II. EXAMEN DU RAPPORT (17 AVRIL 2012)

Au cours d'une réunion tenue le mardi 17 avril 2012, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, puis de Mme Michèle André, vice-présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Nicole Bricq, rapporteure générale, sur le projet de programme de stabilité transmis par le Gouvernement à la Commission européenne conformément à l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Mme Nicole Bricq , rapporteure générale . - Le programme de stabilité revêt une importance particulière car la trajectoire budgétaire de la France s'inscrit dans les débats de la campagne électorale. Il est surtout le premier depuis l'importante réforme de la gouvernance budgétaire européenne, le pacte de stabilité comportant désormais un régime de sanctions durci.

Les programmes de stabilité adressés aux autorités européennes s'ajoutent aux programmations triennales annexées aux projets de loi de finances et aux lois de programmation des finances publiques. Il s'agit ici du deuxième programme de stabilité élaboré dans le cadre du « semestre européen ».

Le Sénat a pris une part importante à l'élaboration du cadre juridique français, à travers l'article 14 de la loi de programmation des finances publiques 2011-2014, ainsi que par l'adoption d'une résolution européenne sur les observations de la Commission européenne sur le programme de stabilité 2011-2014. On ne sait pas encore à quelle date la Commission rendra son avis cette année, mais l'élection présidentielle française changera la donne et un nouveau programme sera rédigé en cas de changement de majorité.

Ces débats sont essentiels pour définir le cadrage budgétaire dans lequel s'inscrivent les lois financières annuelles, même si le Gouvernement n'en tient pas toujours compte. L'année dernière, Philippe Marini avait recommandé, dans son rapport sur le projet de programme de stabilité, de prendre 10 milliards d'euros de mesures complémentaires pour respecter la trajectoire de solde, mais le Gouvernement n'a pas inclus de telles mesures dans le collectif budgétaire de juin 2011 et a dû présenter le « plan Fillon » à la fin du mois d'août.

Trois des textes du paquet gouvernance, le Six-pack , réforment le pacte de stabilité et deux mettent en place des procédures de surveillance et de correction des déséquilibres macroéconomiques, avec à chaque fois un volet préventif et un volet correctif, ainsi que des sanctions à caractère plus ou moins automatique.

Les règles européennes distinguent selon que le niveau de déficit d'un Etat est supérieur ou non à 3 points de PIB.

Si le déficit est supérieur à 3 points de PIB, le volet correctif autorise le Conseil à décider à la majorité qualifiée « ordinaire » d'une amende de 0,2 point de PIB lorsqu'un Etat n'a pas pris de « mesures suivies d'effet ». La Belgique a ainsi dû prendre des mesures complémentaires en début d'année et l'Espagne a accepté le 12 mars dernier une nouvelle trajectoire de son solde. Si le déficit est inférieur, le volet préventif prévoit que les Etats doivent fixer dans leur programme de stabilité un objectif de solde structurel à moyen terme (OMT) et s'en approcher d'au moins 0,5 point de PIB par an ; l'OMT retenu par le projet de programme de stabilité est l'équilibre structurel. Le volet correctif dispose que les Etats, à compter de la quatrième année suivant le retour en deçà du seuil de 3 %, doivent réduire d'un vingtième chaque année leur excédent de dette par rapport au seuil de 60 % du PIB.

La question se pose de la « durée de vie » du programme de stabilité : couvrant la période 2012-2016, il n'a de valeur que si l'actuelle majorité présidentielle est reconduite. Ses choix sont en effet incompatibles avec ceux du principal candidat de l'opposition, puisque François Hollande s'est engagé à un retour à l'équilibre en 2017 et non en 2016. De même, le candidat Sarkozy fixe le taux de croissance des dépenses publiques à 0,4 %, contre 1 % pour le candidat Hollande.

Valérie Pécresse, ministre du budget, a introduit une certaine confusion en qualifiant devant nous ce programme, qui décline le programme de Nicolas Sarkozy, d' « engagement de la France ». Ce n'est pas exact. L'engagement de la France est de revenir sous les 3 points de PIB en 2013 (c'est même une obligation très stricte) ; c'est aussi de rapprocher le déficit structurel de son OMT de 0,5 points de PIB par an puis, à partir de 2017, de réduire l'excédent du ratio dette/PIB d'un vingtième par an. Cela n'a rien à voir avec le partage entre recettes et dépenses, non plus qu'avec la date du retour à l'équilibre.

Il peut donc y avoir un nouveau programme en cas de changement de majorité. Le Conseil se prononcera en juillet sur un programme de stabilité qui ne serait pas d'actualité si tel n'était pas le cas.

Le Gouvernement se comporte de façon ambiguë, cavalière même vis-à-vis du Parlement et des électeurs : le document qui nous a été transmis et que Bercy a mis en ligne ne mentionne nulle part la possibilité de modifications pour tenir compte de remarques formulées par le Parlement et fait comme s'il n'y avait pas d'élections. Il serait plus clair et plus honnête d'imiter les Finlandais qui, l'année dernière, ont transmis un programme de stabilité « sous réserve » des résultats des élections. Je proposerai d'insérer dans le programme une formule en ce sens.

