I. SÉCURISER LES DROITS FONCIERS DANS UN CADRE CIVILISTE ÉLARGI

Malgré la grande hétérogénéité des régimes fonciers qui prévalent dans les outre-mer, trois lignes de force se détachent et rassemblent les territoires ultramarins tout en les démarquant nettement de l'Hexagone :

- l'importance du domaine public soit de l'État, soit des collectivités territoriales lorsque celles-ci sont dotées d'un statut d'autonomie (la collectivité de Saint-Martin, le pays en Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et ses provinces, par exemple) ;

- la faiblesse des réserves foncières communales , qui les gêne dans leurs projets d'équipements et les empêche de développer une politique d'urbanisme cohérente dans la durée ;

- le manque de sécurité de la propriété foncière privée , en raison soit de la difficulté d'établir la preuve individuelle de sa propriété pour opposer ses droits aux tiers, soit des occupations illégales de terrains et de bâti que la puissance publique ne parvient pas à juguler.

Les trois éléments pris ensemble étouffent le développement de l'investissement privé et la réalisation d'infrastructures d'intérêt général.

A. RÉSOUDRE L'INDIVISION ENDÉMIQUE DANS LES OUTRE-MER

1. L'état des lieux d'un phénomène répandu, enraciné et résistant qui entrave le développement
a) Une caractéristique de la situation foncière des outre-mer

Le manque de sécurité de la propriété privée se manifeste dans la conjonction d'une carence de titrement et d'une indivision endémique. Il est important de mesurer que l'indivision est à la fois une cause de paralysie des économies ultramarines et une réaction rationnelle, quoique sous-optimale, des sociétés locales.

On peut y voir un mal car elle contribue au gel d'un foncier déjà très rare et étrangle ainsi le développement de territoires qui peinent à trouver une dynamique économique endogène. Cette indivision généralisée cause des tensions au sein et entre les familles , anxieuses de sortir de l'ambiguïté et de l'instabilité de ce régime particulier pour établir clairement les droits de chacun. Elle est certainement une anomalie au regard du code civil qui favorise l'individualisation et la formalisation des droits pour faciliter le commerce de la terre et l'exploitation de ses fruits, même si des dispositions spécifiques sont prévues pour gérer la copropriété ou des biens indivis et pour faire respecter les droits des tiers, en particulier via la reconnaissance de servitudes. En droit civil, l'indivision apparaît comme un régime temporaire, transitoire : nul n'est tenu de rester dans l'indivision.

Cependant, ce serait une erreur grossière et une preuve d'arrogance de lire dans la persistance de l'indivision le signe de l'irrationalité résiduelle de populations qu'il faudrait faire entrer enfin dans la modernité. La situation actuelle ne manque pas de causes ni de raisons qui permettent de l'expliquer. Conjointement, elles établissent que l'indivision n'est pas systématiquement perçue et vécue comme un facteur d'insécurité juridique mais au contraire comme une source de protection du patrimoine familial .

En effet, dans les territoires ultramarins, où règne l'indivision, le foncier exploitable ou habitable est rare , ce qui incite à éviter son morcellement excessif. En outre, l'indivision résulte de la méfiance des familles et de leur crainte de la spoliation, qu'il serait difficile de rejeter comme parfaitement illégitime après l'expérience coloniale. Elle leur permet en effet d'éviter autant que possible la vente d'une partie du patrimoine à tout « étranger » .

L'organisation sociale des outre-mer, encore marquée quoiqu'à des degrés divers par l'importance des familles élargies et la cohabitation des générations, appelait assez naturellement une gestion indivise du patrimoine, réglée de façon informelle . La prégnance encore nette des transactions orales dans des cultures où l'écrit n'a jamais occupé une place privilégiée rendait superfétatoire la formalisation des droits de chacun des indivisaires. En réalité, le fait même de vivre cette gestion collective familiale des terres non plus comme une pratique allant de soi mais comme une indivision, c'est-à-dire comme régie par des normes juridiques dont on s'inquiète, signe une avancée de l'écrit et du droit commun.

La nécessité de faire droit à des revendications individuelles se faisait d'autant moins sentir avec le départ pour l'Hexagone ou un centre urbain attractif de certaines branches de la famille en quête d'emplois. Aujourd'hui, le retour aux origines avec la crise ou la revendication de ces branches définitivement établies ailleurs mais soucieuses de faire fructifier leurs droits selon le droit commun mine la viabilité des usages anciens. C'est le cas notamment du partage sans testament, soit du vivant, soit par accord au sein de la famille, y compris selon des modalités qui s'écartent du droit commun. Le coût des mutations et taxes sur les successions pour des populations souvent modestes ne doit pas être négligé pour comprendre la préférence sociale pour des règlements informels et non enregistrés .

Le modèle économique prévalent avec une prédominance de très petites entreprises souvent individuelles et la persistance d'une agriculture vivrière, en dehors des plantations, n'a longtemps exercé qu'une faible pression. Cependant, ce modèle subit une profonde mutation sous l'effet conjugué de l'accroissement démographique, l'urbanisation, l'aspiration des populations à un mode de vie consumériste, la construction de réseaux et la nécessité d'investir pour trouver des relais de croissance, ce qui change la donne et rend l'indivision paralysante tant pour l'initiative privée que pour les projets publics.

Dans les outre-mer, il est fréquent de constater des cascades de successions non réglées sur plusieurs générations et de partages qui n'ont pas été faits ou enregistrés selon les règles, parfois entre plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d'ayants droit indivisaires. C'est par ce biais que l'indivision, initialement mode de gestion traditionnel adapté à la configuration socio-économique des territoires et constituant une mesure efficace de protection du patrimoine familial, se retourne contre les populations, fragilise leurs droits et les empêche d'en tirer paisiblement les fruits. Le droit civil éprouve des difficultés à appréhender cette indivision traditionnelle informelle pourtant contrainte à évoluer sous l'aiguillon des revendications individuelles et des besoins en équipements collectifs.

b) Une intensité variable avec le contexte local

Pour un bien qui a fait l'objet d'un titre, on peut distinguer le cas, normal aux termes du droit civil, où à chaque génération le notaire intervient, les partages sont réalisés et chaque héritier dispose d'un titre valable tout en demeurant éventuellement dans une indivision conventionnelle, et le cas, excentrique mais récurrent outre-mer , où en l'absence d'intervention du notaire, les successions ne sont pas réglées et les transactions pas formalisées . Le second correspond à deux situations distinctes selon que :

- un ou plusieurs indivisaires occupent le terrain dont le titre renvoie à l'aïeul propriétaire décédé depuis plusieurs générations ;

- un tiers ou ses ayants droit occupent ce même terrain soit sur le fondement d'une autorisation verbale du propriétaire de l'époque, soit de façon illicite.

Dans ces deux variantes, on ne peut que constater une disjonction entre l'occupation ou la possession et la propriété validée par un titre . Elle ne peut être résorbée que par deux opérations : la dévolution successorale ou la prescription acquisitive . Aucun des deux mécanismes ne fonctionne avec la fluidité nécessaire dans les outre-mer .

Même dans les départements les plus proches de la réalité hexagonale et juridiquement assimilés depuis longtemps, comme la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, demeure un sérieux problème d'indivision et de reconstitution de titres de propriété. Cette problématique est spécifique et distincte de celle de l'occupation du domaine public, notamment de la zone des pas géométriques (ZPG).

Sur de nombreuses terres des Antilles, après l'abolition de l'esclavage, des transactions immobilières valides ont permis à de nombreux anciens esclaves d'acquérir des terres et d'obtenir des titres en bonne et due forme dans la deuxième moitié du XIX e siècle. 1 ( * ) C'est la chaîne de transmission de ces titres initiaux qui pèche ensuite. Le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre relève ainsi comme principales difficultés dans la résolution des successions et des indivisions en Guadeloupe :

« - le peu d'anticipation des défunts, le recours peu fréquent au notaire pour la transmission d'immeubles avant et après décès, la méconnaissance des règles de promesse de vente, des droits des héritiers, des donations ;

- l'inertie des héritiers à saisir le notaire suite au décès pour dresser la liste des héritiers et leur vocation successorale ;

- le recours persistant au certificat d'hérédité établi par la mairie avec la croyance erronée que ce document est suffisant pour transmettre la propriété foncière ;

- la méconnaissance des règles régissant l'indivision et notamment celle selon laquelle chacun peut sortir de l'indivision post décès à tout moment si elle n'est pas conventionnelle. » 2 ( * )

La cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion confirme également la persistance dans son ressort des indivisions de génération en génération, du fait que « traditionnellement, lors des successions, les familles procèdent régulièrement à des partages sans établir d'actes notariés. » 3 ( * )

L'analyse quantitative de la répartition de la propriété foncière d'après les données cadastrales révèle l'étendue du problème d'indivisions et de successions. D'après le cadastre de la Martinique , 60 % du parcellaire appartient à des personnes physiques. Sur ce foncier des personnes privées, 26 % correspond à une propriété en indivision et 14 % à des successions ouvertes, ce qui implique que 40 % du foncier privé est très difficile à mobiliser. La situation est à peu près la même dans toutes les communes de Martinique : le taux d'indivision et de successions ouvertes s'élevant par exemple à 32,3 % au François, à 45,9 % à Fort-de-France et à 48,9 % au Diamant.

Propriété foncière privée : cas des indivisions, des successions
et des litiges sur les droits de propriété

Indivision simple Propriété en litige Succession

Source : DGI cadastre 2011 - DEAL Martinique

Tableau par communes de la Martinique

Si Mayotte ne se distingue pas des autres départements d'outre-mer du point de vue de la prédominance des indivisions et des successions non liquidées, elle présente néanmoins un cas à part dans la mesure où l'état civil y est depuis peu établi et où il faut encore remporter le défi de l'application correcte du droit commun de la famille et des successions par rapport aux règles traditionnelles héritées de coutumes africaines et du droit musulman .

Ainsi que l'ont indiqué à vos rapporteurs tant Maître Nadjim Ahamada, bâtonnier, que M. Elmammouni Mohamed Nassur, porte-parole des cadis, alors que le droit européen et le droit national imposent une stricte égalité de traitement entre filles et garçons au plan successoral, le droit coutumier mahorais prévoit la transmission des biens fonciers exclusivement aux filles, c'est-à-dire que les terres se transmettent de mère à fille, et le droit musulman dote les garçons du double de ce que reçoivent les filles. 4 ( * ) Le principe d'égalité successorale est désormais légalement établi. De même, jusqu'en 2005 , la polygamie était normale à Mayotte ce qui a favorisé l'extension des indivisions.

La situation de l'indivision et des successions est encore compliquée par un problème de traçabilité de la propriété dans le temps dès lors que les transactions foncières, telles que ventes, échanges ou dons, ont été réalisés soit oralement, soit sous seing privé par le passé et n'ont donc fait l'objet ni d'une publicité, ni d'un enregistrement au livre foncier. En effet, à Mayotte, le passage devant notaires pour les transactions immobilières n'est devenu obligatoire que depuis le 1 er janvier 2008 . Auparavant, pour régler les successions et devenir propriétaire, on procédait par acte sous seing privé dont la publication était laissée à l'initiative des auteurs. Les cadis géraient le droit de la famille, rédigeaient les actes qu'ils remettaient aux parties, à charge pour elles de faire procéder à l'enregistrement et à la publication, ce qui était rarement le cas. Certaines personnes détiennent donc au nom de leurs aïeux des titres d'origine qui n'ont jamais été retranscrits sur le livre foncier . Ces personnes ont cédé ou partagé les terrains sans traçabilité juridique formalisée. Il faut procéder préalablement au règlement de successions en cascade pour sortir de l'indivision.

Pour l'avenir, il pourrait être utile de favoriser un règlement en amont en recourant à la procédure de donation-partage pour prévenir les difficultés de l'indivision successorale. Cet instrument reste toutefois formel et complexe ; son emploi ne peut se répandre sans une sérieuse campagne d'information et une amélioration certaine de l'accès au droit de la population, y compris dans les langues vernaculaires locales.

Par ailleurs, comme l'a indiqué à vos rapporteurs Maître Sylvie Pons, notaire, les frais et les formalités de dévolution successorale sont souvent trop lourds à assumer pour les familles, ce qui explique l'enlisement de la procédure : « les indivisaires d'aujourd'hui ne veulent pas assumer le coût de la liquidation des successions qui en ont fait des héritiers, alors même qu'entre temps les terrains ont parfois été cédés. Il y a des familles en détresse car la situation d'indivision est bloquée : pour demander à sortir de l'indivision, encore faut-il pouvoir prouver la qualité d'héritier et produire, au minimum, un acte de notoriété devant le tribunal. Les mairies refusent de délivrer les extraits d'acte de naissance à partir du nouvel état civil : il faut produire pour ce faire un ancien extrait d'acte de naissance. » 5 ( * )

Depuis 2008, il revient en principe au notaire de régler la succession, mais cela représente un travail titanesque dont le coût élevé ne peut être supporté par un seul indivisaire . Il n'est pas possible de traiter un cas individuel sans procéder à un partage global entre les familles. Encore faut-il pouvoir identifier les héritiers et les personnes qui auraient acheté des parcelles par actes sous seing privé . Il paraît difficile d'envisager un traitement à l'amiable lorsque l'indivision est aussi étendue.

Sur le terrain, le problème prend une ampleur inédite . Certaines communes sont ainsi quasiment totalement incluses dans des indivisions inextricables qui peuvent comprendre des dizaines, voire des centaines, d'indivisaires et qui pour beaucoup sont liées à des successions non résolues. L'exemple du village de Chiconi est particulièrement éclairant pour comprendre à la fois l'intensité des difficultés et les facteurs de contexte propres à l'île qui en compliquent singulièrement la résolution. Les trois quarts du territoire du village sont englobés dans deux titres fonciers, l'un de 75 hectares, l'autre de 81 hectares. Toutes les maisons autour de la mairie sont inclues dans le périmètre de ces deux titres. Le premier titre, a été établi en 1960 avec une procédure d'immatriculation débutée en 1948 ; le second a été établi en 1969. Le terrain à l'époque était domanial mais occupé par une société qui ne l'avait pas immatriculé. D'après le livre foncier, le premier titre concerne 69 indivisaires connus mais sans état civil complet, la date de naissance manquant parfois. Le second titre concerne 6 indivisaires mais nés en 1912 ou 1913 et qui sont donc certainement décédés aujourd'hui. La cascade des successions devrait appeler un beaucoup plus grand nombre d'ayants droit dans la cause, qui peuvent occuper ou non certaines parcelles comprises dans le titre. Le livre foncier est donc souvent mal renseigné et ne permet pas de lever l'incertitude sur le nombre et l'identité des ayants droit derrière la façade des indivisaires titrés. 6 ( * )

Ville de Chiconi

Terrain appartenant à 69 coindivisaires décédés - 81,7 ha

Source : Stéphanie Rière, vice-présidente du conseil régional des géomètres-experts La Réunion-Mayotte

c) Un large spectre d'effets pervers

Les conséquences néfastes de l'indivision peuvent être directes ou indirectes. Les effets directs proviennent de la lourdeur et de la complexité de la gestion de l'indivision successorale ou conventionnelle. Les effets indirects résultent de la carence de titrement que peut provoquer l'indivision. Celle-ci a les mêmes conséquences que l'absence de titres tant que la dévolution successorale et le partage n'ont pas été réalisés ou à tout le moins tant qu'une convention d'indivision n'a pas été conclue entre les ayants droit. C'est particulièrement le cas outre-mer.

