 appels par mois et est ouvert du lundi au samedi entre huit heures et vingt heures.

Ses principales missions consistent à traiter les appels téléphoniques, les courriers papier et électroniques, ainsi qu'à gérer les « portefeuilles clients ».

Puis, Christiane Peter a présenté un graphique illustrant la répartition du temps de travail d'un conseiller client. Celui-ci passe seulement 58 % de son temps au contact de la clientèle, soit un pourcentage inférieur à celui constaté, en moyenne, dans les centres d'appels. Il faut cependant préciser que les congés et absence sont considérés comme faisant partie du temps de travail.

Les conseillers clients se voient fixer comme objectif de répondre, en moyenne, à sept appels par heure. Ils ont droit à dix minutes de pause toutes les deux heures et sont libres de prendre leur pause au moment qui leur convient. Toutefois, il ne peut y avoir, à un instant donné, plus de cinq téléopérateurs en pause, ce qui restreint quelque peu cette liberté de principe.

Christiane Peter a indiqué que, dans le cadre du nouveau contrat social de l'entreprise, la gestion des ressources humaines dans le centre d'appels évolue dans trois directions :

- l'environnement : réaménagement des locaux, développement de services aux salariés (bibliothèque, conciergerie, etc.) ;

- l'amélioration des conditions d'exercice du travail : augmentation des marges de manoeuvre des salariés (gestion des temps de pause, par exemple), mise en place d'un groupe de travail sur l'optimisation des tableaux de services ;

- le renforcement du lien managérial : passage d'un management par objectifs à un management des compétences, développement de l'implication des salariés, mise en place de dispositifs d'évaluation des compétences (formations, coaching...).

- Visite d'un plateau technique

La délégation de la mission a pu observer le fonctionnement d'un des deux plateaux techniques du centre d'appels et, à cette occasion, s'entretenir librement avec les salariés.

Ceux qu'elle a rencontrés paraissaient satisfaits de leurs conditions d'emploi et des formations qui leur sont dispensées. L'un d'entre eux était un fonctionnaire, autrefois employé dans un service technique, qui s'est reconverti avec succès dans le métier de conseiller clients. La plupart sont cependant jeunes, recrutés avec un contrat de droit privé et titulaires d'un Bac + 2. La moyenne d'âge des salariés est de trente-huit ans et leur ancienneté moyenne sur le site de sept ans.

Les locaux sont plutôt agréables, colorés et bien éclairés, mais demeurent assez impersonnels. Les salariés, n'ayant pas de poste de travail attitré, ne peuvent personnaliser leur bureau en y apportant une photo ou d'autres effets personnels. La direction devrait néanmoins prochainement y remédier.

La mission a constaté que le métier de conseiller client est stressant, puisqu'il lui faut répondre avec politesse à des clients parfois énervés et apporter une solution technique ou commerciale à leurs demandes le plus rapidement possible, afin de tenir les objectifs.

La directrice du centre a indiqué qu'au cours de l'année écoulée, onze salariés, dont trois travaillant sur le plateau technique, ont rencontré des difficultés d'ordre psychologique dans l'exercice de leur métier et été orientés vers un médecin du travail ou une assistance sociale.

- Table ronde avec des délégués syndicaux et des élus du personnel

Participants : Laurent Trémeau (délégué syndical CFTC), Luc Drane (délégué du personnel, élu au CHSCT, CFE-CGC), Jean-Marc Dion (délégué syndical CFDT), Marie-Claire Louvet (déléguée syndicale CGT), Michèle Fenet (élue au CHSCT, Sud) et Adel El Mahdy (délégué syndical, Force ouvrière).

Jean-Marc Dion a estimé que le changement de statut de France Telecom a déstabilisé les salariés qui étaient très attachés à la culture de service public de l'entreprise. Dans le cadre de sa nouvelle stratégie, celle-ci n'a pas renouvelé de nombreux emplois et, parallèlement, a eu de plus en plus recours aux contrats précaires.

