C. TROIS THÈMES DE CONFLITS

1. La qualité du service

La qualité du service est l'une des principales attentes de l'usager. Afin d'y répondre, des objectifs de qualité sont clairement définis dans les conventions d'exploitation des TER : d'une part, il s'agit d'assurer un suivi régulier de la qualité de service, d'autre part, de fournir une information constante aux usagers.

L'amélioration attendue des prestations de la SNCF touche plusieurs domaines :

- la fiabilité du service régional : l'objectif est de mesurer la continuité des trains (vérifier que des trains ne soient pas supprimés) ;

- la régularité des trains sur l'ensemble du réseau : la ponctualité des trains est mesurée ;

- la qualité des services en gare , mesurée par quatre critères : l'image (propreté et dégradations), l'accueil aux guichets et aux services d'accueil (présence et disponibilité du personnel, attitude...), l'information (heures d'ouverture, information départ hall...) et la disponibilité des équipements (automates de vente, composteurs...) en vue de garantir un accès au service public ferroviaire à l'ensemble des catégories de voyageurs ;

- la qualité des services à bord des trains : comme pour la qualité des services en gare, les critères observés concernent l'image du TER de la région et la prise en charge de la clientèle (l'image, l'accueil et l'information sont notées). La satisfaction de ces conditions doit également permettre de faciliter l'accès au service public ferroviaire à tous les voyageurs ;

- la sûreté des voyageurs et la sécurité ferroviaire : cela nécessite d'entretenir le bon état des infrastructures et du matériel roulant.

Si, dans leur majorité, les usagers sont satisfaits du confort des rames (76 %), de l'information délivrée sur les horaires et les tarifs ainsi que de l'accueil en gare (67 %), la ponctualité et l'information en cas de perturbation sont jugées de manière beaucoup plus critique : seules 51 % des personnes interrogées sont satisfaites de la ponctualité et seulement 46 % des franciliens, et l'information délivrés aux voyageurs en cas de perturbation est jugée satisfaisante par 32 % des usagers réguliers des TER 21 ( * ) . Début 2011, le conseil régional de Rhône-Alpes avait interpellé la SNCF pour protester contre la qualité jugée insuffisante du service TER dans la région. Ainsi entre le 13 décembre et le 31 décembre 2010, la ponctualité des TER était inférieur à 86 % En 2010, la SNCF avait dû payer 3 millions d'euros d'indemnités à la région pour mauvaise qualité du service. En 2012, la Franche-Comté a menacé de suspendre les sommes versées à la SNCF si les dysfonctionnements n'étaient pas résolus : 22 % des trajets TER contre 8 % auparavant présentaient un problème. La région Aquitaine a également menacé de poursuivre la SNCF pour non-respect de la convention TER.

Dans son rapport de 2009 sur les TER 22 ( * ) , la Cour des comptes avait jugé que l'impact du mécanisme d'intéressement existant dans les premières générations de convention était trop modeste pour avoir une réelle influence. Ainsi, en Midi-Pyrénées, il ne représentait que 0,2 % du chiffre d'affaires de l'activité TER. Dans la deuxième génération des conventions, la Cour des comptes constate une modification des seuils de pénalités dans le sens d'une plus grande sévérité pour la SNCF.

Un aspect apparu lors des auditions est le fait que la SNCF peut être juge de la qualité du service qu'elle propose. À titre d'exemple, dans la précédente convention liant la SNCF à la région Limousin, c'est la SNCF seule qui apportait la preuve de la fréquentation. Le service des transports de la région a choisi de mettre en place une « brigade de comptage », chargée de vérifier le respect des horaires, la fréquentation et le confort. Toutefois, l'introduction de la région dans le contrôle du service proposé par la SNCF a été difficile à mettre en place et a rencontré une forte opposition chez les cheminots. La nouvelle convention TER en Limousin prévoit désormais que « l'évaluation [de la qualité de service] se fasse par l'intermédiaire d'un prestataire de service désigné et rémunéré par la Région ».

Une analyse des avis des Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER) sur la troisième génération de conventions - celles actuellement en vigueur - montre toute l'attention particulière qui est portée à la qualité du service .

