II. UN CONSTAT LARGEMENT PARTAGÉ : LES INSUFFISANCES DE L'EXPÉRIMENTATION DE LA BAISSE DE LA VITESSE MAXIMALE AUTORISÉE ENTRE 2015 ET 2017

A. LES ORIGINES ET JUSTIFICATIONS DE L'EXPÉRIMENTATION : UN ARBITRAGE ESSENTIELLEMENT POLITIQUE

Dès son installation début 2013, le comité des experts du Conseil national de la sécurité routière (CNSR) a été chargé de proposer une stratégie pour atteindre l'objectif, fixé par le ministre de l'intérieur, de parvenir à moins de 2 000 tués par an sur les routes d'ici à l'année 2020.

À ce titre, en novembre 2013, le comité des experts du CNSR a, parmi quatre mesures principales, préconisé la baisse de la vitesse maximale autorisée (VMA) de 90 km/h à 80 km/h pour les véhicules légers sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central .

Les recommandations du comité des experts du CNSR en 2013

Le comité des experts du CNSR n'est à l'origine ni de l'objectif de réduction de la mortalité (« moins de 2000 tués », accompagné d'un objectif sur le nombre de blessés graves) ni de l'échéance temporelle choisie (2020), points sur la faisabilité, la pertinence ou l'opportunité desquels il ne lui a d'ailleurs pas été demandé de se prononcer. Il s'agissait seulement, pour le comité, de déterminer les meilleurs moyens techniques pour répondre à une commande politique fixée par le ministre de l'intérieur 7 ( * ) et relayée par le président du CNSR dans sa lettre de mission 8 ( * ) .

Dans ses travaux 9 ( * ) , le comité a d'abord pris en compte la baisse tendancielle estimée de la mortalité jusqu'en 2020 par l'effet naturel d'une politique de sécurité routière constante. Compte tenu du nombre de morts statistiquement prévisibles à cette échéance, il a déterminé à « 700 [le nombre de] vies supplémentaires à épargner entre 2010 et 2020, par des mesures nouvelles et en rupture avec les mesures prises au cours des dernières années », pour atteindre l'objectif recherché.

Parmi plus d'une centaine d'actions possibles présentées au comité, quatre mesures ont été isolées comme susceptibles de contribuer significativement et rapidement à l'objectif recherché, dans l'état des connaissances et à condition d'être socialement acceptables.

La principale mesure préconisée consistait à réduire la vitesse maximale autorisée (VMA) de 90 à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central, pour décaler la distribution des vitesses pratiquées vers des valeurs plus faibles, le comité s'attendant à une baisse effective de la vitesse de l'ordre de 5 km/h.

Deux modalités d'application de cette mesure étaient proposées.

La première option consistait simplement à réduire la vitesse sur l'ensemble du réseau bidirectionnel actuellement limitée à 90 km/h (350 à 400 vies épargnées par an).

La seconde option proposait d'appliquer cette mesure à la plus grande partie de ce réseau, des itinéraires pouvant toutefois y faire exception (restant à 90 km/h) à condition d'être identifiés par arrêtés spécifiques et sélectionnés selon des critères liés à l'accidentalité au kilomètre de voie et aux caractéristiques de ces infrastructures (210 à 240 vies épargnées par an). Selon le comité : « La première option présente l'avantage d'une plus grande simplicité, la seconde d'une acceptabilité attendue plus large »

Trois autres mesures étaient également retenues :

- réduire la fréquence des alcoolémies non réglementaires (identification des problèmes d'alcool des conducteurs et orientation vers des thérapies brèves ou des soins spécialisés, éthylotest anti-démarrage, ciblage des contrôles aléatoires préventifs) ;

- réduire le risque lié aux obstacles latéraux ;

- renforcer le management de la sécurité routière.

Ces préconisations étaient explicitement présentées comme complémentaires et appelant une application conjointe : « [aucune] prise isolément ne peut permettre d'espérer une mortalité routière inférieure à 2 000 personnes tuées à l'échéance 2020 [...] Les mettre en oeuvre conjointement, et sans délai pour certaines d'entre elles, est la condition pour espérer une telle évolution ».

Se fondant sur les travaux de son comité des experts, la formation plénière du CNSR a recommandé 10 ( * ) au ministre de l'intérieur, lors de la séance du 16 juin 2014 :

- de réduire la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur le réseau des routes bidirectionnelles sans séparateur central ;

- de favoriser le report du trafic vers le réseau routier où les voies sont séparées par un terre-plein central, limité à 110 km/h, et sur le réseau autoroutier, qui offrent des conditions de sécurité et un taux d'accidentalité meilleurs ;

- de prévoir une période de communication intensive préalablement à l'application effective de la mesure afin d'en assurer la pédagogie et de faciliter l'acceptabilité et le respect par l'ensemble des usagers ;

- et de s'appuyer sur l'avis du comité des experts pour les modalités de mise en oeuvre ou d'expérimentation de la mesure.

Le président du CNSR relevait cependant l'absence de consensus entre membres sur la mise en oeuvre immédiate d'une telle mesure de façon généralisée et constatait qu'une grande majorité était favorable à une expérimentation. En la matière, le ministre de l'intérieur, M. Bernard Cazeneuve, se déclarait partisan d'une expérimentation , sur des axes très accidentogènes, dans la concertation et en suivant l'impact de la mesure.


* 7 « Nous devons réduire par deux le nombre de victimes sur la période 2011-2020. Cet objectif est ambitieux. Mais nous devons l'être. Il consisterait pour notre pays à être en dessous du seuil des 2 000 tués à la fin de cette décennie » (Allocution de Manuel Valls, ministre de l'intérieur - Conseil national de la sécurité routière - 27 novembre 2012).

* 8 « Je souhaite que le comité des experts réfléchisse à la stratégie à mettre en place pour atteindre l'objectif fixé par le ministre de l'intérieur de " moins de 2000 tués d'ici à 2020 ", et un objectif correspondant à venir sur les blessés graves ».

* 9 Proposition d'une stratégie pour diviser par deux le nombre des personnes tuées ou blessées gravement d'ici 2020 (Comité des experts, rapport final soumis à la séance plénière du CNSR du 29 novembre 2013).

* 10 CNSR, assemblée plénière du 16 juin 2014, Avis sur le projet d'abaissement des vitesses maximales autorisées sur le réseau secondaire. https://www.conseil-national-securite-routiere.fr/wp-content/uploads/2015/02/2014-06-16-CNSR-MI-avis-VMA.pdf

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