Les difficultés de gestion de l'indivision augmentent proportionnellement avec le nombre d'indivisaires, dans la mesure où la règle de l'unanimité constitue un principe de base. Certes, des aménagements permettent de prendre des actes à la majorité des deux tiers depuis la loi sur les successions de 2006, mais ce seuil se situe encore à un étiage élevé lorsqu'il s'agit de prendre des décisions avec un grand nombre d'ayants droit sur plusieurs générations. Il convient de ne pas négliger la difficulté d'établir les quotes-parts de chacun dès lors que, de génération en génération, le nombre d'héritiers varie souche par souche. Même lorsque les indivisaires s'entendent entre eux pour diviser à part inégale, comme c'est le cas dans le village de Chiconi à Mayotte par exemple, l'absence d'inscription des quotes-parts au livre foncier continue à poser problème. 7 ( * )

Les partages à l'amiable ou par la voie judiciaire ne sont guère plus aisés. Il est bien souvent difficile de parvenir à appeler tous les héritiers à la succession sans exception. Certains d'entre eux peuvent demeurer inconnus, faute d'enquête généalogique exhaustive et coûteuse. D'autres ayants droit peuvent être défaillants sans que les mécanismes de représentation prévus par la procédure civile ne soient utilisés faute de parvenir à identifier les personnes. 8 ( * )

L'indivision ultramarine conduit dans bien des cas à un brouillage de la qualité de propriétaire que le formalisme du titre garanti par l'État ne parvient pas à sécuriser parfaitement. Les incertitudes sur le nombre, l'identité, la localisation et les parts exactes des indivisaires ouvrent des voies de recours en annulation contre les actes de gestion du bien indivis aussi bien que contre le partage aux ayants droit qui se découvriraient oubliés.

Pour les indivisaires , les situations de fait dans lesquelles ils se retrouvent ne leur permettent pas de prendre appui sur leur patrimoine foncier en l'hypothéquant, en le vendant ou en le louant dans des conditions normales et régulières. Ils sont donc limités dans leur capacité d'épargne et d'investissement personnelle, ce qui fragilise leurs conditions de vie sur le long terme.

Par ailleurs, les constructions, y compris de logement principal sur un terrain indivis dont la situation n'est pas clarifiée, sont menacées. Si l'occupant d'un terrain indivis, qu'il soit lui-même ayant droit ou non, construit après le décès du propriétaire titulaire du titre, sans l'accord de ses co-héritiers indivisaires, alors ces derniers peuvent obtenir l'ordre de démolition de la construction sans que l'occupant puisse prétendre à dédommagement. Des cas ont été signalés par les notaires de Guadeloupe et de Martinique. 9 ( * )

En affaiblissant le nombre des transactions sur un marché qu'elle rend plus visqueux, l'indivision ne facilite pas en général une fixation satisfaisante des prix immobiliers , ce qui se répercute ensuite sur les évaluations des coûts pour les projets de promotion immobilière, des compensations en cas d'expropriation et du prix des cessions et des concessions sur le domaine.

D'autres effets pervers se font sentir sur le fonctionnement global du marché immobilier ultramarin, au regard de l'ampleur du foncier gelé. Les transactions immobilières ne peuvent plus porter en effet que sur une fraction sensiblement réduite des biens existants, ce qui contribue au renchérissement des parcelles disponibles et à la dépréciation des parcelles indisponibles. D'un côté, c'est la spéculation qui est alimentée et de l'autre, c'est l'abandon de biens indivis dont les coûts d'entretien surpassent la valeur vénale . C'est ce qui favorise ensuite « les phénomènes de ?squat? et de dents creuses » 10 ( * ) .

Les conséquences en termes d'urbanisme et d'aménagement du territoire sont particulièrement malheureuses. À La Réunion, on constate par exemples que « les particuliers divisent leurs terrains en lanières exiguës pour permettre d'allotir l'ensemble des indivisaires ; il en résulte des terrains inconstructibles mais construits dans les faits et posant des difficultés pour l'urbanisation de certaines zones. » 11 ( * ) De plus, lorsque le propriétaire n'est pas identifiable, les maires sont dans l'impossibilité de faire réaliser les travaux indispensables à la sécurisation du lieu laissé à l'abandon ou de procéder aux expulsions d'occupants illégaux.

En outre, les indivisions et les successions ouvertes ne facilitent pas le montage foncier des opérations d'aménagement . Ce constat est fait aussi bien aux Antilles qu'à Mayotte. L'agence de services et de paiement (ASP) voit indéniablement dans l'indivision « un facteur bloquant pour le développement de Mayotte, essentiellement sur les parcelles de grande taille qui seraient utilisables pour des projets d'aménagement. Ainsi à Chirongui, une indivision sur plusieurs générations bloque les projets communaux. » 12 ( * ) Cette analyse est partagée par M. Ismaël Kordjee, le directeur des affaires foncières et du patrimoine, qui y voit « une cause essentielle de blocage des projets de développement » 13 ( * ) en particulier lorsque des indivisions figent et stérilisent des villages entiers comme à Chirongui et à Chiconi.

L'indivision accompagnée d' une carence de titres fait obstacle à la puissance publique lorsqu'elle souhaite procéder à une expropriation pour cause d'utilité publique et doit procéder à une indemnisation juste et préalable. À Chiconi, on souhaite ne plus « s'exposer à ce qui s'est produit dans les années 1990, où la commune a exproprié pour réaliser des projets d'intérêt général mais où certains héritiers ont émis des contestations plus de dix ans après au motif que certaines zones n'avaient pas été viabilisées. Alors qu'une indemnisation a été versée, les héritiers continuent à occuper le terrain, bloquant toute réalisation. Il suffit d'un contestataire pour compromettre la bonne finalité de l'expropriation. C'est d'autant plus un risque que les partages familiaux n'ont pas toujours été équitables . » 14 ( * )

Les communes sont dans l'incapacité d'acquérir des terrains sur lesquels leurs équipements, comme les écoles et les collèges, sont pourtant déjà installés. L'incapacité à identifier les contribuables redevables de la taxe foncière obère les finances locales . Imposer un seul contribuable indivisaire, propriétaire apparent, identifié au titre de la solidarité fiscale ne peut manquer de semer la discorde dans les familles. En outre, ce mode de taxation n'incite pas les autres indivisaires à se manifester et complique les partages ou la gestion du bien indivis. 15 ( * )

Le maire de Chiconi résume la difficulté de sa tâche en ces termes : « Les indivisions stérilisent les projets et la complexité de la situation paralyse la mise en oeuvre de la fiscalité locale. Les titres fonciers existants sont portés par des personnes presque toutes décédées, les successions n'ayant pas été liquidées : il n'y a donc que des occupants et pas de propriétaires, ce qui débouche sur une situation complexe. » 16 ( * )

C'est pour démêler cet imbroglio que le Département de Mayotte propose, lorsque les indivisaires sont connus et en accord avec eux, d'intégrer les parcelles en indivision dans son patrimoine propre en s'engageant à procéder en contrepartie aux partages et aux régularisations. Cette façon de procéder donne actuellement lieu à une expérimentation dans la commune de Sada sur la zone du titre en indivision dite de Mahagaga. 17 ( * ) Il reste que cette démarche est inopérante lorsque les indivisaires sont inconnus ou refusent la proposition. Plus leur nombre augmente et plus le risque d'échec s'accroît. L'efficacité du dispositif est limitée a priori à des cas plus simples mais un premier succès de l'expérimentation pourrait convaincre la population de l'intérêt de ce mécanisme d'échange de titres.

Pour aller plus loin, d'après les services de la Conservation de la propriété immobilière (CPI), il serait envisageable de prolonger les anciennes enquêtes sociales du Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) afin d'identifier les occupants qui sont des héritiers légitimes en vue d'une expropriation à l'euro symbolique suivie d'une redistribution équitable des parcelles. 18 ( * ) Au vu de l'extrême sensibilité de la population et des craintes de spoliation des terres, ces opérations restent délicates et nécessiteraient une longue phase préparatoire de pédagogie au contact direct des personnes concernées pour s'assurer que la démarche soit pleinement comprise et acceptée et que le partage fait l'objet d'un consensus. À défaut, on ne pourra éviter les troubles et les contestations en cours de procédure ou à son terme, et cet instrument intéressant devra être abandonné.

L'indivision proprement dite, les successions non réglées et leurs effets induits contribuent enfin à affaiblir la fiabilité déjà contestable du cadastre en outre-mer. Cet outil essentiel d'aménagement et d'imposition en ressort fragilisé : il ne se conforme pas à la réalité des lieux dans bien des cas et entraîne des erreurs d'appréciation qui peuvent, en un cercle vicieux, susciter de nouveaux litiges fonciers et freiner davantage la résolution des successions et des indivisions.

d) Un contentieux significatif

Le contentieux de la liquidation des indivisions successorales devant les chambres civiles est particulièrement épineux et potentiellement long. Ainsi que le résume à partir d'un cas basique le président du tribunal de grande instance (TGI) de Saint-Pierre de La Réunion, ce contentieux « souffre de ce que les populations ne se préoccupent pas d'officialiser les choses au décès du père, mais préfèrent se répartir à l'amiable la terre entre frères et soeurs avec l'accord de la mère qui reste résider sur place. Le patrimoine est donc partagé de fait, et lorsque les petits-enfants arrivent pour faire valoir leurs droits, le lot de leur ayant cause ne permet pas de les remplir, et ils viennent au tribunal. Il s'agit alors de partager la succession du grand-père, en tenant compte d'occupations anciennes générant des indemnités et d'éventuels droits à récompense à raison d'améliorations, et le litige se résout parfois en licitation ce qui ne satisfait que les derniers arrivés. » 19 ( * )

Cet exemple simplifié laisse présager de la redoutable complexité de dossiers de successions en souffrance depuis plusieurs générations, aggravés par des occupations, par les lacunes et les imprécisions du cadastre , par des transactions sous seing privé ou par des actions en prescription . Sans compter que ce contentieux de l'indivision peut se répercuter durablement soit au civil, soit devant le juge administratif en matière de contentieux fiscal, des baux, de l'urbanisme ou de l'expropriation. L'insécurité juridique tend à faire tache d'huile autour d'indivisions instables, sources récurrentes de litiges.

D'un point de vue quantitatif, le contentieux des « affaires de terres » représente une partie très significative des affaires civiles même si les statistiques doivent être appréciées avec prudence car la nomenclature officielle ne distingue pas cette catégorie particulière de dossiers qui recouvrent plusieurs contentieux de différents types. En Guadeloupe comme en Martinique, le contentieux foncier compterait pour 30 % des cas examinés. 20 ( * ) À titre d'exemple, avec une centaine de saisines par an pour des indivisions successorales et des demandes de liquidation-partage, le TGI de Pointe-à-Pitre comptait précisément un stock de 123 dossiers en cours au début de 2015. 21 ( * )

Les proportions sont légèrement inférieures mais comparables à La Réunion. Ainsi, 126 dossiers d'affaires de terre comprenant les contentieux de l'indivision, des servitudes et de la revendication de propriété étaient en cours devant le TGI de Saint-Pierre au 31 décembre 2014. Cela représente 25 % du nombre total des affaires. 22 ( * )

L'importance numérique de ce contentieux et la longueur des procédures reflètent un défaut de partage amiable, des difficultés dans l'exercice de l'office des notaires et un faible recours aux voies alternatives de règlement des conflits comme la médiation et la conciliation.

La cour d'appel de La Réunion regrette « la stratégie judiciaire ?jusqu'au-boutiste? poursuivie par les justiciables, qui font un recours systématique à la procédure judiciaire à tous les degrés jusqu'en cassation . » Elle note un « enchevêtrement des procédures, pétitoire et possessoire, générant des contentieux sans fin ». 23 ( * )

Le TGI de Pointe-à-Pitre considère dans la même veine que « la longueur de la procédure s'explique en premier par le fait que les avocats saisissent le tribunal d'une action en partage judiciaire sans que le partage amiable soit achevé par le notaire. Les héritiers soutiennent ignorer l'état d'avancement des opérations du notaire qui les reçoit ou leur délivre peu d'informations et saisissent le tribunal pour court-circuiter ce préalable indispensable ». 24 ( * )

Le juge judiciaire considère qu'il faut laisser le notaire achever sa mission en établissant au moins un acte de notoriété après décès détaillant les droits de chaque indivisaire ou éventuellement un procès-verbal de carence. En effet, l'article 1360 du code de procédure civile prévoit qu'« à peine d'irrecevabilité, l'assignation en partage contient un descriptif sommaire du patrimoine à partager et précise les intentions du demandeur quant à la répartition des biens ainsi que les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable ». Conformément à ces dispositions, « les héritiers qui assignent devant le TGI sans disposer de la liste du patrimoine sont déclarés irrecevables : le litige est achevé mais la succession non débloquée » . 25 ( * )

Dans ces litiges à caractère familial , il est rarement fait usage de la faculté de concilier les parties . Or, tant que le nombre des indivisaires reste maîtrisable et que leur identité est connue, la mise en oeuvre d'une conciliation ou d'une médiation par un professionnel serait de nature à faire disparaître une partie des conflits et d'en accélérer le règlement devant le notaire, sans recourir au juge.

La cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion remarque également l'importance du contentieux d'interprétation d'actes authentiques . En particulier, les actes de notoriété rédigés en vue d'une prescription acquisitive peuvent poser problème. Dans certains cas, il faut déplorer « l'absence de vérifications préalables des situations de fait pourtant attestées dans les actes de notoriété ». 26 ( * ) La situation est aggravée par un « défaut de précaution dans la passation des actes de vente, souvent dressés au vu des actes de notoriété, d'où une insécurité juridique générale . » 27 ( * )

Il n'est pas étonnant dans de telles conditions que le juge soit parfois amené à trancher la propriété de parcelles revendiquées au nom de titres concurrents . Le tribunal paritaire des baux ruraux de Pointe-à-Pitre confirme que de tels cas sont fréquemment portés à sa connaissance et que « de nombreux litiges se nourrissent en outre de rédactions d'actes de propriété notariés imprécis quant à l'origine de propriété ou quant aux limites séparatives des fonds et à la contenance . » 28 ( * )

Vos rapporteurs ne peuvent manquer de relever un certain antagonisme entre le juge judiciaire et le notaire dans les départements d'outre-mer. Leur collaboration paraît difficile, comme le reconnaît M. Gérard Sarrau, président du TGI de Pointe-à-Pitre.

D'un côté, les notaires sont encombrés par des dossiers de partage extrêmement complexes qu'ils ne peuvent clore rapidement. En pratique, les héritiers ne provisionnent pas les frais dus au notaire, ce qui n'accélère pas les partages, d'autant plus que le notaire doit souvent recourir à des experts pour évaluer les immeubles indivis ou à des généalogistes en vue d'appeler tous les héritiers à la succession. Devant le refus des experts d'avancer les frais et le peu de consignes sur successions qui sont réalisées, le notaire ne peut que saisir le tribunal pour procéder à la désignation d'un expert, ce qui oblige de tenir une audience en présence des parties et ajoute des délais supplémentaires.

