PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS DE LA MISSION D'INFORMATION

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Audition de Mme Ida Bost, auteure d'une thèse sur l'histoire des herboristes en France, Pr Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à l'université Paris-Sud, Mme Agnès Le Men, directrice du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles (CNPMAI)

(Jeudi 24 mai 2018)

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales ouvre aujourd'hui son cycle d'auditions. Cette première table ronde fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Je remercie nos trois intervenants d'avoir accepté d'y participer. Nous accueillons ce matin Ida Bost, docteur en ethnologie, auteur en 2016 d'une thèse sur les herboristes en France de 1803 à aujourd'hui, Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à l'Université Paris-Sud, membre du conseil d'administration de la Société française d'ethnopharmacologie, et Agnès Le Men, directrice du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles de Milly-la-Forêt.

Nous avons réuni ces trois intervenants aux profils divers pour introduire nos réflexions, axées à la fois sur la filière de l'herboristerie et des plantes médicinales et les métiers qui lui sont liés. Mesdames et Monsieur, de par vos profils, parcours et travaux, vous pourrez nous donner une première approche générale - historique, patrimoniale ou encore scientifique et comparée - de ces notions. Je vous cède immédiatement la parole

Mme Ida Bost . - Mes travaux de recherche ont pour sujet l'herboristerie en France, qui a eu cette particularité de connaître une forme de reconnaissance étatique à travers la délivrance d'un certificat entre 1803 et 1941. Je regarde l'herboristerie d'aujourd'hui comme le fruit d'une histoire, appelée encore à évoluer.

Je vais focaliser ma présentation sur deux aspects.

D'abord, réduire la question à un jeu d'opposition entre l'herboristerie et la pharmacie serait, à mon sens, passer à côté des enjeux réels.

Certes, la multiplication des tentatives visant à supprimer le certificat d'herboriste, menée par l'Association générale des pharmaciens de France depuis la fin du 19 ème siècle, a été l'occasion de développer un argumentaire en forme d'opposition entre les herboristes et les pharmaciens, sur fond de préservation du monopole pharmaceutique. Cependant, la réalité de la pratique - regardée notamment à travers les récits de vie dont nous disposons - montre des passages incessants des acteurs d'un monde à l'autre.

La pharmacie est restée longtemps un métier d'homme alors que l'herboristerie était un métier de femmes. Le certificat d'herboriste, sanctionné à l'issue d'un examen, était financièrement plus accessible que le diplôme de pharmacien.

L'herboristerie a également été un outil d'ascension sociale pour des fils de pharmaciens ou des préparateurs en pharmacie, pour qui passer le certificat permettait de passer du statut d'employé à celui de patron.

Aujourd'hui, ces passages se retrouvent encore dans les écoles d'herboristerie comme dans les formations auxquelles participent des pharmaciens. Des herboristes reconnus, par exemple Gilles Raveneau de l'herboristerie de la place de Clichy ou encore Patrice de Bonneval, sont des pharmaciens.

Le second aspect sur lequel je souhaite insister est que l'enjeu n'est pas aujourd'hui de rétablir l'ancien certificat qui ne correspond plus à la réalité de l'herboristerie.

Au temps du certificat, la législation permettait aux herboristes de vendre en boutique toutes les plantes médicinales indigènes, fraîches ou sèches, sans que la loi ne fixe de cadre précis quant à la possibilité ou non de les mélanger.

Aussi, le statut de l'herboriste n'étant pas clair, fallait-il le considérer comme un homme du soin ou comme un débitant spécialisé sur les plantes ? L'examen lui-même entretenait ce flou. Les épreuves se déroulaient dans les facultés de médecine, encadrées par des médecins et des pharmaciens, mais ne portaient que sur l'aspect botanique des plantes sans aborder leurs propriétés médicinales ou les procédés d'utilisation.

Les herboristes ont tiré parti de ce statut flou et ambigu pour bâtir une pratique qui leur correspondait.

Ainsi l'herboristerie était un métier de femmes, qui l'exerçaient souvent sur le lieu de vie, comme une pratique intermittente et non comme un métier de carrière. Rapportant peu, la vente des plantes s'ajoutait à la vente d'autres objets en tout genre. C'était un métier de soins, avec une image très ambivalente de ces personnes sans savoir académique, perçues à la fois comme un peu sorciers mais aussi guérisseurs, capables de miracles.

Aujourd'hui, à part la présence majoritaire des femmes qui représentent par exemple 84 % des étudiants à l'école des plantes de Paris, le profil socio-économique des herboristes a complètement changé et s'est diversifié.

Il n'existe non plus un mais des métiers de l'herboristerie : des producteurs, qui revendiquent le titre de paysan-herboriste, des vendeurs en boutique, des personnes assurant une transmission de savoirs (formateurs, guides...), des pharmaciens ou soignants ayant recours aux plantes comme méthode complémentaire, et enfin tout l'univers du bien-être.

Tous ont reçu une formation en herboristerie, que ce soit à titre principal ou accessoire à leur profession, comme les infirmières-herboristes ou les diététiciennes-herboristes.

Derrière cette multitude de pratiques, s'est mis en place un réseau. Ainsi, les écoles d'herboristerie sont des lieux d'interconnexion et d'échanges, de même que certaines manifestations comme le congrès des herboristes, la fête des simples, la fête à Milly-la-Forêt. Enfin, quelques personnes clés donnent une identité à la pratique.

Si l'herboristerie ne se résume plus à la vente de plantes médicinales, la plante en l'état, la tisane et plus encore le rapport à la plante restent au coeur de l'herboristerie. Celle-ci renvoie à tout un mode de vie, axé sur le respect de la nature, qui puise sa source dans le mouvement environnemental développé dans les années 1970.

L'herboristerie actuelle se revendique par ailleurs d'une forme de transmission d'un patrimoine, de connaissances, d'une génération à l'autre.

Il ne s'agit pas aujourd'hui de créer l'herboristerie. Celle-ci existe bien. Les acteurs s'installent et s'institutionnalisent. Ils demandent en revanche à être sécurisés dans leurs pratiques, qui sont à la limite de la légalité et de l'illégalité.

Mme Agnès Le Men . - Je suis ingénieur agronome et directrice du conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles depuis le début de l'année 2017.

Le conservatoire est spécialisé dans la gestion des ressources génétiques des plantes à parfum, médicinales et aromatiques et se situe donc très en amont de la production, à l'interface du monde des plantes sauvages et de celui des plantes cultivées.

La filière des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) est une filière modeste qui couvre 48 000 hectares, soit moins de 1 % de la surface agricole française, pour environ 3 500 exploitations, dont 15 % sont labellisées biologiques contre 5 % dans le reste de l'agriculture. Trois espèces (la lavande, le lavandin et le pavot-oeillette) couvrent 70 % des surfaces. Néanmoins, la production des 30 % des surfaces restantes assurent plus de 60 % du chiffre d'affaires, ce qui montre la forte hétérogénéité du chiffre d'affaires par hectare.

L'activité de cueillette commerciale est peu connue et documentée, ce qui pose la question de la gestion de la ressource sauvage.

La filière est également orpheline de la recherche publique.

La règlementation, en pleine évolution, est parfois lacunaire et complexe, et souvent décalée de la réalité du terrain. A titre d'exemple, la règlementation européenne REACH sur les substances chimiques dangereuses assimile certaines huiles essentielles à des produits dangereux et impose la constitution de dossiers complexes. Le règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage (CLP) impose l'étiquetage des huiles essentielles pures avec des pictogrammes montrant leur dangerosité.

La règlementation sur les alcaloïdes pyrrolizidiniques - molécules que l'on peut retrouver dans des plantes à tisanes - impose un degré de contrainte décalé de la réalité : le seuil admis correspond à une plante touchée sur un champ entier de menthe par exemple. Il existe d'autres normes telles que la pharmacopée ou la règlementation des compléments alimentaires notamment.

La complexité des plantes et de leurs propriétés, sur lesquelles les recherches sont encore expérimentales, traduisent l'avenir et la richesse de cette filière.

Celle-ci s'est structurée et mécanisée à partir des années 1980, période à laquelle a été créé l'Institut technique de la filière, l'Iteipmai. Depuis sa création, tant les surfaces que le chiffre d'affaires de la filière PPAM n'ont cessé de se développer. Entre 2000 et 2010, la surface cultivée a augmenté de 15 % quand elle diminuait de 2 % pour le reste des productions agricoles et le nombre d'exploitations a augmenté de 23 % alors qu'il diminuait de 6 % dans le reste du secteur agricole.

Cette dynamique s'est accélérée au cours des dernières années : les surfaces ont augmenté de 26 % entre 2010 et 2015, du fait de la diversification de céréaliers vers les PPAM pour sécuriser leurs revenus, de l'installation de jeunes agriculteurs et de l'évolution de la demande.

En découle un besoin croissant en formation, un accompagnement technique et un approvisionnement en semences et plants.

Dans la filière PPAM, nous identifions de manière arbitraire trois grandes catégories : les plantes à parfum, aromatiques et médicinales. Les plantes à parfum sont principalement celles qui vont être transformées en huiles essentielles, comme la lavande ou le lavandin, qui peuvent être également des plantes médicinales. Les plantes aromatiques sont les plantes condimentaires tels le thym, le romarin, qui peuvent aussi être utilisées comme des plantes médicinales. Enfin, dans les plantes médicinales, on distingue des productions à grande échelle de ginkgo biloba et de pavot-oeillette, sous contrat avec les laboratoires pharmaceutiques, et des productions d'autres plantes (plus de 100) commercialisées en circuit court comme compléments alimentaires ou plantes sèches sur le marché de l'herboristerie. Il est ainsi difficile de définir les plantes médicinales et de les distinguer des autres catégories de plantes.

J'en viens à la structuration de la filière. Le réseau de recherche agronomique appliquée, le réseau PPAM, est fédéré autour de l'Iteipmai, l'institut technique de la filière situé à Chemillé-en-Anjou, auquel est adossé le CRIEPPAM (centre régionalisé interprofessionnel d'expérimentation en plantes à parfum, aromatiques et médicinales). La chambre d'agriculture de Valence s'est historiquement spécialisée dans la filière PPAM.

Le conservatoire, créé en 1987 à Milly-la-Forêt, dans le sud de l'Essonne, bassin historique de plantation PPAM, est une association loi 1901 financée à 50 % par les pouvoirs publics et compte 9 salariés. Il s'attache à approvisionner ses partenaires en diversité génétique, développe une activité proche de celle d'un jardin botanique pour acquérir, rassembler, conserver une collection dynamique de plus de 1 000 espèces, et travaille parallèlement sur la cueillette et la protection du patrimoine naturel, en partenariat avec l'Association française des cueilleurs de plantes sauvages (AFC).

Il a en outre une activité de production de semences et de plants (plus de 700 espèces) qui permet d'approvisionner les producteurs. Enfin, il accueille plus de 10 000 visiteurs par an et joue un rôle de sensibilisation du grand public, en développant une offre de stages pour laquelle la demande est croissante.

D'autres organismes sont à mentionner : le CPPARM (Comité des plantes aromatiques et médicinales), qui regroupe des producteurs, le CIHEF (Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises), des organismes de formation spécialisés, notamment les quatre CFPPA (centres spécialisés de formation pour la promotion agricole) et la délégation nationale de FranceAgriMer.

Cette filière et son développement sont portés par une attente sociétale pour plus de naturalité, le souhait de « consommer local », le développement de la responsabilité sociétale des entreprises, notamment dans la filière cosmétique, le phénomène du « do it yourself » ou encore la recherche de produits purs et naturels. Les PPAM ont également un rôle à jouer dans le développement d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement.

M. Pierre Champy . - J'enseigne la chimie végétale et la phytothérapie en faculté de pharmacie et suis co-responsable d'un diplôme interuniversitaire de phytothérapie à destination des professionnels de santé. J'effectue également des missions d'expertise pour l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation).

L'herboristerie recouvre des activités multiples de production (culture, cueillette, vente directe) ou de commerce avec notamment la vente de produits de santé mais aussi de plantes en vrac ou de préparations de plantes, ce qui forme un ensemble de produits sous des statuts et des normes règlementaires extrêmement variables.

La frontière est fine entre les conseils prodigués par les herboristes et un éventuel exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, c'est-à-dire entre l'indication thérapeutique que l'on trouve sur un médicament et l'allégation de santé pouvant figurer sur un complément alimentaire ou un aliment. Cette instabilité juridique explique une demande de sécurisation des pratiques des herboristes, qui oscillent entre la santé et le bien-être.

Actuellement, il n'existe pas de formation unifiée ni de diplôme défini pour la pratique de l'herboristerie.

Les plantes inscrites à la pharmacopée française font partie du monopole pharmaceutique, institué pour des raisons sanitaires et non économiques. La liste de ces plantes est divisée en deux parties :

- la liste A comporte 365 plantes utilisées traditionnellement (ou drogues végétales), employées dans des préparations de phytothérapie ou d'homéopathie. Certaines présentent une forte toxicité. Une libéralisation de la vente de l'ensemble de ces plantes en dehors du circuit pharmaceutique me semblerait donc difficile, à titre personnel ;

- la liste B correspond à des plantes utilisées par le passé en thérapeutique mais abandonnées à cause de leur toxicité ou du doute sur leur efficacité au fil des avancées des connaissances scientifiques ; les effets indésirables sont donc supérieurs aux bénéfices attendus.

Le décret n° 2008-841 du 22 août 2008 a permis la sortie de 148 plantes végétales du monopole pharmaceutique. Ce décret précise la forme traditionnelle d'emploi de ces plantes pour laquelle la sécurité de leur utilisation est assurée.

Les plantes médicinales rejoignent les exigences de qualité du circuit pharmaceutique. Celles hors monopole à visée alimentaire relèvent d'exigences différentes.

La France importe environ 18 000 tonnes de plantes en l'état ou sèches, principalement depuis la Chine et l'Inde. La DGCCRF s'est intéressée à la qualité de certaines classes de produits à base de plantes médicinales, cette analyse ayant montré des dysfonctionnements assez inquiétants.

En ce qui concerne les mélanges de plantes, une monographie « mélange de plantes pour tisanes » inscrite à la pharmacopée française définit quelles plantes peuvent être associées entre elles par le pharmacien en l'absence d'ordonnance ; certaines plantes en sont donc exclues et l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) définit les exigences en termes de bonnes pratiques de préparation.

Hors du circuit pharmaceutique, les mélanges de plantes en vrac ne sont pas interdits et ont le statut de produit alimentaire. Un enregistrement comme complément alimentaire est possible si la dose consommée par le patient est définie. Cette pratique se développe, dans les officines ou en dehors, pour contourner les restrictions règlementaires.

Se développent également hors des officines des associations de préparations de plantes (extraits, huiles essentielles), dont les frontières sont parfois floues avec le statut de médicament par fonction ou par présentation, ce qui conduit à des requalifications de produits par l'ANSM ou les tribunaux.

Les statuts des produits à base de plantes, en vente libre, sont d'une grande diversité. Il s'agit principalement, en dehors des plantes en vrac, de compléments alimentaires, mais on trouve également des dispositifs médicaux et des produits cosmétiques, ainsi que des huiles essentielles.

Les organismes de tutelle pour ces produits relèvent soit du ministère en charge de la santé, soit du ministère en charge de la consommation.

Un arrêté du 24 juin 2014 a établi une liste des plantes autorisées à entrer dans la composition des compléments alimentaires : parmi les 540 espèces qui y figurent, 60 % environ sont des plantes alimentaires ou médicinales hors monopole pharmaceutique et environ 25 % sont des plantes médicinales relevant de ce monopole pharmaceutique ; le reste sont des plantes ayant des usages médicinaux dans d'autres traditions que la nôtre ou encore quelques plantes de la liste B de la pharmacopée. L'arrêté de 2014 ne représente qu'une liste partielle de ce qui circule réellement.

Une liste commune de plantes utilisées dans les compléments alimentaires est en projet entre la France, la Belgique et l'Italie, dite « liste Belfrit », qui comporte 1 028 plantes.

Les exigences en termes de sécurité et de qualité des produits restent insuffisantes, notamment en termes d'étiquetage. Pour un grand nombre de compléments alimentaires, la question du statut de médicament par fonction ou par présentation se pose. Or, la plupart des produits de phytothérapie sont vendus sous la forme de compléments alimentaires en dehors des officines, par des non professionnels de santé et souvent sans conseil, comme c'est le cas en grande surface.

Des dispositifs de vigilance s'appliquent aux produits à base de plantes, dès lors qu'un usage traditionnel n'est pas forcément un gage de sécurité et qu'un certain nombre d'interactions médicamenteuses sont à prendre en compte.

L'ANSES est l'autorité compétente en matière de nutrivigilance (compléments alimentaires) et l'ANSM pour la cosmétologie et la matériovigilance (dispositifs médicaux).

L'ANSM, l'Agence européenne du médicament et l'OMS publient des référentiels pour l'emploi des plantes médicinales et des huiles essentielles. Toutefois, beaucoup de personnes qui vendent ces plantes ou huiles essentielles ne les connaissent pas et se fondent sur des ouvrages spécialisés qui ne sont pas forcément pertinents.

Il existe un fort besoin de formation pour les personnes autres que les pharmaciens délivrant des produits à base de plantes, afin qu'elles puissent délivrer un conseil efficace et adapté, apte à garantir la sécurité du consommateur, en tenant compte des données scientifiques. Au-delà de la plante en vrac hors monopole, cette formation doit concerner l'ensemble des produits vendus de manière courante hors du cadre pharmaceutique. Il semble important de donner un socle universitaire à ces formations, dans une interface indispensable avec les formations en santé.

Plusieurs questions restent ainsi en suspens. Quelles plantes peuvent être commercialisées ? Quelles sont les conditions d'exercice des herboristes, leur formation et leur place au sein du réseau de soin ?

Mme Corinne Imbert , présidente . - Je remercie nos intervenants dont les trois exposés reflètent bien le champ très large de notre mission.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Merci de ces exposés. Très succinctement, Ida Bost nous dit que l'herboristerie n'est ni à inventer ni à réinventer, car elle existe. Reste à savoir si elle peut exister comme cela. Agnès Le Men a mis l'accent sur la forte attente sociétale, que l'on doit entendre, et sur une recherche publique orpheline. Pierre Champy évoque un fort besoin de formation, pour délivrer un conseil adapté. Ces premières réflexions justifient déjà l'existence de notre mission.

Je salue la présence du public et de la presse : nous avons souhaité ouvrir nos auditions car il s'agit d'un sujet de société.

D'après les connaissances que vous pouvez avoir de la situation dans d'autres pays notamment européens, y-a-t-il une spécificité française dans l'approche de l'herboristerie et des plantes médicinales, tant de la part des professionnels de santé que des attentes des consommateurs ?

Comment décririez-vous par ailleurs les spécificités des outre-mer en matière de richesse patrimoniale et d'usage des plantes médicinales ?

Quelles sont vos réflexions sur la réglementation qui entoure les plantes médicinales et les produits dérivés type huiles essentielles ou compléments alimentaires ? Quelles évolutions seraient selon vous bienvenues ?

Estimez-vous que les connaissances scientifiques sur les plantes médicinales sont suffisamment développées ? Que pensez-vous de l'offre actuelle de formation, tant universitaire que privée ou professionnelle ? Quel serait le socle minimal de connaissances à avoir pour prétendre prodiguer des conseils sur l'usage des plantes ?

M. Pierre Champy . - La profession d'herboriste est définie en Belgique. En Autriche et en Allemagne, les prérogatives sont plus larges que celles communément admises et en Angleterre, la profession s'apparente davantage aux professions de santé.

La diversité et la richesse de la production outre-mer en font un sujet à part, d'autant que l'instabilité juridique, en particulier à La Réunion, rajoute à la particularité de certaines pratiques locales traditionnelles.

Quant à la réglementation, sa complexité entraîne une insécurité sur ce que peut faire et ne peut pas faire le praticien en herboristerie.

La recherche sur les plantes médicinales bénéficie peu du soutien du ministère de la recherche. La recherche sur les huiles essentielles est encore balbutiante. Globalement, l'évaluation clinique des plantes et produits dérivés existe mais elle manque de légitimité, notamment en termes de méthodologie.

Je connais mal les formations extra-universitaires à destination du grand public. Dans les écoles d'herboristerie, les formations semblent hétérogènes. Les futurs pharmaciens bénéficient quant à eux de formations en phyto-aromathérapie conséquentes, l'offre étant relativement homogène ; l'offre de formation en direction des professionnels de santé déjà installés est par ailleurs très importante.

En revanche, la formation des médecins est très insuffisante sur les compléments alimentaires et leurs éventuelles interactions avec les prescriptions médicamenteuses, qui sont pourtant bien documentées.

La nutri-vigilance en matière de compléments alimentaires est balbutiante en raison notamment d'un faible nombre de déclarations de la part des soignants.

Un herboriste doit avoir un socle minimal de connaissances : il doit pouvoir renvoyer vers un pharmacien ou un médecin si cela est nécessaire, et avoir un regard critique sur la littérature existante ; il lui faut par ailleurs une connaissance minimale de la physiologie, de la pharmacocinétique et de la toxicologie, mais aussi des éléments lui permettant de se positionner dans un réseau de soins, au-delà d'une bonne connaissance de la plante en elle-même dans ses aspects à la fois botaniques et chimiques.

Mme Agnès Le Men . - Les outre-mer recèlent 65 % de la flore française. Le protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques, en voie d'application en France, doit permettre de lutter contre la bio-piraterie et d'assurer un partage équitable des avantages tirés de l'utilisation de ces ressources. Concrètement, à chaque fois que l'industrie voudra utiliser une de ces ressources pour la commercialiser, elle devra reverser un pourcentage du chiffre d'affaires à un fonds de partage international. L'impact de cette disposition est encore mal connu.

S'agissant de l'encadrement des métiers, celui de cueilleur de plante ne fait l'objet d'aucune réglementation, ni fiscale ni juridique, ce qui empêche notamment d'en recenser le nombre et de structurer cette profession, avec à terme un risque d'impact sur la ressource sauvage. Depuis 2011, les cueilleurs ont toutefois commencé à s'organiser en créant l'AFC (Association française des cueilleurs), dont l'objet est notamment d'établir une charte de la cueillette sauvage pour mettre en place une filière d'approvisionnement durable.

Je précise tout de même que la principale menace sur la ressource sauvage ne vient pas des cueilleurs mais plutôt des changements climatiques ou encore de l'urbanisation croissante.

Sur l'offre actuelle de formation, je peux témoigner des demandes croissantes de nos visiteurs pour des stages sur ce thème, mais aussi de la grande hétérogénéité de leurs connaissances.

Mme Ida Bost . - En Europe, la démarcation n'est pas très claire entre ce qui relève du bien-être et de la thérapie. Il existe, selon les pays, des formes de reconnaissance des herboristes, qui n'ont pas tous les mêmes droits. Chaque pays a fait le choix de positionner l'herboristerie entre l'alimentaire, la santé ou encore le bien être.

Les questions liées à la législation dépassent l'herboristerie. Il s'agit notamment de savoir à partir de quand commence l'indication thérapeutique et comment elle se distingue de la simple allégation de santé qui elle est autorisée.

Le décret de 2008 mentionne 148 plantes libérées, ce qui apparait insuffisant. L'utilisation de plantes sous forme de compléments alimentaires permet de dépasser cette restriction, pour vendre des plantes de la liste A de la pharmacopée, mais cela nécessite une présentation par dose. Or, l'avocat Flavien Meunier a expliqué lors du dernier congrès de l'herboristerie qu'il y avait de plus en plus de cas de refus d'inscription de tisanes sous le statut de compléments alimentaires dès lors qu'il est difficile d'en établir la dose.

Un problème est aussi l'absence de possibilité d'inscription à l'ordre des pharmaciens de ceux qui ne souhaitent vendre que des plantes en tant qu'herboristes.

La législation a donc un fort impact sur le métier d'herboriste et leur activité.

En ce qui concerne la formation, on constate une homogénéisation des cursus entre les cinq écoles d'herboristerie qui se sont constituées sous la forme d'une fédération. La formation existe mais est-elle suffisante ? Sans doute non, dans la mesure notamment où les contre-indications ou interactions médicamenteuses en constituent un angle mort, du fait même de la législation puisqu'elles ne relèvent pas de l'herboristerie.

L'État devrait être le garant de la sécurité des pratiques par les formations. En l'absence de reconnaissance de l'herboristerie, et par défaut de l'État, les acteurs eux-mêmes s'organisent et cherchent à s'autoréguler.

Il existe très peu de travaux scientifiques sur l'herboristerie. Je travaille en ce moment sur une étude portant sur les métiers de l'herboristerie et l'activité économique des professionnels du secteur, afin de construire une connaissance sur ce sujet.

M. Daniel Laurent . - Je remercie les intervenants pour leur propos intéressants et inquiétants, qui traduisent un besoin d'encadrement. Nous voyons l'intérêt de cette mission. La gestion de la ressource en plantes médicinales est un sujet important, de même que celui de la sécurité des importations. Si la filière est structurée et dynamique, peut-on fixer un objectif aux producteurs en termes de gestion ou amélioration de la ressource ?

M. Louis-Jean de Nicoläy . - Je partage cette interrogation. Quel est le lien entre agriculture et herboristerie ? La filière relève-t-elle de la PAC ? Existe-t-il des formations agricoles ? Quelles sont les dix principales plantes produites en France ?

M. Bernard Delcros . - Merci pour vos interventions éclairantes et passionnées. Les enjeux sont importants. Je partage votre constat sur l'attente de plus de naturalité, et je pense même qu'il s'agit aujourd'hui d'un besoin. Les progrès des sciences et techniques ont été mis au service d'une société de consommation, avec une utilisation parfois irraisonnée des produits chimiques. Aujourd'hui, les choses s'inversent. Il y a une prise de conscience. Quels sont les points importants sur lesquels légiférer pour développer cette filière et sécuriser les pratiques ?

Mme Élisabeth Lamure . - La vente sur internet de plantes ou produits à base de plantes présente-t-elle des garanties ? Est-elle réglementée ?

Mme Agnès Le Men . - Des projets émergent depuis quelques années pour structurer la filière, mettre en place des filières d'approvisionnement, tels que le projet Sud Aroma Bio. A Milly-la-Forêt, une filière de développement des huiles essentielles se met en place et a suscité un grand intérêt des producteurs ; une quinzaine sont aujourd'hui dans le groupement et ont un projet d'investissement dans une distillerie industrielle.

De nombreux céréaliers se diversifient également ailleurs en France. Les investissements assez lourds peuvent être un frein toutefois à la diversification. Créer de la confiance entre les opérateurs, avec des contractualisations respectées, aiderait la filière à se développer. Il s'agit de marchés éphémères et soumis à des effets de mode. Il est compliqué d'accompagner techniquement une ressource qui compte près de 700 plantes. Le conservatoire national élabore des programmes de mise en culture de plantes sauvages pour aider les producteurs à se diversifier, par exemple actuellement sur l'arnica dans le cadre d'un programme collaboratif cofinancé par la région Auvergne Rhône-Alpes.

La lavande, le pavot et le ginkgo entrent dans les principales productions.

Les PPAM sont inscrites à la PAC mais de façon peu détaillée.

Quatre lycées professionnels agricoles dispensent des formations spécialisées sur les PPAM. Il s'agit de formations courtes, d'un an. Il existe un réel besoin de formation, notamment pour des néo-ruraux qui s'installent.

Il serait utile de donner des moyens aux organismes qui cherchent à se structurer, sans forcément légiférer en imposant des contraintes.

M. Pierre Champy . - Les principales plantes cultivées sont le lavandin et le pavot mais l'usage de ce dernier est purement pharmaceutique.

Les ventes sur internet sont bien documentées : la situation est catastrophique avec 30 à 50 % des produits de mauvaise qualité, avec des molécules interdites ou jamais évaluées.

La qualité des importations n'est pas totalement déplorable, en raison des garde-fous qui existent en Europe.

Sur la gestion de la ressource, il existe une littérature au niveau mondial sur la disparition de certaines plantes en raison d'une surexploitation. Pour certaines plantes à la mode, comme la rhodiole ou la gentiane, la ressource s'épuise.

Faut-il plus légiférer ? Pas forcément, mais il est important d'accompagner les acteurs pour que la filière soit de qualité.

Mme Ida Bost . - Le fait de légiférer est parfois associé sur le terrain à des restrictions ou des interdictions. Il s'agit ici d'aller vers de l'accompagnement ou de la construction.

Au vu de ce qui n'a pas fonctionné dans le passé, il faut aujourd'hui bien comprendre le statut de l'herboriste, les limites de ses droits et devoirs. Quels lieux d'exercice ? Quelles relations avec les autres professions comme les diététiciens ou aromathérapeutes ? Quelle formation au regard du statut ? Comment s'assurer des filières d'approvisionnement ?

Les herboristes existent et vont exister, quelle que soit la législation.

Le produit naturel et local est au coeur de leur activité et essentielle à celle-ci.

M. Claude Haut . - Je remercie les intervenants. La réglementation REACH sur les huiles essentielles peut-elle compromettre la filière et le développement de la ressource ?

M. Guillaume Gontard . - Nous percevons bien la richesse du sujet et l'importance de notre mission. Il me semble que 15 % de production en bio n'est pas une proportion si importante pour ce type d'activité. La part du bio est-elle plus élevée s'agissant des nouvelles installations ? Sur la gestion de la ressource et la cueillette, a-t-on déjà des constats en termes de biodiversité ? Qu'en est-il des formations agricoles proposées aux personnes s'installant sur des petites parcelles. Des mises en réseau existent-elles ?

Mme Angèle Préville . - Merci pour vos présentations très éclairantes. Existe-t-il une information précise sur les plantes, notamment à destination des agriculteurs ? Quels peuvent être les incidences sur la santé des compléments alimentaires ? Que peut-on faire ? Sur la formation, je pense qu'il faudrait remettre dans les enseignements des éléments concrets sur les plantes, comme cela a pu être fait dans le passé.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je suis sénatrice de la Drôme et ravie que mon département ait été cité deux fois pour les projets conduits par la chambre d'agriculture et les formations du CFPPA de Nyons. La production PPAM bio y représente un quart des surfaces nationales. Où en est-on de la réglementation REACH, qui suscite une réelle inquiétude ? Quelle est la dangerosité des compléments alimentaires ? Qu'en est-il du savoir populaire sur les plantes qui a existé ? Pouvez-vous nous éclairer sur les procès pour exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie ?

Mme Agnès Le Men . - Sur la réglementation européenne REACH, l'interprofession des huiles essentielles a pris des initiatives pour fédérer les efforts et les moyens. Quand on produit au moins une tonne pour une espèce, le dossier à monter coûte cher et son protocole est critiqué.

Sur la dangerosité, je trouve étonnant que l'on puisse vendre une huile essentielle étiquetée corrosive en complément alimentaire.

Beaucoup de savoirs de base sur les plantes ont été perdus sur une génération. Il y avait beaucoup de traditions orales. La société elle-même a changé.

Sur le bio, il faudrait en effet faire plus que 15 %. Mais un grand nombre de surfaces de production sont industrielles, ce qui limite la part du bio pour des raisons techniques ou culturelles. Je n'ai pas de chiffres sur la part du bio dans les nouvelles installations, mais, en ressenti, beaucoup se font en bio, dans une démarche éthique globale.

L'arnica est une ressource protégée dans plusieurs régions. Le parc naturel régional des Ballons des Vosges a pris l'initiative d'instaurer un permis de cueillette, mais la ressource est en train de disparaître. Il en est de même pour la gentiane que l'on met trente ans à cueillir.

Le Comité des Plantes à Parfum, Aromatiques et Médicinales (CPPARM) produit un guide d'installation pour les producteurs souhaitant s'installer en PPAM. Des échanges existent également entre jeunes producteurs.

Je n'ai pas connaissance d'un guide aux producteurs sur les plantes à cultiver. C'est d'ailleurs une difficulté pour eux de savoir sur quoi ils peuvent s'installer. Le marché est en partie éphémère, il existe des modes, par exemple en ce moment pour l'immortelle dans des produits cosmétiques. Le conservatoire opère une régulation de fait en ne pouvant répondre à toutes les demandes de semences.

Je suis d'accord pour remettre dans l'enseignement des connaissances concrètes sur les plantes. Il est étonnant qu'il n'y ait pas d'enseignement de botanique dans les écoles d'agronomie.

M. Pierre Champy . - La réglementation REACH s'applique ou non selon le statut du produit. Le terme d'aromathérapie correspond à l'utilisation des huiles essentielles, quelle que soit la voie. Sur la dangerosité des huiles essentielles, l'ANSM a imposé des restrictions, notamment chez le nourrisson et l'enfant ou sur les produits cosmétiques. Une huile essentielle peut avoir un statut de complément alimentaire. Beaucoup de produits sont mal définis dans leur composition et la multiplicité des statuts est aberrante. Les choix de statut se font principalement au regard des contraintes d'étiquetage et de la TVA des produits. La DGCCRF travaille sur une liste positive d'huiles essentielles qui pourraient entrer dans la composition des compléments alimentaires, mais cette liste n'est toujours pas publiée.

Il y a peu de remontées sur la quantité de compléments alimentaires consommée, du fait notamment d'un manque de sensibilisation du corps médical et pharmaceutique sur la déclaration. La plupart des données vient des industriels. Il est difficile d'avoir un bilan réel des incidents. Mais il existe par exemple des compléments alimentaires avec des plantes utilisées comme abortives dans certaines traditions sans mention pour les femmes enceintes, ce qui est un problème. Il y aurait des améliorations nécessaires essentiellement en termes de contrainte et d'étiquetage.

Les procès pour exercice illégal de la pharmacie renvoient à la difficulté à poser une limite entre ce qui relève de l'indication thérapeutique et des allégations de santé. La jurisprudence est intéressante à cet égard et les cas très divers. Par ailleurs, beaucoup de produits sont requalifiés en médicament par l'ANSM.

On constate en effet une perte du savoir populaire, mais il faut considérer la tradition au regard des connaissances scientifiques et du rapport bénéfices-risques des pratiques. Il ne faut pas forcément adopter le savoir populaire de manière brute ou tel que véhiculé dans certains ouvrages.

La menace sur la ressource est à penser au plan international. Il existe beaucoup de travaux sur la surexploitation des plantes en Afrique ou en Chine par exemple.

Mme Ida Bost . - Sur la question des savoirs, l'herboristerie entre dans une forme de patrimonialisation, en s'attachant à récupérer des connaissances anciennes. Ces savoirs se chargent d'attentes très contemporaines. Sans aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'une philosophie, l'herboristerie entre dans un univers symbolique fort : c'est une manière de concevoir les choses dans le quotidien, dans le rapport à l'alimentation.

Les procès pour exercice illégal de la pharmacie, comme ceux qui ont concerné Michel Pierre de l'herboristerie du Palais Royal ou Patrice de Bonneval, lui-même pharmacien, ne sont pas étonnants dans le contexte légal.

M. Pierre Champy . - Cette question de l'exercice illégal pose la question du pharmacien-herboriste ou celle de l'herboriste comme auxiliaire ou adjoint du pharmacien.

M. Joël Labbé , rapporteur. - La question du statut - pour un ou plusieurs métiers - est posée et renvoie à des attentes. Doit-on se satisfaire de la situation actuelle ou faut-il faire évoluer la législation ? Il existe des formations, qui tendent vers une certaine harmonisation, mais faut-il évoluer vers une formation diplômante ?

Mme Agnès Le Men . - A titre personnel, une formation diplômante ou une validation des acquis de l'expérience reconnue permettrait d'officialiser et encadrer une réalité de fait, et de répondre à une demande croissante de la société civile.

M. Pierre Champy . - Des pratiques existent, elles sont très variables. Le besoin de formation est évident. Pour les formations en école d'herboristerie, une homogénéisation et une définition des prérequis, comme cela a été fait pour l'ostéopathie, serait importante.

Mme Ida Bost . - Les acteurs de terrain demandent un diplôme et une reconnaissance de leurs pratiques pour en garantir la sécurité. Le flou n'est bon pour personne.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Je remercie nos intervenants pour ce panorama très complet qui montre que d'autres questions que celle du statut se posent.

Audition de M. Claude Chailan, délégué filière Plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), et de Mme Alix Courivaud, chef du pôle marchés à la direction marchés études et prospective, de FranceAgriMer

Jeudi 24 mai 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente. - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses auditions après la table ronde introductive de ce matin en accueillant M. Claude Chailan, délégué de la filière Plantes à parfum, aromatiques et médicinales de FranceAgriMer et Mme Alix Courivaud, chef du pôle marchés à la direction marchés études et prospective de FranceAgriMer.

Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission sur notre site Internet ; elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Je remercie vivement nos intervenants d'avoir accepté notre invitation. Nous comptons sur eux pour nous dresser, grâce aux données collectées par FranceAgriMer, un panorama général de la filière des plantes à parfum, aromatiques et médicinales - les PPAM - et en particulier des plantes médicinales, afin de bien appréhender ce qu'elle représente en France en termes d'activité et d'emplois ainsi que les enjeux liés à son développement.

Je vous laisse la parole et nous vous écoutons avec beaucoup d'attention.

M. Claude Chailan . - Merci madame la Présidente. Nous allons vous dresser un panorama de la filière plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) en France et dans d'autres pays.

Tout d'abord, FranceAgriMer est issu de la fusion en 2009 des anciens offices agricoles et de l'office de la mer. Il assure trois missions principales : éclairer les filières avec des études, une mission de concertation avec ces professionnels, FranceAgriMer étant administré par onze conseils spécialisés interprofessionnels qui rassemblent producteurs, transformateurs et distributeurs et un conseil d'administration également interprofessionnel, et enfin accompagner les productions agricoles. Pour cette dernière mission, FranceAgriMer a déployé l'année dernière 800 millions d'euros d'aides dont 60 % au titre de fonds européens, de l'OCM (organisation commune du marché) viticole notamment, et 40 % au titre de fonds nationaux.

Le siège de FranceAgriMer est à Montreuil-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Environ 370 agents sont basés dans les régions auprès des directions régionales de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF). S'y ajoutent 3 délégations nationales, basées à Libourne, à la Rochelle et à Volx, à côté de Manosque.

Cette dernière, qui emploie cinq personnes, est dédiée à la filière PPAM sur le territoire métropolitain. Elle dispose d'un budget d'intervention d'environ deux millions d'euros d'aides nationales attribuées pour des programmes d'investissements des producteurs et la première transformation, au soutien de l'organisation technique, notamment le conservatoire national que vous avez entendu ce matin, ou les instituts techniques, et enfin pour les organisations économiques, principalement les coopératives.

Si nous travaillons pour toute la filière, nous sommes spécialisés sur les aspects de production et de première transformation.

Pour en venir à la filière PPAM, il existe en France des bassins de production majeurs, notamment dans le Sud-Est pour la culture du lavandin et des plantes aromatiques, en Champagne-Ardenne, dans le Centre et dans l'Ouest pour la culture des plantes médicinales qui concernent le pavot et les oeillettes pour l'extraction de la morphine ainsi qu'une production de plantes médicinales dans la région angevine. Cette production de plantes médicinales a d'ailleurs la caractéristique d'être assez répandue sur tout le territoire.

La production des PPAM en France est en nette croissance ces dernières années. L'évolution de la production depuis 2010 marque une croissance supérieure à 40 %, avec une extension très importante des plantes aromatiques et, dans une moindre mesure, des plantes médicinales. Il faut cependant nuancer cette distinction entre plantes aromatiques et plantes médicinales dans la mesure où les plantes ont souvent plusieurs usages.

Pour entrer dans le détail de la répartition de la production, il y a de l'ordre de 120 espèces cultivées en France, ce chiffre s'établissant à près de 300 espèces quand on compte les plantes qui sont simplement cueillies.

Ces plantes sont produites de diverses façons, sont transformées de diverses manières et donnent naissance à des produits différents. L'huile essentielle de lavande n'a par exemple rien à voir avec la fleur de la lavande ! C'est pourquoi les producteurs proposent plus de 1 500 produits, témoignant d'une réelle diversification de l'offre de la filière.

Il est très complexe d'avoir une vision globale de la production française face à la concurrence internationale car le périmètre des PPAM est très large. Il y a des productions exotiques dans certains pays très gros producteurs comme l'Inde ou la Chine qui ne peuvent être produites en France. Toutefois, la France est un producteur important au niveau mondial pour certaines espèces. En regardant les chiffres assez précis des huiles essentielles qui permettent de réaliser une comparaison internationale, la France est par exemple productrice de lavandin, production en forte croissance puisque la dernière récolte a atteint le chiffre record de 1 500 tonnes.

Environ 12 % de la production de PPAM est cultivée en agriculture biologique. Là aussi ce chiffre est en augmentation, suivant l'augmentation globale de la production de la filière. C'est une proportion assez importante si l'on se réfère à d'autres productions agricoles. Il y a toutefois un déficit de production biologique compte tenu de l'état de la demande sur le marché.

Si l'on observe les signes officiels de qualité et de l'origine, il existe un label rouge pour les mélanges d'herbes de Provence, représentant environ 20 tonnes de production. Au niveau organoleptique, je peux vous assurer que cela n'a rien à voir avec ce que l'on peut trouver ailleurs. Il y a également une appellation d'origine protégée sur l'huile essentielle de lavande de Haute-Provence, l'une des rares non-alimentaires d'ailleurs, et depuis cette année, une indication géographique protégée « Thym de Provence ». Des démarches qualité sont également à noter, en particulier la démarche CENSO promouvant la traçabilité et le développement durable, créée par le comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises (CIHEF) qui est la seule interprofession reconnue dans le secteur des PPAM.

Quand on parle de filière PPAM, cela n'a pas vraiment de sens puisqu'il n'y a pas une filière mais une multitude de petites filières avec des usages très diversifiés. Il y a d'abord la transformation de plantes sèches dans le but de répondre, in fine, aux usages liés à l'herboristerie ou pour aboutir à des compléments alimentaires. Ces derniers ont connu une diversification de la production très importante ces dernières années. On recense environ 1 000 demandes par mois de nouveaux compléments alimentaires, dont 80 % sont à base de plantes. Il y a aussi toute une partie issue de l'extraction alcoolique pour les teintures mères, les infusions, les extraits végétaux utilisés dans les médicaments homéopathiques ou dans les cosmétiques. Les huiles essentielles peuvent également être retravaillées afin d'en retirer certains composants par déterpénation ou traitement chimique. Elles sont alors utilisées dans les médicaments ou l'aromathérapie dont la demande a également explosé ces dernières années. Le marché des parfums et arômes issus des plantes sont des marchés davantage matures qui n'évoluent plus trop dans les pays occidentaux.

Il y enfin des extractions plus techniques faites avec des solvants notamment pour faire des concrètes, qui sont des pâtes parfumées particulièrement à partir de fleurs comme la rose ou le jasmin, ou, par extraction sélective, pour isoler des molécules pour des médicaments phytothérapeutiques ou des médicaments allopathiques. En résumé, il existe tout un tas de filières avec des usages et des destinations très diversifiés.

Une des spécificités françaises réside dans le fait que, le plus souvent, le producteur fait lui-même la première transformation, alors que dans d'autres pays, la transformation, que ce soit le séchage ou la distillation, est plutôt réalisée par des entreprises distinctes des producteurs.

La deuxième étape de la chaîne, ce sont les grossistes : herboristes pour les plantes séchées, négociants pour les huiles essentielles. Puis une première industrie transformatrice travaille ces matières premières, notamment les fabricants d'extraits végétaux ou de compositions parfumantes. Enfin les industries utilisatrices élaborent les produits finis à destination des consommateurs, qu'elles soient dans l'industrie agroalimentaire ou dans l'industrie cosmétique. Il peut y avoir des intermédiaires, des circuits plus courts avec le producteur qui fabrique lui-même son cosmétique et le vend lui-même ou alimente directement l'industrie transformatrice.

Ainsi, en plus de la diversité des usages, il existe clairement une diversité des flux commerciaux.

Les principales organisations professionnelles, sans les lister toutes, sont souvent syndicales, en se positionnant notamment sur des questions relatives à la réglementation considérées comme le principal frein au développement de la filière. Certaines organisations professionnelles ont également un rôle d'organisation économique.

En termes d'impacts économiques et sociaux, ce sont des petites filières, surtout quand on les compare aux céréales par exemple. Ceci étant, sur les territoires où elles sont produites, notamment le secteur lavandicole, elles ont des impacts très importants. Nous avions réalisé une étude à l'Office national interprofessionnel des plantes à parfum, aromatiques et médicinales en 2006, que nous sommes en train d'actualiser pour le mois de septembre, sur l'impact en termes d'emplois directs et indirects de ces productions. Cette étude concluait à un rapport de 1 à 10 entre le nombre d'exploitations et les emplois créés par les filières dans le Sud-Est. Le chiffrage est large puisqu'il inclut par exemple les effets du tourisme lavandicole.

Nous en venons aux plantes médicinales et je laisse la parole à Alix Courivaud qui va poursuivre l'exposé.

Mme Alix Courivaud . - Concernant la commercialisation internationale de plantes médicinales, les données ne sont pas très précises. On peut toutefois suivre les importations et exportations de ces plantes.

La France a importé 20 000 tonnes de plantes médicinales en 2016 pour une valeur d'environ 80 millions d'euros, ce qui la place à la 11 ème position du classement mondial. Ses principaux pays fournisseurs relèvent de trois catégories : les fournisseurs de plantes qui ne poussent pas en France, comme la Chine et l'Inde ; les fournisseurs de plantes dont les coûts de production sont inférieurs à la France, ce qui est le cas pour un produit comme la verveine ; et enfin les pays négociants comme l'Allemagne, qui n'ont pas spécialement d'activités de production.

La France exporte un volume de 6 000 tonnes de plantes médicinales pour une valeur de 44 millions d'environ, d'où une balance commerciale négative. La France exporte plus en revanche de produits élaborés comme les extraits de plantes ou les huiles essentielles.

Si nous regardons les prix moyens au stade de production des plantes médicinales, ils sont en moyenne stables ou en légère augmentation depuis 2012. Certaines plantes ont toutefois des prix qui augmentent plus rapidement, comme le basilic.

La fourniture de plantes médicinales a souvent recours à la contractualisation. Depuis longtemps pour la filière pharmaceutique, se sont mises en place des filières intégrées avec une production incluse dans l'industrie.

On voit apparaître de plus en plus de commerce équitable Nord/Nord pour une juste rémunération du producteur. Se développe ainsi une contractualisation entre commerçants de PPAM, de tisanes ou d'huiles essentielles. Pour la production particulière de lavandes et lavandins, qui est la production majeure en France, la contractualisation est très fréquente grâce à l'action de l'interprofession.

Toutes ces plantes médicinales sont commercialisées par divers circuits, très différents selon les produits.

Concernant les huiles essentielles, une enquête réalisée pour Biolinéaires donne une idée des voies de commercialisation de la filière. Les magasins de produits biologiques sont le premier distributeur avec 57 % de parts de marché, suivis d'Internet qui occupe une place très importante. Les pharmacies représentent environ 10 % des ventes. Les ventes directes, qui représentent 3 % des ventes, les salons ou les foires sont des pratiques assez minoritaires.

Nous avons réalisé une étude sur les plantes médicinales vendues en pharmacie cette année. Si elle ne concerne que les pharmacies, elle donne une idée de la croissance de ce secteur. Les complexes d'huiles essentielles engendrent le plus gros du chiffre d'affaires devant les huiles essentielles unitaires en petits flacons, les infusions ou les médicaments en phytothérapie. Les infusions sont un tout petit marché, bien inférieur aux autres, mais cela s'explique par le fait que ce sont généralement des produits seulement séchés avec une faible valeur ajoutée par rapport aux autres produits. D'où la part de 4 % de chiffres d'affaires dans les comptes de résultat des pharmacies.

Justement, si on regarde les ventes d'infusions, en termes de tonnage, elles sont assez stables en volume et en valeur entre 2015 et 2017. Leur commercialisation se situe très majoritairement en grandes surfaces avec 3 378 tonnes en 2014, contre 117 tonnes en pharmacies et parapharmacies.

L'aromathérapie connaît en revanche une croissance très vive, le chiffre d'affaires des cinq entreprises françaises les plus importantes ayant connu une croissance de 20 % par an depuis 2009.

Enfin, la vente directe de PPAM est freinée par la règlementation. Les producteurs en vente directe nous ont demandé de réaliser une étude en 2016 qui faisait ressortir ce point. En chiffres cumulés, 60 % des 80 producteurs estimaient que la réglementation était un frein au regard notamment du coût des dossiers par exemple pour être conformes à la réglementation cosmétique. Les allégations écrites et orales constituent un autre frein : les producteurs ne savent pas ce qu'ils ont le droit de dire et d'écrire sur leurs étiquetages.

Ce qui ressort également de l'enquête, c'est que les PPAM vendues sont multi-usages. Pour vous citer un exemple, une huile essentielle de lavande peut être consommée dans un plat, appliquée sur la peau, mise dans un cosmétique pour parfumer une huile. Mais à un usage correspond une réglementation. Comme les consommateurs achètent ces plantes médicinales pour différents usages, il est compliqué pour les producteurs d'étiqueter leurs produits de manière optimale. C'est un point qui est ressorti de l'enquête, tout comme le flou autour des plantes autorisées.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Merci pour cet exposé complet. La question des outre-mer n'a pas été abordée, alors que ces territoires présentent une ressource patrimoniale importante : avez-vous des données à nous communiquer à ce sujet ?

S'agissant du développement de nouveaux produits ou marchés, outre les huiles essentielles dont vous avez parlé, des innovations sont-elles à relever ?

Plus généralement, quelles évolutions réglementaires ou législatives seraient selon vous utiles pour le développement de la filière et des métiers liés à l'herboristerie ? Vous avez notamment abordé la question des allégations écrites ou orales.

M. Claude Chailan . - Une première spécificité tient au fait que ces filières sont pilotées par l'aval, où s'opère l'essentiel de l'innovation de produit. Il existe cependant aussi une part d'innovation dans les process et la modernisation de l'outil de production.

Le poids de la règlementation s'applique aux producteurs comme aux autres maillons de la chaîne - transformateurs, cosméticiens, etc. Les entreprises consacrent désormais 10 % de leurs effectifs aux questions règlementaires. Il s'agit d'une évolution très claire ces dernières années, liée notamment au règlement REACH qui impacte la profession. Les distillateurs de Provence, travaillant sur des installations rustiques fonctionnant quinze jours par an, ont été soumis aux mêmes contraintes que l'industrie chimique.

Le développement des filières dépend donc beaucoup de la question règlementaire. En termes d'accès à l'information, nous sommes en train d'établir un panorama complet de l'ensemble des règlementations qui s'appliquent, dans l'objectif d'aider les producteurs à s'y retrouver.

En ce qui concerne les outre-mer, la focale de notre exposé était volontairement restreinte au champ métropolitain, car c'est l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM) qui étudie spécifiquement les productions ultramarines. On trouve dans les outre-mer des productions de petite taille mais avec des plantes spécifiques : géranium, vanille, bois de santal ou encore ylang-ylang à Mayotte par exemple.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je vous remercie pour votre exposé. Vous avez parlé d'IGP/AOP pour le thym et les herbes de Provence : d'autres plantes postulent-elles à ce label ? Sur la taille des exploitations, avez-vous des données à nous fournir ? En tant que membre de la délégation aux droits des femmes, je suis curieuse de connaître les statistiques relatives au nombre d'exploitations tenues par des femmes. En termes de territoires, quels sont les départements qui comptent le plus de productions en PPAM ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Merci pour votre présentation. J'ai l'impression que vous vous sentez un peu seuls, dans la mesure où le chiffre d'affaires de la filière progresse de manière rapide et qu'il faut, dans le même temps, donner aux producteurs les moyens d'organiser cette croissance.

J'imagine cela dit que des groupements se sont développés, sur le modèle de ce qui existe dans le domaine de la viticulture entre autres. Je serais donc intéressé de savoir quel type de structuration se met en place pour répondre à la dynamique en cours. Je voudrais aussi revenir sur la question de la contractualisation : s'effectue-t-elle à la demande de l'exploitant et comment est-elle organisée ?

M. Claude Chailan . - De petites productions, à l'instar du safran de Provence, essayent d'obtenir une IGP. Les plantes de Grasse - rose, jasmin, violette, fleur d'oranger - ont déposé un dossier auprès de l'UNESCO en vue d'une inscription au patrimoine mondial de l'humanité. La valorisation d'un signe officiel de qualité est plus facile s'agissant des plantes alimentaires, contrairement aux filières longues. La lavande, qui bénéficie d'une appellation d'origine depuis 1981, illustre bien cette difficulté à s'imposer dans les circuits classiques de parfum.

Il est compliqué de donner un chiffre global en ce qui concerne la taille moyenne des exploitations, eu égard à la diversité des espèces. Certaines productions sont réalisées de façon industrielle, alors qu'a contrario d'autres nécessitent un travail à la main, comme le safran. Par ailleurs, le hors sol représente une part très faible de la production, à la différence de l'horticulture.

Mme Alix Courivaud . - Une précision au sujet de la vente directe : ce sont souvent de petits producteurs qui possèdent moins d'un hectare.

M. Claude Chailan . - Toutes productions confondues, le premier département est la Drôme (lavande, lavandins et plantes aromatiques). Le Vaucluse et les Alpes de Haute-Provence ont également des surfaces de production importantes.

L'organisation économique est bien structurée et comporte treize coopératives : ces organisations de producteurs interviennent de la cueillette jusqu'au stade de la commercialisation. Il existe également des contrats entre producteurs et transformateurs, ou entre coopératives et industriels. La croissance actuelle de la filière n'est pas forcément un facteur d'amélioration de son organisation économique : comme le marché est demandeur, les producteurs se tournent surtout vers la coopérative lorsqu'ils rencontrent des problèmes. Dans le secteur lavandicole, l'organisation économique s'est principalement développée lors des phases de crise.

Dans un contexte de concurrence accrue, du fait des importations et d'un coût de la main d'oeuvre inférieur à l'étranger, les services associés à la qualité du produit sont désormais un critère à part entière : la teneur en principes actifs de la plante, la qualité bactériologique, la présentation du produit et sa traçabilité entrent davantage en ligne de compte. C'est donc un effet positif de la règlementation, qui conduit les sociétés utilisatrices à revenir vers la production française afin de respecter un cahier des charges plus strict qu'auparavant, intégrant notamment la RSE.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question de la règlementation, en disant qu'elle constituait d'un côté un frein et en même temps un aspect positif à travers la traçabilité, qui garantit une qualité globale des productions. S'agissant des points forts et des points faibles de la règlementation, pouvez-vous nous indiquer quels sont selon vous les plus marquants ?

M. Claude Chailan . - La règlementation impose des contraintes, ceux qui arrivent à s'y adapter ont un avantage. Pour compléter ma réponse sur la contractualisation : la haute traçabilité peut représenter un frein pour l'organisation économique des producteurs, puisque les industriels veulent avoir le producteur en direct. Actuellement, c'est d'ailleurs plutôt l'acheteur qui offre le contrat, car il souhaite assurer son approvisionnement.

Quant aux aspects négatifs de la règlementation, la pesanteur administrative n'est pas négligeable. Un producteur qui vend sur le bord de la route un flacon d'huiles essentielles est soumis à des obligations lourdes. Pour l'herboristerie, la vente directe a pris une place importante et les flux professionnels se sont organisés différemment, en réaction à une situation qui apparaît un peu bloquée en France.

Mme Angèle Préville . - Je vous remercie pour votre présentation. Je vais poser une question qui dérange : sur les labels de qualité dont bénéficie le thym de Provence, une recherche sur la radioactivité éventuelle fait-elle partie du cahier des charges ?

M. Claude Chailan . - Pas à ma connaissance. Il faut savoir que 80 % du thym de Provence acheté provient de Pologne.

Mme Angèle Préville . - Connaissant les besoins en herboristerie, existe-t-il une vision prospective sur l'évolution des cultures, le nombre d'hectares et les perspectives de croissance des marchés ? Peut-on développer des labels pour se protéger et favoriser les circuits courts ?

M. Claude Chailan . - Nous n'avons pas de données chiffrées, y compris pour les produits les mieux connus, sur l'évolution possible des marchés. Dans les années 1950, la production d'huile essentielle de lavande et de lavandin s'établissait à 1 000 tonnes, alors qu'elle est de nos jours de 1 400 tonnes. Il est difficile de prédire toutefois quelle sera l'évolution de cette production au cours des prochaines années. La concurrence de la chimie de synthèse est également une donnée à prendre en compte sur ce marché.

Mme Angèle Préville . - Lorsqu'on achète un produit qui comporte des molécules fabriquées à partir de la chimie de synthèse, ce n'est généralement pas précisé. Faudrait-il un étiquetage plus complet ?

M. Claude Chailan . - En principe, quand c'est naturel, cela est marqué.

Mme Claudine Lepage . - Une question très concrète : n'existe-t-il pas un problème de main d'oeuvre dans la filière des PPAM ? J'ai longtemps vécu en Allemagne et le tilleul était un produit extrêmement rare disponible uniquement en pharmacie, car personne ne voulait le cueillir. Cette difficulté se rencontre-t-elle en France ?

M. Claude Chailan . - En France, la question du coût n'est en effet pas négligeable : désherber du thym revient plus cher dans la Drôme qu'à la frontière polonaise avec l'emploi d'ouvriers ukrainiens. Trouver de la main d'oeuvre n'est pas non plus toujours évident, notamment pour certaines productions : la récolte du jasmin, très pénible, est presque compromise pour cette raison.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Qu'en est-il de possibles évolutions législatives ou règlementaires ?

M. Claude Chailan . - Du côté de la vente directe, la question du multi usages me semble importante à traiter, en allant dans le sens de l'allègement des contraintes. La filière des parfums n'est pas exempte de problèmes règlementaires, avec l'an passé le cas des alcaloïdes pyrrolizidiniques, qui sont des mauvaises herbes poussant dans les parcelles. Les Allemands ont fixé une norme très sévère en la matière : pour des productions n'utilisant pas de produits herbicides, cette faible tolérance rend le travail particulièrement difficile.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur la production de pavot pour l'extraction de morphine à destination des laboratoires ?

M. Claude Chailan . - Il s'agit d'une filière totalement intégrée, avec une filiale de Sanofi, Francopia, qui gère tout le processus, de la sélection variétale des plantes jusqu'à l'extraction. La production de pavot est la première en termes de plantes médicinales, avec 13 000 hectares en France.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Et pour la production du chanvre ?

M. Claude Chailan . - La France est un des principaux producteurs de chanvre textile en Europe. On s'est aperçu qu'en plus du tétrahydrocannabinol (THC), il y avait d'autres alcaloïdes non psychotropes dans le chanvre - le CBD -, qui possèdent des propriétés très intéressantes pour traiter des pathologies graves. D'où un problème de règlementation : pour une production de chanvre totalement autorisée, une extraction de CBD entraîne un effet de concentration et un dépassement du seuil autorisé de THC dans les produits intermédiaires. Des dérogations sont parfois accordées dans pareil cas, mais il existe un vrai sujet règlementaire au regard des perspectives intéressantes de développement que pourrait constituer l'usage du CBD.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Il me reste à vous remercier pour votre intervention. Nous poursuivons nos travaux la semaine prochaine.

Table ronde autour de M. Jean Maison, négociant-herboriste, fondateur du Comptoir d'Herboristerie, M. Michel Pierre, herboriste, directeur de l'Herboristerie du Palais Royal et président du syndicat Synaplante, M. Thierry Thévenin, producteur-cueilleur de plantes médicinales, herboriste et botaniste, porte-parole du syndicat des Simples

Jeudi 31 mai 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Notre mission d'information poursuit ses travaux en accueillant des représentants des métiers de l'herboristerie. Je vous rappelle que cette table ronde fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet, et qu'elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Je remercie nos trois intervenants d'avoir accepté notre invitation. Ils incarnent la diversité des métiers liés à l'herboristerie et aux plantes médicinales que nos premières auditions, la semaine dernière, nous ont permis de commencer à appréhender et que nos prochaines auditions nous aideront encore à cerner.

M. Jean Maison est négociant-herboriste, fondateur du Comptoir d'herboristerie basé à Saint-Augustin en Corrèze, entreprise organisée autour d'un réseau de cueilleurs-producteurs.

M. Michel Pierre dirige depuis 1972 l'Herboristerie du Palais Royal à Paris ; il préside par ailleurs le syndicat Synaplante, qui réunit des herboristes de boutiques et vendeurs de plantes.

M. Thierry Thévenin est producteur et cueilleur de plantes médicinales dans la Creuse, paysan-herboriste et botaniste. Il est le porte-parole du syndicat des Simples, qui regroupe des producteurs-cueilleurs de plantes médicinales, aromatiques, alimentaires ou cosmétiques.

M. Michel Pierre, herboriste, directeur de l'Herboristerie du Palais Royal et président du syndicat Synaplante. - Préparateur en pharmacie de formation, j'exploite une herboristerie à Paris. Je suis également président du syndicat Synaplante, ayant vocation à aider les herboristes de comptoir ou toute personne désireuse de vendre des plantes aromatiques et médicinales au public.

J'ai acheté cette herboristerie en 1972, que j'ai eu le droit de continuer à exploiter, une personne non diplômée pouvant s'associer à une personne diplômée depuis 1962. J'ai exploité mon herboristerie avec une herboriste diplômée avant 1941 pendant une vingtaine d'années. J'ai ensuite continué, par passion, à exploiter cette herboristerie sans couverture juridique, car il était à l'époque difficile de trouver une herboriste diplômée. J'ai enfin engagé une pharmacienne en 2008, qui n'a pas pu faire valider son diplôme car l'ordre des pharmaciens ne reconnaissait pas les diplômés travaillant en herboristerie.

En 2011, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) m'a demandé de supprimer les allégations figurant sur mon site de vente dans les plus brefs délais. J'ignorais que mon site internet était contrôlé par la gendarmerie nationale... Relaxé en première instance, j'ai été condamné en appel en 2013, après appel du procureur de la République et de l'Ordre des pharmaciens. Permettez-moi de vous citer le réquisitoire du procureur : « Formellement, vous serez déclaré coupable, mais j'ai totalement conscience des limites de cette loi puisque l'on est dans une impasse totale. On peut aussi déplorer que le savoir-faire des herboristes, qui existent depuis des siècles, voire depuis toujours, et qui sont les ancêtres des pharmaciens, se perde. J'espère que les législateurs trouveront les moyens de régulariser les choses. »

En 2016, j'ai engagé une nouvelle pharmacienne qui suit des cours à l'université avec M. Champy, que vous avez auditionné la semaine dernière.

Aujourd'hui, je vends les 148 plantes qui ont été libéralisées. Les plantes qui ne sont pas libéralisées sont en général présentées sous forme de gélules. Et vendre des gélules, cela fait pleurer un herboriste car ce n'est pas du tout la même approche du produit naturel.

Un herboriste est aussi un chef d'entreprise, avec du personnel, le plus compétent possible. Il achète et vend des plantes, sous forme de tisanes ou de poudres. Il vend aussi des gélules, fabriquées conformément à la réglementation, sérieuse et solide, en vigueur pour les compléments alimentaires. La DGCCRF y veille et permet au public de consommer des plantes en toute sécurité.

Nos clients utilisent des plantes pour leur bien-être, pour leur confort, pour compléter ou supporter un traitement. Les plantes que nous vendons sont achetées chez des grossistes et proviennent du monde entier, ou chez des producteurs faisant des récoltes sauvages ou de la culture biologique. Les plantes biologiques sont extrêmement contrôlées, leur traçabilité est totale, ce qui nous permet de les vendre en toute sécurité.

Le conditionnement des plantes en sachet et l'étiquetage chez l'herboriste est fait à la main, rien n'étant mécanisé. Nous n'avons pas le droit de faire figurer d'allégations sur l'emballage des plantes, même celles qui sont autorisées pour les compléments alimentaires. C'est stupide !

La plupart de nos clients ont l'habitude de consommer des plantes, d'autres viennent nous voir après la parution d'un article dans la presse ou sur internet. C'est là que la compétence du professionnel entre en jeu. On ne peut pas se permettre de laisser le public acheter un produit qui ne correspond pas à ses besoins. Nous avons un rôle d'information.

Notre équipe de personnes diplômées comprend une nutritionniste, qui est également phytothérapeute, une biologiste, une directrice de boutique. Elle compte douze femmes pour trois hommes. Nous sommes loin de la parité ! Peut-être les femmes sont-elles plus sensibles aux produits naturels ?

Nous vendons environ 45 % de plantes, 35 % de compléments alimentaires, 15 % de cosmétiques et 5 % d'huiles essentielles, ces dernières devant être utilisées avec précaution. Nous recevons 50 000 clients chaque année et 8 000 commandes par an sur notre site internet.

Le métier d'herboriste est un métier à part entière. On ne peut pas faire de l'herboristerie et de la librairie en plus, ce métier exigeant de nombreuses manipulations. Alors que la surface de notre boutique est de 60 mètres carrés, celle de notre local de stockage, situé en banlieue parisienne en raison du coût élevé de l'immobilier parisien, est de 500 mètres carrés.

M. Jean Maison, négociant-herboriste, fondateur du Comptoir d'Herboristerie. - J'ai débuté dans ce métier très jeune, en ayant eu la chance d'être formé par un maître qui s'appelait Albert Gazier. Il m'a initié à la beauté de ce métier et m'a fait entrevoir la dimension traditionnelle et populaire de la plante, mais aussi les valeurs fondamentales qu'elle véhicule. L'engouement pour les plantes aujourd'hui est très fort partout.

J'ai commencé ce métier comme cueilleur de plantes de la lande dans les Monédières, magnifique pays. J'ai ensuite produit des plantes en agriculture biologique dès 1976 et fait de la cueillette de plantes sauvages. Je travaillais avec Nature et progrès, initiative d'un certain nombre de personnes merveilleuses dont il faudra un jour rappeler les noms, car elles ont oeuvré dans l'ombre et dans des conditions extrêmement difficiles pendant de nombreuses années. Plus tard, j'ai eu la chance de croiser Maurice Mésségué, qui m'a donné ma chance et m'a beaucoup fait travailler.

Nous avons ensuite évolué vers une activité de négoce. Nous travaillons aujourd'hui à la fois pour des herboristes, des pharmaciens, des entreprises qui font de l'extraction, des magasins de détail. Notre champ d'activité est très vaste. Notre entreprise, basée à Saint-Augustin, compte douze personnes.

J'ai contribué, avec Thierry Thévenin, à la mise en place de la charte de l'association française des professionnels de la cueillette. Il s'agit pour l'herboriste de vendre des plantes ayant un sens, une qualité et une traçabilité. L'Association française des cueilleurs s'efforce d'améliorer les protocoles permettant de garantir les qualités des plantes ramassées. Nous nous efforçons de ne pas épuiser la ressource en promouvant une gestion rationnelle, intelligente et respectueuse des matières premières. Compte tenu de la progression extraordinaire du marché français et européen, il faut faire en sorte que les agriculteurs et les cueilleurs, qui vendent des matières de grande réputation - le tilleul des Baronnies, la bruyère des Monédières -, notamment en zone de moyenne montagne et dans les territoires ruraux, puissent vivre dignement de leur métier. La progression du marché est assurée en partie par de l'importation - je n'y suis pas hostile -, mais nous avons en France des choses à dire. Je défends l'herboristerie française, qui est un art particulier, dont la qualité est le fruit d'une très longue histoire.

C'est un privilège d'exercer ce métier pratiqué depuis des temps immémoriaux, ce métier de tradition humaine qui relève du soin et de la nutrition mais qui reflète également le regard que nous portons sur notre univers et sur la nature qui nous entoure.

Le diplôme d'herboriste est un moyen de former des gens compétents, suivant des grades ou des étapes qui restent à concevoir. Il n'existe pas un herboriste mais des herboristes, dans les grandes villes, à la campagne, dans l'industrie, dans les secteurs de la cosmétique ou de la pharmacie.

Ce dont nous souffrons le plus aujourd'hui, c'est d'une rupture avec le végétal. L'herboriste est celui qui délivre un service, explique le contexte d'usage et gère intelligemment la ressource.

M. Thierry Thévenin, producteur-cueilleur de plantes médicinales, herboriste et botaniste, porte-parole du syndicat des Simples. - Je porte la parole de centaines de personnes réparties sur tout le territoire. Personnellement, j'ai commencé il y a une trentaine d'années. Nous étions alors une cinquantaine et nous nous connaissions tous. Notre activité est en pleine expansion. Nous sommes aujourd'hui entre 500 et 1 000.

En tant que paysan-herboriste, je représente aujourd'hui la Fédération des paysans-herboristes. Lorsque j'ai commencé, cette activité était essentiellement pratiquée dans les zones de montagne, principalement dans les Cévennes, en Haute-Provence, en Auvergne, en Ariège et dans des zones un peu défavorisées. Aujourd'hui, elle se pratique partout : dans le Pas-de-Calais, en Gironde, en Bretagne, en Normandie. Le secteur est très dynamique, très jeune. Le métier d'herboriste, comme vous le savez, a existé brièvement d'une manière légale, de 1803 à 1941. S'il n'existe plus légalement dans ce pays, il n'a pour autant jamais disparu. Depuis toujours, il y a des gens qui connaissent les plantes, savent les cueillir, les sécher correctement et les fournir.

Le syndicat des Simples est un groupement d'agriculteurs. La Fédération des herboristes réunit la FNAB, la Fédération nationale de l'agriculture biologique, et le Mouvement d'agriculture biodynamique.

