D. RÉFLÉCHIR À UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES CHOIX DE COUPLE DANS L'ACQUISITION ET L'ÉVENTUEL PARTAGE DES DROITS À LA RETRAITE AU MOMENT DE LA SÉPARATION

1. La nécessité de prendre en compte simultanément la situation matrimoniale et le niveau des pensions pour évaluer le risque de pauvreté des femmes retraitées

M. Jean-Michel Hourriez, lors de son audition, a rappelé que le COR avait consacré un chapitre de son sixième rapport à ce thème. Il en a résumé les grandes lignes en présentant trois séries de considérations.

Tout d'abord, un problème se posera de plus en plus à l'avenir : la montée des divorces ou, plus généralement, la fragilisation des unions conjugales . Si l'on observe une diminution progressive des écarts entre les hommes et les femmes au fil des générations, la fragilisation des unions se développe avec, d'une part, la montée des divorces, et d'autre part, la baisse des mariages chez les plus jeunes générations, ainsi que le succès du PACS, lequel n'ouvre pas droit à réversion, ni à prestation compensatoire. Par ailleurs, les femmes se remettant moins souvent en couple que les hommes, elles risquent plus de terminer leur vie dans l'isolement, au moment de la retraite, avec des difficultés de niveau de vie.

Il a jugé indispensable d'alerter sur cette évolution des unions conjugales qui risque d'entraîner une dégradation des niveaux de vie des femmes au moment de la retraite . Historiquement, le divorce était peu fréquent chez les générations nées avant 1945 : neuf personnes sur dix se mariaient et c'est surtout le veuvage qui posait problème. Les générations du baby-boom ont davantage divorcé : sur dix femmes nées en 1950, une ne s'est pas mariée, trois ont divorcé, les six autres se sont mariées et n'ont pas divorcé. D'après les projections des démographes, le parcours matrimonial des femmes plus jeunes, nées en 1970, serait le suivant : trois femmes sur dix ne se marieraient pas - vivraient en union libre, éventuellement se pacseraient et n'auraient donc pas de droit à réversion dans le cadre de la législation actuelle -, trois divorceraient, et quatre prolongeraient leur parcours de mariage jusqu'à la fin de la vie.

En second lieu, il a résumé le résultat des comparaisons du niveau de vie des veuves à celui des femmes divorcées ou célibataires au moment de la retraite, en estimant que les veuves de plus de soixante-cinq ans ont, statistiquement, des problèmes de niveau de vie moins alarmants que d'autres catégories de femmes isolées. Si leur niveau de vie est en retrait par rapport à celui des couples à la retraite, l'écart n'est que de 16 % et se rattache à des effets de structure : le risque de veuvage est, en effet, plus important pour les femmes de catégorie sociale modeste, les hommes ouvriers mourant plus jeunes. En outre, le conjoint survivant conserve à peu près le niveau de vie antérieur si l'on se réfère à la convention standard utilisée par les statisticiens, selon laquelle les besoins d'un couple seraient 1,5 fois ceux d'une personne seule, ce qui reviendrait à considérer qu'une veuve qui conserve deux tiers des revenus du couple antérieur aurait le même niveau de vie. Certes, les personnes devenues veuves ressentent spontanément une dégradation de leur niveau de vie, surtout celles qui désirent - et elles sont nombreuses - conserver leur logement, les charges d'habitation demeurant inchangées. À la suite du décès de son mari, si la femme n'a pas travaillé, elle subit une perte de niveau de vie ; au contraire, son niveau de vie demeure comparable, voire supérieur à celui du couple antérieur, s'il y a eu parité de salaire ou de retraite dans le couple.

Ayant vérifié que le niveau de vie moyen des veuves n'est pas très inférieur à celui des couples, le COR s'est demandé si la montée des divorces allait engendrer des situations où des femmes âgées se retrouveraient avec un niveau de vie très faible.

Aujourd'hui, les femmes célibataires ou divorcées à la retraite ont un niveau de vie légèrement inférieur à celui des couples, mais à peu près comparable à celui des veuves. Cela s'explique par le fait que le divorce, peu fréquent pour les générations nées avant 1945, a d'abord touché des milieux sociaux relativement favorisés , où les femmes étaient plus diplômées ou davantage intégrées au marché du travail que la moyenne. Par conséquent, aujourd'hui les femmes de plus de soixante-cinq ans, divorcées à la retraite, compensent les effets du divorce par une carrière personnelle relativement favorable.