De l'autre côté, le juge judiciaire déplore que les notaires désignés pour dresser un acte de partage ne respectent pas le délai d'un an, ne rendent pas compte au juge commis des difficultés rencontrées conformément à l'article 1365 alinéa 2 du code de procédure civile 29 ( * ) et ne défèrent pas aux convocations à l'audience, ce qui pousse le juge à les dessaisir. 30 ( * )

À Mayotte, en revanche, le tribunal de grande instance fait l'objet de rares saisines en la matière, si bien que, globalement, le recours au juge reste faible ainsi que l'ont indiqué à vos rapporteurs MM. Laurent Sabatier, président du TGI et Emmanuel Planque, vice-président en charge de la question foncière. 31 ( * ) La saisine du juge reste encore étrangère à la culture mahoraise traditionnelle, même après le dessaisissement des cadis. C'est le signe que la phase de transition entre des modes traditionnels de sécurisation des droits fonciers et de règlement des litiges au niveau de la communauté villageoise et le formalisme du droit civil et du contentieux judiciaires n'est pas achevée. L'acculturation de la population mahoraise demandera encore du temps.

Outre le recours à la médiation et à la conciliation lorsque l'espèce s'y prête , il pourrait être envisagé d'améliorer les procédures judiciaires dans les départements d'outre-mer :

- en renforçant l'information des particuliers et des avocats pour éviter de court-circuiter l'office du notaire et d'introduire des instances irrecevables faute des pièces exigées par l'article 1360 du code de procédure civile ;

- en clarifiant à l'article 1365 alinéa 3 du code de procédure civile 32 ( * ) les modalités de recours à l'expert choisi par les parties pour évaluer les immeubles indivis pour faciliter l'action du notaire sans intervention du juge ;

- et en stimulant la désignation d'un représentant des ayants droit défaillants conformément à l'article 1367 alinéa 2 du code de procédure civile 33 ( * ) , par exemple en dressant une liste de personnes susceptibles de remplir cette fonction.

2. Mobiliser l'arsenal disponible et envisager des solutions alternatives pour apurer la situation polynésienne
a) Des partages impossibles aux graves répercussions sociales provoquant l'engorgement des tribunaux

La Polynésie française offre en un seul territoire tout le spectre des difficultés que connaissent les outre-mer en matière d'indivision et de règlement des successions . Elle en présente des versions exacerbées par l'histoire, la géographie, les pratiques sociales coutumières et le droit particulier qui s`est forgé sous l'effet de l'instauration progressive et différenciée du code civil depuis la période coloniale, puis dans le cadre du statut d'autonomie.

Vos rapporteurs ont pu constater sur place l'extrême sensibilité de la population polynésienne à l'égard des affaires de terre, que la presse locale suit avec une grande attention et relate avec force détails. Quel que soit le lieu, les rencontres avec les maires et les conseils municipaux à Tahiti, Moorea, Raiatea, Bora Bora et Nuku Hiva ont abouti à des constats concordants et ont offert l'occasion d'évoquer des situations parfois proches du chaos qui minent la cohésion sociale, déchirent les familles et font obstacle aux projets de développement économique comme à la bonne gestion de l'urbanisme et des équipements communaux.

La crainte de la spoliation et de la perte des terres demeure forte et peut occasionner des troubles localisés, dès que la population se sent dépossédée d'un patrimoine foncier vécu comme un élément constitutif de son identité lignagère et individuelle. De grands domaines se sont constitués à l'époque coloniale lors des procédures d'enregistrement des terres qui ont bouleversé les droits fonciers existants. Des saisies suivies de ventes aux enchères ont également eu lieu lorsque les propriétaires polynésiens ne parvenaient pas à rembourser leur emprunt auprès de la Caisse du crédit agricole. Les biens vacants et sans maître ont été intégrés au domaine. Tous ces éléments nourrissent aujourd'hui des actions en revendication, prenant parfois une coloration politique.

Le souvenir du décret du 22 mars 1923 sur les partages applicable dans les Établissements français d'Océanie (EFO) semble également gravé dans l'inconscient polynésien, bien qu'il ne soit resté en vigueur que trente ans. Alors que le principe du code civil est et demeure le partage en nature, ce décret renversait la logique pour faire de la licitation la règle en Polynésie et le partage en nature l'exception. En d'autres termes, la demande de partage des terres entraînait la vente des terres. Pour conserver la maîtrise du patrimoine foncier familial, la population a préféré rester dans des indivisions de fait sans liquider la succession des ancêtres qui avaient revendiqué et fait titrer leurs terres. 34 ( * )

Comme dans les autres outre-mer, ce réflexe naturel et légitime de protection a engendré des effets pervers dont les générations actuelles paient le prix. Il faut toutefois reconnaître que si les Polynésiens ont du mal aujourd'hui à régler les successions et à partager leurs terres, c'est aussi le signe qu'ils sont malgré tout largement parvenus à les protéger de l'appropriation par des tiers.

En matière de successions, la Polynésie offre le reflet exactement inversé de la situation dans l'Hexagone où le partage amiable est la règle et le partage judiciaire l'exception. En Polynésie française , le partage amiable est inexistant, les partages successoraux sont quasi systématiquement judiciaires . La plupart du temps, les héritiers ou les indivisaires s'adressent seulement au notaire pour établir un acte de notoriété mais ne demandent pas de partage amiable. Outre la difficulté intrinsèque de trouver un point d'entente entre tous les indivisaires, le risque est grand d'omettre des héritiers dans le partage, ce qui serait susceptible d'engager la responsabilité du notaire. En tout et pour tout, les notaires procèdent à une vingtaine de partages successoraux par an, ce qui représenterait 0,5 % du produit notarial. 35 ( * )

Les difficultés rencontrées par les Polynésiens pour prouver leur droit de propriété sont ainsi reportées sur l'institution judiciaire, qui assume la mise en état des affaires de terre et la reconstitution de la chaîne de propriété. Les contentieux sont légion au point d'engorger les tribunaux .

D'un point de vue quantitatif, vos rapporteurs regrettent que le ministère de la justice ne dispose pas d'un système d'information permettant un suivi statistique en temps réel du contentieux foncier. Le recueil des données s'opère une fois par an dans le cadre du dialogue de gestion. En janvier 2015, devant le tribunal de première instance (TPI) de Papeete, 1 416 affaires de terre pendantes sont enregistrées, soit 26 % du stock du contentieux civil global qui compte 5 266 dossiers. La répartition était la suivante : 929 dossiers en cours au TPI de Papeete, 168 devant le juge forain pour les Australes et les Tuamotu-Gambier, 269 devant la section détachée de Raiatea et 50 devant celle de Nuku Hiva. Les affaires de terre représentent 4 % du flux contentieux sur une année.

La cour d'appel de Papeete connaît 40 à 60 affaires de terre par an, soit 7 % du flux global de 780 affaires civiles. Le stock est maintenu à un niveau raisonnable d'après le ministère de la justice, c'est-à-dire apte à être résorbé dans un délai moyen pour ce type de dossiers particulièrement complexes.

Ces chiffres résultent de délais de traitement très long, en moyenne plus de 65 mois en première instance, en raison de nombreuses mesures d'instruction et d'une mise en état des dossiers très délicate. Au début de l'année 2015, le plus ancien dossier datait de 1979. Le juge des terres du TPI de Papeete tenait environ une audience de mise en état tous les quinze jours, portant sur 90 à 130 dossiers et se déroulant sur une matinée avant que le nouveau contrat d'objectifs soit signé en janvier 2015. Celui-ci ne prévoit pas de résorption complète du stock, que la Chancellerie estime illusoire et hors d'atteinte, mais vise à ramener le stock traité par le TPI à un étiage de 800 affaires, niveau estimé incompressible par le ministère pour des affaires dont la durée raisonnable de traitement s'élève à 55 mois. 36 ( * )

Les difficultés relatives à la gestion des indivisions et au partage successoral tiennent à plusieurs facteurs. Il faut tout d'abord relever le nombre important de coindivisaires , plus encore que dans les autres outre-mer, en raison du taux longtemps élevé de naissances en Polynésie française et de la cascade de successions non réglées.

Les indivisions sont pléthoriques, comptant assez régulièrement plusieurs centaines d'héritiers de successions non liquidées depuis quatre ou cinq générations , ainsi que l'ont confirmé à vos rapporteurs tant les juges du tribunal de première instance de Papeete 37 ( * ) et des sections détachées de Raiatea 38 ( * ) aux Îles Sous-le-Vent et de Nuku Hiva 39 ( * ) aux Marquises que l'antenne de la direction des affaires foncières de la Polynésie dans les Îles Sous-le-Vent et l'avocat des terres qui y travaille. 40 ( * ) Il en résulte des problèmes inextricables d'application des règles de gestion à l'unanimité ou aux deux tiers des droits indivis, inapplicables dès lors qu'un tel niveau d'incertitude règne sur les titulaires de droits. La gestion des indivisions légales ou conventionnelles est systématiquement bloquée, de même que l'obtention d'un partage amiable impliquant l'accord de tous.

Par ailleurs, l'identité des ayants droit demeure fréquemment incertaine en raison des carences de l'état civil et des pratiques traditionnelles de changement de nom et d'adoption d'enfants . De nombreuses ambiguïtés et incertitudes persistent en effet sur la détermination des héritiers en raison des imperfections historiques de l'état civil lorsque sont en cause des actes et des titres anciens. Appeler tous les héritiers à la succession devient alors pratiquement impossible.

L'état civil n'a été mis en place que tardivement en Polynésie française. Créé par la loi du 11 mars 1852 qui instaure les registres et impose le principe de l'immutabilité du nom de famille, il ne se met en oeuvre qu'à partir de 1856. Il n'a pas été immédiatement tenu avec rigueur, de sorte que les pratiques de changement de nom en fonction des événements de la vie (mariage, décès, déménagements, etc.) ont perduré. Aussi n'est-il pas rare de constater que, pour une même personne, le nom figurant sur l'acte de décès est différent du nom figurant sur l'acte de naissance ou que le nom de naissance d'une personne est différent de celui utilisé dans sa vie courante. Ce n'est qu'après un siècle d'existence légale, à partir de 1950, que l'on considère que le registre d'état civil est véritablement tenu avec fiabilité . Au cours de cette période d'état civil balbutiant, les Polynésiens ont pu se déclarer sous un nom et enregistrer une terre sous un autre nom. 41 ( * )

Il convient également de tenir compte d'une particularité polynésienne : la tradition des enfants « fa'a'amu » , qui seraient environ 6 000 aujourd'hui. Il s'agit d'un « système d'adoption exclusivement orale, qui n'est pas forcément portée à la connaissance de l'enfant ; il en résulte souvent des discussions sur le point de savoir si telle personne est bien l'enfant de celui qui l'a toujours traité comme tel » . 42 ( * ) Une confusion perdure dans l'esprit des gens sur la portée juridique de ce statut coutumier.

Les incertitudes liées à la filiation renforcent les difficultés rencontrées par les justiciables pour apporter la preuve de leur qualité d'indivisaire. Il n'est pas rare qu'aucun partage ne soit intervenu depuis le XIX e siècle. Lorsque le juge est aujourd'hui saisi d'une demande en ce sens - cas qui revient régulièrement d'après les magistrats officiant en Polynésie - les parties doivent démontrer leur lien de filiation avec cet aïeul en produisant l'ensemble des pièces, en particulier le titre originel et tous les actes d'état civil. C'est une tâche extrêmement complexe, difficile et potentiellement coûteuse.

Il est souvent nécessaire de reconstituer la chaîne de transmission jusqu'aux titres initiaux enregistrés au XIX e siècle, les Tomite . Les titres anciens sont parfois tellement imprécis qu'ils ne permettent pas d'identifier correctement le terrain en cause. Le régime de publicité foncière est obsolète et, faute de fichier réel, il ne permet pas de retracer fidèlement les transactions et la chaîne de propriété sur un même bien.

Encore faut-il que les titres anciens existent, ce qui n'est pas le cas dans tous les archipels et dans toutes les îles, notamment aux Australes. Les procédures d'enregistrement des terres ont différé selon les archipels . Le décret de 1902 concernant les Marquises est par exemple beaucoup plus restrictif et plus exigeant en matière de preuves qu'ailleurs dans les Établissements français d'Océanie. 43 ( * ) À défaut de bénéficier de la procédure d'enregistrement des terres par le biais d'une dévolution successorale, de ventes ou dons, il ne reste que la voie de l'usucapion pour établir le droit de propriété. Les contentieux de la revendication de terre , y compris sur le domaine de la Polynésie, et de l'usucapion , y compris contre d'autres indivisaires , s'enchevêtrent avec la liquidation des indivisions , compliquant les affaires et leur donnant des motifs incessants de renvois ou de rebonds. 44 ( * )

La découverte de nouvelles souches entières n'est pas rare et fournit systématiquement une voie de recours contre les décisions judiciaires de partage par la voie de la tierce opposition ou de l'action en nullité pour cause d'omission d'un copartageant. Selon les magistrats, le code de procédure civile de la Polynésie française ouvre largement la possibilité de ces recours , tout en n'offrant pas les possibilités d'accélérer l'examen des dossiers en cours par le biais des conclusions récapitulatives ou de la clôture d'instruction d'office que connaît l'Hexagone. 45 ( * )

La dispersion des coindivisaires sur un territoire aussi grand que l'Europe est un autre facteur de complexité. Cela rend plus difficile l'accès à la justice dans les archipels et les îles les plus éloignés, jusqu'à donner à certains l'impression d'être abandonnés à leur sort. C'est ce qui explique l'organisation du tribunal qui traite aussi les affaires de terres dans les sections détachées des Marquises et des Îles Sous-le-Vent et par l'intermédiaire de juges forains.

L'éloignement rallonge les procédures par rapport à Tahiti mais renchérit également les coûts , déjà élevés, d'intervention des experts, notamment celle indispensable du géomètre-expert pour délimiter les biens à partager, constituer les lots en fonction des quotes-parts et borner. Les Marquises et les Gambier sont particulièrement concernées. Si l'on y ajoute encore les coûts de transcription des partages prononcés à la conservation des hypothèques, on doit reconnaître qu'il s'agit d'un facteur de blocage dirimant pour des familles aux revenus modestes, surtout lorsque la valeur de la terre est peu élevée, par exemple dans les atolls des Tuamotu qui vivent de la culture du coprah. 46 ( * )

L'absence fréquente d'adresses précises empêche de localiser correctement les ayants droit, de les attraire à la cause, de les assigner et de leur signifier les décisions, ce qui ouvre ensuite de nouvelles possibilités de recours. Le ministère de la justice souligne que « les Polynésiens ont en effet souvent deux adresses : une adresse géographique, en général matérialisée par le point kilométrique - PK- qui, n'étant pas très fiable, est doublée d'une adresse postale, chaque habitant possédant une boîte postale numérotée dans une commune, qui peut être différente de son lieu d'habitation » . 47 ( * ) Les greffes éprouvent dans ces conditions les pires difficultés à convoquer les parties, faute de coordonnées précises. La visite du greffe du TPI et de la cour d'appel de Papeete 48 ( * ) a permis à vos rapporteurs de prendre la mesure de ces difficultés matérielles très pénalisantes, qui retardent la tenue des audiences, rallongent les délais et engorgent des tribunaux qui peinent à apurer leur stock d'affaires.

