INTERMÈDE ARTISTIQUE

PRÉSENTATION D'UNE OEUVRE DE KARIM JAAFAR, CALLIGRAPHE

Catherine MORIN-DESAILLY , Présidente de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Karim Jaafar associe la calligraphie arabe à l'art figuratif. Il a donc introduit la calligraphie dans l'art contemporain. À l'occasion d'une joute oratoire sur les trois religions monothéistes dans le cadre des Fêtes de Jeanne d'Arc de Rouen en 2007, il a réalisé une oeuvre très représentative du dialogue interculturel.

Karim JAAFAR, calligraphe

Cette oeuvre fait partie d'une série de tableaux sur les trois religions monothéistes. L'archevêque de la cathédrale de Rouen m'a demandé de réaliser une calligraphie pour illustrer un débat interreligieux sur le thème « Juifs, Chrétiens, Musulmans ont-ils le même Dieu ? ». Étant un calligraphe particulier, qui mélange l'image et l'écriture, j'ai souhaité, dans un premier temps, travailler sur une calligraphie autour des trois lieux de culte. J'ai abandonné cette idée pour réfléchir à une autre calligraphie sur les symboles des trois religions : la croix, l'étoile et la lune. J'ai donc invité un ami juif, un ami chrétien et un ami musulman dans mon atelier pour réfléchir à un projet de calligraphie. Or ces derniers se battaient pour que leur personnage occupe la place centrale car chacun pensait détenir la vérité. J'ai donc réalisé seul, à partir d'un bateau, une calligraphie qui signifie « la prière et le recueillement réduisent la différence ». Une fois mon tableau achevé, j'ai lâché mon qalam et j'ai laissé le bateau partir. Un soleil est apparu et a pris la forme d'un visage qui représente la quatrième personne, l'Autre, le Sage qui conduit le bateau. A la vue de ce soleil, j'ai songé à ma devise qui m'a toujours accompagné depuis que j'ai quitté le Maroc à l'âge de douze ans : « l'espoir est la lumière de la vie ».

Table ronde 2

Crédit photo : ambassade du Maroc

MISER SUR L'ART ET LA CULTURE, FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT, DE COOPÉRATION ET UVERTURE

TABLE RONDE 2 - « MISER SUR L'ART ET LA CULTURE, FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT, DE COOPÉRATION ET D'OUVERTURE »

Présidente et modératrice

• Neila TAZI , Vice-Présidente de la Chambre des Conseillers, Directrice-productrice du Festival Gnaoua-musiques du monde d'Essaouira

Intervenants

• Bariza KHIARI, Présidente de l'Institut des cultures d'islam, Vice-Présidente du groupe d'amitié France-Maroc au Sénat

• Mathilde MONNIER, Directrice du Centre national de la danse
(par vidéo)

• Frédéric MARAGNANI, Metteur en scène et Directeur de la Compagnie Travaux Publics

• Younes AJARRAI, Commissaire général du pavillon du Maroc du Salon du Livre de Paris

• Farid BENSAÏD, fondateur de l'Orchestre philharmonique du Maroc

• Alain WEBER, Directeur artistique du festival des musiques sacrées du Monde de Fès (intervention vidéo)

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Bariza KHIARI, Présidente de l'Institut des cultures d'islam, Vice-Présidente du groupe d'amitié France-Maroc du Sénat

L'Institut des cultures d'islam (ICI) est un établissement culturel situé à Paris, pionnier, car il est en cours de duplication sur le territoire français. Cet institut, qui vise à promouvoir les cultures d'islam, du Maroc à l'Indonésie, est ambitieux car il propose deux saisons culturelles par an autour d'une exposition d'art contemporain. Il dispense également des formations en arabe, berbère, en calligraphie et en musique arabo-andalouse. Cet établissement est très complexe compte tenu du domaine d'intervention. Or dans le contexte actuel, il est nécessaire d'apporter de la connaissance pour lutter contre les préjugés et le repli sur soi. Il est donc important de donner à nos compatriotes une idée sur les cultures d'Islam et de sensibiliser les Français de culture musulmane aux figures tutélaires de cette civilisation ainsi qu'à ses concordances avec d'autres cultures. Ainsi, le séminaire d'initiation aux trois religions monothéistes connaît un vif succès.

