B. REFUSER L'IMPUNITÉ POUR LES MEURTRIERS DE SERGUEÏ MAGNITSKI

En analysant l'affaire Magnitski, la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme a poursuivi son travail de lutte contre l'impunité et contre la corruption et réaffirmé son attachement à la protection des lanceurs d'alerte.

L'expert russe en fiscalité et comptabilité, Sergueï Magnitski, avait mené une enquête sur une fraude d'importance commise au détriment des autorités fiscales russes. Après avoir enduré des conditions de détention particulièrement éprouvantes, été privé de soins médicaux et battu à coups de matraque, il est mort en détention provisoire en 2009. Aucune des personnes responsables de sa mort n'a à ce jour été punie. Par ailleurs, Sergueï Magnitski, qui avait été placé en détention pour évasion fiscale dès son dépôt de plainte contre les fonctionnaires fiscaux, a été reconnu coupable le 11 juillet 2013, soit à titre posthume, d'évasion fiscale à grande échelle en bande organisée par un tribunal moscovite.

Le texte adopté par l'Assemblée invite instamment les autorités russes à mener une enquête complète sur les circonstances et le contexte de la mort de Sergueï Magnitski, ainsi que sur l'éventuelle responsabilité pénale de tous les fonctionnaires concernés. Il est proposé en dernier ressort d'encourager les États membres à adopter des sanctions ciblées à l'égard des intéressés, comme l'interdiction de visa et le gel d'avoirs, à l'exemple de ce qu'ont pu déjà adopter les États-Unis et le Canada.

M. Jean-Pierre Michel (Haute Saône - SOC) a souhaité revenir sur l'absence de procès équitable dans cette affaire :

« Madame la Présidente, mes chers collègues, le point à l'ordre du jour est particulier puisque nous traitons d'une affaire individuelle. Mais ne nous y trompons pas : au-delà de cette affaire, c'est tout de même d'un point sur l'administration, l'état carcéral et la justice en Russie qu'il s'agit. D'ailleurs, nos collègues de la Fédération russe ne s'y sont pas trompés qui, tout au long des séances de commission, n'ont cessé de faire obstruction à ce rapport en déposant une série d'amendements, dans le seul but d'en retarder l'adoption.

Sergueï Magnitski est mort en détention provisoire à Moscou le 16 novembre 2009. Le 11 juillet 2013, il a été reconnu coupable d'évasion fiscale. On croit rêver ! Il est tout à fait contraire à toutes les règles de droit international pénal d'ouvrir un procès contre une personne décédée. Lorsque l'auteur présumé des faits est mort, dans tous les pays, l'action publique s'éteint, le procès est abandonné, quitte à envisager des poursuites sur le plan civil pour d'éventuels dommages et intérêts.

Ce n'est pas ce qui s'est passé en Russie. La justice russe a suivi son cours, comme si de rien n'était, en condamnant quelqu'un qui était mort en prison à la suite de tortures. Ce procès inéquitable aurait dû être arrêté et les autorités russes devraient reconnaître qu'il n'avait aucun sens et était contraire à toutes les règles du droit reconnues par tous. Mais interrogeons-nous aussi sur les meurtriers, qui eux sont bien vivants, libres d'aller et venir. Selon le rapport d'Andreas Gross, certaines des personnes impliquées auraient même bénéficié de promotions !

À cet instant, je veux féliciter notre rapporteur pour son implication dans ce rapport. Il a fait preuve d'une résistance à toute épreuve face aux différentes pressions et oppositions qu'il a rencontrées. Plus d'un aurait renoncé, cela ne fut pas son cas.

De mystère, il n'y a pourtant guère dans cette affaire. Les détails réunis dans le rapport sont en effet accablants. Dès décembre 2009, ils ont même été publiquement reconnus par une commission russe indépendante, la Commission de surveillance publique de Moscou. Mais il faut croire que les autorités russes ne font aucun cas des avis de cette commission. Pourtant, après avoir lancé sa propre enquête indépendante sur le décès de Sergueï Magnitski, cette commission a conclu qu'il avait été torturé à mort dans sa prison.

Qu'aucune des personnes responsables de sa mort n'ait depuis été punie illustre dramatiquement les dérives du système pénal et carcéral russe. Même si les uns et les autres, nous devons aussi regarder ce qui se passe dans nos pays et si nous sommes conscients de la difficulté pour nos gouvernements d'agir en la matière, ce n'est pas une raison. En tant que parlementaires, il nous appartient de combattre lorsque les droits de l'Homme les plus élémentaires sont ainsi bafoués.

En conséquence, mes chers collègues, j'invite tous ceux qui sont attachés à nos valeurs communes, celles que nous avons acceptées et que nos États ont ratifiées, à voter nombreux les textes que nous propose Andreas Gross. »

Mme Marietta Karamanli (Sarthe - SOC) a quant à elle insisté sur la responsabilité de l'État russe :

« Le système de protection des droits de l'Homme mis en place par la Convention européenne des droits de l'Homme repose sur un triple pilier, correspondant à trois sujets de droit : la personne qui bénéficie de la protection instituée, l'État qui doit lui assurer la protection, enfin celui qui peut actionner le mécanisme de protection, de réparation ou de sanction assuré par l'État à la personne. Généralement, le bénéficiaire de la protection est aussi celui qui peut agir pour la mettre en oeuvre.