Il faut à cet égard relever une autre particularité de la procédure en Polynésie française : l'absence de représentation obligatoire par avocat en première instance . Elle conduit les justiciables à conclure eux-mêmes et manier des notions juridiques quelquefois complexes, ce qui peut conduire soit à les débouter pour des raisons de forme, soit à compliquer la mise en état et à ralentir la procédure. Cela alourdit nettement la charge de travail du greffe, puisqu'il doit assurer la transmission des pièces et conclusions entre les parties tout au long de la procédure.

L'absence de ministère obligatoire amène aussi les justiciables à « s'adresser à de pseudo-écrivains publics ou associations qui leur extorquent des sommes impressionnantes pour gérer leurs affaires de terres sans avoir plus de connaissances juridiques » . 49 ( * ) La population préfère souvent employer les langues polynésiennes que le français , ce qui complique son accès au droit et favorise l'action d'agents d'affaires. Des cas d'escroquerie sont avérés et des actions ont été intentées contre plusieurs d'entre eux pour exercice illégal de la profession d'avocat, mais cela ne suffit pas à faire cesser ces pratiques. 50 ( * )

Concernant le résultat de la procédure, c'est-à-dire le contenu de la décision judiciaire, il faut admettre que le partage par têtes est souvent impossible et dénué de sens puisque les parcelles ne peuvent être divisées au-delà d'un certain seuil. Ceci signifie aussi qu'il faut abandonner le mirage d'une « éradication » de l'indivision, qui garde tout son sens notamment dans le cas d'atolls. Cela demande de trouver des modalités satisfaisantes de gestion collective du bien indivis. À défaut, les successions suivantes aboutiront à des demandes de partage en valeur, à des ventes et licitations c'est-à-dire à la situation que les Polynésiens ont toujours voulu empêcher : la perte de maîtrise de leurs terres.

b) Consolider les structures administratives et juridictionnelles compétentes en matière foncière
(1) Prolonger et soutenir l'action de la direction des affaires foncières

La direction des affaires foncières (DAF) de Polynésie française a été créée par la délibération n° 97-87 APF du 29 mai 1997 . Cette structure administrative du pays est née de la fusion des anciens services des domaines et de l'enregistrement, des affaires de terre et du cadastre. Comptant aujourd'hui 130 agents, elle assure des missions qui en font un organe essentiel de la gestion du foncier et de la résolution des affaires de terre :

- elle apporte une assistance aux personnes dans la recherche de leurs droits immobiliers ;

- elle gère la curatelle aux successions vacantes ;

- elle procède aux formalités civiles prescrites pour la publicité des actes relatifs à la propriété immobilière, conserve les registres fonciers et délivre les extraits de titres de propriété ;

- elle établit, conserve et gère le cadastre ;

- elle administre, gère et met en valeur le domaine public et privé du pays ;

- elle liquide et perçoit les droits, taxes et redevances afférents au profit du pays.

Malgré des moyens limités, la DAF témoigne de l'engagement incontestable du pays dans la question foncière . Le déploiement déconcentré de la DAF à Raiatea, Nuku Hiva et Tubuai permet de rapprocher ce service public des citoyens des archipels.

La division d'assistance aux particuliers effectue un travail que ne peuvent manquer de saluer vos rapporteurs, tant elle joue un rôle essentiel d'aide aux personnes physiques et morales dans la recherche et la définition de leurs droits immobiliers. Elle les oriente dans leurs recherches et facilite leur accès à l'information foncière et généalogique. Elle dispense des conseils juridiques sur les actions possibles en matière foncière, sur les procédures d'assistance judiciaire. Elle contribue à l'aide juridictionnelle par la mise à disposition d'avocats salariés.

En outre, cette division est mise à la disposition de la commission de conciliation obligatoire en matière foncière (CCOMF) dont elle assure le secrétariat. Elle prépare à ce titre les dossiers présentés à la commission en recensant les pièces manquantes, en complétant le dossier et en procédant à des recherches complémentaires sur l'origine de propriété des terres concernées. Elle contribue également à l'analyse des dossiers des demandeurs et à l'établissement de propositions de règlement amiable.

Au sein de cette division d'assistance aux particuliers, la section des recherches généalogiques de la DAF permet aux usagers de solliciter des fiches d'information généalogique. Ces fiches dressées en fonction des informations relatives à l'état civil des ascendants, descendants et collatéraux permettent de renseigner aussi bien les particuliers, que les administrations, les collectivités et les professionnels du droit (avocats, notaires, experts). L'application informatique Tupuna créée en 2003 permet d'accéder à une base de données de 439 000 fiches d'individus à partir des registres d'état civil et à 900 fiches scannées à partir des arrêts de l'ancienne Haute cour tahitienne. En 2015, 38 326 fiches d'information ont été délivrées sur demande dont 33 892 par des particuliers. 51 ( * )

Cependant, si l'application informatique de la DAF permet de remonter génération par génération pour retrouver l'auteur commun en fonction de ce qui a été rentré dans la base de données, celle-ci reste incomplète. La Chancellerie relève à titre d'exemple, que ne figurent dans cette base que les Polynésiens nés en Polynésie. 52 ( * ) En outre, la DAF n'a pas accès aux registres d'état civil depuis octobre 2003, date du déménagement du TPI. En conséquence, aucune nouvelle fiche n'a pu être créée pour des individus nés depuis cette date. Cette situation est préjudiciable et un effort de mutualisation est nécessaire pour rassembler de façon cohérente les données existantes, tant publiques via notamment l'accès à l'état civil, que privées, la DAF s'étant engagée dans un partenariat avec l'Église mormone, très active mondialement en la matière. 53 ( * ) L'État doit appuyer le pays en accordant largement l'accès aux données de l'état civil qui relèvent de sa compétence aux termes du statut d'autonomie de 2004.

L'engagement du gouvernement de Polynésie française s'est également traduit par l'encadrement de la profession de généalogiste par la loi du pays n° 15-2015 du 26 novembre 2015. Ce cadre normatif a été rendu nécessaire afin de professionnaliser ce secteur et d'assurer la protection du public, qui est encore souvent désemparé et victime d'amateurs incompétents ou malhonnêtes, malgré les ressources mises à disposition par la DAF.

Il convient par ailleurs de noter que la Polynésie française dispose d'un outil spécifique consistant à désigner la division de la conservation des hypothèques de la DAF en tant que curateur aux biens et successions vacants , conformément à l'article 676 du code de procédure civile polynésien. Sa mission comprend en particulier la recherche des héritiers dans le cadre des procédures foncières. Il existe toutefois une difficulté matérielle à la mise en oeuvre efficace du dispositif dès lors qu'il n'y a qu'un seul curateur assisté d'un agent pour toute la Polynésie. C'est à l'évidence beaucoup trop peu. Vos rapporteurs préconisent de créer d'autres postes de curateur et de les doter de moyens suffisants pour réaliser leurs enquêtes sur pièces et sur place. Le renforcement de cette fonction au moment de l'installation du tribunal foncier pourrait se révéler très bénéfique.

La division de la conservation des hypothèques de la DAF assure quant à elle la conservation et la délivrance des « Tomite » regroupés dans des registres de déclarations, classés par archipel, par île et par district. Elle centralise en outre tous les actes liés à la propriété foncière dès lors qu'ils ont été transcrits depuis 1967. Les fiches ne sont toutefois pas établies par bien immobilier ou par terrain mais par propriétaire. En d'autres termes, il ne s'agit que d'un fichier personnel , grevé de toutes les difficultés d'état civil déjà mentionnées, et non d'un fichier réel. Il est possible de retrouver plusieurs fiches correspondant à une même personne sous plusieurs noms pour différents biens et de devoir rassembler plusieurs fiches éparses qui concernent un même bien, de sorte qu'il est très difficile de retracer la chaîne de propriété d'une terre .

Le but d'un fichier immobilier, tel qu'il est prévu dans l'Hexagone et les DOM depuis la réforme introduite par les décrets du 4 janvier et du 14 octobre 1955, est de présenter la situation juridique en temps réel d'un immeuble. Cet instrument de publicité foncière permet de rassembler avec rigueur l'ensemble des droits personnels et réels sur un bien immobilier. Il est essentiel à la sécurisation juridique de la propriété puisque seule la publicité foncière permet de rendre les actes opposables aux tiers et de déjouer leurs rétentions à des droits concurrents.

Vos rapporteurs rejoignent l'avis unanime de la DAF, des magistrats, des avocats et des notaires : la Polynésie française, restée sous l'empire de la loi du 23 mars 1855, à peine retouchée en 1921, doit impérativement compléter son fichier immobilier personnel par un fichier réel .

Par ailleurs, il convient de remédier au problème de la transcription des partages judiciaires qui n'est pas automatique , alors même qu'elle conditionne l'opposabilité aux tiers et la mise à jour du cadastre. Lorsqu'un jugement ordonnant le partage intervient, il appartient aux parties de procéder à sa transcription au fichier immobilier auprès du service de la conservation des hypothèques. Or les parties ne procèdent pas toujours à la transcription, soit par méconnaissance soit parce que, après une procédure judiciaire longue et coûteuse, elles ne souhaitent pas supporter des frais supplémentaires liés à l'élaboration du document d'arpentage ou aux honoraires dus au notaire.

Ainsi que l'a indiqué à vos rapporteurs la subdivision de la DAF dans les Îles Sous-le-Vent, « la transcription des jugements de partage demeure souvent compliquée. Aux difficultés anciennes (jugement anciens non transcrits bloquant les transcriptions subséquentes, jugements non enregistrés par le greffe du tribunal, erreurs d'état civil dans les dispositifs du jugement, difficultés à obtenir un certificat de non-appel) s'ajoutent dorénavant des difficultés liées à la délivrance des documents d'arpentage et du complément cadastral nécessaires à la transcription. En effet, pour les terres figurant au cadastre rénové, soit toutes les terres dans les Îles Sous-le-Vent, les géomètres ne délivrent ces documents qu'après avoir procédé au bornage de la terre et donc qu'après avoir été payés pour cette opération. Or, les frais de bornage sont aussi voire plus élevés que les frais de l'expertise en partage . » 54 ( * )

Vos rapporteurs préconisent la transcription obligatoire, automatique et sans frais de toutes les décisions de justice définitives à la conservation des hypothèques , afin d'assurer la protection du public en évitant la superposition de requêtes et afin de garantir la tenue correcte et actualisée du cadastre. Une communication directe entre le greffe et la conservation est nécessaire. Il conviendra de trouver des modalités d'accompagnement financier pour permettre aux parties d'acquitter les frais d'arpentage et de bornage auprès des géomètres-experts. En complément de l'installation du tribunal foncier, pour une période transitoire, l'État pourrait aider le pays à dégager les ressources nécessaires à cet effet.

Une autre difficulté provenait de la transcription partielle des jugements : une partie ne souhaitant pas s'acquitter des frais et des taxes liés à la transcription de la totalité du partage ordonné par le jugement, sollicitait la transcription des seules informations la concernant. Les autres informations, non publiées, n'étaient par conséquent pas opposables aux tiers. 55 ( * ) Aujourd'hui, cette pratique de la transcription partielle a cessé depuis que les frais d'enregistrement et de transcription ont été supprimés en 2006 et que la loi du pays n° 2014-5 portant modernisation de la publicité foncière a parachevé le dispositif de gratuité en exonérant, à compter du 1 er avril 2014, de taxe de publicité immobilière les actes de partage.

Enfin, pour favoriser l'accès au droit de tous les Polynésiens, vos rapporteurs sont favorables à la compilation des textes applicables au foncier et aux successions et à leur explicitation dans des documents lisibles et compréhensibles pour le grand public, qui seraient ensuite traduits 56 ( * ) non seulement en tahitien mais également dans les principales autres langues polynésiennes parlées dans les archipels, notamment aux Marquises et aux Tuamotu. La DAF pourrait être chargée de cette tâche au regard de sa mission d'assistance aux particuliers.

Les groupements d'intérêt public (GIP) dédiés à la reconstitution des titres

Le modèle corse, le GIRTEC

À l'instar des outre-mer, la Corse se caractérise par une absence de titres, notamment à l'intérieur des terres, en raison de la prévalence de la tradition orale qui a défavorisé l'enregistrement formel des règlements des successions et facilité la propagation de l'indivision. Afin de pallier cette difficulté, a été créé en 2007 pour une durée de dix ans un groupement d'intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC). Regroupant l'État, la collectivité territoriale de Corse, les associations des maires et la chambre régionale des notaires, son financement est assuré essentiellement par le programme exceptionnel d'investissement de l'État. Il est présidé par un magistrat et ses personnels sont tenus au respect de la confidentialité.

Le GIRTEC n'a pas pour but de délivrer des titres mais de rassembler tous les éléments de la vie d'une parcelle pour aboutir à la rédaction d'actes de notoriété, qui seront ensuite mobilisés dans une procédure d'usucapion. Dans la pratique, il intervient essentiellement à la demande des notaires ou des communes. Il permet de retrouver l'histoire d'une parcelle à partir d'une base de données qui regroupe et référence l'ensemble des plans du cadastre napoléonien et des documents hypothécaires détenus par les archives.

Des projets de GIP au point mort aux Antilles

L'article 35 de la LODEOM de 2009 prévoit la création d'un GIP chargé de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété dans les départements d'outre-mer et à Saint-Martin pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus. Le décret d'application de ce texte n'est jamais paru dans la mesure où très rapidement la création d'un GIP unique aux outre-mer est apparue inadaptée. La loi n° 2013-922, votée sur l'initiative de notre collègue Serge Larcher, prévoit que cette mission puisse être confiée soit à un GIP spécifique soit à un établissement public foncier.

Le rapport de la mission commune du CGEDD et de l'IGA sur les problématiques foncières aux Antilles, de novembre 2013, distingue quatre raisons pour lesquelles « l'outil développé en Corse n'est pas transposable à l'identique aux Antilles » :

- les ressources documentaires disponibles en Guadeloupe et en Martinique, ne permettent pas la même traçabilité qu'en Corse. La réussite du GIRTEC tient à l'extraordinaire qualité du cadastre napoléonien ;

- le recours à un notaire pour de nombreuses familles non imposables et non solvables n'est pas envisageable ;

- les Antilles ne bénéficient pas du même régime fiscal que la Corse où longtemps a prévalu la neutralisation fiscale des règlements successoraux ;

- le financement d'une structure de titrement pour chaque DOM ne semble pas aujourd'hui assuré. Le choix de la création d'un GIP unique par la LODEOM répondait à ces considérations financières. 57 ( * )

Une situation polynésienne trop complexe

Si les chances de réussite d'un GIP sont minces dans les DOM, elles paraissent encore plus maigres en Polynésie française où les problèmes fonciers sont fondamentalement plus complexes.

