LISTE DES PROPOSITIONS

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Proposition
n° 1

Associer davantage les experts psychologues à la réalisation des expertises post-sentencielles

Proposition
n° 2

Mettre en place, au niveau national, une option de psychiatrie ou de psychologie légale intégrée à la maquette du troisième cycle d'études médicales spécialisées en psychiatrie ou du master 2 de psychologie

Proposition
n° 3

Favoriser, à chaque fois qu'un expert récemment diplômé est sollicité par une juridiction, son accompagnement dans la mission d'expertise par un expert plus expérimenté

Proposition
n° 4

Intégrer un professionnel non-expert dans la commission chargée d'émettre un avis sur l'admission d'un candidat à la qualité d'expert

Proposition
n° 5

Prévoir pour tout expert psychiatre ou psychologue inscrit sur les listes agréées une obligation déclarative de ses liens d'intérêts, laquelle pourra être consultée par les conseils des parties au moment de la désignation de l'expert

Proposition
n° 6

Réévaluer la tarification des actes de psychiatrie et de psychologie légale, en prêtant une attention particulière à la modulation de la rémunération en fonction de l'ampleur de l'affaire et de l'investissement requis de l'expert

Proposition
n° 7

Revenir sur le projet de déductibilité directe par le magistrat tarificateur des cotisations salariales sur le tarif net versé à l'expert, cette pratique étant manifestement contraire aux dispositions en vigueur

Proposition
n° 8

Inscrire à l'article R. 227 du code de procédure pénale le principe selon lequel le magistrat ayant engagé des frais d'expertise est chargé de leur taxation, en conservant la voie de recours ouverte au ministère public

Proposition
n° 9

Faciliter pour l'expert les conditions de réalisation de l'expertise lorsque cette dernière se fait en maison d'arrêt, en lui ménageant un accès de droit à la personne et en imposant que la première expertise ait lieu dans un délai maximal de deux mois après l'incarcération

Proposition
n° 10

Préciser le cadre de la transmission du dossier médical à l'expert, en distinguant selon le stade de la procédure : en amont de l'instruction, attribuer à l'expert la qualité de membre de l'équipe de soins et maintenir sa soumission au secret médical ; au cours de l'instruction, expliciter dans le code de procédure pénale la capacité qu'a le juge de mettre le dossier médical à la disposition de l'expert, en sa qualité d'auxiliaire de justice

Proposition
n° 11

Compléter l'article 717-1 du code de procédure pénale en prévoyant que le juge d'application des peines communique systématiquement les résultats des expertises pré-sentencielles et post-sentencielles aux experts chargés de l'examen des détenus ainsi qu'aux conseillers des services pénitentiaires d'insertion et de probation

Proposition
n° 12

Préciser les articles 63-3, 706-88 et 706-88-1 du code de procédure pénale, afin de spécifier que l'examen clinique de garde à vue ne peut se prêter à la réalisation d'expertises psychiatriques ou psychologiques requises par l'enquête ; par ailleurs, prévoir une grille tarifaire spécifique de l'examen clinique de garde à vue

Proposition
n° 13

Mieux encadrer la possibilité pour les parties de solliciter un complément d'expertise pénale ou une contre-expertise pénale au moment de l'ouverture de l'instruction ; prévoir une contre-expertise de droit ouverte à la partie civile dans le cas où l'enquête montrerait des éléments susceptibles d'orienter vers une irresponsabilité pénale ; supprimer la prérogative du président de la chambre d'instruction prévue à l'article 186-1 du code de procédure pénale de ne pas saisir la chambre d'un appel d'une demande de contre-expertise ; maintenir la communication obligatoire du résultat de l'ensemble des expertises à toutes les parties

Proposition
n° 14

Envisager de modifier le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, en prévoyant que l'irresponsabilité pénale ne peut concerner que les personnes atteintes, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique, issu d'un état pathologique ou des effets involontairement subis d'une substance psychoactive