Les participants ont souligné que les objectifs de performance et de rentabilité imposés aux salariés sont facteurs de stress. La charge de travail des conseillers clients est jugée excessive : il est en effet difficile de traiter sept à huit appels par heure. Les salariés sont mis sous pression puisque l'obtention d'une prime de résultats est subordonnée à la satisfaction d'objectifs de ventes pour les différentes familles de produits proposés par l'entreprise.

Le métier de conseiller clientèle est trop usant psychologiquement pour pouvoir être exercé pendant toute une vie professionnelle, alors même que les perspectives de carrière sont très réduites, comme l'a précisé Luc Drane. Laurent Trémeau a fait remarquer que le taux d'absentéisme élevé du personnel dans le centre, évalué entre 15 % et 20 %, témoigne d'un malaise profond.

Michèle Fenet a jugé que les mesures prises ces derniers mois en matière de conditions de travail et de management, aussi bien à l'échelle du groupe qu'à l'échelle du centre d'appel d'Ivry-sur-Seine, sont, d'une part, trop tardives, d'autre part, largement insuffisantes.

- Présentation par Laurent Zylberberg, directeur des relations sociales, des négociations sociales en cours au sein du groupe

Laurent Zylberberg a présenté un état des lieux des négociations ouvertes avec les syndicats, qui ont abouti à la signature de plusieurs accords.

Le 5 mars 2010, un accord de groupe relatif aux « principes fondamentaux : perspectives emploi et compétences, développement professionnel, formation, mobilité » a été signé avec la CFDT, la CFTC et la CGT. Il définit notamment une nouvelle politique de mobilité, reposant essentiellement sur le volontariat. Désormais, les mobilités géographiques imposées par l'entreprise sont exceptionnelles et les mobilités fonctionnelles sont décidées seulement en cas de disparition du métier pour des raisons technologiques ou en fonction des orientations stratégiques du groupe. La prise en compte des contraintes personnelles des salariés est la règle. L'accord affirme simultanément un droit à la stabilité sur les postes. En particulier, après une mobilité fonctionnelle ou géographique réalisée à l'initiative de l'entreprise, celle-ci garantit une durée minimale de présence si possible de cinq ans et au moins de trois ans dans le nouveau poste, si le salarié le souhaite.

Un deuxième accord a été conclu, le même jour, entre la direction et la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, la CGT, FO et Sud. Portant sur l'équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, il a pour objectif de tenir compte des contraintes personnelles de chaque salarié dans l'organisation de son travail, dans le respect des impératifs de l'entreprise. Il contient des mesures immédiates au bénéfice des salariés et lance des expérimentations (crèche interentreprises, par exemple).

Le 6 mai 2010, deux accords de groupe portant sur la prévention du stress et le fonctionnement des instances représentatives du personnel, ont été signés avec les syndicats CFDT, CFE-CGC, CFTC et Sud. Le premier de ces accords, qui est la déclinaison de l'accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008, insiste sur la responsabilité de l'employeur en matière de risques psychosociaux. Les managers sont désormais incités à porter une attention particulière à l'organisation et aux processus de travail de leurs salariés, à leurs conditions de travail et à leur environnement de travail, afin de leur permettre de concilier vie privée et vie professionnelle. L'accord définit également une méthodologie d'évaluation du stress. Un « comité national de prévention du stress » , composé de représentants des syndicats, de la direction et de conseillers en prévention, émettra des recommandations concourant aux plans d'action de la direction et sera chargé de débattre du « baromètre social  ».

L'accord relatif à l'amélioration du dialogue social comprend des mesures destinées à faciliter le travail des instances de représentation du personnel (moyens de documentation supplémentaires pour les délégués du personnel, temps de préparation pour les réunions des CHSCT et des CE, etc.) et plusieurs dispositions touchant aux conditions de travail.

Enfin, Laurent Zylberberg a indiqué que deux autres négociations sont actuellement en cours : l'une sur les modalités pratiques des conditions de travail, l'autre sur l'organisation du travail.

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