À titre d'exemple, le CESER de la région Aquitaine relève dans la convention la mise en place d'un compte qualité résultant des négociations entre les deux parties. Celui-ci sera alimenté par les excédents ou pénalités des partenaires pour une utilisation exclusive au service rendu aux voyageurs TER. Le CESER de Franche-Comté, pour sa part, marque son approbation au fait que la région ait obtenu de la SNCF davantage d'obligations de résultat. La nouvelle convention prévoit désormais un relèvement du niveau de ponctualité des trains et une indemnisation en cas de retard ou d'annulation des trains ; des pénalités pour la SNCF dès le premier train annulé et l'obligation pour le SNCF d'informer la région de toute perturbation ou dysfonctionnement du service. En outre, un système de bonus-malus a été instauré. Quant au CESER de Midi-Pyrénées, il souligne la nouvelle approche de la notion de qualité, laquelle introduit désormais la thématique « information en situation perturbée ». Il met toutefois en garde contre une formule trop complexe de pondération et d'agrégation d'indicateurs qui pourrait avoir un effet contre-productif pour l'usager au final. Enfin, deux CESER s'attardent sur les nouvelles obligations désormais imposées par la convention respective en cas d'aléas ou d'incidents. En Picardie, la SNCF a l'obligation de prendre toutes les mesures pour pallier les conséquences des aléas normaux du transport ferroviaire régional de voyageurs, tandis qu'en Rhône-Alpes, la convention prévoit la garantie de niveaux de service par des plans de transport adaptés, une information fiable sur la nature des perturbations et leurs conséquences, et un triplement de l'effort d'indemnisation des voyageurs. Ces nouveautés ne sont pas sans rappeler le contentieux ayant opposé la région Centre et la SNCF. Cette dernière souhaitait que les grèves de 2007 soient reconnues comme cause de force majeure ne permettant pas l'exécution du contrat, ce qu'a refusé la région. Le tribunal administratif a donné raison à la région.

2. L'absence de transparence sur les coûts

La transparence sur les coûts facturés est également une demande récurrente de la part des régions et, de manière plus générale, des collectivités territoriales. En effet, en tant que payeur, la région souhaite pouvoir comprendre ce qu'elle paye, afin de pouvoir vérifier l'adéquation entre le prix et la prestation.

Or, l'opacité de la comptabilité de la SNCF est un problème connu 23 ( * ) , plusieurs fois souligné par la Cour des comptes. Ainsi, dans son rapport de 2009, elle dénonce « l'insuffisante connaissance des coûts des TER », résultant notamment des « lacunes de la comptabilité analytiques de la SNCF » .

L'exemple de la région Midi-Pyrénées cité par la Cour des comptes

« L'exemple de la région Midi-Pyrénées illustre bien les difficultés créées par les insuffisances de la comptabilité analytique et la faible qualité de l'information financière fournie par la SNCF qui subsistent malgré ces améliorations. La lecture directe du résultat net affiché au compte d'exploitation du service TER de la SNCF, a priori nettement déficitaire sur la période étudiée, ne permet pas une appréciation fidèle de la réalité financière sans un certain nombre de retraitements.

Le poste de charge « entretien du matériel roulant » est comptabilisé en partie sous la forme d'une provision dans les comptes de la SNCF. Cette provision lisse sur plusieurs années les dépenses relatives aux « grosses opérations périodiques d'entretien » et permet ainsi d'éviter que de grands écarts apparaissent entre les années. Elle est calculée sur la base du montant réel 2000 indexé.

Dans un audit financier commandé par la région Midi-Pyrénées en préparation du renouvellement de la convention avec la SNCF a été mise en évidence une différence de 9,4 M€ entre le montant des provisions comptabilisées (20,8 M€ en cumul sur la période) et le montant des opérations d'entretien réellement effectuées (11,4 M€ en cumul), ce qui diminue d'autant le résultat net réel. Retraité de ces provisions indûment déduites, le résultat net cumulé des TER dans la région n'est plus de -9,62 M€ mais de -252 000 € ».

Source : « Le transfert aux régions du transport express régional » Cour des comptes, novembre 2009 .

Cette volonté d'une plus grande transparence a été réaffirmée par les régions dans leur « Manifeste sur le transport des voyageurs » publié par l'Association des régions de France le 28 septembre 2011, dans la perspective des États généraux du transport ferroviaire régional : « de même que les autorités organisatrices des transports urbains, les régions devront pouvoir disposer d'un rapport annuel précis de l'exploitant, de comptes régionaux certifiés par des commissaires aux comptes, de comptes par lignes et de comptes rendus détaillés sur la qualité de service ».

