B. LA PERSISTANCE DES DIFFÉRENDS

Malgré ces avancées, les relations entre l'Union européenne et la Russie se heurtent toujours à d'importantes divergences.

1. La démocratie et les droits de l'homme

La question de la démocratie et du respect des droits de l'homme demeure l'un des sujets les plus difficiles dans les relations entre l'Union européenne et la Russie.

Comme me l'avaient fait observer de nombreuses personnalités issues de la société civile rencontrées à Moscou lors de mes précédents déplacements, notamment les représentants de la Fondation Carnegie, les deux mandats successifs de Vladimir Poutine à la présidence de la Russie, de 2000 à 2008, se sont caractérisés par un net recul de la démocratie, du pluralisme des médias et des libertés individuelles.

En effet, même si la Russie a rompu avec le système totalitaire soviétique, et malgré le discours plus modernisateur du Président Dimitri Medvedev, il n'existe pas aujourd'hui de véritables contre-pouvoirs institutionnels, politiques et juridiques face à l'autorité de l'exécutif .

Ainsi, le Parlement russe est largement dominé par le parti pro-Poutine « Russie unie » et n'exerce qu'une influence réduite. De plus, certaines réformes, comme la réforme du fédéralisme par exemple, ont encore renforcé le poids de l'administration présidentielle, accroissant ainsi la concentration des pouvoirs.

Comme l'a encore illustré le récent procès de Mikhail Khodorkovski, et le verdict prononcé le 26 mai 2011, l'indépendance du pouvoir judiciaire reste très théorique. Le Président Dimitri Medvedev a toutefois lancé une ambitieuse réforme du système judiciaire, avec notamment l'introduction d'un appel et l'extension des jurys populaires.

On constate également en Russie des atteintes à la liberté d'expression et de manifestation. La répression policière brutale de la Gay pride organisée à Moscou le 28 mai dernier ou des manifestations pacifiques de l'opposition organisées le 31 de chaque mois comptant 31 jours (pour la défense de l'article 31 de la Constitution russe sur la liberté de réunion) en offrent l'illustration, même s'il semble que l'incompétence des forces de police, voire leur expérience passée en Tchétchénie, expliquent en partie les violences à l'égard des manifestants.

L'indépendance et le pluralisme des médias constituent un autre sujet de préoccupation. S'il n'existe pas de restrictions à l'utilisation d'Internet et qu'il existe encore des médias indépendants, comme le journal « Novaïa Gazeta » ou la station de radio « Écho de Moscou », on constate un net renforcement du contrôle du Kremlin sur les principaux médias, notamment les grandes chaînes de télévision.

L'assassinat en Tchétchénie de la journaliste Natalia Estemirova, le 15 juillet 2009, qui rappelle celui d'Anna Politkovskaïa à Moscou, le 7 octobre 2006, et qui s'ajoute à la liste des journalistes russes assassinés ces dernières années, a également provoqué une vive émotion au sein de l'Union européenne.

Par ailleurs, une loi sur les organisations non gouvernementales (ONG), qui est entrée en vigueur le 10 avril 2006, s'est traduite par d'importantes restrictions pour les ONG présentes en Russie. Cette loi impose, en effet, aux ONG, une rigoureuse procédure d'enregistrement et elle limite la possibilité pour ces ONG de bénéficier de financements étrangers. Même si cette loi a été amendée en 2009 à l'initiative du Président Dimitri Medvedev dans un sens plus favorable aux ONG, elle n'en demeure pas moins un obstacle à l'activité des organisations russes de défense des droits de l'homme.

La création d'une chambre sociale et d'un Conseil présidentiel des droits de l'homme, afin de servir de relais entre le pouvoir et la société civile, en plus du médiateur des droits de l'homme, constituent toutefois des signaux positifs, de même que les discours du Président Dimitri Medvedev sur la modernisation et l'Etat de droit.

Enfin, si la situation en Tchétchénie tend à se stabiliser, les forces russes ayant laissé la place aux milices pro-Kremlin de Ramzan Kadyrov, la situation reste très tendue dans les républiques voisines du Caucase du Nord , notamment en Ingouchie, en Kabardino Balkarie, en Ossetie du Nord et au Daghestan, où tant l'islamisme radical que le sentiment d'impunité à l'égard des violations des droits de l'homme progressent.

À la veille du Sommet Union européenne-Russie, des 10 et 11 juin 2011, le Parlement européen a adopté, le 9 juin, une résolution très critique à l'égard de la situation des droits de l'homme en Russie.

L'insistance de l'Union européenne sur les « valeurs communes » est toutefois très mal perçue par le gouvernement russe.

En réalité, il existe un profond malentendu sur ce sujet. Comme le souligne très justement un spécialiste des relations entre l'Union européenne et la Russie, « le malentendu est profond dans la mesure où l'Union européenne se force à croire que la Russie souhaite intégrer ses normes et ses valeurs alors que cette dernière voit dans cette rhétorique un moyen à peine déguisé d'intervenir dans ses affaires intérieures » 22 ( * ) .

Il faut par ailleurs tenir compte du fait que le discours de l'Union européenne sur les droits de l'homme et la démocratie suscite une relative indifférence au sein de l'opinion publique russe.