Aujourd'hui en France, quand on est agriculteur, on est avant tout un professionnel délivrant des matières premières à l'industrie ou à des détaillants. Or de plus en plus d'agriculteurs veulent désormais suivre leurs produits de bout en bout, à partir du monde animal ou végétal, qu'ils transforment, puis proposent directement au public.

Notre métier est très porteur, comme en témoigne le nombre de jeunes désireux de s'installer malgré les difficultés. Le public est demandeur. Le problème est que si je vends du plantain, autrement appelée queue de rat à cause de la forme de son inflorescence, plante que l'on trouve dans toutes les régions en France, y compris dans les territoires d'outre-mer, et sur une grande partie de la planète depuis des temps très anciens, et dont le suc est efficace sur les piqûres d'insectes, je risque deux ans de prison et 30 000 euros d'amende car cette plante relève du monopole pharmaceutique. Je n'ai même pas le droit de dire à quoi elle sert !

La filière des plantes médicinales est l'une des plus dynamiques dans le monde agricole. Ainsi, 30 % des plantes sont produites en agriculture biologique, soit un taux largement supérieur au reste de la filière agricole. Nous n'avons donc pas de problème d'existence. Nous avons un problème juridique et politique. Il faut que législateur accepte de donner une place légale aux herboristes.

Nous sommes aujourd'hui entre 500 et 1 000 producteurs. Le réseau le plus organisé, le syndicat des Simples, compte aujourd'hui 450 adhérents, dont 280 producteurs. Ces producteurs se heurtent à cette difficulté juridique et ne peuvent exercer sereinement.

Pour ma part, j'ai commencé il y a une trentaine d'années dans la Creuse. Ma passion des plantes est une histoire de famille : je suis petit-fils d'agriculteurs, mon grand-père, comme les gens de sa génération, utilisait les plantes pour se soigner. Même si cela a été un peu compliqué au début, j'ai rencontré le succès. La première fois que j'ai tenu un stand de tisanes, à Clermont-Ferrand, beaucoup de gens ricanaient. Il faut avoir à l'esprit que nous avons rompu avec l'herboristerie depuis 70 ou 80 ans. Aujourd'hui, la situation a bien changé, même s'il est toujours compliqué, compte tenu de l'insécurité juridique, de faire quelque chose de novateur. Il m'a fallu dix ans pour percevoir un véritable revenu...

Tout allait bien, jusqu'en 2005. La coopérative Biotope des montagnes, dont je suis un adhérent, s'est retrouvée au tribunal pour avoir vendu de la presle des champs. Nous avons été condamnés en première instance, puis relaxés en appel. Tout ça pour une plante utilisée depuis les débuts de l'humanité et qui ne présente aucun risque !

Le syndicat des Simples existe depuis 1982. Son cahier des charges définit des pratiques très précises en termes de cueillette, car le respect de la ressource nous tient à coeur. L'ensemble du syndicat représente 260 espèces, issus de différents terroirs, sachant que seules 148 plantes figurent sur la liste des plantes pouvant être vendues par des personnes autres que des pharmaciens. Cette liste est d'ailleurs réductrice, certaines plantes ne pouvant pas être produites sur le territoire français, d'autres ne pouvant pas être produites dans les territoires d'outre-mer. Nos adhérents sont tous situés en métropole. Nous avons des moyens très limités, qui ne nous permettent pas de donner suite aux demandes des producteurs de la Réunion ou des Antilles et d'établir des liens solides et durables avec eux.

Si on inclut les plantes des territoires d'outre-mer, entre 300 et 400 espèces botaniques différentes sont aujourd'hui vendues au public, sur les marchés, à la ferme et sur internet. Les risques réels à consommer des plantes sauvages sont minimes. Selon une étude du centre antipoison de Strasbourg, qui rassemblait les données de la plupart des centres des grandes villes françaises, moins de 5 % des appels concernait les plantes. Seuls dix-huit cas graves ont été recensés, un seul relevant d'une intention thérapeutique (une dame a voulu soigner son cancer avec de la tisane d'if). Les autres concernaient la consommation de plantes psychotropes dangereuses, mais nous ne sommes plus là dans le cadre de l'herboristerie. Notre métier n'est pas du tout dangereux.

Vous me pardonnerez mon discours décousu, mais j'ai tellement de choses à dire...

Comme l'a expliqué Michel Pierre, lorsque je vends une tisane, je n'ai pas le droit d'écrire sur le sachet à quoi elle sert. En revanche, je peux l'écrire dans un livre ! C'est aberrant. On peut trouver des informations sur les plantes dans n'importe quel magazine, pourquoi n'ai-je pas le droit d'en faire figurer sur mon sachet ? Nous ne sommes pas médecins, nous ne faisons pas de diagnostic, nous sommes conscients de nos limites.

Les herboristes, même s'il n'existe pas de formation officielle, ont passé deux ou trois ans dans une école d'herboristerie, suivent des sessions de formation continue, sont formés aux usages des plantes, aux limites d'emploi, aux contre-indications et à la réglementation. Il faudrait vraiment sécuriser juridiquement cette profession et lui trouver un statut.

Le problème est que la réglementation sur les plantes et l'alimentation est complétement segmentée. Une même plante peut être considérée comme une denrée alimentaire ou comme un produit cosmétique si j'indique qu'elle permet d'adoucir la peau ou qu'elle a un parfum agréable. Or, depuis le 11 juillet 2013, la réglementation sur les cosmétiques est extrêmement compliquée. Elle est certes utile, car les cosmétiques contiennent aujourd'hui des nanomatériaux et des perturbateurs endocriniens, mais le problème est qu'elle est la même pour nous qui mettons trois pétales dans de l'huile d'olive, que l'on fait macérer au soleil avant de la filtrer avec un filtre en papier !

Si je dis que cette même plante peut soigner une égratignure, alors elle n'est plus considérée comme un cosmétique car un cosmétique doit être appliqué sur une peau saine. Dès qu'il y a une lésion sur la peau, cette plante devient un médicament. Je dois alors entamer une procédure d'autorisation de mise sur le marché, une procédure dite « simplifiée », qui coûte environ 25 000 euros. Il faut savoir qu'un producteur compte environ une trentaine ou une quarantaine de plantes dans sa gamme. Compte tenu de l'hyper-réglementation, l'offre s'est considérablement réduite ces dernières années. Même les industriels, qui ont pourtant plus de moyens que nous, ne font valider que les plantes qui en valent la peine. On laisse tomber ce qui n'est pas rentable.

Si on veut rétablir le métier d'herboriste, la formation existe. Il faut simplement lui donner un cadre légal, mais aussi trouver un statut particulier pour l'herboriste. On ne peut pas vendre une plante médicinale sans dialogue avec le client. La France porte une grande responsabilité, son offre médicinale étant la plus importante : elle représente 10 % de la biodiversité mondiale si l'on y inclut les territoires d'outre-mer.

Pour conclure, le métier d'herboriste soulève de multiples questions, politiques, techniques, sanitaires, environnementales. Nous avons une belle occasion de répondre aux attentes de la population.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci pour vos interventions. J'ai quelques questions à vous poser.

Comment envisagez-vous le rôle de l'herboriste au sein du réseau de soins ? Quel doit être son positionnement vis-à-vis des professions de santé ou des autres professionnels du soin ? Existe-t-il un code de déontologie de la profession, comme cela peut exister dans d'autres pays ? Serait-il utile selon vous et quel devrait en être, dans les grandes lignes, la teneur ? Que pensez-vous de l'offre actuelle de formation, qu'elle soit privée ou professionnelle ? Le socle de connaissances est-il suffisant ou assez homogène ?

M. Bernard Jomier . - Je suis impressionné car vous respirez le bien-être ! Vous avez l'air heureux d'exercer cette profession, vous êtes conscient d'exercer un métier utile, qui répond à la demande croissante d'un certain nombre de nos concitoyens.

Vous avez beaucoup parlé de santé. Estimez-vous que vous exercez une profession de santé ? Quand on entre dans le champ de la santé, on entre dans un domaine réglementaire car il s'agit de protéger les patients.

Vous avez évoqué la liste des 148 plantes libéralisées, laquelle pourrait être étendue. Où se situent les racines de votre conflit avec les pharmaciens ? Avez-vous engagé un dialogue avec leurs représentants ?

Enfin, pourriez-vous me dire combien la France compte d'herboristeries ? Comment la profession a-t-elle évolué ? Combien étiez-vous il y a dix ans ? Combien êtes-vous aujourd'hui ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Ma question porte sur la formation au métier d'herboriste. S'agit-il d'une formation au métier d'agriculteur ou d'une formation médicale ? Relève-t-elle du code de la santé publique ?

M. Maurice Antiste . - J'avoue que je vous aurais écouté pendant encore une heure ! Vous avez tellement de choses passionnantes à dire. Peut-être faudrait-il imaginer un autre espace pour vous écouter ? Vos discours nous poussent inéluctablement à proposer une législation.

Par ailleurs, je vous remercie d'avoir évoqué la richesse de l'outre-mer. Avez-vous des contacts avec le monde ultramarin ? Je compte sur vous, madame la présidente, pour qu'il soit entendu dans les mêmes conditions car il a beaucoup à dire.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Nous avons tous écouté les interventions avec beaucoup de passion, mais le temps de la mission est contraint.

Mme Angèle Préville . - J'ai été très sensible à vos propos que je partage totalement. Le lien avec la nature a été effectivement rompu et il est absolument nécessaire de le retrouver. Comme vient de le souligner mon collègue, il va falloir en passer par un cadre légal. Comment imaginez-vous la future formation des herboristes ? Dans les écoles d'herboristerie actuelles ou dans les universités, dans le cadre de la faculté de médecine ?

M. Raymond Vall . - J'ai été frappé par vos interventions qui sont empreintes de sérénité et de sagesse. Vous avez souligné des problèmes concernant la ressource. Avez-vous des idées pour organiser la production en vue de permettre à des jeunes de partir à la reconquête de la nature pour être en communion avec elle ?

Nous sommes tous entourés de plantes qui ont des vertus. Actuellement, un certain nombre de livres nous font prendre conscience du rapport entre l'homme et la nature, particulièrement les arbres ou les plantes. Nous avons une responsabilité dans ce nouveau rendez-vous que vous proposez, avec la nécessité de pouvoir faire face à la demande. Il est affligeant de constater que 80 à 90 % des plantes médicinales sont importées avec des conséquences qui mettent en péril certains territoires, telle la ville de Grasse. Comment voyez-vous la reconquête de ces productions sur notre territoire ?

M. Daniel Chasseing . - Je tiens avant tout à rendre hommage à Jean Maison : par le biais de son entreprise, on emploie actuellement dans ma commune neuf travailleurs handicapés pour ensacher les plantes médicinales. Vous êtes tous trois des pionniers, des passionnés. Vous avez réussi à développer votre entreprise. M. Pierre a légalisé l'herboristerie avec des pharmaciens grâce à la zone de chalandise parisienne, mais cela ne peut pas se faire partout, notamment dans les zones rurales.

Actuellement, vous pouvez vendre 148 plantes, considérées comme non nocives, et vous voudriez en vendre plus. Selon vous, le risque est minime. Le pharmacien n'a peut-être pas étudié les plantes mais il a étudié les effets secondaires et les interactions médicamenteuses : si l'herboriste devait vendre toutes les plantes, le pharmacien devrait, à mon avis, réaliser un contrôle.

Par ailleurs, les campagnes se dépeuplent. Dès lors qu'un cadre sera légalisé, pourra-t-on proposer aux jeunes agriculteurs de s'installer, puisque 80 ou 90 % des plantes sont importées ? Ce serait source d'emplois, car il y a un engouement général des Français pour les plantes.

M. Jean-Luc Fichet . - La connaissance et l'usage des plantes sont tout sauf anodins. Le champ d'action des plantes concerne aujourd'hui le bien-être, le confort, l'accompagnement des personnes confrontées à des maladies graves en parallèle des médicaments, mais celles-ci soignent aussi. Les temps changent : dans ma tendre jeunesse, on suivait scrupuleusement la prescription du médecin, alors qu'aujourd'hui, pour des raisons économiques, l'automédication est importante. De ce fait, le rôle du pharmacien évolue. D'ailleurs, dans les pharmacies, le comptoir se trouve au fond du magasin ; les médicaments ne semblent pas constituer l'activité principale. Il n'est pas question d'opposer les professions, et je reconnais la connaissance du pharmacien. La connaissance des plantes ne laisse personne indifférent mais il ne faut pas les utiliser sans être bien conseillé. Vous exercez le métier d'herboriste mais vous n'avez pas droit au titre. Vous êtes dans une situation d'inconfort. Aussi, nous devons avancer pour résoudre cette question. Pour ce faire, il convient que vous nous aidiez à définir les contours de cette profession : derrière les ressources, il y a la question des emplois, qui n'est pas anodine, celles de la traçabilité, de la formation, de la transformation, du conseil.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Je regrette le danger de la banalisation du médicament. Si les médicaments se trouvent au fond des officines, c'est précisément parce que peu d'entre eux sont en accès libre. C'est une question de réglementation.

M. Michel Pierre . - Actuellement, la plante médicinale n'est pas définie. On n'a pas fait de rapport entre la plante de confort et celle qui soigne : allez-vous utiliser le thym à des fins culinaires ou pour traiter une affection des bronches ou des voies digestives ?

Dans les années quarante, avant que l'on ne supprime le diplôme d'herboriste, on comptait environ 4 000 herboristeries, contre une quinzaine d'herboristes irréductibles aujourd'hui : nous ne savons pas si, demain, nous pourrons continuer notre activité. La force tranquille, la population française, est avec nous et elle aimerait bien que les pouvoirs publics trouvent une solution pour faire renaître le diplôme d'herboriste.

Dans la période après-guerre, les herboristes ont connu des difficultés du fait de la découverte de la pénicilline et de toutes les nouvelles médications chimiques qui, il faut en tenir compte, ont sauvé des vies. Pour exercer ce métier depuis quarante-cinq ans, je constate une consommation différente des plantes.

Il existe en France cinq écoles d'herboristerie, qui proposent de solides programmes. Par ailleurs, des diplômes universitaires sont délivrés à des pharmaciens ou des personnes exerçant des professions paramédicales. Il faudrait parvenir à régler la relation entre le pharmacien et l'herboriste. L'herboristerie est un complément de la pharmacie : on ne soigne pas un cancer avec des plantes mais on peut accompagner un patient bénéficiant d'une médication lourde.

La réglementation autorise la vente de plantes aromatiques et médicinales dans les pharmacies. Toutefois - et c'est une stupidité -, le pharmacien donne l'impression de perdre son diplôme en sortant de sa pharmacie : il n'a pas le droit d'ouvrir un point d'herboristerie ou une herboristerie juste à côté, ce qui est regrettable.

Le diplôme d'herboriste pourrait avoir une dimension nationale, en accord avec le monde pharmaceutique : le pharmacien est nécessaire et indispensable à la société, avec les compétences qui sont les siennes ; l'herboriste est, selon moi, également indispensable à la société. En effet, de plus en plus, les clients sont jeunes ; ce sont des personnes qui acceptent de se prendre en charge. C'est en ce sens que l'herboriste a un impact important sur la société, notamment la jeunesse, qui est demandeuse de produits naturels.

M. Jean Maison. - Je vous remercie pour vos questions pertinentes et sensibles. Il est nous agréable de voir que vous percevez l'enjeu que représente l'herboristerie, un enjeu qui n'est pas qu'économique, mais qui revêt une autre dimension.

Concernant la formation future, il faut schématiquement penser à trois niveaux. Premièrement, un niveau de proximité avec le producteur, qui certes va vendre son produit, mais répond au rendez-vous de la communion avec la nature, un échange dont nous avons tous besoin.

Deuxièmement, l'herboriste de comptoir s'adresse plutôt aux gens des villes, sans concurrence avec les pharmaciens : chacun exerce son métier, en cohésion. Il faut pouvoir lui donner tous les moyens d'exercer légalement son métier, avec une offre de plantes raisonnable.

Troisièmement, une montée en puissance des techniciens, des chercheurs : des gens qui vont travailler sur la connaissance de l'histoire de l'herboristerie, qui a des millénaires, et sur les réponses à apporter demain pour satisfaire nos besoins et connaître la biodiversité. C'est une imbrication entre les besoins humains et la nécessité impérieuse de mieux connaître notre territoire et de protéger la biodiversité. Je n'ai pas de solution toute faite à vous proposer ; il faut dialoguer et bâtir.

Concernant la production, l'Association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages a travaillé en étroite collaboration avec le ministère de l'environnement ; la charte que nous avons élaborée tient la route, mais il faut la déployer au travers de guides de bonnes pratiques. Il faut travailler sur la notion de filières avec les interprofessions pour bien définir les besoins, les contrats de production avec les laboratoires, les herboristes, les négociants. Comme le disait Michel Pierre, les herboristes qui tiennent des comptoirs en ville ne peuvent pas tous aller ramasser leurs plantes ; ils ont besoin de négociants fiables pour connaître la traçabilité, la fiabilité analytique et la qualité. Structurons les filières, comme cela a été fait dans d'autres professions de l'agriculture.

Pourquoi l'herboriste n'aurait-il pas un diplôme ? C'est une nécessité. On ne part pas de nulle part ; cela fait des dizaines de milliers d'années que l'on infuse : on a de la matière et de la diversité.

C'est un long chemin pour cultiver une plante : elle a poussé - à l'état sauvage ou cultivée -, elle a été ramassée, coupée, séchée, stockée, conditionnée, avec tous les problèmes inhérents à l'agriculture traditionnelle, tels que la météorologie, par exemple.

Oui, c'est un nouveau rendez-vous. Lorsque j'ai débuté en 1976, la moyenne d'âge de mes clients était de soixante-dix ans, contre trente ans aujourd'hui. Ce métier dit quelque chose à notre temps ; il nous parle parce que l'on va à l'essentiel pour ce qui concerne le rapport que nous avons au temps et à la nature.

Précédemment, j'ai abordé la question du bien-être et de la prévention : c'est l'attention à l'autre, le partage et la qualité de nos terroirs - le thym des Alpilles n'est pas celui des Corbières ou du Larzac. Construisons tout cela ensemble pour parvenir à proposer à la population discernement et sécurité ! Le travail que nous avons à faire est extraordinaire. Tout est devant nous et l'innovation est considérable. Si l'on stabilise notre situation, on pourra créer beaucoup d'emplois.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Combien ?

M. Joël Labbé , rapporteur . - Donnez-nous une fourchette !

M. Jean Maison . - Je ne veux pas avancer de chiffres mais il y a du potentiel. Et les vocations ne s'expriment pas forcément aujourd'hui. Il faut remercier les écoles d'herboristerie qui, contre vents et marées - je pense à Clotilde Boisvert, qui a fondé l'École des Plantes de Paris -, ont réalisé un travail extraordinaire et ont permis de faire perdurer ce métier.

M. Thierry Thévenin. - Monsieur Jomier, si l'on en croit l'OMS, la santé commence par le bien-être. Au regard de cette définition, nous sommes donc des professionnels de santé. Aujourd'hui, dans la métropole ou dans les outre-mer, nous avons la chance d'avoir une offre de soins assez large, des soins les plus technologiques et aboutis à la petite plante qui soulage le petit bobo. C'est un grand médecin phytothérapeute, le docteur Jean-Michel Morel, qui le dit : 80 % de la bobologie peut être prise en charge par les plantes. Nous nous situons dans le bien-être.

J'avais douze plantes sur mon stand lorsque j'ai commencé à faire les marchés. Par la suite, j'ai suivi l'une des cinq principales formations qui existent dans ce domaine, celle de phytologue-herboriste dispensée par l'ARH (Association pour le renouveau de l'herboristerie). Mais il reste toujours des marges de progression ! Aujourd'hui, j'ai 90 plantes, car je suis un passionné (la moyenne est de 30 ou 40). C'est sans doute déraisonnable, car cela demande beaucoup de temps, pour la gestion, la cueillette,... Je devrais être au travail en ce moment !

Pourquoi demande-t-on plus que la vente libre de 148 espèces ? Ayons à l'esprit le terroir. Une plante comme l'aubépine fait d'excellentes tisanes, et le fruit est libre à la vente, mais c'est la fleur qui est consommée, sur laquelle il existe un monopole, j'ignore pourquoi. Aujourd'hui, c'est pourtant un médicament libéralisé, on peut l'acheter d'un clic sur internet : valériane, passiflore sont dans le même cas. Les laboratoires peuvent les vendre sans prescription, pourquoi pas nous ?

Les plantes dangereuses sont bien connues. Il existe environ 365 plantes, dans la liste A de la pharmacopée, environ 140 dans la liste B. Les premières peuvent être utilisées par les pharmaciens, les secondes sont plus nocives qu'utiles.

Certains pays comme l'Espagne ont une liste « négative », plutôt qu'une liste positive de plantes autorisées. Nous pourrions vendre bien plus de plantes qu'aujourd'hui : il y a plus de 900 compléments alimentaires, avec la reconnaissance mutuelle au sein de l'Union européenne, et ils sont vendus hors pharmacie. C'est possible... si l'on dispose des moyens logistiques suffisants, ce qui n'est pas le cas des artisans herboristes. Ils peuvent néanmoins s'identifier sur le portail DGCCRF, très bien fait.

Tout le monde peut devenir opérateur de compléments alimentaires. C'est le temps qui manque, pour se documenter, pour conditionner les produits en portions journalières - comme si les consommateurs ne savaient faire le dosage eux-mêmes pour une tisane !

Certains travaillent avec 500 ou 600 plantes exotiques, chinoises, ayurvédiques, avec des compétences différentes de celles des agriculteurs, qui connaissent 30 ou 40 plantes. Légalement, il n'y a pas de formation, mais la société est en avance sur les lois et dans les centres de formation agricole, on dispense un enseignement - je le fais depuis 22 ans.

Il y aura certainement bientôt des modules, dans la formation initiale, pour apprendre à protéger les ressources naturelles, à reconnaître la plante, la transformer, la sécher, la distiller, la faire macérer dans l'huile, l'alcool, etc. sans la dénaturer. Il y a une forte demande de formation sur les usages et le réseau des Simples, qui compte des médecins et des pharmaciens parmi ses adhérents, travaille pour constituer des corpus sur ces sujets.

Sur le site canadien Passeport-santé.net, animé par un collectif de médecins, pharmaciens, herboristes - car la cohésion interprofessionnelle est plus forte au Canada - on trouve des éléments très sérieux sur le degré d'efficacité de chaque plante mentionnée, et sur le degré de fiabilité des informations communiquées. À chacun de faire ses choix, ensuite. Il y a bien sûr très peu de preuves scientifiques : qui voudrait financer la recherche scientifique sur des produits non rentables, non brevetables ? L'Allemagne l'a fait dans le passé, moins maintenant ; en France, la recherche publique ne s'y est jamais intéressée. Le docteur Morel a également un site internet, wikiphyto, avec des données sourcées. On dit souvent qu'internet est dangereux, mais les Français consultent beaucoup les sites pour s'informer sur les questions de santé - principalement sur des questions de prévention. Et les premiers à surfer sur Doctissimo.fr ou d'autres sites de ce type, ce sont les médecins, les pharmaciens et les vétérinaires !

Je représente les agriculteurs ; ils ne souhaitent pas être formés à bac + 4 dans les facultés de pharmacie, ils recherchent simplement un enseignement complémentaire dans leurs formations d'agriculteur. Les pharmaciens eux-mêmes ne savent pas tout concernant chaque plante, mais ils savent où chercher les références précises. Les projets de diplôme universitaire pour le conseil au comptoir sur les plantes prévoient quelques dizaines d'heures de formation. Nous ne demandons pas autre chose. Les agriculteurs sont responsables, ceux qui vendent des plantes savent lesquelles peuvent avoir des effets négatifs. Les plantes n'ont jamais été à l'origine d'un scandale sanitaire...

Nous avons moins de contacts avec l'outre-mer, en raison de l'éloignement. Il y a dans ces territoires moins de cloisonnement, me semble-t-il. L'université de médecine de La Réunion dispense un diplôme d'ethno-médecine par exemple : j'y interviens par visio-conférence, nos échanges sont très riches. J'ai été également en contact avec Christian Moretti, qui a travaillé sur le projet Tramil, traditional medecine of islands. C'est un groupe d'experts qui a validé les plantes médicinales utiles pour les gens qui n'ont pas les moyens d'acheter des médicaments. Le risque zéro n'existe pas, comme chacun sait, mais la tisane fait moins de dommages que le pastis. On a formé des « tradipraticiens », qui sont des herboristes. Nous abordons non la maladie mais la santé, bien-être, hygiène de vie, bobothérapie.

M. Raymond Vall . - Les pharmaciens de mon département que j'ai interrogés disent leur crainte d'être affaiblis, alors qu'ils connaissent déjà d'énormes problèmes, liés en particulier à la concurrence de la grande distribution, à la mutualisation des achats par les groupements hospitaliers de territoire. Lorsqu'ils entendent parler du diplôme d'herboriste, ils se demandent ce qui va leur rester. Il faut veiller à la complémentarité entre pharmaciens et herboristes. Déjà, aujourd'hui, il vaut mieux éviter de tomber malade entre le vendredi soir et le lundi matin... Sans les pompiers, la situation serait catastrophique.

Il faudrait repositionner la pharmacie dans la chaîne de santé. Certains actes pourraient leur être confiés. Il serait judicieux de valoriser le savoir accumulé par le pharmacien, d'autant que dans les dix ans qui viennent, rien ne sera fait pour résorber les déserts médicaux.

Seule la complémentarité restaurera la paix entre les deux catégories. Les pharmaciens vendent des médicaments dont les notices indiquent des effets effrayants, mais on interdit la vente d'une tisane au motif qu'elle a un effet diurétique ! C'est aberrant. Souvenons-nous de Maurice Mességué : c'est la nature qui a raison. Par conséquent, vous avez tout mon soutien !

M. Jean-Luc Fichet . - Merci à tous de ces éclairages.

Mme Corinne Imbert . - Nous auditionnerons le conseil de l'ordre des médecins et celui des pharmaciens.

Le conseil national de l'ordre des pharmaciens fait actuellement des propositions au ministre de la santé pour une meilleure reconnaissance des pharmaciens comme professionnels de santé, ce qui serait une réponse au moins partielle sur la désertification médicale. Mais les pharmaciens ne peuvent être les bouche-trous des déserts médicaux. Ils sont la colonne vertébrale de l'aménagement du territoire : sans rendez-vous, on peut pousser leur porte, y compris le vendredi soir et le week-end...

M. Thierry Thévenin . - Le pharmacien de ma commune n'a pas fait faillite parce que je me suis installé près de son officine. Nous sommes complémentaires et le savons. Sur le terrain, tout se passe en bonne intelligence, ce sont les institutions et la législation qui sont en retard.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Pharmacien en milieu rural, c'est un vrai sujet ! Mais n'opposons pas les deux métiers. Je note aussi que les chaînes de pharmacie vont là où elles peuvent faire du business, éventuellement au détriment de l'aménagement du territoire.

M. Antiste regrette que nos travaux se déroulent dans un temps contraint. Bien sûr, mais notre réflexion ne s'arrêtera pas à la fin de la mission. Nous discuterons de la meilleure manière d'avancer, ensuite, collectivement. Notre collègue Antiste a bien perçu ce que nous apportent nos invités, y compris la poésie, le spirituel, le philosophique. Ils nous parlent du sens à donner à notre développement, ils interrogent notre rapport non seulement à la plante, mais au monde du vivant dans son ensemble. Je suis un grand utopiste, je sais que nous progresserons, dans l'intérêt des générations futures.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Merci à tous.

Audition de M. Jacques Fleurentin, docteur ès sciences pharmaceutiques, maître de conférences à l'université de Metz, président de la Société française d'ethnopharmacologie et de M. Cyril Coulard, pharmacien herboriste, titulaire de l'Herboristerie du Père Blaize

Mardi 5 juin 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Notre mission d'information poursuit ses travaux en accueillant cet après-midi M. Jacques Fleurentin, docteur en pharmacie, maître de conférences à l'université de Metz, président et fondateur de la Société française d'ethnopharmacologie, qui exerce comme pharmacien et herboriste en Moselle, et M. Cyril Coulard, pharmacien et herboriste, qui a repris les rênes fin 2013 de l'Herboristerie du Père Blaize, fondée en 1815 à Marseille.

Cette audition a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Je remercie nos deux intervenants de s'être déplacés. En étant à la fois pharmaciens et fins connaisseurs des plantes médicinales, vous apporterez un éclairage utile à nos réflexions pour appréhender les enjeux liés au développement de la filière de l'herboristerie et la diversité des métiers qui lui sont liés.

M. Jacques Fleurentin . - J'ai commencé par suivre Jean-Marie Pelt pendant une trentaine d'années avant d'exercer comme pharmacien responsable d'un laboratoire d'analyses médicales au Yémen, où j'ai pu mener des enquêtes auprès des guérisseurs. Je connais donc bien les pratiques traditionnelles.

De retour en France, j'ai dirigé le laboratoire de recherches de Jean-Marie Pelt à l'université de Metz, dont l'objet était d'étudier l'efficacité de plantes recommandées par des guérisseurs sur des modèles pharmacologiques, animaux ou sur cultures cellulaires.

Enfin, j'ai repris une officine familiale, dans laquelle j'ai beaucoup développé la phytothérapie et l'aromathérapie. J'ai également été expert à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), à la fois sur les plantes chinoises et sur les dossiers de médicaments allégés. Je suis aussi intervenu sur les problématiques relatives aux outre-mer, pour la reconnaissance de leurs plantes médicinales, et sur les plantes africaines.

Il y a deux types de traditions médicales. D'abord, les traditions écrites, issues des grandes médecines savantes, qui ont su séparer science et religion, comme les médecines grecque, indienne, chinoise, arabo-persane. On a des textes et des pharmacopées datant de 2 000 ans, où l'on retrouve l'usage et la description des plantes. Ensuite, toutes les traditions orales venant d'Afrique, des Amériques, d'Océanie, pour lesquelles un travail de recensement important doit être fait, puisqu'il n'y a pas de traces écrites. C'est un patrimoine à sauvegarder.

Pourquoi un tel engouement pour l'herboristerie et la phytothérapie ? Beaucoup pensent que ces thérapies sont plus naturelles et favorisent une approche personnalisée dans laquelle on soignerait le malade et pas seulement la maladie. Par ailleurs, elles comportent un aspect préventif. Les effets secondaires des médicaments sont aussi redoutés. Il faut enfin reconnaître une pertinence exceptionnelle des savoirs des guérisseurs. Dans 80 % des cas - chez l'animal car on manque de travaux chez l'homme -, on a une efficacité comparable à celle de médicaments de référence.

Force est de constater, également, la réussite des petits producteurs de plantes médicinales, qui sortent des produits de qualité. Il y a beaucoup de demandes pour ces circuits courts.

Il y a un besoin des patients mais pas assez de répondant. Les cinq diplômes universitaires dans lesquels j'interviens sont pleins, mais ce n'est pas suffisant.

Le circuit pharmaceutique est bien rodé. Voilà des siècles que les plantes médicinales font partie des outils de travail des médecins et des pharmaciens. La plante pharmaceutique doit répondre à un cahier des charges rigoureux et précis, qui est la monographie de contrôle de la pharmacopée européenne ou française. On en contrôle l'efficacité, par le biais de travaux précliniques ou cliniques, mais aussi la sécurité et la toxicité, en évaluant par exemple la mutagénèse ou la cancérogénèse. Enfin, les indications thérapeutiques sont désormais encadrées au niveau européen, grâce au consensus qui a résulté des travaux de l'European medicines agency (EMA) et du Committee on Herbal Medicinal Products (HMPC).

Alors que la pharmacopée est restée inchangée pendant des décennies, 46 nouvelles plantes sont arrivées d'outre-mer, depuis 2015, avec des potentialités nouvelles, ainsi que 60 plantes de Chine. J'ai d'ailleurs fait partie des pionniers dans ce domaine.

S'agissant de l'interaction avec les médicaments, on en est un peu aux balbutiements. Il faut se fier au savoir-faire du pharmacien. Par exemple, le millepertuis, qui est une plante très banale à effet antidépresseur, peut avoir des interactions gênantes avec la pilule contraceptive.

Quant à l'herboristerie, le diplôme s'est éteint en 1941, époque à laquelle on considérait que la formation du pharmacien était largement suffisante pour assumer la prescription de plantes. Or, petit à petit, les médicaments conditionnés ont remplacé les plantes de sorte que les pharmaciens répondent désormais moins à la demande en herboristerie. Ils reçoivent bien une formation initiale, mais les connaissances doivent être réactualisées : chaque année, on ne recense pas moins de 1 000 publications sur les plantes dans les revues internationales.

Faut-il rétablir un diplôme d'herboristerie ? On répondrait ainsi à une demande du public et l'on renforcerait les filières de culture des plantes aromatiques et médicinales des petits producteurs. En effet, les pharmaciens ne peuvent distribuer que des plantes conformes à la monographie européenne, plantes dont les petits producteurs ne peuvent pas forcément assumer le coût. Les filières courtes sont ainsi quasiment exclues.

Il faudrait harmoniser les contenus de la formation. En France, plusieurs écoles, comme l'Ecole des plantes, dispensent déjà un enseignement de qualité. On manque cependant d'un contrôle exercé par les universités et les laboratoires de pharmacognosie.

Le cahier des charges à élaborer pour garantir la qualité des produits doit être assez sévère, mais pas trop, afin que les petits producteurs aient accès au marché.

Enfin, 148 plantes ont été libérées du monopole. Faut-il en ajouter d'autres ? À mon sens, cette liste est suffisante. Assurons-nous déjà de bien connaître ces 148 plantes afin de les utiliser au mieux. J'ai entendu parler de 600, voire 900 plantes en compléments alimentaires. Cela ne me semble pas très raisonnable.

Voilà des décennies que les ultramarins réclament que leurs plantes médicinales soient enfin reconnues. On a longtemps craint que les populations autochtones ne s'en servent pour intoxiquer les colons. Récemment, la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion ont pu faire inscrire des plantes dans la pharmacopée. Les pharmaciens locaux sont contents, mais les tisaneurs et les vendeurs traditionnels se voient opposer le monopole pharmaceutique. Il serait donc urgent de libérer ces 46 plantes du monopole, au moins dans les outre-mer.

Quant aux plantes chinoises et indiennes qui arrivent régulièrement, elles doivent être contrôlées et nous devons pouvoir mesurer les risques d'effets secondaires.

Il s'agit enfin de définir les allégations, car les étiquetages restent encore trop ambigus. Nous devons définir des positions claires, en lien avec notre conception du métier d'herboriste, acteur de la santé et du bien-être. Quelle place l'herboriste occupera-t-il aux côtés des médecins et des pharmaciens ? Il incombe aux pouvoirs publics de bien définir le rôle de chacun.

Bien sûr, les pharmaciens peuvent craindre un grignotage de leur monopole. Cependant, force est de constater qu'ils ne s'investissent pas assez dans l'herboristerie, laissant ainsi un espace à combler qui peut offrir des débouchés aux producteurs locaux. Chaque année, on importe 20 000 tonnes de plantes médicinales et la Chine est le premier producteur mondial. Or chacun sait ce qui peut arriver avec des plantes chinoises. On en a fait la triste expérience en 1995, avec des cancers et des néphropathies graves causées par des plantes frelatées en provenance de Chine.

M. Cyril Coulard . - Je suis pharmacien ; j'ai enseigné dans le cadre du diplôme universitaire de phytothérapie et d'aromathérapie de la faculté de pharmacie de Marseille, jusqu'à ce qu'il disparaisse pour des raisons administratives et budgétaires.

J'ai aussi rédigé un cours sur l'aspect réglementaire de la question pour un organisme agréé par le conseil de l'ordre des pharmaciens pour la formation continue.

La pharmacie-herboristerie du père Blaize a été fondée à Marseille en 1815 par Toussaint Blaize, originaire des Hautes-Alpes, qui a enrichi son arsenal thérapeutique de plantes en provenance des quatre coins du monde grâce à l'activité du port de commerce de Marseille, florissant à l'époque. Six générations se sont succédé à la tête de cet établissement. Dès la troisième génération, les descendants ont complété leurs connaissances sur les plantes en se spécialisant en pharmacie.

Cet établissement a une particularité : là où une pharmacie traditionnelle fait plus de 80 % de son chiffre d'affaires sur le médicament, je ne fais que 0,4 %. J'ai coutume de dire que je suis la seule pharmacie exclusivement dédiée à la phytothérapie, plus particulièrement à l'herboristerie - ces deux notions sont d'ailleurs difficilement dissociables -, et, de facto, la seule herboristerie dans la légalité. La réglementation actuelle est très complexe et pleine d'aberrations. Je vous remercie de vous intéresser à ce sujet mais vous ouvrez en quelque sorte une boîte de Pandore. Je vous recommande, si je puis me permettre, de ne surtout pas ajouter de nouveaux textes à ceux qui existent déjà, au risque de créer un « Frankenstein réglementaire » ; mieux vaut remettre à plat certains éléments de l'actuelle réglementation.

Mon métier consiste à faire le lien entre la patient et sa pathologie, les médicaments qu'il prend, le cas échéant, et les plantes que je vais lui conseiller - c'est ma valeur ajoutée d'herboriste. Bon nombre de pharmaciens affichent leur qualité d'herboriste sur leur devanture alors qu'ils n'ont ni les connaissances ni même les produits. Même si je reste persuadé que le pharmacien, de par sa formation, est le mieux placé pour conseiller les patients, une formation complémentaire reste indispensable pour la pratique concrète de l'herboristerie au comptoir d'une pharmacie.

Les pharmaciens ont perdu leur monopole sur les plantes mais ils ne le savent pas : 34 plantes libérées en 1979, 148 en 2008 ; avec l'arrêté « plantes », plus de 500 plantes - d'aucuns parlent de 900 - sont enregistrables sur le portail de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), avec une mise sur le marché immédiate. N'importe quel industriel peut aujourd'hui mettre une plante sur le marché, qui peut se retrouver n'importe où. Par exemple, on retrouve les huiles essentielles en tête de gondole chez Gifi, qui a racheté le laboratoire Mességué, ou dans les stations-service. Or les huiles essentielles sont des principes actifs concentrés. Il suffit de 40 gouttes d'eucalyptus globulus pour provoquer des convulsions sévères.

La réglementation sur les huiles essentielles impose qu'elles soient présentées avec une fonction déterminée. Elles ne peuvent être vendues si elles ne sont pas classées dans une des quatre catégories suivantes : ingrédients pour cosmétiques ; ingrédients pour diffusion ; compléments alimentaires ; usages aromatiques. Mais la classification reste difficile à appliquer. Les blogueurs qui suivent la mode du « do it yourself » recommandent leur utilisation dans l'élaboration des cosmétiques faits maison, alors que la réglementation interdit techniquement aux pharmaciens de faire des mélanges d'huiles essentielles.

Comment justifier une telle interdiction, notamment dans les 40 pharmacies de France qui disposent d'un préparateur autorisé ? D'autant que les pharmaciens sont en droit de refuser de pratiquer certaines ventes : j'ai par exemple refusé de vendre 100 grammes d'armoise à des parents qui souhaitaient soigner les coliques de leur bébé, en se fiant à ce qu'ils avaient lu sur l'Internet.

Le manque de réglementation nuit à tout le monde. Quand il s'agit des 148 plantes libérées, rien n'empêche de les vendre et chacun peut faire les mélanges qu'il veut. En revanche, seule une officine habilitée peut introduire une plante du monopole dans un mélange. C'est une aberration car je me fournis chez des pharmaciens qui dépensent jusqu'à 1 000 euros pour analyser chaque lot de plantes et mon officine est la seule à disposer d'un mélangeur de plantes. Même l'industriel qui a un stock de plantes et des mélangeurs à disposition, et qui est audité régulièrement par l'ANSM, n'est pas autorisé à pratiquer ce type de mélange.

Quant aux compléments alimentaires, les pharmaciens ont le droit d'en vendre mais pas de les préparer. Encore une fois, c'est absurde, car tout un chacun peut faire sa préparation dans sa cave, sous réserve de la déclarer. D'où la nécessité d'associer notamment l'ordre des pharmaciens aux discussions.

C'est sans doute par désintérêt que les pharmaciens ont perdu le monopole sur les plantes. L'herboristerie ne représente qu'une faible proportion de l'activité des officines traditionnelles et seulement 20 à 30 % de cette activité dans le cas d'une pharmacie spécialisée. Le monopole sur les huiles essentielles est passé aux industriels, alors même que leur principe actif est concentré ; idem pour les compléments alimentaires.

Il y a aussi un problème de coût : quand j'achète de la semence de fenouil en pharmacie, je la paie entre 14 et 20 euros le kilo car il faut intégrer le coût des contrôles. Et pourtant, il s'agit d'une plante libérée du monopole qui normalement ne vaut pas plus que 3 euros le kilo. Il faudrait développer le circuit court avec les producteurs et avec les herboristes et créer un diplôme complémentaire au diplôme de pharmacien. Enfin, ne nous illusionnons pas : certaines plantes ne pourront jamais réintégrer le monopole, dont la menthe, la verveine et le tilleul.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Vous ne souhaitez évidemment pas que nous empilions un nouveau texte sur ceux qui existent déjà.

M. Cyril Coulard . - Nous souhaitons que les organes institutionnels de la pharmacie harmonisent les règles.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Quelles seraient les évolutions prioritaires ? Les métiers de l'herboristerie sont pluriels. Quels savoirs seraient requis pour les formations diplômantes que vous appelez de vos voeux ? Que pensez-vous du statut de pharmacien-herboriste évoqué par Pierre Champy ?

M. Jacques Fleurentin . - Les formations devront inclure la botanique, la microscopie végétale, mais aussi les composantes chimiques, la physio et la pharmacologie, les risques et les effets secondaires. Le champ est très large. Parmi ceux qui préparent un diplôme universitaire de phytothérapie, on rencontre des pharmaciens, des médecins, des élèves de l'École des plantes, des naturopathes, des infirmières ou des préparateurs en pharmacie.

M. Cyril Coulard . - Il faut qu'il y ait un référent universitaire. Certains n'hésitent pas à s'installer comme thérapeutes après deux mois de formation dans un lycée horticole. On les retrouve à conseiller l'usage d'huiles essentielles pour des enfants en bas âge... D'où la nécessité d'un diplôme reconnu qui prendra en compte la responsabilité pénale.

M. Jean-Luc Fichet . - Merci pour vos interventions. Le secteur des compléments alimentaires constitue une zone floue. Les industriels peuvent les préparer alors que les pharmaciens ne le peuvent pas. La provenance des plantes, la manière dont elles sont cultivées, tout cela reste opaque. En développant une production française, on créerait des emplois et on gagnerait en traçabilité.

Nous ne cessons de faire référence à la profession d'herboriste ; et pourtant, elle reste mal identifiée et n'est pas reconnue. N'importe qui peut se proclamer herboriste car aucun diplôme ne valide le titre. Faut-il commencer par restaurer la profession, puis en travailler le contenu dans un décret ? Ou bien définir d'abord la formation qui conduira au métier ? La différence qui sépare le psychologue du psychiatre constitue un parallèle éclairant. Le champ d'exercice du psychologue est précisément défini et complète celui du psychiatre. Il pourrait en être de même pour l'herboriste et le pharmacien.

M. Daniel Chasseing . - Il est indispensable de développer l'herboristerie si l'on veut valoriser la production. La population le demande. Pourquoi ne pas créer un diplôme d'herboriste en plus du diplôme universitaire de pharmacien ?

Pour ce qui est du psychologue, il ne prescrit pas de médicament, à l'inverse du psychiatre. C'est une différence intéressante. Ne faudrait-il pas prévoir un encadrement des herboristes sous l'autorité d'un pharmacien apte à contrôler d'éventuelles interactions des plantes avec les médicaments ?

M. Guillaume Gontard . - Quelle place donneriez-vous à l'herboriste entre le pharmacien et le médecin ?

La production française locale est de qualité. Comment mieux articuler la pratique de l'herboristerie et cette production locale ?

M. Raymond Vall . - Pour avoir été maire de Fleurance, je connais bien les deux entreprises qui y commercialisent des plantes et des compléments alimentaires. L'une d'entre elles a été reprise par M. Ginestet, de sorte qu'elle ne passe plus par Gifi mais fonctionne avec son réseau spécifique. Les volumes de production sont importants. La commercialisation en ligne se développe. À Fleurance, l'activité représente 100 millions d'euros de chiffre d'affaires. Comment positionner les entreprises ?

M. Cyril Coulard . - Depuis 2015, la production de compléments alimentaires est soumise au contrôle de la DGCRF, par le biais d'un dossier « plantes » compliqué à établir. Récemment encore, Cooper Industrie a refusé de me communiquer des informations sur ses méthodes de récolte, au prétexte qu'elles étaient confidentielles. Je les ai mis directement en contact avec la DGCCRF.

Le marché est réservé aux grands groupes comme Evalar et les industriels ont les coudées larges car le secteur du complément alimentaire naturel est particulièrement rentable, avec une croissance à 2 chiffres. La France ferme la porte aux petits producteurs : voyez Thierry Thévenin, le président du Syndicat des Simples. Les parties non rentables, comme les plantes sèches, ont été délaissées.

Le parallèle avec les métiers de psychologue et de psychiatre est intéressant. On pourrait autoriser l'herboriste à délivrer les 148 plantes libérées du monopole, même si la liste reste à revoir, par exemple en ce qui concerne le millepertuis.

M. Jacques Fleurentin . - Il n'est pas libéré mais on le trouve partout.

M. Cyril Coulard . - Il est utilisé dans les compléments alimentaires et il est vendu dans tout le réseau bio alors qu'il inhibe les effets des pilules progestatives.

Il est essentiel de définir des critères de qualité et de constituer un syndicat français qui fera le lien entre les petits producteurs, analysera leurs productions. C'est grâce à cet organe central que l'on pourra développer la filière de l'herboristerie. Il m'arrive chaque semaine de devoir refuser d'acheter du tilleul ou des mauves à un petit producteur, faute de certificat.

M. Jacques Fleurentin . - Il faudrait aussi définir les produits de santé qu'un herboriste pourra dispenser. Créer un diplôme sans préciser ni la formation ni les débouchés me paraît compliqué.

En ce qui concerne les compléments alimentaires, nous devons faire preuve de vigilance à l'égard des lobbies agro-alimentaires, prêts à s'engouffrer dans la filière dans le seul but de s'enrichir.

Les outre-mer occupent une place particulière. Les tisaneurs de La Réunion ou les traditionnels praticiens des Antilles et de Guyane devraient conserver leurs pratiques sans obligation de diplôme.

M. Cyril Coulard . - On peut imaginer un diplôme qui validerait trois niveaux. Les producteurs cueilleurs seraient soumis à des critères d'analyse et de contrôle, afin d'éviter des situations à l'issue tragique, comme lorsqu'on confond des carottes sauvages avec de la ciguë. Les herboristes trouveraient leur place aux côtés des pharmaciens car les deux mondes ne s'opposent pas - je l'ai constaté, il y a deux ans au congrès des herboristes. Un herboriste devrait pouvoir accéder au comptoir d'une officine. Enfin, le pharmacien-herboriste aurait accès à l'intégralité des plantes.

M. Jacques Fleurentin . - Des organismes comme France Agrimer ou la Fédération nationale des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (FNPAPAM) pourront servir de points d'appui. On pourrait imaginer d'accorder des tarifs préférentiels aux petits producteurs.

M. Cyril Coulard . - Le milieu pharmaceutique est très contrôlé. La même exigence doit s'appliquer pour l'herboristerie. Une ancienne collègue, partie travailler en herboristerie, a démissionné lorsqu'elle a constaté la présence de moisissures dans les préparations. Les poudres se contaminent très rapidement. Il faut un organisme de contrôle pour garantir la qualité de la filière et éviter des scandales sanitaires.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Nous vous remercions pour ces témoignages passionnants.

M. Joël Labbé , rapporteur . - L'exercice était contraint et forcément frustrant. Il était indispensable d'entendre les professionnels que vous êtes, pharmacien et herboriste. Nous avons ouvert une boîte de Pandore et nous devrons avancer collectivement, ce qui nous donnera certainement l'occasion de nous revoir.

M. Cyril Coulard . - Nous restons à votre disposition.

Table ronde autour de M. Thomas Échantillac pour l'Association française des cueilleurs (AFC), Mme Catherine Segretain pour le Mouvement d'agriculture biodynamique (MABD), M. Vincent Segretain pour la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB), Mme Nadine Leduc pour le Comité des plantes aromatiques et médicinales (CPPARM)

Mercredi 6 juin 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Mes chers collègues, notre mission d'information poursuit ses travaux en accueillant des représentants des producteurs et cueilleurs : M. Thomas Échantillac pour l'Association française des cueilleurs (AFC), Mme Nadine Leduc pour le Comité des plantes aromatiques et médicinales (CPPARM), Mme Catherine Segretain pour le Mouvement d'agriculture biodynamique (MABD), M. Vincent Segretain pour la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB).

Le représentant de PPAM de France est finalement excusé.

Cette table ronde fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Je remercie nos intervenants d'avoir accepté de participer à cette table ronde pour nous présenter leurs activités et leurs réflexions.

M. Vincent Segretain pour la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB) . - Mon épouse et moi sommes producteurs en circuit court dans le Puy-de-Dôme depuis 25 ans. J'interviens également en tant que secrétaire national de la Fédération nationale de l'agriculture biologique.

La première carte projetée vous montre la dynamique de la production biologique des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) en France. Présente dans toutes les régions, elle est en pleine évolution.

Les conversions au bio et les premières installations sont nombreuses. Quelques données illustrent cette évolution : 2 248 exploitations PPAM sont engagées en bio en 2016 pour une surface de 7 085 hectares ; 6 % des fermes bio produisent des PPAM, dont plus d'un tiers à titre principal ; 54 % des producteurs de PPAM bio déclarent pratiquer la vente directe ; 18,4 % des PPAM françaises sont produites en bio. Si vous ne retenez qu'un chiffre, ce dernier me semble le plus important.

Près de 63 000 hectares de PPAM sont cultivés en bio en Europe ; la France représente 11 % de cette surface.

La Fédération nationale de l'agriculture biologique est un réseau de producteurs de plantes bio constitué pour soutenir les agriculteurs tant en filière courte que longue. Il accompagne la filière PPAM française sur les volets technique, économique, politique et stratégique : il s'agit de créer, animer et structurer les groupements de producteurs de plantes bio, que ce soit en terme d'accompagnement technique ou de structuration commerciale.

Créée en 2015 à l'initiative du syndicat des Simples, la Fédération des paysans-herboristes regroupe quant à elle l'ensemble des producteurs de plantes (plus de 250) qui ont recours à la vente directe ou en circuit court.

Les paysans cultivent, cueillent et transforment les plantes aromatiques et médicinales de manière artisanale, selon les principes de l'agro-écologie, et contribuent ainsi à la valorisation et à la préservation des ressources naturelles.

Notre principal souci - qui a motivé la création de la FNAB - est de clarifier les modalités selon lesquelles nous pouvons informer les consommateurs sur les usages traditionnels de nos plantes.

Deux enquêtes sont à mentionner au sujet de la règlementation en matière de vente directe : la première est une étude auprès des usagers, dont les résultats vous seront présentés par Carole Brousse et Jean-Baptiste Gallé lors d'une prochaine audition ; la seconde a été lancée en avril 2018 auprès des producteurs en circuit court avec 235 répondants, soit un tiers des producteurs en agrobiologie. Je vais vous en présenter les premiers résultats. 75 % des producteurs ayant participé à l'enquête ont pour activité principale la production, la transformation et la commercialisation de plantes en circuit court ; 87 % d'entre eux ont un label d'agrobiologie ; leur chiffre d'affaires peu élevé est compensé par le fait que leur production nécessite peu d'investissements donc peu d'endettement ; surtout, tous ont recours à une main d'oeuvre importante.

L'enquête a permis de mettre en lumière l'augmentation importante, au cours des dernières années, des installations des jeunes en agrobiologie, sur l'ensemble des départements français. A la question « combien d'espèces de plantes commercialisez-vous en circuit court ? », 69 % des producteurs ont répondu de 10 à 50 espèces, 16 % de 50 à 200 et 2 % plus de 200. Plus de 80 % vendent des plantes sèches, donc peu transformées, mais la moitié d'entre eux vendent aussi des huiles essentielles et des préparations complexes (comme les hydrolats, vinaigres et macérâts) à côté d'autres produits raffinés comme des cosmétiques (plus de 40 %) ou des préparations alimentaires (40 % environ).

On apprend aussi que, selon eux, la règlementation - multiple et complexe - représente le principal problème pour commercialiser les plantes. Les réponses évoquent principalement les interdits, notamment l'interdiction de pouvoir donner des conseils aux usagers, et la lourdeur de la règlementation, eu égard à leurs petits volumes de production (notamment pour la vente de cosmétiques).

La majorité des producteurs (67 %) vendent leurs plantes en direct sur les marchés, à la ferme, sur des salons ou des foires, ce qui ne les empêche pas de passer également par le biais de magasins (pour 82 % d'entre eux).

En tout état de cause, que ce soit à la ferme ou en magasin, 88 % des producteurs disent donner des conseils ou des informations sur les produits qu'ils vendent.

Plus de la moitié ont une formation initiale agricole spécialisée en plantes et plus d'un tiers ont une formation en herboristerie. Il me semble important de souligner que presque toutes les personnes interrogées disent rechercher une formation supplémentaire. C'est donc une profession où la demande de formation continue est permanente.

Parmi les centres de formation professionnelle agricole spécialisés en PPAM, dont les trois principaux (dans la Drôme, dans le Jura et en Auvergne) forment plus de 120 étudiants sur des formations longues de 8 à 10 mois, l'enquête a confirmé que le nombre de personnes formées était partout en augmentation. Les informations recueillies auprès du centre de formation de Montmorot, dans le Jura, sont significatives : les trois-quarts des personnes qui y ont suivi une formation travaillent dans la filière ; plus de la moitié sont installés sur des circuits courts, ce qui est nouveau. A cet égard, les producteurs en circuit court disent recevoir de plus en plus de jeunes, stagiaires, qui souhaitent s'installer en circuit court ; sur les 20 étudiants, 17 disent vouloir être reconnus comme paysans-herboristes et approfondir leurs connaissances. La reconnaissance de leur métier fait partie de leur préoccupation.

A cet égard, le centre de formation de Nyons dans la Drôme va proposer un cycle de formation intitulé « transmettre les savoirs populaires », valeur qui est au coeur de l'herboristerie.

Mme Catherine Segretain pour le Mouvement d'agriculture biodynamique (MABD) . - Productrice en Auvergne depuis 25 ans, notre exploitation repose sur le travail de trois personnes, dont une salariée à mi-temps, pour produire une centaine de plantes, sur un hectare de culture dont un quart de cueillette sauvage.

Nous cueillons et conditionnons les plantes en sachets à la ferme. Nous les vendons en circuit court, directement à des particuliers ou en magasin d'alimentation bio, tel que Biocoop. Il nous arrive de vendre des plantes en vrac à des professionnels, pour la restauration, la fabrication de savon ou le soin aux vignes par exemple.

Je suis membre du conseil d'administration de la Fédération des paysans-herboristes et je représente ici la voix du Mouvement d'agriculture biodynamique (MABD). Je n'ai pas toujours été agricultrice mais j'ai toujours travaillé autour des plantes : d'abord en tant que chargée d'études sur le développement de la filière PPAM Ardèche, puis au sein d'un petit laboratoire pharmaceutique, pour la fabrication d'extraits hydro-alcooliques de plantes.

Au cours de ma formation en agriculture biodynamique, j'ai fait un stage dans une petite exploitation d'un hectare en circuit court. Ça a été le déclic : j'ai découvert des gens qui vivaient à 100 % de cette activité et c'est à la suite de cela que je me suis installée. C'est toujours un bonheur, même si ce métier demande beaucoup de ténacité et une passion intacte pour les plantes.

Les obstacles en circuit court sont, en effet, nombreux. Et le premier réside dans la réglementation, en partie obsolète et illogique pour nous : l'interdiction de donner des conseils sur les plantes est, en particulier, particulièrement handicapante. Les consignes des agents de la DGCCRF, selon lesquels les consommateurs doivent se renseigner sur Internet, préalablement à l'achat des plantes en magasin, illustre cette incohérence.

Parmi les 148 plantes « hors monopole pharmaceutique », on en trouve une soixantaine dans les supermarchés : en particulier les plantes alimentaires, telles l'ail ou le fenouil, ou les plantes aromatiques couramment utilisées dans la cuisine (rose, menthe). Finalement, très peu de plantes sont réservées aux herboristes. D'autant que cette liste ne prend pas en compte la production des outre-mer.

Au titre des incohérences de cette liste, notez, par exemple, que, si vous voulez acheter du pissenlit, vous pouvez venir chez moi pour la feuille, mais pas pour la racine qui ne fait pas partie de la liste, alors que c'est elle qui entre dans les préparations traditionnelles.

Nous ne produisons pas de cosmétiques et heureusement car, là encore, la réglementation qui s'applique est extrêmement lourde pour les petites structures !

Ceci renvoie à la complexité engendrée par la segmentation de la réglementation : à chaque usage correspond une réglementation, alors même qu'une même plante a plusieurs usages.

Sur le plan agricole, les producteurs en circuit court travaillent sur des petites, voire des très petites surfaces. La production repose donc essentiellement sur le travail de la main-d'oeuvre, puisque tant la cueillette que le séchage, le tri des plantes, leur transformation, ne peuvent se faire que manuellement.

C'est un travail artisanal qui demande beaucoup de précision. Même si, comparativement à des pays comme la Chine ou l'Inde, l'importance de la main-d'oeuvre peut représenter un handicap, nous parvenons néanmoins à valoriser ce travail et la qualité des produits auprès des consommateurs, qui considèrent le respect de la plante comme une composante du prix à payer.

En ce sens, je considère ce savoir-faire artisanal comme une valeur ajoutée et pas comme un poids, ce qui correspond d'ailleurs à une véritable demande de « consommer local » que nous contribuons à soutenir et à transmettre par le respect de l'agro-écologie.

L'avantage d'être positionnée en circuit court, c'est la proximité avec le consommateur. Nous savons pour qui nous prenons soin de nos plantes. Derrière le geste, il y a des noms et des visages. Parallèlement, les personnes qui achètent nos plantes savent l'importance que nous leur donnons et la considération que nous leur portons.

Je voudrais insister, en guise de conclusion, sur la notion de bien commun de l'humanité : les plantes sont notre bien commun. Pour moi, la question est : comment faire pour préserver collectivement ce bien commun en France et à l'échelle planétaire ?

M. Thomas Échantillac pour l'Association française des cueilleurs (AFC) . - Je vais vous présenter l'activité de cueillette.

Une partie importante et non chiffrée à ce jour de la production des PPAM est issue de prélèvement de la flore spontanée en France. Je parlerai malheureusement uniquement de la France métropolitaine, n'ayant pas de contact avec le monde ultra-marin. Le champ d'utilisation des plantes sauvages est très large : denrées alimentaires, cosmétiques, compléments alimentaires, médicaments homéopathiques, parfums...

Cueillir des plantes dans la nature est une activité pratiquée depuis des millions d'années, pour se nourrir, pour se soigner, entre autres usages. Ce sont des gestes transmis par les générations précédentes. C'est une activité qui se professionnalise depuis quelques décennies, en réponse à une demande croissante.

La particularité de la cueillette professionnelle en France est qu'elle est pratiquée par choix, par des personnes indépendantes. Cueillir est un métier qui demande de nombreuses compétences. Il existe plusieurs profils parmi les cueilleurs professionnels : certains cueillent avec une valorisation des produits en vente directe, d'autres répondent aux besoins des industriels.

Malgré nos différences, nous avons conscience qu'il existe une seule ressource commune. Face à l'augmentation permanente de la demande, et en réaction au développement de ce qui nous a semblé constituer des « mauvaises pratiques », nous nous sommes rassemblés au sein de l'association française des professionnels de la cueillette sauvage (AFC) dans le but de préserver cette ressource et de valoriser notre métier.

Notre activité dépend de cette ressource mais il faut bien voir qu'aujourd'hui, la cueillette est loin d'être la première menace sur les milieux naturels : l'urbanisation et certaines pratiques agricoles, pastorales ou forestières, sont des facteurs important de la destruction des milieux dans lesquels nous cueillons les plantes.

Nous avons recensé 721 espèces de plantes sauvages récoltées sur le territoire métropolitain, soit plus de 10 % de notre biodiversité. La protection des espèces menacées en France est encadrée par le code de l'environnement et de nombreux arrêtés ministériels et préfectoraux. L'AFC dialogue aujourd'hui avec le ministère de la transition écologique et solidaire pour l'actualisation de cette règlementation.

En tant que cueilleurs, nous sommes partie prenante des milieux naturels dans lesquels nous intervenons. Ce lien direct à la nature, qui nous anime, nous donne plusieurs fonctions : nous sommes les maillons d'une chaîne de transmission de savoirs et savoir-faire anciens ; nous sommes des témoins de la réduction des espaces sauvages, de la disparition de certaines espèces ; nous sommes un vecteur important de lien à l'environnement pour tous les publics ; nous sommes des acteurs du développement rural et local.

Cette dimension sensible est partagée par l'ensemble des cueilleurs de l'AFC. Depuis la création de notre association, nous avons le souci d'être et d'agir dans le respect et la protection de l'environnement d'une part, et d'autre part de garantir le renouvellement de la ressource.

Nous souhaitons donner une visibilité à notre profession afin de limiter les « mauvaises pratiques », qui sont encouragées par les arguments économiques de certains industriels. Quelle que soit la filière de commercialisation, la traçabilité des plantes ne doit pas être négligée, les sites doivent être respectés.

Nous avons pu travailler ces cinq dernières années sur ces problématiques grâce à un projet de recherche-action porté par l'université de Lausanne et financé par la fondation d'entreprise Hermès, en partenariat avec AgroParisTech, le Conservatoire national botanique des Pyrénées et de Midi-Pyrénées et du conservation national des plantes à parfum, aromatiques et médicinales de Milly-la-Forêt.

Nous avons ainsi rédigé une charte et travaillons à un guide de bonnes pratiques de cueillette, qui contient des fiches techniques. Ces outils sont le fruit d'une longue réflexion et de notre expérience de terrain. Ils nous paraissent incontournables pour une gestion intelligente de cette ressource sauvage, en concertation avec les gestionnaires de l'environnement.

Je voudrais à présent vous parler davantage de mon activité.

Je me définis comme cueilleur-distillateur. Je suis basé dans la Drôme. Je cueille au cours de la saison une cinquantaine de références. Je me suis par exemple extrait de ma cueillette de tilleul pour vous rejoindre aujourd'hui. J'ai une gamme en vente directe d'huiles essentielles, d'hydrolats, de baumes et de crèmes. Je les vends sur les marchés, les foires et en réseau de boutiques, dans le cadre d'un groupement de producteurs. Je suis donc un paysan-herboriste.

En quelques années, nos produits ont retenu cinq fois l'attention des services de la répression des fraudes sur les lieux de vente, non pas que nos produits soient réellement non-conformes (nous n'avons reçu qu'un seul rapport de leur part), mais en raison de normes très diverses qui s'appliquent à chaque spécialité. La diversité règlementaire liée à la nature de nos produits est extrêmement lourde pour les très petites structures. Ces règlementations sont souvent conçues pour les industriels.

Ainsi, les huiles essentielles et hydrolats que nous produisons peuvent être utilisés de différentes manières par le consommateur : alimentaire ou cosmétique notamment. Or, la réglementation nous impose un étiquetage unique. Il m'a été demandé d'apposer quatre étiquettes différentes sur mes flacons d'huile essentielle de lavande. Mais le consommateur n'en achètera qu'un flacon à la fois et ne peut avoir une information complète !

Nos baumes naturels à la cire d'abeille sont sujets à la même règlementation cosmétique harmonisée au niveau européen, qui nous impose des dossiers, analyses et expertises inadaptées à des préparations traditionnelles. Les coûts engendrés peuvent être supportés par des industriels mais non par des paysans-herboristes.

La règlementation concernant l'information sur les vertus des plantes ne nous permet pas de donner l'information pertinente que le consommateur attend. La règlementation des allégations nutritionnelles et de santé, conçue pour limiter la publicité mensongère et protéger les consommateurs, n'est pas adaptée aux produits traditionnels à base de plantes. Elle a un effet contre-productif dans la mesure où elle favorise les mésusages.

De nombreux porteurs de projet à travers la France entière sont aujourd'hui effrayés par ces règlementations. Or ces porteurs de projet sont les garants de l'avenir de nos savoirs et savoir-faire autour des PPAM. Nous espérons que le cadre règlementaire puisse s'adapter à nos pratiques de paysans-herboristes afin de développer ce métier d'avenir qui répond à une demande sociétale.

Mme Nadine Leduc pour le Comité des plantes aromatiques et médicinales (CPPARM) . - Je représente ici le Comité économique des plantes aromatiques et médicinales qui regroupe l'ensemble des organismes de production au niveau national et travaille en partenariat avec différentes associations interprofessionnelles sur l'ensemble du territoire.

Présidente de l'Iteipmai (Institut technique interprofessionnel des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles) pendant 15 ans, j'ai également été formatrice auprès de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or, ce qui m'a amenée à accompagner un certain nombre de projets d'installation. Mais je suis surtout agricultrice depuis 25 ans. Mon exploitation se situe en Bourgogne, sur le massif du Morvan. Travaillant sur dix hectares en agriculture biologique en zone de montagne, je vends dans des circuits longs, principalement à des négociants-herboristes, des laboratoires pharmaceutiques, des PME qui travaillent les extraits végétaux pour des utilisations en cosmétique, sous la forme de compléments alimentaires ou pour de nouveaux usages en remplacement des produits de synthèse notamment.

Mon exploitation, sur laquelle travaillent deux familles, soit trois personnes à temps plein, a commencé par de la cueillette sauvage puis s'est développée par de la mise en culture pour répondre à ces marchés.

Dans notre filière, on compte une multiplicité de plantes (une centaine de plantes de cueillette) qui débouche sur plus de 1 500 produits différents et de multiples usages. Des organismes aux profils très variés, tant par leur taille que par leur balance commerciale, ainsi que par les marchés qu'ils abordent, interviennent sur ce secteur.

On retrouve cette hétérogénéité au niveau de la production puisque les exploitations vont des paysans-herboristes jusqu'à de grandes exploitations avec des ateliers diversifiés, où la production de plantes côtoie de la culture ou de l'élevage, du maraîchage ; il existe aussi des productions spécialisées en plantes comme la mienne.

Ce qui nous relie, malgré nos différences, c'est le même attachement à ce métier, aux plantes et la volonté de développer cette filière sur le territoire français.

Que ce soit en circuit court ou long, l'importance de la qualité de la production et de la valeur intrinsèque des plantes, que nous nous attachons à garantir à nos clients, est la même. Sur un marché ouvert à la concurrence au niveau mondial, cela nous oblige à être à la fois performants, professionnels et à fournir des variétés adaptées à la demande. Il est important de maintenir cette dynamique.

La production des PPAM est une des rares filières agricoles à être en plein développement : à l'engagement des producteurs, répond une demande sociétale forte. Il est donc temps qu'un accompagnement structurel vienne soutenir cette dynamique, pour nous permettre de consolider notre développement et notre positionnement en Europe. Cette filière a aussi le mérite de maintenir une activité dans certains territoires où d'autres activités agricoles ne seraient pas toujours rentables.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci pour vos présentations synthétiques, empreintes d'une forte passion pour les plantes qui se ressent dans vos propos. J'ai quelques questions à vous poser, auxquelles vous avez déjà partiellement répondu. Quelles sont vos pistes de réflexion pour encourager le développement de la filière biologique et protéger la ressource ? Plus généralement, quelles évolutions seraient utiles selon vous pour structurer la filière PPAM ? Que pensez-vous de l'offre actuelle de formation dans les écoles d'herboristerie ou les Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole (CFPPA) ? Cela répond-il à vos attentes et à vos besoins ? Enfin, faut-il reconnaître un statut de paysan-herboriste ? Le cas échéant, quels en seraient les contours, les modalités d'exercice et le socle de connaissances ?

Mme Nadine Leduc. - Sous l'angle des circuits longs, on constate une forte croissance de la filière depuis dix à quinze ans, de l'ordre de 25 % concernant la production agricole. En aval, le secteur industriel se développe dans la même mesure. Ces croissances très importantes ne sont pas seulement liées à l'existant, mais aussi à de nouvelles installations. Globalement, il s'agit de productions peu gourmandes en surface agricole, qu'il est possible de compléter par une activité de cueillette. Le développement est également sensible quand on regarde le nombre d'exploitations agricoles.

M. Vincent Segretain. - Comme la demande est grandissante, il y a un travail important à mener sur la mise en culture de plantes sauvages. Cette demande n'est d'ailleurs pas simplement conjoncturelle, elle correspond aussi à un besoin de se rattacher aux choses de la vie : notre clientèle souhaite comprendre comment poussent les plantes.

Concernant l'offre de formation, le travail engagé avec le CFPPA de Nyons me semble très intéressant, en ce qu'il répond à une demande des producteurs.

