LA QUESTION CENTRALE DU NIVEAU D'HARMONISATION DES RÈGLES

D'UNE HARMONISATION MINIMALE À UNE HARMONISATION MAXIMALE : UN CHANGEMENT MAJEUR

La directive 99/44/CE, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, est une directive d'harmonisation minimale. C'est-à-dire que les règles européennes fixent un niveau plancher de protection des consommateurs en-dessous duquel les États ne peuvent légiférer. En revanche, il leur est possible de proposer une protection accrue pour leurs ressortissants. C'est la logique qui a présidé à la rédaction de l'article 169 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Longtemps, l'Union européenne a fonctionné selon ce principe, respectueux de la subsidiarité et des cultures juridiques nationales.

Or, c'est lui qui pose problème à la Commission européenne. Elle considère en effet que le principal obstacle au commerce transfrontière est la fragmentation juridique qui impose des frais supplémentaires rédhibitoires pour des entreprises qui souhaiteraient conquérir de nouveaux marchés. Pour les consommateurs, ce serait le fait qu'ils craindraient de ne pas voir leurs droits respectés dans un autre pays de l'Union européenne.

Or, d'une part, d'autres facteurs peuvent jouer, comme la barrière de la langue ou le fait qu'un consommateur choisira une enseigne qu'il connaît plutôt qu'un vendeur inconnu, quand bien même il proposerait un prix inférieur. D'autre part, la fragmentation est à relativiser.

En effet, l'analyse de l'application des quatre principales mesures prévues dans la directive 99/44/CE laisse apparaître une certaine homogénéité. En ce qui concerne la durée légale de garantie, seuls six pays proposent une durée supérieure à deux ans que tous les autres appliquent. Concernant l'obligation de notification aux consommateurs, seuls sept pays ne l'appliquent pas. La période de renversement de la charge de la preuve en cas de défaut de conformité excède six mois dans seulement trois pays. Concernant la hiérarchie des remèdes, seuls cinq pays l'excluent en laissant un libre choix.

États membres

Principales mesures de la directive 99/44/CE

Durée de la garantie légale
(en années)

Obligation de notification aux consommateurs

Période de renversement de la charge de la preuve

Hiérarchie des remèdes

Allemagne

2

Non

6 mois

Oui

Autriche

2

Non

6 mois

Oui

Belgique

2

Oui

6 mois

Oui

Bulgarie

2

Oui

6 mois

Oui

Chypre

2

Oui

6 mois

Oui

Croatie

2

Oui

6 mois

Libre choix

Danemark

2

Oui

6 mois

Oui

Espagne

2

Oui

6 mois

Oui

Estonie

2

Oui

6 mois

Oui

Finlande

Pas de limite de temps

Oui

6 mois

Oui

France

2

Non

2 ans

Oui

Grèce

2

Non

6 mois

Libre choix

Hongrie

2

Oui

6 mois

Oui

Irlande

6

Non

6 mois

Oui + droit de rejet au début

Italie

2

Oui

6 mois

Oui

Lettonie

2

Oui

6 mois

Oui

Lituanie

2

Oui

6 mois

Libre choix

Luxembourg

2

Oui

6 mois

Oui

Malte

2

Oui

6 mois

Oui

Pays-Bas

Pas de limite de temps

Oui

6 mois

Oui

Pologne

2

Non

1 an

Oui

Portugal

2

Oui

2 ans

Libre choix

République tchèque

2

Oui

6 mois

Oui

Roumanie

2

Oui

6 mois

Oui

Royaume-Uni

6 (5 en Écosse)

Non

6 mois

Oui + droit de rejet au début

Slovaquie

2

Oui

6 mois

Oui

Slovénie

2

Oui

6 mois

Libre choix

Suède

3

Oui

6 mois

Oui

En réaction, la Commission prévoit une harmonisation maximale qui interdirait d'adopter des mesures divergentes de la directive qu'elle propose. Cela pourrait constituer une amélioration pour la vie des citoyens-consommateurs européens, à la condition de s'aligner sur le niveau de protection le plus élevé. Or, le but recherché est un nivellement autour de la moyenne de ce qui se fait dans les pays européens. Pour la France qui dispose d'un niveau de protection des consommateurs parmi les plus élevés, un retour à la moyenne constituerait un recul.