Dans l'affaire qui nous préoccupe, le bénéficiaire n'est malheureusement plus : il a été victime de sévices et de mauvais traitements ayant conduit à son décès dans des conditions peu ou mal élucidées. De son côté, l'État n'a pu assurer la protection à laquelle, comme sujet de droit, il s'est engagé. Enfin, les recours possibles n'ont pas débouché pour des raisons procédurales ou qui tiennent aux choix des autorités juridictionnelles.

Ainsi, comme dans d'autres affaires, sont d'abord en cause des tiers qui devaient s'abstenir de porter atteinte aux droits fondamentaux de Sergueï Magnitski.

Puis vient aussi la question de la responsabilité de l'État qui n'a pas assuré la protection utile à l'intéressé et n'a pas garanti son droit de voir ceux qui n'avaient pas respecté sa dignité et son intégrité être punis.

Conformément aux principes et textes qui nous réunissent ici, c'est désormais vers l'État que nous nous tournons. Il peut être tenu pour responsable des violations des droits en raison de sa carence à les faire respecter. C'est pourquoi la notion de victime devant notre Assemblée et la CEDH est si importante et si déterminante.

Il y a une sorte de déplacement des exigences de responsabilités des tiers qui ont violé les droits de Sergueï Magnitski vers l'État.

L'affaire qui nous occupe est dramatique, comme le sont tous les cas de violation de droits fondamentaux d'une personne. Elle est emblématique, non en raison de l'environnement politique qu'elle révèlerait, mais du fait qu'elle illustre ce que le droit exige de l'État ; à savoir : la protection physique de ses citoyens ; la protection du droit des victimes à un procès juste ; la poursuite de ceux qui ont initialement violé les droits à l'intégrité et à la dignité d'une personne, notamment lorsqu'ils sont eux-mêmes agents ou collaborateurs de l'État et devraient donc être exemplaires.

Le contrôle de nos institutions sur ce genre d'affaires se veut pratique et efficace, car les droits auxquels nous sommes attachés ne sauraient être, comme le dit la CEDH, « des droits théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs ».

C'est la raison pour laquelle nous devons nous concentrer sur ce qui est rapporté objectivement. Vouloir résoudre simultanément tous les problèmes posés par une équation complexe, c'est prendre le risque de n'apporter de réponse à aucun.

La justice doit être rendue sur les conditions de poursuite, de condamnation, de détention et de mort de Sergueï Magnitski. La justice doit aussi donner à voir qu'elle est rendue. Il y a là l'expression d'une fonction sociale qui concerne chaque État et nos institutions communes.

Les garanties demandées doivent empêcher que les citoyens doutent de la légitimité de l'État et de la justice. Au titre de ces garanties, il y a l'impartialité de la justice.

Il nous appartient collectivement d'inciter chaque État, en l'occurrence, ici, la Fédération de Russie, à renouveler et renforcer sa légitimité en rendant sa justice et en rendant admissible par tous le résultat de son travail. »

Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) a souligné la persistance d'une forte corruption en Russie et a insisté sur le renforcement de l'action du Conseil de l'Europe en la matière :

« Le rapport d'Andreas Gross, qui se lit comme un véritable roman policier, fait froid dans le dos. Cette affaire apparaît comme un concentré des carences de la Russie comme État de droit. Le rapport montre parfaitement les multiples atteintes non seulement à la Convention européenne des droits de l'Homme, mais également à la loi russe elle-même, auxquelles cette affaire continue de donner lieu. En décembre 2012, Le Monde qualifiait cette affaire « d'histoire sordide d'un machiavélisme d'État. »

Pourtant, la société civile russe est dynamique et attentive au respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. C'est surtout la volonté politique qui semble manquer pour enquêter en toute transparence et impartialité sur les circonstances de la mort de Sergueï Magnitski. Alors comment améliorer la situation ? Notre Organisation dispose de plusieurs instruments. Encore faut-il qu'ils soient véritablement efficaces.

La corruption persistante en Russie soulève la question du rôle et des résultats du GRECO. Quel est le bilan de cette instance contre la corruption en Russie ? La coopération des autorités russes dans cette structure est-elle réelle ?

Nous devons nous montrer très attentifs aux conséquences concrètes de la réforme du suivi. Nous devons veiller à ce qu'elle ne se traduise pas par un affaiblissement du suivi de la situation des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans les États membres concernés par cette procédure. Les difficultés ne viennent pas tant des carences de la législation que de celles de son respect.

Enfin, je m'interroge également sur le rôle du Comité des ministres dans la gestion politique de cette affaire. Quelle a été son attitude vis-à-vis du Gouvernement russe et quels engagements a-t-il obtenus de ce dernier ?

Je considère comme bienvenue, même si elle est un peu tardive, l'initiative de notre collègue Andreas Gross de soumettre à notre Assemblée un projet de recommandation adressé au Comité des ministres. Le Conseil de l'Europe n'a que trop tardé pour rétablir la dignité de Sergueï Magnitski et de bien d'autres. »

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