C. UN RETARD DANGEREUX DANS LA MISE EN PLACE D'UNE VÉRITABLE POLITIQUE PUBLIQUE DE LA NUMÉRISATION DES COMMERÇANTS

L'adaptation de notre économie à ces nouvelles formes du commerce passe nécessairement par une accélération et une intensification de la numérisation des commerçants, aujourd'hui insuffisante.

1. Des PME qui ne perçoivent pas toujours l'intérêt de se numériser...

Les TPE et PME françaises ont pris du retard dans l'intégration des technologies numériques, par rapport à leurs homologues, notamment allemandes. Selon CCI France 115 ( * ) , « beaucoup d'entreprises considèrent encore ces initiatives comme des projets "informatiques", qui ne s'inscrivent pas réellement dans une démarche de transformation numérique. Malgré des impacts organisationnels bien présents, les entreprises expriment peu de besoins en matière d'accompagnement » 116 ( * ) . De ce fait, leur approche de la transition numérique reste modeste : la finalité des projets informatiques rejoint souvent des objectifs de communication et vise l'amélioration des processus internes.

Les freins à l'adoption du numérique ont trait, pour de nombreux métiers, à des aspects culturels et de formation. L'entreprise doit en effet évoluer de plus en plus vite (nouveaux usages, nouvelles techniques, nouveaux clients), ce qui la place en difficulté face à ce besoin continu de transformation.

Selon une étude conduite par Bpifrance en 2017 117 ( * ) , le premier frein cité par les répondants est la complexité du sujet, pour 34 % des entreprises interrogées. Suivent le manque de compétences en interne (32 %), le métier de l'entreprise étant souvent éloigné du numérique et les moyens financiers (28 %). Surtout, « un dirigeant sur cinq considère que le temps de se transformer n'est pas venu. 45 % des dirigeants interrogés n'ont pas de vision de cette transformation de leur entreprise ; 87 % n'en font pas une priorité stratégique. Et ils sont encore 47 % à considérer que l'impact du digital sur leur activité ne sera pas majeur à cinq ans ».

2. ... et qui souffrent de ce fait d'un manque de compétitivité face à leurs concurrentes étrangères

Ainsi qu'un récent rapport 118 ( * ) de la Délégation aux entreprises du Sénat l'a souligné, « 7 consommateurs sur 10 achètent et paient en ligne 119 ( * ) , alors que seule 1 PME sur 8 fait usage de solutions de vente en ligne ». En outre, sur 900 000 commerces, 500 000 n'ont aucune présence sur internet 120 ( * ) , alors que 91 % des TPE allemandes disposent d'un site internet.

Par conséquent, le retard des commerçants en la matière conduit les consommateurs à se tourner vers des PME étrangères, souvent sans le savoir.

Certains facteurs techniques expliquent ce décalage :

• les commerçants physiques sont ainsi souvent dans l'impossibilité d'être à la fois ouverts et disponibles sur internet, pour une réponse immédiate sur les réseaux sociaux par exemple, aux mêmes plages horaires que les pure players ;

• le commerce en ligne implique, pour les TPE comme pour les plus grandes entreprises, de connaître un ensemble d'obligations fiscales nouvelles, comme par exemple l'acquittement de la TVA pour des livraisons hors-UE ;

• il ne suffit pas de disposer d'un site internet : encore faut-il que du trafic soit généré, que le référencement du site soit optimisé, etc .

Pour autant, ce manque de compétitivité reste préjudiciable à la pérennité de ces commerçants et risque en outre de s'accentuer par une sorte d'effet ciseau : l'adoption des usages numériques par le client se fait très rapidement, ce qui nécessite pour la TPE une capacité de veille, de changement perpétuel, d'investissement, d'intégration de nouvelles compétences, que bien souvent elles n'ont pas. L'écart entre les attentes des consommateurs et l'offre proposée se creuse donc, et il leur est de plus en plus difficile de le combler. En outre, leur taille réduite leur interdit souvent de prendre le temps de s'informer et de se former.