Proposition
n° 15

Préciser l'article 158 du code de procédure pénale en indiquant que, dans le cas où le juge d'instruction sollicite une expertise pour établir le discernement du commettant, cette expertise doit se concentrer sur les seules causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité pénale

Proposition
n° 16

Sensibiliser les magistrats à privilégier l'irresponsabilité pénale lorsque l'expertise pré-sentencielle fait apparaître un trouble ou une maladie mentale avérée ; en conséquence, renforcer les mécanismes de surveillance au sein des établissements de soins psychiatriques pour ces patients

Proposition
n° 17

Expliciter par une circulaire interministérielle le rôle des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) dans la prise en charge prioritaire des détenus atteints de troubles psychiatriques

Proposition
n° 18

Réexaminer la nécessité des expertises obligatoires en matière de dangerosité par la conduite d'un bilan de ces expertises ; dès à présent, clarifier, au sein du code de procédure pénale, la répartition des missions entre l'équipe chargée de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité et l'expert post-sentenciel

Proposition
n° 19

Préparer la réforme de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité du détenu, qui se substituerait à terme à l'expertise post-sentencielle, en intensifiant la formation criminologique des psychologues cliniciens contractuels auprès du centre national d'évaluation et en y assurant la présence de psychiatres

Proposition
n° 20

Repositionner l'intervention du médecin coordonnateur en lui attribuant, à la place de l'expert psychiatre post-sentenciel, la mission d'évaluer l'opportunité thérapeutique d'une injonction de soins et des traitements afférents ; permettre, en réécrivant l'article R. 3711-8 du code de la santé publique, que l'expert pré-sentenciel assume les fonctions de médecin coordonnateur

I. LA PRATIQUE DE L'EXPERTISE : DES CONDITIONS D'EXERCICE DE PLUS EN PLUS CONTRAINTES

A. UNE SOLLICITATION CROISSANTE DE L'EXPERT, FRUIT D'UNE DEMANDE TROP PEU RÉGULÉE

1. Nombre d'experts contre nombre d'expertises : un dangereux effet de ciseaux

Les listes d'experts psychiatres et psychologues

Comme tous les experts judiciaires, les experts psychiatres et psychologues doivent, pour se prévaloir de cette qualité, être inscrits sur une liste établie au niveau national ou pour le ressort d'une cour d'appel. Il s'agit d'une démarche volontaire de leur part, soumise à des conditions définies par la loi et le règlement.

L'article 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires à laquelle renvoie l'article 157 du code de procédure pénale dispose en effet que sont constituées :

1° Une liste nationale des experts judiciaires, dressée par le bureau de la Cour de cassation ;

2° Une liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d'appel.

Ces listes sont établies « pour l'information des juges »  et ils ne sont donc pas tenus de limiter leur choix aux experts inscrits. Cette liberté est cependant conditionnée par le type de contentieux qu'ils ont à juger. En matière civile, l'article 1 er de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires permettait initialement au juge de solliciter la personne de son choix en toute liberté. Sans revenir sur ce principe, la loi du 11 février 2004 5 ( * ) a, dans le cadre de l'unification des listes d'experts civils et pénaux, adopté une formule plus complexe :

« Sous les seules restrictions prévues par la loi ou les règlements, les juges peuvent désigner pour procéder à des constatations, leur fournir une consultation ou réaliser une expertise, une personne figurant sur l'une des listes établies en application de l'article 2. Ils peuvent, le cas échéant, désigner toute autre personne de leur choix . »

Ainsi, en matière civile la liberté persiste mais parait devoir être subsidiaire au choix d'un expert inscrit sur une des listes prévues.