Lors de son audition par vos rapporteurs le 11 mars 2016, le président de la chambre des notaires Michel Delgrossi a bien résumé la différence avec la situation corse : « Comparaison n'est pas raison. En Corse nous avons d'autres causes à ce phénomène d'indivision. À la différence d'ici, en Corse, on a un géo cadastre, on paie de l'impôt foncier, y compris sur le non-bâti, on a une généalogie fiable, les gens sont mariés, les familles sont stables, les terres étaient cultivées partout et en pleine campagne vous trouvez des murs de clôture qui séparent les propriétés. On a créé le GIRTEC et il y a très peu de partages judiciaires. C'est le notariat qui effectivement procède par notoriété prescriptive, ce qui ici n'est pas envisageable. »

La direction des affaires civiles et du sceau reconnaît en effet de sérieuses difficultés en matière d'usucapion, ne serait-ce que parce que « les transports sur les lieux effectués fréquemment pour vérifier la délimitation des terres et leur occupation pour un usucapion invoqué à défaut de pouvoir apporter un titre de propriété - notamment pour prouver la propriété de son auteur dans le cadre d'un partage, surtout dans les îles n'ayant pas connu le système des Tomite (comme Rurutu) - concourent également à un allongement des procédures et revêtent un coût important pour la juridiction. » 58 ( * )

En réalité, les demandes de création de GIP en Polynésie visent essentiellement à trouver de nouveaux moyens de mise en état des dossiers d'affaires de terre, en impliquant l'État afin qu'il apporte son concours financier. Plutôt que la création d'une structure administrative supplémentaire, il serait préférable de renforcer les moyens de la DAF et d'assurer l'échange d'informations avec les services de l'État, les notaires et les géomètres-experts. Une convention pourrait être conclue avec l'État pour accroître les ressources de la DAF, y compris via la mise à disposition de fonctionnaires de l'État, car les moyens du pays sont limités.

(2) Réussir la mise en place du tribunal foncier

Le tribunal foncier de la Polynésie française a été institué, dans son principe, par l'article 17 de la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française. Ce tribunal est compétent pour connaître des « litiges relatifs aux actions réelles immobilières, aux actions relatives à l'indivision ou au partage portant sur des droits réels immobiliers ». L'ordonnance qui aurait dû être prise par le Gouvernement, au plus tard le dernier jour du seizième mois suivant la promulgation de la loi, pour édicter « les mesures de nature législative relatives à l'organisation et au fonctionnement du tribunal foncier ainsi qu'au statut des assesseurs », n'a jamais été publiée . L'abstention coupable de l'exécutif montre, d'un point de vue général, la vanité du recours aux ordonnances et du dessaisissement du Parlement au nom même de l'efficacité de l'action de l'État. Elle laisse penser d'un point de vue spécifique que les besoins des outre-mer passent toujours au second plan, quelle que soit l'urgence sociale, tant que l'ordre public n'est pas gravement troublé.

C'est seulement plus de dix ans après, grâce à un amendement de M. Édouard Fritch, alors député, que l'article 23 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit crée finalement ce tribunal. Alors que la loi de 2004 ne faisait que l'instituer, mais sans rien prévoir de son organisation, ni de son fonctionnement, des modalités précises sont cette fois introduites aux articles L. 552-9-1 à L. 552-9-11 dans le code de l'organisation judicaire (COJ).

Les assesseurs du tribunal foncier

L'article L. 552-9-1 du code de l'organisation judiciaire prévoit que la formation de jugement est composée du président, magistrat du siège, et des deux assesseurs.

Statut

Le code de l'organisation judiciaire mentionne seulement le statut des assesseurs et certaines modalités d'exercice des fonctions d'assesseur du tribunal foncier :

- obligation de prêter serment devant la cour d'appel avant d'entrer en fonctions (art. L. 552-9-5) ;

- obligation de rester en fonctions jusqu'à l'installation de leurs successeurs dans une limite de deux mois de prorogation (art. L. 552-9-6) ;

- constat de refus de service (art. L. 552-9-8) ;

- peines applicables en cas de manquement à ses devoirs (art. L. 552-9-9) ;

- causes de déchéance de fonctions (art. L. 552-9-10) ;

- procédure de suspension de fonctions (art. L. 552-9-11).

L'article L. 552-9-7 prévoit que les employeurs sont tenus d'accorder aux salariés de leur entreprise, assesseurs au tribunal foncier, des autorisations d'absence. Il sera nécessaire de préciser dans quelles conditions des absences devront être indemnisées.

Sélection

Les assesseurs titulaires et suppléants sont des personnes qualifiées en matière de propriété foncière proposées pour agrément à l'assemblée générale des magistrats de la cour d'appel par un collège d'experts (article 58 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, par renvoi de l'article L. 552-9-2 du COJ).

Ce collège d'experts est composé de personnalités ayant acquis une compétence particulière en matière foncière et nommées par l'assemblée de la Polynésie française. La composition, l'organisation et le fonctionnement de ce collège d'experts sont fixés par délibération de l'assemblée de la Polynésie française (article 58 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française). Par délibération n° 2009-61 APF du 18 août 2009, l'assemblée de la Polynésie française a fixé la composition, l'organisation et le fonctionnement du collège d'experts en matière foncière.

Les assesseurs sont choisis, pour une durée de trois ans renouvelable, parmi les personnes de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, jouissant des droits civiques, civils et de famille et présentant des garanties de compétence et d'impartialité (article L. 552-9-3 COJ). À défaut d'un nombre suffisant de candidats remplissant ces conditions, pour établir la liste des assesseurs, le tribunal statue sans assesseur (article L. 552-9-4 COJ).

Certains éléments relatifs à la sélection des assesseurs restent sans doute à préciser dans le cadre de décrets, d'arrêtés ou de circulaires. Le premier est de prévoir comment sont désignés les assesseurs une fois agréés (ex. : désignation par ordonnance de roulement).

D'autres dispositions devraient traiter des garanties d'impartialité exigées (ex. : non-éligibilité des fonctionnaires de la direction des affaires foncières), des conditions de résidence, de l'exigence éventuelle d'une déclaration d'intérêts, du bulletin n° 2 du casier judiciaire, ou encore du détail de la procédure de sélection avec le contenu du dossier de candidature.

Récusation

À défaut de dispositions spécifiques au tribunal foncier prévues dans le COJ, les dispositions générales des articles L. 111-6 à L. 111-8 du COJ s'appliqueront.

Source : Direction des services judiciaires du ministère de la Justice

Pour réussir la mise en place du tribunal foncier, garantir son efficacité et ne pas décevoir une nouvelle fois les espoirs levés dans le peuple polynésien, vos rapporteurs recommandent de veiller simultanément à :

- accélérer le calendrier, alors que l'État a péché par attentisme, pour garantir sa mise en place opérationnelle d'ici 2017 ;

- pérenniser les moyens humains et matériels du tribunal foncier dans la continuité et au moins au niveau du dernier contrat d'objectifs signé en janvier 2015 pour couvrir la phase transitoire et commencer la résorption du stock d'affaires. Le besoin pour un fonctionnement normal de la juridiction est estimé à trois magistrats et quatre greffiers par M. Régis Vouaux-Massel, Premier président de la cour d'appel 59 ( * ) ;

- garantir l'accès des justiciables à ce tribunal grâce à l'ouverture de sections détachées dans les archipels et à l'organisation d'audiences foraines ;

- créer les conditions nécessaires d'impartialité et de transparence à l'instauration d'un commissaire du gouvernement de Polynésie française ;

- conserver au sein de la magistrature exerçant en Polynésie des compétences pointues en matière d'affaires de terre , alors que plusieurs juges maîtrisant parfaitement le droit et le contexte local sont sur le départ.

Vos rapporteurs veulent croire que « le ministère de la justice a pleinement conscience des fortes attentes du pays quant à la création de ce tribunal et travaille à son installation effective dans les meilleurs délais ». 60 ( * ) Toutefois, aucune échéance contraignante pour l'installation effective du tribunal foncier n'est fixée par la loi de 2015.

Il faut au moins attendre la publication du décret en Conseil d'État déterminant « les conditions de désignation et les attributions du commissaire du gouvernement de la Polynésie française, dans le respect du principe du contradictoire », en application du dernier alinéa de l'article L. 552-9-1 du COJ, puisque le tribunal foncier doit statuer « au vu des conclusions du commissaire du gouvernement de la Polynésie française ». Or, cette disposition est aujourd'hui contestée sur le fond.

La Chancellerie souhaite confier l'exercice des fonctions de commissaire du gouvernement de la Polynésie française à un membre de la direction des affaires foncières afin que les compétences spécifiques et les connaissances des dossiers de ce fonctionnaire permettent d'accélérer la mise en état des dossiers. Elle s'inspire du modèle du commissaire du gouvernement auprès du juge de l'expropriation, mission confiée au directeur des services fiscaux dans le département.

Vos rapporteurs doutent en l'état de l'opportunité de cette mesure, comme la Commission des lois du Sénat elle-même qui avait adopté, à l'initiative du rapporteur M. Thani Mohamed Soilihi, un amendement de suppression de la fonction de commissaire du gouvernement lors des débats sur le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit en 2015. Le pays est impliqué dans un grand nombre d'affaires foncières, soit en qualité de propriétaire du domaine, soit en tant qu'administration gestionnaire. Il intervient également via le bureau des avocats de la direction des affaires foncières pour conseiller les personnes éligibles à l'aide juridictionnelle et pour assurer leur défense. Comment dans ses conditions garantir l'impartialité d'un commissaire du gouvernement issu de la direction des affaires foncières, quel que soit par ailleurs l'intérêt de disposer d'un spécialiste de la technique et du droit foncier ?

Il ne s'agit pas simplement d'offrir des garanties objectives, ce qui sera déjà difficile, mais de manifester publiquement et en toute transparence cette vertu d'impartialité pour vaincre les soupçons inévitables que nourrira la population polynésienne. Il ne suffira pas à cet égard de prévoir, comme l'envisage la Chancellerie, que le commissaire du gouvernement n'appartiendra pas à la formation de jugement et n'assistera pas au délibéré, que dans le cadre des affaires de terre qui impliquent la Polynésie, les fonctionnaires désignés pour agir devant le tribunal foncier au nom du gouvernement de la Polynésie ne pourront pas être désignés pour exercer les fonctions de commissaire du gouvernement et que l'ensemble des parties sera avisé des conclusions du commissaire du gouvernement, conformément au principe du contradictoire.

Ce sont là des conditions objectives minimales pour éviter une condamnation au titre de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit un procès équitable. Il faut aussi assurer une crédibilité d'ordre plus subjectif afin de gagner la confiance d'une population échaudée. Étant donné l'ampleur des actions en revendication sur le domaine de la Polynésie et la mémoire à vif des spoliations historiques, rien n'est là de nature à rendre acceptable cette institution aux yeux des justiciables, surtout si le commissaire dispose de prérogatives fortes comme la faculté d'interjeter appel. Les décisions du tribunal foncier prises sur les conclusions du commissaire du gouvernement courent le risque d'être systématiquement contestées soit par des voies normales, soit de manière extralégale. À peine porté sur les fonts baptismaux, le tribunal foncier, qui constitue une des clefs de la résolution de la question des terres, serait déjà battu en brèche et sa légitimité, contestée.

L'État est-il même assuré qu'il pourra, au sein de la DAF, trouver pour chaque affaire un fonctionnaire qui remplira toutes ces conditions ? Ses effectifs ne sont pas aussi développés que cela et le vivier disponible est étroit. Restera également l'écueil de prononcer des conclusions dans une des nombreuses affaires où intervient un avocat de la DAF.

Enfin, dernière difficulté, si l'État est compétent en matière d'organisation judiciaire, c'est le gouvernement de Polynésie qui dispose de l'administration polynésienne en vertu de l'article 63 du statut de 2004. Comment concevoir dans ces conditions la nomination d'un fonctionnaire polynésien dans un tribunal de l'État ? Il n'est pas certain qu'elle soit compatible avec l'autonomie de la Polynésie.

Pour sortir de l'ornière, et à défaut d'abroger l'institution du commissaire du gouvernement, vos rapporteurs proposent de s'en remettre à l'autorité judiciaire qui est la seule à même d'apporter consubstantiellement les garanties nécessaires au respect de l'impartialité et de l'équité du procès. Plusieurs solutions sont possibles.

On peut envisager que le commissaire du gouvernement, rebaptisé rapporteur public, soit un magistrat comme devant le juge administratif. Il faudrait alors prévoir un poste supplémentaire de magistrat au sein du tribunal foncier qui se spécialiserait dans cette tâche. On peut aussi admettre qu'il s'agisse d'une personnalité qualifiée indépendante nommée par le Premier président de la cour d'appel à raison de son expertise, en repoussant en tout état de cause la nomination d'un fonctionnaire de la DAF.

Application du contrat d'objectifs avec la cour d'appel de Papeete

Le contrat d'objectif (COB) signé le 9 janvier 2015 et entré en vigueur au 1 er septembre 2015 doit permettre de réduire le stock des affaires de terre en souffrance devant le tribunal de première instance (TPI) et la cour d'appel de Papeete avant que le futur tribunal foncier ne démarre son activité.

Lors de la signature du COB, le stock des affaires devant le TPI était estimé à 1 416 affaires. Il était de 175 affaires devant la cour d'appel. Depuis cette date, le renforcement des moyens alloués semble commencer à se traduire par une décrue alors que le volume des affaires de terre en stock avait connu une augmentation de plus de 15 % au cours des neuf premiers mois de 2014.

Source : Ministère de la Justice, direction des services judiciaires

Les moyens ayant fait l'objet d'un engagement de la part du ministère de la justice sont les suivants :

Moyens humains supplémentaires (alloués pour une durée limitée)


8 mois de crédits vacataire pour permettre la numérisation des dossiers ont été alloués en 2015.


Affectation de 2 magistrats :

Bilan au 1 er janvier 2016 : les effectifs de la cour d'appel de Papeete sont conformes à la circulaire de localisation des emplois. Le TPI compte deux juges non spécialisés en surnombre afin de renforcer le service ayant à connaître spécifiquement du contentieux des affaires de terre, conformément aux engagements du contrat d'objectifs signé entre la direction des services judiciaires et les chefs de la cour d'appel de Papeete le 9 janvier 2015. En outre, les effectifs de cette juridiction sont au complet pour les autres fonctions.


Affectation de 2 greffiers :

Bilan au 1 er janvier 2016 : les engagements pris dans le cadre du COB ont donné lieu, au titre de l'année 2015, à la localisation de deux nouveaux emplois de greffier pour la résorption du stock d'affaires de terres, puis pour le fonctionnement ultérieur du tribunal des affaires foncières.

L'existence de corps spécifiques de fonctionnaires de l'État pour l'administration de la Polynésie française (CEAPF), greffiers et adjoints administratifs, a nécessité des recrutements spécifiques pour l'affectation des effectifs sur ces emplois.

