N° 716

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juillet 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le déplacement d'une délégation de cette commission en Turquie du 5 au 9 mai ,

Par MM. Daniel RAOUL, Gérard CÉSAR, Mme Élisabeth LAMURE et M. Jean-Jacques MIRASSOU,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Daniel Raoul , président ; MM. Martial Bourquin, Claude Bérit-Débat, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Pierre Hérisson, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure, M. Gérard Le Cam, Mme Renée Nicoux, M. Robert Tropeano , vice-présidents ; MM. Jean-Jacques Mirassou, Bruno Retailleau, Bruno Sido , secrétaires ; M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Michel Bécot, Alain Bertrand, Mme Bernadette Bourzai, MM. François Calvet, Roland Courteau, Marc Daunis, Claude Dilain, Alain Fauconnier, Didier Guillaume, Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Jean-Claude Lenoir, Philippe Leroy, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Jean-Claude Merceron, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Mireille Schurch, M. Yannick Vaugrenard .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Une délégation de quatre membres de votre commission des affaires économiques 1 ( * ) , conduite par son Président, s'est rendue en Turquie du 5 au 9 mai 2013.

L'examen du présent rapport d'information faisant suite à ce déplacement intervient alors que la Turquie est confrontée à un mouvement de protestation de grande ampleur contre le Gouvernement .

Ce mouvement, initié à la fin de mois du mai par des opposants au projet de réaménagement du parc Gezi à Istanbul, a pris de l'ampleur suite à l'intervention violente de la police. Ce projet de réaménagement prévoit la suppression du parc au profit d'un centre culturel, d'un centre commercial et de la reconstitution d'une caserne militaire de l'époque ottomane et conduirait au déracinement de près de 600 arbres. La contestation s'est progressivement transformée en remise en cause de la politique du Gouvernement dirigé par le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2003, et de son parti, l'AKP (Parti pour la justice et le développement), qui a confirmé sa domination sur la vie politique turque en remportant largement les élections législatives, pour la troisième fois consécutive, en juin 2011.

Le présent rapport n'évoque bien entendu pas la situation politique actuelle dans le pays, ce mouvement s'étant développé plusieurs semaines après le déplacement de la délégation de votre commission.

Les membres de la délégation soulignent que les entretiens et les visites effectués sur place n'ont à aucun moment laissé entrevoir la perspective d'une telle mobilisation . Ils relèvent avoir néanmoins ressenti un certain contraste entre la visite de l'Université technique du Moyen-Orient (METU) d'Ankara et les rencontres avec les responsables politiques et économiques. Ce contraste n'a rien d'étonnant : cette université occupe en effet une place singulière en Turquie, puisqu'elle a été historiquement le foyer de nombreux mouvements de contestation et est réputée hostile au Gouvernement actuel. En décembre 2012, une visite du Premier ministre avait ainsi été émaillée de violents incidents entre étudiants et forces de l'ordre.

Le déplacement de la délégation de votre commission répondait à deux objectifs : étudier la situation économique de la Turquie et appréhender l'état des relations économiques franco-turques . Pendant trois journées particulièrement denses 2 ( * ) , la délégation a ainsi pu rencontrer des responsables politiques et économiques turcs mais aussi des chefs d'entreprises français implantés en Turquie. Elle a également visité des sites d'entreprises françaises, en l'occurrence Renault et Alstom. Les trois étapes de ce déplacement (Ankara, Bursa et Istanbul) ont permis à la délégation de mieux appréhender les données de l'économie turque et la réalité des liens économiques franco-turcs.

Les membres de la délégation souhaitent souligner que n'entraient donc pas dans le champ de ce déplacement - et ne seront donc pas traités dans le présent rapport - plusieurs sujets qui constituent des enjeux importants dans la vie politique ou diplomatique de la Turquie , tels que les trois sujets suivants dont certains ont été évoqués lors d'entretiens effectués par la délégation :

- le « processus de paix » entre l'État turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) : la question kurde est depuis plusieurs décennies un problème politique majeur en Turquie. Elle a conduit à plus de 40 000 morts en près de trente ans. Alors qu'un premier processus d'« ouverture démocratique » lancé en 2009 par le Gouvernement a échoué, un nouveau processus de règlement du conflit a été enclenché au début de l'année 2013. Le leader du PKK, Abdullah Öcalan, a appelé en mars dernier, depuis sa prison, les combattants du PKK à s'investir dans le processus de paix et à quitter le territoire turc. Ce retrait a d'ailleurs démarré au cours du déplacement de la délégation ;

- la guerre civile en Syrie : ce conflit a des répercussions importantes sur la Turquie. Plusieurs centaines de milliers de réfugiés syriens (près de 200 000) sont en effet présents dans des camps situés à la frontière entre les deux pays ;

- l'évolution de la société turque sous l'influence du gouvernement de l'AKP : c'est la question de l'éventuelle « islamisation » de la Turquie. Quelques jours avant le déplacement de la délégation de votre commission, la compagnie nationale Turkish Airlines a par exemple décidé d'interdire à ses hôtesses de porter des rouges à lèvres trop voyants, avant de revenir sur cette décision. Il s'agissait pour les milieux laïcs d'une nouvelle provocation intervenant après les propos du Premier ministre invitant la population à ne pas boire de bière pour lui préférer l'ayran (boisson lactée à base de yaourt), boisson élevée au grade de boisson nationale.

Pour ce qui concerne les objectifs de ce déplacement, il apparaît clairement, au terme de ce dernier - et des entretiens préparatoires effectués à Paris 3 ( * ) - que la Turquie est une puissance économique dynamique que la France ne peut pas ignorer .