Le recours aux experts est plus contraint en matière pénale. L'article 157 du code de procédure pénale dispose en effet que « les experts sont choisis parmi les personnes physiques ou morales qui figurent sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation ou sur une des listes dressées par les cours d'appel ». Toutefois le même article prévoit qu'« à titre exceptionnel, les juridictions peuvent, par décision motivée, choisir des experts ne figurant sur aucune de ces listes . »

D'après les chiffres communiqués aux rapporteurs par le ministère de la justice, 356 experts psychiatres et 701 experts psychologues sont aujourd'hui inscrits sur les listes des cours d'appel, pour un total de 1 057 experts . Ces données, qui accusent une diminution importante des effectifs 6 ( * ) , posent un constat dont l'ensemble des acteurs auditionnés par vos rapporteurs ont pointé le danger : l'attrition progressive du vivier des professionnels dédiés à l'expertise fait planer sur le bon accomplissement des missions de l'autorité judiciaire une menace dont les experts ont pris la mesure, mais ni eux-mêmes, ni surtout le ministère de la justice, ne paraissent suffisamment mobilisés pour la régler . Ses effets sont en effet masqués pour l'instant par deux phénomènes : le fort investissement de certains experts, capables de répondre aux nombreuses sollicitations dont ils font l'objet, et la possibilité même limitée, de recourir à des experts hors liste.

Le ministère de la justice a par ailleurs fourni les chiffres du volume annuel total d'expertises réalisées , en précisant qu'il n'était pas possible de distinguer entre les expertises pré-sentencielles et les expertises post-sentencielles.

2018

2019

2020

Expertises psychiatriques

48 924

49 034

49 148

Expertises psychologiques

35 192

36 887

38 393

Total

84 116

85 921

87 541

Source : ministère de la justice, d'après le questionnaire des rapporteurs

L'augmentation nette du nombre d'expertises demandées et produites, rapportée à la diminution du nombre d'experts inscrits, illustre l'importante pression que la demande croissante des magistrats fait subir aux auxiliaires médico-psychologiques de la justice pénale et la crainte légitime que l'on peut concevoir pour l'avenir de l'expertise judiciaire .

Cette pression est particulièrement sensible concernant les expertises psychologiques, dont l'augmentation est notable depuis 2018, et qui s'explique, comme l'a indiqué le syndicat national des psychologues (SNP) aux rapporteurs, par leur sollicitation accrue en matière pré-sentencielle.

Par ailleurs, il semble que le degré d'investissement des experts puisse considérablement varier . D'après le syndicat national des experts psychiatres et psychologues (SNEPP), 55 % des expertises sont accomplies par 20 % des experts, chiffre dont les rapporteurs déduisent une très forte concentration du travail d'expertise sur un faible nombre de professionnels.

L'ensemble de ces phénomènes, dénoncés avec force par l'ensemble des professionnels auditionnés comme préjudiciables à l'indispensable qualité de l'expertise en matière pénale , résulte de l'augmentation du nombre d'expertises demandées par les juges qui, dans la conduite de l'instruction, dans la phase du procès ou dans l'application des peines, ont toute latitude dans le nombre d'expertises qu'ils requièrent. Cette demande accrue d'expertise judiciaire, non régulée, résulte de deux phénomènes :

- la technicisation accrue des actions judiciaires , conjuguée à la médiatisation de leur déroulé, oblige les magistrats d'instruction et les juridictions de jugement à s'entourer d'avis de plus en plus nombreux avant le prononcé de la sentence ;

- la volonté d'anticiper au mieux le parcours post-carcéral, l' objectif de réinsertion sociale des anciens détenus et de prévention de la récidive revêtant un enjeu au moins aussi important que l'exécution des peines, contraint les magistrats à solliciter des avis et des compétences extérieurs nombreux.

L'opportunité du recours à l'expertise par le magistrat, dont il revient au législateur de fixer les contours, est une question particulièrement délicate. La complexité croissante des affaires portées devant le juge l'oblige bien souvent à solliciter des compétences spécifiques, qui excèdent les limites de son office, et sont nécessaires au prononcé de sa décision. Les rapporteurs n'en sont pas moins convaincus que l'augmentation continue de la demande d'expertises est en partie le fruit d'un exercice moins serein de la fonction judiciaire par les juges qui détiennent, dans un État de droit, le monopole strict de dire le droit et trancher les différends.