Le concours spécifique organisé en 2014 a permis le recrutement de 5 greffiers CEAPF en décembre de la même année. Ces effectifs ont rejoint la juridiction le 4 janvier 2016 à l'issue de leur scolarité à l'ENG pour effectuer leur stage de mise en situation professionnelle en juridiction polynésienne. Ils seront titularisés le 29 juin 2016.

Un appel complémentaire de greffiers CEAPF sur la liste du concours 2014 est actuellement en cours mais fait l'objet d'un recours suspensif formulé par un candidat de la liste interne.

En l'état, il a été procédé l'année dernière (14 septembre 2015) à un recrutement d'adjoints administratifs CEAPF avec 7 adjoints recrutés pour 4 postes vacants localisés au sein de cette juridiction, ce qui a porté à 3 surnombres l'état des effectifs de catégorie C, toujours d'actualité à ce jour.


Équivalents temps plein travaillés ( ETPT) supplémentaires :

Une dotation de 4 ETPT de vacataires a été allouée.

Moyens matériels

Allocation des sommes de 105 000 euros ainsi que de 10 206,85 euros (scanner pour la numérisation des dossiers).

Les crédits listés ont bien été délégués en 2015. Le budget opérationnel du programme (BOP) a consommé ces crédits en travaux d'aménagement, informatique, téléphone, mobilier, bureautique dont 10 207 euros pour l'acquisition d'un scanner de grande capacité.

Source : Direction des services judiciaires - ministère de la justice - janvier 2016

Il est essentiel à la réussite du tribunal foncier que sa déclinaison territoriale permette le meilleur accès possible à la justice pour les Polynésiens. À cet égard, les réponses de la Chancellerie aux questions de vos rapporteurs ne laissent pas d'inquiéter : « Aussi, il semble que le tribunal foncier à Papeete ait compétence exclusive en matière foncière sur l'ensemble de la collectivité d'outre-mer de la Polynésie Française. Dans ces conditions, tout litige foncier porté devant la section détachée de Raiatea ou de Nuku Hiva devrait être renvoyé devant le tribunal foncier, seul compétent pour en connaître. » 61 ( * )

Bien que le code de l'organisation judiciaire prévoie que le TPI comprenne les sections détachées d'Uturoa et de Nuku Hiva pour juger dans leur ressort les affaires civiles, correctionnelles, de police et d'application des peines, les actions foncières, par nature des « affaires civiles », ne semblent cependant pas éligibles à être jugées par les sections détachées en l'état des textes législatifs. Le ministère de la justice considère que le tribunal foncier est un organe particulier au TPI, dont la formation diffère du TPI et que la loi du 27 février 2004 précise que le tribunal est institué à Papeete et à compétence sur toute la Polynésie.

Si l'analyse de la Chancellerie se confirmait, il faudrait impérativement apporter les modifications législatives nécessaires pour maintenir la compétence en matière foncière des sections détachées des Marquises et des Îles Sous-le-Vent . Dans un second temps, il pourrait être demandé à l'État d'ouvrir d'autres sections détachées foncières dans les autres archipels, si cela se révélait pertinent.

Les coûts et les temps de transport sont trop importants pour que tout le contentieux se concentre à Papeete, au risque d'ailleurs d'engorger excessivement ce tribunal. La contribution à l'unification de la jurisprudence serait modeste puisque la cour d'appel l'assume déjà. Ce serait à l'évidence une entrave intolérable au libre accès à la justice.

En revanche, le tribunal foncier en matière foncière devrait pouvoir tenir des audiences foraines sans difficulté . Même si aucune disposition ne le prévoit expressément dans le cas polynésien, il s'agit d'une prérogative générale reconnue en la matière au Premier président de la cour d'appel. Le recours au juge forain est absolument indispensable pour traiter les dossiers dans les Tuamotu-Gambier et dans les Australes. Vos rapporteurs seront vigilants pour que ce dispositif forain perdure.

Bien qu'il soit indispensable d'améliorer le traitement du contentieux foncier, vos rapporteurs estiment qu'il ne faut pas pour autant négliger les moyens d`accroître le nombre de partages amiables dans l'avenir. Ils se félicitent des orientations en la matière de M. Tearii Alpha, ministre du logement et des affaires foncières, qui souhaite favoriser l'essor des modes alternatifs de règlement des conflits en empruntant à la conciliation, à la médiation, à l'arbitrage ou à la convention de procédure participative. 62 ( * )

L'objectif serait d'ouvrir des voies de résolution amiable aux familles, non seulement pour assécher le contentieux mais également pour pacifier les rapports sociaux, au moins quand le partage ne concerne pas un nombre trop grand d'indivisaires. L'installation définitive du tribunal foncier aura pour conséquence d'abroger la Commission de conciliation obligatoire en matière foncière, qui n'a pas rempli son office. Même en cas d'échec de la conciliation, cas fréquent, elle doit concourir à la mise en état du dossier, ce qui ne semble pas véritablement avoir été le cas d'après les greffes et les magistrats du tribunal de première instance de Papeete. Les professions juridiques - avocats, notaires et géomètres experts - se sont également montrées très critiques envers cette instance.

Bilan de la commission de conciliation obligatoire en matière foncière

La commission de conciliation obligatoire en matière foncière (CCOMF) a été créée par la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996 pour « connaître des actions réelles immobilières ainsi que des actions relatives à l'indivision ou au partage portant sur des droits réels immobiliers ».

En cas de litige foncier, la CCOMF est censée être saisie avant de déposer une requête auprès du juge. Lorsque la juridiction compétente a été saisie directement, elle renvoie l'affaire devant la commission, sauf si elle estime que le succès de la conciliation est déjà irrémédiablement compromis ou si la cause exige de statuer en urgence. Si l'affaire est en état d'être jugée et que toutes les parties en manifestent la volonté, le juge ne procède pas au renvoi.

La CCOMF a six mois pour agir. Passé ce délai, les requérants peuvent déposer leur dossier devant le TPI. D'après les statistiques remises par la direction des affaires foncières, sur 3 807 requêtes enregistrées de 1998 à 2013, 2 000 requêtes ont été audiencées, soit 52 %. Sur les 2 000 requêtes, il y a eu 291 procès-verbaux de conciliation, soit 14,5 %. À la fin de l'année 2014, environ 500 dossiers étaient en cours devant cette commission.

La difficulté principale à laquelle est confrontée la CCOMF et qui explique son faible succès est qu'il est difficile d'obtenir des accords valables lorsque toutes les souches ne sont pas représentées ou lorsque les membres au sein des souches ne sont pas représentés.

La procédure de conciliation est limitée aux parties indiquées dans la requête du demandeur, ce qui ne couvre en général pas l'ensemble des indivisaires. À supposer qu'une conciliation soit trouvée, celle-ci ne peut dès lors qu'avoir une portée relative. Elle doit être ratifiée par une ordonnance du juge.

Son domaine de compétences trop étendu, son absence de pouvoir juridictionnel, sa mission ambiguë confondant les méthodes de la conciliation et de la médiation, ses moyens restreints expliquent l'échec de la CCOMF et sa disparition consensuelle à l'installation du tribunal foncier.

Sources : Direction des services judiciaires et direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice - direction des affaires foncières de Polynésie.

Il ne faut pas manquer cette occasion d'élaborer une procédure amiable efficace, qui pourrait également nécessiter la réglementation d'une nouvelle profession de médiateur. Des litiges localisés dans des îles éloignés du centre et d'essence familiale sont propices à l'emploi de mécanisme de ce type, surtout si les personnes retenues pour exercer ces fonctions peuvent s'exprimer dans les différentes langues polynésiennes. Culturellement, la médiation paraît particulièrement adaptée. C'est pourquoi on la retrouve fréquemment dans les systèmes juridiques des États du Pacifique Sud de la sphère polynésienne ou du monde mélanésien.

c) Des évolutions souhaitables du droit civil pour tenir compte des pratiques polynésiennes
(1) La nécessité d'une adaptation pragmatique des normes nationales

Sans revenir sur le caractère exorbitant du droit du domaine dans les outre-mer examiné par la délégation sénatoriale à l'outre-mer dans un précédent rapport, régime qui aménage en particulier des procédures exceptionnelles d'acquisition de la propriété, vos rapporteurs remarquent que des dérogations sont d'ores et déjà accordées dans le cadre du code civil, y compris dans la matière si essentielle et si sensible des successions et libéralités.

Par exemple, l'article 815-7-1 du code civil inséré par la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer prévoit des dispositions spéciales pour poursuivre un but d'intérêt général, stimuler l'offre de logements, dans quatre départements et une collectivité à statut d'autonomie. Ainsi, « en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Saint-Martin, lorsqu'un immeuble indivis à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel est vacant ou n'a pas fait l'objet d'une occupation effective depuis plus de deux années civiles, un indivisaire peut être autorisé en justice, dans les conditions prévues aux articles 813-1 à 813-9, à exécuter les travaux d'amélioration, de réhabilitation et de restauration de l'immeuble ainsi qu'à accomplir les actes d'administration et formalités de publicité, ayant pour seul objet de le donner à bail à titre d'habitation principale. » Le renvoi aux articles 813-1 à 813-9 du code civil rappelle la faculté générale du juge de désigner un mandataire successoral, ayant pour mission d'administrer provisoirement la succession en raison de l'inertie, de la carence ou de la faute d'héritiers dans cette administration, de leur mésentente, d'une opposition d'intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale. Cet exemple de disposition propre à certains territoires ultramarins porte sur un acte de gestion d'un bien indivis qui est loin d'être anodin.

D'autres spécificités en matière de prescription acquisitive ont été par le passé incluses dans le code rural. La présidente du tribunal des baux ruraux de Pointe-à-Pitre a rappelé à vos rapporteurs la « spécificité historique notable de titres de propriété dressés, conformément à la loi, par les représentants de l'État au bénéfice d'occupants justifiant d'une exploitation continue de terres depuis plus de deux ans. » 63 ( * )

Sur le principe, rien ne s'oppose à des dérogations au régime des successions du code civil. C'est possible dans les départements d'outre-mer malgré le principe d'identité législative qui ne doit pas être confondu avec un pur principe d'uniformité. C'est a fortiori possible dans une collectivité dotée du statut d'autonomie poussée comme la Polynésie française. Cela ne signifie pas qu'aucune contrainte ne pèse sur les adaptations projetées. Le respect des normes constitutionnelles et conventionnelles doit garantir qu'elles ne porteront pas atteinte aux principes fondamentaux et aux libertés publiques. Vos rapporteurs estiment que ce cadre demeure suffisamment souple pour préserver l'unité du coeur du droit français des successions et libéralités, tout en dégageant des solutions de fond au problème de l'indivision qui ronge la société polynésienne.

L'objectif prioritaire n'est pas de désengorger les tribunaux. Certes, cela reste en soi une finalité légitime et intéressante car les citoyens ont droit à une bonne administration de la justice, qui se trouve manifestement compliquée par l'afflux du contentieux des terres. Cependant, c'est bien la sécurisation des droits fonciers de la population qui prime et qui doit orienter toute proposition de solution à un problème qui est d'abord politique et social avant d'être technique et administratif.

Certaines propositions radicales pour limiter les opportunités de recours et sanctuariser les partages prononcés, sans doute efficaces pour accélérer le traitement judiciaire et résorber le stock, doivent être soigneusement pesées pour ne pas apparaître comme un déni de justice qui accroîtrait le ressentiment de la population polynésienne.

Parallèlement, il faut admettre qu'un certain nombre de cas sont devenus tellement inextricables qu'ils ne peuvent être résolus et apurés. Adapter les règles de procédure et de fond pour les rendre plus conformes aux pratiques polynésiennes et plus adaptées à la résolution pragmatique des cas constatés concrètement est certainement nécessaire, mais ne pourra se faire sans empêcher que certains se sentent lésés. C'est donc sur leur équilibre global et le long terme qu'il faudra juger les évolutions suggérées des normes applicables en Polynésie française en la matière.

Il convient aussi de se méfier d'une tendance un peu facile, qui n'est que le pendant symétrique de la prétention à l'universalité et du mépris des normes locales : celle qui revient à essentialiser, à figer ou à généraliser trop rapidement des coutumes polynésiennes qui ne sont pas forcément vivantes partout ou qui peuvent aussi évoluer au fil du temps, comme elles l'ont toujours fait dans l'Histoire. Les transposer en normes juridiques de droit civil reste un travail délicat qui doit autant respecter l'héritage ancestral que les aspirations des nouvelles générations et autant assurer la continuité que laisser ouvertes les voies de transformation.

La précipitation n'est donc pas bienvenue en la matière et il est sans doute préférable d'utiliser le répit et le soulagement qu'offre le surcroît de moyens accordé dans le cadre du contrat d'objectifs, qui doit se prolonger dans l'installation du tribunal foncier, pour parfaire une éventuelle réforme du code civil et du code de procédure civile applicable à la Polynésie française. Le groupe de travail créé par le Garde des Sceaux pour réfléchir à ces évolutions a connu quelques soubresauts qui ont malheureusement freiné sa mise en place et le début de ses travaux. Désormais présidé par M. Jean-Paul Pastorel, professeur de droit public à l'Université de Polynésie française, que vos rapporteurs ont rencontré le 11 mars 2016 à Papeete, il est maintenant en ordre de marche. Il serait bon qu'il puisse rendre ses conclusions avant la fin de l'année.

La réflexion sur ces sujets est cependant ancienne. Certaines propositions ont mûri et sont aujourd'hui largement débattues, notamment à l'initiative du ministère du logement et des affaires foncières de Polynésie. L'Association des juristes de Polynésie française, qui croise les regards des universitaires et praticiens, joue également un rôle utile de forum. Sans attendre, vos rapporteurs souhaitent donc apporter une contribution au débat en plaidant pour certaines modifications de la procédure civile et du fond du droit qui leur semblent particulièrement pertinentes au vu des nombreuses auditions qu'ils ont menées sur place.

Les évolutions qui pourraient être envisagées portent sur le statut d'autonomie, sur le fond du droit des successions régi par le code civil national et sur la procédure civile propre à la Polynésie française.

(2) La répartition des compétences entre l'État et le pays

En premier lieu, force est de constater que la répartition des compétences entre l'État et la Polynésie française est complexe et ne favorise pas la résorption des affaires de terre . Rappelons que le statut d'autonomie de la Polynésie française a été fixé par la loi organique du 27 février 2004, qui prévoit la compétence de droit commun de la Polynésie française dans toutes les matières qui ne sont pas expressément attribuées à l'État par l'article 14 du statut, sous réserve des compétences reconnues aux communes par les lois et règlements applicables en Polynésie française. À ce titre, il appartient à la Polynésie française d'édicter les règles de procédure et de fond applicables au droit foncier . Sa compétence générale couvre la définition du régime de la propriété foncière, la revendication et l'usucapion, la publicité foncière, la tenue du fichier immobilier et le cadastre, toutes ces matières ne figurant pas dans la liste des compétences de l'État limitativement énumérées à l'article 14 du statut.