Le présent rapport d'information soulignera tout d'abord que sa croissance démographique, ses performances économiques et son ouverture à l'international font de la Turquie une puissance économique dynamique qui devient incontournable (I). Il relèvera ensuite que les relations économiques franco-turques ont un potentiel de développement important, même si elles sont en dents de scie depuis une décennie (II).

Lors de sa réunion du mercredi 3 juillet, la commission des affaires économiques a autorisé la publication du présent rapport d'information.

I. LA TURQUIE, UNE PUISSANCE ÉCONOMIQUE DYNAMIQUE DEVENUE INCONTOURNABLE

A. LA POPULATION : UN DES ÉLÉMENTS DE LA PUISSANCE TURQUE

1. Une population nombreuse et en croissance

A la fin de l'année 2012, la Turquie comptait environ 75,6 millions d'habitants . Le pays figure ainsi parmi les vingt pays les plus peuplés au monde , avec plus de dix millions d'habitants de plus que la France, le Royaume-Uni ou l'Italie, une population comparable à l'Iran et entre cinq et dix millions d'habitants de moins que l'Allemagne, l'Éthiopie ou l'Égypte.

La population turque continue de progresser , sous l'effet d'une croissance démographique qui est, certes, en diminution depuis plusieurs décennies mais reste très supérieure à ce qu'elle est dans les pays occidentaux.

Le taux de croissance annuel de la population a ainsi atteint fin 2012 1,2 % - contre près de 2,6 % en 1970, 2 % en 1980 ou 1,7 % en 1995 4 ( * ) . En comparaison, et selon les données de la Banque mondiale, le taux de croissance démographique atteint 0,8 % au Royaume-Uni, 0,7 % aux États-Unis, 0,5 % en France, 0,4 % en Italie ou 0 % en Allemagne.

Selon les estimations des démographes, la décroissance du taux de croissance devrait conduire à une stabilisation de la population turque en 2030 autour de 85 millions d'habitants .

2. Une population très jeune, un atout économique

Au-delà de sa croissance, la population turque se caractérise par sa jeunesse : selon les données transmises par l'Institut du Bosphore, 26 % de la population a moins de 15 ans .

Il s'agit d' un atout économique indéniable : ainsi, « la Turquie possède l'une des plus jeunes populations dans l'une des plus grandes économies du monde . Sa main d'oeuvre est jeune, de plus en plus diplômée et pourrait être le fer de lance d'une économie encore plus dynamique, sophistiquée et évoluant rapidement » 5 ( * ) .

Parmi les vingt premières économies mondiales, seuls l'Inde, le Mexique et l'Indonésie disposent d'une population plus jeune, comme l'illustre le tableau suivant.

ÂGE MOYEN DE LA POPULATION DES VINGT PLUS GRANDES ÉCONOMIES MONDIALES

Pays

PIB
(en millions de dollars)

Âge moyen de la population

États-Unis

14 582 400

36,9

Chine

5 878 629

35,5

Japon

5 497 813

44,8

Allemagne

3 309 669

44,9

France

2 560 002

39,9

Royaume-Uni

2 246 079

40,0

Brésil

2 087 890

29,3

Italie

2 051 412

43,5

Inde

1 729 010

26,2

Canada

1 574 052

41,0

Russie

1 479 819

38,7

Espagne

1 407 405

40,5

Mexique

1 039 662

27,1

Corée du Sud

1 014 483

38,4

Australie

924 843

37,7

Pays-Bas

783 413

41,1

Turquie

735 264

28,5

Indonésie

706 558

28,2

Suisse

523 772

41,7

Pologne

468 585

38,5

Source : « Où va l'économie turque ? Trois scénarios à long terme et leurs répercussions sur les politiques menées », Ibid., p. 147.

3. Une population de plus en plus urbanisée

Enfin, la population turque est marquée par une urbanisation croissante : selon les données transmises par l'Institut du Bosphore, 76 % de la population vit aujourd'hui dans les villes, un taux en très forte progression depuis un demi-siècle. Ainsi, « les centres urbains se sont fortement développés. Alors que, cinquante ans en arrière, seulement 30 % de la population vivait en zone urbaine, la migration post-1960 a fait exploser ce chiffre, aujourd'hui passé à 75 % » 6 ( * ) .

L' exemple d'Ankara est assez révélateur : la population de cette ville est passée en un peu plus de vingt ans de 2,5 à plus de 4,5 millions d'habitants , comme l'ont souligné les chefs d'entreprises français rencontrés par la délégation de votre commission à Ankara.

Le séjour de la délégation dans cette ville a permis à cette dernière d'appréhender la réalité et les conséquences de l'urbanisation : le paysage urbain y est marqué par de nombreux chantiers ; le trajet entre l'aéroport et le centre-ville permet de constater la construction récente de nombreux immeubles d'habitation, notamment à l'initiative de l'agence d'État TOKI, qui a réalisé dans le pays près de 500 000 logements depuis 2002.


* 1 Cf. Annexe 1 : Composition de la délégation de la commission.

* 2 Cf. Annexe 2 : programme du déplacement.

* 3 Cf. Annexe 3 : entretiens préparatoires effectués à Paris.

* 4 Cf. données transmises par l'Institut du Bosphore.

* 5 « Où va l'économie turque ? Trois scénarios à long terme et leurs répercussions sur les politiques menées », Esen Caglar, in : Hérodote, n° 147, 1 er semestre 2013, p. 139-141.

* 6 Ibid., p. 143.

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