M. Louis-Jean de Nicoläy . - Merci à nos interlocuteurs qui nous font devenir de plus en plus passionnés par l'herboristerie et les plantes médicinales. Je voudrais bien comprendre votre mode de fonctionnement, en dehors des circuits courts. Lorsqu'on a dix hectares et une centaine de plantes, quelle organisation cela nécessite-t-il de mettre en place ? Au moment de l'installation dans un secteur géographique, la possibilité de disposer de moyens de transformation est un critère important, quelles sont les régions les mieux équipées en la matière ?

Mme Élisabeth Lamure . - Dans vos exposés, vous avez presque tous mentionné l'excès de réglementation : avez-vous identifié si celle-ci était d'origine française ou européenne ? S'agit-il de surtransposition ? En ce qui concerne la relation avec le consommateur, est-ce l'information ou bien le conseil sur la plante qu'il vous est interdit de donner ? Y aurait-il donc quelques hors-la-loi ?

Mme Marie-Pierre Monier . - Je ne vais pas revenir sur la place récurrente de la Drôme dans notre mission d'information ! Au fil des auditions, on sent bien l'attachement de tous ceux qui travaillent dans les métiers de l'herboristerie. Il nous faut maintenant préciser comment organiser la formation à différents niveaux. Je m'interroge sur la part des plantes issues de l'agriculture biologique dans la cueillette des plantes sauvages, et plus généralement le rapport entre les plantes bio et non bio. Pouvez-vous également nous en dire un peu plus sur la préservation de la biodiversité et l'évolution de la ressource en plantes ?

M. Jean-Pierre Leleux . - Je suis frappé par la motivation profonde de l'ensemble des acteurs de la filière. Un des freins à votre développement réside dans la règlementation. Pour l'assouplir, nous avons besoin de savoir ce que vous sentez légitime ou pas. Une première règle porte sur l'interdiction frappant la vente libre d'un certain nombre de plantes. Une autre, plus complexe, relève des directives européennes prises dans le but de la protection du consommateur et de la santé : les restrictions actuelles vous semblent-elles légitimes ? Avant la mise sur le marché, comment procédez-vous pour démontrer qu'un produit n'est pas allergène ni toxique ? Est-ce à vous d'apporter la preuve du risque éventuel selon le dosage et l'usage qu'il en est fait ? Tout en respectant les objectifs de protection des consommateurs, comment clarifier ces règlementations pour ne pas décourager ceux qui voudraient développer des projets ?

M. Guillaume Gontard . - Merci aux intervenants pour leurs explications et la passion qu'ils expriment. Sur les difficultés éventuelles dans l'installation, existe-t-il une problématique d'accès au foncier ? Est-ce possible d'exercer cette profession en l'associant à d'autres, comme le maraîchage par exemple ? Au vu de la complexité de la règlementation, est-ce grâce au regroupement que la mise sur le marché d'un produit se trouve facilitée ?

M. Maurice Antiste . - Comme mes collègues, j'ai ressenti largement cette passion que vous dégagez. Vous cueillez ce que vous plantez, mais vous arrive-t-il d'aller dans d'autres lieux pour découvrir de nouvelles plantes ? Quel est le poids des plantes tropicales dans vos activités ? Vous avez tous évoqué les difficultés de la règlementation : seriez-vous prêts à nous produire une petite note nous expliquant ce que vous attendez d'une législation nouvelle ?

M. Daniel Laurent . - Dans la filière des plantes médicinales, êtes-vous amenés à utiliser des traitements à base de bouillie bordelaise ? Car dans la production biologique, le cuivre appartient actuellement aux produits mis à l'index.

Mme Catherine Segretain. - La question de la règlementation est un sujet complexe et nous organisons régulièrement des sessions de formation pour permettre aux producteurs de s'y retrouver. Pour ce qui concerne la liste des plantes sorties du monopole pharmaceutique, cela relève de la règlementation française ; pour l'aspect cosmétique en revanche, la règlementation est d'origine européenne. La liste des 540 plantes autorisées dans les compléments alimentaires dépend elle de la règlementation française, bien qu'il y ait des rapprochements avec la Belgique et l'Italie sur le sujet.

Nous n'avons pas le droit de donner d'indication ou de conseil sur les plantes vendues, seuls les pharmaciens d'officine disposent de cette faculté. Je pense par ailleurs qu'il serait loisible de réfléchir à une évolution de la liste des plantes autorisées, qui mériterait d'être actualisée. Sur l'aspect cosmétique, il serait intéressant de voir comment organiser des procédures allégées pour les petites structures. Un paysan-herboriste travaille avec des produits traditionnels, en transformant la plante qu'il a cueillie. Ce producteur est toutefois soumis à une étude toxicologique, ce qui suppose d'avoir recours à un expert agréé.

Le syndicat Simples s'est beaucoup investi ces dernières années sur le sujet de la règlementation et la mise en place d'initiatives collectives. La mutualisation de l'évaluation toxicologique des produits est une piste pertinente. La plupart des produits avec lesquels nous travaillons sont simples et traditionnels, d'où la nécessité de trouver des procédures adaptées et simplifiées.

Mme Nadine Leduc. - Vous vous interrogiez sur la différence en termes de viabilité économique entre une exploitation en vente directe avec un grand nombre de plantes et une exploitation de dix hectares comme la mienne. En circuit long, il ne m'est pas possible de produire une centaine de plantes, tant en raison des aspects qualitatifs que quantitatifs auxquels nous devons répondre. Il y a un véritable maquis règlementaire qui touche les arômes alimentaires d'une part, les compléments alimentaires, les substances dangereuses et les huiles essentielles d'autre part.

Dans le cas d'un circuit long, je ne m'expose pas à cette situation dans la mesure où je ne vends pas au consommateur. En revanche, mes clients - négociants-herboristes, pharmaciens ou PME - supportent le poids de cette règlementation, en devant mettre en place un service qualité et une équipe dédiée au contrôle de la valeur qualitative de la plante afin d'offrir le maximum de sécurité au consommateur. Cela dit, la tentation de reporter la responsabilité sur le producteur n'est pas absente.

J'ai donc un certain nombre de règles à respecter : dans le secteur médicinal, je vais devoir répondre à des normes de pharmacopée tant européennes que françaises. Pour les compléments alimentaires, je suis obligée de me soumettre à des normes liées aux résidus - pollution par une autre plante, à l'instar des alcaloïdes comme les séneçons. D'autres problèmes proviennent de l'environnement : les plantes ayant un rôle phytoremédiateur fixent des molécules présentes naturellement dans les sols - plomb, arsenic - avec pour conséquence d'avoir un lot déclaré impropre à la vente.

Enfin, pourquoi je ne ferais pas une centaine de plantes sur mon exploitation ? Comme le travail s'opère à la fois sur des volumes quantitatifs et qualitatifs, on est contraint de réduire le nombre de plantes pour des questions purement économiques, en raison du nombre d'itinéraires techniques différents, d'analyses et de procédures administratives de traçabilité à mener.

M. Vincent Segretain. - Nous sommes en effet directement sanctionnés dans ce domaine : avec les plantes, il existe une obligation de résultat. Entre le bio et le non bio, beaucoup de travail a été mené par les instituts techniques sur le désherbage chimique.

Nous sommes tout à fait favorables pour vous fournir des propositions en ce qui concerne la règlementation. Sur les outre-mer, nous avons un attachement personnel fort avec la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes également allés en Martinique cet hiver et en avons profité pour rencontrer des producteurs de plantes. La richesse de la ressource est considérable et constitue un bien de l'humanité qui mérite d'être protégé. Nos amis kanaks connaissent par exemple le drame du piratage de biens, qui frappe le bois de santal notamment. La vente s'opère par famille ou par tribu, c'est un travail traditionnellement dévolu aux femmes, avec des gestes et un regard bien particuliers. Sur le traitement au cuivre enfin, qui concerne la feuille de vigne rouge entre autres, le travail en circuit court permet d'avoir d'un côté un lien direct avec la clientèle et de bien connaître de l'autre nos producteurs, en revenant toujours aux mêmes endroits, ce qui constitue une garantie de qualité.

M. Thomas Échantillac . - L'activité de cueillette peut être pratiquée seule ou en complément d'une activité de culture et de production. Les questions de transport sont un point critique. Des transports peuvent être dépêchés mais les producteurs se situent en général à proximité des distilleries avec lesquelles ils travaillent.

La réglementation sur les cosmétiques est en effet européenne. Toutefois, d'après nos échanges avec la DGCCRF, des aménagements pourraient être envisagés pour les paysans-herboristes qui vendent leurs produits sur des territoires très limités. Nous pouvons vous fournir une note sur le sujet.

La plupart des cueilleurs font certifier leurs cueillettes en bio. L'obligation de résultats et non seulement de moyens est vraiment un point particulier à notre filière.

Le ministère de la transition écologique et solidaire nous a consultés sur l'arrêté « cueillette » publié en novembre 2017. Nous avons participé à l'établissement de la liste des plantes cueillies, auxquelles nous avons appliqué un indice de pression de la cueillette et de rareté, dans un objectif de préservation de la ressource.

Donner une allégation de santé sur une plante est assimilé à une pratique illégale de la pharmacie. Nous n'avons aucune intention de prétendre exercer la pharmacie ou la médecine. En revanche, il nous semble important de pouvoir informer sur la nature de nos produits.

Des clients nous sollicitent régulièrement sur de nouvelles références de produits, ce qui nous conduit à développer un lien très fort avec les différents acteurs du territoire.

M. Jean-Luc Fichet . - J'ai peur que l'on se perde dans des questions qui ne relèvent pas du ressort de notre mission. Parle-t-on d'une réglementation ou d'éléments relevant d'un cahier des charges fixé par ceux qui, en aval, vont utiliser vos plantes ? Par ailleurs, nous parlons d'une profession qui n'existe pas. Faut-il créer des paysans-herboristes, des commerçants-herboristes ou encore des transformateurs-herboristes ? Ou bien faut-il créer une seule et même profession d'herboriste qui recouvrirait un ensemble de compétences, permettrait de certifier la démarche et de définir les contours d'une formation ?

Les allégations de santé sont interdites : comment faire en sorte que demain ce soient des conseils autorisés ?

M. Jean-Pierre Leleux . - Vous n'avez pas le droit d'indiquer les vertus potentielles des plantes que vous cultivez et vendez. Qui vous l'interdit ? Qui pourrait assurer que telle ou telle plante est bonne pour la santé ? Comment faire certifier ces vertus médicinales par un organisme ?

Mme Patricia Schillinger . - Quel est l'état de la réglementation en Allemagne et en Autriche, où l'intérêt pour les plantes est important ? Pourrait-on tendre vers ces modèles ?

Mme Corinne Imbert , présidente. - J'ajouterai une dernière question. Chez combien de producteurs intervenez-vous en tant que cueilleurs ?

Mme Catherine Segretain . - Nous avons un statut d'agriculteur. Nous pouvons vendre 148 plantes inscrites sur une liste : est-ce une bonne chose de pouvoir vendre ces plantes sans capacité à délivrer un conseil ? Je pense que non. Cette situation est contreproductive au regard de l'objectif de protection du consommateur.

Parallèlement, 540 plantes peuvent être vendues sous forme de compléments alimentaires comportant des allégations. L'ensemble doit être remis à plat.

Le cahier des charges du syndicat Simples concerne la façon de produire, cueillir ou sécher. Les problèmes de réglementation se concentrent essentiellement sur les questions de vente au public. La DGCCRF relève les infractions et contacte l'inspection de la pharmacie qui peut intenter une action en justice.

Les paysans-herboristes demandent à pouvoir vendre des plantes dont les usages, souvent traditionnels, sont reconnus. Nous travaillons à un registre en liaison avec les pharmaciens. A priori, une telle base de référence existe en Allemagne ou dans d'autres pays.

La formation pour les producteurs sur laquelle nous travaillons doit permettre de bien faire la limite entre ce qui relève du paysan-herboriste et les situations dans lesquelles la personne doit être adressée vers un professionnel de santé. Il faut absolument continuer de travailler avec des pharmaciens sur ce sujet.

M. Vincent Segretain . - Notre positionnement en tant que producteur est bien sur des produits traditionnels, comme une huile à l'arnica, et non sur des produits innovants. Il s'agit de conseiller par exemple une mélisse pour des problèmes de digestion, ce qui ressort davantage du domaine du bien-être.

Un wikisimples se met en place. Nous travaillons avec des pharmaciens sur ce registre d'information.

En réponse à M. Gontard, la dynamique est aujourd'hui intéressante. Des communes peuvent proposer des aides pour l'accès au foncier notamment, les besoins en foncier étant réduits pour des producteurs en circuit court.

Concernant la situation dans les autres pays européens, une étude de FranceAgriMer est en cours mais elle porte davantage sur les compléments alimentaires que les circuits courts. En Belgique, un diplôme d'herboriste est reconnu, mais la vente directe a disparu. Il nous faut donc être novateur.

En tant que cueilleurs en circuit court, sur des quantités assez restreintes, nous connaissons très bien les agriculteurs ou forestiers chez lesquels nous ramassons. Pour les cueilleurs professionnels en circuit long, les plantes sont souvent ramassées puis expédiées sous forme congelée. Ils travaillent avec un réseau de transformateurs partout en France.

M. Thomas Échantillac . - Le cahier des charges des Simples concerne les aspects d'éthique et de qualité. La réglementation européenne concerne les paysans-herboristes. Ces derniers doivent être distingués des herboristes de comptoir et encore des pharmaciens-herboristes. Tout le monde a sa place, nous sommes complémentaires.

Pour ma part, je cueille sur plusieurs centaines de sites de diverse nature. La charte de l'association française des cueilleurs nous engage à aller à la rencontre des acteurs.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Merci à tous les intervenants. Nous nous constituons au fil des auditions une culture de l'herboristerie.

Vous souhaitez évoluer en liaison avec les pharmaciens : c'est en effet en travaillant tous ensemble que les choses pourront avancer.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Il me reste à vous remercier. Nous poursuivons nos travaux la semaine prochaine.

Table ronde autour de Mme Carole Brousse, docteur en anthropologie sociale, M. Jean-Baptiste Gallé, pharmacien et docteur en chimie des substances naturelles et Mme Isabelle Robard, docteur en droit et avocat en droit de la santé

Mercredi 13 juin 2018

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M. Louis-Jean de Nicolaÿ , vice-président . - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux. Je vous prie de bien vouloir excuser notre présidente Corine Imbert retenue par une obligation dans son département et qui m'a demandé de présider cette table ronde.

Nous accueillons Mme Carole Brousse, docteur en anthropologie sociale, dont la thèse a porté sur l'herboristerie paysanne en France et qui poursuit ses travaux sur ce sujet en abordant le point de vue des usagers. Ces travaux sont conduits avec M. Jean-Baptiste Gallé, pharmacien et docteur en chimie des substances naturelles. Enfin, Mme Isabelle Robard, docteur en droit, avocate en droit de la santé, est également spécialisée sur les questions qui intéressent notre mission.

Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public, que je salue.

Je cède immédiatement la parole à nos intervenants.

M. Jean-Baptiste Gallé . - Nous sommes ici devant vous pour vous présenter les résultats d'une enquête menée pour évaluer les pratiques et les attentes des consommateurs des produits de l'herboristerie. Ce travail d'analyse a bénéficié du soutien de FranceAgriMer.

Avant de vous présenter ces résultats, permettez-moi de me présenter en quelques mots. Je suis pharmacien et à l'issue de mes études de pharmacie, j'ai poursuivi avec un doctorat en chimie des substances naturelles, en pharmacognosie c'est-à-dire la discipline qui étudie les substances naturelles présentant un intérêt thérapeutique. Actuellement, je termine une formation agricole, plus précisément un Brevet Professionnel de Responsable d'Exploitation Agricole (BPREA), diplôme agricole de niveau IV, spécialisé en production de plantes médicinales au CFPPA (centre de formation professionnelle et de promotion agricole) de Montmorot dans le Jura.

À l'issue de cette formation, j'ai le projet de m'installer comme producteur et transformateur de plantes médicinales.

Cependant, malgré mes diplômes de pharmacien et de pharmacognoste, la réglementation actuelle ne me permet pas de vendre d'autres plantes médicinales que les 148 plantes libérées du monopole pharmaceutique et je n'aurai pas non plus le droit de conseiller sur les plantes ou d'indiquer leurs propriétés traditionnellement reconnues et pourtant validées par différents comités d'experts scientifiques, tels que la Commission E en Allemagne, l'HMPC (committee on herbal medicinal products) et l'ESCOP (european scientific cooperative on phytotherapy) au niveau européen.

C'est comme si les compétences et les connaissances acquises et sanctionnées par le diplôme de pharmacien s'évanouissaient une fois passé le seuil de l'officine pharmaceutique ! Pour autant je ne défends pas le fait qu'il faille nécessairement un diplôme de pharmacien pour produire et vendre des plantes médicinales.

À mon avis, le monopole pharmaceutique sur la vente de plantes médicinales a son intérêt pour protéger le consommateur des plantes présentant un réel risque. C'est d'ailleurs ainsi que sont considérées les huiles essentielles, au travers d'une liste négative. À ma connaissance, aucun producteur ne souhaite revenir sur la liste des 15 huiles essentielles du monopole pharmaceutique car elles présentent des risques de neurotoxicité. De la même manière, aucun producteur ne revendique la vente des plantes médicinales appartenant à la liste B de la pharmacopée qui comporte des plantes toxiques dont le risque est plus important que le bénéfice attendu. Il ne serait pas prudent de libérer toutes les plantes de la liste A qui pour certaines présentent aussi des risques élevés, comme par exemple les digitales ou la belladone. Mais d'autres plantes de la liste A comme le bleuet ou le calendula ne nécessitent pas à mon avis, six ans d'études, pour pouvoir être vendu. Néanmoins, une productrice s'est vue forcée, encore la semaine dernière, de retirer ces deux plantes de mélanges qu'elle proposait à la vente car elles font partie du monopole pharmaceutique.

Je pense également qu'il est indispensable pour le consommateur de pouvoir disposer d'informations sur les plantes et les huiles essentielles qu'il achète, à la fois sur leurs propriétés traditionnellement reconnues mais aussi sur les risques potentiels qu'elles représentent en termes de contre-indications et de précautions d'emploi éventuelles.

Nous pourrons revenir sur ces points s'ils suscitent des questions de votre part.

Revenons au point de vue des consommateurs.

Nous ne présenterons ici que les points essentiels de l'enquête et nous tenons à votre disposition un document synthétique réalisé par la Fédération des paysans-herboristes.

Cette enquête a été mise en ligne entre juin 2016 et novembre 2017 et a recueilli au total 1 471 réponses exploitables, ce qui est relativement élevé, étant donné le nombre de questions (79 questions ont été relevées, dont environ la moitié sont des questions ouvertes visant à recueillir des témoignages spontanés des consommateurs de l'herboristerie).

L'objet de cette enquête est de répondre à différentes problématiques : tout d'abord qui sont les consommateurs de plantes médicinales en France ? Quels sont leurs savoirs et leurs pratiques herboristiques ? Comment évaluent-ils les conseils que leur formulent les professionnels de l'herboristerie et que pensent-ils de la qualité des produits qu'ils achètent ? Enfin quelles sont leurs attentes concernant la filière des plantes médicinales ?

À propos du profil des répondants, l'enquête a été diffusée dans toute la France métropolitaine, nous avons eu des réponses dans quasiment tous les départements, avec une plus forte participation dans le quart sud-est et à l'ouest. On note une plus forte participation féminine, de l'ordre de 80 %, une proportion qui se retrouve également dans le public qui assiste aux cours d'herboristerie ainsi que dans les formations de producteurs de plantes médicinales. La moyenne et la médiane d'âge sont de 45 ans, soit à peu près conformes à la population générale. On note également une forte participation du monde rural, représenté par plus de 60 % des répondants. On remarque que les répondants sont principalement de fidèles usagers puisque deux tiers d'entre eux déclarent utiliser des plantes médicinales depuis plus de 10 ans, bien que l'on observe une recrudescence de l'usage de plantes médicinales, en particulier depuis les années 2000.

En termes de représentation des usagers de l'herboristerie, on observe deux approches pour qualifier les raisons de l'utilisation des plantes médicinales : une approche négative, pour un peu moins de la moitié des répondants, qui traduit une méfiance vis-à-vis du médicament de synthèse ou de l'approche allopathique, une certaine crainte des effets secondaires et enfin des situations d'impasse thérapeutique par le biais de la médecine conventionnelle. En revanche, une plus grande proportion des répondants a une approche que l'on pourrait qualifier de positive et naturelle, lorsque l'utilisation des plantes médicinales s'inscrit dans une tradition familiale, suite aux conseils de professionnels ou parce que ces plantes leur permettent une plus grande autonomie dans la prise en charge thérapeutique. Ils déclarent enfin que l'herboristerie est efficace.

La représentation de l'herboristerie est globalement positive, mais 88 % des informateurs estiment qu'un produit réalisé à partir de plantes médicinales comporte un risque d'utilisation tandis que 90 % des Français perçoivent les médicaments comme des produits actifs présentant certains risques d'après l'Observatoire sociétal du médicament.

S'agissant des pratiques des usagers de l'herboristerie, en utilisation régulière se sont essentiellement les tisanes, qui représentent 80 % des pratiques. Viennent ensuite les huiles essentielles (54 %) et enfin les préparations cutanées sous forme de baume et de crème, à visée soit cosmétique soit thérapeutique. D'autres formes sont davantage préconisées en cas de maladie, c'est le cas des teintures mères et des huiles essentielles. Des formes sont enfin d'utilisation plus rare, tels que les sirops, les poudres, les gélules et les ampoules macérats glycérinés.

Parmi les 300 plantes médicinales les plus utilisées, les plantes alimentaires sont les plus courantes, utilisées soit pour leurs propriétés culinaires, comme le thym, soit pour leurs propriétés aromatiques, comme la verveine, le romarin, la menthe ou la mélisse. Sur les 40 plantes médicinales les plus utilisées sous forme de tisane, on observe qu'un quart sont sous monopole pharmaceutique. Ces plantes sont essentiellement utilisées pour des troubles digestifs, des troubles du sommeil et de l'anxiété et des troubles ORL.

En ce qui concerne les huiles essentielles, on retrouve essentiellement la lavande, l'arbre à thé, le ravinstara, la menthe poivrée et la gaulthérie. Les principales indications sont les affections ORL et les états grippaux, les affections dermatologiques, le stress, l'anxiété et les troubles du sommeil ainsi que les problèmes infectieux.

En termes de connaissances, les usagers de l'herboristerie ne sont pas passifs. Ils ont des connaissances sur les propriétés des plantes, qu'ils vont chercher essentiellement dans les livres, en participant à des formations et auprès de professionnels. Enfin, la transmission familiale ou à travers l'entourage est également relativement importante. Seuls 1 % des répondants disent accorder une confiance totale dans les informations qu'ils trouvent sur internet. On évalue l'indice de confiance à 5 sur 10.

Je passe maintenant la parole à Carole Brousse pour la suite de l'enquête.

Mme Carole Brousse . - Je souhaiterais commencer par faire une comparaison entre l'herboristerie et la boulangerie : la boulangerie c'est à la fois le pain et le blé. L'herboristerie, c'est à la fois la tisane et la plante médicinale. Ces deux entités, la plante et la tisane, le blé et le pain, recouvrent des dimensions techniques, scientifiques mais également patrimoniales et symboliques. Et ces deux entités recouvrent également une filière économique : elle part de la semence pour aller jusqu'au sachet de tisane en herboristerie, de même qu'en boulangerie, elle part du grain de blé pour aller jusqu'au pain.

Je file cette métaphore car quand on s'intéresse plus spécifiquement au métier final, boulanger et herboriste, c'est-à-dire celui qui est au contact des clients, on retrouve des ressemblances. En boulangerie, il y a le boulanger mais également le paysan-boulanger. Le boulanger achète sa farine et fabrique son pain. Le paysan-boulanger cultive son blé, produit sa farine et fabrique son pain. Pour l'herboristerie c'est la même chose : il y a des herboristes qui achètent des plantes et vendent des tisanes et il y a des paysans-herboristes qui cultivent et cueillent leurs plantes et fabriquent et vendent leurs préparations. Les paysans-boulangers comme les paysans-herboristes sont à ce titre des « hommes-filières » puisqu'ils interviennent à toutes les étapes du processus de production.

Il y a bien sûr de nombreuses différences entre la boulangerie et l'herboristerie et je reviens sur une en particulier. Je n'ai pas de chiffres, mais je pense qu'il y a en France clairement moins de paysans-boulangers que de boulangers. Or, ce n'est pas nécessairement la même chose pour l'herboristerie. Sur l'ensemble du territoire français, il y aurait entre 700 et 800 paysans-herboristes. À titre d'exemple, à proximité immédiate de ma commune de Corrèze, il y a 5 paysans-herboristes mais aucune boutique d'herboristerie.

Pour autant, les herboristes et les paysans-herboristes ne doivent pas être opposés puisqu'ils exercent leur métier en complémentarité. Si les consommateurs urbains s'adressent surtout à des herboristeries, les consommateurs installés en milieu ruraux s'adressent davantage aux paysans-herboristes. Mais les paysans-herboristes vendent également leurs plantes à des consommateurs urbains. Comme nous allons le voir en détaillant les résultats de l'enquête, les consommateurs cherchent à acheter des plantes médicinales issues de l'agriculture biologique, mais également des plantes locales, cultivées sur leur terroir.

La thèse que j'ai consacrée aux paysans-herboristes m'a permis de détailler la matérialité de leur mode de production : leur rapport à la règlementation et leur engagement pour l'herboristerie. Surtout, elle m'a amenée à appréhender l'étendue de leurs savoirs. En effet, les paysans-herboristes disposent pour la plupart de diplômes agricoles, ils ont donc suivi des formations professionnelles consacrées à la production de plantes médicinales. Ils sont également nombreux à suivre les enseignements par correspondance dispensés par les écoles privées d'herboristerie.

Mais surtout, la formation du paysan-herboriste est une auto-formation au long cours. Avant de s'installer dans leurs activités, les producteurs suivent de nombreux stages chez des paysans-herboristes déjà installés. Ils y apprennent des techniques, ils expérimentent, testent, pratiquent, goûtent les plantes. Une fois installés sur leur propre ferme, ce goût pour le savoir ne les quitte pas. Ils se constituent d'impressionnantes bibliothèques, fréquentent des lieux de savoirs comme le musée ethnologique de Salagon, situé dans les Alpes-de-Haute-Provence, dispensent leurs connaissances dans le cadre d'ateliers qu'ils organisent pour leur clientèle. Certains écrivent des livres, recueillent des témoignages d'usages populaires et beaucoup reçoivent à leur tour sur leur ferme de nombreux stagiaires.

Le deuxième enseignement qui ressort de ma recherche doctorale porte sur l'attachement des paysans-herboristes au monde végétal. Les plantes sont loin d'être considérées comme des outils de travail. Elles sont chéries et choyées. Cela se traduit par des produits herboristiques très qualitatifs et par une attention particulière portée aux questions environnementales. Les paysans-herboristes que j'ai rencontrés travaillent tous dans les conditions de l'agroécologie. Lorsqu'ils cueillent leurs plantes à l'état sauvage, ils prêtent une attention particulière à la gestion de la ressource. Ce rapport particulier au végétal interpelle les consommateurs car ce discours les reconnecte à leur santé, à leur environnement.

Je vais donc reprendre l'analyse des résultats de l'enquête qu'a commencé à vous présenter Jean-Baptiste Gallé.

Comme je vous le disais, les consommateurs sont très attentifs à la qualité des plantes médicinales qu'ils achètent. L'enquête montre que le critère qui détermine le plus leur achat de plantes médicinales porte sur les conditions de culture et de cueillette des plantes. Les informateurs souhaitent consommer des plantes produites dans les conditions de l'agriculture écologique. A contrario, le prix est le critère le moins mentionné par les répondants à l'enquête, donc a priori le moins déterminant dans leur choix de consommation.

Pour identifier les caractéristiques écologiques des préparations herboristiques qu'ils achètent, les consommateurs utilisent et valorisent les labels comme le logo AB, mais aussi les marques privées comme la marque Simples, la marque Nature et Progrès ou encore la marque Demeter.

La moitié des informateurs affirment également que c'est le contact direct avec un producteur qui a le plus d'influence sur leur choix de consommation. Cela montre qu'ils sont en attente et valorisent les circuits courts.

D'ailleurs une large majorité de répondants, près des trois quarts de l'échantillon, affirme utiliser préférentiellement des plantes locales. Cette préférence est en partie motivée par un argument écologique : l'impact énergétique des plantes achetées localement serait moindre que celui des plantes exotiques. En plus de l'argument écologique, les répondants estiment également qu'il y aurait suffisamment de diversité floristique sous nos latitudes pour fournir un panel de plantes médicinales intéressant l'herboristerie.

Les consommateurs sont en attente de conseils concernant les usages des préparations qu'ils achètent. En effet, la grande majorité des informateurs estime qu'un produit réalisé à partir de plantes médicinales comporte un risque d'utilisation. L'enquête a permis de montrer quels sont ces risques pressentis par les consommateurs. Différents types de risques ont été évoqués : le premier porte sur un mauvais dosage. Le deuxième implique l'utilisation de plantes toxiques, allergisantes ou contre-indiquées dans certaines situations, comme une grossesse par exemple. Le troisième risque porte sur les confusions entre les plantes ou entre leur usage. Enfin un dernier risque est relatif à la mauvaise qualité des plantes ou aux mauvaises conditions de préparation des remèdes à base de plantes.

La grande majorité des informateurs, 94 %, considèrent toutefois que la tisane présente peu de risques, même lorsqu'elle est employée dans le cadre d'une pratique d'automédication.

Les usagers de l'herboristerie s'adressent à différents professionnels pour acheter des préparations à base de plantes médicinales, mais ils perçoivent des différences de qualités dans les produits distribués par ces professionnels. Pour la moitié des usagers de l'herboristerie, ce sont les herboristes et les paysans-herboristes qui sont perçus comme vendant les plantes de meilleure qualité. Viennent ensuite les vendeurs en boutique diététique, les pharmaciens, les vendeurs sur internet et en dernier les grandes surfaces.

Les plantes vendues par les pharmaciens recueillent donc la préférence d'une très faible part des usagers de l'herboristerie : seulement 6,2 % des informateurs pensent que ce sont les pharmaciens qui distribuent les plantes de meilleure qualité.

Cela montre bien que les usagers de l'herboristerie ont conscience des limites de la situation actuelle et qu'ils souhaitent la voir évoluer. Ils sont en effet plus de 88 % à estimer que le réseau des pharmacies d'officine n'est pas suffisant pour assurer la délivrance des plantes médicinales simples ou transformées.

La solution qu'ils envisagent semble impliquer le rétablissement d'un diplôme d'herboriste : 91 % des informateurs souhaitent en effet sa recréation. Différents arguments ont été évoqués par les informateurs pour justifier ce positionnement. Tout d'abord, certains sont favorables à la création d'un diplôme d'herboriste qui impliquerait la création de nouveaux lieux de vente, de façon à combler un manque. D'autres affirment que le rétablissement d'un diplôme d'herboriste devrait permettre de légaliser l'exercice d'un métier qui existe déjà et qui n'a jamais cessé d'exister. Enfin deux autres arguments ont été évoqués : le premier consiste à dire que le diplôme d'herboriste devrait permettre d'encadrer les pratiques des professionnels et d'éviter les dérives ce qui permettrait donc de rassurer les consommateurs. Le dernier argument se positionne surtout en faveur de la création d'une formation publique, donc gratuite, d'herboriste.

Une question de notre enquête portait sur la règlementation que les informateurs souhaiteraient voir appliquer sur les produits de l'herboristerie. Plus de la moitié des interrogés estiment que les plantes médicinales ne devraient pas faire l'objet d'une règlementation identique à celle utilisée pour homologuer les médicaments.

Un des arguments avancés pour justifier cette position consiste à dire que cette réglementation est trop lourde et trop coûteuse pour les petites structures que sont les herboristeries. Un autre argument porte sur les protocoles de validation scientifique qu'implique cette règlementation. En effet, une part importante des informateurs pensent que les indications des plantes n'ont pas besoin d'avoir été prouvées scientifiquement pour être fiables. Ils estiment que le savoir traditionnel suffit à garantir leur efficacité, puisqu'ils comportent des traditions d'usage qui ont été validées par la pratique.

En définitive, l'enquête a permis de constater que les informateurs ont une connaissance assez fine de la filière et des attentes claires concernant la réhabilitation du métier d'herboriste.

Tout d'abord, il apparaît que les informateurs sont en recherche de plantes cultivées et cueillies de façon agroécologique et veulent acheter préférentiellement des espèces propres à leur terroir. L'enquête a également permis de constater que les usagers de l'herboristerie sont peu nombreux à acheter leurs plantes médicinales en pharmacie, notamment parce que la qualité des plantes fournies en officine ne semble pas correspondre à leurs attentes.

Les informateurs préfèrent acheter leurs plantes médicinales chez les herboristes de comptoir ou auprès des paysans-herboristes. Les enquêtés connaissent en effet ces deux métiers et en donnent des définitions réalistes. En plus de la différence principale qu'ils notent, et qui porte sur l'approvisionnement en plantes, les informateurs distinguent également les savoirs de ces deux herboristes. Le paysan-herboriste est décrit comme un fin connaisseur de son terroir et des plantes qu'ils récoltent tandis que l'herboriste de comptoir est décrit comme disposant avant tout de connaissances scientifiques, plus exhaustives peut être, sur un plus grand nombre de plantes.

Pour finir, je souhaiterais revenir sur deux chiffres déjà cités mais qui me semblent particulièrement parlants : 88,2 % des enquêtés estiment que le réseau des pharmacies d'officine n'est pas suffisant pour assurer la délivrance des plantes médicinales simples ou transformées, et 91 % des informateurs sont favorables au rétablissement d'un diplôme et donc d'un statut d'herboriste.

Mme Isabelle Robard . - Je suis très heureuse de participer aujourd'hui à ce débat qui me tient à coeur car ma mère a tenu pendant 25 ans un magasin d'alimentation qui avait un petit département d'herboristerie, dans le respect strict de la loi, avec des plantes non mélangées entre elles. C'est un sujet de coeur, lié à mon enfance, mais également un sujet que je suis depuis plus de 20 ans et qui m'amène à des réflexions car mes activités sont multiples : je suis sur le terrain du contentieux mais mon cheval de bataille est aussi la prévention juridique. Je pense qu'un mauvais compromis vaut mieux qu'un mauvais procès. J'essaie également d'apporter ma contribution modeste vis-à-vis des ministères. J'enseigne enfin le droit pharmaceutique et la réglementation des produits frontières en faculté de pharmacie et de droit.

Je tiens tout d'abord à féliciter le Sénat pour cette initiative car je pense que c'est un sujet sensible, qui a fait l'objet récurrent de questions parlementaires mais qui n'a jamais eu le temps d'être posé.

Je ne suis pas étonnée que le Sénat se mobilise sur le sujet, puisque la commission des affaires sociales m'avait déjà apporté son soutien sur un projet antérieur, visant à faire intégrer la pharmacopée ultramarine au code de la santé publique.

L'automédication est en augmentation constante, les français aspirent de plus en plus au confort, ils s'instruisent sur internet, dans les livres et dans les ouvrages. Le marché de l'automédication, comprenant les dispositifs médicaux et les compléments alimentaires, s'élève à 1,57 million d'euros, d'après les chiffres fournis par l'Afipa, l'association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable. On note également que 64 % des compléments alimentaires sont à base de plantes, d'après les chiffres fournis par le syndicat national des compléments alimentaires, le Synadiet.

On voit qu'il y a des enjeux économiques et éthiques, autour de la protection environnementale, ainsi que des enjeux juridiques. Il y a pour moi plusieurs problématiques.

Je vais commencer par l'outre-mer. Depuis l'arrêté du 24 juin 2014 qui fixe la liste des plantes pouvant entrer dans la composition des compléments alimentaires, si je veux aujourd'hui faire entrer un complément alimentaire à base de banane dans la variété musa acuminata, ça ne sera pas possible. Lorsque cet arrêté a été pris, l'outre-mer a encore été oublié : les plantes ultramarines n'ont pas été intégrées de façon suffisante.

Une autre problématique concerne les allégations. Le droit pharmaceutique classique nous dit, en vertu du code de la santé publique, que l'on ne peut pas apposer une allégation ni à titre préventif ni à titre curatif sur un produit quel qu'il soit. Le règlement européen 1924/2006 est venu créer un statut pour les allégations de santé afin de faire le tri dans les abus.

Il y a effectivement besoin d'un cadre. Mais je ne pense pas que la réponse donnée, à travers l'utilisation du terme « consommateur moyennement avisé » dans le droit de l'union européen, soit la bonne et que le consommateur doive être privé d'information. Il y a une réflexion à mener sur ce sujet, et celle-ci est déjà engagée par la DGCCRF. J'ai l'occasion d'entretenir des contacts avec ce service, notamment avec M. Guillaume Cousyn, qui porte la voix de la France en Europe sur le sujet de la validation des allégations au niveau européen. Le droit actuel n'a pas intégré la notion d'usage traditionnel de la plante. Le débat consiste à permettre au consommateur d'accéder à cette information, au lieu d'aller la chercher sur internet ou dans un livre. Le consommateur a également envie d'être responsabilisé et proactif dans l'utilisation des plantes et dans la gestion de sa santé et de son bien-être.

Il y a aujourd'hui un statu quo pour les allégations autorisées concernant les plantes, c'est-à-dire qu'il y a une liste provisoire mais non validée. Cela implique que nous n'avons pas le droit d'apposer une allégation sur les plantes. Les sanctions peuvent aller de la simple contravention, de 3 ème classe, c'est-à-dire 1 500 euros maximum d'amende, jusqu'à la peine pour cause de publicité trompeuse, qui va jusqu'à 2 ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende au titre du code de la consommation.

La France doit renouer avec la tradition herboristique et se donner les moyens d'adapter le système juridique à la demande des consommateurs. La création d'emplois, loin de venir concurrencer les pharmaciens d'officine, va également venir compléter leur action. Il n'y a pas de concurrence, il y a à mon avis complémentarité.

Nous avons été capables de créer des statuts juridiques intermédiaires entre l'aliment brut et le médicament, nous avons été capables de créer le produit diététique, le complément alimentaire. Mais nous n'avons pas accompagné ce phénomène de création de catégories juridiques intermédiaires entre l'aliment et le médicament par des professionnels intermédiaires entre le pharmacien d'officine et la grande surface. C'est la réflexion que j'appelle aujourd'hui à mener.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Vous pratiquez vos métiers avec passion et je note également une certaine part de poésie dans vos propos.

Trois niveaux de métiers sont souvent évoqués : les paysans-herboristes, les commerçants-herboristes et les pharmaciens-herboristes. Faut-il évoluer vers la reconnaissance de ces trois métiers ? Le cas échéant, comment voyez-vous la structuration de cette profession si elle était mise en place et l'articulation entre ces métiers ?

Concernant la vente directe, quelles évolutions législatives et règlementaires seraient nécessaires pour sécuriser à la fois les producteurs et les consommateurs ?

Enfin pensez-vous qu'il faille encadrer la vente sur internet ?

Mme Carole Brousse . - Paysans-herboristes, pharmaciens et négociants sont bien trois professions différentes, avec des compétences et des connaissances propres. À titre d'exemple, le premier a des connaissances agricoles qui ne sont pas nécessairement requises pour exercer les autres métiers, mais la définition précise des compétences de chacun d'eux serait un travail complexe, tant ils travaillent en complémentarité.

M. Jean-Baptiste Gallé . - Sur cette question des métiers et des compétences, je me demande s'il ne faudrait pas que l'ordre des pharmaciens reconnaisse à part entière le métier de pharmacien-herboriste, parallèlement à la mise en place d'une formation complémentaire adaptée. A l'heure actuelle, les connaissances en phytothérapie intégrées dans le cursus de pharmacie ne sont pas suffisantes. Preuve en est le nombre de pharmaciens qui complètent leur formation initiale par des diplômes universitaires spécialisés ou des formations dans des écoles d'herboristerie.

Pour l'herboriste-négociant, le contrôle de la qualité et la traçabilité de la plante sont des composantes essentielles du métier, qui ne sont pas les mêmes que celles qui pèsent sur le paysan-herboriste qui maîtrise l'ensemble de la chaine de production.

Concernant les évolutions réglementaires et législatives, il me semble que la liste des 148 plantes autorisées hors monopole est insuffisante. En sont par exemple exclus le bluet, le calendula, la feuille de noisetier ou la racine de pissenlit, alors que ce sont des plantes présentant une sécurité d'emploi, utilisées sous la forme de plantes sèches en tisanes.

On trouve en effet sur Internet des sites de vente douteux mais difficiles à contrôler car ils disparaissent aussi vite qu'ils réapparaissent sur la toile.

Mme Isabelle Robard . - Je plaide depuis longtemps pour la création de ces trois métiers autour de l'herboristerie, que j'envisage pour ma part moins de façon pyramidale que juxtaposée, les pharmaciens coexistant avec des herboristes de boutique, tel Michel Pierre.

Je suis d'accord avec l'idée qu'il faille renforcer la formation des pharmaciens pour ceux qui désirent également se positionner en tant qu'herboristes.

Par ailleurs, on pourrait tout à fait, comme pour les ostéopathes dont la profession a été reconnue hors du champ des professionnels de santé, mettre en place un titre professionnel de paysan-herboriste, délivré sur la base d'un référentiel métier, et dont l'utilisation abusive serait sanctionnée. Ce titre serait gage de transparence mais aussi de qualité pour le consommateur.

Mme Marie-Pierre Monier . - Comme l'a relevé notre rapporteur, je sens chez vous cette passion autour de la plante et la richesse de vos savoirs. Mme Robard, pourriez-vous nous préciser les conséquences de l'interdiction pour les paysans-herboristes de mentionner des allégations de santé ?

Mme Isabelle Robard . - Il y a quelques années, un paysan qui vendait un sachet de plantes sur un marché pouvait encore mentionner les usages traditionnels de la plante concernée.

Aujourd'hui, même cette mention est devenue impossible, puisqu'une réglementation européenne a dressé une liste d'allégations autorisées, en dehors desquelles on est dans l'illégalité. Un simple guide d'utilisation qui serait disposé sur la table de vente tomberait sous le coup de cette interdiction.

Mme Marie-Pierre Monier . - Mme Brousse et M. Gallé, j'ai lu avec un grand intérêt les résultats de votre enquête, qui montrent notamment l'augmentation de la consommation de plantes. Une enquête similaire antérieure existe-t-elle ?

Mme Carole Brousse . - L'enquête publiée en 2016 sur le site de la Fédération des paysans-herboristes a repris les questions formulées par le collectif Populus, dont les résultats avaient été publiés en 2006. Nous commençons donc un travail de comparaison entre les matériaux collectés en 2016 et ceux recueillis 10 ans auparavant.

M. Pierre Médevielle . - En tant que pharmacien, laissez-moi vous dire mon étonnement que le réseau des pharmacies d'officine soit jugé insuffisant, alors que celui-ci repose sur un maillage territorial exemplaire.

Quant à la formation des pharmaciens, que vous estimez incomplète, il me semble également que le cursus permet d'acquérir une base solide en biologie végétale, en pharmacologie ou encore en toxicologie et propose parallèlement des diplômes universitaires spécialisés en aromathérapie, en phytothérapie ou en mycologie.

Je suis donc inquiet que la création d'un diplôme d'herboriste, en tant que tel, nivelle la formation par le bas et encourage les pratiques abusives qui fleurissent ici et là.

L'analogie que vous avez-vous-même proposé avec le métier d'ostéopathe est intéressante : comment faire le tri entre les médecins-ostéopathes, les kinésithérapeutes-ostéopathes et les ostéopathes diplômés des écoles d'ostéopathie ? Ne va-t-on pas se retrouver dans la même confusion en matière d'herboristerie ?

Mme Isabelle Robard. - De fait, le marché de la plante est aujourd'hui un phénomène incontournable. Il faut accompagner ce phénomène pour le cadrer. Les paysans-herboristes ne sont pas une menace pour les pharmacies, d'autant que leur champ d'activité est local et géographiquement restreint.

En Guadeloupe, le Docteur Henry Joseph, docteur en pharmacie et en pharmacognosie, avec lequel j'ai des échanges réguliers, reconnait que la formation de pharmacien, en particulier s'agissant de la botanique, peut-être insuffisante, et que ces lacunes peuvent entrainer des erreurs de délivrance aux usagers.

L'analogie avec les ostéopathes est porteuse d'enseignements : alors que la reconnaissance de leur profession dans la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé de mars 2002 avait suscité des craintes, une enquête du Docteur Rougement a prouvé depuis que la plupart des accidents d'ostéopathie sont d'abord le fait de médecins. La coexistence entre médecins et ostéopathes est, d'ailleurs, tout à fait entrée dans les moeurs. De même les paysans-herboristes et les pharmaciens échangent régulièrement entre eux avec beaucoup de courtoisie et de respect.

M. Pierre Médevielle . - Selon quel critère vous basez-vous pour dire que les pharmaciens auraient une formation botaniste insuffisante ou pour dire que les médecins ont une formation insuffisante en ostéopathie, alors même que certains ont une spécialisation très poussée en rhumatologie ?

Mme Isabelle Robard . - En 2011, les conditions de formation des médecins et des ostéopathes ont été renforcées. Le besoin de remise à niveau est permanent.

Mme Angèle Préville . - Merci pour vos exposés clairs et précis. Face à l'appétence de nos concitoyens pour les plantes, notre désir est de faire avancer les choses.

S'agissant de la liste des 148 plantes autorisées à la vente dont vous préconisez l'extension, avez-vous déjà établi un projet de liste complémentaire et celle-ci serait-elle compatible avec la règlementation européenne ?

Concernant les allégations, dont je comprends que leur formulation peut faire basculer le produit vendu dans la catégorie des médicaments, n'y a-t-il pas une distinction à opérer entre l'indication thérapeutique, qui serait proscrite, et l'indication purement informative, selon laquelle telle plante « favoriserait » tel ou tel effet bénéfique ?

M. Maurice Antiste . - Les plantes ultra-marines, en particulier celles de Guadeloupe et de Martinique, font-elles partie de votre matière de recherche ? Par ailleurs, une partie de vos études est-elle réservée aux plantes toxiques et aux contrepoisons ? Dans les outre-mer, on dit que pousse toujours, à côté du dangereux mancenillier, un bel olivier...

M. Pierre Louault . - On sait aujourd'hui qu'à côté des compléments alimentaires et des plantes à tisane coexistent des plantes qu'on peut qualifier de médicinales et qui, à forte dose, deviennent des poisons : n'y a-t-il pas besoin aujourd'hui d'établir un véritable classement des plantes ? J'ai la chance d'avoir pu récupérer trois registres d'herboristes, de 1885 à 1960. Y figurent de véritables prescriptions médicales faites de mélanges de plantes. L'herboriste soignait à cette époque-là ! Si on veut progresser dans la consommation des plantes et démontrer leur efficacité, il me semble que l'établissement d'un protocole plus strict pour les plantes véritablement médicinales participerait à sécuriser leur usage.

Entre le savoir du paysan-herboriste et la prescription médicale d'une plante, visant par exemple à réduire le taux du fer dans le sang, on ne peut envisager le même protocole. Nous avons tous intérêt à réduire l'obscurantisme dans cette matière, me semble-t-il.

M. Raymond Vall . - Je voudrais revenir sur le métier de paysan-herboriste : pouvez-vous préciser le niveau de connaissance requis ? On constate d'un côté un déficit de production significatif et de l'autre un intérêt croissant des jeunes pour la production de plantes médicinales. La problématique est bien de savoir comment conforter dans les territoires des productions de qualité, alors que 80 % des plantes sont importées actuellement. La question du contrôle des plantes médicinales se pose également, sachant que pour les grandes cultures cette procédure présente un coût très important. Par ailleurs, si les exigences sont trop élevées en termes de formation, ne va-t-on pas décourager des jeunes qui souhaiteraient se lancer dans la production de plantes ? Enfin, comment pourrait-on obtenir un agrément plus scientifique, et reconnu par tous, des vertus des plantes ?

M. Bernard Delcros . - Je m'associe aux questions posées précédemment. Il existe un intérêt croissant de la part de nos concitoyens pour l'herboristerie, en réaction notamment aux dérives de la société de consommation. Il y a de véritables enjeux de santé publique, de filière, d'aménagement du territoire et de société autour de ce sujet. Nous n'apporterons pas de réponse pertinente en prenant des positions défensives : il nous faut au contraire accompagner ce développement pour le sécuriser. Il importe donc de prendre en compte les attentes qui s'expriment et ce qui se passe sur le terrain.

M. Jean-Baptiste Gallé. - Concernant l'insuffisance du réseau de vente de plantes sèches, j'ai profité d'être arrivé en avance pour visiter plusieurs pharmacies du quartier à la recherche de bleuet : sur douze officines, une seule en avait à disposition, les autres m'ont soit proposé d'en commander, soit m'ont renvoyé vers une herboristerie. Il faut donc considérer que la plupart des pharmacies n'ont pas de stock de plantes sèches - même si la situation n'est peut-être pas la même en plein centre de Paris que dans une zone rurale. Mme Alix Courivaud, chef du pôle marchés à la direction marchés études et prospective de FranceAgriMer, avait indiqué lors de son audition que 110 tonnes de plantes sèches pour tisanes étaient vendues en moyenne chaque année dans les pharmacies, ce qui représente 5 kilogrammes par officine. Certains pharmaciens développent fortement cet aspect, mais en termes de volume cela représente quand même trente fois moins que les grandes et moyennes surfaces.

La formation pharmaceutique est en effet solide dans différentes disciplines - la galénique, la toxicologie, etc. Il faut bien distinguer la pharmacognosie - l'étude de la substance active isolée - et la phytothérapie, qui porte plus sur une approche globale du soin par les plantes. À Strasbourg par exemple, une trentaine d'heures de cours de phytothérapie est dispensée sur l'ensemble du cursus, une vingtaine d'heures d'aromathérapie et une quinzaine d'heures de conseil officinal. Cette formation apparaît insuffisante pour un pharmacien souhaitant se spécialiser en phytothérapie. Il existe toutefois la possibilité de compléter ce socle de connaissances grâce à un diplôme universitaire spécialisé en phyto-aromathérapie.

Sur la liste des 148 plantes libérées, il s'agit bien d'une règlementation française.

En ce qui concerne les allégations nutritionnelles ou de santé qui s'appliquent aux compléments alimentaires, elles ne doivent pas parler de maladie ni d'actions pharmacologiques, mais seulement physiologiques. S'agissant de la place des plantes ultramarines et tropicales dans les études de pharmacie, la plupart des plantes étudiées durant le cursus sont hexagonales ou européennes.

La toxicologie constitue un socle à part entière des études de pharmacie ; les contrepoisons sous forme de plantes ne font en revanche pas partie du champ.

Des comités d'expert ont statué sur les propriétés traditionnellement reconnues des plantes médicinales et des corpus de référence sont disponibles, comme les travaux de la Commission E en Allemagne, avec une indication des posologies pour chaque plante.

Sur la question du niveau de connaissances du paysan-herboriste, il pourrait être envisagé de créer, à la suite du brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole, un certificat de spécialité afin de maîtriser les propriétés des plantes, sans bien sûr empiéter sur le terrain de la pharmacie. Chaque métier disposerait ainsi d'un champ d'application bien défini, en permettant de maintenir une bonne sécurité d'emploi des plantes. Pour un paysan-herboriste, la traçabilité est assurée du fait qu'il s'agit de sa propre production. De surcroît, la plupart des paysans-herboristes travaillent en vente directe ou avec un seul intermédiaire.

Mme Carole Brousse. - Je suis anthropologue et c'est à ce titre que j'interviens ici. L'idée d'un classement négatif des plantes me paraît intéressante, sous forme d'une liste regroupant toutes les plantes toxiques interdites à la vente, comme c'est déjà le cas pour les huiles essentielles. Il a été question d'obscurantisme, ce qui me donne l'occasion de dire que l'anthropologie n'est pas moins scientifique que la biochimie ou la pharmacognosie. Au sein de l'anthropologie, il existe un champ qui s'appelle l'ethnobotanique et dont l'objet est l'étude des relations entre les hommes et les plantes. Les ethnobotanistes se sont particulièrement attachés à relever les traditions d'usage des plantes médicinales. Ces matériaux, recueillis selon un protocole rigoureux, ne sont pas moins scientifiques que des études biochimiques sur les propriétés des plantes. Si les gens utilisent depuis des centaines d'années du tilleul pour s'endormir, c'est en raison de sa non-toxicité et de sa capacité à favoriser le sommeil. On peut donc utiliser ces matériaux pour réfléchir à quels devraient être les savoirs de l'herboriste.

M. Pierre Louault . - En tant qu'anthropologue, vous connaissez parfaitement toute l'influence des croyances sur l'équilibre des gens. Dans la relation avec les plantes, il y a une part de qualité spécifique de la plante, mais aussi une relation de l'homme à la plante.

Mme Carole Brousse. - Vous avez raison et cet attachement au végétal ne nuit d'ailleurs pas à son potentiel thérapeutique.

M. Pierre Louault . - Tous les gens n'ont pas la même foi cependant, mais attendent un résultat identique !

Mme Isabelle Robard . - En ce qui concerne les outre-mer, un travail remarquable d'ethnobotanique et d'ethnopharmacologie est effectué depuis plus de trente ans dans le cadre du programme Tramil qui regroupe 200 chercheurs issus de pratiquement tous les continents. Ces travaux aboutissent à la publication d'une pharmacopée caribéenne et procèdent à un classement des plantes en trois catégories : « Rec » pour les plantes recommandées, identifiées à partir d'un sondage des usagers et de la synthèse des références bibliographiques au niveau mondial ; « Tox » pour celles possiblement toxiques ; enfin, « Inv » pour celles sur lesquelles des investigations sont en cours à défaut d'information.

Cette méthodologie remarquable s'est mise en place sans aucun moyen financier, grâce au concours de chercheurs bénévoles auxquels je tiens à rendre hommage. Elle apporte une somme de connaissances. Nous avons beaucoup à apprendre des outre-mer, qui peuvent montrer l'exemple sur un sujet comme celui-ci.

Le débat qui s'engage au sein de votre mission d'information est important et ne doit plus être occulté. Nous pouvons demain réunir suffisamment de données pour prétendre élargir la liste de 148 plantes sans aucun danger.

Pour les paysans-herboristes, il n'est pas question de venir concurrencer les pharmaciens. Il est important de distinguer la vente de plantes à des professionnels et celle aux consommateurs directs. Je ne pense pas que mettre en place une formation de paysan-herboriste risquerait de dissuader des jeunes de s'installer. Un cadre doit être fixé.

J'attire enfin votre attention sur l'accord de Nagoya relatif à la protection de la biodiversité. Nous avons des comptes à rendre aux générations futures. C'est également un enjeu de santé publique. Je pense que les paysans-herboristes pourraient devenir les gardiens de notre patrimoine végétal. Une méthode de travail doit aujourd'hui être définie pour établir un référentiel de formation des paysans-herboristes.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci à tous pour vos interventions passionnées et passionnantes. Je retiens vos propos sur les outre-mer, dont il nous faudra entendre des acteurs dans le cadre de notre mission.

Table ronde avec la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique et solidaire

Jeudi 21 juin 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Nous accueillons ce matin des représentants de services ministériels pour approfondir nos réflexions à la fois sur les enjeux du développement de la filière des plantes médicinales et les métiers liés à l'herboristerie. Pour la direction générale de la santé (DGS) du ministère des solidarités et de la santé, nous accueillons Mme Céline Perruchon, sous-directrice de la politique des produits de santé, accompagnée de Mme Cécilia Mateus du bureau du médicament. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère chargé de l'économie est représentée par Mme Annick Biolley-Coornaert, sous-directrice des produits alimentaires et des marchés agricoles et alimentaires et M. Guillaume Cousyn, adjoint au chef de bureau nutrition et information sur les denrées alimentaires. Enfin, M. Michel Perret, chargé de mission auprès du sous-directeur de la protection et de la restauration des écosystèmes terrestres s'exprimera au nom de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique et solidaire. Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation n'est finalement pas représenté.

Cette audition a été ouverte à la presse et au public.

Mme Annick Biolley-Coornaert, direction générale de la concurrence, de consommation et de la répression des fraudes. - Je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir invité la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à s'exprimer sur ce sujet ô combien vivant et passionnant qu'est l'herboristerie, comme en ont témoigné vos précédentes auditions.

A titre liminaire, je souhaite rappeler que la DGCCRF est l'administration chargée de garantir le bon fonctionnement des marchés de consommation intérieurs. Elle intervient dans tous les domaines de la vie économique, y compris ceux abordés par votre mission d'information. Administration au service des consommateurs, la DGCCRF a l'ambition permanente de répondre à leurs attentes, de s'adapter à leur nouveau mode de consommation, en veillant à la sécurité des produits mis sur le marché français et à la loyauté des pratiques commerciales des professionnels à leur égard. Ce faisant, elle contribue également à maintenir les conditions d'une concurrence saine et loyale entre ces professionnels.

La DGCCRF intervient à la fois en amont, en particulier par l'exercice d'un pouvoir normatif qui lui permet de définir les conditions requises pour atteindre les objectifs en matière de sécurité et de loyauté, et en aval, en effectuant des contrôles chez les professionnels afin qu'ils se conforment aux règles édictées, tant au niveau national qu'européen.

Si la DGCCRF n'a pas vocation à se prononcer sur la nécessité de reconnaître et d'encadrer le statut des herboristes, elle est intéressée par leurs activités à plusieurs chefs.

En effet, l'herboristerie recouvre de multiples activités professionnelles, de la production à la distribution, ainsi que divers types de produits. La mise sur le marché de ces produits à base de plantes va soulever de nombreux défis réglementaires pour l'herboriste, dont certains dépassent d'ailleurs le strict cadre de compétences de la DGCCRF.

En premier lieu, l'herboriste devra déterminer le statut du produit qu'il commercialise en fonction de l'usage qu'il entend lui donner (aliment, médicament, cosmétique) et appliquer les règles inhérentes au statut. La réglementation européenne a, en effet, défini des cadres réglementaires spécifiques par catégorie de produit et a interdit quasiment toute forme de superposition. Pour dire les choses plus simplement, un produit ne peut être à la fois un aliment et un cosmétique ou un aliment et un médicament. Or certains produits présentent, par nature, de multiples usages, à l'instar des huiles essentielles que l'on peut parfois ingérer, appliquer sur la peau ou diffuser dans son environnement. Le droit européen, à ma connaissance, ne reconnaît pas la possibilité pour un professionnel de commercialiser un produit sous plusieurs dénominations.

Autre écueil : le monopole pharmaceutique qui interdit à un herboriste de vendre des préparations simples telles que les plantes séchées pour infusion dès lors que la plante est considérée comme étant médicinale sans bénéficier de l'exonération prévue à l'article D. 4211-11 du code de la santé publique (la fameuse liste des 148 plantes déjà évoquée à plusieurs reprises devant votre mission). Une exception remarquable existe néanmoins : le complément alimentaire qui échappe au monopole grâce à l'article D. 4211-12 du même code. Une exception qui explique en partie le nombre croissant de déclarations reçues par la DGCCRF pour ces produits, on en reparlera.

Il faut enfin signaler l'existence d'un cadre réglementaire très strict pour ce qui concerne la communication santé portant sur les denrées alimentaires.

Compte tenu des problématiques relatives à l'emploi de plantes médicinales que soulève la mission mais aussi des auditions déjà réalisées, il m'est apparu important de vous présenter plus spécifiquement deux aspects dont j'ai la charge et qui reflètent les activités de la DGCCRF : la loyauté des allégations de santé relatives aux plantes tout d'abord, la sécurité des compléments alimentaires à base de plantes ensuite.

Pour ce faire, je passe la parole à mon collègue, Guillaume Cousyn, qui est le spécialiste de ces questions.

M. Guillaume Cousyn, direction générale de la concurrence, de consommation et de la répression des fraudes. - Je commencerai par vous expliquer ce que peuvent ou ne peuvent pas dire les herboristes sur leurs produits dès lors que ceux-ci sont positionnés comme des denrées alimentaires (y compris les compléments alimentaires).

Avant cela, il faut rappeler qu'avant 2007, tout opérateur souhaitant communiquer sur les caractéristiques nutritionnelles de l'aliment (par exemple : riche en calcium) qu'il commercialise ou sur ses bénéfices pour la santé (par exemple : le calcium contribue au développement osseux), était soumis à l'obligation de publicité non trompeuse. Il devait ainsi présenter un dossier permettant d'alléguer sa communication. Il appartenait à la DGCCRF de recueillir ses justificatifs et de démontrer, le cas échéant, en quoi cette communication pouvait être trompeuse pour le consommateur. Il s'agissait d'un travail particulièrement fastidieux, d'autant plus que le marché était en pleine expansion. Face à la prolifération de ces allégations, l'Union européenne s'est dotée d'une réglementation ambitieuse, par le biais du règlement 1924/2006, qui a opéré un changement drastique de paradigme : tout opérateur souhaitant mettre en avant les bénéfices de son produit doit au préalable obtenir une autorisation de la commission européenne après évaluation par l'autorité européenne de sécurité des aliments (AESA).

Je vous ai représenté une version schématisée du processus d'autorisation qui peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. Comme vous pouvez le constater, ce processus se déroule en trois temps : un examen de la recevabilité par l'autorité compétente de l'État membre dans lequel la demande est introduite (la DGCCRF pour la France), une évaluation scientifique par l'AESA à Rome, une décision par comitologie (pour laquelle la DGCCRF représente la France).

A ce stade, il faut souligner que dès le départ et conformément aux termes du règlement 1924/2006, l'AESA a exigé le plus haut niveau de preuves scientifiques, en l'occurrence des études en double aveugle contre placebo (minimum 50 000 euros l'étude). Ainsi, pour les plantes, elle a refusé de valider des allégations reposant uniquement sur la tradition, répertoriée dans des ouvrages de référence et des monographies. Pour l'anecdote, nous en sommes arrivés à une situation cocasse où un député européen mettait au défit M. Barroso, alors président de la commission européenne, de participer à un concours de pruneaux, pour prouver les effets sur le transit de ces derniers.

Or, plusieurs États membres, dont la France, ont fait valoir que la tradition était déjà un élément reconnu pour établir l'efficacité des médicaments traditionnels à base de plantes. Ainsi, le niveau d'exigence est plus élevé pour les produits d'alimentation que pour les médicaments traditionnels. Ces États ont souligné l'existence d'une disproportion importante entre les niveaux d'exigence, disproportion non justifiée et de surcroit susceptible de générer des contentieux. La commission européenne a alors mis le dossier en attente, le temps de procéder à diverses consultations. C'était en 2009. Aucune évolution significative n'a été apportée depuis lors.

Très concrètement, la mise en attente de l'évaluation des allégations de santé « plantes » a conduit l'Union européenne à admettre, à titre transitoire, l'utilisation des allégations « en attente ». Cette liste apporte une marge de manoeuvre non négligeable aux herboristes mais la situation n'est guère satisfaisante car aucune autre allégation ne peut être employée (à moins de déposer une demande fondée sur des études cliniques particulièrement coûteuses). Sans compter que cette liste s'avère très imparfaite.

Il faut enfin souligner qu'il est strictement interdit pour une denrée alimentaire de faire état de propriétés de prévention, de traitement ou de guérison de maladies humaines, sous peine d'encourir de multiples peines.

Venons-en maintenant aux compléments alimentaires. Tout opérateur souhaitant commercialiser en France un complément alimentaire à base de plantes doit effectuer une déclaration auprès de la DGCCRF au moyen de la téléprocédure dédiée. La DGCCRF dispose de deux mois pour réagir. Afin de faire autoriser son produit, l'opérateur doit apporter la preuve d'une commercialisation légale au sein d'un autre État membre de l'Union européenne. C'est l'application du principe de reconnaissance mutuelle.

La DGCCRF doit ensuite introduire les plantes contenues dans les compléments alimentaires qu'elle a autorisés sur la liste nationale des plantes autorisées dans les compléments alimentaires en France. C'est l'objet de l'arrêté du 24 juin 2014. A ce stade, il faut bien comprendre que la réglementation française en matière de plantes pouvant être utilisées dans les compléments alimentaires se construit un peu « passivement », par mimétisme de ce que font les autres États membres, même si la France a des choses à dire.

Enfin, la DGCCRF applique des programmes de contrôle afin de vérifier la conformité des produits mis sur le marché. Avant d'évoquer les conditions d'emploi permettant de garantir la sécurité des compléments alimentaires à base de plantes, je tenais à vous apporter quelques données chiffrées. En 2017, la DGCCRF a reçu environ 1 100 déclarations par mois, pour un total de près de 13 000 déclarations dans l'année. Ce rythme de déclaration est constant d'année en année ; il témoigne de la bonne santé économique de ce secteur (+ 5,8 % en 2017) et du renouvellement important des produits.

On peut d'ailleurs noter la prépondérance des ingrédients « plantes » par rapport aux autres types d'ingrédients actifs.

Tout à l'heure, j'évoquais la construction passive de la réglementation française. En réalité, elle n'est pas si passive que cela puisque, d'une part, la DGCCRF peut s'opposer à la commercialisation d'un complément alimentaire en France sous réserve d'être en mesure d'en démontrer la dangerosité dans les conditions d'emploi proposées et, d'autre part, la DGCCRF a contribué à un rapprochement des réglementations belge, française et italienne : le projet BELFRIT.

L'objectif était, en l'absence d'harmonisation européenne, de définir une liste commune de plantes et de conditions d'emploi afin de faciliter les échanges entre ces trois pays.

Pour ce faire, nous avons mis en commun les différentes listes nationales, corrigé les dénominations et mis à contribution trois pharmacognostes réputés (experts dans les agences nationales et européennes) qui ont soigneusement épluché toute la littérature disponible pour chaque plante figurant dans la liste commune. Des restrictions ont notamment été proposées.

Le fruit de ce travail est une liste d'environ 1 000 plantes assorties de conditions d'emploi quantitatives ou qualitatives (avertissements à destination de populations fragiles). 500 plantes font ainsi l'objet de restrictions d'emploi. Ce travail, déjà intégré dans les réglementations belge et italienne, nous sert de doctrine lors de l'examen des déclarations de compléments alimentaires. C'est le cas du millepertuis notamment.

Toujours dans un objectif de sécurité, la DGCCRF a introduit dans l'arrêté du 24 juin 2014 l'obligation pour les opérateurs de tenir à la disposition des autorités de contrôle des informations essentielles pour garantir la qualité des préparations de plantes. Ces informations concernent l'identification de la plante, le process de transformation et les spécifications de la préparation de plantes.

Cette exigence impose des obligations de moyens, au-delà des obligations de résultat, et vise à élever le niveau de maîtrise de la qualité de tous les acteurs de la chaîne de fabrication du complément alimentaire. Le but est que l'opérateur final ne soit pas passif. L'annexe I de ce décret dresse la liste des plantes et l'annexe II impose aux opérateurs de disposer d'un dossier de contrôle reprenant les caractéristiques des préparations de plantes.

Un syndicat français des compléments alimentaires, le Synadiet, a développé un formulaire pour ses adhérents afin qu'ils remplissent au mieux cette obligation franco-française. Il faut souligner que les deux syndicats européens de fabricants de compléments alimentaires, FSE et EHPM, se sont dotés eux aussi de formulaires similaires sur la qualité des préparations à base de plantes, reprenant les items de l'annexe II de l'arrêté français qui a ainsi contribué à sa manière à l'harmonisation européenne.

La DGCCRF est en train de mettre à jour la liste des plantes autorisées et de rédiger un document plus complet recensant les restrictions, quantitatives et/ou qualitatives, qu'elle impose pour chaque plante. Ce document reprend les restrictions mais surtout en explique les raisons en citant notamment des sources bibliographiques. Doivent notamment être expliqués les contenus chimiques et les risques potentiels. Ce document permet de mieux comprendre l'origine de la doctrine administrative et conduira probablement à mieux la faire évoluer en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques.

Pour conclure, je tiens à rappeler ce qu'a souligné ma sous-directrice tout, à savoir les trois principaux obstacles réglementaires auxquels se heurtent les herboristes dans leurs démarches de commercialisation et qui peuvent selon les cas s'avérer rédhibitoires. La réglementation européenne s'intéresse aux produits. Elle est drastique. Enfin, elle prend en compte la communication et la publicité faites non seulement par écrit mais aussi par oral. Si une personne, y compris un praticien, présente un effet sur la santé non autorisé par le règlement, il est en infraction.

Mme Céline Perruchon, directrice générale de la santé. - La direction générale de la santé (DGS) est la direction au sein du ministère des solidarités et de la santé chargée de la conception et de la mise en oeuvre de la politique de santé publique.

Elle est chargée de la protection de la population contre les menaces sanitaires et veille à la qualité, à la sécurité et à l'égalité d'accès au système de soins.

Parmi les missions de la DGS figure l'élaboration de la politique liée aux produits de santé, dont les médicaments, les dispositifs médicaux et les produits issus du corps humains. La DGS se préoccupe également des produits cosmétiques et de tatouage. Les produits cosmétiques sont en effet liés à votre sujet.

La DGCCRF a mis l'accent sur l'importance de la réglementation européenne pour ce type de produits, surtout pas catégorie de produits.