Quel est le contexte du programme du Gouvernement ? Avant 2010, les programmations de solde public étaient fantaisistes, comme le montrent nos tableaux. L'objectif de déficit fixé par la programmation n'est atteint en exécution que depuis deux ans : en 2010, 7,1 % au lieu de 7 % ; en 2011, 5,2 % au lieu de 5,7 %.

Présidence de Mme Michèle André, vice-présidente

Mme Nicole Bricq , rapporteure générale . - Un mot de l'exécution de l'année 2011. Le Gouvernement a beaucoup communiqué sur la stabilisation en volume des dépenses publiques, une performance qualifiée d'historique. Une performance exceptionnelle, due à des facteurs ... exceptionnels. L'inflation a été plus élevée que prévu (2,1 % au lieu de 1,7 % en moyenne ces dernières années). Il convient également de tenir compte de livraisons de matériels militaires plus faibles et de moindres décaissements des opérateurs au titre des investissements d'avenir. Sans ces facteurs exceptionnels, l'évolution en volume de la dépense publique se serait établie à 0,7 %.

Le scénario de croissance repose sur un retour progressif à la normale : 0,7 % en 2012 contre 0,5 % dans le projet de loi de finances rectificative pour 2012 ; 1,75 % en 2013, contre un consensus des conjoncturistes de 1 % ; 2 % par an de 2014 à 2016. Cette hypothèse est vraisemblable, malgré de nombreux aléas, qui incitent à la prudence. Qu'en dira la Commission européenne ? Elle pourrait, comme l'an dernier, de juger nos prévisions optimistes. Cela impliquerait des ajustements. La croissance ne se décrète pas, même si elle s'organise !

M. Francis Delattre . - Même en cas d'élections !

Mme Nicole Bricq , rapporteure générale . - Elle ne dépend pas que de nous, c'est la raison pour laquelle j'ai évoqué les difficultés de l'Espagne, qui a manqué sa cible du fait notamment que les communautés autonomes n'ont pas réalisé les économies prévues. Le 12 mars, l'Eurogroupe lui a fixé une nouvelle trajectoire mais les craintes des investisseurs n'ont pas disparu. Comment la solidarité européenne jouera-t-elle si la situation s'aggrave ? Nous devons en tirer des leçons, et calibrer nos trajectoires de manière réaliste, plutôt que d'élaborer des engagements intenables.

Les grands équilibres du programme de stabilité sont les suivants : l'équilibre serait atteint en 2016 - le candidat Nicolas Sarkozy promet même un excédent de 0,5 % du PIB en 2017. Le taux de prélèvements obligatoires culminerait en 2016 à 45,8 %, contre 46 % prévus en novembre dernier. Le ratio de dépense publique ne cesserait de diminuer.

Les ministres du budget et des finances communiquent sur un programme de consolidation de 115 milliards d'euros qui prend en compte les mesures prises en 2011 et en 2012, alors que la trajectoire doit être examinée sur les années pour lesquelles les mesures ne sont pas encore prises, c'est-à-dire pour la période 2013-2016. Si l'on prolonge la trajectoire en retenant l'objectif 2017 retenu par le candidat soutenu par le Gouvernement, on obtient un plan de 100 milliards d'euros sur cinq ans, reposant à 80 % sur les dépenses (75 % si on s'arrête en 2016). Or, un ajustement reposant à 80 % sur les dépenses paraît peu vraisemblable en France.

Pour atteindre l'équilibre en 2016, il faut réduire le déficit de 90 milliards d'euros entre 2013 et 2016, puisque le déficit fin 2012 sera de 4,5 points de PIB, soit 90 milliards d'euros. Or, la programmation du Gouvernement ne prévoit pour ces années-là que 63,5 milliards d'euros de consolidation budgétaire. Il y a donc des impasses dans sa programmation et un sous-calibrage des économies à réaliser sur les dépenses. Je ne suis pas la seule à le dire. L'Institut Montaigne et l'Institut français des entreprises pensent la même chose du programme du candidat Sarkozy.

En effet, pour respecter l'objectif de limiter la progression des dépenses à 0,4 % en volume par an, il serait nécessaire de réaliser 18 milliards d'euros d'économies par an pendant quatre ans, soit environ 70 milliards d'euros ; le Gouvernement n'en annonce que 50 milliards. En recettes, il faudrait 20 milliards d'euros de hausses de prélèvements obligatoires ; on détaille moins de 15 milliards d'euros (5 milliards déjà votés, 8 milliards de nouvelles mesures nettes) : il manque au moins 5 milliards d'euros.

Réaliser 80 % de l'effort sur les dépenses constitue-t-il véritablement un objectif ? Le flou sur l'ampleur des économies à réaliser sur les dépenses s'explique par les risques que de telles économies pourraient faire courir aux services publics. S'agit-il d'éviter d'afficher l'ampleur des hausses de prélèvements à venir ? Dans ce cas, en effet, il n'est pas utile de documenter des économies que l'on n'a pas l'intention de réaliser...Vraisemblablement, le Gouvernement joue sur l'ambiguïté et communique sur son plan 2011-2016 pour éviter d'avoir à expliquer les ambigüités de sa programmation 2013-2017. La Commission et les analystes le verront aussi bien que moi.