En outre, en vertu des dispositions de l'article 19 de son statut d'autonomie, la Polynésie française dispose d'un droit de préemption général « dans le but de préserver l'appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population de la Polynésie française et l'identité de celle-ci, et de sauvegarder ou de mettre en valeur les espaces naturels. ». Elle peut ainsi subordonner à déclaration les transferts entre vifs de propriétés foncières situées sur son territoire en vue d'exercer dans le délai de deux mois son droit de préemption sur les propriétés foncières ou les droits sociaux y afférents faisant l'objet de la déclaration de transfert. À défaut d'accord avec le propriétaire, la valeur du bien préempté est fixée comme en matière d'expropriation.

Cette compétence de droit commun pour édicter les règles foncières ne peut toutefois s'exercer que sous réserve des compétences réservée à l'État en matière de défense et de garantie des libertés publiques et d'organisation judiciaire . C'est pourquoi, conformément à l'article 17 de la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française, l'État demeure compétent pour édicter « les mesures de nature législative relatives à l'organisation et au fonctionnement du tribunal foncier ainsi qu'au statut des assesseurs. » Cependant, la Polynésie française a pleine compétence pour l'ensemble de la procédure civile , y compris devant le tribunal foncier.

En revanche, il résulte du 1° de l'article 14 du statut que le droit des successions relève de la compétence de l'État . Les mesures législatives et règlementaires relatives au droit des successions ne sont applicables en Polynésie française que si une mention expresse le prévoit. C'est le cas de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, à l'exception de certaines dispositions sur les successions vacantes et en déshérence, compétence exclusive de la Polynésie française. Sont également exclues d'application l'attribution préférentielle en matière agricole et la vente forcée sous le contrôle du juge introduite à l'article L. 815-5-1 du code civil, qui n'est clairement pas adaptée aux us et coutumes polynésiens qui refusent largement la licitation et la mise en commerce du patrimoine foncier familial.

L'extension du régime de l'indivision légale à la Polynésie datant de 1993 a été confirmée par l'article 40 de la loi précitée du 23 juin 2006. La compétence de l'État comprend donc le régime légal de l'indivision successorale . Cependant, la Polynésie étant compétente en matière de droits des obligations et des contrats, il lui revient de définir les mesures gouvernant les conventions relatives à l'exercice en commun des droits indivis sur un bien. Autrement dit, la Polynésie est compétente sur l'indivision conventionnelle , possibilité offerte aux héritiers après la dévolution successorale par l'article 815-1 du code civil.

Vos rapporteurs considèrent que cette division organique de la compétence sur l'indivision entre l'État et le pays est préjudiciable. Elle manque de lisibilité et de justifications. Elle porte en elle le risque de décalages et d'incohérences et pourrait même laisser ambiguë la compétence en termes de transition entre les deux régimes, même si l'on peut penser que la compétence de l'État l'emporte tant que perdure l'indivision légale, y compris pour la décision de basculer dans le régime conventionnel. De plus, elle complique l'évolution du droit foncier en demandant une coordination constante entre l'État et le pays pour avancer d'un même pas, dans l'exercice de leurs compétences distinctes en droit mais liées en pratique, ce qui favorise toutes les temporisations et les atermoiements.

Pour pallier la menace de l'inertie, l'article 31 de la loi organique de 2004 pourrait être invoqué. En vertu de ses dispositions, les institutions de la Polynésie sont habilitées à participer à l'exercice des compétences de l'État par l'édiction de « lois du pays », de nature administrative et devant être faites dans le respect des garanties constitutionnelles et sous le contrôle et avec l'approbation de l'État. Une adaptation du droit des successions et des libéralités, en particulier des règles concernant l'indivision légale pourrait donc intervenir par l'intermédiaire d'une loi du pays . Toutefois, si l'État se montre réticent à adapter lui-même le code civil dans les parties qui lui reviennent pour faire droit à la spécificité du cas polynésien, pourquoi approuverait-il une loi du pays allant dans ce sens ?

Cette démarche ne paraît donc pas présenter beaucoup plus de chances de succès qu'une réforme directement portée par l'État, votée par le Parlement national et qui pourrait bénéficier à d'autres outre-mer. La préparation d'une loi du pays pourrait éventuellement amener l'État à préciser clairement sa position en la matière et à justifier sa crainte d'une éventuelle rupture de l'égalité devant la loi et d'un morcellement du régime des successions. Pour donner plus de force aux éventuelles dérogations et pour engager solennellement la Nation à inscrire les particularités polynésiennes, au sein du code civil, qui fait partie de l'héritage commun de la République, vos rapporteurs jugent préférables que des modifications du droit des successions soient adoptées par l'Assemblée nationale et le Sénat .

(3) Garantir la prise en compte de la spécificité polynésienne dans le code civil

La dentelle de la répartition des compétences entre l'État et le pays ne rend pas seulement les réformes plus complexes. Elle aboutit déjà à des tensions entre certains textes. Un exemple est particulièrement éclairant. Il confronte l'article 887-1 du code civil à l'article 363 du code de procédure civile de la Polynésie française au sujet de la nullité d'un partage après omission d'un héritier .

Les dispositions du code civil, issues de la réforme de 2006 précitée, prévoient une action en nullité au profit de l'héritier omis. Au regard des risques élevés d'omission involontaire, par erreur ou par simple ignorance, le code de procédure civile polynésien depuis 1956 retient uniquement une action en indemnité pour celui qui aurait été lésé pour éviter l'annulation du partage et la reprise de toute la procédure depuis le début sans garantie d'une plus grande sécurité juridique du nouveau partage. Les lois du pays conservant une nature d'acte administratif, ce sont les dispositions du code civil qui l'emportent.

C'est pourquoi, pour l'application en Polynésie française de l'article 887-1 du code civil , vos rapporteurs préconisent d'écarter la possibilité, pour l'héritier omis, de demander l'annulation du partage . Dès lors que le partage est transcrit et exécuté, il ne demeurerait qu'une action en indemnité prenant la forme d'une demande de partage complémentaire. En outre, il conviendrait que ce ne soit pas l'héritier omis mais les copartageants qui choisissent de lui attribuer sa part, soit en nature, soit en valeur. L'objectif est de favoriser la compensation en valeur car, comme le note la mission de la Chancellerie sur les affaires de terre de 2014, « un complément de part en nature s'apparente à un anéantissement partiel du partage et est donc aussi source d'insécurité juridique » 64 ( * ) .

Cette mesure ne paraît pas incompatible avec le principe d'égalité devant la loi, même s'il s'agit de fermer une voie d'action devant le juge. En effet, d'une part, demeure le principe de la compensation en valeur, éventuellement en nature si les coindivisaires l'acceptent, si bien que l'héritier omis ne sera pas lésé. D'autre part, l'impératif de garantir le maximum de sécurité juridique des partages exécutés est véritablement d'intérêt général en Polynésie française au regard de l'enlisement de la situation foncière et des tensions sociales qu'il cause.

C'est dans le même but que vos rapporteurs ne peuvent que recommander la sanctuarisation de la jurisprudence de la cour d'appel de Papeete sur le partage par souches . Si la mise en état des dossiers est particulièrement pénible en raison de l'impossibilité d'attraire à la cause tous les ayants droit, le résultat du partage n'est pas lui non plus toujours satisfaisant, y compris lorsqu'il n'est pas contesté. En effet, le partage par tête est bien souvent soit impossible, soit dénué de sens au regard de l'étroitesse des parcelles et du nombre des héritiers. Le souci de simplifier le dossier, d'accélérer son règlement et de rendre des décisions opérationnelles a amené la cour d'appel de Papeete à valider le principe de partage par grandes souches familiales, quitte à enregistrer ultérieurement des demandes de partage par tête au sein de chaque souche lorsque cela est possible.

Cette construction prétorienne vise à admettre la représentation, dans la procédure de partage, des indivisaires qui ne peuvent être appelés à l'instance, par un parent issu de la même souche. Comme il faut régler des successions en cascade remontant parfois au XIX e siècle, les indivisaires ne viennent pas à la succession de leur propre chef mais par représentation de leurs parents, héritiers décédés avant la liquidation de la succession de leurs propres ascendants, ainsi que le prévoit l'article 827 du code civil. Les souches s'apprécient à partir des premiers héritiers directs du de cujus dont on règle la succession. Plus la succession est récente, plus le nombre des indivisaires est restreint et moins la souche est étendue.

Or, la Cour de cassation casse systématiquement tous les arrêts de la cour d'appel retenant cette solution juridique qui élargit libéralement la notion de représentation. Elle estime en effet « que la seule communauté d'intérêts ne saurait suffire à caractériser la représentation et qu'un jugement ne peut créer de droits ni d'obligations en faveur ou à l'encontre de ceux qui n'ont été ni parties ni représentés dans la cause ». 65 ( * ) Juste et rigoureuse sur le plan de la stricte interprétation du droit, l'opinion de la Cour de cassation entraîne de lourds préjudices et retarde le traitement de la question foncière en Polynésie. Il faut admettre qu'il n'y a bien souvent pas d'autre choix que le partage par souches, comme l'ont reconnu unanimement tous les magistrats rencontrés par la délégation sénatoriale à Papeete et dans les archipels. D'ailleurs, malgré la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le TPI et la cour d'appel de Papeete maintiennent leur solution prétorienne. Peu de pourvois en cassation sont constatés, bien que l'invalidation soit assurée et constitue donc un motif général d'insécurité des partages. C'est le signe que le partage par souches est plutôt bien accepté par la population.

Cette situation instable n'est pas satisfaisante. Vos rapporteurs considèrent qu'il faut actionner plusieurs leviers. En premier lieu, il pourrait être prévu une disposition particulière à la Polynésie pour l'application de l'article 827 du code civil pour admettre que les héritiers d'une même souche, lors d'un partage judiciaire, puissent être considérés comme représentés dès lors qu'un indivisaire de la même souche est partie au partage.

En second lieu, il faut prévoir des garde-fous pour garantir les droits des indivisaires omis. Il ne faudrait pas que l'introduction d'une présomption de représentation au sein d'une souche dispense de rechercher le plus d'indivisaires possible pour les attraire au partage, et aboutissent à des partages iniques à l'insu de certains indivisaires. C'est particulièrement vrai lorsqu'on admet qu'un seul indivisaire partie au partage suffit pour représenter toute sa souche. Il ne s'agit pas de provoquer des conflits familiaux supplémentaires à cette occasion, ni de léser quiconque. Il est difficile de décider in abstracto des critères, notamment numériques, qui rendent la représentation par souches acceptable et utile. C'est pourquoi l'opportunité et les modalités de la représentation par souches doivent être appréciées par le juge et sous son contrôle . C'est à lui que revient de garantir en toute impartialité le respect des droits de tous les indivisaires.

En troisième lieu, il serait utile d'améliorer les mécanismes déjà existants de représentation . De ce point de vue, le curateur aux biens et successions vacants, prévu par l'article 676 du code de procédure civile de la Polynésie française, est un instrument précieux car il peut agir non seulement pour retrouver mais aussi pour représenter dans la cause les ayants droit inconnus. Se pose à nouveau la question de ses moyens au regard de l'ampleur de la tâche. Comme pour les départements d'outre-mer, vos rapporteurs suggèrent alors de faciliter la désignation de représentants des ayants droit défaillants , en dressant une liste de personnes susceptibles d'exercer cette fonction et éventuellement de les faire bénéficier d'une formation spécifique pour les préparer. Le président du TPI pourrait également désigner plus fréquemment un mandataire successoral, sur demande d'un héritier, d'une personne intéressée ou du ministère public, conformément à l'article 813-1 du code civil.

Certaines règles de dévolution successorale présentes dans le code civil ne correspondent pas non plus au modèle de la famille polynésienne, où le lignage conserve une grande partie de son sens et de sa force. Ainsi, le droit de retour à hauteur de moitié au profit des collatéraux privilégiés prévu à l'article 757-3 du code civil, paraît inadapté . En l'absence de postérité et d'ascendants privilégiés, le conjoint survivant reçoit toute la succession sauf la moitié des biens de famille qui revient à la fratrie. Cette disposition ouvre une indivision sur le patrimoine ancestral avec des tiers à la famille, pas uniquement le conjoint survivant mais surtout, cas fréquent, ses enfants issus d'un second lit. Que des étrangers bénéficient de droits indivis sur la terre des ancêtres paraît inimaginable aux yeux de bon nombre de Polynésiens.

En 2001, le législateur avait souhaité cette évolution pour tenir compte de la transformation des liens familiaux en métropole tout en protégeant les biens de famille ; il voulait compenser l'éviction de la fratrie au profit du conjoint survivant par l'octroi d'un droit assurant une relative conservation dans la famille des biens. C'était en l'espèce une brèche ouverte dans le principe de l'unité de la succession, né avec la fin de l'Ancien Régime. En réalité, la protection des biens de famille compatible avec l'organisation sociale polynésienne n'est pas suffisamment assurée par ce dispositif. Ce type de solution ne fait qu'attiser l'incompréhension et le ressentiment dans la population vis-à-vis d'un droit français qui, aveugle à leurs préoccupations, leur paraît lointain et étranger. C'est pourquoi vos rapporteurs souhaitent que soit envisagée la possibilité d'une dévolution complète aux collatéraux privilégiés, en l'absence de postérité et d'ascendants privilégiés .

Sur le même registre, les règles d'attribution préférentielle du logement prévues à l'article 831-2 du code civil ne sont pas satisfaisantes. L'héritier copropriétaire peut la solliciter « s'il y avait sa résidence à l'époque du décès » du de cujus . Cette condition est impossible à remplir pour des successions très anciennes, parfois ouvertes il y a plus de 100 ans. La cour d'appel de Papeete avait trouvé une solution originale pour permettre à l'indivisaire occupant le logement d'en recevoir l'attribution lors du partage, en lui reconnaissant l'équivalent d'un droit de superficie. De nouveau, la Cour de cassation n'a pas reconnu la validité des usages locaux et a invalidé ces décisions, ce qui ne peut aboutir en l'absence d'accord entre indivisaires qu'au tirage au sort du logement. 66 ( * ) Pour ne pas recourir à cette extrémité, qui forcerait l'expulsion d'héritiers habitant paisiblement dans les lieux, vos rapporteurs préconisent de prévoir , pour l'application en Polynésie française de l'article 831-2 précité, qu'un héritier copropriétaire ayant sa résidence principale dans les lieux depuis un temps suffisamment long, sans trouble, puisse bénéficier de l'attribution préférentielle de ce logement .

Enfin, les modalités classiques de gestion de l'indivision successorale comme conventionnelle deviennent des facteurs de blocage en raison de la taille des indivisions et des incertitudes qui frappent la détermination exacte de l'ensemble des titulaires de droits sur les biens. Si l'on privilégie et sanctuarise le partage par souches et que l'on reconnaît que l'indivision est un mode de gestion approprié à la structure sociale et à la conformation géographique de la Polynésie, force est d'admettre par cohérence qu'un assouplissement est indispensable. Le point central serait sans doute de lever , pour son application en Polynésie française, la règle posée par le premier alinéa de l'article 1873-2 du code civil qui impose l'unanimité pour basculer du régime légal au régime conventionnel de l'indivision.