Sur le plan de la réglementation française, les plantes médicinales peuvent être utilisées pour la fabrication de médicaments. Elles peuvent être délivrées en vrac ou sous forme de préparation pharmaceutique, par les officines de pharmacie. Certaines plantes médicinales qui sont dites « comme ayant un usage thérapeutique » sont identifiées dans deux listes publiées dans la pharmacopée française : elles sont réservées à la vente en pharmacie.

Au total, 546 plantes médicinales sont inscrites à la pharmacopée française et font l'objet de spécifications particulières. La liste se décline en deux parties :

- la liste A comprend les plantes médicinales utilisées traditionnellement, au nombre de 365. Elle comprend 148 plantes pouvant également avoir des usages alimentaires ou condimentaires, pour lesquelles il n'y a pas de monopole pharmaceutique ;

- la liste B comprend des plantes médicinales utilisées traditionnellement en l'état ou sous forme de préparation, dont les effets indésirables potentiels sont supérieurs au bénéfice thérapeutique attendu. C'est ainsi le rapport bénéfice/risque qui est pris en compte. Elles sont au nombre de 123. Aucune plante de cette liste B ne fait l'objet de dérogation au monopole pharmaceutique.

L'ensemble de la chaîne fait l'objet de contrôles précis sur le plan de la qualité des matières premières. Les monographies de la pharmacopée permettent ainsi de valider l'identification de la plante, sa qualité et son absence de contamination. Le pharmacien s'approvisionne auprès d'établissements pharmaceutiques de producteurs en gros. La préparation des plantes - que ce soient les plantes médicinales ou l'aromathérapie avec les huiles essentielles - fait l'objet de contrôles sur le plan de la préparation et de la délivrance. Il y a sur ces sujets un monopole pharmaceutique majoritaire.

La problématique majeure est la sécurité de la personne qui va utiliser les plantes, car on ne connait pas encore tous les effets qu'elles peuvent induire. Il y a ainsi un enjeu de formation des professionnels et d'information de l'utilisateur.

Le pharmacien, au regard des plantes et des produits qui en contiennent, a un rôle à jouer en tant qu'acteur majeur de la santé publique. D'ailleurs, il est désormais chargé de participer à des campagnes de vaccination ou de dépistage, et joue un rôle de prévention du tabac. Le ministère en charge de la santé accorde une attention particulière aux missions des pharmaciens. Leurs conseils sur les produits relevant du monopole pharmaceutique sont essentiels.

Pour autant, si un métier d'herboriste devait être créé, pour nous les conditions seraient de veiller à apporter toutes les garanties nécessaires, par le biais de formations de qualité validées. À ce stade, beaucoup de formations existent, mais il faudrait aboutir à un cursus bien défini. Le pharmacien, par exemple, bénéficie dans son cursus d'une formation. Il faudrait également que l'herboriste respecte les règles fixées pour chacun des produits à base de plantes. Les plantes sont utilisées dans plusieurs catégories de produits, comme des médicaments ou des compléments alimentaires, et obéissent, pour chacune de ces catégories, à une réglementation, le plus souvent européenne.

Faut-il créer un métier d'herboriste ? Il faut aussi s'interroger en amont sur l'organisation de l'offre de soins et sur l'existence ou non d'un manque à un endroit de cette organisation qui ferait une place à l'utilisation de ces produits. On peut également s'interroger sur la nécessité de renforcer les formations des professionnels de santé sur l'utilisation de ces produits à base de plantes, plutôt que de créer un nouveau métier.

M. Michel Perret, direction générale de la biodiversité et de l'eau. - La direction de la biodiversité et de l'eau a la charge de la santé des écosystèmes. Je travaille pour la sous-direction en charge de la protection des espèces sauvages, notamment les plantes, et des espaces qui les contiennent. Le rôle de la direction de la biodiversité et de l'eau est de concevoir, mettre en oeuvre et suivre la réglementation, mais aussi, dans le cadre de la stratégie nationale de la biodiversité, de valoriser les activités qui utilisent de manière raisonnable et durable les ressources naturelles. Nous voyons un intérêt pour une profession d'utiliser durablement la biodiversité, mais aussi pour le grand public, en montrant l'exemple de l'exploitation d'un écosystème favorable à son maintien.

Nous soutenons les activités de l'association française des cueilleurs de plantes sauvages (AFC) et nous la consultons.

Le code de l'environnement précise le cadre de protection des espèces sauvages et les exploitations possibles : destruction, vente, transport... Un arrêté du 20 janvier 1982 fixe la liste des plantes entièrement protégées. Une première liste en annexe indique les espèces les plus menacées. Pour ces dernières, toute activité est interdite, sauf dérogations. Celles-ci, très strictes, doivent répondre à trois critères cumulatifs, dont l'usage réservé à la science et la connaissance scientifique. Il ne peut donc y avoir, pour ces plantes, une production de marché. La deuxième annexe comporte les plantes partiellement protégés. La destruction des spécimens est interdite, mais leur cueillette et leur utilisation sont soumises à des autorisations administratives préalables.

Les dispositions de l'arrêté de janvier 1982 sont complétées dans chaque région par des arrêtés préfectoraux, fixant la liste d'espèces protégées avec interdiction de les cueillir ou de les détruire. Pour ces plantes, aucune distinction n'est faite.

Si ces interdictions concernent des plantes sauvages, vous pouvez toutefois cultiver ces espèces. Un dispositif prévoit que les plantes de l'annexe 1 dont la cueillette est normalement interdite peuvent faire l'objet, après autorisation administrative, d'une culture.

Un autre corpus réglementaire concerne la cueillette. L'arrêté du 13 octobre 1989 fixe au niveau ministériel la liste des plantes traditionnellement cueillies. Celles-ci peuvent également faire l'objet d'une réglementation préfectorale, afin d'interdire ou de restreindre la cueillette en fonction de la période ou de la quantité. Dans ce cas, ce n'est donc pas une autorisation administrative qui est donnée, mais une réglementation préfectorale qui définit les contours de la norme applicable.

Il est important que les professionnels connaissent ces réglementations et mettent en oeuvre en amont une pratique respectueuse, afin d'éviter la mise en place d'une réglementation plus drastique. Notre but est de surveiller l'état de conservation des espèces. Si une espèce cueillie fait l'objet d'une pression indue, son statut va changer et elle va être réglementée. Il est de l'intérêt de tous d'éviter un excès de réglementation. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire d'avoir une utilisation raisonnée de la ressource : c'est ce que nous promouvons en lien avec l'association des cueilleurs de France. Cette association met ainsi en oeuvre une charte de bonnes pratiques et des fiches techniques dans le cadre du projet « FLORES ». Ce projet bénéficie de soutiens privés et de la part du ministère en charge de l'écologie, pour élaborer cette charte et structurer la profession des cueilleurs. Il y a quelques années, et c'est encore un peu le cas aujourd'hui, ces professionnels étaient isolés. Il fallait soutenir leur mise en contact, organiser des séminaires, des groupes de travail. Cette année, les documents mentionnés devraient être publiés.

Des études sont conduites pour mesurer l'état de la ressource, c'est-à-dire l'état de conservation des espèces et leur capacité à perdurer sur le long terme, ainsi que pour identifier les menaces qui pourraient restreindre leur dynamique. Nous avons depuis dix ans soutenu le programme d'étude et d'élaboration des listes rouges de l'Union internationale de la conservation de la nature. En France, ce travail est réalisé par le comité français de l'union internationale de la conservation de la nature, ainsi que par le Museum national d'histoire naturelle. Il vise à élaborer des listes rouges se déclinant par territoire et par groupe d'espèces. Une liste rouge existe dans chacune des anciennes régions administratives pour les plantes vasculaires, qui qualifie leur statut au regard des codes de l'Union internationale de la conservation de la nature : en danger, en danger critique, vulnérable, quasi-menacé, de préoccupation mineure.

Nous sommes sur le point d'établir une liste nationale par agrégation de l'ensemble des listes, ce qui nous permettra d'avoir une vision nationale des plus de 4 000 taxons de flores vasculaires présentes sur le territoire métropolitain.

En 2012, une évaluation des 1 000 plantes les plus menacées en France a été réalisée. Les résultats sont consultables sur le site internet du comité français. Un des critères d'évaluation porte sur la tendance de croissance de la population d'un taxon.

Ces données sont lourdes à recueillir. Elles reposent sur le travail des conservatoires botaniques nationaux qui sont une particularité française ; nous avons la chance de posséder de tels organismes scientifiques. Soutenus par le ministère en charge de l'écologie, ces conservatoires se répartissent sur l'ensemble du territoire national. Ce sont des structures dédiées à l'étude, la connaissance et la conservation des espèces sauvages. Ces organisations territoriales peuvent entrer en contact avec les professionnels et, en fonction des territoires, déterminer les activités favorables à l'utilisation de la ressource.

L'AFC a travaillé avec plusieurs conservatoires botaniques nationaux dans le cadre du projet FLORES. Un des ateliers, auquel j'ai participé, portait sur l'estimation de la ressource. Ce sujet doit encore être développé et nécessite une connaissance plus précise, afin de mieux qualifier l'état de la ressource.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Nous n'avons pas évoqué la question des ventes sur internet. Comment s'exercent les contrôles éventuels ? Quel en est le bilan ?

Je souhaite évoquer la richesse des outre-mer. Vous avez parlé lors de l'évaluation de l'état de la ressource, du territoire métropolitain. Quelles sont les particularités des outre-mer ? Comment sont-elles prises en compte par vos services ?

Comment voyez-vous l'évolution du lien entre les cueilleurs et les conservatoires botaniques nationaux ? Quel pourrait être le rôle de chacun ?

Plusieurs intervenants ont jugé la réglementation extrêmement complexe, notamment pour les petits producteurs, et critiqué sa segmentation alors qu'une même plante peut avoir des usages multiples. Des simplifications de la réglementation sont-elles envisagées, y compris au niveau européen ?

M. Michel Perret, direction générale de la biodiversité et de l'eau. - En ce qui concerne le rôle de l'AFC, nous voyons un atout à soutenir toute démarche visant à promouvoir une utilisation durable de la biodiversité. C'est un gage de respect de la réglementation, mais aussi un exemple pour l'ensemble de la société. Nous avons soutenu les travaux de l'AFC, notamment la rédaction d'une charte. Nous avons également engagé les conservatoires botaniques nationaux à proposer leur aide. Je n'ai pas évoqué les différentes initiatives territoriales qui existent sur les territoires. Le projet FLORES se fait par la construction de partenariats avec les scientifiques et les gestionnaires d'espaces. Il y a des initiatives de valorisation de la ressource. Je pense aux parcs naturels régionaux, aux espaces protégés, pour lesquels une réglementation spécifique existe : toute cueillette est interdite, qu'il s'agisse ou non d'une espèce protégée.

Le dispositif prévu par l'arrêté du 20 janvier 1982 ne concerne que le territoire métropolitain, à l'exclusion des outre-mer. Toutefois, il existe des dispositions régionales y compris dans ces territoires. L'un des enjeux est de faire évoluer ces réglementations.

Des évaluations de l'état de la conservation de la flore dans les outre-mer ont été réalisées. C'est un chantier important eu égard à la richesse de la biodiversité. En ce qui concerne la cueillette, cette dernière est encadrée par une réglementation régionale : des décisions préfectorales en ce sens ont été prises dans les outre-mer.

M. Guillaume Cousyn, direction générale de la concurrence, de consommation et de la répression des fraudes . - En ce qui concerne internet, nous travaillons en fonction des catégories de produits conformément à la réglementation européenne. Ainsi, la vente de plantes en vrac ne relève pas de la compétence de la DGCCRF. Mais cette dernière intervient pour la vente sur internet de denrées alimentaires ou encore de compléments alimentaires.

Nous disposons au sein de la DGCCRF d'un service de surveillance du commerce électronique. Si le site se situe dans un pays de l'Union européenne, nous disposons d'un protocole d'échanges et de signalement rapide de l'infraction. C'est le réseau « foodfraud ».

Nous avons réalisé en 2016 une enquête sur le contrôle des allégations de santé sur les sites internet spécialisés dans la vente de compléments alimentaires. Nous avons constaté un taux de non-conformité de 80 %. Certaines de ces infractions étaient graves - comme des allégations thérapeutiques non autorisées - d'autres moins, par exemple une flexibilité un peu trop grande dans le libellé des allégations. Cette question revient régulièrement dans nos programmes de contrôle.

Je comprends les difficultés des petits acteurs, qui se retrouvent face à des catégories de produits différents et donc des réglementations applicables différentes. Certes les exigences sont similaires - la sécurité et la loyauté - mais les moyens et les résultats qui leur sont opposés sont différents. Ils doivent ainsi jongler entre des textes techniques, dans la mesure où il n'existe pas de réglementation transversale.

En matière alimentaire, la commission européenne s'est lancée dans un programme visant à simplifier le droit européen et à le rendre plus accessible. Toutefois, cette simplification se fera toujours sur la base de catégories de produits.

La DGCCRF a considérablement renforcé son site internet pour expliquer le plus clairement et simplement possible la réglementation en vigueur. Toutefois, nous ne sortirons pas de l'écueil « approche par catégorie de produit ».

Mme Céline Perruchon, direction générale de la santé. - S'agissant des plantes utilisées dans le cadre du monopole pharmaceutique vendues sur internet, elles doivent suivre la réglementation relative à la vente en ligne de médicaments. Il faut une autorisation de la part de l'agence régionale de santé et le site doit être lié à une pharmacie d'officine. Notre préoccupation majeure est de lutter contre la mise en place de sites illégaux qui vendraient des produits présentant des risques pour la santé.

Les sites officiels de vente en ligne doivent respecter certaines modalités. Ils doivent apposer un drapeau français dans un coin de la page d'accueil. L'une de nos préoccupations fortes est la vente de médicaments falsifiés. En effet, pour certaines catégories de produits pharmaceutiques, celle-ci est en pleine expansion, ce qui présente un risque majeur pour la population.

Pour les plantes des outre-mer et la question de leur inscription au monopole pharmaceutique, du point de vue de la direction générale de la santé, il s'agit avant tout d'évaluer leurs effets. L'agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) est chargée de l'évaluation de ce type de produits, dès lors qu'ils sont utilisés dans un cadre thérapeutique.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Lors des contrôles, avez-vous constaté l'existence de failles ? La profession est-elle bien organisée, de manière suffisamment sécurisante pour le consommateur final ? L'agence de biodiversité a inscrit sur une liste 540 plantes. Sont-elles inclues dans vos contrôles ?

Mme Marie-Pierre Monier . - Vous avez évoqué le contrôle des sites internet implantés en en France et dans les pays de l'Union européenne. Comment cela se passe-t-il pour les sites situés hors Union européenne ? En ce qui concerne la culture du chanvre, qu'a-t-on le droit de faire ? Comment peut-on l'utiliser et le transformer ?

Mme Catherine Procaccia . - Dans mon département se sont ouverts deux coffee shops. On constate une faille dans la réglementation, qui comme vous l'avez dit est d'origine européenne. Avez-vous l'intention d'agir ? Nos communes sont perturbées par le fait que l'on puisse vendre ces herbes alors que tout le monde dit que leur usage doit être réglementé.

M. Guillaume Gontard . - Lors de précédentes auditions, on nous a expliqué que plus de 80 % des plantes étaient importées. Quels contrôles, notamment en termes de protection de la biodiversité, sont alors réalisés ? Comment des plantes interdites en France sont-elles bloquées à l'importation ? Existe-t-il une réglementation particulière pour les espèces non endémiques cultivées en France ?

Mme Corinne Imbert , présidente . - Comment travaillez-vous entre ministères, afin de garantir que l'intérêt de santé publique prime sur les intérêts économiques, si c'est effectivement le cas ?

M. Michel Perret, direction générale de l'eau et de la biodiversité. - On regarde les plantes qui sont utilisées dans l'herboristerie. J'ai parlé du nombre de taxons présents sur le territoire métropolitain. Il y en a plus de 4 000.

Certaines espèces, dont l'état de conservation est le plus dégradé, sont soumises à certaines réglementations, quel que soit leur usage. Si je prends la liste des 148 taxons listés à l'article D. 4211-12 du code de la santé publique et que je la croise avec le statut d'évaluation biologique, nous avons deux taxons qui sont en danger, trois taxons déclarés vulnérables, et trois taxons qui sont quasi-menacés. Ces huit taxons sont présents sur le territoire métropolitain. Nous avons également des taxons de préoccupation mineure ou pour lesquels les données sont insuffisantes.

L'évaluation est une chose, la réglementation en est une autre. Sur les 148 taxons, un seul figure à l'heure actuelle à l'annexe 2 de l'arrêté du 20 janvier 1982 : la rose de France. Trois taxons sont listés à l'arrêté du 13 octobre 1989, lequel réglemente la cueillette et permet aux préfets de prendre un arrêté préfectoral réglementant la cueillette : la criste marine, la gentiane jaune et la myrtille.

Notre but est de faire évoluer la réglementation pour qu'elle soit adaptée et proportionnée. Ainsi, lorsque l'on peut éviter d'instaurer des réglementations, notamment par la mise en place d'une charte de bonnes pratiques ou par la gestion en amont de manière raisonnée de la ressource par la filière et les gestionnaires d'espaces, nous le faisons.

En outre, la cueillette de plantes, indépendamment des dispositions du code de l'environnement, est réglementée par le droit de propriété. Vous ne pouvez pas cueillir des plantes sur le terrain d'autrui sans son autorisation, contrairement aux animaux qui sont res nullius. Les plantes ne le sont pas : elles appartiennent aux propriétaires du fond. Ainsi, lorsque l'on va cueillir en forêt domaniale, l'avis de l'office national des forêts ou des communes est nécessaire. Or, en application du régime forestier, il existe des règles de protection patrimoniale. Le propriétaire du fonds, qui donnera son autorisation de cueillette, va s'assurer de la gestion favorable de la ressource, en prévoyant notamment des prélèvements raisonnés.

En ce qui concerne le contrôle à l'importation, les dispositions qui s'appliquent concernent les plantes inscrites à la convention CITES sur le commerce international des espèces menacées. Si une espèce végétale - et je ne sais pas si tel est le cas - est utilisée dans l'herboristerie et relève de la convention internationale CITES, elle est soumise à un système de permis d'importation, avec au niveau communautaire un règlement d'application de la convention CITES reprenant le système de certificat intracommunautaire. Cette réglementation est contrôlée à l'entrée du territoire de l'Union européenne ainsi que par les agents de l'environnement. Les articles L. 411-1 et L. 412-1 du code de l'environnement sanctionnent de façon délictuelle ces infractions. Ces sanctions ont été renforcées, notamment dans le cadre de la loi du 8 août 2016 sur la biodiversité.

Il existe un autre cadre : celui de la directive habitat-faune-flore de 1992. Elle prévoit également une liste d'espèces végétales protégées au niveau communautaire. Les interdictions s'appliquent dans l'ensemble de l'Union européenne.

Il existe par ailleurs des dispositions relatives aux espèces exotiques envahissantes : un règlement communautaire a été adopté il y a quelques années et des dispositions nationales du code de l'environnement le transposent. Au niveau communautaire, est établie une liste d'espèces faisant l'objet d'interdiction de détention, de vente et de transport. Il n'y a pas d'espèce qui relève, à ma connaissance, d'une utilisation au titre de l'herboristerie. Si une telle espèce présentant un caractère menaçant au cas où elle serait relâchée en milieu naturel, soit en application du règlement européen, soit en application de la législation nationale, était cultivée pour l'herboristerie, elle pourrait être interdite.

Le premier exemple que nous avons réglementé a concerné les jussies, avec interdiction de commerce et de détention.

Mme Céline Perruchon, direction générale de la santé. - Ces coffee shops vendent différents produits qui contiennent du cannabidiol ou CBD (savon, crème, huile, plante à infuser...). La réglementation en France est très stricte : c'est l'interdiction de l'usage du cannabis. Pour autant, il y a une dérogation pour l'utilisation du chanvre à des fins industrielles. Elle est fixée dans un arrêté datant de 1990. Certaines variétés de chanvre dépourvues de propriété stupéfiantes peuvent être utilisées si elles respectent trois conditions cumulatives : elles doivent figurer sur une liste, seules les graines et les fibres de ces variétés peuvent être utilisées, à l'exception des feuilles et fleurs, la plante doit avoir une teneur en THC (tetrahydrocannabinol, responsable des effets psychoactifs du cannabis) inférieur à 0,2 %. Ce taux concerne la plante et non pas le produit fini.

La question qui se pose pour le ministère en charge de la santé est le risque pour la population jeune qui pourrait être incitée à travers ces produits à consommer du cannabis. Pour le ministère, et en lien avec les autres ministères, l'enjeu est le contrôle voire la fermeture de magasins qui vendraient des produits ne correspondant pas à cette réglementation. Différents services sont concernés : la police mais aussi les douanes, en raison de la circulation internationale des produits. Des contrôles doivent être faits au regard de l'augmentation du nombre de ces commerces.

M. Guillaume Cousyn, direction générale de la concurrence, de consommation et de la répression des fraudes. - Les résultats des contrôles sont fournis par catégorie de produits.

Dans les bases de données, il est possible d'avoir le nombre de contrôles réalisés chaque année sur les compléments alimentaires. Mais je n'aurai pas de données par plante. En moyenne, sur le marché des compléments alimentaires, nous effectuons des visites au sein de 900 établissements, permettant de faire 3 500 actions de contrôle. Ils portent sur la présentation des produits, leur composition et leur sécurité en matière d'hygiène au sens large.

Dans le domaine alimentaire, des normes très strictes s'appliquent, parfois avec des seuils plus bas que pour le médicament. En effet, l'aliment est ingéré quotidiennement. Ainsi, les seuils en métaux lourds sont très bas. Il est pratiqué un contrôle important sur la sécurité et la loyauté de ces produits. On observe des taux de non-conformité de 20 à 30 %, avec des infractions d'une intensité très variable, par exemple l'absence de l'emploi de la langue française sur le site internet.

Le secteur des compléments alimentaires connaît une professionnalisation importante, avec un renforcement de la qualité et de la sécurité des produits mis sur le marché. Le gouvernement a mis en place en 2009 un dispositif de nutrivigilance, visant à s'assurer que, même après la mise sur le marché, il n'y ait pas d'effets indésirables.

A l'heure actuelle, les données issues de la nutrivigilance sont rassurantes, même s'il peut y avoir un phénomène de sous-déclaration. C'est un processus qui se met en place. Il est à nos yeux extrêmement important. Il permet de s'assurer à tous les niveaux de la sécurité des produits.

Les principaux points d'alerte sur le secteur des compléments alimentaires concernent des produits importés. On peut appeler cela des compléments alimentaires, je les appelle les « produits miracles », avec des allégations farfelues, sur des secteurs spécifiques. Je pense en particulier aux produits miracles à visée érectile, qui sont souvent falsifiés avec des analogues du viagra. Le schéma est classique. Ces produits sont importés de pays tiers, revendus sur internet. On est loin du marché traditionnel et conventionnel du complément alimentaire et encore plus loin du sujet qui vous intéresse.

La question du commerce international via internet, en particulier des produits venant de pays tiers, est complexe. Les douaniers ont un rôle à jouer. Un des axes de contrôle du marché est la communication auprès des consommateurs, la transparence. Il est important de rassurer les consommateurs et de leur donner le maximum d'informations, pour qu'eux-mêmes aient une attitude de consommation responsable. Nous étudions le principe du « Name and Shame » visant à dénoncer des pratiques illégales lorsque les acteurs sont à l'autre bout du monde. Pour renforcer la transparence, nous avons mis en ligne la totalité des compléments alimentaires déclarés. Cela peut rassurer avant un achat sur internet. Dans 99 % des cas, les produits à visée érectile ne sont pas déclarés à l'administration française. Cette transparence peut créer un filtre. La base de données est mise à jour quotidiennement.

Pour le travail entre ministères, il se fait par l'intermédiaire de protocoles. Nous avons un protocole de coopération avec l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Il nous permet de coordonner les contrôles de produits pour lesquels la compétence est partagée, comme les cosmétiques, ou des « produits frontières » soulevant des réflexions communes. Nous avons également des réunions annuelles permettant d'échanger sur ces problématiques.

Dès lors que l'on est dans des domaines qui ne sont pas harmonisés, nous sommes soumis à la problématique de la libre circulation des marchandises. Pour autant, nous avons un droit de regard sur les produits mis sur le marché français, même s'ils sont autorisés dans d'autres États membres de l'Union européenne. Si l'on estime qu'il y a une problématique sanitaire, on peut refuser leur commercialisation. On observe un taux d'environ 10 % de refus d'autorisation de compléments alimentaires, pouvant donner lieu à contestation devant les tribunaux administratifs. Les décisions de la DGCCRF sont bien motivées. A ce stade, le juge nous donne raison dans 90 % des cas en première instance et 100 % en appel.

Mme Angèle Préville . - Pouvez-vous nous en dire plus sur les conservatoires botaniques nationaux ? Combien sont-ils ? Quel est le maillage ? Ils doivent avoir une histoire par rapport aux plantes présentes sur les territoires.

M. Michel Perret, direction générale de l'eau et de la biodiversité. - Ce sont des organisations à vocation scientifique et technique, dédiées à l'étude, à la conservation des plantes sauvages et des habitats naturels ainsi qu'à l'information du public. Ces organisations bénéficient d'un agrément de la part du ministère en charge de l'environnement, régulièrement examiné et renouvelé. Des missions précises définies par arrêté, pour un territoire donné, doivent être mises en oeuvre pour obtenir cet agrément. Le conservatoire botanique national du bassin parisien est attaché au Museum national d'histoire naturelle.

Il existe actuellement onze conservatoires. La couverture de l'ensemble du territoire national n'est pas encore tout à fait effective, notamment en outre-mer. Il y a un conservatoire botanique à La Réunion, mais il n'y en a pas sur les autres territoires ultra-marins : on y trouve en revanche des structures émergentes que l'on accompagne. Ces conservatoires sont fédérés au sein d'une fédération dont les attributions techniques ont été affectées, à la suite de la loi biodiversité de 2016, à l'agence française pour la biodiversité. Cette dernière a un rôle de coordination technique auparavant dévolu à cette fédération.

Les structures administratives sont hétérogènes : syndicats mixtes, associations, organisations rattachées à des établissements publics. Ce que l'on cherche c'est l'implication des collectivités territoriales, et notamment régionales, dans ces structures.

Ces conservatoires sont un outil précieux pour l'action sur le terrain. Ils fédèrent les associations de protection de la nature, les gestionnaires d'espace, les naturalistes et botanistes amateurs pour recueillir des données sur l'état de la flore sauvage et sur les milieux naturels. Ces données sont agrégées dans des systèmes d'information qui nous permettent d'avoir des indications sur les espèces et leur état de conservation.

Les conservatoires botaniques nationaux mettent en oeuvre des programmes locaux de protection, en partenariat avec les parcs naturels régionaux ou l'AFC afin d'avoir une gestion raisonnée de la ressource. Ces dispositions sur la cueillette sont à promouvoir et à développer largement, pour prévenir des effets négatifs.

C'est un réseau important dont la France est fière. A notre connaissance, il n'existe pas de système semblable en Europe.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Je vous remercie pour vos contributions. Le ministère en charge de l'agriculture n'est pas représenté, mais il y a une raison. Nous avons déjà auditionné FranceAgriMer qui nous avait communiqué tous les éléments relevant du champ de compétences de ce ministère. Il faudra discuter de la préservation des plantes via la gestion de la cueillette, mais également via la biodiversité cultivée. Enfin, nous ne sommes pas allés au bout de la problématique des chanvriers mais il me semble qu'une mission interministérielle a été mise en place.

Table ronde autour de responsables de formations universitaires : M. Guilhem Bichet, docteur en pharmacie et pharmacien d'officine, Mme Sabrina Boutefnouchet, maître de conférences en pharmacognosie à la faculté de pharmacie Paris-Descartes, M. Thierry Hennebelle, professeur en pharmacognosie à la faculté de pharmacie de l'Université Lille 2

Jeudi 21 juin 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Notre mission d'information poursuit ses auditions en accueillant des responsables de formations universitaires spécialisées : M. Guilhem Bichet, docteur en pharmacie, Mme Sabrina Boutefnouchet, maître de conférences en pharmacognosie à la faculté de pharmacie Paris-Descartes et M. Thierry Hennebelle, professeur en pharmacognosie à la faculté de pharmacie de l'Université Lille 2.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public, que je salue.

M. Thierry Hennebelle. - Je vais cibler mon propos sur l'offre existante de formations spécialisées, c'est-à-dire les diplômes universitaires et interuniversitaires, et plus précisément sur les thématiques qui y sont abordées et les modalités des enseignements.

Même si chaque diplôme est défini par son concepteur et reflète souvent sa vision personnelle du sujet, la plupart des diplômes existants traitent de phyto-aromathérapie.

Nous avons répertorié douze formations diplômantes universitaires dispensées dans des facultés de pharmacie.

Trois diplômes plus récents traitent spécifiquement d'aromathérapie, sujet en vogue : à Dijon, Rennes et Strasbourg, ce dernier diplôme, spécialisé en « aromathérapie clinique », étant destiné à la pratique en établissement de santé.

J'ai mis à part la formation que je dirige à Lille car ce diplôme recouvre un domaine un peu plus large, à savoir les produits naturels et les compléments alimentaires : à côté de la phyto-aromathérapie, y est traitée la micro-nutrition, qui recouvre les vitamines, les minéraux et les autres substances pouvant entrer dans la composition de compléments alimentaires. À cet égard, la référence à l'ouvrage de Patrice de Bonneval, fondateur de l'École lyonnaise de plantes médicinales, renseigne sur ma conception large de l'herboristerie, à l'instar de son manuel pratique qui aborde les plantes et huiles essentielles mais aussi les vitamines et minéraux.

La progression du nombre de formations illustre assez bien la demande du grand public et l'intérêt des universitaires pour ces sujets : alors qu'il n'existait qu'un seul diplôme, à Besançon, avant 2008, il y en a douze à l'heure actuelle et un nouveau diplôme universitaire (DU) de phyto-aromathérapie ouvrira en 2018 à Grenoble.

J'ai interrogé les responsables de ces formations dans la perspective de cette audition pour savoir, approximativement, combien d'heures ils consacrent à chaque catégorie d'enseignement. Les formations s'intéressent majoritairement aux conceptions scientifiques (données pharmacologiques ou cliniques) qui régissent l'utilisation des plantes médicinales et des autres produits associés, ainsi qu'aux conseils pratiques sur les plantes. Cela correspond aux attentes et demandes des consommateurs, auxquelles ont vocation à répondre ces offres de formation continue. La sécurité d'emploi des produits considérés est également abordée.

Sur les objectifs considérés comme prioritaires par les responsables de ces formations universitaires, la défense d'une conception rationnelle de l'utilisation des plantes médicinales vient en premier, à savoir une utilisation scientifique et médicale correcte.

La diapositive suivante montre une présentation que je propose généralement en introduction de ma formation, pour monter la complexité du sujet : les concepts de phytothérapie, de plantes médicinales ou encore d'herboristerie se recouvrent quelque peu, avec des connotations néanmoins un peu différentes ; parallèlement, les produits ont des statuts différents, comme celui de complément alimentaire, ce qui ne facilite pas la lecture. Le conseil prodigué doit prendre en compte les dangers possibles du produit mais aussi la possible inefficacité du traitement.

Un article publié il y a quelques années par le Canard enchainé, « Des bobologues à la fac », a beaucoup fait parler, en estimant que des facultés de médecine ou de pharmacie s'enrichissaient sur le dos de personnes un peu crédules en lançant des formations sans aucun intérêt. C'est une donnée que nous devons prendre en considération. Cela montre aussi combien nos formations doivent répondre à des exigences scientifiques.

L'illustration suivante, qui montre un médecin menaçant de mort un patient à qui il a prédit deux semaines de survie, et qui a dépassé le temps imparti, renvoie à des images que nous pouvons avoir de la profession médicale, qui ne renverrait pas à une réelle compétence. Nous tentons d'aller à l'encontre de ces images pour rendre compte de la complexité inhérente à la pensée médicale. C'est le même message transmis par la dernière illustration, tirée du livre l'Abyssin, de Jean-Christophe Ruffin, lui-même médecin, illustrant l'histoire d'un « gentil apothicaire-herboriste » opposé au « méchant médecin ». On va souvent opposer une science médicale peu préoccupée de l'être humain à une vision humaniste de l'utilisation des plantes : la réalité est en général plus complexe.

Je terminerai en précisant que les portes de mon diplôme universitaire sont ouvertes aux non-professionnels de santé, considérant que « nous sommes tous herboristes », vision qui, je pense, illustre bien la philosophie que je développe au sein de ma formation et interroge sur ce que pourrait apporter de plus un diplôme d'herboriste.

Mme Sabrina Boutefnouchet . - Je vous remercie d'organiser cette mission autour de l'herboristerie.

Je suis responsable d'une formation universitaire en phyto-aromathérapie à l'Université Paris-Descartes pour les futurs pharmaciens ainsi que d'un diplôme universitaire en formation continue destiné aux pharmaciens et aux autres professionnels de santé.

Le contexte est aujourd'hui celui d'une très forte demande de la population de produits à base de plantes, non seulement dans un but de santé et de bien-être, mais également de prévention voire d'automédication.

Il nous a semblé indispensable d'organiser une formation, le format des DU existants n'étant pas, selon nous, adapté à la demande.

C'est la raison pour laquelle nous avons envisagé, au sein de l'université Paris-Descartes et en association avec le centre de formation professionnelle des préparateurs en pharmacie situé rue Planchat dans le 20 ème arrondissement de Paris, de proposer un cursus de licence professionnelle en apprentissage pour former des conseillers spécialisés en herboristerie et produits de santé à base de plantes et ainsi garantir la sécurité d'utilisation de ces produits.

Ce cursus s'adresserait à des personnes diplômées de niveau Bac+2 (BTS santé, brevet professionnel de préparateur en pharmacie, L2 Sciences de la vie, Sciences pour la santé) qui, une fois devenues conseillers, pourraient exercer en pharmacie, parapharmacie, herboristerie, boutique spécialisée ou en grandes et moyennes surfaces.

Notre réflexion anticipe l'éventuelle recréation d'un diplôme d'État d'herboriste et invite à réfléchir aux contours de cette profession. Les prérogatives identifiées sont principalement la vente de plantes en vrac seules ou en mélange, sur la base d'une liste de plantes autorisées qui porte à discussion. Est également revendiquée la réalisation de préparations traditionnelles, tels les macérâts ou teintures de plantes, ce qui doit amener à réfléchir aux bonnes pratiques de préparation et à la traçabilité de ces préparations. Une autre activité serait évidemment la vente d'autres produits à base de plantes, comme les compléments alimentaires ou les huiles essentielles. Quant aux lieux d'exercice des titulaires d'un tel diplôme, nous pouvons envisager, en dehors des boutiques d'herboristerie, des pharmacies, des parapharmacies ou d'autres boutiques spécialisées.

Parmi les revendications les plus fréquentes, revient souvent le souhait d'associer à la vente de ces produits la possibilité de prodiguer des conseils en santé mettant en avant les propriétés médicinales des plantes. À cet égard, un certain nombre de plantes médicinales répondent à un usage traditionnel issu de traditions parfois populaires, réglementé notamment par l'Agence européenne du médicament.

Une quinzaine d'indications traditionnelles sont reconnues pour environ 200 plantes : elles concernent des pathologies bénignes pouvant être prises en charge dans le cadre de l'automédication.

Il nous semblerait aujourd'hui raisonnable de lever le verrou réglementaire afin d'associer ces indications traditionnelles aux plantes utilisées en herboristerie, pour permettre, par exemple, d'indiquer que le thym est intéressant pour soulager la toux.

La demande de conseil en santé demande d'acquérir des connaissances solides que l'université peut apporteur pour appréhender le caractère ou non bénin d'une situation.

Ainsi, la formation que nous envisageons associerait plusieurs volets :

- un premier volet pourrait être dispensé par les écoles privées d'herboristerie, avec lesquelles nous avons déjà engagé des discussions, concernant la connaissance des plantes, la botanique, la connaissance du terrain, les circuits de production et de collecte, la gestion et la préservation de la ressource ainsi que les usages traditionnels ;

- un autre volet universitaire, dispensé au sein des universités ou de manière délocalisée, par exemple dans des écoles d'herboristerie ou des centres de formation professionnelle, porterait sur les fondamentaux en santé indispensables, dont la biochimie, la physiologie, l'anatomie, la physiopathologie, c'est-à-dire la capacité de comprendre ce qu'est la maladie pour savoir dans quel cas orienter vers un professionnel de santé et pour appréhender les limites du conseil en santé. Bien entendu, la formation inclurait également les risques de iatrogénie, à savoir les interactions entre plantes et médicaments. C'est également à l'université d'apporter la connaissance du principe actif des plantes, c'est-à-dire la pharmacognosie, et la capacité à analyser et à contrôler la qualité des plantes ;

- le dernier volet pourrait être assuré au sein des centres de formation des apprentis (CFA). Je laisserai M. Bichet vous exposer l'intérêt de l'apprentissage. Ces CFA pourraient participer à l'enseignement des fondamentaux, comme ils le font déjà dans le cadre de la formation des préparateurs en pharmacie.

Cette formation pourrait durer trois ans, comme cela est proposé dans d'autres pays européens, en passant éventuellement par une validation des acquis de l'expérience.

Nous avons le soutien du doyen de l'Université Paris-Descartes dans ce projet de formation. Les principaux avantages seraient de répondre à la réalité de la pratique de l'herboristerie en intégrant la dimension médicinale revendiquée, d'identifier un spécialiste reconnu, aux côtés des pharmaciens, voire même de dynamiser le secteur des PPAM (plantes à parfum, aromatiques et médicinales). En effet, l'université pourrait assurer, au sein de ses laboratoires, la sous-traitance du contrôle-qualité des plantes proposées et encourager les activités de recherche (qualité, intérêt clinique) autour des plantes.

Parmi les difficultés à surmonter, des aménagements réglementaires seraient à envisager, notamment pour réfléchir à la liste des plantes pouvant être proposées par des herboristes, et la mise en place d'une telle formation devrait reposer sur l'accord de toutes les parties. Comme je vous l'ai indiqué, des discussions sont déjà engagées avec les CFA et les écoles d'herboristerie, notamment sur le contenu de la formation.

M. Guilhem Bichet . - Le socle de la formation en alternance est la relation avec l'entreprise et les besoins des entreprises de disposer de personnes directement opérationnelles. C'est le modèle de référence aujourd'hui pour la formation des préparateurs en pharmacie.

Nous voyons d'un bon oeil la collaboration avec l'université : une collaboration tripartite entre des enseignements théoriques universitaires, des enseignements pratiques dans les CFA ou centres de formation professionnelle et une formation sur le terrain, en entreprise, peut être tout à fait fructueuse. Ce schéma serait applicable aux écoles des plantes, sachant que la gestion complète de la partie administrative peut être prise en charge par les centres de formation professionnelle.

Sept centres proposent déjà des formations liées aux plantes, avec un fort taux de réussite en termes d'intégration professionnelle. Pour le centre de formation professionnelle de préparateurs en pharmacie de Paris-Ile-de-France, 90 % des apprentis sont ainsi en emploi six mois après leur formation et un tiers d'entre eux continuent d'exercer dans les entreprises au sein desquelles ils ont été formés.

Cette réussite invite à penser que l'on puisse bâtir le futur diplôme d'herboriste sur ce même modèle. Néanmoins, plusieurs questions restent en suspens : quelle serait la part de formation prise en charge par l'entreprise ? Nous pourrions envisager un maximum de deux jours par semaine. Quelle serait la ou les tutelles et qui assurerait l'encadrement de ces formations, entre la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) ? Quelle serait la convention collective applicable et le statut de la personne formée ? Pour les moins de trente ans, le dispositif pourrait être financé par les régions et, pour les plus de trente ans, par les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) même si ce système est en cours de réforme. Enfin, il faut réfléchir à ce que la formation soit en ligne avec les attentes des entreprises.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Merci pour vos interventions qui enrichissent encore nos réflexions.

Au fil des auditions, plusieurs métiers correspondant à différents niveaux de connaissances ont été évoqués : paysan-herboriste, commerçant-herboriste et pharmacie-herboriste : que pensez-vous d'une telle structuration ?

Plus généralement, avez-vous des propositions de simplification de la réglementation applicable aux plantes médicinales et produits à base de plantes tels que les huiles essentielles ou compléments alimentaires ?

M. Thierry Hennebelle . - Tout le monde souhaite une simplification mais je n'ai pas de solution évidente à vous soumettre. La dissociation entre l'effet thérapeutique et l'effet physiologique, qui fait référence à un individu sain, n'est pas toujours très nette. Au niveau européen, le principe d'une définition thérapeutique « allégée » constituerait une avancée pour permettre une meilleure compréhension et éviter de louvoyer entre des allégations de santé qui ne sont pas à vocation thérapeutique pour tenter de définir un effet sur la santé.

Les pharmaciens n'ont pas beaucoup de droits : les préparations qu'ils peuvent réaliser en dehors d'une prescription médicale sont extrêmement limitées. Ils ne peuvent ainsi réaliser de dilutions ou de mélanges d'huiles essentielles sans ordonnance. Dans ce contexte, donner plus de droits à une autre profession ayant un niveau de formation inférieur sera vraisemblablement mal perçu. Un assouplissement réglementaire général pourrait favoriser les discussions.

Mme Sabrina Boutefnouchet . - Je pense que nous irons vers deux catégories de professionnels pouvant tout à fait coexister : les pharmaciens, auxquels il convient en effet de donner plus de droits pour la réalisation de préparations, et les herboristes. Pour ces derniers, si ce métier devait être créé, un seul diplôme pourrait permettre selon moi d'exercer cette profession dans différents contextes ; il me semble difficile d'envisager plusieurs niveaux de connaissances.

La réglementation européenne sur les compléments alimentaires a donné un coup de pied dans la fourmilière en autorisant un certain nombre d'allégations de santé. En revanche, la situation est bloquée s'agissant des plantes en vrac. Déverrouiller l'usage traditionnel des plantes comme allégation de santé permettrait d'éviter de jouer sur les mots pour dire par exemple que le thym est bon contre la toux ou pour les problèmes respiratoires.

M. Gérard Dériot . - Les personnes que vous envisagez de former sur le modèle des préparateurs en pharmacie exerceront-elles sous la responsabilité directe de quelqu'un ou bien seront-elles en totale autonomie ? Je ne suis pas sûr de vous avoir bien compris.

M. Thierry Hennebelle . - Les diplômes universitaires (DU) n'ouvrent aucun droit en particulier. Ils s'adressent en général à des professionnels de santé en exercice qui viennent chercher une spécialisation. La proposition de formation présentée par Sabrina Boutefnouchet n'est pas un DU mais une licence professionnelle.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Dans l'intervention présentant la licence professionnelle, vous avez évoqué des formations en entreprise. Les interrogations se situent à ce niveau.

Mme Marie-Pierre Monier . - Vous envisagez d'ouvrir le métier d'herboriste au-delà des seuls pharmaciens. Des paysans sont aussi herboristes ou aimeraient le devenir. Tous n'ont pas le baccalauréat. Pourraient-ils suivre la formation que vous envisager de créer ?

Par ailleurs, en quoi consistait jusqu'en 1941 le diplôme d'herboriste ? Le contenu de la formation alors proposée est-il devenu obsolète ?

M. Guilhem Bichet . - Sur votre première question, la réponse est oui. C'est bien l'intention et la vocation de l'université d'élever le niveau de connaissances et de compétences pour combler un vide. Nous avons aujourd'hui des écoles d'herboristerie alors qu'il n'existe pas de diplôme reconnu. Notre objectif est de canaliser les choses. Dès lors que des personnes auront suivi une formation solide en trois ans ou via la validation des acquis de l'expérience, ils pourront exercer en autonomie et faire profiter le public de leur savoir, en complémentarité avec les professionnels de santé.

M. Thierry Hennebelle . - Je connais une boutique dédiée aux huiles essentielles dont la propriétaire, préparatrice en pharmacie, a passé un diplôme universitaire alors qu'elle aurait pu ouvrir cette boutique sans formation particulière, les contrôles étant assez rares en pratique.

M. Daniel Laurent . - Les plantes sont déjà libres d'accès partout, sans conseil. L'objectif serait de cadrer les choses pour donner le meilleur conseil aux personnes qui sont de plus en plus en demande de consommation de plantes médicinales. Le noeud du problème réside dans le possible bras de fer entre les pharmaciens et ces personnes qui exerceraient en autonomie après le diplôme d'herboriste que vous proposez : comment dénouer ce problème ?

Mme Corinne Imbert , présidente. - J'ai trois questions courtes. Pourquoi n'avez-vous pas évoqué la direction générale de la santé pour l'encadrement ou la tutelle de votre projet de licence professionnelle ? Quelle serait la qualité professionnelle des tuteurs de ces formations en alternance ? La position de l'université Paris-Descartes est-elle enfin partagée par d'autres universités ?

M. Guilhem Bichet . - Sur la tutelle et l'encadrement de formations au champ très large, nous pensions nous reposer sur les agences ou services compétents en matière d'alimentation et de réglementation et bénéficiant par ailleurs d'un ancrage territorial. Dans l'ensemble des formations universitaires pharmaceutiques, les processus de qualification des tuteurs ou maîtres de stage sont en cours de révision, pour aller vers un socle de compétences commun contrôlé par les universités.

Mme Sabrina Boutefnouchet . - Des collègues dans d'autres universités seraient partants pour proposer de telles formations en herboristerie. Notre projet de licence professionnelle vise à combler un manque, en créant un nouveau professionnel, spécialiste des plantes, aux côtés du pharmacien. Cela risque-t-il de créer de la confusion ? Cette question doit être posée. Je pense toutefois qu'avoir un spécialiste mieux identifié permettrait d'aider les consommateurs en demande de conseil à s'y retrouver.

M. Daniel Chasseing . - Vous avez parlé d'un volet en santé solide : fondamentaux en santé, interactions médicamenteuses, physiopathologie, iatrogénie. Envisagez-vous que ce nouveau spécialiste formé seulement en trois ans soit sous la responsabilité du pharmacien ?

Mme Sabrina Boutefnouchet . - Ce personnel exercera plutôt à côté du pharmacien, de manière indépendante. En près de 400 heures de formation, on pourra déjà faire des choses. En 1941, il fallait reconnaître 50 plantes sèches et 50 plantes fraîches ; le jury était composé de pharmaciens et d'herboristes. Le contexte et la réglementation ont profondément évolué depuis.

M. Guilhem Bichet . - La notion importante à retenir pour avancer me semble être celle de l'usage traditionnel des plantes.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Merci pour vos interventions.

Table ronde autour de M. Patrice de Bonneval, président de la Fédération française des écoles d'herboristerie (FFEH), directeur de l'École Lyonnaise de Plantes Médicinales (EPLM), Mme Ferny Crouvisier, présidente de l'Association pour le Renouveau de l'Herboristerie (ARH), Mme Marie-Jo Fourès, représentante de l'École Bretonne d'herboristerie (Cap Santé), M. Yves Gourvennec, représentant de l'École des Plantes de Paris (EDP), Mme Nathalie Havond, co-directrice de l'Institut Méditerranéen des Plantes Médicinales (IMDERPLAM), Mme Françoise Pillet, directrice adjointe de l'ELPM

Jeudi 21 juin 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses auditions en accueillant des représentants des écoles d'herboristerie.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Patrice de Bonneval, président de la Fédération française des écoles d'herboristerie, directeur de l'École Lyonnaise de Plantes Médicinales . - Le métier d'herboriste est un métier complet, qui existe depuis la création de la pharmacie, au Moyen Âge. Après bien des mésaventures, une école a été créée en 1920. Elle a disparu en 1941.

J'ai repris une herboristerie et une école entre les années 1974 et 1981.

Depuis quatre ans, nous avons créé une fédération qui regroupe les différentes écoles, au nombre de cinq.

Je voudrais vous présenter ce métier. Celui-ci s'intègre dans un système général d'évolution de l'humain. Les changements de la société invitent à repenser la relation de l'être humain à la terre et à la nature. Avec les autres personnes ici présentes, notre idée est de transmettre un idéal de respect de la nature, de l'homme et des plantes, une manière de soigner naturelle et sans danger. Depuis que je fais ce métier, je n'ai jamais recueilli une seule plainte. Mon prédécesseur, qui avait créé son école et son herboristerie en 1942, n'a jamais rencontré de problème non plus. Il faut chasser la peur que fait naître l'herboristerie. Le monde est couvert par les plantes : on doit vivre avec elles, s'en nourrir et les utiliser pour se soigner. Alors que nous vivons de plus en plus en ville, il faut convaincre les gens qu'ils peuvent retrouver grâce à la nature un moyen de vivre correctement.

L'herboristerie est également un métier de prévention, de bonne santé. Consommer une plante, c'est consommer la vie. Les principes actifs nous permettent de comprendre comment fonctionnent les choses. On ne doit pas être au service de la chimie, c'est la chimie qui doit être à notre service. Il est indispensable, à notre époque, de se situer à la fois dans la tradition et dans la science. Notre objectif est d'offrir à tous la possibilité de se soigner avec des plantes. Nos écoles sont ouvertes à tous, y compris aux scientifiques.

L'herboristerie est une école de bien-être. C'est un métier indépendant. J'insiste sur ce point : nous voudrions être reconnus comme un métier en soi. Tout comme il existe des infirmiers, des kinésithérapeutes, il existera des herboristes, pour conseiller les gens, les diriger vers une manière de se soigner totalement naturelle. Je vis de l'herboristerie depuis 40 ans. Nous avons toujours eu de très bons résultats. Nous sommes en rapport avec la médecine et la pharmacie classiques, mais nous voulons être totalement indépendants. Nous proposons un enseignement complet, comprenant de la botanique, de la chimie, de l'anatomie-physiologie.

L'herboristerie, c'est l'amour de la nature et des gens. Il existe un rapport entre l'homme, la plante et la nature. Le coeur et la raison se complètent. On ne peut conseiller quelqu'un sans avoir un rapport humain avec lui. Il n'existe pas de difficultés avec les plantes. S'il y a une incompatibilité, cela vient de la personne, par exemple si elle est allergique, et non pas de la plante. Il faut donc que l'herboriste soit capable de comprendre le rapport entre la plante et la personne et sache apporter le conseil approprié.

Les intervenants dans nos écoles sont généralement des universitaires, auteur d'ouvrages et parfaitement compétents. Nous n'avons pas besoin de demander à quelqu'un de nous apprendre ce que nous savons déjà faire.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Deux observations : nous constatons tous l'envie de retour à la nature que la phytothérapie incarne, mais le danger est peut-être de considérer que ce qui est naturel est sans danger. Sur ce point, je ne partage pas votre avis.

Par ailleurs, vous avez mis en avant le fait que le métier d'herboriste repose sur l'amour des gens et la relation humaine. Les professionnels de santé, de manière générale, sont également à l'écoute de l'humain.

M. Patrice de Bonneval . - Je me suis peut-être mal expliqué : je n'ai jamais dit que la nature était sans danger. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut des spécialistes. Je ne dis pas non plus que les autres professions ne sont pas à la hauteur : je revendique simplement notre indépendance.

Mme Ferny Crouvisier, présidente de l'Association pour le renouveau de l'herboristerie . - Je suis responsable et directrice de l'enseignement de l'Association pour le renouveau de l'herboristerie (ARH) et de l'Institut français d'herboristerie.

Les objectifs de la fédération des écoles d'herboristerie sont les suivants :

- oeuvrer à la promotion et à la reconnaissance de l'herboristerie en France et à la sauvegarde des savoirs traditionnels, en s'appuyant sur des données récentes scientifiques, dans le domaine de la botanique par exemple ;

- établir un lien entre les différentes écoles adhérentes et les fédérer autour d'un projet commun comme les congrès qui ont lieu tous les deux ans ;

- garantir un enseignement de qualité en vue d'assurer la sécurité du consommateur ;

- oeuvrer collectivement à la reconnaissance des formations en herboristerie dispensées dans les écoles adhérentes ;

- réfléchir à l'élaboration d'un tronc commun de compétences en vue d'une homologation ou du rétablissement du diplôme d'herboriste ;

- définir un référentiel métier d'herboriste et une charte de déontologie en vue du rétablissement du métier ;

- devenir l'interlocuteur institutionnel représentant la profession auprès des pouvoirs publics et des élus pour faire évoluer la législation.

Les actions en cours portent sur :

- la reconnaissance du rôle de l'herboristerie dans la société contemporaine, ce professionnel du bien-être contribuant au maintien de la santé de ses concitoyens ;

- le respect du consommateur et de l'environnement ;

- la garantie donnée à l'ensemble de la filière, qui associe dans un même professionnalisme et une même éthique tous les représentants de l'herboristerie, de pouvoir exercer leur métier dans des conditions reconnues et sécurisantes.

Nous organisons depuis quatre ans avec le syndicat Synaplante un congrès qui rassemble les gens proches du métier. Nous avons également adressé un courrier aux élus des deux chambres pour sensibiliser les parlementaires à cette problématique.

Mme Nathalie Havond, co-directrice de l'Institut méditerranéen des plantes médicinales . - Je suis codirectrice de l'Institut méditerranéen des plantes médicinales (Imderplam) créée en 1974. J'enseigne la botanique et les plantes médicinales.

La création de notre fédération en 2014 a permis de mettre en évidence certains de nos objectifs communs, en particulier celui de permettre à nos élèves d'acquérir des compétences pour atteindre une véritable autonomie dans la connaissance, la reconnaissance et l'utilisation des plantes médicinales.

À la fin de leur formation, nos élèves doivent être capables de connaître et reconnaître une plante sur le terrain sans aucun doute possible. Nous sommes parfaitement conscients qu'il existe des plantes toxiques. Les confondre peut entraîner la mort.

Nos élèves doivent être capables de cueillir les plantes et de les transformer, en tenant compte de la fragilité de notre environnement et des limites des ressources. La cueillette et le séchage des plantes conduit à une forme galénique simple et connue, qui fait le coeur de l'herboristerie. Mais nous allons au-delà de la préparation d'une infusion ou d'une décoction par le recours à des solvants comme l'alcool ou la glycérine, ou encore le traitement d'huiles essentielles ou végétales. Nos élèves doivent être capables de préconiser la forme galénique la plus adaptée pour chaque plante.

Nous souhaitons que nos élèves soient capables de connaître l'usage des plantes d'un point de vue traditionnel et ethnobotanique, mais également en tenant compte des dernières découvertes. Ils doivent être capables de dispenser des conseils de santé.

Les cinq écoles regroupées au sein de cette fédération ont toutes des formations dites longues en deux à trois ans d'environ 500 heures de cours en moyenne. La botanique représente environ 150 heures d'enseignement théorique et pratique, avec des sorties sur le terrain, des travaux pratiques en salle avec l'utilisation de loupes binoculaires. Nos enseignements comportent des ateliers de transformation pour apprendre à réaliser des extraits hydroalcooliques, des macérats glycérinés, des huiles de macération solaire, etc.

On apprend à nos élèves à connaître les principes actifs des plantes, la chimie et la biochimie des plantes, ce qui représente une quarantaine d'heures d'enseignement.

Nous souhaitons que nos élèves soient capables de dispenser des conseils de santé, sur la base d'un enseignement d'anatomie-physiologie qui correspond, dans la plupart de nos écoles, au niveau des études d'infirmier et représente une cinquantaine d'heures.

L'enseignement des plantes médicinales s'articule par système (articulaire, urinaire, etc.), avec une approche en phytothérapie, en aromathérapie, en gemmothérapie, etc. Nous abordons environ 300 plantes, bien au-delà de la liste des 148 plantes libérées du monopole officinal. Nous abordons également les compléments alimentaires.

Nos écoles ont une prédilection pour les plantes de la pharmacopée française, afin de privilégier des espèces cultivées et séchées dans le respect de la plante, sans trop grande empreinte carbone sur l'environnement du fait du transport.

Nos enseignements se veulent complets. Ils reposent sur plus de 40 ans d'expertise et s'adaptent aux évolutions des connaissances. Nous sommes en permanence dans une dynamique d'amélioration. Je souhaite insister sur le fait que nos enseignements intègrent la législation qui régit la pratique de l'herboristerie, les compléments alimentaires, l'étiquetage ou la cosmétique.

Nous tenons à nos élèves un discours très clair : les formations que nous proposons n'ont pas vocation à leur permettre de devenir des professionnels de santé mais des praticiens de santé. Nos élèves ne sont en aucune manière autorisés à faire du diagnostic.

Tous les conseils de santé qu'ils pourront être amenés à prodiguer devront reposer sur des diagnostics posés par des professionnels de santé ; nos élèves doivent avoir conscience des limites qu'ils pourront rencontrer et qui devront les conduire à orienter les personnes vers des professionnels de santé. Enfin, nos équipes pédagogiques sont constituées d'un grand nombre de professionnels de santé - médecins, infirmiers, docteurs en pharmacie, diététiciens, nutritionnistes, sages-femmes, docteurs en biologie - ainsi que de botanistes, ingénieurs agronomes et même avocats spécialisés en législation des plantes.

Mme Françoise Pillet, directrice adjointe de l'ELPM . - Les effectifs de l'École lyonnaise de plantes médicinales, dont je suis codirectrice depuis dix-huit ans, évoluent fortement depuis une dizaine d'années. On comptait 484 personnes en formation en 2008, 780 en 2013 ; elles sont environ 1 300 en 2018. Nous refusons du monde chaque année.

Le profil des élèves est très divers. Nous sommes ouverts à tous dans le cadre de la formation continue pour adultes. On dénombre une majorité de femmes : 80 % en moyenne. L'âge de nos élèves va de 18 à 80 ans. La moyenne se situe entre 35 et 40 ans. Nos élèves viennent de toute la France, et même de l'étranger ou des outre-mer dans le cadre de nos formations à distance, par correspondance ou en ligne.

Certains jeunes sont là dans un but d'insertion professionnelle. De plus en plus d'étudiants viennent se former en plus des études qu'ils peuvent suivre par ailleurs. Des personnes plus mûres viennent dans un but de reconversion professionnelle. Le pourcentage d'élèves qui suivent notre enseignement dans un but professionnel s'élève à environ 80 %, les autres personnes se formant dans un but personnel. Tous nos élèves et toutes nos équipes de formateurs partagent la même passion.

Si nous sommes ouverts à tous, nous recommandons le niveau baccalauréat. Notre philosophie est de rendre le savoir autour des plantes accessible à chacun. Le niveau de nos élèves se situe en moyenne entre le niveau bac et bac+5. Certains ont jusqu'à bac+10, doctorants dans des domaines divers. Quelques personnes ont enfin un niveau CAP, BEP ou sont en train de poursuivre leurs études.

Le panel des catégories socioprofessionnelles est large. Environ 40 % sont salariés du secteur privé. Certains sont issus des professions médicales et paramédicales, à hauteur de 10 % en moyenne. Il s'agit surtout d'infirmiers, de pharmaciens, de médecins, de puéricultrices, de sages-femmes, de dentistes, de kinésithérapeutes. 6 à 7 % sont des ostéopathes, praticiens du massage ou relaxologues. Nous comptons par ailleurs environ 10 à 12 % de personnes travaillant dans la production et la transformation des plantes. En Bretagne, le taux est plus élevé qu'à Lyon ou Paris. Les personnes sans emploi représentent de 3 à 4 % des élèves - bien qu'elles n'obtiennent pas toujours facilement des financements.

7 % des personnes obtiennent des financements grâce aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ou aux entreprises.

Nous réalisons depuis quelques années un suivi plus approfondi des débouchés et des taux d'insertion professionnelle, notamment dans le cadre de la certification qualité de certaines écoles. Nous avons conduit une première enquête cette année : 50 personnes y ont répondu sur les 100 étudiants sortis de formation il y a deux ans ; 50 % ont déclaré avoir changé de situation professionnelle. Une précédente enquête de 2014 réalisée par la fédération montrait, sur 245 réponses, que le taux de personnes ayant changé de situation professionnelle après la formation était de 40 %.

Les types de professions sont variés. L'herboristerie est aujourd'hui une réalité multiforme. Les principaux débouchés concernent l'installation en production, la cueillette, la distillation, la transformation, l'embauche dans une boutique ou la création d'un magasin. D'autres développent des compléments d'activité, la fabrication de produits, la transmission, la création de jardins avec animation. Des personnes évoluent dans leur emploi, en passant de vendeur à responsable de magasin, ou approfondissent le conseil en pharmacie ou en magasin bio. Les débouchés sont de plus en plus nombreux : notre école a reçu une trentaine d'offres d'emploi au cours des trois à quatre dernières années.

Nous favorisons en outre la mise en réseau des élèves et des anciens élèves.

Nous avons posé à nos élèves la question de savoir si une reconnaissance du diplôme d'herboriste leur semblait nécessaire. La grande majorité a répondu par l'affirmative, pour ne pas être à la limite de la légalité ou car ils rencontrent des difficultés dans leur recherche d'emploi ou leurs démarches pour obtenir des aides. Il s'agit donc de légitimer quelque chose qui existe déjà et de permette aux élèves d'exercer leur métier plus sereinement.

Mme Marie-Jo Fourès, représentante de l'École bretonne d'herboristerie (Cap Santé) . - J'ai une formation d'infirmière puéricultrice et travaille à l'École bretonne d'herboristerie comme formatrice. Cette école est située dans le Finistère, au coeur des Monts d'Arrée, dans un secteur rural. Elle propose une formation en ligne sur deux ans. Les élèves sont en lien direct avec les formateurs par le biais d'une plateforme Internet.

L'enseignement est renforcé par des regroupements présentiels, en accord avec les contenus des autres écoles de la fédération. Cette école répond à des demandes diverses, notamment dans le développement de la filière des plantes aromatiques et médicinales.

En 1985, nous comptions deux producteurs en Bretagne. Aujourd'hui, nous en dénombrons plus de 80. Ces derniers souhaitent se former. De plus, les structures de commercialisation se développent et induisent une demande de formation pour les vendeurs dans les magasins diététiques, qui se multiplient, les herboristeries, les coopératives biologiques. Des demandes importantes viennent également de personnels médicaux et paramédicaux. Nous commençons à intégrer des formations auprès des directeurs d'Ehpad, des équipes de coordination de soins palliatifs et des maisons d'accueil spécialisées en mettant en place des jardins thérapeutiques, qui assurent le lien entre l'homme et la terre.

Nous mettons également en place des réflexions sur le mieux-être pour répondre à des demandes importantes qui relèvent de la bientraitance, du bien vieillir, du bien manger. Nous travaillons sur des thèmes de santé publique, comme l'amélioration du sommeil ou de la digestion, ainsi que sur les soins de confort, tout ceci en accord avec la législation.

De plus, la diffusion des savoirs par les écoles participe au développement économique et local et à la revitalisation du secteur rural, à l'augmentation des produits à base de plantes et à une dynamique auprès des producteurs et des cueilleurs. Les retombées auprès des hôtels, des gîtes et des restaurants sont importantes dans les campagnes.

Nos élèves prennent conscience de la richesse du patrimoine végétal -landes, prairies naturelles, tourbières - et apprennent à la préserver.

Les écoles favorisent le développement touristique grâce aux sorties botaniques et au travail des professeurs sur la connaissance des plantes. Elles permettent d'assurer le lien avec la nature et les paysages. Elles donnent la possibilité de créer des liens entre des élèves issus de différents secteurs professionnels. Tous nous disent l'importance des mises en réseau et des échanges. Pour les générations futures, ce sont des écoles de vie.

M. Yves Gourvennec, représentant de l'École des Plantes de Paris (EDP) . - Je suis membre du conseil d'administration de l'École des plantes de Paris. Je ne suis pas herboriste et je ne le revendique pas. J'ai suivi trois années d'enseignement à l'École des plantes de Paris. Je développe une activité de découverte des plantes sauvages comestibles dans une association appelée « Hommes et plantes ». Je me permets de temps en temps d'indiquer les propriétés médicinales de ces plantes, sans bien évidemment donner de conseil.

L'École des plantes a été créée en 1985 par Clotilde Boisvert, ethnobotaniste et ingénieur au CNRS. Elle a été reprise au milieu des années 2000 par Josiane Prunier. Une des particularités de cette école est d'être consacrée à la botanique pour près de 50 % des enseignements. Nous avons institué un examen très proche de l'ancien certificat d'herboriste, qui consiste à reconnaître en une heure 50 plantes sèches et 50 plantes fraîches parmi 160.

Cyrille Coulard, lors de son audition, évoquait la possibilité de confusion entre la grande ciguë et la carotte sauvage : quand on anime une balade de plantes, on dit bien aux non-initiés de ne pas cueillir d'opiacés ou d'ombellifères : il peut exister un risque. Pour ceux qui ont été formés à l'herboristerie, aucune confusion n'est possible.

La fédération française des écoles d'herboristerie a de nombreux projets. Nous avons constaté une évolution exponentielle des demandes de formation, qu'on ne peut toutes satisfaire et surtout une augmentation des projets professionnels.

Aucune étude n'existe toutefois à ce sujet, hormis celle de Carole Brousse et de Jean-Baptiste Thévenin, que vous avez auditionnés. Nous avons décidé de nous y atteler en adoptant une démarche différente.

Nous avons adressé un questionnaire sur les pratiques, les représentations et les attentes en matière d'herboristerie d'une part aux producteurs de simples et, d'autre part, aux participants à nos deux derniers congrès, qui rassemblaient à la fois des personnes travaillant dans les boutiques, des herboristes de comptoir, des personnes intéressées par l'herboristerie, quelques pharmaciens et médecins. Cette enquête est en cours.

L'étude de 2014, à laquelle Françoise Pillet faisait allusion, nous a permis de constater la grande hétérogénéité dans les pratiques actuelles. Cette étude recense deux catégories de producteurs, ceux ne souhaitant pas une formation complète mais voulant améliorer leur situation économique et détailler la composition de leurs produits, et ceux désireux d'aller plus loin. 54 % des producteurs de simples ont suivi nos formations.

On trouve dans les pratiques actuelles de l'herboristerie, qui sont contraintes par la réglementation, l'accueil à la ferme, les jardins pédagogiques, l'animation, à titre professionnel mais aussi de loisir. Il existe également beaucoup de créativité autour de la vente : bar à tisanes, bibliothèques, ateliers cosmétiques, balades de reconnaissance de plantes avec les syndicats d'initiative, blogs, sites Internet, conférences.

Les praticiens de santé et du bien-être se retrouvent également dans la liste des personnes recourant à l'herboristerie. Ce sont des professions qui bénéficient déjà d'une qualification paramédicale. Elles ne peuvent pas dispenser de conseils du fait de la réglementation mais utilisent leurs compétences en herboristerie dans le cadre de leur activité. Pour autant, elles ne sont guère nombreuses à se lancer dans le métier d'herboriste.

On trouve également parmi les professions utilisant l'herboristerie les animateurs de sorties dans la nature, les animateurs en botanique, les accompagnateurs en moyenne montagne. Certaines activités sont en rapport avec le développement local - gîtes, séjours thématiques, jardins pédagogiques, formation, enseignement en atelier, stages, etc. Il existe une tendance à associer ces compétences afin de générer une activité.

Notre projet est de pousser les études à ce sujet. Une commande a été passée par la fédération des écoles d'herboristerie à Ida Bost, ethnologue, que vous avez auditionnée lors de votre première séance, afin de documenter l'état actuel de ce secteur et ses perspectives. Cette étude porte sur la bibliographie scientifique disponible, qui est très pauvre, sur le discours médiatique, le poids économique représenté par l'herboristerie, l'étude des manuels contemporains et le statut de l'herboristerie par rapport aux autres pays européens. Ida Bost et moi travaillons enfin sur la définition de l'herboriste et les attentes concernant la formation.

La première étape est constituée par notre questionnaire, qui cible le public intéressé par l'herboristerie. Nous avons déjà 668 réponses.

La deuxième étape se déroule sous forme d'entretiens avec des personnes ayant une activité d'herboriste leur permettant d'en vivre, même avec difficulté. Ceci nous a amené à constater une grande proximité culturelle entre ces personnes.

La troisième étape sera plus technique et aura lieu l'année prochaine. Elle portera sur la constitution de référentiels métiers ayant pour but la certification, à l'image des titres professionnels du ministère du travail, qui habilitent un certain nombre d'organismes à dispenser une formation. Cette certification vaudrait pour nous diplôme d'école, dans la perspective d'un futur diplôme d'herboriste, avec l'idée que la réglementation changera.

Si les activités sont très hétérogènes, l'image de l'herboristerie est relativement traditionnelle et moins associée aux compléments alimentaires, qui représentent l'industrie.

Nous avons une certaine légitimité. Quelques écoles ont quarante ans d'existence. Nous avons créé un réseau, une culture de l'herboristerie. J'espère en conséquence que nous pourrons participer à la construction d'une formation d'herboriste.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci pour vos interventions.

Quelles sont vos relations avec les acteurs des formations universitaires ou de formations professionnelles spécialisées dispensées dans les centres de formation professionnels et de promotion agricole (CFPPA) ?

Deuxièmement, un certain nombre d'intervenants ont évoqué plusieurs métiers correspondants à divers niveaux de connaissance, de paysan-herboriste à pharmacien-herboriste, en passant par herboriste de comptoir. Qu'en pensez-vous ? Quels seraient les contours de ces métiers et des formations correspondantes ?

Mme Ferny Crouvisier . - D'anciens élèves sont maintenant professeurs dans les CFPPA. On les rencontre souvent.