La SNCF s'est engagée dans une réforme de sa comptabilité analytique afin d'améliorer la transparence, notamment en essayant de limiter le recours à des clés de répartition automatique. Par exemple, la direction régionale SNCF Limousin a mis en place en 2012 un système comptable qui permet de détourer chaque charge.

L'une des raisons expliquant la difficulté à instaurer une transparence des coûts est le fait qu'un agent de la SNCF peut travailler pour plusieurs branches du groupe, notamment dans l'accueil et le renseignement des voyageurs. Or, aujourd'hui, selon les personnes auditionnées, la SNCF ne fait pas la distinction dans sa comptabilité entre le temps de travail des agents pour le service national et celui pour le service régional. Les conventions mentionnent juste un pourcentage de frais de structure.

Toutefois, un début de progrès a été fait. On retrouve dans certaines conventions de la dernière génération des références au développement de la comptabilité analytique. C'est notamment le cas de la convention d'exploitation du TER en Bourgogne pour 2007-2016, laquelle prévoit que « la SNCF s'efforcera de développer un système de comptabilité analytique permettant d'avoir une estimation des charges par ligne » permettant une meilleure lisibilité. En outre, les frais de structure sont désormais constitués de plusieurs couches : frais nationaux, notamment la quote-part du président, frais régionaux, frais par domaine, frais locaux.

3. La demande de la hausse de la participation financière des régions

Beaucoup de présidents de région dénoncent les hausses de participation financière demandées par la SNCF . Selon l'un des présidents de région auditionnés 24 ( * ) , le coût des conventions TER augmente chaque année. La SNCF les justifie par trois points :

- l'augmentation du prix des péages : l'inflation est de 3 à 4% par an ;

- la rémunération du personnel, en progression de 2,5% ;

- le renchérissement du prix de l'énergie ;

Des modifications législatives peuvent aussi avoir un impact par ricochet sur la répartition des charges de la convention. Récemment, la SNCF a demandé à la région Pays-de-la-Loire une augmentation de sa participation de 3,6 millions d'euros pour compenser l'augmentation de la taxation que doit payer cette entreprise du fait du remplacement de la taxe professionnelle par la CVAE.

Ces demandes sont d'autant moins bien acceptées que, d'une part, les régions ne disposent d' aucune ressource fiscale propre qu'elles pourraient moduler et que, d'autre part, elles participent financièrement en matière de transport ferroviaire au-delà de leur seule compétence en matière de transport régional . Ainsi, elles participent souvent au financement de la construction de lignes à grande vitesse ou pouvant accueillir le TGV. Or, dans certains cas, cet investissement peut même avoir un impact négatif sur le nombre de voyageurs dans les TER. C'est le cas en Bretagne, où du fait de l'électrisation de la ligne Rennes-Saint-Malo que le conseil régional a cofinancé, le nombre de voyageurs empruntant le TER circulant sur le même tronçon a diminué du fait de la concurrence du TGV. En outre, en raison du mauvais état de l'infrastructure, notamment du réseau secondaire, elles sont consignataires de plans de rénovation, à l'image des plans Rail en région Midi-Pyrénées (400 millions d'euros) ou en Auvergne (60 millions d'euros). Elles participent aussi à la rénovation des gares.

L'un des principaux sujets sensibles actuels est la prise en charge du surcoût qu'a engendré pour la SNCF la réforme des retraites des cheminots. Elle varie d'une région à l'autre. Ainsi, la région Bretagne a décidé, par un accord à l'amiable avec la SNCF, de prendre à sa charge 50 % des surcoûts induits. Au contraire, la région Centre a refusé d'intégrer ce surplus financier et a déposé un recours devant le tribunal administratif qui lui a donné raison.


* 21 « Les usagers, le grand public français et les transports ferroviaires régionaux », enquête Ipsos pour l'Association des régions de France, septembre 2011.

* 22 « Le transfert aux régions du transport express régional », Cour des comptes, novembre 2009.

* 23 Audition de M. Massiot, 26 avril 2013 : « Quant à la mise en place d'un audit, les cabinets extérieurs n'y arrivent pas en raison de la très grande opacité de la SNCF ».

* 24 Audition de M. Auxiette, le 12 juin 2013.

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