La thématique de la prochaine saison culturelle de l'ICI « Rock en Casbah » porte sur la musique dans les cultures d'islam. Certains professent l'idée que la musique serait interdite en Islam. Cette controverse théologique sur la musique au sein de l'Islam est ancienne. Qui est à l'origine de cette idéologie obscurantiste qui s'étend également aux oeuvres artistiques ? Les Talibans, les terroristes de l'Aqmi et les assassins de Daech. Cette idéologie mortifère sur la musique est également à l'origine de l'attentat contre la salle de concert du Bataclan et la discothèque d'Istanbul. La culture est au coeur du conflit qui déchire le monde musulman car elle représente la voie de l'émancipation qui mène vers l'altérité. La saison culturelle à venir s'intéressera donc à cet écart prodigieux entre la prohibition et la vitalité des productions musicales dans les cultures d'Islam comme facteur de libération.

L'ICI projettera un film d'Ahmed Menouni sur Nass El Ghiwan, groupe créé en 1974 par des jeunes issus d'un quartier défavorisé de Casablanca et devenu mythique grâce à l'association de textes très contemporains avec des modes musicaux sacrés en Islam (transe). Nous organisons également une conférence autour de la figure de Fatima Fihriyya, née à Fès et qui a vécu au IX e siècle. Elle a consacré une grande partie de sa fortune à l'édification de la première université pluridisciplinaire dans le monde - la fondation Qarawiyine - qui est toujours en activité.

Les artistes sont les vigies de notre monde en pleine tourmente. Leurs oeuvres peuvent déranger mais permettent à nos sociétés de se regarder et d'imaginer le futur en fraternité.

Mathilde MONNIER, Chorégraphe (par vidéo)

On observe une véritable effervescence de la danse contemporaine au Maroc. Vincent Melilli, directeur de l'Institut français de Marrakech, est l'instigateur de ce mouvement qui remonte à une dizaine d'années en invitant de nombreux artistes européens, en mettant en place des cycles de formation et en fédérant les écoles de la ville de Marrakech autour de la danse contemporaine. Cette dynamique, extrêmement vive et structurée notamment dans le cadre du Festival « On marche », créé il y a onze ans par deux artistes marocains formés au Maroc et en France, repose sur un échange entre les deux pays.

Frédéric MARAGNANI, Metteur en scène et directeur de la Compagnie Travaux Publics

Le spectacle GaliléE qui sera représenté du 22 au 25 février au Tarmac (scène internationale francophone) est un exemple très concret du métissage des langues et des cultures. Il est joué en français et en dialecte marocain (darija) car l'équipe est franco-marocaine. Ce projet est une commande de l'Institut français du Maroc et plus particulièrement de son directeur Pierre Raynaud. Je ne parle pas l'arabe mais dans le cadre de mon travail artistique, je me suis toujours intéressé aux sonorités et aux langues. Dans le spectacle, adapté de la pièce de Bertold Brecht, le rôle de Galilée est interprété par une grande actrice, Bouthaïna El Fekkak, qui a débuté sa carrière à Rabat. Nous avons donc réinventé l'histoire. GaliléE est une belle jeune femme de 35 ans qui se bat contre une société d'hommes. Le spectacle n'est pas sous-titré car le sens global du texte est largement compréhensible par tous les publics.

Younes AJARRAÏ, Commissaire général du pavillon du Maroc du Salon du Livre de Paris

Le Maroc et la France entretiennent une relation très particulière et inégale. La première inégalité, source de richesse pour les Marocains, est leur connaissance de votre langue, de vos philosophes et de votre cinématographie. En France, peu de gens s'intéressent réellement à ce qui se passe au Maroc, à l'exception de quelques spécialistes. L'Histoire explique en majeure partie, cette relation inégale mais elle doit néanmoins faire l'objet d'une réflexion.