M. Yves Gourvennec . - Nous avons eu avant-hier un entretien avec Sabrina Boutefnouchet, de la faculté de pharmacie de Paris, qui a été auditionnée tout à l'heure, au sujet de son projet de licence professionnelle. Toutes les collaborations nous intéressent. L'exemple de la formation continue démontre que l'on peut habiliter des organismes à dispenser une formation, quel que soit leur statut, à condition que celle-ci réponde au cahier des charges. Certains pharmaciens suivent nos propres cours. Nos programmes sont donc de ce point de vue considérés comme intéressants. Pour ce qui est des CFPPA, nous les avons rencontrés lors des fêtes des simples organisées par les producteurs. Des discussions ont eu lieu. On espère qu'elles vont se poursuivre grâce à la mission parlementaire.

M. Patrice de Bonneval . - Nous travaillons beaucoup, pour ce qui nous concerne, avec les facultés de pharmacie de Grenoble et de Lyon, où j'ai eu l'occasion de faire un congrès l'année dernière et de tenir des conférences avec les pharmaciens.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - De qui les écoles dépendent-elles ? Quel est le ministère de tutelle ? Par ailleurs, quel est le budget d'une école ? Quel est le reste à charge d'une formation, compte tenu des OPCA et d'un éventuel financement des régions ?

M. Yves Gourvennec . - Il n'existe pas de ministère de tutelle. Nos écoles sont privées.

Mme Françoise Pillet . - Nous exerçons dans le cadre de la formation professionnelle continue et relevons de la direction du travail.

M. Patrice de Bonneval . - On compte d'ailleurs sur votre mission d'information pour savoir de qui l'on va dépendre. On peut dépendre du ministère du commerce, de celui de la santé, ou de l'agriculture. On ne demande pas mieux !

Mme Françoise Pillet . - Pour ce qui est du coût, les sommes sont variables d'une école à l'autre. En moyenne, on peut considérer que 2 000 euros par an sont à charge de l'élève, voire plus en cas de stage. On peut arriver à 5 000 euros voire 6 000 euros au total.

M. Yves Gourvennec . - Si le diplôme d'herboriste était réhabilité, il faudrait instituer une égalité de traitement entre les différents organismes habilités. On pourrait, comme dans le cadre de la formation continue, bénéficier d'agréments et de financements des régions. Ceci permettrait d'éviter la distorsion de concurrence par rapport aux CFPPA, qui font d'ailleurs également payer leurs stagiaires, voire par rapport aux universités.

Mme Nathalie Havond . - Le coût d'une formation de trois ans est en effet d'environ 5 000 à 6 000 euros, quelle que soit l'école. Nous sommes parfaitement conscients de l'importance de cette somme. C'est pourquoi nous attachons énormément d'importance à la qualité de nos enseignements. C'est un véritable investissement pour nos élèves. Ils sont parfois issus de milieux socioprofessionnels qui ne leur permettent pas de dégager de gros revenus. Peut-être cela va-t-il changer. Tant mieux pour eux, et tant mieux pour nous !

Aucune de nos écoles, à ma connaissance, ne bénéficie de subvention. La mission que nous avons confiée à Ida Bost est totalement prise en charge par la fédération et les écoles. Il nous paraît important de faire évoluer nos enseignements pour être à la hauteur de l'attente et des exigences légitimes de nos élèves.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Personne ne vous contrôle-t-il ? Vous dites que vous respectez la législation...

M. Patrice de Bonneval . - Pour qu'il y ait contrôle, il faut qu'il y ait reconnaissance. Tous nos enseignants sont universitaires.

Mme Ferny Crouvisier . - Nous avons tous les ans un contrôle de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Dirrecte) à qui nous remettons notre bilan financier et pédagogique.

Mme Françoise Pillet . - Depuis l'année dernière, l'inscription Datadock et la certification qualité nous obligent à fournir plus d'éléments, à répondre à des critères de qualité et à entrer dans un cadre plus contrôlé et contraignant. Ceci nous conduit à nous structurer plus encore, ce qui est positif.

M. Yves Gourvennec . - Le contrôle des organismes de formation a énormément évolué. Un décret de 2015 oblige ceux-ci à répondre à 21 critères en matière de qualification des enseignants, d'objectifs de formation, de contenu, d'insertion professionnelle des stagiaires, etc.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Combien chacune de vos écoles compte-t-elle d'élèves ?

M. Patrice de Bonneval . - Nous en avons cette année 1 235, dont 600 en herboristerie pure.

Mme Françoise Pillet . - Il faut y ajouter des stages « tout public » ou d'approfondissement destinés aux anciens élèves.

Mme Marie-Jo Fourès . - Le nombre d'élèves de l'école bretonne s'élève à 100 pour les deux dernières années. Notre association de formation compte 450 adhérents. Il s'agit de formations « tout public », à la semaine, en herboristerie, aromathérapie, nutrition.

M. Yves Gourvennec . - L'École des plantes de Pairs est passée depuis 2008 de 19 à 254 personnes - et l'on refuse le monde. Nous avons un statut associatif.

Mme Nathalie Havond . - L'Imderplam compte 180 élèves en 2018 dans son cycle long de trois ans. Nous refusons également beaucoup de monde.

Mme Ferny Crouvisier . - Nous avons 80 élèves par an et nous refusons du monde.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Je remercie cette belle représentation des écoles d'herboristerie, qui existent et jouent leur rôle. Elles sont sérieuses, conformément à leur réputation. La question de la tutelle se pose effectivement, au regard de celle d'une formation diplômante.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Merci à toutes et à tous.

Audition de M. Jean-Louis Beaudeux, doyen de la faculté de pharmacie de Paris et du professeur Sylvie Michel, professeur de pharmacognosie

Jeudi 5 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente. - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales accueille ce matin le Professeur Jean-Louis Beaudeux, doyen de la faculté de pharmacie de Paris. Il est accompagné du Professeur Sylvie Michel, professeur de pharmacognosie. Après avoir entendu il y a deux semaines des responsables de diplômes universitaires spécialisés, vous allez nous apporter un éclairage plus global sur la façon dont les sujets qui intéressent notre mission sont pris en compte dans la formation des pharmaciens. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public, que je salue.

M. Jean-Louis Beaudeux, doyen de la Faculté de médecine de Paris. - J'ai choisi de venir avec ma collègue Sylvie Michel, chef de service de l'unité pédagogique de pharmacognosie. Je vais d'abord vous faire une présentation générale des études de pharmacie et de la façon dont elles intègrent la pharmacognosie et la biologie végétale.

Les pharmaciens font partie des professions de santé de niveau médical. Les études en pharmacie durent six années, la première année étant commune à toutes les professions de santé (Paces). Ces études sont très professionnalisantes. Les trois premières années, consacrées aux connaissances générales, permettent d'obtenir le diplôme de formation générale en sciences pharmaceutiques ; les trois années suivantes sont consacrées à l'acquisition d'une formation approfondie en sciences pharmaceutiques. L'ensemble des disciplines connaît une progression pédagogique, y compris celles ayant trait à la biologie végétale, aux plantes et à l'utilisation des principes actifs d'origine naturelle. La dernière année s'effectue à mi-temps en milieu hospitalier, avec un interfaçage entre la prescription et la dispensation des médicaments. La sixième année se termine par une thèse d'exercice. La répartition, à parts égales, entre des enseignements magistraux et des travaux pratiques comprenant des stages en officine dès la deuxième année, permettent aux étudiants d'obtenir des compétences spécifiques dans les domaines abordés par votre mission d'information.

Si le diplôme de pharmacien est unique, ses débouchés sont multiples. Il existe trois filières de spécialisation à partir de la quatrième année d'étude : l'officine et les métiers de la distribution (grossistes-répartiteurs) - que choisissent 50 % des étudiants de Paris-Descartes -, l'industrie du médicament et des produits de santé - 35 % de nos étudiants -, enfin l'hôpital et la biologie médicale pour lesquels optent 15 % de nos étudiants.

Nos études sont ainsi très complètes, en offrant une connaissance de la chimie du médicament, de la dispensation et des trois règnes animal, minéral et végétal. En outre, les études de pharmacie sont soumises aux exigences du développement professionnel continu, à l'instar des études médicales : obligatoire, cela permet notamment aux pharmaciens de passer d'une filière à l'autre, via des actions courtes ou des diplômes universitaires.

Mme Sylvie Michel, professeur de pharmacognosie. - Ma discipline s'intéresse aux substances chimiques définies, qu'elles soient isolées ou non. Ma présentation portera sur les formations liées aux plantes médicinales dispensées dès la deuxième année. Elles concernent en particulier la botanique, les sciences végétales, la mycologie, le métabolisme végétal et la reconnaissance des plantes grâce au jardin botanique qui est au sein de la faculté. Les troisième et quatrième années sont réservées à l'étude des substances chimiques isolées des plantes, à leur utilisation thérapeutique, leur mécanisme d'action et à leurs effets secondaires. Ces formations représentent au total 40 heures d'enseignement se répartissant en cours magistraux et en travaux dirigés, lesquels permettent aux étudiants de se familiariser notamment avec les techniques d'extraction des molécules.

Dans la filière officine, sont également proposées des formations en phytothérapie, aromathérapie, en plantes toxiques, en homéopathie, pour une durée totale d'environ 46 heures. Enfin, en sixième année, des cas de comptoirs sont consacrés aux compléments alimentaires.

Des parcours de master sont consacrés à la qualité des médicaments, notamment ceux à base de plantes, ainsi qu'à la qualité des produits cosmétiques, des aliments (dont les compléments alimentaires) et des eaux. Chaque parcours comprend environ 300 heures de formation.

Comme cela vous a déjà été exposé lors d'une précédente audition, un diplôme interuniversitaire (DIU) sur les données actuelles et les limites de la phytothérapie et de l'aromathérapie est proposé par l'Université de Paris-Descartes et celle de Paris Sud-Saclay. Son accès est limité aux professionnels de santé (pharmaciens, préparateurs en pharmacie, médecins, sages-femmes, dentistes ou vétérinaires).

Un projet de licence professionnelle, autour de la phytothérapie, serait destiné à des professionnels du niveau des préparateurs en pharmacie pour leur permettre par la suite de prodiguer des conseils en boutique et les former aux bonnes pratiques de préparation. En outre, une formation de technicien en matière végétale est également envisagée, en réponse aux demandes d'expertise en actifs naturels émanant d'entreprises de production, dans les industries pharmaceutiques et de cosmétique.

La recherche porte sur des plantes traditionnelles, notamment sur des plantes exotiques utilisées par d'autres traditions médicales comme en Chine, en Inde et en Afrique, en collaboration avec des universités situées dans ces zones géographiques. Malheureusement, à défaut de financement, nous conduisons peu de recherche sur les plantes médicinales locales pour lesquelles nous disposons donc de peu de données cliniques.

Nous collaborons avec l'Institut de chimie des substances naturelles (ICSN), les agences régionales de santé et les centres anti-poisons pour déterminer la toxicité de certaines plantes, n'ayant pas encore fait l'objet de contrôles uniformes.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Vous avez évoqué le projet de licence professionnelle de « conseiller en herboristerie ». Comment concevez-vous l'articulation entre cet éventuel métier d'herboriste et le métier de pharmacien ? Pensez-vous qu'une spécialisation en « pharmacien-herboriste » réponde à une demande croissante des jeunes étudiants et de la profession ? La formation initiale de base devrait-elle évoluer ? Vous avez souligné qu'il existe peu de recherches sur les plantes locales de l'hexagone. Qu'en est-il des plantes des outre-mer qui sont d'une grande richesse ?

Mme Sylvie Michel. - Les pharmaciens ont tout en main pour être de bons herboristes. Le module de phytothérapie leur permet d'approfondir leurs connaissances. Mais celles acquises durant leur cursus initial en physiologie, pharmacologie et toxicologie leur permettent d'appréhender les risques sanitaires potentiels de l'utilisation des plantes. Dans certaines limites, des herboristes disposant de bonnes connaissances des plantes pourraient également délivrer des plantes hors monopole ou alimentaires, à l'issue d'une formation universitaire.

M. Jean-Louis Beaudeux. - J'ai insisté sur le niveau médical des études de pharmacie. Le pharmacien bénéficie en effet du renfort d'autres connaissances et de spécialités comme la physiologie et la toxicologie pour appréhender des processus plus complexes tels que les mélanges de plantes ou les interactions médicamenteuses. Cette formation médicale constitue une valeur ajoutée pour l'exercice de l'herboristerie. Elle peut aussi être mise à profit pour assurer une formation de professionnels non médicaux.

Mme Sylvie Michel. - Le pharmacien a la capacité de renvoyer vers le médecin, lorsque la phytothérapie n'est pas en mesure de prendre en charge certaines pathologies.

M. Jean-Louis Beaudeux. - La recherche s'intéresse en effet trop peu aux plantes ultramarines.

Mme Sylvie Michel. - Nous travaillons toutefois avec la Guyane et les Antilles au développement de la production de plantes médicinales qui peuvent être commercialisées localement.

M. Jean-Luc Fichet . - Merci pour cette présentation. Peu de temps est consacré à la connaissance réelle des plantes médicinales en tant que telles. Cette connaissance est diffuse, ce qui motive notre réflexion sur la rénovation du métier d'herboriste. Que pensez-vous de la réapparition d'un tel métier ? Le problème qui se pose aux herboristes est celui de l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, à travers les indications de santé ou de confort qu'ils peuvent être amenés à donner. Or, j'ai découvert l'inscription, sur les emballages d'une margarine vendue en grande surface, des bénéfices de sa consommation pour les problèmes de cholestérol ou les problèmes cardiaques. On interdit pourtant aux herboristes de dire qu'une tisane est bonne pour le foie !

M. Jean-Louis Beaudeux. - Loin de leur transmettre un savoir se prétendant encyclopédique, nous apprenons à nos étudiants une méthodologie pour répondre aux questions auxquelles ils seront confrontés et appréhender des sujets nouveaux. Le métier d'herboriste peut se concevoir à deux niveaux : celui de l'expert, qu'est le pharmacien, et dans certaines limites, celui de l'herboriste non pharmacien. Les indications cardiovasculaires de la margarine que vous évoquez bénéficient d'une caution scientifique, puisqu'elles ont été validées par l'Institut Pasteur de Lille.

Mme Sylvie Michel. - Le diplôme de pharmacien n'est pas destiné à former uniquement des spécialistes des plantes, mais sa formation lui permet de bien les identifier et de mettre au jour leurs propriétés. Dans la filière officine, les étudiants bénéficient d'une formation non négligeable en ce sens. Si le pharmacien doit devenir le spécialiste des plantes, une formation complémentaire serait toutefois bienvenue. Il serait selon moi possible d'avoir une formation parallèle d'herboriste ; mais il est plus compliqué de déterminer quelles allégations de santé il pourrait être autorisé à délivrer. On pourrait cantonner sa pratique à l'usage traditionnel reconnu de certaines plantes.

M. Pierre Louault . - Une formation sur les connaissances des plantes est-elle prodiguée par l'une des facultés de pharmacie ? Les compléments alimentaires peuvent remédier à des problèmes de santé que les médicaments ne sont pas en mesure de soigner efficacement. Il est dommage qu'on ait abandonné ce savoir-faire en matière d'herboristerie qui étaient encore en vigueur il y a quelques décennies, alors que l'amélioration des technologies de conditionnement permettraient encore d'en améliorer les effets.

Mme Sylvie Michel. - Des diplômes universitaires en phytothérapie et aromathérapie se sont mis en place suite à une demande en croissance exponentielle parmi les professionnels de santé. Ces formations incluent une démarche qualité qui commence dès la plante : il faut être capable de l'identifier, d'en évaluer les taux de pesticides ou de métaux lourds ou de vérifier que les bulletins d'analyse ont bien été effectués. Cette formation existe déjà, bien que ne figurant pas dans la formation commune.

M. Jean-Pierre Moga . - Les formations dont vous parlez s'adressent aux pharmaciens. Vous parlez également de former des techniciens spécialisés dans les matières végétales. Une formation au métier d'herboriste destinée à d'autres publics vous paraît-elle possible ?

Mme Sylvie Michel. - Une formation d'herboriste appuyée sur un cursus universitaire permettrait de bien cadrer les choses et de dispenser un programme évalué.

M. Jean-Louis Beaudeux. - Les universités de pharmacie peuvent jouer un rôle important. Le diplôme interuniversitaire de phytothérapie, dont peuvent bénéficier les pharmaciens, porte sur la dispensation, les allégations de santé et les interactions, le mélange des plantes et leurs éventuels bienfaits. Encore faut-il disposer des connaissances nécessaires y compris sur le contrôle de la qualité des matières premières : le pharmacien, fort de ses compétences notamment en chimie, dispose d'une réelle valeur ajoutée.

Mme Angèle Préville . - L'Institut de chimie des substances naturelles conduit-il des recherches ? En quoi consiste votre collaboration ?

Mme Sylvie Michel. - Cet institut, qui dépend du CNRS, travaille sur des plantes plus exotiques et dispose d'un accès à une grande biodiversité de plantes : les chimistes qui y exercent ont la capacité de fournir des activités biologiques sur des extraits ou des produits chimiquement définis.

M. Jean-Louis Beaudeux. - Il conduit exclusivement des activités de recherche.

M. Joël Labbé , rapporteur. - S'agissant des formations, il existe tout de même cinq écoles qui forment au métier d'herboriste. Un encadrement de ces formations existantes ne serait-il pas opportun ?

Mme Sylvie Michel. - Tout à fait ! Le travail doit être collaboratif. Il faut reconnaître les compétences et connaissances, certes incomplètes, sur lesquelles s'appuient ces écoles.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Je vous remercie de vos interventions et de l'éclairage que vous nous avez apporté.

Audition de Mme Christelle Chapteuil, directrice générale des Laboratoires Juva Santé et présidente du syndicat Synadiet (syndicat national des compléments alimentaires), et de M. Michel de Sarrieu, directeur scientifique de Fleurance Nature et administrateur du Synadiet, responsable du groupe de travail sur la réglementation nationale

Jeudi 5 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant Mme Christelle Chapteuil, directrice générale des laboratoires Juva Santé et présidente du Synadiet, le syndicat national des compléments alimentaires. Elle est accompagnée de M. Michel de Sarrieu, directeur scientifique de Fleurance Nature et administrateur du Synadiet, responsable du groupe de travail sur la réglementation nationale.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Mme Christelle Chapteuil, directrice générale des laboratoires Juva Santé et présidente du Synadiet, le syndicat national des compléments alimentaires . - Je débuterai mon propos avec une rapide présentation du syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet). Cette instance regroupe 243 sociétés représentatives, sur l'ensemble du territoire national, des professions de la filière incluant les producteurs, les transformateurs, les façonneurs, jusqu'aux laboratoires de contrôle. Notre rôle est de représenter la profession, de faire avancer la réglementation, de promouvoir, de faire connaître et de valoriser les produits auprès des professionnels et des autorités.

Un complément alimentaire est un produit présenté sous forme de dose (gélule, ampoule, sachet), constitué de nutriments, d'acide gras ou encore de plantes. Ainsi, 64 % des produits commercialisés en France contiennent au moins une plante. Le complément alimentaire se place entre les aliments, dont la fonction est de nourrir, et le médicament qui a pour fonction de guérir. Relevant de la législation alimentaire, ce produit a pour finalité d'apporter un confort et se trouve donc dans une sphère physiologique et non thérapeutique. Le consommateur décide de l'acheter, en général sans remboursement, dans une démarche volontaire afin d'entretenir sa santé.

Les plantes sont utilisées traditionnellement pour prévenir ou guérir les affections du quotidien. Dès le premier siècle de notre ère, les vertus des plantes ont été consignées dans des ouvrages. Il s'agit de plantes ou d'épices qui sont aujourd'hui dans le domaine alimentaire, comme la sauge, le safran ou le curcuma. La connaissance s'est étoffée de manière empirique. Jusqu'en 1941, un diplôme d'herboriste existait en France, avant qu'il ne soit supprimé par le régime de Vichy.

Les compléments alimentaires représentent 1,8 milliard d'euros d'achats en sortie caisse, toutes taxes comprises. Ceux-ci sont achetés, à hauteur de 51 %, en pharmacie ; le reste étant partagé entre parapharmacie, grandes surfaces, magasins diététiques, magasins bio ou franchisés bio, ainsi qu'à distance via le e-commerce. Ce marché est relativement jeune : apparu en France à la fin des années 80, il concernait avant tout les vitamines et minéraux. Les plantes sont apparues dans les compléments alimentaires à la fin des années 1990, avec une accélération à partir de la décennie 2010. Les officines ont développé le marché ; l'essentiel des ventes s'effectue toujours sous le contrôle des pharmaciens

Ce marché croît annuellement de 4 à 6 % malgré un contexte économique morose ; cette tendance se retrouve dans d'autres pays européens et traduit la volonté des consommateurs de prendre en main l'entretien de leur santé. Les acheteurs sont souvent des femmes, issues de catégories socio-professionnelles élevées, pour lesquelles l'hygiène de vie est essentielle.

En France, la culture des plantes médicinales et aromatiques représente 85 millions d'euros. Notre pays importe également des plantes exotiques, puisque, d'une part, tout ne pousse pas, ou suffisamment, sur le sol français et que, d'autre part, la filière est encore récente et ne répond pas à tous les besoins.

La plante est un élément vivant, actif et doit s'accompagner de mesures de contrôle. Elle peut présenter une charge bactérienne importante ainsi que des contaminants. Il importe ainsi de mettre sur le marché des produits sûrs pour le consommateur.

La réglementation a été élaborée à la fin des années 1990. La directive européenne 2002/46/CE a permis de définir un cadre commun pour la définition et l'étiquetage des compléments alimentaires. Elle a été transposée par un décret de 2006 relatif aux vitamines-minéraux, qui a permis de notifier les produits auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et d'inclure des plantes autorisées dans d'autres Etats membres. Cette direction a dressé une liste de 541 plantes sur la base de laquelle un arrêté spécifique a été publié en 2014. Cet arrêté « plantes » du 24 juin 2014 établit la liste des plantes, autres que les champignons, autorisées dans les compléments alimentaires et les conditions de leur emploi, en précisant notamment les types et parties de plantes, les substances à surveiller, les actifs et les précautions d'emploi qui doivent figurer sur les emballages. Ce travail de recensement, certes long, a permis d'autoriser la vente libre des plantes, avec un degré de sécurité suffisant.

Le règlement n° 432/2012 du 16 mai 2012 sur les allégations est également structurant, mais ne concerne pas encore les plantes. Celles-ci sont encore sur une liste d'attente en cours d'examen.

Enfin, un dernier texte de 2010, relatif à la nutrivigilance, concerne l'ensemble du cycle de vie d'un produit : l'ingrédient, la formulation, la fabrication, la commercialisation et, enfin, la post-commercialisation.

En effet, si un effet secondaire est remarqué par un consommateur, il peut le signaler soit à un professionnel de santé qui doit le répertorier auprès de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), soit au laboratoire qui doit également faire remonter l'information pour l'analyser ; cela sert de base aux avis mentionnés sur les étiquetages.

Sur les plantes elles-mêmes, plusieurs étapes sont du ressort des opérateurs. L'agriculteur va récolter une plante, la sécher et la contrôler. Le façonneur va ensuite recevoir la matière ; pour les plantes, il va procéder à une extraction traditionnelle, très souvent avec de l'eau ou un degré hydro-alcoolique limité. Le laboratoire doit vérifier la qualité des produits qu'il reçoit et veiller au respect des paramètres de sécurité tout au long de leur fabrication.

Une même plante peut être utilisée à la fois en alimentaire, en médicament ou pour la fabrication de compléments alimentaires, selon des teneurs diverses, les différentes parties de plantes ou différents types d'extraction.

Aujourd'hui, si l'arrêté plantes permet de commercialiser au moins 541 plantes en France, les listes ne sont pas harmonisées au niveau européen. Ainsi, la racine d'une plante peut être autorisée en France, tandis que seule la feuille le sera dans un autre État. Ce travail énorme d'harmonisation des listes est nécessaire pour une libre circulation plus aisée des produits au sein de l'Union européenne. En outre, les allégations de santé sont en attente : si treize vitamines sont reconnues dans toute l'Europe, le nombre de plantes est beaucoup plus important et les listes sont très hétérogènes. Or, nous ne disposons pas sur toutes les plantes d'études cliniques d'un niveau scientifique attendu, c'est-à-dire analogue à celui des médicaments. Il n'existe ainsi pas d'étude clinique sur l'effet transit du pruneau. Faute d'un recul scientifique avéré et documenté, une insécurité d'ordre économique perdure.

A-t-on vraiment besoin d'une allégation ? Si les consommateurs connaissent globalement certaines plantes, leurs effets leur sont plutôt méconnus. Les produits doivent ainsi présenter des indications, afin d'éviter toute confusion ou mésusage, tant pour le consommateur que le professionnel de santé. C'est la raison pour laquelle le Synadiet recommande, au niveau européen, de traiter les plantes de manière spécifique et non analogue aux autres substances chimiques. Ce texte européen doit comprendre à la fois des volets allégation et sécurité afin de garantir le libre accès à ces plantes. Créons un texte, à l'instar des arrêtés français et belges, et étoffons la liste des critères de sécurité.

Enfin, le consommateur exprime une demande accrue de produits naturels en réponse à une tendance de fond depuis quinze ans qui privilégie les produits doux et les ingrédients naturels aux produits chimiques. Ainsi, le tonus et la vitalité, le sommeil et le stress, l'articulaire, la digestion ou la circulation, sont des domaines santé où émerge une demande de compléments alimentaires. Il faut que les professionnels de santé bénéficient d'une formation spécialisée, qui n'est pas dispensée dans les facultés de médecine. D'autres professions, comme les herboristes ou les naturopathes, doivent également être considérées. Ces professionnels doivent être bien formés sur les plantes. Ne peut-on pas prévoir la même gradation avec les pharmaciens que celle qui existe entre les diététiciens et les médecins nutritionnistes ?

M. Joël Labbé , rapporteur. - En matière d'harmonisation de réglementation, où en est le projet BelFrIt ? Par ailleurs, la possibilité de disposer d'un conseil avisé par un professionnel formé, même non pharmacien, serait-il selon vous souhaitable, bénéfique au secteur, voire indispensable ? Enfin, alors que 541 plantes sont susceptibles d'entrer dans la composition des compléments alimentaires en vente libre, seules 148 plantes en vrac sont sorties du monopole officinal : cette différence vous semble-t-elle justifiée ?

M. Michel de Sarrieu, directeur scientifique de Fleurance Nature et administrateur du Synadiet . - La liste BelFrIt est issue du travail des trois administrations belge, française et italienne, en raison des difficultés d'obtenir une liste positive de plantes susceptibles d'entrer dans la composition des compléments alimentaires. Des spécialistes de pharmacognosie, les professeurs Robert Anton, Mauro Serafini et Luc Delmulle, ont travaillé à répertorier les plantes, leurs parties, les substances actives et toxiques et à définir des règles d'utilisation et des mises en garde figurant sur l'étiquetage des produits. Cette liste, qui n'a pas force de réglementation, regroupe 1029 plantes. Néanmoins, en Italie un arrêté a été publié sur cette base et les Belges ont mis à jour leur liste initiale à l'aune de ce document. L'arrêté français n'a pas été, pour l'heure, modifié. Mais l'évolution des compléments alimentaires depuis le décret de 2006 a conduit à une autorisation de fait de l'utilisation de la plupart de ces plantes, au nom de la libre circulation des produits en Europe.

Mme Christelle Chapteuil . - Il est essentiel de former les médecins et les pharmaciens. Certains peuvent d'ailleurs se former une fois en exercice. Le niveau de conseil doit être graduel en fonction du type de produits et des professions de chacun. Dans certains points de vente bio, des naturopathes se forment aux plantes, bien qu'ils n'aient pas le droit de prodiguer des conseils dans ce domaine.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Quelle formation diplômante pourrait bénéficier aux personnes extérieures au monde médical ?

Mme Christelle Chapteuil . - L'approche doit être cantonnée au confort de vie. On ne sait jamais si les personnes qui sollicitent un conseil sont malades ou polymédicamentées. Dans ce cas, ces personnes doivent consulter des professionnels de santé. Il faut absolument insister pour que des professionnels qui ne seraient pas professionnels de santé n'outrepassent pas leurs prérogatives. Le flou, au final, limite la possibilité de développement économique. C'est important de bien cadrer les choses.

M. Jean-Luc Fichet . - La traçabilité des plantes est essentielle. Comment y parvenir ? La profession d'herboriste pourrait répondre à cette exigence. Aujourd'hui, entre le complément alimentaire, dont la finalité est le confort, et le médicament qui est à visée thérapeutique, la frontière est ténue aux yeux du consommateur. Dans les Ehpad, des médecins prescrivent à la fois des médicaments et des compléments alimentaires, fournis en même temps par la pharmacie, ce qui alimente cette confusion. On gagnerait en clarté à bien distinguer le complément alimentaire du médicament.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Dans un Ehpad, si des compléments alimentaires se retrouvent dans le pilulier établi sous la responsabilité du pharmacien, c'est que les médecins les ont prescrits. À l'inverse, si le complément alimentaire est acheté par les familles, parfois sur internet, sans prescription médicale, le pharmacien ne les mettra pas dans le pilulier. Il engagerait sa responsabilité.

M. Jean-Luc Fichet . - Toutefois, le patient perçoit le complément alimentaire comme un médicament ! Le coût annuel par personne des compléments alimentaires, dont l'efficacité n'est pas mesurée, peut être très important. Le fait qu'il incombe au consommateur de signaler les effets secondaires des compléments alimentaires est contraire à ce qui prévaut dans le domaine de la santé et des produits vendus sur prescription médicale.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Le patient est-il un consommateur ? La présentation des compléments alimentaires accentue cette confusion. Il y a quelques années encore, certains compléments alimentaires ou médicaments à base de plantes étaient remboursés par l'assurance maladie et leur déremboursement renvoie aux difficultés de notre système de prise en charge des dépenses de santé.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Merci pour la clarté de votre exposé. En matière de nutrivigilance et de sécurisation des importations, dès qu'une alerte est transmise à l'ANSES, comment se déroule le retrait du marché des compléments alimentaires ?

Mme Christelle Chapteuil . - L'opérateur est responsable de la vérification des critères de qualité des plantes importées. Cette démarche est indépendante de la nutrivigilance, analogue à la pharmacovigilance, qui intervient une fois le produit commercialisé. Certains effets secondaires sont répertoriés, mais il y en a peu et d'une gravité limitée. Sur certains ingrédients particuliers, cette démarche peut conduire à l'ajout de précautions d'emploi.

J'ai volontairement utilisé le mot de consommateur, puisque nos produits d'adressent aux personnes en bonne santé, pour leur apporter un confort de vie. Nous ne nous plaçons pas dans la sphère du patient.

44 % des premières utilisations de compléments alimentaires se font sur la base d'une prescription médicale. Historiquement, des médicaments traditionnels à base de plante étaient remboursés ; ce mécanisme évolue, les opérateurs s'orientant pour diverses raisons vers des compléments alimentaires. En outre, le marché de l'automédication (OTC) connait également une mutation en Europe. Il n'est pas toujours facile pour un pharmacien d'identifier un médicament d'un complément alimentaire, même si l'emballage doit le permettre.

M. Michel de Sarrieu . - En matière de traçabilité, pour un produit qui serait responsable d'un effet secondaire chez un consommateur, nous devons être capables de remonter toute la filière de fabrication du produit jusqu'à la plante. Cette exigence réglementaire est analogue à celle applicable aux produits alimentaires.

L'ANSES conduit des études ponctuelles sur des cas de nutrivigilance signalés. De l'ordre de quelques dizaines de cas de nutrivigilance sont signalés pour des millions de boîtes vendues. La difficulté vient notamment de personnes polymédicamentées.

L'industrie pharmaceutique s'est totalement désintéressée des plantes, les plantes n'étant pas brevetable ce qui limite les recherches sur leurs effets sur les maladies. Le secteur du complément alimentaire peut contribuer à raviver toute la filière plante, en étant en mesure d'assurer la sécurité et la traçabilité des produits aux consommateurs.

Mme Christelle Chapteuil . - Il existe aujourd'hui des textes encadrant l'utilisation des plantes dans le domaine alimentaire, sur lesquels nous avons mis du temps à travailler. Continuons à développer le cadre existant, plutôt que de créer de nouvelles mesures.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Il était important de vous entendre, tant vos connaissances de professionnels sont importantes à nos travaux.

Mme Corinne Imbert , président. - Je vous remercie de vos interventions.

Audition conjointe de M. Gilles Bonnefond, président de l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO), et de M. David Pérard, président de la commission Communication de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF)

Jeudi 5 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert, présidente . - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie poursuit ses travaux en accueillant des représentants des deux syndicats représentatifs de la profession de pharmacien, M. Gilles Bonnefond, président de l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO), accompagné de Mme Bénédicte Bertholom, responsable des affaires réglementaires, et M. David Pérard, président de la commission Communication de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF), accompagné de M. Pierre Fernandez, directeur général.

Cette audition a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Gilles Bonnefond, président de l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO). - Je voudrais vous remercier de nous auditionner sur ce sujet important.

Le plus gros fournisseur au monde de substances actives, ce sont les plantes. Beaucoup de traitements en sont issus. La plante par définition, c'est une substance active qui a enrichi la pharmacopée.

Un autre point est que la pharmacie d'officine est aujourd'hui organisée, avec son maillage territorial, sa disponibilité et son amplitude horaire, pour permettre d'avoir une réponse adaptée aux besoins des patients qui souhaitent avoir recours à la phytothérapie. Dans ce cadre, tout traitement par les plantes ne peut être que complémentaire par rapport aux traitements habituels. Il ne faut pas séparer les deux sujets, faute de quoi il pourrait y avoir une absence de cohérence dans le parcours de soin du patient.

A titre d'illustration, nous allons faire des bilans de médication chez les personnes âgées où nous demanderons également si elles ont recours à la phytothérapie ou l'aromathérapie car cela peut avoir des conséquences sur l'efficacité de leur traitement, notamment en raison des interactions possibles avec certaines plantes.

Sur la disponibilité des plantes, les pharmaciens sont parfaitement formés et ont, dans leur formation initiale, suffisamment de connaissances pour recommander le recours aux traitements phytothérapiques. Souvent, les patients amènent des plantes à la pharmacie comme ils y amènent des champignons, pour les reconnaître. Les pharmaciens sont, dans ce circuit, une référence puisque peu de personnes sont habilitées à donner ces conseils.

À défaut de conseil, il existe des risques d'empoisonnement, ce que l'on voit par exemple avec des plantes comme la belladone. Les patients viennent solliciter leurs pharmaciens pour savoir si le datura est dangereux. Nous leur répondons que même si la fleur est magnifique, c'est bel et bien une plante dangereuse.

Le recours à la phytothérapie est sujet à des phénomènes de mode. Tous les ans, au printemps, des journaux conseillent une nouvelle plante qui aurait des propriétés efficaces pour l'amaigrissement. Chaque année, la plante conseillée l'année précédente tombe dans l'oubli au profit de cette nouvelle plante « miracle ». On voit bien qu'il y a là une stratégie marketing qui prime sur la recherche d'efficacité et de cohérence.

Pour l'USPO, le réseau pharmaceutique peut répondre, avec l'ensemble des producteurs, au développement d'une filière permettant un recours accru aux plantes. Il n'y a pas besoin d'inventer autre chose, il suffit de développer ce qui existe déjà. Dans les départements où la production se développe le plus, par exemple la Drôme, les pharmaciens travaillent déjà avec les laboratoires pour mettre à disposition des patients des plantes et des huiles essentielles. La construction d'une filière peut se faire avec le réseau pharmaceutique.

Cela relève d'une évolution du métier de pharmacien. La signature d'une nouvelle convention avec l'assurance maladie en juillet 2017, entre le camp du commerce et le camp du patient, a tranché en faveur du second, pour sa sécurité et le bon usage du médicament. Cela se traduit par exemple dans l'évolution du mode de rémunération des pharmaciens qui se fera moins à la marge commerciale et plus à l'acte de dispensation. L'instauration de bilans de médication est d'ailleurs un bon exemple des actions menées pour protéger les personnes âgées du risque iatrogène qui existe d'ailleurs avec les plantes médicinales.

C'est la poursuite de cette stratégie de long terme avec les pouvoirs publics et l'assurance maladie qu'il faut entreprendre pour lutter contre les mauvais usages.

Mme Corinne Imbert, présidente. - Pouvez-vous préciser ce qu'est un risque iatrogène ?

M. Gilles Bonnefond. - Un risque iatrogène naît de l'interaction entre deux médicaments ou entre un médicament et une autre substance par exemple d'origine végétale. Il convient dès lors de vérifier qu'il n'y a pas de contradiction entre les deux traitements. Par exemple, le millepertuis peut réduire l'efficacité de certains traitements médicamenteux, tout comme le pamplemousse.

M. David Pérard, président de la commission Communication de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF). - Tout d'abord je tiens au nom de la FSPF à vous remercier à la fois pour l'organisation de cette mission sur ce sujet important mais également pour l'invitation à ces auditions.

Nous rejoignons les propos tenus par mon confrère comme d'ailleurs ceux entendus lors de vos auditions précédentes notamment en ce qui concerne le scepticisme de la part du grand public vis-à-vis de la chimie de synthèse et des médicaments qui en découlent.

Nous avons connu dans l'actualité récente un certain nombre de polémiques qui ont amplifié ce sentiment de crainte. Par voie de conséquence, la demande en phytothérapie et aromathérapie devient ou redevient omniprésente. De plus en plus de patients entrent dans nos officines en quête de produits de santé dits naturels, à base de plantes. Un sondage TNS SOFRES de 2011, qui n'a pas dû beaucoup évoluer, indique que deux tiers des Français font confiance à la phytothérapie et un tiers lui donne la priorité face à la médecine classique.

En tant que syndicat de pharmaciens, notre position sur l'herboristerie dans son sens large est la suivante : le public estime souvent que ce qui est naturel est une assurance contre tout danger, alors que cette croyance est fausse ou à nuancer très largement. Les plantes médicinales contiennent des substances actives potentiellement dangereuses, surtout lorsqu'elles sont utilisées en l'absence de contrôle sur la qualité.

Nous avons de nombreux exemples de mauvaises utilisations. C'est par exemple le cas du millepertuis dont les interactions nuisent à l'effet des médicaments antirétroviraux et des contraceptifs. Un autre exemple est la confusion de la badiane de Chine avec la badiane du Japon qui, elle, est toxique pour le système nerveux central et a été à l'origine de convulsions chez des patients. Cela a conduit à un certain nombre de retraits de lots.

La position de la FSPF sur ce sujet repose sur 4 axes : compétence, proximité, disponibilité et sécurité. Le pharmacien répond légitimement à l'ensemble de ces prérequis. La compétence tout d'abord au travers de sa formation initiale, des cours de biologie végétale, de botanique, de pharmacognosie, de toxicologie qui intègre des données sur les plantes ou encore de mycologie. À cette formation initiale s'ajoutent des formations et des diplômes universitaires qui existent et sont accessibles aux pharmaciens d'officine. Pour mémoire, il y a actuellement douze diplômes universitaires en phyto-aromathérapie en France alors qu'il n'y en avait qu'un seul il y a dix ans.

La disponibilité ensuite car le pharmacien est le seul professionnel de santé disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au travers d'un maillage très dense du territoire des 22 000 pharmacies d'officine. Il se situe en général à moins de 15 minutes du domicile du patient.

Mais l'élément le plus important est la sécurité. La loi oblige déjà chaque pharmacie à disposer d'un pharmacien présent en permanence à l'officine pendant ses heures d'ouverture et même de pharmaciens supplémentaires en fonction des tranches de chiffres d'affaires définies par la loi. Un autre outil contribue à la sécurité des patients : le dossier pharmaceutique qui permet de tracer les dispensations médicamenteuses effectuées par toutes les officines, ce qui réduit le risque d'interactions médicamenteuses et de contre-indications grâce à une meilleure connaissance du patient. Les délivrances des produits à base de plantes ne sont pas tracées dans le dossier pharmaceutique mais ce dernier donne accès à ce qui a été délivré au patient et qui pourrait faire l'objet de contre-indications. Ce système propre à la profession, qui est d'ailleurs entièrement autofinancé, est majeur pour la protection de la santé publique.

Sur ce point, il faut rappeler que les plantes inscrites à la pharmacopée française font partie du monopole pharmaceutique, sauf celles qui ont été libéralisées, non pas pour des raisons économiques mais bien, avant tout, pour des raisons sanitaires.

La FSPF pense donc qu'il ne faut pas ajouter de la confusion au scepticisme. Le cadre qui entoure les plantes et produits à base de plantes doit être clair. Ces produits font-ils l'objet d'allégation de santé ? Si la réponse est oui, la FSPF pense que ces produits ne peuvent faire l'économie du cadre sécurisé de l'officine dont je viens de revenir sur les contours et les intérêts.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Si j'ai bien entendu la conclusion de vos propos, « hors de l'officine, point de salut ». Tel n'est pas le point de vue de plusieurs personnes auditionnées qui ont plaidé pour la reconnaissance d'un métier d'herboriste. Il y a donc un vrai débat.

La formation initiale de base des pharmaciens d'officine devrait-elle intégrer une formation complémentaire en herboristerie ? Quelle forme pourrait prendre une formation diplômante pour des herboristes de comptoir qui ne seraient pas pharmaciens, d'une part, et pour des paysans-herboristes, d'autre part ?

M. Gilles Bonnefond . - La formation initiale de base du pharmacien permet d'assurer la sécurité, le conseil et d'accompagner un patient qui souhaiterait avoir recours à la phytothérapie.

Par ailleurs, les diplômes universitaires existants permettent à certains d'aller vers une spécialisation et même d'envisager une activité connexe en phytothérapie.

Je considère que la phytothérapie doit être un élément du soin. L'organisation du système de santé nécessite aujourd'hui une plus grande coordination des soins (notamment entre l'hôpital et la médecine de ville à la sortie d'hospitalisation des patients). Je crains que placer un acteur supplémentaire au sein du réseau ne « dilue » un peu plus les responsabilités vis-à-vis du patient, alors même que la formation de base du pharmacien permet aujourd'hui de développer les soins phytothérapeutiques en garantissant la sécurité des patients.

Vous parlez de créer une formation diplômante d'herboriste : ce serait nécessaire s'il y avait une carence, or il n'y en a pas. La pharmacie répond à cette demande. Créer un diplôme qui ne relèverait pas de la pharmacie ne nous paraît pas une piste nécessaire.

J'attire votre attention sur le fait que l'activité économique de l'herboristerie porterait sur des volumes réduits. Les « allégations de santé », soumises à des effets de mode, seraient par ailleurs extrêmement difficiles à contrôler alors qu'elles peuvent faire l'objet de nombreux contournements. Nous prendrions donc des risques inutiles.

M. David Pérard . - J'adhère à ce qui vient d'être dit et je m'interroge sur les contours de cette nouvelle profession que vous envisagez d'instituer.

Car soit nous parlons de la commercialisation des plantes dites « libérées » du monopole officinal et il s'agirait alors d'un retour en arrière pour des plantes considérées comme anodines comme le tilleul ou la verveine en ajoutant un acteur supplémentaire : nous reviendrions en quelque sorte aux herboristes « d'avant » la suppression du diplôme ; soit il s'agit d'aller au-delà et de commercialiser l'ensemble des plantes ayant des vertus thérapeutiques, dont on sait qu'elles peuvent être dangereuses, en raison notamment de risques d'interactions, et dans ce cas, la question du statut des « herboristes » se pose : serait-il un professionnel de santé ? La frontière de ce qu'il va lui être demandé par le grand public risque d'être extrêmement fine entre un conseil de bien-être et un conseil de santé.

Comment ne pas tomber dans l'exercice illégal de la pharmacie ou de la médecine ? Comment faire la différence entre conseiller et soigner ? C'est un risque qu'il me semble difficile d'éviter.

M. Daniel Chasseing . - Il est vrai que le public est actuellement demandeur de soins par les plantes et de phytothérapie. Les herboristes peuvent aujourd'hui commercialiser 148 plantes. Les auditions de la mission ont montré que la production comme la consommation des plantes se développent.

Dans le système de santé actuel, c'est le pharmacien qui contrôle l'ordonnance du médecin, qui peut compter jusqu'à dix médicaments.

Des universitaires que nous avons entendus proposent de mettre en place une formation d'herboriste en trois ans d'études. Ils estimaient que cela pouvait suffire pour maîtriser les connaissances en iatrogénie médicamenteuse et donc éviter les risques d'interactions avec les médicaments d'une ordonnance. Pensez-vous que cela soit crédible ?

M. Gilles Bonnefond . - Je suis très surpris des propos tenus par ces enseignants de la faculté. Comment peut-on, sans maîtriser l'ensemble de la physiologie, de l'anatomie, l'ensemble de la pharmacopée chimique ou des médicaments issus du génie biologie, prétendre contrôler l'équilibre d'une ordonnance ? Cela ne me paraît pas crédible.

Alors que les thérapies évoluent, notamment concernant les nouveaux protocoles des traitements contre le cancer, la formation permanente des pharmaciens dont je vous rappelle qu'ils ont validé six années d'études, est une nécessité. Ne pas avoir une formation solide de base, qui permet de maîtriser l'ensemble des alternatives thérapeutiques, me semble être un danger pour le patient.

M. Bernard Jomier . - Notre mission pose des questions qui vont bien au-delà de son objectif. Les pharmaciens sont appelés à jouer, de par leur présence sur le territoire et leurs compétences, un rôle de santé publique accru que ce soit pour la vaccination ou encore le suivi des malades chroniques. Cela nécessite aussi de réfléchir à un partage de certaines de leurs prérogatives avec d'autres professionnels, pour mettre en adéquation les compétences et le service rendu à la population. Il est important que le cadre juridique reste très sécurisant dès lors qu'il s'agit de santé. Toutefois, en l'occurrence, nous sommes aussi dans le champ du bien-être.

S'agissant du recours aux 148 plantes hors monopole pharmaceutique, il semble que les accidents graves liés à des utilisations non maîtrisées soient extrêmement rares. Pour les autres plantes de la pharmacopée encore incluses dans ce monopole, y aurait-il selon vous une marge d'appréciation ? Certaines pourraient-elles en sortir sans porter atteinte à la sécurité sanitaire ?

M. David Pérard . - Sortir de nouvelles plantes du monopole pharmaceutique demanderait une analyse. Ce travail a déjà été effectué il y a quelques années mais il pourrait être réexaminé dans le détail et ne conduirait sans doute pas à de grands chamboulements. Il faut savoir que les remontées d'information en nutrivigilance sont plus difficiles à collecter que pour le médicament. Il faut rester vigilant. Je peux vous citer par exemple l'exemple d'un fournisseur de tisane dite « Atchoum » dans l'Aveyron, dont je vous laisse deviner l'usage, qui contient de l'hysope. Cette plante est « libérée » mais sous forme d'huile essentielle, elle est interdite à la vente en raison de sa neurotoxicité et de ses propriétés abortives. Il y a donc un risque de confusion pour les usagers, car les risques ne sont pas les mêmes selon le changement de statut de la plante.

M. Gilles Bonnefond . - La profession de pharmacien s'est bien mobilisée pour regarder comment participer activement à l'évolution de l'organisation du système de santé, pour faire face aux défis du vieillissement de la population, de développement des maladies chroniques, etc. En créant une profession d'herboriste diplômé, qui ne soit pas pour autant un soignant, nous mettrions de la confusion : est-il dans le bien-être ? Est-il dans la santé ? Le cas échéant, quelle est son articulation avec les autres professionnels de santé ? Cette confusion me semble être à éviter.

M. Bernard Jomier . - Il existe forcément une part de confusion entre santé et bien-être, qui découle d'ailleurs de la définition de la santé par l'OMS.

M. Gilles Bonnefond . - Il nous faut veiller à garder une cohérence dans l'ensemble de la chaîne du soin. Nous voyons des patients qui ont lu dans tel ou tel journal des vertus sur des « plantes miracles » pour un nouveau régime d'amincissement. Notre rôle est de les conseiller, en ayant une vision globale de leur situation.

Faut-il revoir la liste des 148 plantes hors monopole ? Pourquoi pas. Mais le mésusage peut aussi porter sur certaines de ces 148 plantes. Si de nouvelles données scientifiques sont à prendre en compte, il faut voir comment bouger certaines lignes. Ce qui concerne les allégations de santé doit rester dans le champ de la santé.

Mme Angèle Préville . - Une demande forte de nos concitoyens est de prendre en compte également la bonne santé, alors que des médicaments de chimie de synthèse peuvent créer des effets indésirables ou de l'accoutumance. Pourquoi ne pas envisager des allégations de bien-être, notamment pour favoriser le sommeil ou donner du tonus ?

M. David Pérard . - Le réseau de 22 000 pharmacies d'officine, présent sur l'ensemble du territoire, est là pour répondre à cette demande sociétale, qui est légitime mais n'est pas nouvelle. Nous disposons d'un arsenal de plantes. En quoi un herboriste apporterait un service supplémentaire ?

M. Gilles Bonnefond . - Nous sommes tous les jours confrontés aux demandes de nos concitoyens d'éviter des médicaments présentant des risques d'accoutumance et d'aller vers des soins plus naturels. Nous leur apportons ce conseil. Nous allons même au-delà en les accompagnant dans le sevrage du traitement chimique en prenant le relai avec de la phytothérapie, selon des doses adaptées. Le recours au pharmacien offre ainsi déjà une réponse à ces attentes, dans un cadre sécurisé.

M. David Pérard . - J'exerce à Lyon au sein d'une maison de santé. Les demandes de ce type sont en effet très fréquentes : des médecins nous adressent des patients avec des troubles de sommeil. Ce travail doit se faire en coordination avec les autres professionnels de santé : pour cela, l'officine offre un cadre approprié.

M. Jean-Luc Fichet . - Je suis très intéressé par la discussion. Nous cherchons comment placer des frontières : l'herboristerie entre dans une démarche de confort, de bien-être, de bonne santé. Il est normal en revanche, dès lors qu'une personne a un problème de santé, de l'adresser vers une personne qualifiée qui apportera de bonnes réponses.

Dans le cursus de formation des pharmaciens, peu de temps (environ 30 heures) est consacré à la connaissance des plantes. J'ai fait l'expérience : un certain nombre de pharmaciens ne sont plus à même de nous conseiller si on leur apporte un panier de champignons. Ils ne connaissent pas toujours bien, par ailleurs, les compléments alimentaires qu'ils vendent. Ces produits s'inscrivent dans la nutrivigilance.

De plus en plus, les gens vont trouver des informations sur internet, où l'on trouve une profusion d'indications thérapeutiques, et pratiquent l'automédication, alors qu'avant ils s'en tenaient à la prescription du médecin.

J'ai vu en vente en grande surface une margarine dite bonne contre le cholestérol et les problèmes cardiaques : il s'agit d'une allégation thérapeutique, dont on nous a dit ce matin qu'elle avait été validée par l'Institut Pasteur. Il est donc étonnant, à côté de cela, qu'un herboriste ne puisse pas dire qu'une tisane est bonne pour le foie.

On pourrait imaginer que l'herboriste soit au pharmacien ce que le psychologue est au psychiatre.

M. David Pérard . - Sur les compléments alimentaires, les pharmaciens interviennent régulièrement pour mettre en avant des difficultés auxquelles nous sommes confrontées. Le flou sur ces produits et les allégations de santé qui s'y rattachent ne doit pas conduire à laisser les plantes en général et l'herboristerie aller dans le même sens, bien au contraire. Il serait d'ailleurs intéressant de créer une commission sur les allégations en santé des compléments alimentaires.

M. Gilles Bonnefond . - Nous ne sommes pas opposés à une réflexion sur la formation initiale des pharmaciens, si l'on estime que celle-ci doit être renforcée et améliorée en matière de connaissance des plantes ou encore d'aromathérapie. Je partage votre inquiétude à l'égard de l'automédication.

Quand vous rentrez dans une pharmacie, vous n'êtes pas en automédication : vous allez voir le spécialiste du médicament, dans un parcours de soins pharmaceutiques plutôt que d'aller chez le pharmacien ou aux urgences ; vous pouvez lui demander un conseil. Le dossier pharmaceutique permet au pharmacien de savoir si vous suivez par ailleurs d'autres traitements et sera intégré demain au dossier médical partagé. Il faut rester vigilant : le bien-être, l'alternative par les plantes jouent sur les limites. Il faut laisser les personnes qui souhaitent recourir à la phytothérapie la possibilité de le faire en toute connaissance de cause. Mais si on veut développer le recours à la phytothérapie, il faut le faire dans un cadre sécurisé.

M. Pierre Louault . - Ce serait déjà un progrès qu'un certain nombre de pharmaciens aient une spécialisation en herboristerie, afin de constituer un réseau de professionnels passionnés et particulièrement compétents. Certains naturopathes ont davantage de connaissances en ce qui concerne le soin par les plantes. Nous avons perdu l'habitude d'utiliser les plantes, alors que certaines offrent des réponses que la chimie ne peut parfois pas apporter.

M. Gilles Bonnefond . - Nous ne pouvons pas partager le patient : s'il existe trop d'intervenants, son parcours risque d'être compliqué. Les laboratoires Pierre Fabre, que je vous invite à visiter, se sont développés grâce aux médicaments à base de plantes et ont gardé cette spécialité. S'il existe un déficit dans le recours aux plantes, il faut travailler avec la faculté de pharmacie pour permettre à certains pharmaciens de se spécialiser.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Aucun des herboristes que nous avons pu entendre n'a revendiqué une capacité de prescription. Ils se positionnent davantage en complémentarité des professionnels de santé, dans le bien-être et non la pathologie lourde. Vous avez parlé de « plantes miraculeuses » : si la formation diplômante des herboristes est bien encadrée, ils seraient également à même de dire si l'on est dans quelque chose de sérieux ou pas.

Audition de Mmes Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique, Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé et auteure d'une enquête sur les herboristeries à Madrid et Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec

Mardi 10 juillet 2018

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M. Louis-Jean de Nicolaÿ , président . - Je vous prie d'excuser Mme Imbert, présidente, retenue en séance publique. Nous recevons Mme Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique où il existe un métier reconnu d'herboriste ; Mme Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé, et qui est notamment l'auteure d'une enquête sur les herboristeries à Madrid ; et Mme Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec, avec qui nous sommes en téléconférence. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est ouverte à la presse et au public.

Mme Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance) . - La réglementation au Canada, et au Québec, se fait à la fois au niveau fédéral et provincial. Les règles fédérales encadrent les produits de santé naturels mis en vente. Le Gouvernement a tenté de les rendre plus strictes, mais nous sommes intervenus ! Cependant, avoir une source fiable d'information est, pour le consommateur, de première importance. Au niveau provincial, ce sont les thérapies qui sont réglementées, ce qui est plus problématique au Québec qu'ailleurs : en 1999, nous avons décidé de nous auto-réglementer et d'instaurer des formations sanctionnées par des examens afin d'accroître la sécurité des consommateurs. Pour autant, il n'est pas nécessaire de détenir une licence pour exercer.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ , président . - La qualité de la transmission étant faible, certaines parties de votre propos nous ont échappé. Y a-t-il une liste des plantes autorisées au Canada ? Son respect est-il contrôlé ?

Mme Caroline Gagnon . - Oui, nous avons une nomenclature et, par rapport à l'Europe, peu de plantes sont interdites chez nous. Il est vrai que nous disposons pour chaque plante de monographies exposant les allégations thérapeutiques, et que nous accompagnons nos patients sur la durée.

Mme Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique . - En Belgique, voilà une vingtaine d'années qu'il existe un diplôme et une formation homologués par l'État. Deux structures s'occupent des plantes chez nous : Naredi, qui représente l'industrie, et Unadis, qui fédère les détaillants. Avant 1997, sous l'influence de l'association pharmaceutique belge, la ministre de la santé a rédigé une circulaire recensant la liste des végétaux pouvant être utilisés pour la fabrication de médicaments. Cette liste, qui comprenait le blé ou les carottes, ne comportait pas de champignons - et, pour la vente libre, le principe était « pas vu, pas pris » !

Puis, la détection de plantes toxiques dans des boissons stimulantes a conduit - nous étions encore avant la crise de la vache folle - à l'arrêté royal du 29 août 1997 relatif à la fabrication et au commerce de denrées alimentaires composées de ou contenant des plantes ou des préparations de plantes, qui prévoit une procédure de notification avant la mise sur le marché : ainsi, le ministère de la santé doit autoriser le produit, ce qui est très important pour sécuriser le vendeur, qui peut aussi consulter les informations utiles sur un site internet. Cet arrêté prévoit des exigences sur l'étiquetage et la publicité. Son annexe comporte trois listes : la première recense les plantes interdites comme denrées alimentaires ou dans les denrées alimentaires ; la deuxième, les champignons comestibles ; la troisième, les plantes autorisées. Et une méthode d'analyse conseillée pour les plantes autorisées est élaborée pour les transformateurs et les fabricants de compléments alimentaires. Depuis 2000, c'est l'agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire qui effectue les contrôles.

Le ministre peut subordonner le commerce de certaines plantes et préparations de plantes, sous forme pré-dosée ou non, à la détention de diplômes ou attestations déterminés. La formation au métier d'herboriste est effectuée par le Vizo, qui est un organisme de formation permanente flamand, par Naredi ou par l'institut de formation en alternance, qui forme notamment aux métiers comme la boulangerie ou la coiffure. La formation dispensée est homologuée par l'État. Herboriste n'est pas une profession réglementée, comme le sont la médecine ou la pharmacie, régies par la loi sur l'art de guérir et le ministère de la santé. L'herboristerie, elle, dépend du ministère des affaires économiques. Pour autant, la formation nous apprend à se détacher des objectifs économiques, pour éviter les accidents. Il m'arrive souvent, par exemple, de refuser de vendre certains produits qui nuiraient à ceux qui veulent les acquérir.

La formation dispensée apprend à gérer une entreprise. Les cours y sont donnés par des professionnels de haut niveau et motivés : pharmaciens, médecins, botanistes, biochimistes... De fait, nous ne sommes pas en concurrence avec les pharmaciens. Nos ennemis sont plutôt les vendeurs non diplômés, car notre objectif premier est la sécurité de nos clients.

L'herboriste, dans la définition retenue par cette formation, n'est pas un thérapeute. C'est un conseiller. Il nous est interdit de recevoir dans un cabinet, de poser un diagnostic ou de faire une prescription, sous peine de sanctions pénales. Nous proposons, en fait, des alternatives aux médicaments, souvent avec l'accord du médecin. Certains herboristes travaillent en officine, pour aider le pharmacien à gérer la croissance de ce marché. Tous, en tous cas, affichent clairement leur diplôme, et s'en tiennent aux limites claires posées par la définition :

« L'herboriste est un professionnel du bien-être à part entière. En tant que détaillant, il assure le conseil et la vente de produits de bien-être, le plus souvent à base de plantes et de substances naturelles voire issues de l'agriculture biologique. Il veille à répondre très précisément à la demande du client par le choix d'un produit bien adapté, tout en étant conscient des limites d'utilisation et des risques liés à une utilisation abusive - personnes à risque, autres médications, etc. Le cas échéant, il est amené à dispenser des conseils d'hygiène de vie.

Dans un contexte plus large, l'herboriste peut être amené à récolter et transformer les plantes dans le respect des règles de sécurité, d'hygiène et de protection de l'environnement. Pour ce faire, il utilise des techniques de protections adéquates et suit rigoureusement toutes les procédures de fabrication et de contrôle de qualité. Le métier d'herboriste requiert de la part de ceux et celles qui l'exercent : une excellente connaissance des plantes et de toutes les autres substances végétales, minérales ou animales utilisées, de leurs propriétés médicinales et du bien-fondé de celles-ci ; des connaissances de diététique et de physiologie ; une capacité à veiller à la bonne gestion quotidienne de son entreprise. »

Depuis 2009, un nouveau référentiel est en vigueur, qui tient compte des évolutions récentes du marché et du métier, notamment avec l'usage d'internet par les clients. La formation dure deux ans, à raison de deux soirées par semaine, soit un total de 550 heures. Il faut être bachelier pour y accéder, mais elle part des bases, et aucun prérequis scientifique n'est donc fixé. Elle se double de 40 heures de stage en magasin ou en industrie. Le mieux est d'essayer les deux. La difficulté du métier est de savoir poser les bonnes questions aux clients, tout en faisant preuve de la retenue indispensable. Pour obtenir le diplôme, il faut réussir les examens à la fin de chaque module, faire état d'une prestation de stage et passer l'examen intégré, qui consiste en la préparation de la monographie d'une plante et en sa présentation orale devant des spécialistes, en une mise en situation permettant de s'assurer que l'impétrant saura mettre le client en garde contre d'éventuelles contre-indications et s'en tenir à sa fonction de conseil, et en le dépôt et la présentation par oral d'un projet d'entreprise. Ces projets peuvent être l'ouverture d'une herboristerie mais aussi d'un laboratoire de transformation ou de culture.

L'objectif est de former des herboristes-conseils compétents, responsables et capables de prévenir toute mauvaise utilisation des produits contenant des plantes, et non des thérapeutes. Cela est clairement exposé lors d'une séance d'information préalable à l'inscription, ce qui en décourage toujours quelques-uns ! Les herboristes, à l'instar des pharmaciens, n'ont pas le droit de poser un diagnostic ni de prescrire, mais doivent orienter les clients vers l'utilisation judicieuse des plantes médicinales et des produits qui en contiennent. Ils ne font pas de préparations, c'est-à-dire qu'en dehors d'un laboratoire de transformation dûment déclaré au ministère de la santé, ils ne peuvent pas modifier le conditionnement dans lequel les produits leur sont livrés.

Chaque année, plusieurs dizaines d'herboristes sont diplômés, ce qui garantit le sérieux de la profession, la sécurité des consommateurs et le développement des entreprises du secteur. D'autres structures dispensent des formations en herboristerie, mais celles-ci ne sont ni contrôlées ni homologuées.

Un projet de collaboration entre la Belgique, la France et l'Italie a été lancé : le projet Belfrit. Il a conduit à une adaptation de l'arrêté royal sur les plantes en 2017. Son succès aurait pour effet d'uniformiser les procédures de notification en Europe.

Mme Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé . - Je précise d'emblée que je ne suis pas espagnole mais que, faute de pouvoir exprimer ma vocation d'herboriste en France, j'avais formé le projet d'exercer ce métier en Espagne. En tous cas, j'y ai mené une enquête ethnographique dans le cadre de mon parcours universitaire en anthropologie il y a onze ans, et je l'ai récemment réactualisée en me rendant en Catalogne. Si l'herboristerie existe bien en Espagne, elle n'y revêt pas les formes que lui confèrent les représentations traditionnelles. Les herboristes tiennent en général un magasin d'alimentation biologique et diététique, où ils proposent des plantes médicinales sèches sous toutes leurs formes. En vingt ans, le métier s'est beaucoup diversifié, comme je l'ai constaté chez Trinidad, qui tient la plus ancienne herboristerie de Barcelone, où il n'existe plus que quelques herboristeries traditionnelles du même type. Ce n'est certes pas par plaisir que les herboristes se consacrent désormais à l'alimentation biologique ; c'est que la vente de plantes médicinales sèches ne paie plus : elle représente moins de 1 % de leur chiffre d'affaires.

Les herboristes sont souvent des petits commerçants, qui, pour l'essentiel, emploient moins de cinq salariés. Moins de la moitié d'entre eux sont installés depuis une dizaine d'années. Il s'agit donc d'une activité commerciale relativement précarisée et peu viable, car menacée par l'émergence de franchises, d'où la fermeture constatée de certains commerces. Cette activité commerciale ne relève pas de la législation de la santé et du paramédical. L'absence de formation et de qualification obligatoires pose problème et préoccupe grandement les herboristes.

La communauté herboriste regroupe des profils différents. Certains ont reçu un enseignement spécifique et ont une vraie conscience éthique sur la transmission des savoirs. D'autres sont des entrepreneurs de la santé et du bien-être, qui, malgré leurs compétences, n'ont pas forcément le recul nécessaire.

La loi du médicament de 1990 est la législation la plus récente sur le commerce des plantes médicinales. Elle autorise la vente des plantes médicinales sèches ou fraîches, en vrac, sous certaines conditions. Elle interdit de vendre des plantes médicinales présentant un fort risque de toxicité, de pratiquer la vente ambulante, de préparer des formes galéniques, des gélules, de faire des allégations thérapeutiques.

En Espagne, il a fallu attendre 2004 pour que le gouvernement édite la fameuse liste de plantes toxiques interdites à la vente libre. Pendant quatorze ans, ce fut le flou total, favorisant le maintien des pratiques passées. Dans cette liste figurent : les psychotropes et stupéfiants ; les espèces végétales reconnues comme étant la matière première de médicaments, à l'image de la digitale ; les laxatifs drastiques, comme la cascara sagrada ou le nerprun ; les plantes venimeuses ; les plantes présentant un problème de sécurité ; les plantes ayant une classification douteuse, dont la badiane et le séneçon.

La préoccupation centrale de la communauté des herboristes est liée au manque de formation. Si le secteur s'est organisé dès 1977 à Madrid, les nombreuses associations d'herboristes et de diététiciens, car elles vont souvent ensemble, ont du mal à se fédérer compte tenu de l'organisation administrative du pays en dix-sept communautés autonomes.

Dans le paysage des thérapies naturelles, l'Espagne n'est pas un exemple à suivre. Elle ne reconnaît pas l'ostéopathie. Pour la médecine, la pharmacie, les métiers de la diététique et de la nutrition, la formation universitaire est semblable à la France. Il reste possible pour les médecins de se spécialiser dans la phytothérapie, même si le nombre de formations est restreint.

Depuis une dizaine d'années, le scepticisme, voire la peur, à l'égard de l'homéopathie ou de l'acupuncture, a gagné la communauté médicale, poussant de nombreuses universités à arrêter les formations dans ces domaines. L'Ined, l'Institut national d'enseignement à distance, propose des diplômes de niveau bac+5 en phytothérapie, plutôt généralistes. La Catalogne est la plus avancée et propose un master en phytothérapie à distance, sur deux années. Cette formation est accessible à toutes les personnes justifiant d'un diplôme de niveau bac+4 ou bac+5. Depuis 2015, il existe un métier d'artisan herboriste, accessible après examen. Cette petite avancée juridique, assurant une reconnaissance des compétences en matière de préparation de plantes médicinales, a été accueillie avec enthousiasme.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci de vos interventions.

Madame Gagnon, êtes-vous effectivement « herbaliste » ?

Mme Caroline Gagnon . - Le terme d'herbaliste n'est pas utilisé au Québec et je n'en connais pas la définition précise. C'est le français Christophe Bernard qui se qualifie comme tel. Il a fait sa formation aux États-Unis, qui ressemble plus à celles que nous dispensons, à savoir entre 1 500 et 2 000 heures d'enseignement.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Je vous ai posé la question, car je suis tombé sur une brochure qui vous définissait comme herbaliste. Outre votre qualité d'herboriste et de présidente de la guilde des herboristes du Québec, vous dirigez l'école FloraMedicina. Le diplôme d'herboriste sanctionne-t-il une formation diplômante ? Le métier est-il reconnu ?

Mme Caroline Gagnon . - Il n'y a pas de reconnaissance du métier, qui n'appartient à aucun ordre professionnel. Nos membres pratiquent l'autogestion, l'autorégulation. Il y a un consensus parmi nous sur ce que doit recouvrir la formation d'herboriste, qui est aussi un conseiller en santé. Nous non plus n'avons pas le droit de poser des diagnostics ni de faire des prescriptions.

Nous consacrons entre une heure et une heure et demie à chacun de nos clients, pour les accompagner dans une démarche thérapeutique. La formation s'appuie sur des enseignements assez poussés en matière de physiologie, de plantes, de pathologies, de diététique, de relationnel. Je le redis, nous ne faisons pas de psychologie.

Notre approche de la pratique clinique, de l'accompagnement, du regard sur l'autre est le fruit d'un héritage mixte, s'inspirant à la fois de l'herboristerie française, de ce qui se fait en Amérique du Nord, ainsi que de la médecine chinoise et de la médecine traditionnelle indienne, l'ayurveda.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Dans les trois pays que vous représentez, quel type de relations y a-t-il entre la profession d'herboriste, reconnue ou non, et la profession de pharmacien ?

Mme Caroline Gagnon - Le métier d'herboriste se pratique surtout en privé. Les professionnels présents en boutiques n'ont pas tous suivi la formation de cinq ans nécessaire. Il arrive que des plantes médicinales soient vendues sous forme de gélules en pharmacies. En tant que thérapeute, je m'efforce le plus possible, dans une démarche collaborative, d'aller parler aux pharmaciens de mes clients : l'objectif est de nous assurer qu'il n'y a pas d'interaction négative avec un traitement médicamenteux.

Mme Dominique Crémer . - En Belgique, cela se passe en bonne concurrence, si je puis dire, tout du moins en bonne intelligence. En général, herboristes et pharmaciens se connaissent. Il n'y pas de problèmes tant que chacun reste à sa place : l'herboriste n'est qu'herboriste.

Pour le moment, la Belgique reconnaît la formation, le diplôme, mais pas la profession, ce qui donne de l'eau au moulin de ses détracteurs. C'est dans la durée que nous montrerons le bien-fondé de notre travail. Déjà, il n'y a plus d'accidents, du fait, notamment, de la réglementation sur les plantes. Qui plus est, les pharmaciens n'ont pas constaté de baisse de leurs ventes. Certains d'entre eux emploient même des herboristes diplômés.

