N° 326

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 février 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la protection des consommateurs dans le marché unique numérique ,

Par M. André GATTOLIN et Mme Colette MÉLOT,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, M. Claude Haut, Mmes Christine Herzog, Sophie Joissains, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

AVANT-PROPOS

Dans le cadre de sa stratégie pour un marché unique numérique, la Commission européenne a présenté deux propositions visant à faciliter le commerce transfrontière dans l'Union européenne. La première proposition concerne la fourniture de contenu numérique et la seconde la vente en ligne et à distance de biens tangibles.

L'objectif de ces réformes est de tirer pleinement parti des possibilités offertes par internet pour stimuler l'activité économique, offrir un choix plus large aux consommateurs européens et plus de débouchés pour les entreprises européennes. D'une manière générale, il s'agit de trouver un équilibre entre les intérêts de ces dernières et les droits des consommateurs, dont le niveau général de protection serait élevé par des règles harmonisées.

Les contenus numériques sont désormais consommés à grande échelle et avec une très grande facilité offerte par les nouvelles technologies. Il est donc souhaitable que ce secteur fasse l'objet d'un encadrement juridique et que les acheteurs, parfois inconscients du prix qu'ils paient (les données personnelles), bénéficient de nouvelles protections.

Les ventes de biens tangibles sont déjà encadrées par une directive de 1999 et la prise en compte des achats en ligne et à distance constitue un apport bienvenu. En outre, on peut espérer l'élévation du niveau moyen de protection des consommateurs dans l'Union européenne où il existe des disparités.

Pour la France, dont le niveau de protection des consommateurs est parmi les plus élevés, la réforme comporte toutefois le risque d'un recul.

Le présent rapport analyse les avantages et les défauts des propositions de la Commission européenne et en tire les conséquences quant à l'appréciation que le Sénat peut porter.

MODERNISER ET RENFORCER LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS DANS L'UNION EUROPÉENNE

UNE UNION DE DROITS DANS LE MARCHÉ UNIQUE EUROPÉEN

La protection des consommateurs dans l'Union européenne se fonde sur les articles 114 et 169 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Elle part de l'idée que dans une économie européenne intégrée - le marché unique -, les consommateurs doivent pouvoir acheter des biens et des services dans n'importe quel pays de l'Union en ayant l'assurance que leurs droits seront respectés en cas de problème.

Bien que le consommateur n'était pas, aux origines de la construction européenne, pris en compte dans les politiques de l'Union, au sommet de Paris de 1972, les chefs d'État et de gouvernement ont exprimé pour la première fois la volonté de mettre en place une politique en faveur des consommateurs. La Commission a alors présenté un programme d'action énonçant les droits qui constituent, encore aujourd'hui, les fondements de la législation de l'Union : le droit à la protection de la santé et de la sécurité ; le droit à la protection des intérêts économiques ; le droit à la réparation des dommages ; le droit à l'information et à l'éducation ; le droit à la représentation.

C'est le traité de Maastricht qui en fera une politique à part entière avec ce qui est aujourd'hui l'article 169 du TFUE, qui stipule en son paragraphe 1 que « afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, l'Union contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu'à la promotion de leur droit à l'information, à l'éducation et à s'organiser afin de préserver leurs intérêts » .

DES AVANCÉES POUR LES CONSOMMATEURS EUROPÉENS DANS DES SECTEURS PARTICULIERS

Au fil des années, l'Union européenne a développé un corpus juridique visant notamment à assurer la sécurité des consommateurs et à protéger leur santé. Ainsi, les jouets, les appareils électriques, les produits cosmétiques et pharmaceutiques, les denrées alimentaires, les briquets, les équipements de protection individuelle, les machines et les bateaux de plaisance sont soumis à des conditions de sécurité rigoureuses. En outre, des règles strictes garantissent le retrait du marché des produits défectueux, fondé sur le principe de la responsabilité sans faute au producteur, dans les cas où le dommage a été causé par un produit défectueux.