Aussi, l'ensemble des propositions que les rapporteurs exposeront dans la suite de leur rapport a pour ambition de rationaliser le recours à l'expertise, sans remettre en cause le droit fondamental dont dispose tout magistrat de se faire éclairer avant de juger.

Comment la difficulté à trouver des psychiatres susceptibles
de faire les expertises pèse-t-elle sur le travail des magistrats ?

Interrogés par les rapporteurs sur l'impact du manque de psychiatres pour la conduite des missions qui leur sont confiés, les services de la Chancellerie ont transmis l'analyse suivante :

Au stade de l'enquête, la difficulté à trouver des psychiatres susceptibles de procéder à des expertises emporte des conséquences sur l'exercice de l'action publique et le choix des modes de poursuites.

Ainsi, dans le cadre d'une procédure suivie en flagrance, cette carence conduit les magistrats du parquet à :

- prolonger des mesures de garde à vue dans le but de laisser le temps nécessaire à la réalisation de l'examen psychiatrique et à la rédaction du rapport par l'expert, quand bien même il s'agirait du seul acte restant à réaliser ;

- lever des mesures de garde à vue en vue de reprise ultérieure afin de permettre la programmation d'un tel examen, ce alors que la réponse pénale aurait pu être immédiatement rendue ;

- lever des mesures de garde à vue et ordonner des poursuites d'enquête sous la forme de l'enquête préliminaire ;

- passer outre la réalisation d'un examen psychiatrique durant l'enquête lorsque l'ouverture d'une information judiciaire est envisagée, laquelle en permettra la réalisation ;

- reporter la réalisation de l'expertise sur la juridiction dans le cadre d'un supplément d'information ordonné à l'audience, en particulier dans l'hypothèse d'un déferrement, impliquant alors un renvoi de l'affaire avec, le cas échéant, des mesures de sûreté.

Dans le cadre de l'enquête préliminaire, la pénurie d'experts nécessite une grande anticipation et la fixation de rendez-vous à l'avance, ce qui se répercute sur les délais d'enquête.

Par ailleurs, face à des éléments laissant présumer que la personne mise en cause souffre de troubles mentaux ou du comportement ayant entouré le passage à l'acte, et en l'absence d'expert disponible afin de procéder à un examen ou une expertise, les magistrats du parquet, en fonction des faits en cause, s'orienteront parfois vers un classement sans suite pour motif d'« état mental déficient », qui ne suppose pas d'expertise préalable (à la différence du classement pour motif d'irresponsabilité pénale pour trouble psychique).

Au stade de l'instruction, la pénurie d'experts psychiatres impose aux magistrats instructeurs de multiplier les contacts avec les experts en vue de s'assurer que l'un d'eux sera en capacité de réaliser la mesure qu'il projette d'ordonner avant l'établissement de l'ordonnance de commission d'expert. À défaut de cette pratique, le magistrat instructeur peut être amené à modifier son ordonnance de désignation, faute que l'expert initialement désigné soit en mesure de réaliser la mission confiée. Il en résulte un accroissement de la charge de travail du magistrat et du greffe, ainsi qu'un accroissement des délais nécessaires à la réalisation de l'expertise et au dépôt du rapport.

Au stade du jugement, la pénurie d'experts peut conduire les juridictions ayant ordonné une expertise à devoir choisir entre le fait de passer outre l'absence de rapport d'expertise en statuant sans ces éléments d'information (lorsque l'expertise est facultative), ou bien le fait d'ordonner un nouveau renvoi afin d'accorder un délai supplémentaire à l'expert, ou encore de désigner un nouvel expert pour suppléer le premier qui n'a pas été en mesure de mener sa mission dans les délais impartis. Il en résulte un accroissement du délai de jugement de l'affaire.