Chez les nutrithérapeutes, tous n'ont pas une formation reconnue, ce qui peut provoquer des tensions avec les diététiciens. Cela vaut pour tous les métiers liés à la santé.

En vingt ans d'expérience, je n'ai jamais eu le moindre problème avec les pharmaciens, bien au contraire. Je n'hésite pas à conseiller à mes clients certains produits vendus uniquement en pharmacies. Et la réciproque est vraie.

Mme Noémie Zapata . - Je rejoins les propos de Dominique Crémer, il n'y a pas de situation de concurrence entre pharmaciens et herboristes. Le consommateur espagnol trouvera plus légitime de se rendre dans une herboristerie plutôt qu'en pharmacie pour s'approvisionner en plantes médicinales. Les tensions se cristallisent davantage avec l'industrie pharmaceutique, très méfiante à l'égard des herboristes.

De ce que j'ai pu observer, les relations restent cordiales, dans la mesure où chacun fait son travail. Certains pharmaciens reconnaissent même la qualité du travail de conseil des herboristes. Tous voient d'un mauvais oeil les vendeurs de plantes sur les marchés, qui bravent l'interdit de la vente ambulante. Ce non-respect de l'herboristerie traditionnelle porte atteinte à l'ensemble de la communauté.

M. Guillaume Gontard . - La limite entre prescription et orientation peut être assez floue. Comment arrivez-vous à la gérer au quotidien ? Une personne qui se rend dans une boutique parce qu'elle n'arrive pas à dormir se voit conseiller de prendre une tisane : est-ce de l'orientation ou de la prescription ?

S'agissant des relations avec les pharmaciens et les médecins, notamment en Belgique, où la profession d'herboriste semble plus encadrée, les premiers ont-ils pris l'habitude de prescrire des plantes ou d'orienter vers un herboriste ? En France, ce n'est que très rarement le cas.

En Espagne, y a-t-il une réflexion pour aller vers la reconnaissance du métier d'herboriste, pour changer la réglementation, dans un sens ou dans l'autre ?

Mme Dominique Crémer . - Pour ce qui est de la limite entre la prescription et le conseil, je reprendrai votre exemple de la personne qui a des difficultés à dormir. Pour ma part, je vais d'abord essayer d'en savoir plus, tant il y a pléthore de plantes disponibles, et, la plupart du temps, je conseillerai plusieurs possibilités. La discussion peut se prolonger, parce que, souvent, la personne a besoin de parler et que son insomnie cache autre chose. Cela étant, je me limite à ce que je sais faire.

Nous sommes véritablement davantage dans le cadre du conseil que de la prescription. Je me contente d'insister sur le nécessaire respect de ce qui est indiqué sur les boîtes ou l'emballage. Recommander des dosages plus élevés est ridicule. La personne qui vient nous voir a une demande précise à formuler. Nous avons un rôle d'aiguilleur, mais il nous est interdit de recevoir nos clients dans une pièce à part : tout se passe en boutique, ce qui limite les possibilités de consultation.

Si certains pharmaciens orientent vers des plantes, la demande vient le plus souvent des clients eux-mêmes. Quand le produit n'est pas disponible, il arrive que le professionnel me le commande ou m'adresse la personne concernée. L'objectif tant du médecin que du pharmacien est de répondre à la demande du patient, du client, faute de quoi il risque de le perdre. Personne n'est dupe de ce point de vue.

Mme Noémie Zapata . - La situation est semblable en Espagne. Les herboristes jouent constamment sur le fil de cette limite entre orientation et prescription. Derrière leur comptoir, ils doivent réguler les savoirs et alerter leurs clients, qui parfois arrivent avec des idées toutes faites, sur la dangerosité de telle ou telle plante. L'art de l'herboriste, qui est aussi un commerçant, est de bien conseiller, quand bien même le conseil n'a aucune incidence sur le projet d'achat du consommateur. De manière officieuse, le rôle de prescripteur de l'herboriste est reconnu, y compris par les médecins et pharmaciens. Cela ne pose, a priori, pas trop de problèmes.

À ma connaissance, il n'y a pas de projet de réglementation. Chaque communauté autonome réfléchit à une possible reconnaissance du métier d'herboriste, en tout cas des habiletés requises sur le plan technique pour l'exercer, lesquelles sont liées à la transformation des plantes médicinales. Mais l'objectif n'est pas forcément de reconnaître le commerce herboriste. J'ai cité l'exemple de la Catalogne, qui reconnaît depuis très récemment le métier d'artisan herboriste. Dans d'autres communautés autonomes, la reconnaissance de ces compétences se fait plutôt au niveau de l'artisanat alimentaire, basculant ainsi du côté des producteurs et des cueilleurs de plantes médicinales, métiers auxquels les commerçants herboristes espagnols ne sont pas formés. Cela reste, comme en France, très sectorisé.

S'exprime actuellement un intérêt pour revaloriser ces savoir-faire, dans la volonté de redynamiser le milieu rural. La production de plantes médicinales et aromatiques est un secteur encore peu représenté. Les gros producteurs travaillant à l'échelle industrielle sont plutôt spécialisés dans la monoculture. Les petits producteurs, également cueilleurs, sont minoritaires et proposent d'autres activités, telle que l'hébergement touristique, des ateliers de sensibilisation à la nature, dans le cadre notamment de jardins ethnobotaniques, très à la mode en Espagne. C'est peut-être pour les soutenir qu'un projet de législation verra le jour.

Mme Caroline Gagnon . - En France, les produits de l'herboristerie, à l'instar de la valériane, étant disponibles en vente libre, le consommateur n'a pas à passer par un intervenant médical ou un herboriste pour se les procurer. Dès lors, le rôle de l'herboriste est d'aider le consommateur à bien choisir en fonction de sa situation personnelle. Même l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, le souligne, nombreuses sont les personnes à se dire insatisfaites des médicaments et à chercher une solution de remplacement. Si la valériane, associée au houblon, constitue un traitement efficace contre l'insomnie, mon rôle, en tant qu'herboriste, est de vérifier qu'il est adapté au cas de la personne qui est en face de moi.

Les médecins et les pharmaciens avec qui je travaille ne sont pas formés. Nos métiers sont donc complémentaires. La stratégie de l'OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023 donne des balises intéressantes en vue d'aider à la reconnaissance de tous ces savoirs.

M. Joël Labbé , rapporteur . - On met souvent en avant les risques liés à l'usage des plantes qu'il y aurait sur la santé. En tant que professionnelles, pouvez-vous nous dire si des accidents surviennent liés au métier d'herboriste ?

Mme Caroline Gagnon . - Il m'est parfois demandé : « Mais où sont les cadavres ? ». Certains se plaisent en effet à invoquer le grand danger des plantes médicinales. Voilà quelques années, les critiques portaient sur l'inefficacité des plantes médicinales, pas sur leur dangerosité.

L'innocuité des plantes médicinales est indéniable. Même en comparaison de la prise excessive de caféine, les risques sont moindres. Je le répète, le rapport entre les risques et les bénéfices est excellent. Les plantes médicinales sont notamment bénéfiques aux personnes souffrant du foie ou des reins, aux femmes enceintes, aux bébés. Depuis la nouvelle réglementation en vigueur au Canada et aux États-Unis sur les produits de santé naturels et les plantes médicinales, les cas d'interactions ou de réactions néfastes sont extrêmement rares. Lorsque cela se produit, c'est souvent dû à une consommation abusive de la plante, du point de vue soit quantitatif soit qualitatif, donc à un défaut de conseil. Un tel problème de traçabilité ou de qualité du produit, une bonne législation peut l'encadrer.

Il arrive également qu'une personne abandonne son traitement médicamenteux par volonté de se soigner uniquement de façon naturelle. Or un diabétique qui cesse les injections d'insuline, par exemple, court un grave danger.

Les professionnels conscients de ces risques permettent d'éviter les erreurs et de faire les bons choix, en vue de consommer en toute sécurité les plantes médicinales.

Mme Dominique Crémer . - J'abonderai dans le même sens. Avant même le début de la formation, nous précisons d'emblée, dès la première séance d'information, que nous ne formons pas des thérapeutes. Cela permet d'écarter toutes les personnes qui se complaisent dans une attitude par trop militante, criant haro sur le monde médical ou pharmaceutique.

Il m'est arrivé de dire à des personnes qui se présentaient dans mon commerce que je ne pouvais rien pour elles et qu'elles devaient aller voir leur médecin pour se faire prescrire un médicament, car une plante ne suffirait pas à les soigner. Je me souviens d'une femme et de son enfant souffrant de troubles respiratoires et de réactions inflammatoires, à qui j'ai refusé de donner en plus un traitement à base de plantes.

Nous devons pouvoir refuser une vente, poser une limite. Certes, nous faisons du commerce, mais il s'agit de prendre notre métier au sérieux : nous jouons avec la santé des gens. À l'évidence, nul ne peut empêcher les déviances dans les pratiques quotidiennes, mais, comme dans tous les métiers, un diplôme n'est jamais une assurance tous risques.

Nous travaillons à une nouvelle uniformisation de la formation entre la Wallonie et la Flandre, justement pour inciter les autorités publiques à reconnaître notre métier. C'est une question de santé publique. Ne laissons pas les charlatans prospérer, notamment sur internet. Il nous faut être encore plus stricts. D'où l'idée de nous intéresser à ce qui se fait en Allemagne avec les Heilpraktiker, totalement intégrés au système de santé publique.

Mme Gagnon le rappelait, la réglementation sur les produits en amont est très importante : les contre-indications sont mentionnées sur les emballages ; c'est une obligation européenne. D'où l'importance d'anticiper, de mettre en garde et de bien conseiller. Par exemple, si une personne qui prend du gingko biloba est sur le point de se faire opérer, il importe de lui dire de bien prévenir l'anesthésiste et le chirurgien, car cette plante est susceptible de liquéfier le sang. De même, la prise simultanée d'un psychotrope et de millepertuis ou de ginseng n'est pas toujours conseillée. C'est aussi ce qui permet de garder ces produits en vente libre et accessibles au plus grand nombre.

Mme Noémie Zapata . - Les herboristes espagnols sont eux aussi clairement conscients du risque de toxicité. Mais ce dernier n'est pas plus important que dans le cadre des produits médicamenteux classiques.

Souvent, une personne se rend dans une herboristerie soit avant d'aller consulter un médecin, soit parce qu'elle a fait le tour de la médecine allopathique sans trouver de réponse. Il est fréquemment recouru à la phytothérapie pour soigner des maladies chroniques et limiter des traitements médicamenteux allopathiques beaucoup plus lourds et aux nombreux effets secondaires.

Je n'ai pas eu connaissance de problématiques de mortalité liée à l'herboristerie. Cette crainte de la toxicité et ce doute sur l'efficacité viennent nourrir le discours contre la reconnaissance des médecines complémentaires, notamment de l'herboristerie. J'évoquais ce mouvement très fort de discrédit actuellement à l'oeuvre. Au sein du collège des médecins s'est créé un observatoire pour dénoncer les dérives du charlatanisme. Le ministère de la santé a identifié 139 thérapies douteuses, dont l'acupuncture, l'homéopathie, la médecine anthroposophique, plus aisément reconnues en France. Un collectif a même organisé une mise en scène voilà deux ans autour d'une tentative de suicide aux granules homéopathiques, justement pour dénoncer l'inefficacité prétendue de ces produits.

On ne prend pas les herboristes suffisamment au sérieux, on ne leur donne que trop peu de moyens pour exercer cette activité proche de celle du thérapeute, même si, en Espagne, il n'y aucune volonté des herboristes de se substituer aux médecins. Si vous ajoutez à cela les critiques sur la toxicité, l'herboristerie devient un sujet de crispation politique.

Mme Caroline Gagnon . - L'herboristerie contribue à diminuer la prise de médicaments parce qu'elle est essentiellement préventive.

M. Joël Labbé , rapporteur . -Je vous remercie vivement de vos interventions, qui ont montré combien vous êtes des professionnelles responsables. Madame Gagnon, vous avez insisté sur la recherche d'un consensus au Québec avec le monde médical, sur l'autorégulation. Madame Crémer, la Belgique se distingue par une inventivité remarquable. J'ai vu que, dans le cadre de l'examen que vous organisiez, vous alliez jusqu'à mettre directement les candidats en situation, au travers d'un jeu de rôle.

Aucun des trois pays n'est mieux placé que les autres. La situation n'est pas idéale et il va falloir avancer. Vos expériences nous intéressent donc grandement. Nous avons eu l'occasion d'auditionner des herboristes français, paysans-herboristes ou herboristes de comptoir : ils font preuve, tout autant que vous, d'un vrai sens des responsabilités. Derrière votre discours et le leur, c'est la passion pour ce métier qui s'exprime, la passion de l'humain et de la santé humaine. Vous l'avez dit, il importe de travailler en amont sur la question du bien-être, de la prévention. C'est là que peuvent se trouver les complémentarités entre les différents métiers, entre ceux qui sont liés directement à la thérapie et le métier d'herboriste.

Je vous donne rendez-vous pour une prochaine fois. Lorsque la mission aura rendu ses travaux, nous poursuivrons sans doute la réflexion.

Audition de M. Florian Petitjean, président du directoire de Weleda France

Mercredi 11 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux en accueillant M. Florian Petitjean, président de Weleda France. Le groupe Weleda, implanté en France dans le Haut-Rhin, produit et distribue des préparations pharmaceutiques à base de plantes et des produits cosmétiques dits « naturels et bio ». Vous allez donc nous apporter un éclairage complémentaire sur les sujets qui intéressent notre mission.

M. Florian Petitjean, président du directoire de Weleda France . - Je suis président de Weleda France depuis le début de cette année, avant j'en étais le directeur général. Auparavant j'ai eu un long parcours dans le domaine des médecines naturelles, des médecines douces, des thérapeutiques complémentaires. Je n'aime aucun de ces termes, sources de confusion, même si je préfère le terme de thérapeutiques complémentaires. Qu'est-ce en effet que la médecine naturelle ? La médecine douce n'est pas toujours douce... J'ai vingt ans d'expérience dans ce domaine : j'ai commencé dans l'homéopathie au sein du laboratoire Lahning Labs, puis j'ai travaillé chez Dolisos Labs, puis chez Pierre Fabre, comme directeur général de Naturactive, et enfin j'ai rejoint le laboratoire Weleda, comme pharmacien responsable et président du directoire. C'est mon métier mais c'est aussi ma passion.

J'ai préparé un tableau qui répertorie, d'un côté, les produits à base de plantes qui sont commercialisés et, de l'autre, les différents statuts existants, afin d'illustrer la complexité de la réglementation. Parmi les produits, on trouve les plantes en vrac, les tisanes (on en compte à peu près 6 000 et elles sont assimilées à la même famille de produits), les poudres de plantes, les extraits de plantes, les huiles essentielles, pures, en mélange, ou en hydrolat, les teintures mères ou les produits apparentés, comme les dilutions utilisées en homéopathie ou les macérats glycérinés, utilisés notamment en gemmothérapie et enfin une série d'autres produits, comme les élixirs de fleurs, qui sont souvent dans un no man's land réglementaire. Si l'on considère les statuts, on a les médicaments, les compléments alimentaires, les aliments, qui peuvent avoir des allégations santé dans certains cas, les dispositifs médicaux, les biocides, l'homéopathie, les préparations magistrales, qui sont des médicaments, les préparations officinales, qui sont également des médicaments, les produits cosmétiques et toute une série de statuts ou de pseudo-statuts qui sont parfois utilisés pour des questions d'opportunité ou en raison du vide réglementaire.

Le panorama est donc assez complexe. Ainsi, une huile essentielle pourra être utilisée sous différents statuts : comme médicament, complément alimentaire, aliment, dans la mesure où elle contient des condiments, comme dispositif médical, biocide, cosmétique, préparation magistrale, voire comme préparation officinale - statut qui existe plus sur le papier que dans la réalité, parce qu'il repose sur un formulaire national ancien qui n'a pas été réactualisé alors que ce cadre offre de réelles perspectives. L'articulation entre les statuts et les familles de produits laisse souvent perplexe et les acteurs se perdent. Finalement les choix sont souvent liés à la volonté d'aller vite sur le marché et dépendent des coûts : obtenir le statut de médicament coûte beaucoup plus cher que de lancer un complément alimentaire. La partie réglementaire est devenue un enjeu stratégique pour les entreprises, car le choix sera déterminant pour le cycle de vie du produit.

Le principal marché est celui des compléments alimentaires, avec à peu près 1,8 milliard d'euros de chiffre d'affaires (CA) en France, un taux de croissance de l'ordre de 5 % par an, mais les compléments alimentaires à base de plantes ont une croissance de plus de 10 %, ce qui montre l'intérêt des consommateurs dès qu'un produit contient une plante. Le deuxième marché est l'homéopathie, qui n'utilise pas que des plantes, avec un chiffre d'affaires de 600 millions d'euros, une croissance annuelle de 2 % ; c'est un marché très dépendant du climat et des effets saisonniers. Ensuite, la cosmétique naturelle représente un CA de 450 millions d'euros, avec un taux de croissance de plus de 8 % chaque année, en accélération, en raison des différents scandales sanitaires qui ont éclaté ces dernières années et des nombreux reportages dans les médias sur des produits présentés comme toxiques et qui effraient un petit peu la population. Tout cela concourt à créer un environnement propice au produit considéré comme naturel, ou entretient l'idée, contre laquelle je milite souvent, que tout ce qui est naturel est sans danger. Certes, la iatrogénie est faible avec les produits à base de plantes. Cependant les mésusages sont fréquents parce que ces produits peuvent être vendus dans de nombreux circuits : on en trouve dans les magasins bio, pionniers dans ce domaine, surtout lorsqu'il s'agit de produits biologiques, dans les parapharmacies, et dans les pharmacies, qui restent le circuit de distribution le plus important, avec un peu plus de 50 % des ventes, grâce à leur maillage territorial et parce que les consommateurs ont un besoin de réassurance, de proximité. Les ventes sur Internet augmentent aussi de façon très significative mais restent encore assez marginales, se montant à quelques centaines de millions d'euros si l'on regroupe l'ensemble des types de produits.

Le marché qui s'est le plus développé, ces dernières années, est celui des huiles essentielles, avec des taux de croissance de plus de 10 % chaque année : on en trouve aussi bien en pharmacie, que dans les magasins bio, de bien-être, sur Internet, chez Nature et Découvertes comme chez le boulanger du coin... Cela pose la question de l'encadrement et de la maîtrise ce circuit.

Le laboratoire Weleda dont la maison mère est en Suisse, est considéré comme le pionnier des cosmétiques biologiques et des médicaments conçus avec des produits d'origine biologique. Le laboratoire a un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros dans le monde, dont près de 100 millions en France, première filiale du groupe.

60 % de notre activité provient de la cosmétique naturelle et biologique, le reste provient de la phytothérapie et d'une manière générale, des produits pharmaceutiques à base d'actifs naturels. On est installé en France depuis 1924, dans le Haut-Rhin, à Huningue.

J'ai rejoint ce secteur il y a vingt ans, à la fin de mes études, ce qui n'était pas un choix évident à l'époque. Pendant les premières années de ma carrière, on me regardait souvent avec un petit sourire en coin quand j'expliquais pourquoi je travaillais dans ce domaine. Aujourd'hui, c'est plutôt tendance. La notion de naturalité éveille beaucoup d'intérêts aussi bien de la part des professionnels de santé, que de la part des patients et des consommateurs.

Les intervenants sur ce marché sont très divers. Tout d'abord, il y a les médecins. Peu se qualifient de phytothérapeutes. La plupart des médecins qui s'intéressent aux plantes sont les médecins homéopathes, ils sont entre 4 000 et 5 000 en France. Ils s'intéressent à une approche globale de la santé, intégrant la prévention. Ils ont recours à l'homéopathie, à des produits à base de plantes, à des produits naturels, très souvent en complément des médicaments classiques. On trouve aussi des nutritionnistes ou des micro-nutritionnistes, qui combinent les plantes, les vitamines, les minéraux ou les oligo-éléments dans une approche globale visant à guérir ou à prévenir certains déséquilibres. Finalement le nombre de médecins spécialistes est assez limité, au regard des 200 000 médecins installés en France.

À la différence des médecins, les pharmaciens ont une formation qui est assez centrée sur la chimie des plantes, la pharmacognosie, la botanique, la phytochimie, et bien sûr la santé, la physiologie, etc. En sortant de leurs études, ils ont donc des bases solides pour pouvoir faire du conseil sur les plantes. Toutefois, avec le temps, cette compétence a tendance un petit peu à s'éroder parce qu'ils font beaucoup d'autres choses. Cela a laissé le champ à d'autres professionnels paramédicaux, que je ne sais pas comment qualifier car ils ne sont pas toujours reconnus : naturopathes, herboristes, qui se spécialisent dans ce domaine et deviennent de vrais experts dans la connaissance des plantes, depuis leur culture jusqu'aux conditions d'utilisation ou aux indications appropriées, même si le mot est réservé aux médicaments. Toutefois ils n'ont pas, malheureusement, cette connaissance de la santé, à laquelle il faut être très attentif parce que les plantes ne sont pas sans danger. Il existe en effet des contre-indications, des risques en cas d'interactions entre produits. Pour garantir la sécurité du consommateur, il importe autant de vendre des produits de qualité que de savoir conseiller les patients en parfaite connaissance de cause.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci. J'aurai quelques questions. Quelles actions mettez-vous en place, en liaison avec les producteurs, pour préserver la ressource naturelle ?

Quelle est la contribution d'une entreprise comme la vôtre à la recherche sur les plantes et leurs effets sur la santé ?

Quels principaux aménagements des réglementations nationales ou européennes sur les produits à base de plantes préconisez-vous ?

Que pensez-vous des propositions visant à créer ou recréer un ou plusieurs métiers d'herboriste, permettant aux usagers de disposer d'un conseil avisé par un professionnel formé, même non pharmacien ?

M. Florian Petitjean. - Nous cultivons nos propres plantes. Nous possédons un jardin médicinal en France et un en Allemagne, pour une surface cumulée de 25 hectares. Ces terres sont cultivées en agriculture biodynamique. Nous avons aussi recours à des fournisseurs, notamment pour des plantes qui ne peuvent pas être cultivées en Europe, ou qui ne peuvent pas être cultivées, car elles doivent être cueillies dans leur milieu naturel, comme l'arnica, pour lequel nous avons passé une convention avec le département des Vosges pour une récolte raisonnée. Nous avons reçu la certification Union for Ethical BioTrade (UEBT), qui reconnaît des pratiques économiques respectueuses des ressources naturelles dans le cadre de pratiques équitables avec les producteurs.

Mme Patricia Schillinger . - Ces territoires en Alsace sont contrôlés par les brigades vertes, qui veillent au respect des pratiques et des contingents.

M. Florian Petitjean. - C'est très réglementé en effet. C'est aussi conforme à notre philosophie. Dès que les plantes sont récoltées, elles sont traitées à l'état frais, triées, mises à macérer, etc. Nous avons aussi des partenariats pour protéger la biodiversité, comme avec la petite Camargue alsacienne. Au niveau mondial, nous travaillons avec des fournisseurs qui ont aussi le label UEBT.

La recherche commence par l'agronomie. Nous avons nos ingénieurs agronomes, nos jardiniers. Nous cherchons à maîtriser la culture des plantes protégées, ce qui contribue à préserver l'environnement, mais ce n'est pas toujours simple ou possible. La recherche vise aussi à valoriser les plantes. Il ne s'agit pas comme dans la pharmacie traditionnelle d'isoler une molécule pour fabriquer un médicament mais de comprendre comment fonctionnent les extraits de plantes. Nous travaillons sur la sécurité, avec des toxicologues. Ensuite vient le stade des études précliniques pour identifier les interactions, apprécier les conditions de sécurité, vérifier l'efficacité. En cosmétique nous n'avons pas le droit de faire des tests sur des animaux. Enfin vient le stade des études cliniques. Vu l'organisation de notre groupe, cette phase n'est pas réalisée en France. Elle est gérée par les professionnels médicaux qui travaillent sur la valorisation clinique des produits. Notre investissement en recherche n'est pas comparable à celui de la pharmacie traditionnelle de synthèse pour des raisons économiques, parce que les plantes ne sont pas brevetables. Il n'y a pas non plus de blockbusters dans le domaine des plantes. Notre chiffre d'affaires repose sur des centaines de produits.

J'en viens à la réglementation. Pour les plantes, le processus de vérification des allégations santé au niveau européen a commencé il y a de nombreuses années, on ne sait pas quand il finira. Reconnaître les usages traditionnels des plantes marquerait la fin d'une insécurité réglementaire et économique pour les acteurs.

S'agissant des médicaments, il conviendrait peut-être aussi de simplifier les procédures même simplifiées d'autorisation de mise sur le marché (AMM), qui sont longues et coûteuses, et sont, dans les faits, contournées par les acteurs économiques dans la mesure où il est possible de lancer plus simplement des compléments alimentaires. Si certaines allégations santé déposées il y a longtemps sont parfois un peu fantaisistes, souvent l'usage traditionnel, connu de tous n'est pas reconnu. Les huiles essentielles sont utilisées dans de vieux médicaments mais je ne connais pas de médicament lancé récemment qui en contienne : nul n'a intérêt à investir des centaines de milliers d'euros pour obtenir une AMM avec une allégation restrictive, alors qu'il est possible de lancer un complément alimentaire. Au final, des huiles essentielles vendues comme compléments alimentaires sont en fait des cosmétiques par destination, utilisées en mélange avec une huile végétale. Elles peuvent aussi être utilisées en diffusion. Or, si le produit est vendu sous forme de complément alimentaire, il est censé être utilisé comme tel et le fabricant ne peut pas avertir le patient sur les indications ou les contre-indications liées à d'autres usages : par exemple, la cannelle vendue comme condiment, peut aussi être vaporisée mais elle est très irritante pour les voies respiratoires. De même il n'est pas possible, si on vend une huile essentielle à base d'agrumes comme complément alimentaire, d'indiquer sur l'emballage qu'il ne faut pas l'utiliser sur la peau en s'exposant au soleil alors que chacun sait que les agrumes sont photo-sensibilisants. Ainsi, les catégories réglementaires ne tiennent pas toujours compte de la réalité des besoins et des usages et empêchent de faire figurer des mises en garde sur des produits susceptibles d'être utilisés de différentes façons. Les huiles essentielles, en dépit de leurs vertus, peuvent être toxiques en cas de mésusage. Il est dommage de ne pas pouvoir mieux informer le consommateur. Les laboratoires se sont réunis d'ailleurs au sein d'un consortium pour avancer sur ce sujet en lien avec les autorités de santé.

Je suis aussi vice-président du syndicat national de la préparation pharmaceutique (SN2P) qui regroupe les quelques centaines de pharmaciens qui font encore des préparations magistrales - produits réalisés à façon, sur prescription, avec des autorisations des agences régionales de santé (ARS) -, ou des préparations officinales, coeur du métier de pharmacien. Cette dernière pratique a quasiment disparu car le formulaire national est inadapté. Les procédures sont désormais fiables. Pourtant, le pharmacien, qui est un professionnel de santé, n'a pas le droit de fabriquer à la demande de son client un mélange d'huiles essentielles, alors qu'il a tout l'outillage pour le faire et alors que le consommateur peut en trouver dans tous les magasins de bien-être ou sur internet... Il peut juste fabriquer un mélange de plantes en vrac en respectant des monographies fixées.

Je ne suis pas un expert de la réglementation européenne, je ne peux que souhaiter que les procédures soient plus rapides, car le facteur temps est essentiel.

Faut-il créer un diplôme d'herboristerie ? Je crois qu'il faudrait d'abord sensibiliser les médecins, lors de leur formation initiale, à l'usage des plantes, aux bienfaits qu'elles peuvent apporter au quotidien, pour leur permettre de conseiller leurs patients et les mettre en garde sur les risques potentiels, en cas de multi-usages notamment.

Beaucoup de patients, en effet, sont polymédiqués. Le millepertuis, par exemple, n'est pas indiqué pour une femme qui prend la pilule. Les pharmaciens ont des bases solides. Ceux qui le souhaitent peuvent suivre un diplôme universitaire.

Aujourd'hui, beaucoup de gens pratiquent le conseil sur les huiles essentielles et les plantes. C'est une réalité. Il faut fixer un cadre pour encadrer, non bloquer. Cela peut passer par la formation ou par la création d'un diplôme d'herboriste. Il ne faudrait cependant pas empêcher les pharmaciens de revendiquer leur statut car ils sont herboristes. En revanche on pourrait ouvrir cette compétence à d'autres professions paramédicales. Dans tous les cas, la sécurité du consommateur doit nous guider. Beaucoup de gens connaissent bien les plantes, mais ils ne connaissent pas forcément les médicaments, les interactions, ne sont pas compétents en santé, ne sont pas en lien avec les médecins. Il ne faut pas courir le risque d'entrainer une perte de chance pour les patients. Le conseil en matière de bien-être, de prévention, de gestion du capital santé est une chose, mais dès que l'on commence à entrer dans le champ de la maladie, c'est le médecin et le pharmacien qui sont compétents. Il faut trouver un équilibre. La formation devrait s'articuler autour des aspects réglementaires, du droit de la santé, de la botanique, de la pharmacognosie, de la physiologie, de la chimie, de la biologie, de la pharmacologie, etc. En fait cela ressemble beaucoup aux études de pharmacie ! Mais on pourrait imaginer que d'autres professionnels bien formés puissent intervenir.

Mme Marie-Pierre Monier . - Vous avez souligné votre souhait de maîtriser toute la filière depuis la culture et la production. Produisez-vous votre propre lavande ?

Les cosmétiques bio sont-ils bio à 100 % ? Vendez-vous tous vos produits en pharmacie ?

M. Florian Petitjean . - S'agissant du bio, cela dépend des cas et des certifications. Il est possible de prétendre à la certification bio si 90 % du produit est d'origine biologique mais on peut avoir le droit d'incorporer des produits qui ne le sont pas, car malheureusement on ne peut pas tout produire en bio, à commencer par l'eau... Nos produits pharmaceutiques sont vendus exclusivement en pharmacie mais nous travaillons aussi avec les magasins bioset les parapharmacies.

Quant à la production, nous ne pouvons malheureusement pas cultiver de lavande en Alsace... Nous travaillons donc avec des producteurs.

M. Daniel Laurent . - Avec un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros, quel est votre taux de croissance ? Je présume que vous achetez certaines de vos matières premières ailleurs en Europe, ou en Asie. Avez-vous des garanties de qualité ?

M. Florian Petitjean . - Nos relations avec nos fournisseurs sont contractuelles à 90 %, et encadrées par un cahier des charges. Nous sommes extrêmement vigilants. Nous avons nos propres auditeurs, mais la certification bio - il en existe plusieurs - est le fait d'auditeurs externes et indépendants.

Weleda fait du bio depuis près d'un siècle ; nous avons été pionniers dans ce domaine, et cela fait partie de notre ADN. La qualité des produits n'est pas négociable.

M. Daniel Laurent . - Recherchez-vous des producteurs ?

M. Florian Petitjean . - Pas en France, où nous avons nos propres jardins. Pour le reste, les filières d'approvisionnement sont centralisées par la maison mère.

Notre chiffre d'affaires en France croît de 3 à 5 % par an, principalement grâce à la part cosmétique de notre activité, où la croissance est de l'ordre de 10 %. Cela implique de trouver des matières premières en conséquence. La part de notre activité liée à la pharmacie se développe moins vite, en partie pour des raisons réglementaires.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Le marché mondial des cosmétiques, huiles essentielles et compléments alimentaires est-il très concentré autour de grands laboratoires, qui organisent et contrôlent la chaîne complète de production et de distribution, ou voit-on éclore des acteurs indépendants ?

M. Florian Petitjean . - Le marché est encore assez éclaté. 400 millions d'euros de chiffre d'affaires, c'est peu pour le leader mondial de la cosmétique biologique que nous sommes. L'association professionnelle française des laboratoires de cosmétique biologique compte pas moins de 400 adhérents. Pour les producteurs émergents, il est difficile de se maintenir car le niveau d'exigence réglementaire est très élevé. Il y a peu d'acteurs mondiaux, mais un mouvement de concentration a commencé. Des fonds d'investissement commencent à s'y intéresser.

Mme Patricia Schillinger . - Il existe beaucoup de traitements naturels pour les malades du cancer. La clinique anthroposophique d'Arlesheim, en Suisse, propose des thérapies de ce type. Certains produits sont également de plus en plus utilisés en pédiatrie par les hôpitaux. Faut-il des autorisations spéciales pour ces traitements ?

M. Florian Petitjean . - C'est une question complexe. Depuis quelques années, les produits naturels font leur arrivée à l'hôpital. Un patient sur deux souffrant de maladie chronique ou grave, comme le cancer, déclare avoir recours à ces produits, non en tant que médecine alternative mais en tant que complément : j'insiste sur ce point. Or, ils font face à une méconnaissance des médecins et à une forme de déni de cette réalité. On laisse pour ainsi dire les patients dans la nature, qui peuvent alors s'orienter vers des charlatans, avec des risques de perte de chance.

Introduire ces produits dans les cliniques présente un véritable intérêt pour la qualité de vie du patient. On trouve de plus en plus d'huiles essentielles, qui ont des vertus tranquillisantes reconnues. Quant aux médicaments, ils sont soumis à l'autorisation de mise sur le marché.

La France reste conservatrice dans ce domaine, alors que l'on trouve des cliniques et des hôpitaux dits intégratifs de très bon niveau en Allemagne, comme en Chine, en Inde ou aux États-Unis. On y pratique tous types de soins classiques, mais aussi l'homéopathie, les médecines anthroposophiques, l'aromathérapie, la médecine ayurvédique. En Allemagne, les médecins sont formés à ces pratiques dès la faculté et se familiarisent ainsi avec les deux approches, classique et naturelle. En complément de la thérapeutique du médicament, on y prend en compte l'environnement, l'aspect psychosocial.

Il est difficile de démontrer l'efficacité des médicaments relevant de ces thérapies, et cela coûte très cher. Les produits peuvent être utilisés sous forme de préparation magistrale, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus autorisés... Mais dans ce cas, les patients trouvent toujours un moyen de s'approvisionner autrement que par les filières classiques, sécurisées. C'est le principal danger.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Vous avez évoqué la toxicité potentielle des huiles essentielles et le fait que la commercialisation en tant que complément alimentaire offre davantage de souplesse qu'une mise sur le marché en tant que médicament. Ne faudrait-il pas, dans ce cas, mettre en place une forme d'autorisation de mise sur le marché, même allégée, pour ces compléments ? Que pensez-vous par ailleurs de la reconnaissance de la pharmacopée traditionnelle outre-mer ?

M. Florian Petitjean . - La mise sur le marché des compléments alimentaires nécessite déjà la constitution d'un dossier très complet. Le rehaussement systématique du niveau d'exigence n'est pas, à mes yeux, la solution. L'approvisionnement est assuré auprès de grossistes capables de garantir la traçabilité. Des contrôles sont réalisés sur les produits finis. L'environnement est sérieux.

L'outre-mer a longtemps été un sujet d'intérêt au sein de Pierre Fabre. De manière générale, j'estime que la reconnaissance des traditions est essentielle.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Merci de votre exposé et de vos réponses très complètes.

Audition conjointe du Dr Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, accompagnée de M. Alain Delgutte, président du Conseil central des pharmaciens titulaires d'officine et de Mme Caroline Lhopiteau, directrice générale, et du Dr Jean-Marcel Mourgues, président de la section Santé publique et démographie médicale du Conseil national de l'Ordre des médecins, accompagné de Mme Cécile Bissonnier, juriste responsable de la section santé publique et démographie médicale

Mercredi 11 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Notre mission d'information accueille à présent le docteur Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, accompagnée de M. Alain Delgutte, président du Conseil central des pharmaciens titulaires d'officine et de Mme Caroline Lhopiteau, directrice générale ; et le docteur Jean-Marcel Mourgues, président de la section santé publique et démographie médicale du Conseil national de l'ordre des médecins, accompagné de Mme Cécile Bissonnier, juriste responsable de la section santé publique et démographie médicale.

Je vous remercie d'avoir accepté cette audition conjointe, qui apporte l'éclairage de deux professions médicales sur les sujets de l'herboristerie et des plantes médicinales qui intéressent notre mission.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Dr Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens. - Mon propos portera sur la complexité et le danger lié à l'utilisation des plantes, ainsi que sur ma conviction que les médecins et pharmaciens sont le mieux à même de répondre à la demande sociétale.

Les pharmaciens sont des promoteurs de la phytothérapie ; le soin par les plantes est à l'origine même de la pharmacie, puisque 70 % de notre pharmacopée est issue du monde végétal. La réglementation vise d'abord à protéger le patient en évitant tout risque pour la santé publique.

Il y a bien une attente sociétale forte de produits naturels doux, sans effets indésirables, efficaces, utilisés surtout en traitement préventif ou contre les petits maux du quotidien. 45 % des Français disaient en 2011 avoir recours à la phytothérapie, 65 % lui faisaient confiance ; mais elle recouvre des produits aux statuts très divers, à vocation médicale, mais aussi alimentaire ou de bien-être.

Or, il existe une confusion sur le statut de ces produits. Soin par les plantes ne veut pas dire soin sans danger : 5 à 10 % des intoxications traitées aux urgences ou dans les centres antipoison sont ainsi liées à l'ingestion de plantes comme l'aconit, l'if, la belladone ou le datura.

Le pharmacien est le plus à même de répondre aux exigences de sécurité liées à leur utilisation, il possède la connaissance des plantes médicinales et de leurs dérivés, qui requièrent une technicité importante. Certaines plantes ou huiles essentielles peuvent être irritantes, neurotoxiques, photo-sensibilisantes ou caustiques. Il y a aussi des contre-indications pour les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants, les sujets épileptiques ou allergiques.

Les plantes peuvent aussi modifier l'activité de certains médicaments. Ainsi le millepertuis, antidépresseur léger, est aussi un puissant inducteur enzymatique qui diminue l'efficacité de certains contraceptifs hormonaux et traitements immunosuppresseurs. Les patients cancéreux ont souvent recours aux plantes médicinales, principalement pour diminuer les effets des traitements mais aussi, parfois, pour se guérir. Or des interactions gravissimes entre thérapies anticancéreuses orales et phytothérapie ont été mises en évidence.

Second risque, le détournement des pratiques par des acteurs prétendant poser un diagnostic ou soigner des pathologies lourdes par la phytothérapie. Les prescriptions illégales de mélanges de plantes ou d'huiles essentielles, notamment par des naturopathes ou des guérisseurs, sont régulièrement constatées en officine. L'ordre des pharmaciens se porte parfois partie civile contre les personnes qui exercent illégalement la pharmacie.

Le pharmacien est un professionnel de santé dont la formation est fondée sur la connaissance scientifique ; il connaît aussi la réglementation s'appliquant à ces différents produits. Il a reçu 30 heures d'enseignement de pharmacognosie ; le stage de sixième année lui apprend à reconnaître les plantes. Quatorze facultés de pharmacie proposent, en formation continue, trois diplômes universitaires et diplômes interuniversitaires consacrés aux plantes. Le droit pharmaceutique est aussi enseigné.

Deuxième avantage, la pharmacie d'officine est en mesure de répondre aux attentes sociétales à travers son maillage territorial et d'assurer un accès pour tous aux plantes médicinales en toute sécurité.

Troisième point, elle est un rempart contre la falsification, par la mise en place de circuits d'approvisionnement étanches auprès d'établissements pharmaceutiques autorisés. Les pharmacies sont contrôlées par les autorités de tutelle, et, acteurs de santé publique, soumises à un code de déontologie destiné à protéger l'intérêt du public.

Enfin, le pharmacien a à sa disposition l'ensemble de l'arsenal thérapeutique. Son cursus comporte des enseignements de physiopathologie et de pharmacologie ; il est ainsi en mesure d'évaluer les interactions entre allopathie et phytothérapie susceptibles d'engendrer des pertes de chances. Lors de l'acte de dispensation, tout pharmacien procède à l'analyse de la demande ; il consulte le dossier pharmaceutique du patient contenant les médicaments dispensés au cours des quatre derniers mois. Il a le devoir de refuser la délivrance d'un produit lorsque la santé du patient l'exige.

Il n'est pas certain que les circuits basés sur la seule vente des plantes répondent aux mêmes exigences déontologiques. Il existe un recensement des interactions médicamenteuses dans le RCP (résumé des caractéristiques du produit) de chaque spécialité, qui n'a pas d'équivalent en phytothérapie. Seule la connaissance du pharmacien lui permet, à ce jour, de discerner les interactions. En région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, cinq établissements hospitaliers ont bâti un outil de détection des risques liés à la consommation de plantes par les patients cancéreux.

Le pharmacien peut aussi orienter le patient dans le système de soins, le diriger vers un autre professionnel de santé lorsque la situation l'exige.

Les pharmaciens intègrent et comprennent la demande sociétale ; avec les médecins, ils sont les seuls professionnels de santé incontournables pour y répondre, sans risque de perte de chances pour le patient. Il en va de la sécurité de la prise en charge et de la santé publique.

Dr Jean-Marcel Mourgues, président de la section Santé publique et démographie médicale du Conseil national de l'ordre des médecins . - Je suis tout à fait en accord avec le propos de ma collègue. L'herboristerie provoque souvent l'embarras chez les médecins. La prescription de plantes médicinales renvoie à la phytothérapie qui est le plus souvent, selon l'OMS, une médecine non conventionnelle faute d'études cliniques spécifiques en prouvant l'efficacité. Il y a cependant un attrait manifeste pour une médecine dite naturelle, liée en partie aux scandales récents causés par certains médicaments.

Certains sites internet surfent sur la vague du naturel et du bio, mais aussi sur la défiance de la population vis-à-vis du médecin. Il est toutefois difficile d'évaluer rigoureusement et scientifiquement ces attentes, sur un plan qualitatif et quantitatif. L'information fait aussi défaut sur les dangers liés à l'utilisation des huiles essentielles ou des plantes médicinales, par voie orale, inhalée ou cutanée.

La phytothérapie est très peu enseignée en formation initiale. Il existe quelques diplômes universitaires ouverts aux médecins et aux pharmaciens, mais ils ne donnent pas droit au titre pour les médecins, sur les plaques comme sur les ordonnances. Les interactions médicamenteuses restent peu documentées alors que nous sommes confrontés à l'automédication, dont le patient n'informe pas toujours le médecin.

Ce manque d'information est lié au manque de connaissance de la phytothérapie par les médecins. La loi du 11 septembre 1941 a réservé la pratique de l'herboristerie aux seules personnes qui en étaient encore diplômées. Le nombre de médecins possédant un diplôme spécialisé en phytothérapie n'est pas connu.

Pour autant, l'Ordre reçoit de nombreux signalements de thérapeutes auto-qualifiés, mais peu d'un exercice déviant de médecins. Le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) travaille aussi régulièrement avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

La prolifération de sites internet vendant des produits onéreux, sans contrôle possible et en profitant de la vulnérabilité des malades, est inquiétante.

L'Ordre a récemment participé à un groupe de réflexion sur les faux médicaments produits à l'étranger. La production de plantes médicinales inspire des inquiétudes analogues.

Le CNOM saisit parfois la DGCCRF si les allégations sur les effets de ces produits paraissent trompeuses et dangereuses pour la santé. Seule la DGCCRF est compétente sur les compléments alimentaires. Il serait plus logique que les dossiers passent par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), puisqu'il s'agit de produits qui agissent sur la santé. Cela garantirait la qualité et la traçabilité du produit à travers la mise en place d'un système de pharmacovigilance.

À notre époque, la sécurité du médicament et des plantes médicinales est une préoccupation importante de nos concitoyens, des agences d'État et des ordres de professionnels de santé.

Le CNOM n'est pas favorable à la reconnaissance des herboristes en tant que professionnels de santé, alors que les pharmaciens possèdent les compétences nécessaires. Ce serait permettre un exercice très tubulaire, où le discernement nécessaire à la prise en charge thérapeutique globale, sans perte de chances, ferait défaut.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Je vous remercie pour la clarté de vos conclusions. Nous auditionnons tous les acteurs de ces filières ; hier, nous avons entendu des représentantes des herboristes belges et québécois qui écartent toute notion de concurrence entre herboristerie et médecine traditionnelle. Elles se déclarent prêtes à lutter contre le charlatanisme car les malades se tourneront vers la phytothérapie quoi qu'il arrive, parfois auprès de thérapeutes autoproclamés. Les professionnels de l'herboristerie demandent donc des formations diplômantes et très encadrantes. Laissant le diagnostic et le traitement aux médecins et pharmaciens, ils se placent du côté de la prévention et du bien-être, en insistant sur les complémentarités. Que pensez-vous de ces propos ?

Quelle est votre position sur la notion d'usage traditionnel des plantes, et notamment les savoir-faire des outre-mer ?

Faut-il élargir les prérogatives des pharmaciens relatives aux préparations à base de plantes, par exemple pour fabriquer des mélanges d'huiles essentielles ? Enfin, ces préparations sont-elles suffisamment connues des médecins prescripteurs ?

Mme Carine Wolf-Thal. - Il faut bien distinguer allégations de santé et allégations thérapeutiques. Nous parlons, pour notre part, d'allégations thérapeutiques, pour ce qui concerne non seulement le préventif, mais aussi et surtout le curatif. Nous sommes là dans le domaine du médicament, donc de la compétence du pharmacien et du médecin.

Il existe effectivement 148 plantes que les herboristes ont le droit de vendre. Il n'y a pas de débat possible : le fait de prétendre que telle ou telle plante facilite le transit ou favorise le tonus relève des allégations de santé, pas des allégations thérapeutiques. Tant que cette distinction est respectée, il n'y a pas de problème, il s'agit de produits complémentaires.

M. Alain Delgutte . - Je ne connais pas le dispositif en vigueur en Belgique et au Canada s'agissant de la mise à disposition des plantes et de la diffusion des produits phytothérapiques au sein des officines. En France, on compte plus de 21 000 officines, réparties sur tout le territoire ; 55 000 pharmaciens y travaillent. Carine Wolf-Thal l'a évoqué, ces derniers, de par leur formation universitaire, ont une parfaite connaissance de la phytothérapie. L'ANSM, a publié le Thesaurus des interactions médicamenteuses. L'université de Grenoble a mis au point une autre base de données, dénommée Hedrine, pour Herb Drug Interaction Database, et intégrée à la base Thériaque, librement accessible en ligne, qui révèle l'ensemble des interactions médicamenteuses.

Mme Carine Wolf-Thal . - L'usage traditionnel des plantes est reconnu, notamment par le biais d'autorisations de mise sur le marché (AMM) allégées.

M. Alain Delgutte . - L'usage traditionnel relève d'un usage médical d'au moins trente ans en France et d'au moins quinze ans dans l'Union européenne. Cette notion avait été instaurée en vue de simplifier, sur le plan réglementaire, l'obtention par les laboratoires des AMM. Elle ne doit pas aller à l'encontre de la littérature scientifique à notre disposition. Nous préférons donc raisonner plutôt en termes de dangerosité pour les personnes que de nous référer à la notion d'usage traditionnel.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Vous n'avez répondu que sur la partie « médicaments ». Or les usages traditionnels de plantes sont parfois millénaires. Au fil du temps, les connaissances se sont améliorées, elles ont été transmises, avec bonheur souvent. C'est pourquoi je souhaiterais connaître votre point de vue sur la reconnaissance de ces usages traditionnels des plantes médicinales.

M. Alain Delgutte . - La connaissance scientifique évolue au fil du temps. Le millepertuis, par exemple, est une plante qui, comme antidépresseur, a des vertus avérées. Or on s'est aperçu que c'était un puissant inducteur enzymatique, interagissant avec d'autres médicaments utilisés notamment pour éviter le rejet des greffes ou en tant que contraceptif oral. Si la notion d'usage traditionnel des plantes est reconnue, il importe de prendre en compte l'ensemble de la littérature disponible et des avancées de la science. Je citerai ainsi le dispositif national de nutrivigilance élaboré par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement, de l'environnement et du travail (Anses) dans lequel figurent les interactions possibles avec certains compléments alimentaires. J'espère avoir ainsi répondu à votre question.

Vous nous avez également demandé s'il fallait élargir les prérogatives des pharmaciens en matière de préparation officinale à base de plantes, évoquant notamment les huiles essentielles. À l'évidence, il conviendrait d'élargir le champ de compétences des pharmaciens pour mieux répondre à l'accroissement de la demande, que j'observe moi aussi en tant que pharmacien officinal. Nous pouvons préparer des mélanges de plantes dès lors qu'ils figurent dans la monographie des préparations officinales. Pour les huiles essentielles, ce genre de monographie n'existe pas à ce jour.

En 2017, un groupe de travail, mis en place par l'ANSM, a présenté trois projets de monographie, qui ont reçu un avis favorable de l'Agence et sont en attente de validation et de publication. Le premier porte sur des préparations à base d'huiles essentielles destinées à une application cutanée ; le second, sur des produits destinés à l'inhalation, à l'exclusion des aérosols ; le troisième, sur des préparations officinales destinées à la voie orale, donc présentées sous forme de gélules. Permettre aux pharmaciens de préparer de tels mélanges sécurisés à base d'huiles essentielles serait une réelle avancée.

M. Jean-Marcel Mourgues . - Il y a une méconnaissance manifeste, faute d'une documentation suffisante, des risques encourus par rapport aux bénéfices attendus des plantes médicinales.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Il y a visiblement un déficit de formation des médecins en la matière. Seriez-vous favorables à ce que ces derniers, dans le cadre de leur cursus universitaire, suivent un enseignement sur les plantes médicinales et les huiles essentielles ?

Cela été dit, le patient n'ose pas toujours dire à son médecin traitant qu'il a recours aux plantes médicinales, à l'homéopathie, à des compléments alimentaires, y compris quand il est atteint d'une pathologie grave. Le médecin, lui, ne pense pas toujours à poser la question. Si les médecins généralistes sont évidemment en première ligne, les spécialistes sont eux aussi concernés, notamment les oncologues car de nombreux patients atteints d'un cancer y ont recours.

M. Jean-Marcel Mourgues . - Compte tenu effectivement du déficit de formation initiale dans ce domaine, de la demande croissante en matière de plantes médicinales, de l'obligation qu'a le médecin d'apporter une information la plus éclairée possible et d'alerter sur le risque d'interactions médicamenteuses, il y a certainement un volume de formation complémentaire à prévoir dans le cadre de la formation initiale.

Il est fort probable que, statistiquement, les médecins aient une connaissance meilleure de l'homéopathie que des plantes médicinales.

Mme Corinne Imbert , présidente . - À l'évidence, les médecins sont davantage sensibilisés à l'homéopathie.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Je me permettrai d'insister. Nous avons beaucoup entendu parler d'une nécessaire complémentarité entre les acteurs dans l'intérêt de la santé publique. Ceux qui sont passés par les cinq écoles d'herboristerie en France sont des professionnels même si leur formation n'est pour l'instant pas reconnue comme diplômante. Qu'on le veuille ou non, le métier existe, les pratiques aussi.

De plus en plus de personnes se tournent vers internet pour acheter les produits, glaner des conseils. Les personnes qui s'intéressent à l'herboristerie et au développement de la filière insistent sur l'importance de mettre en place un encadrement strict, associé à une formation diplômante, et ce à plusieurs niveaux. Certains pharmaciens souhaitent une formation spécifique en herboristerie. Les herboristes non pharmaciens sont, pour le moment, dans le flou juridique, d'où leur extrême prudence : ils sont très lucides sur le fait qu'ils ne doivent en aucun cas intervenir sur le diagnostic, même si, bien souvent, on le leur demande.

Il conviendrait de prendre en compte cette nouvelle tendance et d'essayer de travailler ensemble, nous, les politiques, qui avons notre rôle à jouer pour ce qui est d'écrire la loi, vous et tous les acteurs concernés. L'objectif est véritablement de pouvoir répondre à une demande sociétale forte, en jouant sur les complémentarités. Nous sommes lucides sur la réalité : 21 000 officines, plus de 50 000 professionnels reconnus, dont l'activité est précieuse pour le service public de la santé et l'aménagement du territoire. Il ne s'agit surtout pas de fragiliser ce qui existe et qui fonctionne bien. Il n'en demeure pas moins qu'il y a cette notion de complémentarité à prendre en compte. Il y a des attentes et nous sommes en plein questionnement.

Mme Carine Wolf-Thal . - Selon nous, reconnaître une formation uniquement consacrée à l'herboristerie représenterait une perte de chance pour le patient. L'herboriste n'ayant pas la connaissance de l'arsenal thérapeutique disponible, notamment en allopathie, cela pourrait retarder la prise en charge du patient par l'allopathie, quand elle est nécessaire. Le docteur Mourgues l'indiquait, une profession qui travaillerait de façon tubulaire sur un seul axe de prise en charge représente un danger. De tels professionnels ne pourraient pas être intégrés au parcours de soins du patient, d'où, forcément, un risque de retard dans la prise en charge, s'agissant d'un traitement initial préventif pour des pathologies a priori bénignes ou de soins complémentaires pour des pathologies plus lourdes.

Nous ne voyons pas comment l'herboriste, même s'il en a conscience ou connaissance, serait en mesure de prendre en compte l'évolution des traitements, parfois très rapide, comme dans le domaine de l'oncologie. Les polymédications sont monnaie courante dans le cas de pathologies lourdes. Cela représente pour nous un danger que d'avoir, dans le circuit de soins, un professionnel isolé n'ayant à son arc qu'une seule corde.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Je comprends ce que vous dites, mais les personnes que nous avons auditionnées n'envisagent aucunement de travailler de façon isolée. Il est pour elles absolument nécessaire de faire le lien avec le monde de la pharmacie et de la médecine. Ne l'oublions pas, il est avant tout question de bien-être, de prévention, d'accompagnement. En France, dans le domaine de la cancérologie, il arrive que des herboristes accompagnent des malades, mais ils le font en liaison avec les médecins. De ce fait, le médecin est maître du jeu. Cette manière d'évoluer pourrait-elle constituer, selon vous, une perspective d'avenir, sachant que la demande sociétale est extrêmement forte ?

Mme Carine Wolf-Thal . - Je le redis, pour nous, cette démarche présente plus de risques que d'avantages. Nous craignons la perte de chance pour le patient consécutive à un retard dans sa prise en charge. Malgré le souhait exprimé par l'herboriste de faire le lien avec le pharmacien ou le médecin, il est à craindre qu'il ne le fasse trop tard, quand il s'aperçoit que son conseil n'a pas produit suffisamment d'effets ou que des effets secondaires sont déjà malheureusement apparus.

Les pharmaciens sont tout à fait en mesure de répondre à cette attente sociétale, de par leur présence homogène sur le territoire et leurs connaissances acquises dans le cadre de formations complémentaires. Le système existant garantit la sécurité, y compris de la chaîne d'approvisionnement. Le rôle du pharmacien dans la prise en charge du patient en phytothérapie est donc beaucoup plus large qu'on pourrait le penser.

M. Alain Delgutte . - La volonté des herboristes de mieux communiquer avec les médecins répond à une certaine logique. Mais comment la mettre en pratique, par quels moyens vont-ils communiquer, auront-ils à leur disposition des messageries sécurisées ?

Surtout, la communication ne suffira pas. L'essentiel, c'est de pouvoir détecter à temps les éventuels problèmes. Tous les maux, même les plus anodins, ne sont pas forcément soignables par la phytothérapie. Il importe de pouvoir avoir accès au dossier médical partagé, le DMP, au dossier pharmaceutique, le DP, pour éviter tout risque d'interaction médicamenteuse.

La Société française de pharmacie oncologique, la SFPO, a relevé un grand nombre d'interactions entre les médicaments pris pour soigner un cancer et certains produits phytothérapiques destinés à soigner des troubles mineurs, d'ordre digestif, par exemple.

Telles sont les raisons pour lesquelles le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens redoute cette perte de chance pour le patient. Qui plus est, il n'y a pas de besoin avéré, puisque 21 000 officines sont disponibles partout sur le territoire, permettant un accès aux produits phytothérapiques.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Par rapport à la question de la sécurisation de l'approvisionnement, il y a des filières en place et des filières qui ne demandent qu'à se développer, ce qui présente un intérêt économique pour nos territoires en termes d'aménagement et de développement local. Cette filière en émergence représente une ressource assez gigantesque, pour peu qu'elle soit encadrée et sécurisée. C'est ce que demandent les professionnels liés à l'herboristerie, producteurs comme grossistes, pour offrir des produits de qualité, tracés. En France, 80 % des plantes utilisées sont importées, d'où des incertitudes plus ou moins grandes sur leur origine. C'est un élément à prendre en compte.

Vous ne cessez de parler de perte de chance pour le patient, quand notre but est de faire en sorte que le patient soit le mieux accompagné possible. Permettez-moi de vous le dire, je vous trouve vraiment sur la défensive. Je me répète, la situation évolue, des professionnels agissent, des filières se mettent en place, des lieux de formation sont prêts à se mettre en ordre de marche.

M. Jean-Marcel Mourgues . - L'attente sociétale, vous avez raison de le souligner, est forte à l'égard des plantes médicinales, mais elle l'est tout autant à l'égard de la sécurité et de la qualité des soins. Il faut hiérarchiser les attentes : manifestement, la demande première est celle de la sécurité et de la qualité des soins. Créer un corps de métier reconnu, qui plus est, comme professionnel de santé nous paraît, à bien des égards, source de menaces pour la qualité des soins. Il ne s'agit pas de défendre je ne sais quel pré carré des médecins ou des pharmaciens.

Pourquoi rendre plus complexe encore un parcours de santé qui a besoin d'être davantage coordonné, en introduisant des acteurs nouveaux, dont le rôle restera très ambigu ?

Allégations de santé, allégations thérapeutiques, santé et bien-être : chacun connaît la porosité entre ces items. Très souvent, la perte de chance naît d'une demande initiale, formulée sous le registre du vocable du bien-être mais empêchant une prise en charge la plus éclairée possible. Le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens l'a très bien expliqué. Vous trouvez ses représentants sur la défensive, mais la ligne qu'ils défendent est pour nous essentielle.

Qu'il faille rendre perfectible la formation dispensée sur les plantes médicinales, y compris pour les médecins, j'y souscris bien volontiers.

La recentralisation de la production des plantes médicinales peut tout à fait avoir des effets positifs sur l'économie locale et les pharmacies. Après tout, nul n'est besoin d'herboristes pour aller dans cette voie.

M. Alain Delgutte . - Nous avons effectivement le souci de la sécurité et de la traçabilité. L'approvisionnement des officines se fait actuellement auprès d'établissements pharmaceutiques habilités par l'ANSM à distribuer en gros des plantes médicinales. J'en connais deux principalement. Ces laboratoires garantissent que ces plantes respectent la pharmacopée, s'agissant de la teneur, du principe actif, des spécificités attendues, de l'absence de contaminants extérieurs. Le pharmacien peut vendre des plantes issues d'autres laboratoires, mais il doit alors s'assurer du respect de la pharmacopée, donc procéder lui-même à des analyses. Je rappelle en outre que les pharmacies sont inspectés par l'inspection de la pharmacie.

Cela dit, monsieur le rapporteur, j'entends vos remarques et je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'améliorer le circuit d'approvisionnement en plantes médicinales. La filière a du mal à prospérer, justement parce que des normes ont été mises en place. Il serait envisageable de regrouper toutes les parties prenantes - botanistes, producteurs, recherche publique, laboratoires privés, distributeurs - dans un cadre coopératif, pour faciliter l'obtention de ce statut de laboratoire agréé par l'ANSM, qui ouvre un accès simplifié aux circuits de distribution pharmaceutique.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Vous dites connaître deux structures reconnues qui fournissent les pharmaciens. Nous avons rencontré un grossiste, le Comptoir d'herboristerie, dont l'un des dirigeants est M. Jean Maison, et nous irons prochainement à la rencontre des établissements Cailleau, situés en Maine-et-Loire : en termes de traçabilité et de contrôle, ils respectent scrupuleusement toutes les normes.

La question du risque et de la chance du patient est au coeur du sujet. Nous l'avons posée hier, notamment à une herboriste québécoise. Elle a reconnu que cette préoccupation revenait sans cesse dans la bouche des patients, préférant en parler de façon humoristique : « Mais où sont les cadavres ? », nous a-t-elle lancé, rappelant qu'il y a finalement extrêmement peu de risques. Pour ce qui est de la pharmacie chimique, nous ne pouvons pas oublier l'affaire du Mediator.

Mme Carine Wolf-Thal . - J'avoue être un peu étonnée par cette remarque : « Mais où sont les cadavres ? » J'espère que l'on n'attendra pas d'avoir des cadavres pour alerter sur les difficultés rencontrées. Il est arrivé qu'un oncologue, qui s'étonnait de ne pas comprendre pourquoi le traitement délivré à son patient sous chimiothérapie ne fonctionnait pas, finisse par découvrir que ce patient avait recours à la phytothérapie. Nous ne sommes pas loin du cadavre non plus, et je me permets de le dire également avec le sourire.

C'est parce que nous avons, en France, un système régulé que la sécurité est garantie.

En faisant référence au Mediator, vous semblez opposer la chimie au naturel.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Telle n'était pas ma volonté. Puisque vous avez parlé de risque, je tenais simplement à rappeler qu'en l'espèce des risques avaient été pris.

Mme Carine Wolf-Thal . - Malgré tout, la chimie a permis d'apporter une meilleure efficacité, en éliminant les effets secondaires toxiques des plantes. C'est grâce à la chimie qu'il a été possible d'améliorer l'usage des plantes. Chaque pharmacien, en tant que gardien des poisons, le sait bien, les plus grands poisons sont dans la nature.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Avez-vous une idée du nombre de pharmaciens diplômés qui ont fait le choix délibéré d'exercer comme herboristes ?

Mme Carine Wolf-Thal . - Je n'ai pas cette information et il me sera difficile de l'avoir, puisque, par définition, ces personnes ne sont pas inscrites à l'Ordre des pharmaciens.

M. Guillaume Gontard . - Je comprends tout à fait vos craintes sur les risques et les interactions possibles. C'est peut-être justement pour cette raison qu'un encadrement est nécessaire. Une pratique se développe, des attentes s'expriment. Je ne sais pas si on peut parler de flou juridique, mais force est de constater l'absence d'un cadre bien défini. Le fait d'avoir une formation véritablement diplômante, de fixer des limites, de préciser ce qu'un herboriste a le droit de faire ou non, serait plutôt de nature à répondre à vos préoccupations.

Une herboriste venue de Belgique, que nous avons auditionnée hier, nous a indiqué que, dans son pays, les herboristes travaillaient en liaison avec médecins et pharmaciens, en bonne concurrence, a-t-elle dit, et que tout fonctionnait bien.

Mme Carine Wolf-Thal . - Je ne cesserai de le répéter, le pharmacien a toutes les compétences nécessaires, de par sa formation, ainsi qu'une connaissance complète de l'arsenal thérapeutique. Pour reprendre l'exemple de l'oncologie, je ne suis pas sûr qu'un herboriste, dans le cadre de sa formation, reçoive un enseignement en pharmacologie et soit au fait de tous les médicaments nouveaux qui arrivent sur le marché, notamment les immunosuppresseurs. À quel moment l'herboriste sera-t-il capable d'identifier les interactions médicamenteuses potentielles ? Peut-être qu'en Belgique les pharmaciens n'ont pas cette compétence ou ne veulent pas la développer.

Ce n'est pas la voie qui a été choisie en France, où les pharmaciens s'attachent à bien connaître la phytothérapie pour pouvoir répondre aux attentes. Alain Delgutte le rappelait, ils ont accès au DMP et au DP. N'oublions pas non plus les pharmaciens hospitaliers, qui jouent un grand rôle dans la prise en charge des patients.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Où en est la réflexion autour de la reconnaissance d'une pharmacopée traditionnelle d'outre-mer ?

M. Alain Delgutte . - La reconnaissance des plantes aromatiques et médicales d'outre-mer ne date que de 2009. C'est très récent. Les associations locales, en liaison avec l'Ordre des pharmaciens, ont permis d'inscrire ces plantes médicinales, vendues largement sur les marchés, à la pharmacopée française. Dorénavant, elles sont accessibles de manière sécurisée dans les pharmacies.

Cette pharmacopée peut encore évoluer. La dynamique engagée a permis de concilier un usage empirique populaire avec un usage encadré par les professionnels de santé.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Merci infiniment de nous avoir apporté ces différents éclairages sur un sujet important.

Audition du Dr Claude Marodon, docteur en pharmacie et président de l'Aplamedom (Association pour les plantes aromatiques et médicinales de La Réunion)

Mercredi 11 juillet 2018

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M. Louis-Jean de Nicolaÿ , président . - Notre présidente est retenue par d'autres obligations et vous prie de l'excuser.

Nous accueillons le docteur Claude Marodon, docteur en pharmacie à La Réunion et président de l'Aplamedom, l'Association pour les plantes aromatiques et médicinales de La Réunion. Nous avons profité de sa présence, exceptionnelle, à Paris. Nous entendrons la semaine prochaine, en visio-conférence, le Dr. Henry Joseph, pharmacien en Guadeloupe. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Claude Marodon, docteur en pharmacie et président de l'Aplamedom de La Réunion . - Je vous présenterai la situation à La Réunion. Grâce à l'audition complémentaire d'Henry Joseph en Guadeloupe, vous aurez un panorama assez complet des outre-mer.

Je préside l'Association pour la promotion des plantes médicinales des départements d'outre-mer à La Réunion, mais cette association existe dans chaque département d'outre-mer ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti. Depuis 1999, nous travaillons à la reconnaissance des plantes d'outre-mer dans la pharmacopée française. Association pluridisciplinaire et transversale, nous rassemblons des tisaniers, des praticiens traditionnels, des agriculteurs, des botanistes, des professionnels de la santé, des universitaires... Nous mettons toutes nos compétences au service de cette reconnaissance. Nous avons des partenaires institutionnels et bénéficions de fonds de la région, du département, de l'État, des fonds européens mais aussi du pôle de compétitivité Qualitropic et d'un cyclotron, arrivé juste après l'épidémie de chikungunya en 2006.

Cette association d'ethnopharmacologie existe depuis vingt ans grâce à Jacques Fleurentin, Jean-Marie Pelt et Guy Mazars, qui ont permis de recenser les savoirs traditionnels pour en faire des médicaments, et souvent des médicaments du futur. Ainsi, pour guérir des épidémies de chikungunya, de dengue et de zika, virus de la même famille, nous faisons des recherches sur l'usage traditionnel des plantes, mais aussi dans le cas de cancers qui peuvent être soignés par des nanoparticules présentes dans des plantes médicinales qui agissent comme des cibles sur les cellules cancéreuses. Les populations ultramarines sont souvent atteintes de maladies métaboliques comme le diabète, l'obésité et l'insuffisance rénale. Nous essayons de comprendre si des plantes médicinales peuvent apporter quelque chose.

Notre association a trois buts principaux : promouvoir l'utilisation des plantes, valider scientifiquement leur usage, valoriser et développer les ressources végétales locales. Nous restituons l'information aux professionnels de santé mais aussi aux agriculteurs et au grand public qui sont dans l'attente de connaissances traditionnelles et surtout d'objectivation : lorsqu'une plante est toxique ou qu'elle peut être dangereuse pour la santé, notre devoir de professionnels de santé est d'informer le public sur la dangerosité des usages traditionnels dont la toxicité chronique n'apparaît souvent pas de prime abord.

Nous participons régulièrement à des conférences, communications, colloques et publications. La Réunion est l'un des 34 hotspots (points chauds) de la biodiversité mondiale : on y observe plus de 100 microclimats différents actuellement. L'île compte 116 habitats et est recouverte à 30 % de forêts primaires ; 49 % des espèces de plantes sont indigènes et 28 % endémiques. On peut extrapoler : la Guyane fait la superficie du Portugal.... On recense à La Réunion entre 550 et 600 plantes médicinales en usage potentiel thérapeutique, avec des allégations d'usage traditionnel - mais on ne peut pas parler d'usage thérapeutique tant qu'une reconnaissance n'a pas été faite à la pharmacopée française ; 73 % sont exotiques - elles ne viennent pas de La Réunion - et 26 % sont endémiques.

Près de 87 % de la population utilise les plantes médicinales - contre 46 % dans l'Hexagone, soit deux fois plus.

Ces plantes sont principalement en culture ; nombre d'entre elles sont endémiques, souvent en forêt. Pour protéger les espèces menacées, nous nous portons garants et exigeons que les cultures soient organisées pour pouvoir utiliser les plantes - nous appliquons ainsi une directive de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2002, reprise dans la stratégie de l'OMS sur la médecine traditionnelle de 2013-2014. Le Dr Marguerite Chan y écrivait que les trois principaux piliers de la reconnaissance des plantes et de l'usage traditionnel sont d'améliorer la santé et l'autonomie des patients, de contribuer par des médecines alternatives et complémentaire à la santé, au bien-être et aux soins de santé, et de favoriser un usage sûr et efficace des médecines alternatives et complémentaires. Ainsi, l'hypericum perforatum Fleurs jaunes, sorte de millepertuis utilisé localement, est une espèce différente du millepertuis européen. Il ne contient pas d'hypericine comme en métropole et n'a ni les mêmes propriétés, ni le même usage. Cette connaissance nécessite de longues recherches.

