C. LES ÉVOLUTIONS DES TRAITEMENTS METTENT SOUS TENSION LE CADRE ACTUEL DE FINANCEMENT

1. Une évolution difficilement soutenable

Selon les données fournies par la direction de la sécurité sociale à votre rapporteur spécial, le coût total de la prise en charge du cancer est estimé à 8,77 milliards d'euros en 2014, répartis de la façon suivante :

- 5,34 milliards d'euros de dépenses en 2014 pour les établissements de courts séjours, hors séances de radiothérapie en libéral, estimées à 400 millions d'euros ;

- 1,6 milliard d'euros pour les molécules anticancéreuses facturées en sus. Ce montant a augmenté de 15,5 % entre 2012 et 2014, et les molécules anticancéreuses représentent 50 % des molécules en sus des groupes homogènes de séjour dans le public, et 81 % dans le privé commercial ;

- 1,4 milliard d'euros pour les anticancéreux délivrés en ville.

Selon la CNAMTS dans son « Analyse médicalisée de l'ONDAM, Rapport charges et produits pour 2016 », les dépenses remboursées au titre du cancer se répartissent de façon quasi équitable entre l'hôpital et les soins de ville, avec une part respective de 55 % et 45 %. Une analyse en dynamique met en évidence une faible hausse du nombre de patients atteints d'un cancer contrastant avec une forte hausse des dépenses. Ainsi, alors que les patients atteints d'un cancer ont augmenté en moyenne de 0,7 % par an entre 2011 et 2013, le taux de croissance annuel moyen des dépenses atteignait 4,3 %. Par conséquent, parmi l'ensemble des pathologies considérées, le cancer est celle dont le coût moyen de prise en charge a le plus fortement augmenté, avec un taux de croissance annuelle moyen de 3,6 %.

Source : CNAMTS, Analyse médicalisée de l'ONDAM, Rapport charges et produits pour 2016

Comparaison des effectifs et dépenses moyennes remboursées par an par patient en 2013

Effectifs en millions

Dépense moyenne totale

Pathologies cardiovasculaires

3,5

3 569 €

Diabète

2,9

2 174 €

Cancers

2,5

5 155 €

Maladies psychiatriques ou traitements psychotropes

7,2

2 493 €

Maladies dégénératives

0,7

3 767 €

Maladies neurologiques

0,5

5 061 €

Maladies respiratoires chroniques, hors mucoviscidose

2,9

870 €

Maladies inflammatoires, rares et VIH

0,9

4 845 €

Insuffisance rénale chronique terminale

0,07

44 880 €

Hospitalisations ponctuelles

7,5

3 635 €

Source : CNAMTS, Analyse médicalisée de l'ONDAM, Rapport charges et produits pour 2016

Cette dynamique est appelée à se poursuivre ces prochaines années sous l'effet de deux facteurs conjugués :

- l'augmentation du taux de couverture en dépistages, ce qui va augmenter le nombre de cancers diagnostiqués et donc le nombre de patients pris en charge ;

- l'accélération de l'innovation thérapeutique, notamment avec la diffusion des thérapies ciblées, plus efficaces mais aussi plus coûteuses, ainsi qu'avec le développement des associations de traitements.

De fait, la prise en charge financière du cancer pose deux défis :

- la dynamique interroge la soutenabilité du modèle actuel de financement ;

- les nouvelles modalités des traitements rendent nécessaire une adaptation des prises en charges financières

Dans ce cadre, un comité de pilotage dédié au cancer a été mis en place en 2014 au sein du comité de réflexion sur la tarification hospitalière (CORETAH). Piloté par la direction générale de l'offre de soins et composé de représentants des fédérations hospitalières et des professionnels libéraux, des ARS, de l'INCa, de la CNAMTS, de la HAS et de l'agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), il a pour principale mission d'adapter le modèle de financement de façon à mieux prendre en compte l'innovation et la notion de parcours de soins. Trois groupes de travail ont été constitués sur l'hospitalisation de jour en cancérologie et le virage de l'ambulatoire, l'évolution des prises en charge du cancer par chimiothérapie orale, et l'organisation de l'accès aux soins de support.

En outre, le troisième plan cancer vise à lever les obstacles financiers au passage de l'hôpital au secteur ambulatoire, aux structures médicosociales et au domicile. Il insiste en particulier sur les expérimentations de tarification au parcours, afin de garantir un parcours fluide entre la ville et l'hôpital et une prise en charge globale intégrant les soins de support.

2. L'augmentation du prix des médicaments doit conduire à repenser le modèle actuel d'autorisation et de remboursement

Si ces réflexions dépassent le seul champ de compétences de l'INCa, en tant qu'agence d'expertise scientifique et sanitaire sur le cancer, il doit tenir une place centrale dans la question de l'évaluation et du prix des médicaments. En effet, de nouveaux médicaments sont en train de révolutionner le champ de la thérapeutique, soulignant que la méthode de fixation des prix n'est pas soutenable. Pour un budget total de remboursement des médicaments de 25,5 milliards d'euros en 2014, les médicaments anticancéreux représentent 8 % de ce montant, soit 3 milliards d'euros pour environ 1 million de patients.

En tant qu'agence d'expertise en cancérologie, l'INCa doit coordonner la lutte contre le cancer dans toutes ses facettes y compris le bon usage des médicaments et la qualité et la sécurisation des prises en charge médicamenteuses. Les évolutions rapides et profondes des médicaments en cancérologie exigent de disposer d'une expertise pour en mesurer les impacts et les effets, ainsi que pour permettre un accès pour tous aux traitements innovants dans un cadre sécurisé. La connaissance de l'intérêt thérapeutique des molécules oriente les décisions de prise en charge financière, en ville et à l'hôpital. L'expertise permet également d'élaborer des recommandations de bonnes pratiques à destination des professionnels de santé qui tiennent compte des progrès et des évolutions.

