3. Remettre la matériovigilance au coeur du système de sécurité sanitaire

Les défaillances du système de matériovigilance français ont contribué à ce que l'utilisation de dispositifs médicaux implantables non conformes aux règles de sécurité sanitaire et dangereux pour la santé des patients se poursuive alors que leurs effets néfastes avaient déjà été identifiés, soit isolément par certains médecins, soit à l'étranger. Pourtant, il appartient à tous les acteurs du secteur des dispositifs médicaux de faire remonter les informations dont ils pourraient disposer sur les incidents qu'un de ces produits aurait pu causer.

a) Faire de la matériovigilance une responsabilité mieux partagée, sous l'égide de l'ANSM

Le corps médical n'est pas le seul acteur de la matériovigilance. En effet, en application de l'article L. 5212-2 du code de la santé publique, « le fabricant, les utilisateurs d'un dispositif et les tiers ayant connaissance d'un incident ou d'un risque d'incident mettant en cause un dispositif ayant entraîné ou susceptible d'entraîner la mort ou la dégradation grave de l'état de santé d'un patient, d'un utilisateur ou d'un tiers doivent le signaler sans délai à l'ANSM » . La mise en place et le fonctionnement du système national de matériovigilance sont une des missions de cette agence, au sein de laquelle une commission nationale de sécurité sanitaire des dispositifs médicaux est plus spécialement chargée de ces questions.

C'est surtout au niveau local qu'il importe d'avoir des structures aptes à recueillir des signalements d'incidents. Chaque établissement de santé, ainsi que tout fabricant de dispositifs médicaux, est donc tenu de désigner un correspondant local de matériovigilance, chargé ensuite de déclarer à l'ANSM les incidents dont il aura eu connaissance. Quant aux tiers et, en particulier, aux médecins libéraux, ils sont tenus de faire leur signalement directement à l'ANSM.

Une fois l'ANSM informée d'incidents concernant un dispositif médical, elle peut suspendre sa commercialisation s'il présente un danger ou une suspicion de danger pour la santé humaine et enjoindre le fabricant de prendre les mesures que la situation impose, comme, le cas échéant, la destruction du produit et la mise en garde du public.

b) Rendre plus effective l'obligation de signalement des incidents liés à des dispositifs médicaux

Bien que les règles du code de la santé publique en matière de matériovigilance apparaissent claires, il ressort des auditions menées par la mission d'information que certains professionnels de santé ne satisfont pas correctement à leur obligation de signalement des incidents qu'ils constatent et que, lorsqu'ils le font, l'ANSM ne les tient pas informés des suites qu'elle y donne ni du délai dont elle a besoin pour traiter ces informations .


La protection des lanceurs d'alerte

Les découvertes de fraudes sur la qualité d'un dispositif médical ou de problèmes de conception majeurs, susceptibles de porter gravement atteinte à la santé de ses utilisateurs, sont souvent facilitées par l'action de personnes, professionnels médicaux ou non, qui ont porté à la connaissance des pouvoirs publics des informations dont elles disposaient sur le sujet. Le rôle de ces lanceurs d'alerte est reconnu depuis de nombreuses années dans la plupart des pays occidentaux, notamment aux Etats-Unis où les « whistleblowers » bénéficient d'un statut juridique spécifique.

Le droit français ne reconnaissait pas juridiquement les lanceurs d'alerte dans le domaine médical jusqu'à la loi « Médicament » du 29 décembre 2011. Désormais, quiconque a alerté de bonne foi son employeur, la justice ou les autorités administratives de faits, découverts dans l'exercice de ses fonctions, concernant la sécurité sanitaire des produits de santé est protégé contre d'éventuelles sanctions, en particulier pour le déroulement de sa carrière 82 ( * ) .

De plus, en cas de litige, la charge de la preuve est présumée bénéficier au lanceur d'alerte et c'est à son employeur qu'il appartient, le cas échéant, d'apporter la preuve que les mesures qu'il a prises à l'encontre de son employé lanceur d'alerte sont sans lien avec son initiative.