La directive 2001/95/CE sur la sécurité générale des produits vise à prévenir la mise sur le marché de produits défectueux. Elle s'applique à tous les produits qui ne sont pas couverts par une législation sectorielle spécifique et impose aux producteurs de ne mettre sur le marché que des produits « sûrs » et d'informer les consommateurs sur les dangers liés au produit fourni. Son champ d'application a été étendu à tous les produits susceptibles d'être utilisés par des consommateurs (y compris les prestations de service), qu'ils soient neufs ou d'occasion, et même si ces derniers sont transmis à titre gratuit.

Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 114

1. Sauf si les traités en disposent autrement, les dispositions suivantes s'appliquent pour la réalisation des objectifs énoncés à l'article 26. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.

2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux dispositions fiscales, aux dispositions relatives à la libre circulation des personnes et à celles relatives aux droits et intérêts des travailleurs salariés.

3. La Commission, dans ses propositions prévues au paragraphe 1 en matière de santé, de sécurité, de protection de l'environnement et de protection des consommateurs, prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques. Dans le cadre de leurs compétences respectives, le Parlement européen et le Conseil s'efforcent également d'atteindre cet objectif.

4. Si, après l'adoption d'une mesure d'harmonisation par le Parlement européen et le Conseil, par le Conseil ou par la Commission, un État membre estime nécessaire de maintenir des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes visées à l'article 36 ou relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail, il les notifie à la Commission, en indiquant les raisons de leur maintien.

5. En outre, sans préjudice du paragraphe 4, si, après l'adoption d'une mesure d'harmonisation par le Parlement européen et le Conseil, par le Conseil ou par la Commission, un État membre estime nécessaire d'introduire des dispositions nationales basées sur des preuves scientifiques nouvelles relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail en raison d'un problème spécifique de cet État membre, qui surgit après l'adoption de la mesure d'harmonisation, il notifie à la Commission les mesures envisagées ainsi que les raisons de leur adoption.

6. Dans un délai de six mois après les notifications visées aux paragraphes 4 et 5, la Commission approuve ou rejette les dispositions nationales en cause après avoir vérifié si elles sont ou non un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre États membres et si elles constituent ou non une entrave au fonctionnement du marché intérieur.

En l'absence de décision de la Commission dans ce délai, les dispositions nationales visées aux paragraphes 4 et 5 sont réputées approuvées.

Lorsque cela est justifié par la complexité de la question et en l'absence de danger pour la santé humaine, la Commission peut notifier à l'État membre en question que la période visée dans le présent paragraphe peut être prorogée d'une nouvelle période pouvant aller jusqu'à six mois.

7. Lorsque, en application du paragraphe 6, un État membre est autorisé à maintenir ou à introduire des dispositions nationales dérogeant à une mesure d'harmonisation, la Commission examine immédiatement s'il est opportun de proposer une adaptation de cette mesure.

8. Lorsqu'un État membre soulève un problème particulier de santé publique dans un domaine qui a fait préalablement l'objet de mesures d'harmonisation, il en informe la Commission, qui examine immédiatement s'il y a lieu de proposer des mesures appropriées au Conseil.

9. Par dérogation à la procédure prévue aux articles 258 et 259, la Commission et tout État membre peuvent saisir directement la Cour de justice de l'Union européenne s'ils estiment qu'un autre État membre fait un usage abusif des pouvoirs prévus par le présent article.

10. Les mesures d'harmonisation visées ci-dessus comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour une ou plusieurs des raisons non économiques visées à l'article 36, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l'Union.

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Article 169

1. Afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, l'Union contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu'à la promotion de leur droit à l'information, à l'éducation et à s'organiser afin de préserver leurs intérêts.

2. L'Union contribue à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1 par :

a) des mesures qu'elle adopte en application de l'article 114 dans le cadre de la réalisation du marché intérieur;

b) des mesures qui appuient et complètent la politique menée par les États membres, et en assurent le suivi.

3. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, arrêtent les mesures visées au paragraphe 2, point b).

4. Les mesures arrêtées en application du paragraphe 3 ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes. Ces mesures doivent être compatibles avec les traités. Elles sont notifiées à la Commission.

On peut également citer la directive sur le commerce électronique (directive 2000/31/CE) qui couvre la responsabilité des prestataires de services établis dans l'Union pour ce qui concerne les services en ligne (services entre entreprises, services entre entreprises et consommateurs et services fournis gratuitement au bénéficiaire qui sont par exemple financés par les recettes de publicité ou de parrainage), les transactions électroniques en ligne et autres activités en ligne telles que les activités journalistiques, les bases de données, les services financiers, les services professionnels (par exemple des avocats, médecins, comptables, agents immobiliers), les services de divertissement (le marketing et la publicité directs et les services d'accès à l'internet).

LA DIFFICULTÉ D'ÉTABLIR UN DROIT GÉNÉRAL DE LA CONSOMMATION DANS L'UNION EUROPÉENNE

À côté de ces législations propres à certains secteurs, il n'existe pas de droit européen unique de la vente ou des contrats à proprement parler.

Dans les années 90, deux textes ont constitué un apport certain : la directive 93/13/CEE sur les clauses contractuelles abusives, et la directive 1999/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation qui harmonise les règles qui ont trait à la garantie légale de conformité pour les biens et, dans une moindre mesure, aux garanties commerciales.

Depuis une dizaine d'années, une approche plus globale a été favorisée et s'est concrétisée dans deux textes :

- la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales crée, au niveau de l'Union, un cadre réglementaire unique harmonisant entièrement les législations des États membres visant à combattre les publicités trompeuses ou les méthodes agressives de vente. Une trentaine de pratiques commerciales trompeuses ou agressives sont ainsi interdites en toutes circonstances ;

- la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs procède, quant à elle, à une harmonisation complète de plusieurs règles concernant l'information précontractuelle, le droit de rétractation en cas de vente à distance et de vente « hors établissement », la livraison et le transfert du risque. Les principaux droits ouverts par cette directive sont les suivants :

• les informations précontractuelles (coordonnées du vendeur, objet du contrat, droit de rétractation, garanties, recours) sont renforcées ;

• le droit de rétractation est porté de sept à quatorze jours ;

• les professionnels doivent rembourser le prix du produit au consommateur dans les quatorze jours suivant la rétractation et ce remboursement doit couvrir les frais de livraison ;

• en cas de démarchage téléphonique, seule la signature du contrat sur un support durable engage le consommateur ;

• les retards de livraison excessifs permettent d'obtenir la résolution du contrat ;

• les cases « pré-cochées » sont interdites sur les sites internet ;

• les appels surtaxés au consommateur qui appelle son vendeur par téléphone concernant un contrat conclu avec ce dernier sont interdits (à l'exception des opérateurs de téléphonie).

Souhaitant un cadre unique pour un droit commun de la vente en Europe, la Commission Barroso avait présenté une proposition de règlement visant à instaurer un régime optionnel de droit des contrats régissant les relations entreprises-consommateurs et les relations entre entreprises. Or, cette initiative s'est heurtée à l'opposition du Conseil qui l'a rejetée. Elle souffrait de deux défauts : fondée uniquement sur l'article 114 du TFUE qui vise l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur, elle ne s'appuyait pas sur l'article 169 du même traité qui vise la protection des consommateurs ; et, de ce fait, elle ne laissait pas ouverte la possibilité pour les États membres de proposer des garanties plus importantes à leurs consommateurs s'ils estimaient le droit européen en la matière insuffisant.

Forte de cette expérience manquée, la Commission Juncker s'est montrée plus pragmatique en présentant deux propositions sur le commerce en ligne qui se concentrent sur un nombre restreint de dispositions considérées comme essentielles pour assurer une garantie effective des droits des consommateurs dans leur acte d'achat.

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