Ce constat ne se vérifiera sans doute plus à l'avenir, car les divorces, les séparations et la vie en couple sans mariage concernent aujourd'hui tous les milieux sociaux . Ainsi, de plus en plus de femmes cumuleront le double handicap de leur divorce et d'une pension personnelle relativement faible par rapport à celle d'un homme . On peut alors se demander si, dans les générations les plus jeunes - celles nées dans les années cinquante jusqu'aux années 80 -, un certain nombre de femmes divorcées ou isolées, célibataires, divorcées ou séparées au moment de la retraite, ne seront pas confrontées à un faible niveau de vie.

Dans les travaux de simulation effectués par le COR, les deux mouvements contraires - progression des pensions féminines et fragilisation accrue des situations conjugales au fil des générations - semblent se compenser, plus ou moins, écartant dans l'absolu une franche dégradation du niveau de vie moyen de l'ensemble des femmes vivant seules au moment de la retraite. Néanmoins, ces estimations sont fragiles, et la question reste posée d' un risque accru pour les générations futures d'une paupérisation d'une partie des femmes isolées au moment de la retraite.

Il convient de noter que le veuvage précoce chez les femmes plus jeunes se rattache au problème général des familles monoparentales ou des parents isolés. Selon le représentant du COR, autant les veuves à l'âge de la retraite sont bien protégées par le système social français, autant les personnes de moins de soixante ans qui deviennent veuves sont dans des situations particulièrement difficiles - leur taux de pauvreté est de l'ordre de 30 % -. En effet, en dehors des régimes spéciaux, le système de retraite ne leur fournit pas, ou très peu, de pension de réversion. Certains dispositifs de prévoyance mis en place par les entreprises peuvent accorder des pensions à ces femmes ou à ces hommes, mais, dans l'ensemble, la prise en charge de ce risque demeure très disparate, et il y a là un problème spécifique à traiter soit par des dispositifs publics, soit par des dispositifs de prévoyance.

2. La logique du dispositif de partage en Allemagne en cas de divorce : le transfert de droits à la retraite ou le paiement d'une partie de la pension du conjoint le mieux loti à l'autre
a) Le mécanisme allemand du « splitting »

Comme l'indique une étude de législation comparée 12 ( * ) sur les conséquences patrimoniales du divorce, pour tenir compte du fait qu'un époux n'a pas pu exercer d'activité professionnelle ou a eu une activité professionnelle moins bien rémunérée que celle de son conjoint, notamment à cause de la gestion du ménage ou de l'éducation des enfants, la loi allemande du 14 juin 1976 réformant le droit du mariage et de la famille a mis en place la compensation des droits à pension de retraite ou d'invalidité acquis pendant le mariage. Cette mesure vise essentiellement à améliorer la situation financière de la femme divorcée lorsqu'elle arrive à l'âge de la retraite . Les dispositions initiales ont été complétées par deux lois, en 1983 et en 1986. Elles figurent aux articles 1587 et suivants du code civil.

Dans la procédure de divorce, il est prévu que le juge statue d'office sur la compensation des droits à une pension de retraite ou d'invalidité, indépendamment de la pension alimentaire. Cependant, le code civil prévoit certaines hypothèses dans lesquelles le juge doit écarter la compensation comme « gravement inéquitable » . Par ailleurs, les époux peuvent conclure un accord sur cette compensation par acte notarié, car ces dispositions ne sont pas d'ordre public. De plus, en cas de changement substantiel, comme par exemple un changement de la réglementation ou de la valeur des droits, les époux peuvent demander la révision de la partie du jugement de divorce consacrée à la compensation des droits à la retraite.

En pratique, le juge, aidé par les caisses concernées, calcule les droits à une pension de retraite ou d'invalidité acquis par chaque époux pendant la durée du mariage. Celui qui a acquis les droits les plus élevés est tenu de verser à l'autre la moitié de la différence.

Cette compensation s'opère selon deux principales modalités.