Il convient de noter que la transition numérique pose également des difficultés à certaines grandes entreprises. Il ressort en effet des auditions menées par le rapporteur que le secteur de la grande distribution peine à réaliser les investissements numériques nécessaires pour s'adapter aux nouvelles formes du commerce, en raison du faible niveau des marges financières dégagées et de l'ampleur des actions à mener.

3. Les places de marché locales : des réponses bienvenues qui devraient gagner en notoriété

La création de places de marché numériques locales, comme Achatville ou Ma Ville Mon Shopping créée en 2017 par La Poste, répond à un triple constat : les commerçants français manquent de visibilité sur internet ; ils n'ont pas toujours les compétences techniques ou les moyens financiers d'acquérir et de gérer un site internet ; il ne leur est pas forcément toujours utile d'être référencé sur de grandes places de marché internationales, dès lors que la probabilité qu'ils séduisent un consommateur lointain est faible (l'exemple typique étant le boulanger, ou la boutique de souvenirs, ou encore l'indépendant qui vend des produits de marques connues).

En conséquence, ces plateformes permettent l'affichage sur internet du catalogue des produits du commerçant et proposent des services logistiques de livraison, un système de paiement en ligne sécurisé, des formations au numérique, et diverses autres options121 ( * ), sans que le commerçant n'ait à supporter seul l'ensemble des coûts afférents à une gestion autonome d'un site internet (création, maintenance, cybersécurité, etc .). Les habitants (ou touristes) des territoires partenaires peuvent alors sélectionner les produits des commerçants et artisans proches de chez eux.

Ces initiatives apportent aux commerçants une première présence sur internet. À la différence des places de marché internationales, toutefois, ils ne sont visibles qu'auprès de l'internaute proche géographiquement, ce qui peut parfois limiter la possibilité pour un commerçant de vendre au-delà de son environnement proche. Si elles peuvent augmenter le nombre de clients, ces plateformes ne peuvent donc suffire aux commerçants souhaitant élargir leur zone géographique de chalandise122 ( * ). Il est par ailleurs à noter que ces plateformes locales ont, durant les confinements de l'année 2020, proposé une adhésion gratuite à leur site ainsi que des taux de commission en baisse (5,5 % contre 9 % dans le cas de Ma Ville Mon Shopping, par exemple).

Le rapporteur salue les efforts déployés afin de soutenir le commerce de proximité et de lui offrir une plus grande visibilité numérique. Malheureusement, ces initiatives restent encore trop peu connues, tant des commerçants que des consommateurs.


* 115 Contribution écrite de CCI France transmise au groupe de travail.

* 116 Association pour l'emploi des cadres, « La transformation numérique dans les PME », mars 2019.

* 117 Bpifrance Le LAB, « Histoire d'incompréhension : les dirigeants de PME et ETI face au digital », octobre 2017.

* 118 Rapport d'information n° 635 (2018-2019) de Mme Pascale Gruny, fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 4 juillet 2019, « Accompagnement de la transition numérique des PME : comment la France peut-elle rattraper son retard ? ».

* 119 Il convient de noter en particulier qu'en 2015, seuls 56 % des 65-74 ans ont utilisé internet contre 72 % au Royaume-Uni. Ce dernier a mis en place, en 2009, une Digital Inclusion Task Force , dotée d'un budget de 2,5 milliards de livres, dont l'objectif est de familiariser au numérique les 15 % de britanniques exclus socialement et numériquement.

* 120 Audition des représentants du Conseil du commerce de France, 15 janvier 2020.

* 121 Par exemple, la plateforme Achatville propose, selon l'option retenue par le commerçant, d'avoir accès aux avis des internautes, de bénéficier du click&collect , d'une optimisation du référencement, etc .

* 122 Ainsi de l'entreprise « Univers Broderie », à Fécamp, qui réalise plus de 50 % de ses ventes à destination du Japon et des États-Unis, exemple mentionné par la Fevad lors de son audition.

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