2. L'expertise présentencielle : une demande spécifique qui peut s'exprimer à toutes les étapes de la procédure pénale

L'expression « expertise présentencielle », terme largement usité par les praticiens sans être reconnu en droit, désigne l'ensemble des expertises médicales ou psychologiques requises par l'autorité judiciaire à divers stades de la procédure précédant le prononcé du jugement .

Selon l'étape à laquelle l'expertise est demandée, l'autorité prescriptrice, le contenu et la destination peuvent considérablement varier. Il peut s'agir d'une expertise demandée au stade de la garde à vue (GAV), au stade de l' instruction ou au cours de la phase de jugement .

• La garde à vue

Aux termes de l'article 62-2 du code de procédure pénale, la garde à vue est une « mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit ». Les pouvoirs d'enquête sont alors exercés par l'officier de police judiciaire (OPJ), sous le contrôle du procureur de la République, seule autorité compétente pour décider de l'ouverture d'une information judiciaire, à l'issue de la mesure.

Les expertises requises au stade de la GAV, quelle que soit l'infraction ayant donné lieu à la mesure, sont régies par les articles 63-3, 706-88 et 706-88-1 du code de procédure pénale. Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur ou par l'OPJ à l'origine de la mesure. Cet examen donne obligatoirement lieu à la production d'un certificat médical versé au dossier. En cas d'une ou de deux prolongations de la GAV au-delà du délai légal de 24 heures, l'examen médical de la personne est alors obligatoirement réalisé et le certificat médical produit doit impérativement se prononcer sur son aptitude au maintien en garde à vue .

Pour ce stade préliminaire de l'enquête, le CPP ne prévoit pas davantage de précision sur les limites de l'examen médical réalisé. En conséquence, et bien que l'ambition de cet examen soit de se borner à la vérification d'un état général de santé compatible avec une privation temporaire de liberté, il est fréquent qu'il soit réalisé par un psychiatre , désigné par le procureur ou l'OPJ à des fins plus précises .

• L'instruction

Obligatoire si l'infraction revêt un caractère criminel, facultative si elle est de nature délictuelle, la saisine du juge d'instruction par le procureur de la République inaugure la phase d'information judiciaire et transfère l'intégralité des pouvoirs d'enquête à l'office du juge. C'est à ce stade que les articles 156 et suivants du code de procédure pénale lui attribuent la possibilité de recourir à l'expertise, aux fins d'information exhaustive de la juridiction de jugement .

Bien qu'il soit le décisionnaire exclusif du recours à l'expertise, le juge d'instruction peut être saisi de multiples demandes en ce sens, émanant du procureur de la République ou de chacune des parties, auxquelles il demeure libre de ne pas faire droit, sous réserve de motiver sa décision.

Contrairement à la garde à vue, le code de procédure pénale définit avec plus de précision la vocation de l'expertise sollicitée au cours de l'instruction . L'article 158 dispose qu'elle ne peut « avoir pour objet que l'examen de questions d'ordre technique » et que sa mission est explicitement précisée dans la décision du juge qui ordonne l'expertise. Toutefois, toujours sur décision du juge d'instruction, le mandat donné à l'expert peut être étoffé de modifications ou de compléments demandés par le procureur de la République ou les différentes parties. Le juge dispose de la faculté de rejeter ces demandes par décision motivée.

Lorsque l'expert désigné par le juge lui transmet ses conclusions, ce dernier, en application du principe du contradictoire , les porte à la connaissance des parties et l' article 167 précise qu'un délai minimal de 15 jours doit leur être fixé afin de leur permettre de formuler une demande « notamment aux fins de complément d'expertise ou de contre-expertise ». Cette demande, à l'instar des précédentes, doit faire l'objet d'une décision motivée si le juge refuse d'y faire droit. L' article 167-1 prévoit toutefois une exception à cette faculté de rejet, lorsque les résultats d'une expertise sont de nature à conduire à la reconnaissance d'une irresponsabilité pénale de la personne mise en examen en raison d'un trouble mental : dans ce cas, la demande de contre-expertise émise par la partie civile, si elle est formulée dans un délai de 15 jours, est de droit .