Une programmation plus réaliste consisterait à répartir l'effort entre 50 milliards d'euros pour la dépense et 40 milliards pour les recettes. Dans mon rapport sur le projet de loi de finances pour 2012, j'avais proposé une trajectoire de retour à l'équilibre différente de celle du Gouvernement, me fondant sur des estimations prudentes. L'objectif de retour à l'équilibre était 2017 et non 2016, conformément au calendrier du candidat que je soutiens ; à partir d'une estimation de déficit prudente de 5 points de PIB, l'effort à réaliser s'établissait à 100 milliards d'euros, avec une hypothèse de croissance de 2 % pour le PIB et de 1 % pour les dépenses publiques. J'actualise aujourd'hui cette trajectoire en conservant les mêmes hypothèses de croissance du PIB et des dépenses publiques : l'effort global nécessaire étant plutôt de 90 milliards d'euros, celui sur les recettes passe de 50 à 40 milliards d'euros. Cette version, plus équilibrée et plus crédible que celle du Gouvernement, est plus susceptible de susciter la confiance ; elle évite le risque d'augmentation autoréalisatrice des taux de notre dette. C'est celle que je propose de retenir dans le rapport et qui ménage des marges de manoeuvre pour appliquer un programme.

M. Albéric de Montgolfier - L'hypothèse de croissance de 1,75 % apparaît tout à fait réaliste de la part d'un gouvernement qui a réussi à diminuer la dépense de l'Etat pour la première fois depuis 1945. Nous sommes déjà en avance sur la réduction du déficit. Nous partageons la position présentée par François Baroin et Valérie Pécresse la semaine dernière.

M. Vincent Delahaye . - Le débat sur la période de programmation me laisse perplexe : l'effort de réduction du déficit a commencé dès 2011. Ce qui me semble clair, en revanche, c'est que vous préférez augmenter les impôts que réduire les dépenses. Quoiqu'un peu plus réalistes, les hypothèses de croissance ne le sont pas encore assez. De 2001 à 2008, la croissance s'est élevée à 1,72 % en moyenne, et à 0,3 % de 2008 à 2011. Pour les cinq prochaines années, c'est donc la prudence qui s'impose. Enfin, si vous déplorez le flou des propositions gouvernementales, vos propositions ne sont pas plus documentées et j'aurais aimé connaître l'évolution du taux de prélèvements obligatoires dans votre scénario.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale . - J'ai dit que l'hypothèse de 1,75 % était vraisemblable - François Hollande dit 1,7 % pour 2013. Je dois reconnaître qu'il y a des risques, qui ne dépendent pas de la France. Les conjoncturistes sont plus pessimistes.

M. Francis Delattre . - Les conjoncturistes avaient annoncé la récession.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale . - Sur la trajectoire, il est néanmoins permis de penser qu'on retrouvera progressivement en 2013 une croissance trimestrielle de 0,5 %, qui nous ferait nous rapprocher des 2 % par an - voilà pourquoi nous retenons cette hypothèse conventionnelle de 2 % à compter de 2014. Quant à la période de la programmation, si j'y insiste, c'est parce le Gouvernement a beaucoup augmenté les impôts en 2011 et 2012 !

M. Vincent Delahaye . - Les impôts établis en 2011 rapporteront encore en 2013.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale . - La Commission européenne ne nous demande pas de parler de 2011, mais bien de dire les mesures que nous allons prendre : ne nous trompons pas de période. Surtout, faire porter, à compter de 2013, 80 % de l'effort sur les dépenses me paraît un pari irréaliste. Je préfère la trajectoire, qui rejoint celle proposée par François Hollande, reposant pour 40 milliards d'euros sur les recettes, et pour 50 milliards sur les dépenses Cette hypothèse est déjà difficile puisqu'elle repose sur une hypothèse d'augmentation de 1 % des dépenses alors que la tendance spontanée est de 2 %.

Quant au détail des efforts, il sera défini précisément par le Premier ministre dans une loi de finances rectificative et dans la loi de finances pour 2013 - la marche de 2013, qui est très haute, fait, elle, partie des engagements de la France. Enfin, si j'insiste autant sur la période, c'est dans un souci de clarté vis-à-vis du Parlement et des électeurs.

M. François Patriat . - Quels chiffres pouvez-vous nous donner sur les prélèvements obligatoires ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale . - Dans mon scénario, le taux de prélèvements obligatoires s'élèverait en 2017 à 46,7% au lieu de 45,8 % dans la programmation du Gouvernement.

Mme Michèle André, présidente. - Acte est donné à notre rapporteure générale de sa communication. Nous sommes convenus d'en autoriser la publication sous la forme d'un rapport d'information auquel seront annexées les opinions des groupes qui en ont exprimé le souhait UMP, UCR, non-inscrits, d'une part, CRC, de l'autre.

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