Les règles de majorité en nombre d'indivisaires et en parts, même assouplies aux deux tiers, pour la gestion du bien indivis paraissent à de nombreux interlocuteurs rencontrés sur place encore trop contraignantes. Il faut pouvoir envisager de passer à une majorité simple pour certaines décisions ou bien de moduler le quorum pour l'abaisser en fonction de l'ancienneté ou de la taille de l'indivision , comme le suggère le ministre des affaires foncières de Polynésie française. 67 ( * ) Il demeure très difficile de définir in abstracto des seuils adaptés.

En outre, même s'il est nécessaire, l'assouplissement des règles de gestion de l'indivision se heurte toujours au problème du nombre d'indivisaires inconnus, qui empêche le calcul du seuil. En solution ultime, faut-il aller jusqu'à imaginer des mécanismes où le calcul des majorités se fasse par souche, ce qui serait cohérent avec la réforme de la représentation ? Faut-il prévoir que seuls les indivisaires qui se sont manifestés après une information donnée par voie de presse sont décomptés dans les votes, avec une caducité, après un certain délai, des contestations émanant d'héritiers omis sur des actes de gestion du bien indivis ? On peut espérer qu'au fur et à mesure de l'apurement du contentieux foncier et la réalisation des partages successifs par souches, en fermant les actions en nullité pour les héritiers omis, les indivisions deviendront plus maîtrisables, sans qu'il soit besoin de recourir dès lors à ces expédients.

Règles fondamentales de gestion de l'indivision dans le code civil

Article 815 : « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention. »

Article 815-1 : « Les indivisaires peuvent passer des conventions relatives à l'exercice de leurs droits indivis, conformément aux articles 1873-1 à 1873-18 . »

Article 1873-2 alinéa 1 : « Les coindivisaires, s'ils y consentent tous, peuvent convenir de demeurer dans l'indivision. »

Par ailleurs, d'après les magistrats 68 ( * ) et des universitaires comme M. Jean-Yves Sage 69 ( * ) , il règne une certaine méconnaissance des possibilités offertes par le code civil pour gérer les biens indivis comme la société civile immobilière, la fiducie ou les mécanismes de dation en paiement. L'administration de l'indivision conventionnelle par un gérant et de la succession par un mandataire reste également dans l'ombre. Les professionnels du droit, avocats et notaires notamment, ont un grand rôle à jouer pour permettre à la population de s'approprier ces dispositifs et les utiliser plus régulièrement afin de fluidifier la gestion. L'accès au droit des Polynésiens demeure une question fondamentale.

Par ailleurs, la Polynésie française pourrait profiter de l'introduction de la notion de trust , bien connu dans les pays de Common Law , mais dont la fiducie ne constitue qu'un substitut en droit de tradition romaine. La Polynésie bénéficierait de l'expertise et des retours d'expérience en la matière des pays de son environnement proche, non seulement l'Australie et la Nouvelle-Zélande, mais aussi des États indépendants de culture polynésienne. 70 ( * ) Cette solution n'est cependant encore qu'un projet à peine esquissé qui ne pourrait prendre forme qu'à plus long terme.

(4) Moderniser la procédure civile

Des solutions procédurales peuvent également contribuer à contenir l'expansion du contentieux. Une réforme du code de procédure civile de Polynésie française est à l'examen . En matière d'affaires de terre, vos rapporteurs estiment qu'elle pourrait utilement :

- sur le modèle national, introduire une injonction de conclure et une clôture d'instruction d'office pour raccourcir les délais , resserrer la mise en état du dossier et soulager le greffe. Il pourrait être envisagé de donner au juge de la mise en état un pouvoir d'injonction pour ordonner la production au tribunal par les tiers de toutes les pièces utiles pour accélérer la procédure ;

- limiter la tierce opposition en clarifiant les conditions de recevabilité de l'action, la Cour de cassation retenant une interprétation large de l'article 363 du code de procédure civile de Polynésie. 71 ( * ) La durée d'exercice de cette action pendant trente ans semble excessive. L'extinction en cas de partage exécuté ne tient pas compte du fait que de nombreux partages judiciaires ne sont pas transcrits, si bien que l'ouverture du délai d'extinction est perpétuellement retardée ;

- rendre obligatoire le ministère d'avocat en première instance .

Ce dernier point est le plus délicat. Les avis sont très partagés parmi les avocats du Barreau de Papeete. 72 ( * ) En effet, la postulation obligatoire coupera court à certaines demandes, dès lors que les justiciables hésiteront à recourir à un avocat. Il ne faut pas négliger le coût de l'avocat qui se surajouterait aux autres charges de la procédure, notamment les expertises, pour les personnes qui ne bénéficient pas de l'aide juridictionnelle. En outre, la quasi-totalité des avocats se trouvent à Tahiti , ce qui désavantage les habitants des archipels. 73 ( * ) Certains avocats estiment que, dans des dossiers très complexes qui leur demandent beaucoup de travail, il se trouvera toujours un membre de la famille éligible à l'aide juridictionnelle, que ce sera lui qui prendra avocat et que, par conséquent, la rémunération de l'avocat ne sera pas suffisante au regard de l'investissement nécessaire.

Vos rapporteurs entendent ces arguments. Ils considèrent toutefois que se sont trop répandues les pratiques frauduleuses d'agents d'affaires usant de leur connaissance des langues locales et de leur affectation de proximité avec l'homme de la rue. Loin de défendre les intérêts des Polynésiens, ils s'enrichissent en prédateurs de leur malheur et de leur ignorance, compréhensible, du droit et du fonctionnement de la justice. De ce point de vue, l'obligation du ministère d'avocat en première instance, comme dans l'Hexagone, constitue une mesure de protection des plus faibles . Elle aura sans doute des effets positifs sur la qualité et la rigueur des requêtes et des conclusions, ce qui bénéficiera aussi au justiciable, trop facilement piégé par les méandres de la procédure pour faire valoir utilement ses moyens de défense. Afin d'assurer la réussite de cette réforme très ambitieuse, il conviendra parallèlement de redimensionner l'aide juridictionnelle pour absorber le flux nouveau de dossiers et de réévaluer les unités de valeur au bénéfice des avocats.


* 1 Ainsi dans la moitié Nord de la Martinique, 80 % des terrains de moins de 10 hectares recensés au cadastre dans les années 1970 ont été acquis entre 1848 et 1880. Le même type de constat serait valable pour la région des Grands fonds en Guadeloupe. CGEDD-IGA, Rapport relatif aux problématiques foncières et au rôle des différents opérateurs aux Antilles , novembre 2013, pp. 24-25 (citant les travaux de Christine Chivallon et de Georges Lawson-Body).

* 2 Réponse du 3 février 2015 de M. Gérard Sarrau, président du TGI de Pointe-à-Pitre au courrier de la délégation à l'outre-mer.

* 3 Réponse du 27 février 2015 de Mme Gracieuse Lacoste, Première présidente de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, au courrier de la délégation à l'outre-mer.

* 4 Entretien avec les cadis et le bâtonnier de Mayotte le 7 octobre 2015.

* 5 Entretien avec les représentants des notaires et des avocats de Mayotte le 7 octobre 2015.

* 6 Rencontre avec le conseil municipal de Chiconi le 7 octobre 2015 lors de la mission à Mayotte.

* 7 Visioconférence du 3 décembre 2015 avec Mme Stéphanie Rière, vice-présidente du conseil régional des géomètres-experts La Réunion-Mayotte.

* 8 Réponse précitée de M. Gérard Sarrau, président du TGI de Pointe-à-Pitre.

* 9 CGEDD-IGA, op. cit., p. 59.

* 10 Ibid. p. 25.

* 11 Réponse précitée de Mme Gracieuse Lacoste, Première présidente de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion.

* 12 Rencontre avec M. Sylvain Coré, délégué régional de l'ASP, le 6 octobre 2015 lors de la mission à Mayotte de la délégation à l'outre-mer.

* 13 Réunion à la direction des affaires foncières et du patrimoine (DAFP) du Département de Mayotte avec M. Ismaël Kordjee, directeur, le 6 octobre 2015.

* 14 Visite de Chiconi avec Mme Stéphanie Rière, vice-présidente du conseil régional des géomètres-experts La Réunion-Mayotte le 7 octobre 2015.

* 15 Entretien précité avec Maître Sylvie Pons, notaire.

* 16 Rencontre précitée avec le conseil municipal de Chiconi.

* 17 Réunion précitée à la DAFP.

* 18 Visite du service de la Conservation de la propriété immobilière de Mayotte le 6 octobre 2015.

* 19 Réponse du 9 février 2015 de M. Pierre Maurel, président du TGI de Saint-Pierre au courrier de la délégation à l'outre-mer.

* 20 CGEDD-IGA, op. cit., p. 24.

* 21 Réponse précitée de M. Gérard Sarrau, président du TGI de Pointe-à-Pitre.

* 22 Réponse précitée de M. Pierre Maurel, président du TGI de Saint-Pierre.

* 23 Réponse précitée de Mme Gracieuse Lacoste, Première présidente de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion.

* 24 Réponse précitée de M. Gérard Sarrau, président du TGI de Pointe-à-Pitre.

* 25 Ibid.

* 26 Réponse précitée de Mme Gracieuse Lacoste, Première présidente de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion.

* 27 Ibid.

* 28 Courrier du 9 février 2015 de Mme Elodie Gallot-Le Grand, président du tribunal paritaire des baux ruraux de Pointe-à-Pitre, vice-présidente du tribunal d'instance.

* 29 « [Le notaire] rend compte au juge commis des difficultés rencontrées et peut solliciter de lui toute mesure de nature à en faciliter le déroulement. »

* 30 Réponse précitée de M. Gérard Sarrau, président du TGI de Pointe-à-Pitre.

* 31 Entretien avec MM. Laurent Sabatier, président du TGI, et Emmanuel Planque, vice-président en charge de la question foncière, le 6 octobre 2015.

* 32 « [Le notaire] peut, si la valeur ou la consistance des biens le justifie, s'adjoindre un expert, choisi d'un commun accord entre les parties ou, à défaut, désigné par le juge commis . »

* 33 « À défaut de présentation de l'héritier ou de son mandataire à la date fixée dans la mise en demeure, le notaire dresse un procès-verbal et le transmet au juge commis afin que soit désigné un représentant à l'héritier défaillant . »

* 34 Audition de Mme Catherine Vannier, juge de la section détachée de Nuku Hiva, le 7 mars 2016.

* 35 Audition de Maître Michel Delgrossi, président de la Chambre des notaires de Polynésie française, le 11 mars 2016.

* 36 Audition de représentants de la direction des services judiciaires et de la direction des affaires civiles et du sceau, le 21 janvier 2016.

* 37 Audition de Mmes Laetitia Ellul-Curetti, Geneviève Durand Ciabrini et M. Christophe Trillou, magistrats du service des terres du TPI de Papeete, le 8 mars 2016.

* 38 Audition de Mme Nathalie Picard, juge de la section détachée de Raiatea, le 9 mars 2016.

* 39 Audition précitée de Mme Catherine Vannier, magistrat.

* 40 Audition de Mme Brigitte Budan, directrice et de Maître Mathieu Passerat, avocat, et visite de l'antenne de la DAF à Raiatea, le 9 mars 2016.

* 41 Présentation des litiges fonciers aux Marquises au cours d'une réunion avec le conseil municipal de Nuku Hiva à Taiohae le 6 mars 2016.

* 42 Audition de représentants de la direction des services judiciaires et de la direction des affaires civiles et du sceau, le 21 janvier 2016 (réponse écrite au questionnaire de la délégation).

* 43 Présentation précitée des litiges fonciers aux Marquises à Taiohae.

* 44 Audition précitée lors de la visite de l'antenne de la DAF à Raiatea.

* 45 Audition de M. Régis Vouaux-Massel, Premier président de la cour d'appel de Papeete, et de Mme Brigitte Angibaud, avocat général, le 8 mars 2016.

* 46 Audition de Mme Catherine Vannier, juge de la section détachée de Nuku Hiva, le 7 mars 2016.

* 47 Audition précitée de représentants de la direction des services judiciaires et de la direction des affaires civiles et du sceau.

* 48 Audition de M. Dominique Séry, directeur du greffe, et visite du greffe de la cour d'appel de Papeete, le 8 mars 2016.

* 49 Audition précitée des magistrats du service des terres du TPI de Papeete.

* 50 Audition de Maîtres Dominique Antz, bâtonnier, Stella Chansin-Wong et Pamela Fritch du barreau de Papeete, le 11 mars 2016.

* 51 Visite de la direction des affaires foncières le 11 mars 2016.

* 52 Audition précitée de représentants de la direction des services judiciaires et de la direction des affaires civiles et du sceau.

* 53 Visite précitée de la DAF.

* 54 Audition de Mme Brigitte Budan, directrice et de Me Mathieu Passerat, avocat, et visite de l'antenne de la DAF à Raiatea, le 9 mars 2016.

* 55 Audition précitée de représentants de la direction des services judiciaires et de la direction des affaires civiles et du sceau.

* 56 Ce point a été évoqué lors d'une réunion à la direction des affaires foncières, en présence de M. Tearii Alpha, ministre, le 11 mars 2016.

* 57 CGEDD-IGA, Rapport relatif aux problématiques foncières et au rôle des différents opérateurs aux Antilles , novembre 2013, pp. 61-63.

* 58 Audition précitée de représentants de la direction des services judiciaires et de la direction des affaires civiles et du sceau (réponse écrite).

* 59 Rapport de M. Régis Vouaux-Massel, Premier président de la cour d'appel de Papeete et de M. Jean-François Pascal, procureur général près cette cour à Mme Christiane Taubira, Garde des Sceaux, 26 juin 2014, p. 2.

* 60 Audition précitée de représentants de la direction des services judiciaires et de la direction des affaires civiles et du sceau.

* 61 Audition précitée de représentants de la direction des services judiciaires et de la direction des affaires civiles et du sceau (réponse écrite).

* 62 Réunion à la direction des affaires foncières, en présence de M. Tearii Alpha, ministre, le 11 mars 2016.

* 63 Courrier précité de Mme Élodie Gallot-Le Grand, président du tribunal paritaire des baux ruraux de Pointe-à-Pitre.

* 64 Rapport d'étape, Mission du ministère de la justice en Polynésie française sur les affaires de terre, 2014, p. 11.

* 65 Cass. 2 e civ, 13 septembre 2007, 06-15.646

* 66 Cass. 1 ère civ., 20 juin 2012, 10-26.022

* 67 Réunion précitée à la direction des affaires foncières, en présence de M. Tearii Alpha, ministre.

* 68 Audition précitée des magistrats du service des terres du TPI de Papeete.

* 69 Intervention de M. Jean-Yves Sage, maître de conférences à l'Université de Polynésie française, lors de la réunion précitée à la direction des affaires foncières.

* 70 Ibid.

* 71 Cass, 2 ème civ., 14 mai 2009, 07-13.612 et Cass, 2 ème civ., 6 janvier 2005, 02-18.536. Cf. Rapport d'étape, Mission du ministère de la justice en Polynésie française sur les affaires de terre, 2014, p. 9.

* 72 Audition précitée de Maître Dominique Antz, bâtonnier.

* 73 D'après la Chancellerie, sur 95 avocats en Polynésie française, seuls 2 à Raiatea et à Moorea exercent en dehors de Papeete.

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