À ce stade de la procédure d'enquête, le recours à l'expertise demeure par principe à la discrétion du magistrat instructeur , à l'exception toutefois des cas visés à l'article 706-47-1 du code de procédure pénale.

Les cas d'expertise présentencielle obligatoire
prévus par le code de procédure pénale

Aux termes de l'article 706-47-1, les personnes poursuivies pour l'une des infractions suivantes doivent être obligatoirement soumises à une expertise médicale avant tout jugement au fond :

- crime de meurtre ou d'assassinat lorsqu'ils sont commis sur un mineur ou lorsqu'ils sont commis en état de récidive légale ;

- crime de torture ou d'actes de barbarie, ainsi que crime de violence sur un mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;

- crime de viol ;

- délit d'agressions sexuelles ;

- délit et crime de traite des êtres humains à l'égard d'un mineur ;

- délit et crime de proxénétisme à l'égard d'un mineur ;

- délit de recours à la prostitution d'un mineur ;

- délit de corruption de mineur ;

- délit de proposition sexuelle faite par un majeur à un mineur de quinze ans ;

- délit de production ou de consommation de pédopornographie ;

- délit d'incitation d'un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ;

- délit d'atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans.

Habituellement ordonnée par le juge d'instruction au début de l'information judiciaire (ou, plus rarement, par la juridiction de jugement), cette expertise médicale peut également être ordonnée dès le stade de l'enquête (soit dès le placement en garde à vue) par le procureur de la République.

Versée au dossier d'instruction, cette expertise spécifique vise à évaluer l'opportunité d'une injonction de soins , que la juridiction pourra éventuellement ordonner dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire , en complément ou en prolongement de la peine prononcée 7 ( * ) .

Les rapporteurs souhaitent d'emblée signaler le caractère particulier de cette expertise qui, bien qu'intervenant en amont du prononcé de la sentence, se projette au-delà du strict cadre de l'établissement de la responsabilité pénale.

Comme l'a souligné le ministère de la justice aux rapporteurs, les hypothèses de recours obligatoire à l'expertise présentencielle étant en réalité limitées, l'explosion du nombre de demandes est liée à l'augmentation du nombre de poursuites engagées pour certaines des infractions visées (comme les agressions sexuelles) ainsi qu'à la volonté des magistrats instructeurs d'étoffer l'information judiciaire .

• Le jugement

Bien que le code de procédure pénale réserve à la phase de l'instruction l'essentiel des sollicitations d'expertises , le déroulement du procès devant la juridiction de jugement - notamment en matière correctionnelle - peut également s'y prêter.

De façon générale, les experts sollicités au cours de l'instruction peuvent être invités à exposer à l'audience le résultat des opérations auxquelles ils ont procédé . Ils peuvent y être librement interrogés par le président du tribunal, le ministère public et les avocats des parties. Sauf autorisation expresse du président à se retirer, ils sont tenus d'assister aux débats. Par ailleurs, l'article 169 prévoit que, dans le cas où une personne entendue comme témoin à l'audience « contredit les conclusions d'une expertise ou apporte au point de vue technique des indications nouvelles », la juridiction de jugement doit se prononcer par décision motivée sur les suites qui seront données.

En matière criminelle , la phase de jugement étant obligatoirement précédée d'une phase d'information judiciaire, l'article 283 du code de procédure pénale attribue au président de la cour d'assises , dans le cas où l'instruction lui semble incomplète ou si des éléments nouveaux ont été révélés depuis sa clôture , la faculté d'ordonner « tous actes d'information qu'il estime utiles » et donc, le cas échéant, de nouvelles expertises.