Ainsi, selon un sondage réalisé en Russie par l'Institut Levada et le centre Union européenne-Russie en février 2007, plus de 40 % des personnes interrogées considèrent que la démocratie en tant que système politique est inappropriée, voire destructrice pour la Russie et, à la question de savoir quel type de régime conviendrait le mieux à la Russie, 35 % des personnes interrogées répondent le système soviétique , 26 % le régime actuel et 16 % la démocratie de type occidental .

Cette perception négative à l'égard de la démocratie et des valeurs occidentales semble s'expliquer par le fait que les années 1990, qui ont été marquées par l'instauration de la démocratie et du libéralisme économique ont dans le même temps coïncidé avec l'effondrement de l'économie et des valeurs de l'ancien système. De ce fait, on constate aujourd'hui une certaine confusion dans l'opinion à l'égard des notions de « démocratie » et de « valeurs occidentales ».

En outre, peut-on demander à la Russie de réaliser en quinze ans ce que les grandes démocraties ont mis plusieurs siècles à accomplir ?

Plutôt que d'adopter un discours purement incantatoire sur les droits de l'homme et la démocratie, il semble plus efficace pour l'Union européenne d'évoquer de manière ferme ces questions mais dans le cadre d'un véritable dialogue avec la Russie.

À cet égard, le mécanisme de consultations sur les droits de l'homme mis en place dans le cadre de l' « espace commun de liberté, de sécurité et de justice » paraît particulièrement bienvenu.

Depuis le 1 er mars 2005, des consultations régulières sur les droits de l'homme sont organisées dans le cadre de cet espace. Ce dialogue a permis d'évoquer plusieurs sujets sensibles comme la situation en Tchétchénie, la liberté de la presse et le pluralisme des médias, la lutte contre le racisme et la xénophobie ou encore le traitement des minorités.

Lors de la treizième réunion de ce forum, le 10 mai dernier, l'Union européenne a ainsi fait part de son inquiétude concernant l'Etat de droit, la société civile et la lutte contre les discriminations en Russie. Elle a également exprimé un certain nombre de préoccupations concernant la situation particulière de certains défenseurs des droits de l'homme ou de journalistes russes. Certaines personnalités rencontrées lors de mes entretiens, comme la représentante de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme (FIDH) chargée de la Russie, Mme Sacha Koulaeva, ont toutefois fait part de leur déception à l'égard des résultats de ce dialogue 23 ( * ) . Elles m'ont ainsi fait observer que chaque rencontre donnait lieu à un communiqué de l'Union européenne et un autre de la Russie, dont le contenu varie considérablement. L'Union européenne se félicite en règle générale dans ces communiqués d'avoir pu évoquer ses préoccupations en ce qui concerne la situation des droits de l'homme en Russie, comme la situation des journalistes, alors que, de son côté, la Russie met régulièrement en avant la question du statut des minorités russophones dans les pays baltes.

De manière générale, les organisations de défense des droits de l'homme semblent critiquer le fait qu'elles ne soient suffisamment assez associées à ce dialogue. Pourtant, chaque consultation est précédée du côté de l'Union européenne par une rencontre avec les représentants des organisations non gouvernementales européennes et russes. Il est vrai que, pour sa part, la partie russe se refuse à rencontrer ces organisations.

Enfin, certains considèrent que la mise en place de ce dialogue a paradoxalement contribué, avec la création d'une enceinte spécifique, à minorer l'importance de la question des droits de l'homme, qui ne figurerait plus parmi les priorités évoquées au plus haut niveau dans le cadre des Sommets Union européenne-Russie.

Une meilleure articulation entre le mécanisme de consultations sur les droits de l'homme et les rencontres politiques paraît ainsi nécessaire.

A cet égard, on peut saluer l'insistance du Président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy, à évoquer ce sujet lors des différents Sommets Union européenne-Russie, comme cela fut le cas lors du dernier Sommets des 9 et 10 juin 2011.

Il faut également mentionner le rôle central du Conseil de l'Europe et de la Cour européenne des droits de l'homme en la matière.

La Russie et le Conseil de l'Europe

La Russie a adhéré au Conseil de l'Europe en 1996.

La principale avancée consiste dans la possibilité pour les citoyens russes de saisir directement la Cour de Strasbourg pour non respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La Russie est d'ailleurs le pays à l'origine du plus grand nombre de plaintes déposées devant la Cour (avec plus de 10.000 plaintes enregistrées en 2005).

Plusieurs condamnations ont été prononcées concernant les exactions commises par les forces de sécurité en Tchétchénie.

La Russie a ratifié, le 15 janvier 2010, le protocole n°14 à la Convention européenne des droits de l'homme, qui prévoit une réforme de la procédure devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Même si la Russie n'a toujours pas ratifié le sixième protocole à la Convention européenne des droits de l'homme sur l'abolition de la peine de mort, la Cour constitutionnelle russe a récemment prolongé le « moratoire » sur la peine de mort.


* 22 Thomas Gomart, « Le partenariat entre l'Union européenne et la Russie à l'épreuve de l'élargissement » , Revue du marché commun et de l'Union européenne, n° 479, juin 2004.

* 23 Voir par exemple le communiqué de presse de la FIDH du 1 er mars 2005 « Un dialogue au rabais »

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