UN AFFAIBLISSEMENT DE LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS INACCEPTABLE

Dans une résolution du 7 mars 2016 adoptée à l'initiative de la commission des affaires européennes dans le cadre du contrôle de subsidiarité dévolu aux parlements nationaux, le Sénat estimait que des directives d'harmonisation maximale étaient contraires au principe de subsidiarité et que, dans le domaine de la protection du consommateur, chaque État membre devait pouvoir conserver la possibilité d'offrir un meilleur niveau de protection à ses citoyens.

Dans la réponse qu'elle a adressée au Sénat, la Commission européenne a estimé que la question du niveau d'harmonisation relevait plus du principe de proportionnalité que du principe de subsidiarité. Et de ce fait, elle n'était pas soumise au contrôle des parlements nationaux. Cette interprétation contestable du protocole 2 au Traité sur l'Union européenne fermait la porte à un dialogue avec les parlements nationaux sur la question de savoir quel échelon était le mieux à même d'assurer la protection des consommateurs.

Pourtant, les négociations sur la proposition de directive sur certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique ont montré que les États n'étaient pas prêts à accepter un recul de la protection de leurs consommateurs. En effet, l'introduction d'une clause d'harmonisation minimale concernant la limitation dans le temps de la responsabilité du fournisseur en est la preuve. Or, en ce domaine nouveau pour le droit, la législation était encore peu importante. Il en va autrement du droit de la vente des biens ; où il existe déjà un certain nombre de garanties pour les consommateurs.

Des gouvernements de pays où le niveau de protection des consommateurs est élevé ont d'ailleurs exprimé leur doute quant à l'intérêt d'une harmonisation maximale en ce qui concerne les ventes de bien. Outre la France, l'Allemagne, et la Belgique ont émis des fortes réserves quant à l'utilité même d'un nouveau texte sur les ventes de bien. D'une manière générale, les plus petits États membres ont intérêt à une harmonisation maximale pour que leurs entreprises puissent pénétrer plus facilement les marchés de leurs voisins européens. Ils sont aidés par les pays les plus libéraux et ceux où la protection du consommateur est peu développée.

Toutefois, afin que les négociations progressent sur les aspects juridiques et techniques, le Conseil a chosi d'avancer sur les différents articles et de décider pour chacun d'entre eux du niveau d'harmonisation applicable. Pour sa part, le gouvernement français dit qu'il n'acceptera aucune mesure qui affaiblirait la protection des consommateurs.

Au Parlement européen, deux commissions sont saisies : la commission IMCO (commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs) est saisie au fond, et la commission JURI (commission des affaires juridiques) est saisie pour avis. Or, lors d'un vote le 24 janvier dernier cette dernière a rejeté le principe d'une harmonisation minimale pourtant prôné par le rapporteur. La commission IMCO sera donc la seule à décider.

Selon Pascal Durand, député français membre de cette commission, il y a de grandes chances qu'elle se prononce, et avec elle le Parlement européen, pour une harmonisation maximale. En outre, c'est la commission IMCO qui représentera le Parlement européen dans les discussions en trilogue avec la Commission européenne et le Conseil. Il y a pour lui aujourd'hui un vrai risque de voir régresser les droits des consommateurs français.

Pour vos rapporteurs, il convient de refuser l'harmonisation maximale prônée par la Commission européenne. À l'heure ou la méfiance envers l'Union européenne grandit, le législateur national doit veiller à préserver sa capacité à défendre les droits des consommateurs s'il estime que la règle européenne n'est pas assez protectrice.

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