À l'été 2015, l'INCa a alerté les administrations centrales sur l'impact des thérapies ciblées, et plus particulièrement de l'immunothérapie, sur la prise en charge de patients et l'accès à l'innovation au regard des progrès thérapeutiques apportés et des prix de ces médicaments. De même, le dernier avis du comité d'alerte sur le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie souligne la difficulté accrue de tenir l'objectif de maîtrise médicalisée en raison de la progression des dépenses de médicaments, notamment du fait des nouveaux médicaments anticancéreux 56 ( * ) : « des aléas financiers pèsent sur la campagne tarifaire 2016 des hôpitaux, sur les objectifs de maîtrise médicalisée des dépenses de médecine de ville et sur les dépenses de médicaments, notamment au titre des nouveaux traitements contre le cancer » . Il souligne que « les dépenses de médicaments sur la liste en sus, qui concentre les médicaments coûteux et innovants remboursés aux établissements de santé en plus des tarifs, continuent de progresser fortement (+ 5,1 %) alors que les autres dépenses de médicaments (médicaments de ville et médicaments rétrocédés) sont en retrait ».

La forte croissance du prix des traitements médicamenteux du cancer s'explique en partie par deux facteurs :

- des changements de paradigme : la médecine de précision avec les thérapies ciblées et l'immunothérapie ;

- de nouvelles stratégies, avec notamment des associations de médicaments de classe différente.

La fragmentation des traitements en cancérologie entraine une réduction du nombre de patients ciblés pour chaque médicament, faisant du cancer une maladie rare. Alors que le modèle économique du médicament en cancérologie a changé, passant de blockbusters à des « nichebusters », les modalités de son remboursement n'ont pas suivi ces évolutions. De plus, des médicaments initialement ciblés sur une tumeur peuvent ensuite se révéler efficaces dans le traitement d'autres types de tumeurs. Le principal sujet est donc celui de l'extension de l'utilisation des médicaments, qui accroît le marché potentiel de médicaments dont le prix a déjà été négocié pour un nombre plus réduit de patients.

Les conditions d'accès aux médicaments en France se comparent favorablement aux autres pays occidentaux : quasiment tous les médicaments anticancéreux avec autorisation de mise sur le marché sont disponibles et remboursés à 100 % dans le cadre du système des affections de longue durée (ALD). Ils sont en outre rendus disponibles avant leur autorisation de mise sur le marché pour les patients qui en ont le plus besoin grâce aux autorisations temporaires d'utilisation (ATU). Cependant, il s'ensuit une difficulté, comme l'a souligné le professeur Norbert Ifrah lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat le 8 juin 2016 en tant que candidat pressenti à la présidence du conseil d'administration de l'INCa. En effet, les ATU sont délivrées avant que le prix du médicament soit négocié : les industriels pratiquent un prix libre. Par conséquent, une fois l'AMM accordée, il est complexe de négocier un prix fortement diminué. On parle d'ATU de cohorte avec un prix libre de la part des industriels. Or le modèle français est particulier par rapport à ces mises à disposition anticipées, car l'autorisation de mise sur le marché va de pair avec le remboursement du médicament, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays occidentaux. Ainsi, aux États-Unis, lorsque la Food and Drug Administration donne une autorisation de mise sur le marché d'un médicament, elle ne s'engage pas sur son remboursement.

De plus, pour permettre un accès rapide aux médicaments, les agences nationales délivrant les autorisations de mise sur le marché ont tendance à remplacer le test ultime portant sur la survie du patient par des tests compagnons, des tests biologiques ou l'analyse des taux de réponse et de première rechute. Mais le lien direct entre le test compagnon et la survie n'est pas toujours étudié en profondeur. Ainsi, parmi les 55 derniers médicaments autorisés par la Food and Drug Administration aux États-Unis, 35 ont seulement fait l'objet de tests compagnons ; pour une vingtaine, le lien a été établi entre ces tests compagnons et la survie. Le professeur Norbert Ifrah a ainsi souligné les limites du cadre actuel, ainsi que les pistes d'évolution et le rôle de l'INCa dans cette perspective : « Pour autant, tant que le médicament n'a pas fait ses preuves du point de vue de la survie, on pourrait imaginer qu'il ne soit pas remboursé au même niveau que les médicaments mieux établis, afin de mieux partager l'effort. Cela doit être discuté avec les pouvoirs publics ; l'INCa ne décide pas du prix des médicaments, il ne fait que donner son avis sur les traitements et faciliter l'accès aux tests compagnons et aux médicaments (...).Il faut donc mener une réflexion internationale avec les laboratoires, mais aussi une réflexion propre dans laquelle l'INCa a un devoir d'information et d'expertise. Il doit donner son avis aux décideurs » 57 ( * ) .

Recommandation n° 11 : En s'appuyant sur l'expertise de l'Institut national du cancer, conduire une réflexion sur l'articulation entre l'autorisation d'utilisation puis l'autorisation de mise sur le marché des médicaments innovants et les modalités de remboursement afin de concilier réactivité dans la mise à disposition des nouvelles molécules et soutenabilité financière du système.


* 56 Avis du Comité d'alerte n° 2016-1 sur le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie 13 avril 2016.

* 57 Audition par la commission des affaires sociales du Sénat le 8 juin 2016 en application des dispositions de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique.

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