La thématique retenue pour le Salon du Livre est « le Maroc à livre ouvert ». Cette recherche d'ouverture, en cours au Maroc depuis presque deux décennies, a entièrement changé l'image de ce pays. Or la seule question qui m'a été posée par la presse française a été la suivante : pourquoi la littérature carcérale ne fait-elle pas partie de la programmation ? Ce regard relève du préjugé qui reste attaché au Maroc.

Nous avons en partage de nombreux auteurs, artistes, intellectuels et cadres de haut niveau qui portent haut et fort nos valeurs communes. Dans cette relation bilatérale, la France bénéficie d'un avantage considérable car elle dispose de centaines de milliers d'ambassadeurs qui peuvent créer un pont entre les deux pays. Il faut véritablement s'orienter vers un changement de paradigme dans cette relation qui passe par un certain nombre d'hommes et de femmes, notamment des personnes issues de l'immigration ou des Français installés au Maroc.

Neila TAZI, Vice-Présidente de la Chambre des Conseillers, Directrice-productrice du Festival Gnaoua-musiques du monde d'Essaouira

Farid Bensaïd est un violoniste et un brillant homme d'affaires qui dirige une holding composée de vingt sociétés. Il préside également la fondation TENOR qui abrite cinq grands projets dont celui de l'Orchestre Philharmonique composé de 80 musiciens professionnels. Cet Orchestre qui vient de célébrer son vingtième anniversaire a interprété 592 oeuvres, organisé 17 concours internationaux et 4 tournées à l'étranger. Farid Bensaïd a également créé deux écoles de musique et de danse à Casablanca et Rabat qui accueillent près de 1 000 enfants chaque année ainsi que le programme socio-culturel MAZAYA qui offre une formation professionnelle à des jeunes enfants de 8 à 14 ans issus de milieux défavorisées et en situation de déscolarisation.

Farid BENSAÏD , fondateur de l'Orchestre Philharmonique du Maroc

L'Orchestre Philarmonique du Maroc a oeuvré au changement du statut du musicien. La construction d'un grand opéra à Rabat et Casablanca est la récompense du travail mené conjointement durant vingt ans avec Neila Tazi dans le cadre du festival Gnaoua-musiques du monde. Dès la création de cet orchestre, des échanges ont eu lieu avec la France. La coopération est donc très importante pour remédier au manque de financements. Enfin, il faut miser sur l'art comme facteur d'ouverture. L'Orchestre Philarmonique du Maghreb a ainsi été créé. Au lendemain des attentats de Paris, il a joué une oeuvre sacrée « le Requiem de Verdi », en janvier 2016, dans l'église Saint-Eustache des Halles. Cependant, cette manifestation a été peu médiatisée. Je vous invite à assister dans l'église Saint-Germain des Prés au concert « Les Trois religions à l'Unisson » porté par des musiciens des trois confessions qui diffusent un message de tolérance. Enfin, l'Orchestre Philharmonique du Maroc a été reconnu d'utilité publique. Il s'agit de la plus belle récompense qui vient couronner un travail de vingt ans.

Neila TAZI, Vice-Présidente de la Chambre des Conseillers, Directrice-productrice du Festival Gnaoua-musiques du monde d'Essaouira

Cet orchestre est une fierté pour nous, Marocains. La somme du savoir double tous les sept ans. Cette évolution rapide montre l'ampleur du défi qui attend les étudiants à l'issue de leur cursus.

Alain WEBER, Directeur du festival des musiques sacrées de Fès (par vidéo)

Le festival international des musiques sacrées de Fès, créé en 1974, est important au Maroc et dans le monde arabe. Pour la première fois, un pays de culture arabe et de tradition musulmane organisait un festival qui représentait un lieu de rencontre de toutes les croyances. Le mélange de cette culture francophone arabisante et amazighe donne une ouverture extraordinaire sur le monde. Le public marocain a su, à la fois, prendre conscience de son héritage musical traditionnel et s'ouvrir à des traditions culturelles occidentales et françaises. La prochaine édition du festival, du 12 au 20 mai, sera consacrée au thème de l'eau qui est omniprésent dans toutes les religions monothéistes et fait écho aux enjeux du développement durable.

I. Retours d'expérience

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