Un cadre juridique solide est en place afin d'inciter ceux qui disposent d'informations concernant la sécurité des dispositifs médicaux à les rendre publiques. Il reste désormais à voir de quelle façon ces règles seront appliquées par la justice.

Comme l'a reconnu Jean-Yves Grall, directeur général de la santé (DGS) au ministère des affaires sociales et de la santé, lors de son audition par la mission d'information, dans l'affaire PIP « la détection n'a pas été optimale » . Relativement au nombre de porteuses de prothèses, il y a eu très peu de déclarations d'effets indésirables avant l'inspection de l'usine PIP réalisée par l'Afssaps en mars 2010.

Il convient donc de simplifier la procédure de signalement , qui consiste encore à l'heure actuelle en l'envoi par fax à l'ANSM d'un formulaire Cerfa. Il est précisé sur celui-ci que si l'émetteur n'a pas reçu d'accusé de réception dans un délai de dix jours, il doit confirmer son envoi par lettre recommandée avec accusé de réception ! La mise en place d'un portail unique par internet , permettant une télétransmission rapide et sécurisée, serait de nature à répondre à une partie des doléances des professionnels de santé devant le caractère fastidieux de la procédure actuelle. Ceux-ci, ainsi que les patients, devraient bien évidemment être associés à sa conception.

Proposition n° 12 :
Mettre en place un groupe de travail chargé de simplifier la procédure
de signalement des incidents de matériovigilance

De plus, en obligeant l'ANSM à prendre contact systématiquement avec le déclarant et à le tenir informé des suites données à son signalement , celui-ci se sentirait plus impliqué, pourrait faire part de manière plus détaillée de ses observations et verrait sa démarche mieux prise en considération.

Proposition n° 13 :
Mieux associer les déclarants aux suites données aux déclarations
de matériovigilance

Il pourrait également être envisagé d'utiliser comme relais , ce qui est déjà parfois le cas de manière non formalisée, l'Ordre des médecins , que ce soit ses instances nationales ou départementales. Un effort de pédagogie de la part du Cnom et des pouvoirs publics en direction des médecins, par exemple à travers une campagne nationale de communication commune centrée sur la matériovigilance , ne serait sans doute pas superflu afin d'identifier plus rapidement les dispositifs médicaux qui, à l'usage, présentent un risque particulier pour la santé. Avec un nombre de signalements accru et une plus grande implication des professionnels de santé, il ne fait guère de doute que les cas de fraude avérée, comme celui des prothèses PIP, ne pourraient prospérer dans les mêmes conditions que par le passé et que le nombre de victimes serait bien moins important.

Proposition n° 14 :
Mener une campagne d'information commune, avec le Cnom,
sur les enjeux de la matériovigilance

L'ANSM doit donc incontestablement faire des efforts en matière de matériovigilance, aussi bien dans ses procédures internes de traitement des signalements, notamment en matière de délai, que dans la réactivité de son action une fois une situation anormale découverte. Dans le cadre de la signature prochaine, entre l'Etat et cette agence, d'un contrat d'objectifs et de performance visant à remplacer celui qui portait sur la période 2007-2010, il serait tout à fait opportun que le renforcement de la matériovigilance et l'amélioration de son efficacité y tiennent une place centrale et soient consacrés comme des priorités de l'action de l'ANSM . La mise en place d'indicateurs objectifs permettrait, à l'échéance prévue de ce document contractuel, que son action en la matière soit évaluée. De toute évidence, il est dans l'intérêt général que la France dispose enfin d'un système de matériovigilance d'excellence, où tous les acteurs coopèrent efficacement et s'acquittent pleinement de leurs responsabilités.

Proposition n° 15 :
Faire du renforcement de la matériovigilance l'un des points centraux
du prochain contrat d'objectifs et de performance Etat-ANSM


* 82 L'article L. 5312-4-2 du code de la santé publique définit précisément l'étendue de la protection offerte à un lanceur d'alerte. Il « ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, être écarté d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, ni être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de traitement, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat ».

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