Les Codex existaient avant l'abolition de l'esclavage. Or, dans le Code noir de l'esclavage, particulièrement aux Antilles, mais aussi à La Réunion, il était interdit avant 1848 aux gens de couleur d'utiliser des plantes médicinales et d'en faire commerce. Les Codex ont continué à être mis à jour après l'abolition de n'esclavage, mais nous avions une définition du Codex et de la pharmacopée qui ne reconnaissait pas les plantes d'outre- mer. Grâce au Dr Henry Joseph et à Me Isabelle Robard, l'article L. 5112-1 du code de la santé publique a été modifié en 2009 dans le cadre de la loi de développement économique des outre-mer par un vote unanime à l'Assemblée nationale et au Sénat.

« La pharmacopée comprend les textes de la pharmacopée européenne et ceux de la pharmacopée française, y compris ceux relevant de la pharmacopée des outre-mer qui remplissent les conditions de la réglementation en vigueur dans le domaine. (...) Elle est publiée dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État. » Cela garantit aux consommateurs que les plantes utilisées avec des allégations thérapeutiques ont été contrôlées, tracées et vérifiées scientifiquement.

Le comité interministériel de l'outre-mer a été créé en 2011 et grâce à l'Office pour le développement de l'économie agricole d'outre-mer en 2011, les premières plantes ont pu être inscrites en 2013 auprès de l'ANSM avec les deux critères principaux - efficacité des plantes et innocuité. Nous avons rajouté le critère supplémentaire de l'endémicité à La Réunion pour préserver les ressources. Une île est un territoire très fragile, avec une biodiversité en équilibre précaire. L'exploitation n'est donc possible qu'avec des cultures. Sur notre site, vous trouverez les 22 premières plantes exotiques inscrites très utilisées à La Réunion. Il était nécessaire d'obtenir leur validation scientifique pour les inscrire à la pharmacopée française. Quelques plantes n'ont pas passé le cap de l'inscription à la pharmacopée parce qu'elles pouvaient avoir une toxicité chronique qui posait un problème de sécurité sanitaire. Certaines plantes, comme le bois de quivi ou le bois jaune, sont inscrites en liste B : elles nécessitent une prescription médicale parce leurs risques sont supérieurs à leurs bénéfices. Comme le disait Paracelse, toutes les plantes sont des poisons ; un poison devient une drogue pour soigner grâce à son dosage.

Notre méthodologie est très simple, c'est celle de l'ethnopharmacologie : nous faisons des recherches bibliographiques, des enquêtes, et allons jusqu'au mode de culture. Nous travaillons sur les usages traditionnels médicinaux et vétérinaires mais aussi alimentaires, diététiques et hygiéniques. Nous étudions particulièrement les procédés, les dosages, les posologies, les recommandations et les conservations des plantes qui peuvent poser problème outre-mer. Toutes ces allégations entrent dans des bases de données qui classent selon cinq critères : l'innocuité, l'efficacité, l'endémicité, la productivité agricole et l'exploitabilité.

Après une recherche scientifique des modes d'action, nous répondons aux douze questions de l'ANSM pour inscrire cette plante à la pharmacopée : l'expertise botanique, les constituants chimiques, l'usage potentiel pharmaceutique, les indications thérapeutiques éventuelles, mais surtout la sécurité d'emploi - effets indésirables, contre-indications, interactions médicamenteuses, toxicologie... Grâce à la phytochimie, nous obtenons la composition des plantes. C'est une base d'une grande richesse - nous avons 500 à 600 espèces à étudier rien qu'à La Réunion. Avec les pharmacopées des Antilles et de la Guyane, ces territoires d'outre-mer rassemblent trois fois la pharmacopée française en termes de richesses et de possibilités.

Ces plantes sont ensuite mises dans les pharmacopées. Ainsi, l'association très dynamique Tramil, qui oeuvre depuis cinquante ans, a publié une Pharmacopée caribéenne, mais on peut aussi penser à l'ouvrage Tisaneurs et Plantes Médicinales Indigènes à La Réunion de Roger Lavergne, à Zerbaz Péi - nom populaire des plantes médicinales sur l'île, Des plantes et des hommes...

Nous avons une importante demande de la part des acteurs du tourisme mais aussi de congrès internationaux. Nous avons créé à La Réunion le premier diplôme universitaire d'ethnomédecine, pour les étudiants de troisième et quatrième année de médecine, et pour former les médecins en formation continue à la médecine traditionnelle et aux plantes médicinales.

Nous avons une responsabilité sur la culture des plantes. Nous accompagnons l'émergence d'une filière des plantes aromatiques à parfum et médicinales. Nous étudions si la variabilité chimique de l'espèce est atteinte lorsqu'on la met en culture pour ne plus pouvoir ensuite faire de cueillette aléatoire. Nous respectons les Bonnes pratiques de collecte et de culture pour les matières premières d'origine végétale, guide émis par l'Agence européenne du médicament, sur la base des recommandations de l'OMS. Celui-ci donne des conseils pour obtenir un produit de qualité, fiable, et éviter toute contamination chimique ou végétale - germes fécaux, insecticides, pesticides, métaux lourds - pour obtenir une production proche du bio sans l'être forcément. Cette documentation est remise à tous les acteurs de la chaîne, du producteur au distributeur, en passant par le transformateur et le transporteur.

Des étapes critiques sont en cours : il faut trois ans de jachère pour qu'une terre soit bio. Nous déterminons la qualité botanique, sanitaire et la traçabilité, et formons et encadrons le personnel, qui remplit des fiches de suivi des cultures.

Nous voulons allier santé publique et cohésion sociale. Le citoyen est exigeant en matière de qualité et veut des ressources proches du territoire. C'est une chance pour l'outre-mer d'avoir une telle économie émergente. Certains usages méritent une attention particulière, notamment lorsqu'ils font appel à des remèdes secrets, incompatibles avec la santé publique. Lorsque j'étudiais, on avait supprimé le diplôme d'herboriste en 1941 en raison de la recrudescence des charlatans. Il ne faudrait pas retomber dans le même travers actuellement en raison d'internet. Ce serait néfaste pour la santé publique mais aussi pour tous les acteurs.

J'en viens à mes propositions. Distinguons bien les outre-mer de l'Hexagone ; nous avons des singularités, même si nous sommes Français, et nous souhaitons libéraliser les plantes de la pharmacopée de la liste A qui ont le maximum d'innocuité - elles n'ont pas selon moi de raison d'être dans un monopole, et je suis pharmacien. Réhabilitons le remboursement des préparations à base de plantes médicinales : le déremboursement a abouti au désintérêt des plantes médicinales et le tout chimique a repris le dessus. Les préparations à base de plantes médicinales sont une source d'économie pour la santé publique, parce qu'elles apportent des réponses - certes non dénuées d'effets secondaires - à des problématiques simples comme l'absence de sommeil ou la grippe. À La Réunion, il n'y a parfois pas d'autre remède pour les épidémies de chikungunya et de dengue que des remèdes traditionnels. Nous avons des conditions sanitaires très différentes de celles de la métropole, qui sont aussi à l'origine d'une centaine de programmes de recherche scientifique. Nous souhaitons encourager les formations dans les facultés de pharmacie, les écoles de préparateurs, les facultés de médecine, les écoles et les lycées en agronomie. Il faut décloisonner tous les professionnels qui travaillent ensemble mais communiquent peu entre eux.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Je vous remercie de cet exposé dense et complet. Des intervenants ont suggéré d'élargir aux plantes des outre-mer inscrites récemment à la pharmacopée la liste des plantes pouvant être vendues hors monopole officinal ou pouvant entrer dans la composition des compléments alimentaires : cela est-il souhaitable ?

Si un ou plusieurs métiers d'herboriste - paysan-herboriste, herboriste de comptoir ou pharmacien-herboriste - devait être reconnu avec une formation diplômante obligatoire, comment faudrait-il adapter ce cadre aux usages et pratiques dans les outre-mer, notamment celle des célèbres tisaniers de La Réunion ? Avez-vous à La Réunion des formations spécialisées ?

Un travail de recensement des propriétés des plantes comparables à celui du réseau Tramil dans la zone où Caraïbes existe-t-il à la Réunion, et si oui, avec quels soutiens financiers ?

Dr Claude Marodon . - Lorsqu'une plante est étudiée, avant même d'avoir sa composition, nous examinons son innocuité, c'est-à-dire sa toxicité, à titre aigu - en usage primaire - et à titre chronique - en usage prolongé. Lors de la reconnaissance récente de ces plantes, nous n'avons fait qu'introduire dans les pharmacies et en médecine des plantes qui sont utilisés largement. Cela paraîtrait aberrant d'interdire un usage courant et populaire. Cette reconnaissance est nécessaire non pas pour limiter cet usage mais pour donner à la population des informations claires : soit la plante est toxique et ne devrait pas être utilisée, soit elle ne l'est pas et on peut continuer à l'utiliser avec des recommandations ou des dosages, pour un usage thérapeutique. Ce n'est pas pour l'inclure dans le monopole.

Il y a des formations pour les médecins qui s'intéressent aux demandes des patients d'utiliser les plantes. Certains les prescrivent en complément de traitements, notamment pour du diabète ou des insuffisances rénales. Nos tableaux nous permettent de répondre précisément si la plante contient, par exemple, de l'oxalate et si elle est un risque pour les reins ou si, au contraire, elle peut modifier dans un sens ou dans un autre le taux de glycémie dans un diabète. Plusieurs thèses de médecins et pharmaciens ont été réalisées ou sont en cours pour avoir tous les outils pour y répondre. Les professionnels de santé se sont investis pour répondre aux questions de leurs patients. Encourageons ce mouvement.

Nos tisaniers participent à nos formations et collaborent à la reconnaissance des plantes, tout en connaissant leurs limites. Certains ont abandonné l'usage de certaines plantes. La Badula borbonica ou bois de savon, était une plante de la Réunion utilisée pour maigrir. Mais les saponosides détruisent les globules rouges et provoquent une anémie en deux mois. De plus, cette plante est protégée et ne peut être mise en culture. Il n'est pas à l'ordre du jour de recréer de diplôme d'herboriste. Il faut plutôt former les professionnels de santé à la connaissance des plantes et les décloisonner.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ , président . - Nous avons la chance d'accueillir notre collègue Viviane Malet, sénatrice de La Réunion.

Mme Viviane Malet . - Je tenais absolument à venir saluer le docteur Claude Marodon. Merci de faire connaître les herbages de notre pays. L'ayapana, le faham ou la fleur jaune poussent en milieu naturel et sont utilisées par les personnes âgées. Comment protéger ces plantes pour que tout le monde ne se précipite pas pour les cueillir, ce qui aboutirait à leur extinction du milieu naturel ? Le faham, selon le lieu de collecte, peut être toxique. Qu'en est-il si on le fait pousser en jardin ?

Dr Claude Marodon . - Merci de ces excellentes questions. Chaque plante est un cas particulier. Pour chacune des plantes, nous avons une fiche avec un itinéraire technique qui va lui permettre soit d'être cultivable, soit de voir sa production végétale compromise. Avant d'inscrire la plante, nous y travaillons afin de ne pas encourager de cueillette sauvage et une destruction de la ressource.

Le faham est une orchidée sur laquelle nous avons réalisé des essais culturaux pour distinguer la bonne espèce. Sa composition très riche permet de lutter contre les migraines, les coups de froid et les grippes.

Nous avons étudié en détail la fleur jaune, sorte de millepertuis non toxique, qui se développe magnifiquement bien dans les Hauts dans les cultures à Grand Coude, à plus de 1 500 mètres d'altitude, à la plaine des Palmistes à plus de 1 000 mètres d'altitude. Nous avons réussi à assurer la garantie de la ressource. Nous devons assurer, par un certificat de traçabilité, que les plantes achetées ont une origine garantie, et qu'elles ne sont pas sauvagement cueillies en forêt. Il faudrait disposer de ce certificat sur les plantes commercialisées pour éviter le pillage de la ressource.

Mme Viviane Malet . - J'ai découvert il y a deux mois que le Centre communal d'action sociale (CCAS) de Sainte-Marie travaille avec l'université de Gif-sur-Yvette. Suivez-vous ce projet de préservation de la ressource ?

Dr Claude Marodon . - Il y a, sur l'île de La Réunion, trois ou quatre initiatives de cet ordre. Celle du CCAS de Sainte-Marie est intéressante car elle développe des stations de culture de plantes médicinales. Cette commune s'étend du bord de la mer jusqu'à la montagne, et certaines personnes peuvent ainsi vivre de cette économie.

Deux autres initiatives sont intéressantes : celle du Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole (CFPPA), et celle d'Armeflhor, un pôle de recherche sur les parcours techniques au Tampon, dans le sud de l'île qui, sur trois sites, avec l'Office national des forêts et le Parc national, permet de développer des cultures de plantes plutôt sauvages. D'autres initiatives sont liées à l'abandon de la canne à sucre et permettent aux éleveurs et aux agriculteurs de se reconvertir dans une plantation. Des transformateurs ont investi dans des unités de séchage, comme Habemus papam, entreprise capable de commercialiser les plantes, et une association de producteurs de plantes médicinales s'est créée il y a deux mois.

Mme Élisabeth Lamure . - La cueillette des plantes est-elle entièrement réglementée ? Comment les plantes sont-elles commercialisées ? Quelle est la différence entre plantes bio et « se rapprochant du bio » ? Y a-t-il également des cultures conventionnelles de plantes ? Comment assurer la traçabilité ?

Dr Claude Marodon . - Nous observons la plante dans son milieu naturel. Nous privilégions les grands espaces de culture autour, en bordure de forêt, ou à la même altitude sur le même versant - nous avons un gradient d'humidité et de température avec l'altitude permettant, grâce à l'agroforesterie, de retracer des cultures en correspondance quasiment parfaite avec les conditions naturelles.

Nous évitons de promouvoir les cultures de plantes dont on doit arracher l'écorce ou des branches entières : nous préférons tailler des feuilles ou récupérer les fruits ou les fleurs.

Pour assurer la traçabilité, le cahier technique du producteur doit faire figurer les pesées effectuées lorsqu'il livre les plantes aux transformateurs pour le séchage. La plante est ensuite conditionnée dans un lot dont le numéro demeure identique jusqu'au consommateur. L'exigence bio est un plus mais l'important est qu'il n'y ait pas de germes toxiques ou fécaux dans la plante, puisqu'elle est peut être consommée par des malades, des enfants ou des femmes enceintes. L'absence de ces produits toxiques dans le contrôle final est une garantie.

Mme Élisabeth Lamure . - La vente de plantes issues de cueillettes sauvages est-elle règlementée ?

Dr Claude Marodon . - Certaines plantes endémiques sont protégées, et on ne peut les cueillir - mais rien n'empêche de les cultiver ! C'est d'ailleurs souvent ce qui les sauve : c'est le cas du bois de senteur, dont quelques exemplaires ont été envoyés à Brest pour y être reproduits avant d'être renvoyés à l'île de La Réunion. Certes, vu le choix disponible, nous évitons de choisir d'utiliser une plante protégée lorsqu'il y a une alternative.

Mme Angèle Préville . - A La Réunion, quelle est la proportion de la population qui se soigne avec des plantes ? Leur usage s'accroît-il aussi massivement qu'en métropole ? Je comprends que vous menez des recherches sur l'usage des plantes face aux épidémies : qu'en est-il ? En Belgique, le métier d'herboriste se limite à du conseil. Qu'en pensez-vous ?

Dr Claude Marodon . - Parmi les plantes inscrites à la pharmacopée, 22 sont à l'origine d'une centaine de programmes de recherche : les grands organismes attendent cette inscription avant d'investir. Nous avons eu l'épidémie du chikungunya en 2006 et 2007, et à présent sévit la dengue. Dans ces deux cas, il n'existe aucun remède ni aucun vaccin. La seule option est donc de recourir aux remèdes traditionnels, qui doivent encore faire l'objet d'une validation scientifique mais ont déjà montré leur efficacité dans l'amélioration des symptômes. En tous cas, refuser d'utiliser les plantes médicinales, alors qu'on n'a rien d'autre, serait une absurdité.

Il est important aussi de signaler les toxicités. Par exemple, trompées par des fake news sur Internet, où l'on prétend que le corossol soigne le cancer, des familles viennent souvent m'en demander. C'est notre rôle de professionnels de santé que d'expliquer aux patients pourquoi certaines plantes sont des poisons et des toxiques violents. Nous travaillons aussi autour de la pathologie, sur la récupération, l'activité physique, les régimes et l'hygiène de vie.

Quant aux statistiques d'utilisation, une enquête a été réalisée par le département en 2004 et 2005, d'autant plus intéressante que c'était avant l'épidémie de chikungunya. Sur 1 000 personnes, 870 utilisaient alors les plantes pour se soigner.

L'île de la Réunion est habitée par une population multiraciale et d'origines diverses, avec des apports de l'Inde, de Madagascar, de la Chine, de l'Australie, d'Europe et d'Amérique du Sud. Cela explique en partie la richesse exceptionnelle de notre pharmacopée.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ , président . - L'usage des plantes s'y développe-t-il ?

Dr Claude Marodon . - Le scandale du Médiator y a contribué. À la Réunion, un tiers des patients sont diabétiques ; c'est un véritable fléau. L'alimentation traditionnelle doit être réhabilitée : manioc, ignames et toutes les plantes à indice de glycémie faible ont cédé la place à une alimentation très riche et, avec la voiture, on ne fait plus d'exercice physique. Or les conséquences du diabète - insuffisance rénale, cécité, amputations - peuvent être sérieuses. La prévalence du diabète est cinq fois supérieure à la métropole, et plus de 120 de nos plantes sont utiles en accompagnement. Il faut donc les inclure dans les fiches patient, et nous travaillons beaucoup en ce sens avec les hôpitaux de Saint-Denis et de Saint-Pierre : il faut au préalable vérifier scientifiquement si ces plantes ne sont pas toxiques.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ , président . - Quelles sont vos relations avec Madagascar, où les plantes, dit-on, foisonnent ?

Dr Claude Marodon . - Elles sont étroites, puisqu'un tiers de la population réunionnaise est originaire de Madagascar. On constate ce métissage et cet apport dans notre alimentation, où foisonnent les brèdes et autres plantes et huiles essentielles issues de Madagascar. Nous travaillons avec deux instituts de Tananarive pour consolider nos connaissances, sans oublier les autres îles de l'Océan indien, comme l'île Maurice et sa dépendance Rodrigues, les Comores et les Seychelles. Nous travaillons moins avec l'Afrique du Sud et le Mozambique, peut-être pour des raisons de langue. Bref, il y a une vraie coopération régionale.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci. Vous nous avez fait voyager et nous avez donné un aperçu de l'immense richesse que constituent les plantes médicinales de nos outre-mer, sans parler de la biodiversité qu'on y trouve, et qu'il faut préserver. Vous avez parlé d'alliance entre santé publique et cohésion sociale, à juste titre.

Audition de Mme Fabienne Allard, directeur de la marque Naturactive, de M. Michael Danon, directeur général adjoint, en charge des affaires économiques, du juridique, des affaires réglementaires, de la qualité et de l'information médicale, et de M. Bernard Fabre, directeur du pôle « actifs végétaux », des Laboratoires Pierre Fabre

Mercredi 18 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux en accueillant des représentants des laboratoires Pierre Fabre : M. Michael Danon, directeur général adjoint, en charge des affaires économiques, du juridique, des affaires règlementaires, de la qualité et de l'information médicale ; Mme Fabienne Allard, directrice de la marque Naturactive ; enfin M. Bernard Fabre, directeur du pôle « actifs végétaux ». Nous vous remercions de vous être rendus disponibles pour apporter l'éclairage d'une entreprise comme la vôtre aux travaux de notre mission.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Michael Danon, directeur général adjoint des laboratoires Pierre Fabre . -L'histoire de notre groupe est singulière et a pour origine les activités de Pierre Fabre, pharmacien passionné de botanique implanté à Castres. Aujourd'hui, ce groupe rassemble près de quatorze mille collaborateurs dans le monde, avec un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros.

À la mort de son fondateur, en 2013, le groupe a été légué à une fondation reconnue d'utilité publique. L'entreprise, qui n'est pas cotée en bourse et n'est donc pas obsédée par le court terme, réinjecte une partie de ses bénéfices dans des actions caritatives dans des pays émergents, en particulier pour la lutte contre la drépanocytose.

Le prisme de nos activités est large, du médicament aux cosmétiques, en passant par les produits naturels. D'ailleurs, nos marques, comme Ducray, Avene, Klorane ou encore Galénic, sont bien connues du grand public. Un grand nombre de nos équipes sont basées dans le Sud-Ouest de la France. Nous commercialisons nos produits dans plus de 45 pays et avons implanté deux sites de recherche cosmétique, l'un au Japon et l'autre qui va prochainement ouvrir au Brésil.

L'actif végétal est au coeur de nos produits et représente 40 % de notre chiffre d'affaires. Le Cyclo 3, qui fut le premier produit lancé par Pierre Fabre en 1960, a d'ailleurs été fabriqué à base de petit houx. Avec 18 000 plantes, notre échantillothèque est la plus importante au monde de droit privé. Si de nombreux produits cosmétiques commercialisés sont issus des plantes, certains de nos médicaments en cancérologie ont été également conçus à partir d'actifs végétaux.

M. Bernard Fabre, directeur du pôle « actifs végétaux » . - Notre expertise sur le végétal s'inscrit dans une démarche de développement responsable d'actifs végétaux qui repose sur quatre piliers. Le premier vise la préservation durable du patrimoine végétal. Le second se fonde sur la notion de respect, d'abord celui de nos partenaires agriculteurs-récoltants, qui contribuent au développement durable de nos régions d'approvisionnement. Le troisième pilier entend garantir l'efficacité de nos dosages en principes actifs, conformément à une exigence de qualité héritée de notre culture pharmaceutique. Enfin, le dernier pilier est l'innovation, via la recherche croisant les expertises complémentaires de botanistes, d'agronomes, de biologistes et de pharmaciens.

Nos valeurs s'appliquent à l'ensemble de notre filière de production. Ainsi, l'approvisionnement de la quasi-totalité des plantes, à hauteur de 99 %, s'effectue sans impact sur la pérennité des ressources, à l'exception de la gentiane et du cèdre du Liban qui impliquent une démarche spécifique. 90 % des plantes utilisées dans notre usine d'extraction sont cultivées sans traitement chimique ou selon le référentiel de l'agriculture biologique ; les autres plantes font l'objet d'une démarche d'agriculture raisonnée. Notre traçabilité est donc parfaite et se veut qualitative en termes d'innocuité et d'efficacité. 79 plantes sont issues de l'agriculture biologique et 95 % des volumes de plantes extraits dans notre usine sont recyclés. Enfin, 235 espèces de plantes différentes sont utilisées pour produire 427 actifs et près de 200 hectares de terres agricoles détenues par le groupe ont été converties à l'agriculture biologique dans le Sud-Ouest. Pierre Fabre dispose en outre d'un conservatoire botanique implanté à Soual, dans le Tarn, depuis 2001 : 700 espèces, dont 30 % protégées, y sont cultivées. A ce dispositif s'ajoute un arboretum, situé à Ranopiso, sur l'Ile de Madagascar, où sont cultivées 342 espèces, dont 76 menacées. Notre entreprise couvre ainsi tout le champ de la filière, en mettant en avant des préoccupations non seulement pharmaceutiques, mais aussi de développement durable.

Mme Fabienne Allard, directrice de la marque Naturactive . - Le marché des médecines naturelles a enregistré au niveau mondial une croissance de l'ordre de 6 % en 2016 en ce qui concerne les compléments alimentaires. Un tiers des ventes portent sur des produits à base de plantes. En France, le marché des produits de santé ou de beauté naturels représente 3 milliards d'euros, dont 1,8 milliard d'euros pour les compléments alimentaires. La pharmacie et la parapharmacie représentent, à hauteur de 52 %, le circuit principal de la commercialisation de ces produits qui sont également distribués par correspondance ou via l'e-commerce, pour 20 %, et le reste via les circuits spécialisés ou en grandes et moyennes surfaces. Les compléments alimentaires à base de plantes représentent 39 % des compléments alimentaires et connaissent également une forte progression, de l'ordre de 13 %. Les produits de santé naturels demeurent complexes pour le consommateur, en raison de la diversité des statuts réglementaires : dispositifs médicaux soumis à autorisation, compléments alimentaires, médicaments à base de plantes, substances à diffuser ou cosmétiques.

Plus d'un quart, voire la moitié en incluant l'homéopathie, des foyers français sont acheteurs de produits naturels. Il s'agit essentiellement de femmes, âgées de plus de trente ans, qui sont issues des catégories socio-professionnelles supérieures. Un tiers d'entre elles achètent près de 75 % des produits ; elles optent ainsi pour une alternative à la médecine classique, avec une exigence très importante, en termes d'information et de documentation. Ces personnes achètent principalement en pharmacie, principalement sur la base de prescriptions médicales ou de recommandations émises par les pharmaciens. Les critères de choix reposent à la fois sur la naturalité, la sécurité, la transparence, l'efficacité ; le prix apparaît en position secondaire.

La marque Naturactive, qui regroupe l'activité de médecine naturelle au sein des laboratoires Pierre Fabre, a été créée il y a trente ans et perpétue la vision de pharmacien-botaniste, passionné par les plantes et ceux qui les cultivent, de notre fondateur. Ses produits résultent de la connaissance fondamentale des plantes et s'appuient sur la recherche pour garantir leur efficacité et leur sécurité. Nos gammes sont très larges et comprennent à la fois des produits de phytothérapie et d'aromathérapie. Les conseils prodigués par les pharmaciens sont essentiels afin d'assurer la complémentarité de nos produits avec d'autres traitements éventuels en cours. Les compléments alimentaires répondent, quant à eux, aux besoins de consommateurs moins avertis. En outre, la gamme Naturactive possède des atouts que sont la technicité et la qualité pharmaceutique, l'engagement en termes de responsabilité sociale et environnementale, avec une origine France garantie et labellisée, la garantie que la totalité des plantes récoltées sont sans impact sur la ressource et que tous nos fournisseurs sont évalués en fonction de critères sociaux et environnementaux et enfin l'accompagnement officinal expert, labélisé AFNOR depuis 2017.

M. Bernard Fabre . - Nous cherchons à extraire les principes actifs des plantes, en concentrant et standardisant les extraits, afin de garantir leur teneur en actifs, tout en veillant à leur biodisponibilité et à leur absence de contamination microbienne. Ainsi, 48 kilos de sureau sont requis pour assurer l'extraction d'un kilo de principe actif. En moyenne, trente contrôles sont conduits de la plante jusqu'à l'extrait. Notre groupe a ainsi opté en faveur de produits concentrés et sécurisés.

Mme Fabienne Allard . - J'aborderai à présent différents points réglementaires. D'une part, la liste de 540 plantes, précisée par l'arrêté du 24 juin 2014, ne reflète pas la réalité, puisque le principe de reconnaissance mutuelle entre les pays de l'Union européenne permet d'en reconnaître un millier. D'autre part, la réglementation des allégations sur les plantes est aujourd'hui bloquée, celle en vigueur pour les compléments alimentaires, conforme aux critères d'évaluation de l'EFSA, ne s'applique qu'aux vitamines et aux minéraux. La complexité des plantes tient au fait que chaque partie de plante doit être prise en compte. Ces allégations sont aujourd'hui en attente et nous ne fonctionnons qu'avec les allégations traditionnelles qui s'avèrent limitées. De nombreuses plantes demeurent sans allégation, ce qui laisse le consommateur dépourvu d'information maîtrisée.

En outre, cette situation est un frein à l'innovation, faute de pouvoir communiquer sur les bienfaits des actifs des végétaux identifiés. Le Syndicat national des compléments alimentaires s'est exprimé en faveur d'un principe d'allégation gradué prenant en compte les aspects de sécurité, de toxicologie et d'efficacité.

La formation des professionnels de santé représente un second enjeu. Certes, les pharmaciens s'appuient sur les fournisseurs pour se former et peuvent suivre des formations universitaires de phytothérapie et d'aromathérapie. Ils sont au coeur du nouveau parcours de soins pour accompagner les médications à domicile et les traitements ambulatoires, en particulier en cancérologie. De nombreux patients, en situation de traitement lourd, cherchent un complément dans la médication naturelle pour contrer certains effets indésirables. On pourrait imaginer un système comparable à la nutrition afin d'aboutir à une formation plus systématisée susceptible de s'adresser, de manière graduée, à différents acteurs selon leur degré d'expertise : les naturopathes, les préparateurs, les pharmaciens, les médecins généralistes et phytothérapeutes.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci de votre présentation. Quelles actions mettez-vous en oeuvre, en liaison avec les producteurs, pour préserver la ressource naturelle ? Travaillez-vous avec les outre-mer pour vos approvisionnements ?

Pensez-vous qu'il soit possible de simplifier l'homologation des biostimulants dans les cultures en France ?

En outre, les déremboursements de médicaments de phytothérapie ont-ils entraîné une baisse des ventes ?

Que pensez-vous des propositions visant à créer ou recréer un ou plusieurs métiers d'herboriste, permettant aux usagers de disposer d'un conseil avisé par un professionnel formé ? Quels seraient les contours et les limites de cet exercice ?

M. Bernard Fabre . - Nous travaillons avec les outre-mer notamment sur le monoï qui fait l'objet d'une indication géographique protégée. Nos activités de recherche ont par ailleurs concerné l'introduction en Guyane d'une plante présente en Floride utilisée pour lutter contre l'adénome prostatique. Les plantes ultramarines nous intéressent également, même si notre catalogue en comprend peu.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Y a-t-il des perspectives de développement dans ce cadre ou des partenariats avec d'autres pays ?

M. Bernard Fabre . - À Madagascar, nous avons créé une filiale et notre fondation a investi dans la reconstruction de l'université des sciences pharmaceutiques du Cambodge. En retour, les Cambodgiens ont souhaité nous associer à leur nouveau laboratoire de phytothérapie. Notre groupe privilégie ainsi le développement local et la valorisation in situ des ressources existantes.

Mme Fabienne Allard . - Sur les conséquences limitatives de la liste des plantes, je partage votre constat. En dehors de la liste dite « BelFrIt », il est difficile d'investir sur des produits dont la commercialisation serait limitée à certains pays.

M. Michael Danon . - Le déremboursement des médicaments de phytothérapie renvoie à un problème plus large qui concerne l'ensemble des produits de santé. Lors de la dernière réunion du conseil stratégique des industries de santé, la question des délais d'accès au marché des médicaments a été posée. La France ne respecte pas le délai fixé, au niveau européen, de 180 jours. Depuis de nombreuses années, les autorités publiques ont sorti du champ du remboursement un certain nombre de produits, dont le Cyclo 3 qui avait été le premier médicament élaboré par Pierre Fabre. Il va de soi que cela rend l'accès du patient plus difficile à ce type de produit.

M. Bernard Fabre . - Si les biostimulants sortent de notre domaine d'activité, nous en avons utilisés pour améliorer notre production de certaines substances. Ces produits étaient d'origine italienne. De façon générale, si ces biostimulants sont de plus en plus utilisés par les agriculteurs, ils sortent néanmoins du cadre réglementaire classique.

Mme Fabienne Allard . - Nous sommes à l'écoute de nos consommateurs. En France, ceux-ci sont particulièrement attachés à la pharmacie française et aux entrepreneurs qui ont à coeur de prodiguer des conseils à leur clientèle. Il faudrait mieux former les professionnels de santé à l'usage des produits à base de plantes. Si nous sommes favorables à la promotion de l'usage de ces médecines naturelles, encore faut-il veiller à la sécurité d'usage. Tout recours aux plantes implique des connaissances non seulement botaniques mais aussi physico-chimiques. Il importe d'assurer non seulement la sécurité, mais aussi la traçabilité des substances durant l'activité de transformation. Le marché des compléments alimentaires n'est pas celui de la tisane, tant il implique une maîtrise technique ! Enfin, la médication naturelle doit être suivie dans un contexte sanitaire qui s'avère bien souvent non-exclusif ; le pharmacien, fort de sa formation reconnue, est en mesure de suivre l'ensemble du parcours de soins du patient.

Mme Élisabeth Lamure . - C'est toujours pour nous un plaisir de rencontrer des entreprises en développement implantées dans nos territoires. Quelle est la différence entre un pharmacien botaniste et un pharmacien herboriste ? La complexité réglementaire est-elle typiquement française et vous pénalise-t-elle au niveau international ? Quelles sont, le cas échéant, les modifications que vous appelez de vos voeux pour alléger cette réglementation ?

M. Bernard Fabre . - Le botaniste sait classifier les plantes, tandis que l'herboriste est en mesure de les valoriser et d'en connaître les différents usages, dans un univers plus complexe.

Mme Fabienne Allard . - Nos partenaires européens se heurtent souvent à des écueils réglementaires comparables aux nôtres. Le Canada a mis en oeuvre un régime des produits de santé naturelle, fondé sur des allégations définies de manière graduée, en fonction du niveau de preuves. Ce n'est pas le cas en Europe où la logique d'autorisation demeure binaire.

M. Daniel Laurent . - Comment parvenir à concilier cette forte croissance de la demande avec la préservation de la ressource qui demeure à la fois aléatoire et précaire ?

M. Bernard Fabre . - La préservation des ressources passe par leur culture sur un mode bio. Si une telle démarche s'avère impossible, il faut privilégier une production raisonnée. Les ressources en gentiane et en cèdre du Liban présentent certains risques et ont motivé des modes de culture spécifiques.

M. Daniel Laurent . - Comment procédez-vous pour les productions extérieures ?

M. Bernard Fabre . - Dans une logique de partenariat, deux ingénieurs agronomes assurent des audits et un accompagnement technique avec ces producteurs extérieurs.

Mme Angèle Préville . - Quelle est la répartition entre ce que vous produisez et ce que vous vous procurez ailleurs ? Les limites réglementaires freinent-elles l'innovation ?

M. Bernard Fabre . - Je ne peux vous répondre quant à la répartition que vous évoquiez. Nous vous ferons parvenir ces éléments. Notre laboratoire travaille sur les seules plantes autorisées, en s'appliquant une sorte d'autocensure. Cette liste limite manifestement l'innovation.

Mme Fabienne Allard . - La pharmacopée asiatique, par exemple, ne figure pas sur la liste des plantes autorisées. Nous avons donc dû interrompre notre recherche sur ces plantes.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Je vous remercie de votre présentation. On a souvent tendance à opposer la médecine naturelle à la chimie. Or, il ressort de votre présentation que le développement de la phytothérapie profite notamment des progrès de la chimie, pour valoriser les principes actifs extraits des plantes.

Audition de M. Laurent Gautun, fondateur gérant d'Essenciagua

Mercredi 18 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente. - Notre mission d'information accueille à présent M. Laurent Gautun, fondateur-gérant d'Essenciagua, entreprise familiale située en Lozère et spécialisée dans la distillation artisanale des plantes. Je vous remercie de vous être rendu disponible pour présenter votre activité et contribuer aux réflexions de notre mission sur la filière des plantes médicinales et les métiers liés à l'herboristerie.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Laurent Gautun, fondateur-gérant d'Essenciagua. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre mission.

Après une formation de biochimie complétée en gestion de qualité, commerce et entrepreneuriat, j'ai exercé différentes fonctions durant treize ans dans un groupe français de chimie. Un voyage en Amérique du Sud et la découverte de la jungle d'Amazonie, fabuleuse mine de remèdes naturels cachés, ont été pour moi une véritable prise de conscience. Fort de ces expériences, j'ai créé ma propre entreprise artisanale en 2005, pour revenir à des valeurs professionnelles qui me correspondaient mieux. Aujourd'hui, Essenciagua, TPE spécialisée dans l'aromathérapie, est indépendante et installée dans un nouvel atelier innovant en Lozère, en cohérence avec le slogan du territoire « La Lozère Naturellement ». Deux millions d'euros ont été investis et nous employons 7 personnes déjà qualifiées ou que l'on forme à des emplois productifs pérennes.

Nous distillons à échelle artisanale 40 plantes, alimentaires à la base, 100 % françaises, pour en extraire des hydrolats et des huiles essentielles. Il s'agit d'un travail physique, technique et pointu, que nous faisons sans cesse évoluer pour une montée en gamme même si le procédé est à la base simple et traditionnel. Comme pour un grand cognac, nous parlons, pour nos fabrications, de grands crus artisanaux, qui fixent aussi des exigences de qualité indispensables aux usages en matière de santé.

Pour notre TPE, dont le chiffre d'affaires est de moins d'un million d'euros, c'est un engagement annuel d'une cinquantaine d'hectares éclatés sur divers biotopes régionaux. Cet engagement sur la filière agricole en amont nous a valu non seulement le soutien financier renouvelé des institutions locales mais aussi celui de l'Agence Bio à travers ses fonds « Avenir Bio », y compris pour nos partenaires hors métropole, comme à Mayotte.

Notre modèle se singularise dans le secteur de l'aromathérapie par des débouchés diversifiés (alimentaire, bien-être, santé humaine ou animale et agriculture) qui sont la condition même de notre viabilité économique, malgré les multiples contraintes règlementaires.

Dès la création d'Essenciagua, et j'insiste sur ce point, nous avons pu entrer très vite sur le marché de l'aromathérapie grâce aux magasins spécialisés, probablement sensibles à nos arguments productifs et bio. Pour autant, nous avons toujours pensé que les professionnels de santé devraient être les mieux armés pour revendre des produits aussi techniques, a fortiori qualitatifs. La réalité commerciale est comme souvent plus complexe et paradoxale. En treize ans, notre gamme et l'entreprise ont muri. Elles répondent à une attente forte de certaines pharmacies spécialisées pour une gamme de qualité, fabriquée en France.

Nous avons toujours choisi de soutenir la « vente accompagnée » en excluant la revente sur Internet car le lien physique avec le client nous paraît fondamental, ne serait-ce que pour faire des mises en garde, à défaut de pouvoir conseiller.

Pour nous, il y a trois enjeux majeurs à la crédibilité et à la sécurité de nos produits : la qualité-traçabilité, la formation et la recherche.

La qualité des produits mis sur le marché devrait être primordiale. La qualité, avant de se contrôler, doit se concevoir. Dans cette optique, nous produisons avec des composants 100 % bio, de l'eau de source pure de nos montagnes, une qualité de vapeur innovante pour exclure tout traitement sulfites, des process innovants, des conditions de stockage optimisées ainsi qu'une conformité aux bonnes pratiques de fabrication.

Nous distillons des plantes fraiches en provenance d'une quinzaine d'exploitations ou coopératives, majoritairement situées en Occitanie, en direct, sans intermédiaire. Tout comme nous travaillons en direct avec nos clients, ce qui nous donne une meilleure maitrise.

Une vraie transparence sur les origines des plantes et les modes de transformation utilisés doit être mise en place. On nous parle de sécurité et on pense qu'importer 80% des plantes et extraits, le plus souvent de lointaines contrées serait une situation tenable. L'actualité indique tous les jours le contraire.

La lavande, c'est le symbole du sud de la France et on laisse ce produit qui soigne depuis des millénaires jusqu'à un usage massif en 1915 sur le front, être souillé de signes de danger pour la santé ou les cours d'eau. C'est une pure ineptie que l'on accepte sur notre patrimoine.

Nous demandons un statut spécifique aux huiles essentielles qui leur reconnaisse leur réalité agricole et permette de communiquer, justement, autant sur les usages traditionnels multiples que sur les risques potentiels. Cette impossibilité de communiquer est la source de mésusages. Dressons une liste d'allégations autorisées comme l'a fait la Belgique en 2014.

Armez-nous pour satisfaire en qualité la demande française et permettez-nous, dès lors, d'exporter nos savoir-faire afin que nos terroirs ne deviennent pas des déserts économiques, aux ressources délaissées ! Ce patrimoine naturel de valeur, associé aux savoir-faire ancestraux, est un gisement d'emplois pour la ruralité. Orientons également la règlementation européenne au lieu de la subir.

Comment ces plantes qui nous entourent pourraient-elles être à la fois si inefficaces et si dangereuses ? Tout cela n'est qu'alibi pour masquer certaines lacunes actuelles ou sauvegarder des intérêts particuliers. D'autant plus que chacun accède désormais plus facilement à l'information. Le « danger » tant redouté par les autorités ou la pensée dominante est un danger tout relatif. Et pourtant, cette idée est relayée de façon souvent exagérée par les médias, en omettant de mettre en balance le bienfait immense tant sur le plan de la santé préventive que sur le plan de l'économie locale. Nous, producteurs artisans français, qui nous battons pour nos produits et notre patrimoine culturel, vous interpelons, pour la mise en place d'une approche en santé préventive par les plantes. Sans refuser le progrès d'une médecine moderne de plus en plus coûteuse, la population utilise ces thérapies naturelles et non remboursées au quotidien.

Le déficit de conseil actuel est criant. Défendons un plan de formation large, pour les professionnels de santé comme pour les revendeurs pour pouvoir conseiller efficacement les produits en comprenant leur biochimie. Fixons des cadres sérieux à la naturopathie et à l'herboristerie comme on l'a fait pour l'ostéopathie ! Relançons la formation continue. En 2016, le recentrage des dispositifs de développement professionnel continu a exclu l'aromathérapie alors que des attentes importantes dans ce domaine ont été exprimées.

La recherche mondiale explose sur les usages des plantes, sous forme brute ou sous forme d'extraits simples comme les huiles essentielles. En France, cette recherche est marginalisée, par méconnaissance mais aussi en raison de trop faibles enjeux commerciaux. Et pourtant la recherche dans les centres hospitaliers serait une source d'économies majeures sur nos dépenses de santé. À notre niveau, nous travaillons avec différents acteurs de la santé animale et humaine sur la mise en place de protocoles.

Nous devons agir maintenant et faire bouger des lignes en construisant des programmes de formation exigeants et diplômants, en introduisant la transparence sur les origines des plantes, en agissant sur les règles de commerce de la filière, avec un statut des huiles essentielles clarifié, ainsi qu'en agissant sur les concurrences déloyales en particulier venant d'internet ou encore celles induites par des exigences règlementaires inadaptées.

La France a tous les atouts pour exporter ses produits naturels, s'ils sont de haute qualité. Cela lui donne une responsabilité de veille législative et d'initiative en Europe pour promouvoir les approches thérapeutiques complémentaires. C'est pour toutes ces raisons aussi que le Sénat, en qualité d'institution des territoires et des patrimoines, doit poursuivre cette initiative d'adapter les cadres existants.

J'invite, avec le département de la Lozère, la mission à venir nous rencontrer pour y construire un travail de prolongement expérimental autour de sa spécificité médico-sociale. M. Jacques Blanc, ancien sénateur, président de notre communauté de communes, nous soutient dans ce projet dont il est l'un des principaux initiateurs.

Faites confiance aux acteurs qui travaillent concrètement la plante, c'est avec eux que vous construirez la sécurité et surtout que l'on pourra maintenir la population en bonne santé, à des coûts soutenables. En conclusion, je citerai Francis Hallé, émérite botaniste : « On a besoin des plantes à un point qu'on n'imagine pas ».

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci de cette présentation dynamique et passionnée ! Sur quels travaux se fondent vos conseils sur les usages et vertus des huiles essentielles ? Développez-vous des activités de recherche ?

Les huiles essentielles sont en vente libre à part quinze d'entre elles. Que pensez-vous des propositions visant à créer ou recréer un ou plusieurs métiers d'herboriste, permettant aux usagers de disposer d'un conseil avisé par un professionnel formé, même non pharmacien ?

Quelles actions mettez-vous en place, en liaison avec les producteurs, pour préserver la ressource naturelle et favoriser la biodiversité qui est aujourd'hui mise à mal ?

M. Laurent Gautun . - Sur les propriétés des plantes, une abondante bibliographie internationale existe. Nous travaillons avec des experts de très haut niveau dans la pratique médicinale d'aromathérapie qui forment les membres de notre équipe, laquelle dispose également de sa propre expertise. Nous sommes aussi vigilants quant aux retours de nos clients, s'agissant surtout des mésusages.

La dangerosité de certaines huiles essentielles justifie que quinze d'entre elles soient interdites à la vente en dehors des pharmacies. La sauge officinale est à juste titre interdite en France mais elle est en vente libre en Belgique.

Je suis favorable au cadrage et à la reconnaissance des pratiques existantes de naturopathie ou d'herboristerie par une formation diplômante. Cela doit s'accompagner d'exigences. L'articulation avec les professions de santé est aussi fondamentale. Dans notre ruralité où la population est vieillissante, des besoins existent en soins et en accompagnement, auxquels les médecins présents ne peuvent pas toujours répondre. Soyons également vigilants quant à la viabilité de ces métiers.

S'agissant de la ressource, nous ne travaillons pas sur des plantes protégées. Certains sites peuvent, inversement, manquer d'exploitation : on manque parfois de cueilleurs en France. La mise en culture des plantes est créatrice d'emplois. Sur le Causse de Sauveterre, on trouve des puits de biodiversité phénoménaux. En Lozère, nous tâchons d'introduire une diversification dans le cadre d'activités d'élevage. Or, les textes peuvent s'avérer dissuasifs en matière d'expérimentation. Nous travaillons avec un vétérinaire en ce sens avec des résultats bluffants. Le développement de ces solutions alternatives permettrait d'atteindre l'un des objectifs du plan santé, qui est de préserver l'efficacité des antibiotiques.

Nous acceptons par ailleurs de ne pas fournir des plantes exotiques, comme le bois de rose ou le santal, qui font pourtant aujourd'hui l'objet d'une demande importante. Nous sommes clairement les avocats des plantes régionales !

Le laurier et la livèche sont oubliés au profit du tea-tree et du ravintsara qui nous viennent d'Australie ou de Madagascar. Il y a des effets de mode dans les plantes : alors que l'angélique était en vogue au Moyen-Âge, elle est aujourd'hui oubliée. C'est en cultivant de telles plantes que nous serons en mesure de les préserver.

Mme Marie-Pierre Monier . - Nous sommes conscients de l'importance et du potentiel de ces plantes à parfum, aromatiques et médicinales pour l'agriculture et nos territoires ruraux. Leur culture peut pallier au manque d'activité dans certains territoires ruraux. Il faut également rappeler que la lavande n'est pas un produit chimique.

M. Laurent Gautun . - Tout particulièrement en Drôme ! La lavande doit être préservée. La Commission européenne l'a compris. Cette ressource est française et c'est à nous de la défendre !

Mme Marie-Pierre Monier . - La disparition des plans de lavande semble imputable au réchauffement climatique.

S'agissant des allégations en santé sur les plantes, quelles sont vos propositions ? Jusqu'où peut-on aller ?

M. Laurent Gautun . - Cette question est complexe. Mais la Belgique a tracé la voie avec pragmatisme. Avoir une menthe poivrée et ne pas être en mesure de la vendre comme une aide à la digestion dans une tisane est tout de même étonnant ! D'après un compte rendu de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) de novembre 2017, « d'une manière générale, il n'existe pas de retour de nutrivigilance, de même que sur les conditions d'administration. » Mieux assurer l'accès des consommateurs aux produits et à l'information, bien que les pharmaciens jouent déjà un rôle important en ce sens, est essentiel.

Il est également possible d'améliorer les coûts de prise en charge. Ainsi, selon une étude conduite par des pharmaciens de l'Université de Lorraine dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), où deux millions euros étaient consacrés aux médicaments, l'introduction de nouveaux produits d'aromathérapie a permis une économie de près de 600 000 euros ! La France est un grand pays consommateur de médicaments : alors que les médicaments seront de plus en plus onéreux, cette démarche permettrait de relâcher la pression financière et d'utiliser ces ressources en faveur du maintien de personnels soignants de proximité.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Avec combien de producteurs travaillez-vous ?

M. Laurent Gautun . - Nous travaillons dans une quinzaine de structures : des coopératives, des producteurs spécialisés dans les plantes aromatiques ou des exploitations agricoles ayant vu leur intérêt à diversifier leurs activités. En Lozère, les climats d'altitude sont favorables à la production des plantes aromatiques peu consommatrices en eau qui représentent une alternative susceptible de préserver les productions agricoles.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Vous avez qualifié les résultats de votre expérimentation avec un vétérinaire de « bluffants ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Laurent Gautun . - Notre démarche a permis d'améliorer l'état sanitaire global d'un troupeau. Les plantes ont des propriétés très larges et présentent des qualités anti-inflammatoires.

M. Daniel Laurent . - Produisez-vous autre chose que des huiles essentielles ? Quel est le taux de croissance de votre entreprise ?

M. Laurent Gautun . - Malgré une part importante d'huiles essentielles importées, notre croissance est de 20 % par an, soit un taux proche de celui du secteur. Nous répondons à une demande de produits d'usage immédiat en proposant des produits labellisés bio.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Je vous remercie de votre présentation passionnante.

Audition de M. Jacques Chevallet, président, et de Mme Valérie Clément-Ngo, directrice des affaires réglementaires, du groupe Arkopharma

Mercredi 18 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Nous accueillons à présent M. Jacques Chevallet, président du groupe Arkopharma, laboratoire pharmaceutique spécialisé dans le domaine de la phytothérapie et implanté à Carros, près de Nice. Il est accompagné de Mme Valérie Clément-Ngo, directrice des affaires réglementaires.

Je vous remercie, monsieur le président, de vous être rendu disponible pour contribuer aux réflexions de notre mission sur la filière des plantes médicinales et les métiers liés à l'herboristerie.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle est ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Jacques Chevallet, président du groupe Arkopharma . - Je me réjouis de la création de cette mission d'information, la santé naturelle étant la thématique des laboratoires Arkopharma depuis 38 ans. Notre offre thérapeutique est complémentaire de l'allopathie, plutôt en première intention, dans une approche graduelle et raisonnée de la médecine, avec ses potentialités mais aussi ses limites.

Nos laboratoires ont oeuvré à la reconnaissance des médicaments de phytothérapie en étant les premiers à soumettre une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans ce domaine. Nous promouvons l'amélioration de la qualité des produits et sommes certifiés ISO 22 000. Nous répondons aux normes de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l'ANSM, et sommes également très engagés dans la démarche RSE. Nous avons en outre suivi en 2007 une évaluation ISO 26 000 et sommes certifiés Ecocert, beaucoup de nos produits étant biologiques. Arkopharma est un acteur français important, bien que d'une taille relativement modeste sur le marché de la santé, avec un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros. Nous embauchons 1 200 collaborateurs en Europe, dont 800 sur notre site de Carros. Nos équipes de recherche et développement représentent 8,5 % de nos effectifs français. Nous maîtrisons 95 % de notre production et en exportons 43 %, essentiellement en Europe.

Nous sourçons nos plantes partout dans le monde. Seuls 50 % de nos produits proviennent d'Europe, soit en raison d'une problématique d'offre, soit parce que les plantes ne sont pas autochtones européennes, comme l'arpagophytum qui ne se trouve qu'en Namibie. Sur 400 tonnes de plantes sèches annuelles, le sourcing France, que nous essayons de privilégier, s'élève environ à 60 tonnes : ortie, reine des prés, passiflore, hamamélis, mélisse, fenouil, fragon, échinacée, tilleul, bruyère.

Nous privilégions une approche « totum ». Toute la partie active de la plante est cryobroyée, afin de ne pas en altérer l'activité pharmacologique. Le spectre des actifs est ainsi très large, mais la qualité du sourcing exigeante, le profil de la plante ne pouvant être amélioré par extraction.

Nous procédons à une identification microscopique puis analytique à la réception de la plante, vérifions l'absence de contaminants : 80 personnes travaillent ainsi à l'assurance et au contrôle qualité, et 40 personnes en analytique, s'agissant de mélanges complexes nécessitant des méthodes poussées. Nous assurons également la sécurité des produits en post-commercialisation par des processus de pharmacovigilance, de nutrivigilance, de cosmétovigilance ou de matériovigilance. Les signalements pour les médicaments de phytothérapie sont dans 98 % des cas non graves et s'élèvent à deux cas par million d'unités vendues, à comparer aux 27 signalements par million d'unités vendues des autres médicaments, ce qui confirme le ratio efficacité-tolérance des produits à base de plantes.

La tendance du marché pour les produits de phytothérapie n'est pas très dynamique, mais le développement de la phytothérapie dans les pratiques de santé n'a jamais fait l'objet de mesures incitatives de santé publique. Les médicaments représentent 24 % du chiffre d'affaires et les autres produits, majoritairement des compléments alimentaires, 76 %, ce qui s'explique en partie par la différence de coût de développement et de gestion entre une AMM et un dossier de complément alimentaire. Dans ce domaine, il n'y a pas d'harmonisation européenne des pratiques, de dossier sécurisé que nous pourrions soumettre aux différents pays. Sur les compléments alimentaires, les réglementations ne sont pas non plus harmonisées - plantes autorisées, dosages... - ce qui est un frein à la commercialisation des produits dans l'ensemble des pays européens.

Les indications pour les produits de phytothérapie sont les maux du quotidien.

Les circuits de distribution sont principalement les pharmacies - 68,7 % des achats - mais aussi la parapharmacie, les hypermarchés, l'Internet, les magasins de diététique et la vente directe. En Espagne, les pharmacies réalisent 81,6 % des ventes et les herboristeries seulement 8,9 %. Le nombre d'unités vendues par habitant est de 18,1 en France et de 7,3 en Espagne. L'Italie, qui abrite également des herboristeries, est le premier marché européen. Il n'y a donc pas forcément de corrélation entre l'existence d'un réseau d'herboristeries et la consommation de produits à base de plantes.

D'après une enquête Ipsos, si 63 % de la population se dit intéressée par la naturalité dans une approche de santé, seuls 25 % utilisent déjà les produits de phytothérapie ou d'aromathérapie. Il existe une certaine mixité des circuits de vente, avec une prépondérance du circuit pharmaceutique. Seuls 15 % des acheteurs n'achètent jamais en pharmacie. On retrouve cette même mixité en Espagne et aux Pays-Bas. Dans 75 % des cas, les consommateurs achètent un produit à la suite de la recommandation d'un professionnel de santé ; viennent ensuite le bouche-à-oreille, puis la publicité.

La formation des professionnels de santé à ces approches, qu'elles soient thérapeutiques ou nutritionnelles, pourrait être améliorée, en particulier celle des pharmaciens. Un médecin chinois, par exemple, y consacre un an de formation.

Nous ne sommes pas promoteurs du remboursement des produits à base de plantes compte tenu des problématiques de financement. Nous constatons toutefois, depuis une quinzaine d'années, l'absence d'incitation au développement de ces approches de santé à visée préventive, curative ou nutritionnelle.

L'officine porte la majorité des ventes, mais nous savons que ce circuit est fragilisé, tout en offrant un maillage territorial important. Le commerce de détail souffre d'une façon générale, notamment avec le développement de l'Internet, aussi ne nous paraît-il pas forcément pertinent de promouvoir et d'assurer le contrôle d'un nouveau circuit de distribution.

D'un point de vue réglementaire, nous nous battons pour la reconnaissance de la tradition d'utilisation des plantes, que l'usage soit thérapeutique ou nutritionnel. L'expérience n'est pas le seul critère, mais c'est un critère qui doit être reconnu.

En pratique, il n'y a pas de réelle harmonisation européenne : notre capacité à commercialiser nos produits sur l'ensemble du territoire européen est faible.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Quelles actions mettez-vous en place, en liaison avec les producteurs, pour préserver la ressource naturelle ?

M. Jacques Chevallet . - La moitié de nos achats - nous ne produisons rien nous-mêmes - sont contractualisés, ce qui assure une certaine stabilité économique aux producteurs. Nous discutons avec eux pour les convertir au bio, car cela répond à une attente de plus en plus forte des consommateurs, pour les produits nutritionnels comme thérapeutiques. Une telle conversion prend au moins trois ans. Lors du passage au bio, nous augmentons nos stocks pour faire face à une éventuelle défaillance : c'est notre façon de participer au risque de la conversion. Pour l'instant, nous privilégions la région PACA, mais nous avons pour projet de relocaliser certaines cultures ailleurs en France pour augmenter notre part d'achat dans notre pays, et notre part d'achat de produits bio.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Vous approvisionnez-vous outre-mer ?

M. Jacques Chevallet . - Non, uniquement dans notre région - dont la flore est l'une des plus riches de France.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Vous recommandez de mieux reconnaître la tradition d'utilisation des plantes et d'accroître l'harmonisation européenne. Comment voyez-vous ces évolutions ?

Mme Valérie Clément-Ngo, directrice des affaires réglementaires d'Arkopharma . - Les cadres réglementaires dont nous disposons actuellement sont harmonisés, notamment pour le médicament à base de plantes - moins pour le complément alimentaire. Toutefois, dans les faits, quand nous déposons des demandes d'enregistrement, les niveaux d'exigence sont assez disparates d'un État membre à l'autre.

Nous l'avons constaté il y a quelques années lors du dépôt de nos dossiers d'AMM, dans le cadre de la revalidation exigée par la nouvelle directive européenne sur les médicaments traditionnels : seule la France a exigé qu'on mette en oeuvre des études de génotoxicité.

M. Jacques Chevallet . - C'est lié au fait que nos produits ne sont pas des extraits mais des « totum ». Nous en avons eu pour trois années de travaux et 2 millions d'euros d'investissements - alors que l'Espagne, par exemple, ne nous demandait rien de tel ! Si les textes sont harmonisés, la pratique ne l'est pas.

Mme Valérie Clément-Ngo . - Beaucoup reste à faire sur les compléments alimentaires, puisqu'il n'existe pas de liste européenne des plantes autorisées en Europe : la liste Belfrit n'est pas valable dans tous les États-membres, et le processus d'évaluation des allégations de plantes est bloqué. Nous souhaitons que chaque produit puisse être commercialisé dans un maximum d'États-membres.

Mme Corinne Imbert , présidente . - À quand remonte votre dernière demande d'AMM ?

Mme Valérie Clément-Ngo . - Le processus de validation par l'ANSM, qui a débuté en 2006, n'est toujours pas finalisé.

M. Jacques Chevallet . - Nous considérons toujours le médicament comme une voie, même si nous n'avons pas déposé d'AMM depuis trois ans en France.

Mme Valérie Clément-Ngo . - Nous en avons déposé dans d'autres États-membres.

M. Jacques Chevallet . - Et nous avons deux projets en cours.

Mme Angèle Préville . - Quelle doit être la formation des professionnels de santé, et des herboristes ?

Mme Valérie Clément-Ngo . - Il y a une demande de formation de la part des médecins et des pharmaciens. Les médecins ne sont pas formés actuellement ; les pharmaciens le sont au cours de leurs études, quoique moins qu'auparavant, avec la botanique, la pharmacognosie et la phytothérapie. Il faut les former pour qu'ils se positionnent comme experts des plantes.

M. Jacques Chevallet . - Les professionnels de santé sont des référents pour les patients. Connaissent-ils le potentiel nutritionnel ou thérapeutique des plantes ? Pas assez. On pourrait imaginer un diplôme d'herboristerie qui serait ouvert à tous les professionnels de santé : infirmières, pharmaciens, médecins... Même sur des symptômes anodins, comme la fatigue, il est important d'avoir des réflexes de professionnel de santé pour bien orienter le patient et ne pas passer à côté d'une pathologie grave. Pour autant, la politique de santé peut promouvoir l'usage des plantes auprès des professions de santé.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Une partie de la population aspire au bien-être par les plantes, et cherche des conseils pour y parvenir, parfois sur Internet, sans encadrement. Des herboristes pourraient fournir ce conseil sans être des professionnels de santé ni poser de diagnostic. C'est ce qu'ils font au Québec, par exemple - en lien avec des professionnels de santé.

M. Jacques Chevallet . - Les compléments alimentaires n'ont pas vocation à traiter une pathologie mais à entretenir un état de bien-être. Certes, la limite entre les deux est parfois délicate à définir. C'est pourquoi il faut plusieurs niveaux dans la santé, de la prévention à l'intervention - et le tout doit être compréhensible par le patient, pour éviter les dérives. Dès lors, je ne vois pas bien comment mettre en place votre suggestion - même si j'en comprends bien l'esprit. Pour l'instant, le consommateur n'a pas de mal à trouver les produits. En tous cas, on peut renforcer la formation des professionnels de santé.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Oui, pour qu'ils puissent mieux conseiller sur l'usage de ces produits.

M. Jacques Chevallet . - Mais il ne faut pas induire une confusion entre professionnels de santé et d'autres conseillers.

M. Daniel Chasseing . - Oui, il y a une demande d'une meilleure formation. Notre maillage national de pharmacie est dense. On pourrait imaginer que des herboristes diplômés trouvent à s'y employer - ou que des pharmaciens soient embauchés dans des herboristeries. Depuis 1942, beaucoup de médicaments sont apparus, ce qui suscite des problèmes d'interactions qui dépassent le niveau du diplôme d'herboriste.

Mme Valérie Clément-Ngo . - Nous pourrions proposer aux pharmaciens, à la fin de leurs études, de se spécialiser en herboristerie, et développer des pharmacies-herboristeries. Déjà, à Marseille, une pharmacie s'est spécialisée dans l'herboristerie.

Mme Corinne Imbert , présidente . - En une dizaine d'années, nous sommes passés d'un diplôme universitaire à douze ou quatorze, et une faculté de pharmacie réfléchit à mettre en place une licence professionnelle qui s'adresserait notamment aux préparateurs en pharmacie.

M. Jacques Chevallet . - Il faut dissocier la compétence de distribution de celle de conseil, que l'on pourrait donner aussi aux infirmières. La distribution peut être plus ou moins développée, c'est un choix. En tous cas, il faut un cadre adapté.

Mme Corinne Imbert , présidente . - Merci.

Audition du Dr Henry Joseph, pharmacien et pharmocognoste en Guadeloupe

Mercredi 18 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente. - Nous sommes en liaison, par visioconférence, avec le docteur Henry Joseph, pharmacien et pharmacognoste en Guadeloupe. Engagé depuis une trentaine d'années dans la valorisation de la biodiversité végétale, il a fondé en 2005 le laboratoire Phytobôkaz qui propose des produits à base de plantes. Le docteur Joseph est membre de l'Aplamedarom, Association pour les Plantes Médicinales et Aromatiques de Guadeloupe. Je vous remercie de contribuer aux réflexions de notre mission en apportant un nouvel éclairage sur la situation dans les outre-mer.

Dr Henry Joseph, pharmacien et pharmocognoste en Guadeloup e. - Comme vous venez de le dire, j'ai créé la société Phytobôkaz avec le professeur Paul Bourgeois, professeur de chimie à l'université Antilles-Guyane. Je suis également membre du comité scientifique du Parc national de Guadeloupe, qui participe à la préservation de la biodiversité de notre région.

Laissez-moi d'abord féliciter le Sénat de la mise en place de cette mission d'information, sur une filière dont les potentialités en termes de développement de métiers d'avenir sont spécifiquement attendues dans les outre-mer.

Les filières innovantes issues des plantes sont en effet de puissants vecteurs de développement économique en outre-mer, en raison de la richesse de notre biodiversité et de l'attachement de nos populations à leur patrimoine végétal, qu'elles considèrent comme un élément indispensable à leur existence, surtout lorsqu'on vit sur une île, comme c'est le cas en Guadeloupe.

Nous n'avons jamais connu l'existence d'herboristeries aux Antilles. Ceci s'explique par l'histoire, car l'usage des plantes médicinales a toujours été entaché d'interdiction notamment par les colons, qui avaient peur que les esclaves ne les empoisonnent par les plantes. Un arrêté du conseil souverain daté du 8 mars 1799 énonce qu' « il est interdit aux gens de couleur, noirs ou esclaves, d'exercer la médecine, la chirurgie, d'utiliser aucun remède sous quelque forme que ce soit, sous peine de 500 francs d'amende pour les gens libres, punition corporelle pour les esclaves, et les colons qui tolèrent ce genre de pratiques seront déchus de leurs dits esclaves. »

Jusqu'à très récemment, les choses sont restées en l'état, même après l'abolition de l'esclavage. C'est ce qui explique non seulement l'absence d'herboristeries aux Antilles mais aussi l'absence de nos plantes d'outre-mer dans la pharmacopée française : leur inscription, je vous le rappelle, date seulement de 2013 alors que la pharmacopée française a plus de 200 ans. Le même problème existe encore avec l'absence d'inscription des plantes d'outre-mer dans la liste des plantes autorisées dans les compléments alimentaires.

Alors qu'aux Antilles nous recensons 625 plantes médicinales et 220 espèces comestibles, on peut dire que l'outre-mer a été oublié. Ce n'est que grâce au travail remarquable de maître Isabelle Robard et de moi-même, soutenus par les parlementaires de nos régions et par l'association pour les plantes médicinales et aromatiques de Guadeloupe que nous avons pu faire évoluer les choses.

Et ce n'est qu'en 2009, au terme de douze années de bataille juridique menée au cours d'un parcours législatif qui s'est heurté à des oppositions tant du gouvernement que des parlementaires, que nous sommes parvenus à faire modifier l'article L. 5112-1 du code de la santé publique, pour prendre en compte les plantes des outre-mer dans la pharmacopée française. 70 plantes sont ainsi entrées dans la pharmacopée française.

Notre combat a également permis l'élargissement des aides européennes en 2011 aux cultures des plantes médicinales en Guadeloupe et à l'île de La Réunion.

La pratique du jardin créole et les savoirs de nos grands-mères ont permis la sauvegarde des savoirs traditionnels liés aux plantes, transmis oralement de génération en génération, malgré toutes les interdictions que nous venons d'évoquer.

Contrairement à l'île de La Réunion, où existent les tisaneurs comme vous l'a expliqué le docteur Claude Marodon, aux Antilles on trouve plutôt les marchandes de simples, connues sur les marchés locaux comme les marchandes de rimed razié.

Pour que ces pratiques puissent perdurer, je suis favorable à la création d'un statut de paysan-herboriste, pour la consommation locale. Les paysans-herboristes ont non seulement la connaissance botanique de la plante, mais savent aussi la cultiver au sein de la petite exploitation familiale ; ils sauront transmettre ce savoir ancestral aux générations futures. Il faudrait compléter leur formation pour mieux maîtriser l'usage des plantes mais aussi connaître leur toxicité, dans le souci de protéger les consommateurs.

Il faut par ailleurs également former les pharmaciens, qui ont une connaissance insuffisante des plantes et notamment de celles des outre-mer. A cet égard, pourrait être repris le diplôme universitaire de phytothérapie tropicale que nous avions mis en place de 2003 à 2005 au sein de l'université de médecine de Pointe-à-Pitre et qui nous avait permis de former durant deux ans cinquante pharmaciens et médecins à la connaissance des plantes, par des enseignements de botanique tropicale, de chimie, de pharmacognosie et de législation des plantes médicinales tropicales.

Vous savez comme moi que le monde est en pleine évolution. De nouveaux défis nous attendent. Quand on vit sur une île, à 8 000 km de la métropole, et que nous importons 100 % de nos médicaments et 80 % de notre alimentation, développer des métiers d'avenir reste un défi, mais une nécessité face au risque d'isolement.

Nous attendons donc beaucoup de votre mission, notamment pour faire entendre notre voix, rattraper le retard pris et développer des métiers d'avenir en outre-mer à partir des plantes. Il faut rappeler que 80 % de la biodiversité de la France est en outre-mer et 97 % de son espace marin. Alors que la transition énergique et écologique est en marche, notamment avec la sortie de la pétrochimie d'ici 2050, et que les circuits courts deviennent essentiels, souvenez-vous que les richesses de la France de demain sont en outre-mer. Mais la valorisation de cette biodiversité ultramarine ne devra pas se faire sans les ultramarins ! Ces richesses doivent être le moteur de notre développement économique local. Il ne faudra pas considérer les ultramarins comme de simples gardiens de la biodiversité.

Pour cela, je propose d'élargir la liste des plantes inscrites à la pharmacopée française aux plantes d'outre-mer, en s'appuyant sur les travaux considérables réalisés au sein du réseau Tramil sur la pharmacopée caribéenne, qui a notamment établi plus de 90 monographies sur les plantes médicinales de nos régions.

Il faudra de même mieux prendre en compte les plantes médicinales des outre-mer dans la composition des compléments alimentaires, en se basant sur le recul d'usage et les travaux scientifiques. Il faudra aussi accentuer la recherche sur les plantes des outre-mer dans nos universités. L'innovation et le développement de nouvelles filières passeront par les plantes.

Il faudra enfin sortir l'outre-mer de la monoculture de canne et de banane, qui fait trop de mal à notre environnement et accompagner la diversification agricole vers des cultures de plantes innovantes à haute valeur ajoutée (plantes oléagineuses, à amidon, à textile, légumineuses, etc.). Parallèlement, les filières industrielles doivent muter pour retrouver le chemin des cultures symbiotiques. Nous souffrons trop de l'usage des pesticides, des herbicides et des fongicides. Depuis treize ans, nous travaillons à respecter la nature en développant des techniques basées sur la vie. Je vous invite à venir en voir le résultat sur nos parcelles à Phytobôkaz.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Vous avez évoqué la reconnaissance d'un métier de paysan-herboriste, sur la base d'une formation spécifique. Selon vous, cette formation devrait-elle être spécifiquement adaptée aux outre-mer ? Par ailleurs, existe-t-il des formations spécialisées, même si elles ne sont pas diplômantes ?

Dr Henry Joseph . - J'envisage trois types de formation totalement différents : une formation de pharmacien-herboriste, une autre destinée aux paysans-herboristes et enfin une autre qui s'adresserait aux professionnels de la culture et de la transformation des plantes en s'appuyant notamment sur la connaissance des alternatives aux pesticides chimiques.

