INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 6 septembre 2017 au petit matin le cyclone Irma frappait les îles du nord de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin : un ouragan d'une violence inouïe, le deuxième plus puissant de l'Histoire de la Caraïbe par la force des vents (295 km/h, des rafales observées atteignant les 360 km/h et des tornades à l'intérieur même du phénomène) et la durée de positionnement en catégorie 5 (75 heures), soit la catégorie supérieure sur l'échelle de Saffir-Simpson, après Allen en 1980 (305 km/h et 72 heures en catégorie 5). Avec des vents à 295 km/h pendant 33 heures, l'ouragan Irma a battu le record du typhon Haiyan qui avait ravagé les Philippines en 2013 en maintenant une puissante intensité pendant « seulement » vingt-quatre heures.

La lente progression d'Irma, 26 km/h en moyenne, a renforcé son pouvoir de destruction sur les terres émergées de l'Arc antillais ; l'oeil d'une cinquantaine de kilomètres de diamètre, soit bien plus étendu que la moyenne, est en effet resté positionné une heure et demie sur les îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin et ces deux îles sont encore restées exposées plusieurs heures à des vents très violents.

Le surgissement au cours des jours suivants de la menace de deux autres ouragans de force 5 également, José puis Maria, dont la trajectoire a finalement évité ces îles déjà ravagées, a retardé la projection des secours car l'enchaînement à haute fréquence de trois ouragans majeurs était également sans précédent. Cette catastrophe, dont le bilan humain pour les îles françaises reste proportionnellement très limité au regard des destructions massives - quelque 20 000 bâtiments pulvérisés et 95 % du bâti touché à Saint-Martin - a cependant donné lieu à un déploiement logistique et humain exceptionnel, avec plus de 3 000 fonctionnaires et bénévoles au plus fort de la crise et un pont aérien et maritime de grande ampleur pour fournir vivres et matériels aux 45 000 habitants sinistrés des Îles du Nord.

Au lendemain de cet épisode d'une violence exceptionnelle qui a fait irruption dans un contexte international de controverse et de tension sur le climat, la Délégation sénatoriale aux outre-mer décidait d'inscrire à son programme de travail la conduite d'une étude sur les risques naturels majeurs dans les territoires ultramarins, afin d'évaluer la situation de ces territoires au regard de ces phénomènes.

Le premier volet de cette étude, objet du présent rapport d'information centré sur les questions de prévention des risques , d'alerte face au danger imminent et de gestion de l'urgence lors de la survenance d'un aléa, sera complété par un autre volume qui traitera des problématiques de reconstruction et d'organisation de la résilience des territoires. Le champ d'investigation couvre l'ensemble des territoires ultramarins habités, au nombre de onze, ainsi que l'ensemble des risques naturels majeurs, qu'ils soient liés au climat, aux manifestations telluriques ou correspondent à des phénomènes émergents tels que la prolifération des algues sargasses.

Le choix de ce sujet d'étude est justifié par le triple constat, décrivant une situation d'urgence, selon lequel ces territoires sont particulièrement exposés aux risques naturels, éminemment vulnérables et singulièrement sous-équipés .

Si certaines régions de l'hexagone connaissent de temps à autre des aléas virulents, fortes tempêtes et tornades ponctuelles, inondations, érosion du trait de côte ou encore chaque été d'importants feux de forêt, il est rare que la fréquence et l'ampleur des phénomènes atteignent celles des fléaux qui s'abattent de façon récurrente sur les outre-mer dont la vulnérabilité est, en outre, sans commune mesure. La palette des risques, si elle varie d'un territoire à l'autre, y est en effet beaucoup plus étendue et la menace très généralement bien supérieure, ouragans et risque sismique en sont des illustrations emblématiques.

Par ailleurs, cette exposition majorée à des risques qui parfois sont cumulatifs se conjugue avec des caractéristiques territoriales qui démultiplient l'impact lorsque le risque se matérialise et frappe : exiguïté de la plupart des territoires, éloignement des centres logistiques nationaux, isolement lié notamment à l'insularité ou à la dispersion archipélagique, principales zones habitées situées au niveau de la mer, fortes pentes et cours d'eau encaissés, concentration des populations sur la bande littorale, forte proportion d'habitat précaire... Enfin, les outre-mer dans leur ensemble souffrent d'un retard d'équipement et d'aménagement et sont sous-dotés en infrastructures, notamment en infrastructures de communication et réseaux, alors même que ceux-ci jouent un rôle décisif en matière d'alerte et de gestion de crise.

Pourtant, en dépit de ces fragilités et de ces déficits, les outre-mer font figure une fois encore de pionniers et constituent des territoires d'expérimentation où sont mises au point des procédures et des solutions innovantes qui stimulent la recherche ainsi que la coopération dans les différents bassins océaniques. À l'heure où s'amorce le débat dans le cadre de la réforme constitutionnelle qui envisage une plus grande souplesse en matière de différenciation territoriale, la grande diversité de situation des territoires ultramarins au regard des risques conjuguée à des configurations institutionnelles et juridiques à géométrie variable plaide pour des réponses différenciées dans la définition des solutions, en termes d'organisation comme en termes de normes.

La démarche de la délégation sénatoriale aux outre-mer a donc été de privilégier une approche pragmatique au plus près du terrain afin d'évaluer la situation concrète de chaque territoire. Vos rapporteurs auront ainsi entendu au total plus de 300 personnes au cours de plus de 110 heures de réunion . Outre un déplacement en Martinique, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et en Guadeloupe, 7 visioconférences ont été organisées avec chacun des autres territoires. Ainsi, pour chaque outre-mer, des représentants de l'ensemble des partenaires de la prévention et de la gestion de crise auront pu faire état de leurs préoccupations, qu'il s'agisse des responsables politiques des collectivités, des représentants de l'État, civils ou militaires, et des services déconcentrés, des opérateurs scientifiques, des acteurs associatifs et souvent bénévoles, des gestionnaires de réseaux ou encore des médias. La délégation a enfin tenu en formation plénière une dizaine d'auditions au Sénat ainsi que 3 autres en dehors du Sénat lors de visites au siège de Météo France à Saint-Mandé et à la Météopole de Toulouse, ainsi qu'à Orléans avec une journée d'échanges au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

Le présent rapport est donc le fruit d'un travail d'investigation approfondi mené sur six mois cherchant, sans concession ni posture accusatoire, à cerner les failles et les incohérences mais aussi à pointer les évolutions porteuses d'efficience afin d'enrichir la réflexion à mener dans la perspective du projet de loi pour la prévention et la protection contre les risques naturels outre-mer annoncé à l'horizon de l'été 2019 par le Président de la République lors de la présentation du Livre bleu le 28 juin 2018.

Après avoir dressé le panorama des risques pour l'ensemble des territoires, le présent rapport procède à une évaluation de leur situation au regard des exigences de la prévention et des nécessités de l'alerte et de la gestion de crise ; il formule une soixantaine de propositions qui relaient les préoccupations territoriales et, parfois, sonnent l'alarme.

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