• La compensation relevant du droit public

Le débiteur qui a acquis des droits dans le régime légal d'assurance vieillesse ou dans le régime des fonctionnaires transfère une partie de ses droits, à hauteur de ce qu'il doit à son conjoint, sur un compte ouvert au nom de ce dernier, dans le régime légal d'assurance vieillesse . La compensation s'opère de la même façon lorsque d'autres régimes de retraite que ceux précédemment mentionnés prévoient, dans leurs statuts, le partage des droits acquis entre les conjoints divorcés.


• La compensation relevant du droit des obligations

Le code civil prévoit un autre mode de compensation des droits acquis auprès des caisses privées d'assurance vieillesse qui n'ont pas prévu le partage des droits acquis entre les conjoints divorcés. L'époux bénéficiaire de la compensation obtient un droit au paiement d'une pension qui lui est versée ultérieurement, mais seulement lorsque le débiteur de la compensation peut lui-même faire valoir ses droits à la retraite . L'époux créancier peut toutefois demander le dédommagement immédiat des droits futurs, dès lors que cela reste économiquement raisonnable pour le débiteur.

Ce droit s'éteint avec la mort du débiteur, mais le créancier peut obtenir la compensation des sommes dues si l'organisme de retraite prévoit une rente pour les ayants cause.

b) La transposition en France de ce mécanisme a été jugée prématurée par le COR

Dans son rapport précité sur les droits familiaux et conjugaux, le COR indique que cette technique de partage des droits est beaucoup plus facile à mettre en oeuvre dans un système de retraite par points ou en comptes notionnels, comme en Suède, que dans un système d'annuités comme le nôtre.

M. Jean-Michel Hourriez a également fait observer que dans ces dispositifs de « splitting », les hommes étaient souvent perdants car, dans la mesure où ils gagnent plus que les femmes, dans au moins trois quarts des couples, ils doivent rétrocéder des droits à leur femme. Pour autant, les gagnants ne seraient pas systématiquement les femmes, mais plutôt les régimes de retraite qui feraient des économies dans la mesure où ils n'auraient plus de pensions de réversion à verser. En effet, un dispositif de partage des droits n'est pas nécessairement plus avantageux pour les femmes : si elles optent pour le partage des droits, elles ont une meilleure pension en droits propres, mais n'ont plus droit à la réversion.

Pour ces raisons, les membres du COR ont jugé, en l'état actuel des réflexions, qu'il serait prématuré d'instaurer en France un dispositif de partage des droits.

c) Un projet d'avenir : incorporer la notion de vie commune à la fois dans l'acquisition et le partage des droits à la retraite

Dans le prolongement des recommandations formulées à plusieurs reprises sur l'introduction d'un « splitting » à la française, la rapporteure a procédé à plusieurs auditions sur ce point dont elle tire trois principales conclusions.

Tout d'abord, il parait délicat d'introduire un dispositif de partage des droits à la retraite dans le cadre par nature conflictuel du divorce, sans procéder à une évaluation préalable : une telle mesure risque, en effet, de remettre en cause les équilibres de la législation du divorce aujourd'hui conçue par le législateur dans une logique d'apaisement.

Ensuite, les diverses initiatives qui ont formalisé juridiquement cette idée ont un champ d'application qui se limite aux couples mariés et prévoient un partage de la pension qui commence au moment de la liquidation des retraites et prend fin au décès de l'un des conjoints. C'est alors la réversion qui prend le relais du partage ainsi conçu.

Or, le Conseil d'orientation des retraites a posé le problème de l'extension éventuelle de la réversion aux couples non mariés, en constatant le succès du PACS. À cet égard, il convient de rappeler que la réversion perçue par une femme divorcée dépend du parcours matrimonial ultérieur de son ex-mari, ce qui suscite également, de la part du COR, des suggestions de modification de ce mode de calcul.

Pour ces raisons, et se référant à la démonstration effectuée, lors de son audition, par Mme Geneviève Couraud, membre du bureau du planning familial, selon laquelle les choix professionnels sont souvent des « choix de couples » , la délégation propose de réfléchir à une conception à la fois plus positive et plus globale de la constitution de droits à la retraite communs par des couples faisant l'objet d'une imposition fiscale commune de leurs revenus . Acquis dans le cadre d'un projet de vie de famille, ces droits pourraient, plus facilement qu'aujourd'hui, faire prendre conscience aux femmes et aux hommes des conséquences à long terme d'une séparation et, le cas échéant, être partagés équitablement.


* 12 LC n° 72 de mars 2000

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