Le paysan-herboriste offrirait une spécialisation à ces paysans qui, d'ores et déjà, en s'appuyant sur la tradition, fournissent la consommation locale.

Il faut parallèlement former les pharmaciens, de façon plus poussée sur les plantes et les compléments alimentaires.

Aujourd'hui, le réseau Tramil, qui rassemble 200 chercheurs et plus de 30 pays des Caraïbes, a développé une véritable pharmacopée caribéenne, qui serait la base de la formation. Nous devons prévenir un risque d'isolement. L'histoire a prouvé que nous ne pouvions nous reposer sur la métropole. Or, la richesse de la biodiversité est ici et nous devons en faire une filière d'avenir !

M. Joël Labbé , rapporteur . - Nous sommes pleinement conscients de la richesse des outre-mer en termes de biodiversité et je me porte garant devant vous que notre rapport saura donner aux outre-mer l'importance qu'ils méritent. S'agissant des plantes d'outre-mer inscrites à la pharmacopée, pensez-vous qu'il soit aujourd'hui possible et souhaitable de les sortir du monopole pharmaceutique ?

Dr Henry Joseph . - En ce qui concerne les plantes d'usage courant, oui. Cela permettrait d'élargir leur usage. C'est également, à mon sens, le seul moyen de pérenniser le savoir. Les pharmaciens, contrairement aux paysans, ne sont pas dans les champs ! Ce n'est pas eux qui transmettront aux générations futures les savoirs traditionnels !

M. Joël Labbé , rapporteur . - Le travail de recensement des propriétés des plantes du réseau Tramil pourrait-il servir de référentiel à des herboristes, même ceux qui ne seraient pas pharmacien ? Ce travail vous paraît-il suffisamment valorisé dans l'hexagone ?

Dr Henry Joseph . - Quand, en 1998, nous avons transmis à l'agence du médicament notre première pharmacopée caribéenne, la France n'a pas voulu reconnaitre nos travaux. J'ai été invité le 29 janvier 1999 par l'ensemble des ministres de la santé d'Amérique centrale et des Caraïbes, dans le cadre de la rétrocession du canal de Panama aux Panaméens. À l'époque, le défi du ministère de la santé panaméen, intitulé « Santé pour tous », se basait sur les travaux du réseau Tramil.

Ce réseau, qui couvre toute l'Amérique centrale, a développé une méthode de travail systématisée, basée sur des enquêtes menées auprès de la population puis des médecins : on évalue les pratiques médicinales existantes et sont retenues les plantes citées plus de 20 fois sur 100 pour une pathologie donnée. Les scientifiques s'emparent ensuite de ces enquêtes, pour les expertiser. Je pense que ce travail indispensable vaut la peine que la métropole s'en empare et trouve le rayonnement qu'il mérite.

M. Maurice Antiste . - Merci beaucoup docteur pour vos propos. C'est un grand bonheur pour moi d'auditionner aujourd'hui un des nôtres : je suis le seul ultramarin de cette mission d'information et je souhaite féliciter la présidente et les autres membres d'avoir compris l'importance des outre-mer sur le sujet de l'herboristerie. Votre exposé était très clair, car vous avez mis l'accent à la fois sur l'histoire et les projets en cours.

Je crois qu'il y a une nécessité d'autosatisfaction, par la prise en compte de notre propre pharmacopée : la France pourra alors comprendre la richesse qui réside dans la reconnaissance des plantes d'outre-mer. Je suis d'ailleurs de près le programme Tramil et je m'appliquerai à ce que le dialogue se poursuive dans la zone Caraïbe.

Le travail que vous réalisez est extraordinaire et il va bientôt trouver sa consécration. Ma question est simple : êtes-vous bien prêt à nous aider à donner toute sa place à la pharmacopée des outre-mer dans la recherche ?

Dr Henry Joseph . - Vos propos me vont droit au coeur. Je souhaite dire que je ne suis pas tout seul : c'est un travail qui a certes été initié en Guadeloupe, mais nous avons créé un colloque international sur les plantes aromatiques et médicinales, qui s'est réuni à l'île de La Réunion en 2001, en Guadeloupe en 2002, en Guyane en 2004, à Tahiti en 2006, en Nouvelle-Calédonie en 2008, puis en Martinique en 2010 avant de repartir pour un tour. Le prochain rendez-vous aura lieu au mois de novembre à Tahiti pour la dixième édition de ce colloque, qui a pour but de réfléchir ensemble au meilleur moyen de valoriser cette biodiversité.

Je souhaite attirer votre attention sur la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, présentée par la ministre Ségolène Royal. Ce texte précise que toute ressource génétique se trouvant sur le territoire français appartient à l'État français, qui sera le seul à déterminer le partage des avantages tirés de la ressource. Dès lors que vous effectuez de la recherche fondamentale, une simple déclaration suffit. Pour le commerce en revanche, un permis est nécessaire afin d'accéder à la ressource génétique. Le permis peut être refusé si les capacités techniques et financières du demandeur ne sont pas à la hauteur de l'objectif envisagé, ce qui ne me paraît pas approprié alors même que nous disposons de 80 % de la biodiversité.

Le développement de l'outre-mer ne doit pas s'opérer sans les ultramarins. Avec la fin du pétrole d'ici 2050, les plantes, par le biais de la photosynthèse, seront d'un grand secours, dans le domaine de l'alimentation ainsi que de la médecine - 64 % des spécialités vendues en pharmacie sont de près ou de loin à base de plantes. Le développement des colorants naturels est un autre enjeu et nous sommes pionniers dans ce domaine. J'ai eu l'occasion de dire à l'occasion de la récente visite à Phytobôkaz du Premier ministre, accompagné d'une délégation ministérielle, que nous sommes une chance pour notre pays et non pas une charge.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Vous êtes un merveilleux défenseur des outre-mer. Quel est l'état de la ressource naturelle aujourd'hui en Guadeloupe ? La culture des plantes y est-elle importante ?

Dr Henry Joseph . - 3 800 espèces de plantes sont recensées en Guadeloupe, dont 625 espèces médicinales et 220 espèces comestibles. La plante est une usine de vie. Nous avons 3 800 usines fermées avec 58 % de chômage ! A Phytobôkaz, nous n'utilisons que cinq plantes sur 3 800. Il nous faut valoriser les autres.

Nous sommes en train de développer des filières en Guadeloupe, à commencer par celle des oléagineux car toutes nos huiles sont importées. Nous travaillons sur la production des meilleures huiles végétales en termes de coefficient de frottement. Nous travaillons également sur les plantes territoriales. Je suis très fier de l'indigo de Guadeloupe qui permet de développer un bleu naturel. Notre indigo contient entre 51 et 80 % d'indigotine.

Nous travaillons à développer des filières mais nous ne devons pas rester isolés. Je n'ai pas de financement par exemple pour mes travaux de recherche, que je conduis sur le budget de mon petit laboratoire.

Mme Angèle Préville . - Je suis très intéressée par votre exposé et épatée de la richesse que nous avons en Guadeloupe. Certains chiffres m'interpellent : sur 625 plantes médicinales, seules 70 sont inscrites à la pharmacopée. 90 monographies ont été élaborées par le réseau Tramil : il reste donc encore beaucoup de travail à accomplir.

Dr Henry Joseph . - 335 plantes ont par ailleurs fait l'objet d'enquêtes. Tramil travaille de manière ordonnée : les monographies doivent comporter des éléments botaniques, de chimie, de pharmacologie et de toxicologie. Chaque pays est spécialisé, par exemple Cuba sur la toxicologie et nous sur la chimie des plantes. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu ce travail. Ces chercheurs travaillent sans argent pour permettre l'accès à des soins de santé primaires pour l'ensemble des habitants de cette région.

Mme Marie-Pierre Monier . - Merci pour vos propos très intéressants. Nous avons tous conscience que les choses doivent bouger. Au-delà de notre mission, le problème de financement que vous ciblez est peut-être à aborder au moment de l'examen des crédits de la recherche dans le projet de loi de finances.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Merci vivement. Vous êtes un excellent ambassadeur et vous ne pratiquez pas la langue de bois. Nous devons nous approprier vos propos, pour faire de la richesse naturelle des outre-mer un moteur de développement économique local. Nous avons également à travailler à la préservation de la biodiversité et il existe là aussi des développements potentiels.

Dr Henry Joseph . - Je vous remercie de nous donner la parole et de nous écouter. Nous avons beaucoup à vous apporter mais, en tant qu'ultramarins, nous sommes marginalisés et avons un grand besoin d'exister. Quand nous exporterons notre indigo au Japon, nous augmenterons le PIB de la Guadeloupe et singulièrement de la France.

M. Maurice Antiste . - Pourriez-vous évaluer le minimum d'aide qui serait nécessaire pour soutenir votre activité courante de recherche ?

Dr Henry Joseph . - Pour ma petite entreprise, qui réalise un million d'euros de chiffre d'affaires, je viens d'investir 600 000 euros sur trois ans en recherche. Je travaille avec plusieurs grandes universités et le CNRS de Montpellier et nous avons déposé des brevets. Je bénéficie du crédit impôt recherche mais il faut avancer les fonds et je ne les ai pas.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Une nouvelle fois merci pour votre enthousiasme et votre passion. Je remercie également la technique pour la qualité de cette visio-conférence.

Audition conjointe de M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), accompagné de Mme Françoise Weber, directrice adjointe déléguée responsable des produits réglementés et de Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles, et de Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), accompagnée de Mme An Lé, chef de pôle au sein de la direction des médicaments génériques, homéopathiques, à base de plantes et des préparations

Mardi 24 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente . - Notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux en accueillant des représentants de deux agences sanitaires : pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), M. Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques, Mme Françoise Weber, directrice adjointe déléguée responsable des produits réglementés et Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles ; l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est représentée par Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires, et Mme An Lé, chef de pôle au sein de la direction des médicaments génériques, homéopathiques, à base de plantes et des préparations.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Mme An Lé, Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé. - L'ANSM a un champ de compétences très vaste. Elle est en charge de l'ensemble des médicaments, dont ceux à base de plantes, mais aussi des préparations magistrales et officinales ainsi que des matières premières intégrées dans les médicaments. Elle intervient également sur les produits d'origine biologique, les dispositifs médicaux, les produits cosmétiques et de tatouage. La typologie de produits est variée et l'approche réglementaire l'est tout autant. Notre métier consiste en une évaluation du bénéfice/risque de ces produits, notamment des médicaments. Nous menons des activités d'inspection des établissements de fabrication, procédons à des expertises juridiques et réglementaires et disposons enfin d'une mission d'information et de communication.

Le code de la santé publique définit un médicament à base de plantes comme étant composé de substances actives d'origine végétale, à base de plantes ou d'extraits ou obtenues après distillation, comme les huiles essentielles.

Il se présente sous la forme d'une spécialité pharmaceutique, avec un conditionnement et un étiquetage. Les préparations officinales sont également des médicaments. De même, les drogues végétales en l'état peuvent être considérées comme des médicaments.

Les médicaments à base de plantes sont soumis aux règles générales s'appliquant aux médicaments en termes de qualité pharmaceutique de fabrication. Il existe des référentiels de bonnes pratiques pour leur préparation, et des règles de distribution et de délivrance.

Pour ces médicaments à base de plantes, et c'est une particularité, il existe trois modalités de mise sur le marché. La première est l'autorisation de mise sur le marché nécessitant le dépôt d'un dossier complet. L'efficacité du médicament concerné est démontrée par des essais cliniques dans les mêmes conditions qu'un médicament d'origine chimique. Le deuxième procédé est une autorisation de mise sur le marché se fondant sur un usage médical bien établi. L'efficacité doit alors être démontrée depuis au moins dix ans par des données bibliographiques versées au dossier. La troisième catégorie d'autorisation concerne les médicaments traditionnels, sur le fondement de la directive  2004/24 CE. Leur efficacité traditionnelle plausible, basée sur la tradition, doit être prouvée depuis au moins 30 ans dans le monde et 15 ans dans un État membre.

Les directives ont prévu l'organisation de groupes de travail avec l'ensemble des États siégeant à l'Agence européenne du médicament. L'un des groupes de travail est chargé de l'élaboration de monographies de l'Union européenne permettant de définir la substance active, les conditions d'emploi, les indications, les posologies. Il existe également un processus d'enregistrement par reconnaissance mutuelle entre les États membres.

Enfin, nous encadrons et évaluons les préparations magistrales et officinales préparées sous la responsabilité du médecin prescripteur et du pharmacien les réalisant. Pour mémoire, une préparation magistrale est destinée à un seul patient. Elle est réalisée par le pharmacien - en officine ou dans une pharmacie hospitalière - sur la base d'une prescription médicale et ne peut être réalisée que s'il n'existe pas de spécialité disponible ou adaptée. Les préparations officinales sont réalisées sur la base d'une formule inscrite au formulaire national et délivrées sur conseil. C'est le cas des tisanes, pour lesquelles il existe une monographie au formulaire national qui les décrit et les encadre : on peut mélanger au maximum cinq plantes ayant une activité thérapeutique et trois plantes visant à faciliter l'administration.

Dans ce cadre, l'ANSM élabore des bonnes pratiques de préparation et prend des mesures de police sanitaire. Je pense notamment à la badiane de Chine, qui a fait l'objet de falsifications avec de la badiane du Japon. Nous avons également identifié des problèmes avec le fruit vert du citrus contenant de la synéphrine, présent dans des préparations amaigrissantes.

L'ANSM participe également à l'élaboration des référentiels de la pharmacopée européenne et française. La pharmacopée européenne décrit les matières premières en tant que substance active ou les excipients, les méthodes d'analyse et d'utilisation, les spécifications sur les substances actives. La pharmacopée française établit les référentiels de qualité sur le substrat actif et définit ce qu'est la plante médicinale avec une activité médicamenteuse. Ces plantes relèvent de deux listes, la liste A et la liste B, qui sont le fruit d'une longue histoire. Elles ont été initialement décrites dans les codex de 1818 et ont fait l'objet depuis de plusieurs révisions. Ces listes décrivent la plante, la partie de plante utilisée, le nom vernaculaire, les conditions et modes d'administration - par voie orale ou cutanée. La liste A comprend actuellement 455 plantes médicinales. La liste B regroupe les plantes nécessitant une politique sanitaire ou présentant une toxicité intrinsèque. Des plantes de la pharmacopée également utilisées sous forme condimentaire ou alimentaire ont été sorties du monopole pharmaceutique : un décret de 2008 en dénombre 148.

Notre rôle est également d'inspecter les établissements de fabrication, d'importation et de distribution. Les inspections portent majoritairement sur des établissements fabriquant des extraits de plantes ou des huiles essentielles utilisées ensuite dans les médicaments. Sur les 30 opérateurs contrôlés, peu d'écart ont été identifiés. En revanche, nous avons mis en évidence des difficultés dans la chaîne d'approvisionnement des huiles essentielles, notamment lorsqu'elles sont en provenance d'un autre pays.

Une particularité française sont les établissements (sept en France) distributeurs en gros de plantes médicinales inscrites à la pharmacopée. Ils sont chargés du stockage, des contrôles nécessaires à la distribution en gros, en vrac, en sachet-dose, en fragments à l'état frais ou desséché des plantes médicinales. Les inspecteurs y ont observé des écarts, notamment des problèmes de traçabilité, de qualité microbiologique des plantes, avec des contaminations croisées ou encore des dates limite d'utilisation dépassées. Toutefois, un énorme travail d'amélioration est mis en oeuvre.

Dans le cadre de nos missions de surveillance, le choix s'est porté cette année sur le contrôle qualité des médicaments à base de plantes (contrôle des contaminations microbiennes et des falsifications, recherche de contaminants comme les alcaloïdes pyrrolizidiniques, conformité des étiquetages). Les résultats ont montré des non-conformités sur les aspects microbiologiques, conduisant à des retraits de lots.

Nous contrôlons également la publicité des médicaments auprès du grand public, en veillant à ce que les professionnels de santé ne dérivent pas des indications thérapeutiques et des données scientifiques. Comme pour tous les médicaments, nous assurons la pharmacovigilance et mettons en oeuvre des mesures de police sanitaire. A titre d'exemple, le thé vert a été utilisé dans des médicaments contenant des extraits alcooliques forts, ce qui a conduit à des hépato-toxicités.

En ce qui concerne les huiles essentielles, nous avons été confrontés, ces deux dernières années, à de nombreux questionnements des professionnels de santé et des patients alors même que l'offre et la demande explosent. Les reconnaissances de la tradition ne sont pas aussi abouties que pour les plantes médicinales et les cas de toxicovigilance sont en augmentation. Depuis peu, nous avons eu des demandes de qualification de produits et deux demandes d'essai clinique.

Il est important d'améliorer l'information sur la toxicité des huiles essentielles. En 2018, nous avons mené un programme de contrôle sur des établissements fabriquant des cosmétiques personnalisables. En 2017, 13 établissements ont été inspectés, sept injonctions ont été prises, dont trois portaient sur les huiles essentielles. En 2018, 17 établissements ont été inspectés, cinq injonctions ont été prises, dont quatre portant sur les huiles essentielles.

En conclusion, nous attachons une attention toute particulière aux besoins de qualité et de sécurité de ces produits. Il importe de garantir un usage sûr, notamment l'absence de perte de chances au regard de traitements conventionnels efficaces, et de veiller aux interactions médicamenteuses bien connues. Un dispositif d'évaluation approprié de la reconnaissance de la tradition (qui peut être orale, secrète, écrite...) doit être mis en place. Il existe des méthodologies disponibles. Enfin, comme l'OMS le souligne, il faut encadrer la formation des praticiens dans la délivrance de ces produits.

Mme Françoise Weber, Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. - L'Anses évalue de manière globale, intégrative et transversale l'ensemble des risques (biologiques, physiques ou chimiques) auxquels l'homme et l'environnement sont exposés, volontairement ou non, dans les domaines de l'alimentation, de l'environnement, du travail, de la santé, du bien-être animal ainsi que de la santé des végétaux. L'Anses est également compétente pour délivrer, renouveler et suspendre les autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires (au travers de l'Agence nationale du médicament vétérinaire qui lui est rattachée), des produits phytopharmaceutiques (pesticides), matières fertilisantes et supports de culture depuis 2015 et des biocides depuis 2016.

L'objectif de l'Anses est de mobiliser les connaissances scientifiques pour appuyer les décisions des pouvoirs publics. Nous étudions et documentons avec des groupes d'experts indépendants les dangers auxquels l'homme et son environnement sont exposés. Nous déterminons les modalités et les niveaux de cette exposition. En combinant les dangers et cette exposition, nous effectuons une évaluation du risque. L'Agence assure également des missions d'alerte, de veille, de surveillance et de vigilance afin de récolter et traiter le plus tôt possible les signaux d'effets indésirables liés à l'utilisation des pesticides, des produits chimiques en général, des médicaments vétérinaires, des compléments alimentaires. L'Anses est aujourd'hui responsable de cinq systèmes de vigilance (nutrivigilance, phytopharmacovigilance, pharmacovigilance vétérinaire, toxicovigilance, épidémiosurveillance), garantissant une réactivité maximale en cas de crise sanitaire.

Concernant le champ de votre mission, une priorité porte sur les enjeux de sécurité sanitaire que pose l'utilisation des plantes sous toutes leurs formes, et en particulier des huiles essentielles, qui connaît un fort essor ces dernières années, que ce soit à des fins cosmétiques, de consommation, d'entretien ou d'automédication. Or, beaucoup de questions restent posées sur ces substances et leurs usages, en termes d'évaluation des risques.

M. Matthieu Schuler. - L'Anses a conduit différentes études traitant notamment des huiles essentielles, dans le cadre de saisines ou d'auto-saisines. Elle a ainsi publié en 2017 un avis relatif aux technologies émergentes d'épuration de l'air intérieur. A cette occasion, nous avons constaté que les données concernant les effets de l'exposition aux huiles essentielles étaient lacunaires ou parcellaires.

Dans le cadre de la toxicovigilance, sur le base des signalements remontés via le réseau des centres antipoison, notre groupe de travail « vigilance des produits chimiques » analyse des cas d'exposition aux huiles essentielles, en se concentrant dans un premier temps sur ceux de gravité forte. Pas moins de 12 000 cas ont été remontés, dont 6 000 présentant des symptômes. Entre 2012 et 2017, le nombre de cas avec symptômes a pratiquement doublé. Des travaux ont été lancés sur les cas d'expositions pédiatriques et de mésusages.

La nutrivigilance a pour objectif d'améliorer la sécurité du consommateur en identifiant d'éventuels effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires, d'aliments ou de boissons enrichis en substances à but nutritionnel ou physiologique (comme les boissons énergisantes), de nouveaux aliments et ingrédients et de produits destinés à l'alimentation de populations particulières (nourrissons, sportifs, patients souffrant d'intolérance alimentaire...). Ce dispositif unique en Europe a été mis en place en 2009 par la loi « hôpital, patients, santé et territoires ». Le bilan 2017 indique environ 600 cas dont 150 pour lesquels l'analyse peut être menée complètement. Il s'agit très majoritairement de cas impliquant des compléments alimentaires, à plus de 90 %. Nous analysons notamment les allégations de santé (telles que « stimule les défenses naturelles », « facilite la digestion », « augmente la vitalité »). La question de l'utilisation de plantes, le cas échéant sous la forme d'huiles essentielles, dans les compléments alimentaires, a d'ores et déjà fait l'objet de travaux. L'analyse de signalements répétés a conduit à la publication d'avis dont les conclusions ont été introduites dans l'annexe de l'arrêté du 24 juin 2014.

Nous avons plus récemment lancé des études sur les compléments alimentaires destinés aux femmes enceintes notamment ceux contenant de la spiruline ou de la mélatonine. Nous rendrons d'ici la fin de l'année un avis sur les compléments alimentaires contenant de la glucosamine et/ou chondroïtine. Ces travaux répondent au constat du manque d'information concernant les effets liés à l'exposition à des compléments alimentaires, à l'instar des huiles essentielles. Lorsqu'elle réalise ces études, l'Anses ne regarde que le volet innocuité et impact sur la santé. Or, il existe un autre volet important : l'évaluation de l'allégation santé que l'EFSA, l'Autorité européenne de sécurité des aliments, est censée avoir dûment autorisée.

Des travaux sont également en cours dans le domaine du médicament vétérinaire, le recours à la phytothérapie et aux huiles essentielles étant en plein essor pour développer des alternatives aux antibiotiques. Un avis récent de 2018 témoigne du manque d'informations et de documentations sur les allégations revendiquées par ces médicaments et sur l'évaluation de leur innocuité notamment au regard des limites maximales de résidus.

De manière générale et c'est là notre message principal, l'évaluation des risques reste indispensable pour ces produits auxquels la population peut être exposée. Les évaluations que nous réalisons s'inscrivent dans un cadre rigoureux et scientifique, s'appuyant sur des standards reconnus et suivant des procédures transparentes recourant à une expertise collective. Un produit d'origine naturelle, et en l'occurrence végétal, n'est pas systématiquement synonyme d'innocuité ni d'efficacité pour son utilisateur. Nous poursuivons ce même raisonnement pour d'autres types de consommation courante ou d'autres produits réglementés.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Merci de vos interventions. Quelles sont les données disponibles sur la fréquence et la gravité des risques liés à l'usage des plantes ou produits à base de plantes comme les huiles essentielles ou compléments alimentaires ?

La liste des 148 plantes sorties du monopole pharmaceutique, fixée par un décret de 2008, pourrait-elle être réétudiée et selon quels critères ?

L'évaluation des allégations santé relatives aux plantes est en attente au niveau européen : quels sont vos échanges avec l'EFSA à ce sujet et avec les autres agences nationales ? Que pensez-vous du principe d'une évaluation graduée partant de la reconnaissance de l'usage traditionnel des plantes et intégrant les avancées des connaissances scientifiques ?

Enfin, vous avez évoqué la question de la reconnaissance mutuelle. Selon vous, n'y aurait-il pas un intérêt à renforcer l'harmonisation au sein de l'Union européenne ?

M. Matthieu Schuler. - Il n'y a pas de problématique de reconnaissance mutuelle pour les compléments alimentaires. Une fois que l'EFSA a statué pour autoriser une allégation de santé, le complément alimentaire est soumis à déclaration au niveau national. Nous intervenons auprès de la DGCCRF sur certains compléments spécifiques, les DADFMS (denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales), destinés à des populations précises. A partir des recensements effectués par les centres antipoisons sur la période 2012-2017, on compte 19 000 cas d'expositions à des huiles essentielles dont 6 000 étaient des cas symptomatiques. Nous allons analyser d'ici la fin de l'année les cas les plus critiques.

Mme Carole Le Saulnier. - Pour les médicaments à usage humain et les médicaments fabriqués industriellement, la reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché fonctionne bien, sans blocage particulier. Nous reconnaissons les autorisations délivrées par les autres États membres de l'Union européenne.

Mme An Lé. - Après une autorisation nationale préalable, les reconnaissances mutuelles d'AMM d'usage médical bien établi concernant les spécialités à base de plantes fonctionnent également, avec des délais bien respectés. Ce qui pose problème, ce sont les délais pour les autorisations nationales. La procédure issue de la directive européenne de 2004 nécessite une validation des anciennes autorisations de mise sur le marché. Les procédures d'évaluation peuvent être longues, car les exigences sur les médicaments sont importantes. Pour les nouvelles demandes, le délai moyen de délivrance de l'autorisation est d'environ deux ans.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Avez-vous un avis sur l'évolution de la liste des 148 plantes ?

Mme An Lé. - Il s'agit des 148 plantes médicinales hors monopole pharmaceutique. Depuis 2009, nous travaillons avec les outre-mer pour intégrer à la pharmacopée un ensemble de plantes médicinales d'intérêt pour les régions concernées. Des choix stratégiques sont faits par région, soit de proposer comme pour la Guyane des plantes médicinales qui ont vocation à rester dans le monopole pharmaceutique, car à risque, soit une reconnaissance de la tradition familiale. Depuis une dizaine d'années, nous avons intégré 61 plantes des outre-mer en vrac, utilisées selon une approche traditionnelle.

Les indications thérapeutiques de ces plantes relèvent de la compétence du pharmacien et ne figurent pas dans cette liste.

Il serait possible de réévaluer cette liste, en dehors d'une approche alimentaire ou condimentaire, pour y intégrer des plantes n'étant pas à risque, mais avec des règles de qualité, d'étiquetage et de distribution qui devraient être très précises.

Mme Françoise Weber. - S'agissant du médicament vétérinaire, sa réglementation est très proche de celle du médicament humain. Le décret n° 2013-472 a allégé les dossiers d'autorisation de mise sur le marché pour les produits à base de plantes en médecine vétérinaire. Néanmoins, nous avons identifié un obstacle majeur pour l'obtention des AMM : l'absence de limite maximale de résidus. Un certain nombre des composants des médicaments à base de plantes sont toxiques et peuvent se retrouver, dans des proportions parfois importantes, dans la viande qui va être consommée ou dans le lait. Nous avons engagé un travail sur la possibilité de fixer des limites maximales de résidus et essayé de définir une méthodologie. C'est un obstacle important notamment dans les usages en automédication. L'absence de limite maximale de résidus fait courir des risques lorsqu'on utilise ces produits sur des animaux de rente - sans oublier les autres risques comme celui de compositions instables ou frauduleuses. On l'a vu avec l'affaire des oeufs contaminés au fipronil, présenté pour traiter les poux rouges des poules.

Mme Patricia Schillinger . - Quel est le contrôle des ventes réalisées sur internet ? Y a-t-il des autorisations spéciales ? En outre, on ne parle pas assez des produits issus du cannabis. Comment gérez-vous les autorisations ?

Mme An Lé. - Pour les plantes médicinales et les spécialités entrant dans le circuit pharmaceutique, seules les officines de pharmacie reconnues ont l'autorisation de les distribuer sur internet. Nous travaillons avec la DGCCRF pour identifier des produits de contrebande ou falsifiés. Nous avons plus de problèmes avec les produits manufacturés vendus sur internet, en dehors des circuits pharmaceutiques.

Nous avons autorisé le premier médicament à base d'extraits de cannabis, dans le cadre d'une reconnaissance mutuelle avec le Royaume-Uni. Il a fallu modifier préalablement la réglementation nationale, puisque les extraits de cannabis étaient interdits car considérés comme stupéfiants. Les préparations à base de cannabis sont autorisées dans plusieurs États membres, avec lesquels nous échangeons régulièrement. Les problématiques sont les mêmes que pour les autres produits : il faut assurer la sécurisation des circuits pharmaceutiques, vérifier la qualité des compositions et des extraits utilisés, assurer une surveillance et développer la recherche pour mettre en avant l'efficacité de ces préparations.

Mme Carole Le Saulnier. - En ce qui concerne les ventes sur internet, dès lors que les opérateurs sont en France, il est facile d'effectuer les contrôles. La difficulté est tout autre lorsque les opérateurs sont situés à l'étranger, notamment hors de l'Union européenne. Nous prenons des mesures afin que la vente cesse et informons nos collègues des douanes. Toutefois, nous avons conscience que ces mesures ont peu d'impact.

M. Matthieu Schuler. - Pour ce qui concerne l'alimentation, l'Anses n'est pas l'autorité de contrôle. C'est la DGCCRF qui intervient dans le domaine des compléments alimentaires. En 2016, ils avaient mené une campagne sur les sites pour vérifier la conformité des compléments alimentaires par rapport aux obligations réglementaires. Très souvent, on trouve des allégations de santé qui sont non autorisées - les fabricants n'ont pas déposé leurs dossiers pour prouver la solidité de leurs allégations auprès de l'EFSA - ou qui vont au-delà d'une simple allégation de santé en ayant une portée thérapeutique.

L'Anses ne traite pas de manière générique de la question des cannabidïols. En revanche, nous avons un point de vigilance dans la cadre de la nouvelle mission qui nous a été confiée sur les produits du tabac et du vapotage. Nous venons de mettre en place un collectif d'experts, et regarderons de près les éventuels composants à base de cannabidïols dans les liquides de vapotage.

M. Guillaume Gontard . - L'accès aux 148 plantes est facile par internet. En revanche, seul le pharmacien peut donner les informations sur leur usage thérapeutique. Alors que se développe l'automédication, considérez-vous l'absence d'intermédiaires comme un problème, ainsi que le fait d'avoir accès aux plantes sans disposer de ces informations ?

Mme Corinne Imbert . - Pourriez-vous également définir clairement la différence entre allégations thérapeutiques et allégations de santé ?

M. Matthieu Schuler. - L'allégation thérapeutique relève du champ du médicament. On attend un pouvoir de guérison. L'allégation de santé concerne une amélioration du bien-être, et peut ainsi se rapporter à la vitalité, une facilité de digestion....

Mme Carole Le Saulnier. - Le code de la santé publique définit le médicament, soit par présentation, soit par fonction. Une allégation thérapeutique est liée au médicament. Mais, parfois, la différence avec une allégation de santé peut être ténue.

Mme An Lé. - L'étiquetage des médicaments mentionne l'indication thérapeutique, évaluée dossier par dossier. La substance active d'origine végétale va définir une indication thérapeutique, précisée pour un produit fini selon un certain dosage, une posologie, une durée de traitement. Cela ne concerne pas l'ensemble de la plante sous toutes ses formes. Pour les 148 plantes hors monopole pharmaceutique, leur utilisation à des fins alimentaire ou condimentaire ne pose pas de questions. Toutefois, pour le traitement de pathologies particulières, il est important de définir une allégation qui puisse être dispensée par des personnes formées ou une indication thérapeutique relevant du conseil pharmaceutique, dans un contexte de soins.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Vous ne m'avez pas répondu sur la liste en attente au niveau européen sur les allégations de santé des plantes. Des professionnels souhaitent que cette situation se débloque.

M. Matthieu Schuler. - Je vais vérifier ce point, mais à ma connaissance, un site recensant les allégations de santé d'ores et déjà autorisées par l'EFSA existe pour les compléments alimentaires.

Mme Anne Lé. - Nous travaillons en lien avec l'EFSA sur les allégations de santé. Le groupe européen sur les médicaments à base de plantes a quelques difficultés concernant les allégations qui portent sur des spécialités d'usage médical bien établi avec une efficacité démontrée. Nous avons des plantes comme le séné ou le millepertuis qui peuvent présenter des risques, intrinsèques, dans le cadre d'une utilisation au long cours ou du fait d'interactions médicamenteuses. Dans ces situations, nous ne sommes pas favorables à ce qu'il puisse y avoir des allégations relevant du domaine des compléments alimentaires, à la frontière de l'indication thérapeutique.

M. Joël Labbé , rapporteur . - Nous avons déjà travaillé avec l'Anses sur la question des préparations naturelles peu préoccupantes. Disposez-vous des moyens et des effectifs nécessaires pour faire face aux tâches qui vous incombent ?

Mme Françoise Weber. - Pour le traitement des autorisations de mise sur le marché, l'Anses a bénéficié depuis un peu plus d'un an de la recette de la taxe versée au moment du dépôt du dossier. Cela permet d'assouplir le plafond d'emplois, uniquement pour le traitement des dossiers relatifs aux autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, des médicaments vétérinaires et des biocides. C'est un mécanisme à double tranchant : si les demandes diminuent, les effectifs diminueront aussi. Mais ce système nous paraît adapté à une charge de travail très évolutive.

Ce modèle économique ne s'applique pas à ce qui ne donne pas lieu au versement d'une taxe. C'est le cas des saisines faites par les autorités de tutelle ou les membres de notre conseil d'administration. Or, les questionnements - et la charge de travail induite - sont de plus en plus importants.

Cela ne nous empêche pas de travailler sur les préparations naturelles peu préoccupantes ou sur les biostimulants. Nous avons une problématique commune avec l'ANSM sur ce point : la reconnaissance de la tradition et la mise en place d'un dispositif approprié à celle-ci. Une évaluation, la plus légère possible, est nécessaire pour la protection des consommateurs vis-à-vis d'un risque toxique ou microbiologique.

Mme Corinne Imbert . - Cette réflexion pourrait-elle aboutir prochainement ?

Mme Françoise Weber. - Nous sommes prêts à nous mettre au travail. Nous avons déjà rendu un avis sur ce qui pouvait être fait ainsi que sur le niveau d'exigence minimal et les critères d'inscription sur la liste prévue par l'article D. 255-30 du code rural. Nous devons ouvrir le dialogue avec les parties prenantes, l'ANSM, les autres États membres et les agences européennes, sur la base de dossiers types, afin de parvenir à un dispositif harmonisé.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Merci à tous de votre contribution à nos travaux.

Audition du docteur Laurent Chevallier, médecin nutritionniste et botaniste

Mardi 24 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente. - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux en accueillant le docteur Laurent Chevallier, médecin nutritionniste et botaniste, auteur en 2015 d'un ouvrage intitulé « Moins de médicaments, plus de plantes ».

C'est notamment pour votre expertise à ce titre que nous avons le plaisir de vous entendre dans le cadre de notre mission. Je vous remercie de vous être rendu disponible pour apporter une contribution à nos travaux.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Mme Laurent Chevallier, médecin nutritionniste et botaniste . - Je vous remercie beaucoup de votre invitation. Je pense que mener une réflexion sur les plantes médicinales et l'herboristerie est quelque chose d'absolument essentiel. Je suis médecin, nutritionniste, attaché au CHU de Montpellier. J'exerce également en clinique où nous avons fondé une unité de médecine environnementale multidisciplinaire qui prend en charge différents troubles. J'ai fait de la botanique et je me suis occupé des diplômes universitaires (DU) de phytothérapie. J'interviens enfin sur ce sujet des plantes en tant que chroniqueur sur France Inter ou dans le Magazine de la santé sur France 5.

On constate un mouvement du corps médical depuis cinq ans vers le développement des thérapeutiques non médicamenteuses où les plantes jouent un rôle considérable. Se négocient actuellement au niveau universitaire des volumes horaires pour sensibiliser les étudiants avant la 3 ème année en médecine sur ce type de thérapies.

Parallèlement, a lieu en ce moment une recension des DU concernant les plantes. Il faut savoir que ces DU sont une manne financière pour les universités qui ont tendance à les ouvrir très largement, y compris aux non professionnels de santé qui peuvent alors se targuer d'avoir un diplôme universitaire sur ce sujet. Il convient de protéger le consommateur contre des pratiques qui ont besoin d'être mieux encadrées, en recentrant l'accès à ces DU aux seuls professionnels de santé, c'est-à-dire aux infirmières, médecins, pharmaciens, voire en allant au-delà avec les préparateurs en pharmacie, kinésithérapeutes, sages-femmes ou chirurgiens-dentistes.

Il apparaît essentiel d'orienter les pratiques vers une décroissance médicamenteuse. Aujourd'hui, entre 10 et 30 000 décès par an, et 10 à 20 % des hospitalisations des personnes de plus de 60 ans, sont liés aux mésusages de médicaments, ce qui pose un problème tant pour les individus que pour la collectivité en termes de coûts.

Dans ce contexte, il est important d'identifier les pratiques liées aux plantes médicinales et de savoir si les usages traditionnels ont ou non un fondement scientifique. Des plantes ont pu être utilisées dans le passé alors même qu'elles étaient toxiques mais autrefois leur usage était peut être différent d'aujourd'hui. En fonction des principes actifs et de l'usage qui est fait, la toxicité peut varier. Des méthodes d'évaluation de la toxicité des plantes devraient être définies au niveau européen, sachant que les frontières sont ténues entre le médicament et les compléments alimentaires.

Une évaluation sanitaire des plantes doit être menée, sans toutefois aller jusqu'à considérer la plante comme un médicament, ce qui induirait des niveaux d'évaluation bien trop élevés, comme on l'a vu lors des débats agricoles sur le purin d'ortie. Il doit y avoir des évaluations adaptées, par des organismes spécifiques centralisateurs, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

La culture des plantes médicinales est certainement à développer sur le territoire métropolitain et outre-mer. La valorisation est importante, par exemple par des fours solaires pour le séchage. Cette filière représente un potentiel de développement agricole important en présentant des cultures alternatives pour nos territoires. Or, aujourd'hui, 80 % des plantes sont importées avec des interrogations fortes sur leur qualité sanitaire. Certaines spirulines bios importées d'Asie sont certes sans traitement mais ont juste été ramassées ; finalement, les produits sont très contaminés. Je crois qu'il y a un gisement en France et outre-mer pour les plantes médicinales.

Concernant les 148 plantes libérées du monopole pharmaceutique, ce dont on aurait besoin sur le plan médical n'est pas de libérer d'autres plantes mais de créer une liste noire des plantes dangereuses. Cette liste de 148 plantes est curieuse. Il y a des plantes qui peuvent être dangereuses et des plantes qui ont des vertus thérapeutiques alors que d'autres ne figurent pas dans la liste. Le problème essentiel c'est le grammage, le dosage, le lieu où elles ont été cultivées puisque l'intensité du principe actif peut varier en fonction du lieu de culture.

Il ne faut pas opposer les plantes et le médicament mais y voir une complémentarité. Sur des troubles mineurs du sommeil ou des dépressions légères, on peut commencer par des plantes. Pour des douleurs rhumatismales, des huiles essentielles peuvent être très utiles et réduire l'usage d'anti-inflammatoires.

Nous, médecins, sommes inquiets face au développement sauvage du marché des plantes, au recours à des conseils inappropriés qui induisent des retards de diagnostic et des drames humains dont nous sommes témoins tous les jours.

Aujourd'hui, l'enjeu est de protéger le consommateur. Celui-ci a une liberté de choix mais il y a une telle foison de propositions, notamment sur Internet, qu'il faut parvenir à encadrer cela. Les naturopathes ne sont plus attaqués pour exercice illégal de la médecine contrairement à ce qu'il se passait il y a quinze ans. Certains sont de qualité mais cela n'enlève rien au coût humain et financier induit par les retards au diagnostic.

Une première piste de réflexion serait de créer sur le modèle de la pharmacovigilance une vigilance sur les effets secondaires que peuvent avoir les plantes, auprès de la Haute Autorité de santé. Depuis 2016, le recueil d'informations, s'agissant des médicaments, est étendu aux associations de patients. Il faudrait créer un dispositif de surveillance plus centralisé et mieux organisé pour ne pas juste faire reposer la santé des consommateurs sur quelques contrôles de la DGCCRF.

La deuxième piste serait le développement de la production des plantes en France, en envisageant un label « Plantes de France ».

Le diplôme d'herboriste devrait plutôt être, selon moi, une spécialité agricole et non une nouvelle profession de santé à laquelle s'opposerait d'ailleurs le ministère. En effet, qui dit profession de santé dit, à terme, remboursements. Cette nouvelle profession de santé créerait également une confusion auprès du consommateur. Nous avons déjà une profession experte en matière de toxicité : ce sont les pharmaciens. En revanche, les agriculteurs cultivant des plantes devraient avoir le droit de les vendre.

Je vous rappelle que si le diplôme d'herboristerie a été supprimé en 1941 c'était pour fusionner les deux professions car le pharmacien devait être un herboriste. Ce n'était pas une volonté de faire disparaître le métier d'herboriste mais plutôt de protéger le consommateur en prévoyant une profession centralisée ayant la double compétence. Finalement les pharmaciens se sont tournés vers le médicament. Ils ont, pour certains, un intérêt moins important qu'auparavant pour les plantes. Il faudrait rétablir cette compétence en les incitant à se former. Il faudrait aussi en parallèle mieux former les médecins. Mais les évolutions en cours dans le monde universitaire démontrent que cela avance !

Il y a matière à approfondir ce sujet. C'est donc une excellente initiative d'avoir ouvert une réflexion par rapport aux plantes médicinales.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Merci de cet exposé. Comment évaluez-vous la sensibilisation du corps médical à l'intérêt de la phytothérapie ?

Vous avez évoqué le métier de paysan-herboriste. Quels devraient être les contours de ce métier et les limites à ses prérogatives ou de leurs prérogatives si on admettait qu'il y ait un autre corps intermédiaire d'herboriste non pharmacien ?

L'ordre des médecins et celui des pharmaciens mettent en avant des risques de perte de chance ou des risques liés aux interactions entre plantes et médicaments qui ne seraient pas maîtrisés par une personne n'ayant pas l'étendue de la formation en santé d'un professionnel médical : comment contrecarrer ce risque ?

Dr Laurent Chevallier . - Peu de médecins sont sensibilisés. Le corps médical est vieillissant et n'a pas envie de se remettre à de nouvelles pratiques. De même, les plantes n'occupent pas une place fondamentale dans l'approche des jeunes générations de praticiens. D'où l'intérêt de ce qui est en train de se mettre en place au niveau des universités sur les thérapeutiques non médicamenteuses.

À titre personnel, je ne crois pas qu'il faille créer un corps intermédiaire d'herboriste, cela va créer de la confusion chez le consommateur. Que cela soit en revanche un diplôme relevant du domaine agricole serait pertinent puisqu'il faut prêter attention à la façon dont on cultive et que les principes actifs sont différents d'un sol à l'autre. Parallèlement, ces agriculteurs pourraient donner des conseils tout comme le maraîcher peut conseiller à un diabétique de prendre certaines variétés de fraises puisqu'il les sait moins sucrées.

Sur la perte de chance, je pense qu'elle est importante. Il existe des interactions entre les plantes et les traitements de chimiothérapie. Cela peut soit augmenter l'efficacité du traitement soit le neutraliser. Dans certains cas, on peut donc utiliser certaines plantes mais pas n'importe lesquelles. C'est une affaire complexe. On constate des résistances à certains traitements que l'on n'explique pas car les patients ne disent pas avoir recours à des plantes à leur cancérologue. C'est pourquoi la création d'un corps intermédiaire ne serait pas judicieuse en termes de protection du consommateur, déjà perdu face à la pluralité des offres de soins.

Comme pour l'homéopathie, tant qu'on la laisse dans les mains du médecin, il n'y a pas de problème puisque le médecin enverra chez les spécialistes les patients atteints des maladies les plus graves.

Si des gens veulent soigner d'autres gens, qu'ils fassent des études appropriées de médecine, de pharmacie, d'infirmières... Je pense qu'il faut élargir la possibilité de donner des conseils aux infirmières et aux kinésithérapeutes en renforçant leur formation.

Mme Élisabeth Lamure . - Merci pour votre présentation qui était très éclairante d'autant que vous êtes à la fois médecin pratiquant et fin connaisseur des plantes. Conseillez-vous, si j'ai bien compris, un éventuel diplôme d'herboriste uniquement dans les cas où il y a eu une formation initiale de base en médecine voire paramédicale ? Pouvez-vous préciser en outre la nature de la liste noire que vous appelez de vos voeux ?

Dr Laurent Chevallier . - Effectivement, il faudrait qu'il y ait une formation initiale de professionnel de santé. Les infirmières connaissent parfaitement leurs limites et savent quand il faut appeler les médecins, comme les sages-femmes.

Les 148 plantes sont en vente libre. Or, tout dépend de la façon dont elles vont être utilisées, d'où elles proviennent et avec quelles quantités. D'autres plantes ne figurent pas sur la liste comme le plantin.

S'agissant du recours aux plantes médicinales, les choses évoluent dans les hôpitaux de façon extrêmement positive. Il y a quinze ans, on me demandait de ne rien en dire. Aujourd'hui, on serait presque à me demander d'ouvrir une consultation spécifique sur les plantes. La frilosité du corps médical s'est amenuisée. C'est pourquoi vous avez un rôle fondamental pour mieux encadrer ce phénomène. Les gens ont besoin de repères.

La liste noire contiendrait des plantes à ne pas utiliser. Il est urgent de la mettre en place, avec le conseil de botanistes ou l'appui d'autres pays européens comme l'Allemagne par exemple. Certaines plantes dangereuses peuvent se retrouver dans des compléments alimentaires, où les contrôles et la surveillance doivent être rapidement renforcés.

M. Daniel Laurent . - Au fil des auditions, nous avançons dans notre réflexion et vos avis différents permettent de nous éclairer sur l'utilisation des plantes médicinales et les garanties que les consommateurs doivent avoir. Vous avez rappelé que 80 % des plantes sont importées, sans totale garantie sur leur qualité. Vous n'avez pas parlé en revanche des laboratoires qui, lorsqu'on les entend, apportent toutes les garanties attendues. Je partage par ailleurs votre analyse sur la nécessité d'encadrer le recours croissant aux plantes médicinales pour donner des garanties aux consommateurs.

Dr Laurent Chevallier . - Il est probable que de prochains scandales sanitaires viennent de ces plantes d'importation. Elles peuvent avoir des résidus de pesticides et, comme on l'a vu, des contaminations possibles. Or les contrôles coûtent très cher. Et les produits ne sont contrôlés que très rarement.

J'attire également votre attention sur les plantes utilisées à des fins alimentaires. Comment se fait-il qu'on puisse vendre aujourd'hui des boissons revendiquant des formules secrètes à base de plantes ? Il peut y avoir des allergisants ou des interactions même à petites doses avec les médicaments.

Quant aux laboratoires, je n'ai pas une grande expérience, ne connaissant que les laboratoires Pierre Fabre qui ont développé une branche plantes médicinales. Ce que j'ai vu, c'est qu'ils traitaient cela comme des médicaments avec beaucoup de rigueur. Pour les autres, je ne peux pas vous répondre. Ce qui est sûr, c'est que les laboratoires sont contrôlés surtout au niveau des papiers et peut être pas suffisamment sur les produits.

Mme Angèle Préville . - Parmi les 80 % de plantes importées, quel pourcentage pourrait être cultivé en France ? Sur la question d'un métier de paysan-herboriste qui pourrait se dessiner, quelle formation devrait-il avoir ? Pourrait-il faire de la vente directe ? Quelles allégations de bien-être pourrait-il faire ? Les effets secondaires des médicaments ont engendré un mouvement de retour en faveur de l'utilisation des plantes. Les médecins et professionnels de santé devraient apporter ces conseils, pour informer des effets possibles des plantes sur les autres traitements, comme les chimiothérapies.

Dr Laurent Chevallier . - Sur les 80 % de plantes, je pense que toutes pourraient être cultivées en France ou outre-mer grâce à notre climat tempéré. Un métier de paysan-herboriste serait une bonne idée sur la base d'un diplôme agricole. En revanche sur les allégations, il faut être plus prudent. Pourquoi ne pas permettre de telles allégations aux musiciens ou aux acteurs qui fournissent aussi du bien-être ?

Mme Angèle Préville . - Même si cela est dans leur formation ?

Dr Laurent Chevallier . - Je pense que ces intermédiaires ajoutent de la complexité. Ils peuvent vendre des plantes comme un maraicher peut vendre des légumes, qui peuvent d'ailleurs avoir des bienfaits eux-mêmes.

Concernant les médecins, le problème est qu'ils n'ont pas été formés à ces thérapies non médicamenteuses ! Les pharmaciens en savent bien plus.

Je réitère enfin que s'agissant des produits à base de plantes, il ne faut pas tomber dans le travers d'évaluations trop complexes que connaît le médicament sans quoi on ne pourra jamais utiliser aucune plante.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Nous avons constaté que les pratiques de ventes de plantes avec allégations sont possibles sur Internet. D'un autre côté, il existe des herboristes professionnels qui sont de vrais professionnels des plantes qui n'ont pas le droit de donner des allégations. Tous ne se réclament pas professionnel de santé mais revendiquent le fait de pouvoir notamment se baser sur les savoirs traditionnels. Ils aspirent à exercer leur métier en lien avec les professions médicales, comme en Belgique ou au Québec où cela fonctionne. Cela fait partie des questionnements que l'on a. Quel est votre avis ?

Dr Laurent Chevallier . - Les gens que vous avez vus, certains que je suis amené à rencontrer, ont une formation scientifique extrêmement faible. L'usage traditionnel ne suffit pas. N'oublions pas que la France est dotée d'un des meilleurs systèmes de santé du monde qui protège le consommateur. Tout le monde est autorisé à soigner à la condition qu'il soit professionnel de santé.

Par rapport à ce que l'on voit sur Internet, il faut comprendre qu'on ne pourra pas être coercitif. D'où l'importance de créer des labels pour obtenir des garanties grâce aux contrôles effectués. L'immense majorité des agriculteurs respectent la réglementation ce qui n'est pas le cas le plus souvent de produits importés. Le consommateur doit avoir des garanties sur les pesticides, les engrais, les cultures pour l'inciter à recourir à des plantes de qualité. Ensuite, demandons à la HAS de créer en son sein un département plantes. Les plantes médicinales doivent avoir un avenir en France, soit au travers d'un diplôme d'herboristerie réservé aux professionnels de santé, soit au travers d'un diplôme de paysan-herboriste les autorisant à vendre quelques plantes en vrac. Après tout, on vend bien du thym dans le commerce. Mais que cela ne soit pas compris comme une profession de santé par les consommateurs. Préservons notre système de soins à mon sens.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Merci docteur pour votre intervention. Nous avons bien entendu votre enthousiasme et l'avenir que cette filière pouvait avoir dans notre pays.

Table ronde autour de représentants de syndicats agricoles : Mme Sophie Fagot et M. Benoît Joulain pour la Confédération paysanne ; M. Soumaila Moeva, administrateur des Jeunes agriculteurs, producteur d'ylang-ylang à Mayotte, accompagné de Mme Mathilde Roby, juriste

Mardi 24 juillet 2018

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Mme Corinne Imbert , présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions, la dernière en plénière, en entendant des représentants des syndicats d'agriculteurs : Mme Sophie Fagot et M. Benoît Joulain pour la Confédération paysanne, tous deux membres de la commission PPAM (plantes à parfum, aromatiques et médicinales) ; M. Soumaila Moeva, administrateur des Jeunes agriculteurs, producteur d'ylang-ylang à Mayotte, accompagné de Mme Mathilde Roby, juriste. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles et la Coordination rurale n'ont pu être représentées mais pourront nous adresser une contribution écrite. Je vous remercie toutes et tous de vous être rendus disponibles pour apporter une contribution à nos travaux.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

M. Benoît Joulain, membre de la Commission PPAM de la Confédération paysanne. - Notre commission existe depuis 2012 et a été créée en réponse aux problèmes que connaissent les producteurs de plantes aromatiques et médicales (PPAM). Elle défend les droits des producteurs dont la plupart travaillent en circuit court ou en vente directe. Elle assiste les petits producteurs lors des contrôles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui se sont intensifiés depuis ces trois dernières années. Elle assure enfin une veille réglementaire pour les plantes aromatiques et médicinales tant la réglementation en est complexe. Notre quotidien est fait de normes ! Comme représentants des territoires, vous connaissez l'importance du maillage des agriculteurs pour le tissu économique et de l'installation de nouveaux producteurs afin d'assurer le renouvellement des générations paysannes.

D'après le dernier recensement général agricole, environ 53 % des producteurs de PPAM détiennent des exploitations de moins de cinq hectares. Alors que le secteur agricole connaît, de manière globale, une décroissance, les surfaces cultivées en plantes aromatiques et médicinales ont connu, quant à elles, une nette augmentation, de 15 %, tandis que les autres surfaces agricoles diminuaient de 2 % entre 2000 et 2010 ; le nombre d'exploitations en PPAM a augmenté de 23 %, contre une baisse de 26 % dans les autres spécialités agricoles. Beaucoup de petits producteurs de PPAM s'installent avec une activité de vente directe. Les producteurs qui s'installent demandent la « dotation jeune agriculteur » (DJA).

Les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) n'ont pas toujours conscience, et connaissance, de la surrèglementation qui s'applique en particulier aux petits producteurs avec une activité de vente directe.

54 % des huiles essentielles sont commercialisées en magasins bio, principalement comme des produits alimentaires ; seules 11 % le sont en officine et 24 % sur internet. Les infusions sont majoritairement vendues en grandes surfaces : 3 300 tonnes y sont ainsi écoulées contre 110 tonnes en pharmacie.

La majorité des produits commercialisés en France sont d'origine internationale. Ils sont achetés sur les marchés de gros et non aux petits producteurs. C'est le cas des herboristeries existantes ou des pharmacies. Cela représente une forte concurrence : à titre d'exemple, le tilleul de Chine est vendu 5 euros le kilogramme contre 100 euros pour le tilleul français ; une plante vendue en Chine ou en Inde de 50 centimes à 2 euros le kilogramme est vendue, lorsqu'elle d'origine française, jusqu'à 200 euros le kilo.

La production des plantes médicinales s'opère dans une insécurité juridique permanente. On ne sait pas ce qu'on a le droit ou pas de vendre. D'ailleurs, une étude réalisée à la demande de FranceAgriMer n'a pas été en mesure de présenter la réglementation de manière exhaustive. En outre, le Livre bleu sur les plantes alimentaires est devenu proprement introuvable !

La production bio en France représente environ 10 % des produits aromatiques ou médicinaux. La réglementation sur l'agriculture biologique ne vaut que pour les produits alimentaires. A contrario, un produit de synthèse n'a pas à être indiqué sur l'étiquetage des produits cosmétiques.

Je rappellerai également que 80 % du thym vendu en France est d'origine polonaise.

La formation des producteurs de plantes est assurée par quatre centres de formation professionnelle agricole en France qui proposent des BPREA (brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole) et tendent désormais à proposer des certificats de spécialisation.

La Confédération paysanne promeut une réglementation par produit grâce à l'octroi d'allégations spécifiques, plutôt qu'une approche par le statut du producteur.

Mme Sophie Fagot, membre de la Commission PPAM de la Confédération paysanne. - Je suis productrice de plantes médicinales dans le Vaucluse. Les petits producteurs, en raison de la taille de leur exploitation, se heurtent à un effet de seuil : jusqu'à 5 hectares, ils sont en mesure de maintenir une grande variété de plantes cultivées, allant de 30 à 50 espèces ; mais cela entraîne un faible volume de produits pour chaque plante, avec des lots de taille insuffisante pour la commercialisation en marchés de gros ou de demi-gros ; ces petits producteurs ont donc recours quasi-systématiquement à la vente directe.

Le temps de travail sur ces petites exploitations est évalué à quelque deux mille heures annuelles. Les productions sont également peu, voire non mécanisées.

La réglementation, à laquelle s'ajoutent des incertitudes fiscales, représente une source de confusion pour les petits producteurs. Cet excès de réglementation cache en fait un déficit de réglementation adapté, prenant en compte notamment le caractère multi-usages de nos produits. Il est cependant possible d'y remédier en s'autorégulant : pour preuve, l'association française des cueilleurs et le syndicat des Simples ont édité des cahiers des charges de bonnes pratiques, dans un objectif de protection du consommateur et de la biodiversité.

Comment clarifier la situation ? Cela reposerait selon nous à la fois sur une logique métier, par le biais de formations diplômantes, et sur une logique produit qui consisterait à définir un statut unique de préparations naturelles traditionnelles, pour les plantes médicinales et les produits alimentaires à base de plantes médicinales. Il y aurait pour les produits issus du travail artisanal une possibilité de reconnaître leurs usages traditionnels, en complément des autres allégations. La tradition donne des indications sur les propriétés des plantes et leurs usages, alors que la science apporte davantage des connaissances actuelles sur les interactions et les restrictions d'usage. Il faudrait en outre accorder aux petits producteurs un taux unique de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 5,5 % puisque leurs productions sont agricoles.

M. Benoît Joulain. - La filière PPAM est organisée depuis l'aval vers l'amont. Cette démarche va à l'encontre des réquisits de la production agricole où les producteurs doivent choisir ce qu'il convient de produire et de mettre sur le marché. Les petits producteurs allant jusqu'à la vente de leurs produits doivent consacrer un surcroît de travail important pour ne pas être dans l'illégalité. Pour les cosmétiques, les démarches administratives sont très lourdes ; les petits producteurs se tournent davantage vers les produits alimentaires, y compris les coopératives comme Biotope des montagnes, à laquelle j'appartiens, surtout que les contrôles de la DGCCRF sont stricts. Une personne a dû se consacrer à temps plein au travail de veille juridique.

M. Soumeila Moeva, administrateur des Jeunes agriculteurs, producteur d'ylang-ylang à Mayotte. - A la suite d'une reconversion professionnelle, j'ai repris l'exploitation de mon grand-père spécialisée dans la production d'huiles essentielles à Mayotte. L'ylang-ylang, production phare à Mayotte, est particulièrement utilisé pour les cosmétiques et la parfumerie de luxe. La production de plantes aromatiques et médicinales rejoint nos traditions locales. Toutefois, nous manquons d'étude scientifique poussée sur les plantes aromatiques et médicinales produites dans les outre-mer.

La production d'ylang-ylang a beaucoup diminué, passant de 26 tonnes en 1993 à moins de 500 kilogrammes aujourd'hui, du fait de la concurrence déloyale des Comores et de Madagascar. Le coût de la main d'oeuvre étant un facteur de renchérissement, il importe d'assurer une rémunération convenable tant aux producteurs qu'à la main d'oeuvre.

Cette filière présente néanmoins de nombreux atouts : si la production agricole est confrontée à de nombreux vols à Mayotte, la production d'ylang-ylang demeure, quant à elle, assez sécurisée. Toute la production est assurée à la main. L'ylang-ylang étant cultivé sur de petites surfaces, la formation et l'installation représentent deux enjeux pour la filière, tant la démarche d'entreprise y est précaire. Il faut accorder aux producteurs les moyens d'être résilients et d'assurer non seulement la production mais aussi la commercialisation de leurs huiles.

Avec des cours mondiaux d'huile essentielle à 100 ou 120 euros le litre, le coût de production à Mayotte est de l'ordre de 180 à 200 euros par litre, ce qui est un véritable frein. Grâce aux aides à la production, on parvient à atteindre un prix convenable. La relance du pôle d'excellence rurale, dont le schéma-type ne correspond pas totalement aux attentes des producteurs, est essentielle à la relance de cette filière porteuse pour l'outre-mer. La population revient de plus en plus aux soins traditionnels et prend conscience que de nombreuses espèces végétales contribuent à la prévention. Il faut également encourager les jeunes à reprendre les exploitations agricoles, dans ce contexte économique incertain.

Mme Mathilde Roby, juriste des Jeunes agriculteurs. - Les installations aidées et les attributions de la dotation jeune agriculteur (DJA), en fonction de la production brute standard (PBS) par exploitation définie par un référentiel régional, ne prennent pas assez en compte la spécificité des plantes aromatiques, médicinales et condimentaires. Celles-ci relèvent d'une même catégorie, et du même seuil de 10 000 euros (montant minimal pour l'attribution de la DJA), alors que les productions, selon la surface, présentent des forts écarts de valeur-ajoutée. Des exploitations ne peuvent donc prétendre à la DJA ; les personnes ne peuvent alors bénéficier de formations et d'aides supplémentaires. En outre, l'assurance récolte ne prend pas en compte les plantes aromatiques. Le statut de producteur-cueilleur devrait selon nous être inscrit au registre des actifs agricoles, en vigueur depuis le 1 er juillet dernier. Notre association soutient enfin les contrats pour paiement des services environnementaux grâce auxquels les exploitations des PPAM, à partir du moment où leur production contribue à la biodiversité, pourraient être davantage valorisées.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Merci de vos interventions. Quel est le revenu moyen des producteurs de PPAM ? Ces productions peuvent-elles constituer une voie de diversification intéressante et une source de revenus complémentaires ? Quelles mesures notamment réglementaires permettraient-elles, selon vous, de faire émerger la filière et ses métiers, notamment celui de paysan-herboriste ? En outre, pouvez-vous nous préciser les motifs de cette occultation du Livre bleu européen ? Vous nous interpellez en tant que parlementaires !

M. Benoît Joulain. - Environ la moitié des agriculteurs ne parviennent pas à dégager plus de 350 euros de revenus mensuels. La concurrence est âpre et les producteurs en vente directe éprouvent de réelles difficultés à vivre de leur métier. Nous gagnons peu rapporté au volume d'heures de travail.

La réglementation doit évoluer : la liste des 148 plantes sorties du monopole pharmaceutique n'est plus adaptée. Puisqu'il s'agit de plantes médicinales issues de la pharmacopée, nous devrions pouvoir dire qu'elles sont médicinales et quelles sont leurs propriétés ! Or, nous devons les vendre sous statut alimentaire. Si le Livre bleu dresse la liste des plantes alimentaires qui transitaient en Union européenne avant 1997, la législation, sur cette base, fait défaut pour autoriser la libre vente de ces plantes alimentaires. Nous préconisons ainsi qu'un texte assure la transcription des préconisations de ce Livre bleu dans notre législation, afin que les producteurs ne soient plus limités par la liste initiale de 148 plantes.

Mme Sylvie Fagot. - Sur les mesures pouvant favoriser les métiers de l'herboristerie, la Confédération paysanne n'est pas en mesure de se prononcer sur les contenus de ces éventuelles formations, mais cherche plutôt à mettre au jour les débouchés supplémentaires que cette profession offrirait aux petits producteurs. Leurs freins sont davantage liés aujourd'hui à la réglementation. Une étude d'impact de la reconnaissance éventuelle d'un statut d'herboriste sur la filière et sur les petits producteurs serait utile. Où se fourniront les herboristeries ? La création de labels spécifiques répondrait certes à la demande en produits locaux de qualité. Néanmoins, ces herboristes pourraient préférer s'approvisionner en plantes sèches auprès de plateformes de négoce international. Notre souci est de protéger les petits producteurs pour éviter de les reléguer au rang de fournisseurs de produits à faible valeur ajoutée auprès des opérateurs. Il faut également conjurer les risques de la monoculture et de dégradation des conditions de travail.

La question de la formation en herboristerie se pose aussi en termes de contrainte de temps, puisqu'au Québec, elle représente quelque 1 500 heures échelonnées sur quatre ans. Certains producteurs ne pourront donc avoir accès à ces formations. Quelles seront les conséquences pour eux ? Une étude d'impact, qui prendrait en compte la situation des petits producteurs, nous permettrait d'anticiper ce type de difficultés.

M. Soumaila Moeva. - Le sentiment général est que le poids des contrôles réglementaires ne permet pas aux jeunes de s'approprier le métier. L'usage de ces plantes est souvent traditionnel et prescrit par des personnes sans formation reconnue. Il faudrait peut-être mettre en place des formations.

Le coût de production est tel que, sans subvention, les exploitations ne peuvent perdurer ! Cependant, certains producteurs mahorais et réunionnais de vétiver, de géranium ou encore d'ylang-ylang, démarchent directement les parfumeurs. C'est une piste sur laquelle nous travaillons pour limiter le nombre d'intermédiaires et améliorer les revenus des producteurs. Les opérateurs peuvent alors constater la réalité du label bio et du commerce équitable. Nous nous diversifions également, en produisant, pour la consommation locale, du curcuma, du corossol ou des clous de girofle. La production de deux hectares d'ylang-ylang correspond à environ 1 600 euros de revenus mensuels pour un couple. La mise à jour de l'usage des plantes médicinales représente un certain enjeu pour encourager les jeunes producteurs à diversifier leur production.

L'agrotourisme, comme je le pratique sur mon exploitation, représente également une source de diversification pour les jeunes agriculteurs.

M. Daniel Laurent . - Le statut de jeune agriculteur risque d'évoluer. La création d'un statut bénéficiant aux nouvelles installations pourrait être intéressante pour certaines filières comme les vôtres. Les marges sont plus importantes pour ceux qui transforment les plantes : c'est un enjeu d'avenir. La structuration de la filière doit aller de pair avec l'augmentation des productions sur notre territoire.

M. Benoît Joulain. - Si nos prix de production sont plus élevés en France, c'est que nos conditions de travail y sont meilleures. En Espagne ou en Pologne, les conditions de travail sont bien plus difficiles. Un grand nombre de producteurs sont dissuadés de s'installer, après leur formation technique et agronomique, en raison de la réglementation de la filière et de l'insécurité juridique qu'elle induit, allant parfois jusqu'à la contrainte pénale en cas d'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie. La DGCCRF entend parfois faire condamner, quasiment pour l'exemple, certains producteurs locaux de plantes aromatiques et médicinales. La clarification de la législation en vigueur revêt ainsi une importance cruciale.

M. Daniel Laurent . - Ceux qui achètent la matière première seront toujours tentés de s'approvisionner à l'étranger, en raison du coût ! Sans rentabilité, il n'y a pas de production possible.

M. Benoît Joulain. - Nous avons une qualité à faire valoir !

Mme Mathilde Roby. - La suppression du crédit d'impôt compétitivité emploi en 2019 et de l'aide à l'emploi aux travailleurs occasionnels par la prochaine loi de finances va induire une hausse des charges. Si la vigne et l'agroalimentaire devraient bénéficier de mesures compensatoires, les producteurs de plantes risquent d'être laissés pour compte.

M. Daniel Laurent . - J'étais intervenu sur ce point lors du débat budgétaire !

Mme Corinne Imbert , présidente. - Certains petits producteurs de PPAM, qui distillent des huiles essentielles et font de la vente directe, ne regrettent pas leur installation. En matière de réglementation, l'essence même des plantes médicinales et leur rapport à la santé, représentent autant de facteurs de complexité. Des petites exploitations, fût-ce même sur des surfaces de moins d'un hectare, peuvent s'avérer de réels succès ! Nous souhaitons la valorisation sur nos territoires d'une production de qualité qui réponde aux attentes du patient-consommateur.

Mme Angèle Préville . - Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par la reconnaissance des préparations naturelles traditionnelles ?

Mme Sophie Fagot. - Cette reconnaissance concernerait l'ensemble des plantes médicinales ou les produits fabriqués à base de ces plantes transformés sur place, comme les huiles essentielles ou les produits cosmétiques ou encore les substances naturelles qui entrent dans les compléments alimentaires, à la condition que leur production soit artisanale.

Cette démarche permettrait ainsi de conférer un statut unifié aux produits multi-usages, qui représentent environ 95 % des productions des petits producteurs. Une telle démarche pourrait s'inspirer de précédents, comme celui des préparations naturelles peu préoccupantes ou du label produit traditionnel garanti défini au niveau européen ou encore de pratiques en vigueur dans d'autres pays comme le Canada.

Benoît Joulain. - Je vous l'accorde : on peut être très heureux comme producteur de plantes aromatiques et médicales ! La plupart du temps, les producteurs en vente directe peuvent produire toute une gamme de produits au terme de processus de fabrication qui sont peu complexes, comme des eaux florales, des macérations solaires ou des baumes. La réglementation, destinée initialement à encadrer des pratiques très techniques, implique de préciser de manière stricte les usages, alimentaire ou cosmétique. Hormis pour les produits alimentaires, il faut demander des autorisations spécifiques ! À l'instar de ce qu'ont obtenu les producteurs de fromages en montagne en matière de réglementation sanitaire, nous souhaitons que nos produits disposent d'un statut unique afin de pouvoir les commercialiser en toute sérénité.

M. Joël Labbé , rapporteur. - Je vous remercie de nous avoir fait part de votre expérience de terrain. Je rejoins votre préoccupation de réaliser une étude d'impact. En outre, les paiements pour service environnementaux, annoncés par le Président de la République à Rungis, illustrent votre participation à la biodiversité et à l'environnement. Enfin, les travailleurs saisonniers de votre secteur d'activités ne doivent pas être oubliés.

Mme Mathilde Roby. - S'agissant des paiements pour services environnementaux, notre demande porte sur les paiements privés et non sur les paiements publics assimilables à des subventions. Nous souhaitons que les producteurs demeurent libres de négocier la part des paiements correspondant à la sauvegarde de la biodiversité ou à la protection des sols.

Mme Corinne Imbert , présidente. - Je vous remercie de votre participation à nos travaux.

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