En matière correctionnelle 8 ( * ) , l'ouverture d'une information judiciaire n'est pas obligatoire et demeure à la discrétion du procureur de la République, qui conserve l'intégralité des pouvoirs d'enquête. L'enquête peut alors connaître des durées variables, selon que le procureur décide d'une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel ou d'une comparution différée 9 ( * ) . Dans le second cas, le procureur de la République dispose d'un délai supplémentaire (deux mois maximum) pour requérir des actes d'information spécifiques.

C'est cependant essentiellement au stade de la comparution que le tribunal correctionnel doit procéder à l'ensemble des actes qu'il estime nécessaires à la manifestation de la vérité, au rang desquels figurent les expertises. Plusieurs modalités d'intervention de l'expertise sont alors possibles :

- préalablement à l'audience : l'article 388-5 du code de procédure pénale prévoit que, dès réception de la citation à comparaître par les parties, ces dernières peuvent adresser au tribunal, par conclusions écrites, une demande d'ordonner tout acte d'information, dont des expertises. S'il refuse d'ordonner ces actes, le tribunal doit spécialement motiver sa décision. Aux termes de l'article 397-1, le tribunal peut également, de son propre chef et après recueil des observations des parties, constater que « l'affaire ne paraît pas en l'état d'être jugée » et reporter l'audience au-delà d'un délai qui ne peut être inférieur à six semaines (ou à 4 mois si la peine encourue est supérieure à 7 ans d'emprisonnement). Il est alors loisible au prévenu de demander au tribunal d'ordonner tout acte d'information, le tribunal pouvant refuser de faire droit à cette demande par jugement motivé ;

- au cours de l'audience : l'article 434 du code de procédure pénale dispose que « si le tribunal estime qu'une expertise est nécessaire », il y est procédé dans les mêmes conditions que pour la phase d'instruction en matière criminelle, à l'exception notable de la faculté ouverte aux parties civiles et au ministère public de demander une contre-expertise, même dans le cas où l'expertise conclurait à l'irresponsabilité pénale .

Pour résumer, les experts psychiatres et psychologues sont susceptibles d'intervenir à tous les stades de la procédure pénale sans que le législateur ait prévu de gradation ni de critère d'intervention spécifique, ce que les professionnels auditionnés par les rapporteurs ont présenté comme une absence de « régulation » de la demande d'expertises porteuse de dérives. Ces dernières peuvent être liées aux conditions de réalisation qui rendent purement formelles les expertises obligatoires, ou à l'exploitation de certaines « failles » de la procédure pénale .

3. L'expertise post-sentencielle : une exigence légale en expansion

L' expertise post-sentencielle est sollicitée par la juridiction chargée de suivre l'exécution et l'application d'une peine prononcée. Contrairement à l'expertise présentencielle, dont le recours est intrinsèquement lié à la mission originelle de l'autorité judiciaire, l'expertise post-sentencielle est d'émergence plus récente et, sans doute de ce fait, a fait l'objet d'une codification plus précise .

Ce degré accru de précision entraîne une certaine rigidité de son cadre de réalisation, notamment pour la qualité de ses auteurs : l'expertise post-sentencielle est assez largement réservée à des experts psychiatres et les interventions d'experts psychologues sont plus rares.

De façon générale, elle est, à l'instar de l'expertise présentencielle, conçue de façon non-limitative : l'article 712-16 du code de procédure pénale dispose en effet que le juge de l'application des peines (JAP) peut « procéder ou faire procéder, sur l'ensemble du territoire national, à tous examens, auditions, enquêtes, expertises, réquisitions » qu'il estime nécessaires.

Pour autant, plusieurs obligations légales prévoient que l'expertise post-sentencielle intervienne à deux moments cruciaux du parcours d'exécution de la peine : par principe, lorsque le détenu condamné à un suivi socio-judiciaire à l'issue de sa peine dépose une demande d'aménagement de peine et, par exception, lorsque certaines peines touchent à leur fin .

• Les cas d'aménagement de peine

Les mesures d'aménagement de peine, qui ont toutes pour finalité d'alléger la période de détention du condamné au profit de mesures alternatives de surveillance ou de probation, sont décrites aux articles 712-5 à 712-7 du code de procédure pénale et recouvrent un large spectre, allant de la permission de sortir à la libération conditionnelle, en passant par les mesures de détention à domicile sous surveillance électronique.

L'article 712-21 du même code dispose que ces mesures d'aménagement de peine doivent obligatoirement s'accompagner d'une expertise psychiatrique préalable lorsqu'elles visent une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire (SSJ) , et que cette expertise doit être réalisée par deux experts lorsque la personne a été condamnée pour le meurtre, l'assassinat ou le viol d'un mineur de 15 ans.

Le ministère de la justice a indiqué à vos rapporteurs qu'« auparavant, l'article 712-21 du CPP exigeait une expertise à chaque fois que la personne avait été condamnée pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire était encouru », mais qu'en raison de difficultés importantes de mise en oeuvre liées à la pénurie d'experts, le champ de l'obligation avait été circonscrit par la loi du 15 août 2014 10 ( * ) aux seuls cas où le suivi socio-judiciaire a été effectivement prononcé .

Pour autant, ainsi que le détaille une circulaire d'application du 26 septembre 2014, la limitation de l'expertise post-sentencielle obligatoire ne s'est nullement traduite par une baisse de l'incitation à y recourir dans les cas facultatifs, puisque « dans les autres cas, la juridiction de l'application des peines appréciera si une telle mesure est nécessaire. Les parquets devront requérir une telle expertise dès lors que, en dehors des cas légaux obligatoires, elle leur paraît nécessaire sur le fondement de l'article 712-16 du code de procédure pénale . Ce pourra notamment être le cas lorsque la personne a été condamnée à une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, même s'il n'a pas été prononcé, notamment en cas de crime de viol ou de délit d'agression sexuelle » 11 ( * ) .

• Certains cas d'achèvement de la peine pour les détenus particulièrement dangereux

L'expertise post-sentencielle est également requise, « à titre exceptionnel », lorsque des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, à une peine de 15 ans d'emprisonnement ou de réclusion pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, à une peine de 10 ans d'emprisonnement ou de réclusion pour crime, assassinat, torture ou viol, « présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité » 12 ( * ) .

Dans ce cas, et uniquement si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation, l'examen de dangerosité intervient au moins un an avant la date prévue de libération et l'avis de deux experts post-sentenciels est alors recueilli par le juge d'application des peines en vue d'une éventuelle rétention de sûreté .

Fruit d'une exigence législative en croissance - la « loi Guigou » de 1998 13 ( * ) ayant posé le principe de l'expertise obligatoire en cas de suivi socio-judiciaire et la « loi Dati » de 2008 14 ( * ) ayant créé le cadre de la rétention de sûreté - l'expertise post-sentencielle a été décrite aux rapporteurs par le docteur Cyril Manzanera comme ayant conduit à une mobilisation excessive des experts psychiatres , les contraignant à faire passer l'expertise présentencielle « au second plan ».

De nombreux autres experts ont questionné l'utilité de ces sollicitations, non régulées et dans leur majorité jugées nombreuses, redondantes et chronophages . Interrogé à cet égard, le ministère de la justice a répondu à vos rapporteurs que « l'exigence d'expertise [post-sentencielle] est pleinement justifiée, notamment s'agissant des faits les plus graves, afin de prévenir la récidive, qui demeure l'objectif à atteindre » et qu'en conséquence, « en dépit de fondements multiples de recours à l'expertise médicale et compte tenu du fait que de nombreuses mesures sont ordonnées en dehors de toute obligation textuelle », le nombre d'expertises post-sentencielles demandées par les juges d'application des peines ne connaît aucune disproportion .

Ce hiatus important dans l'appréciation de la demande d'expertise ne peut évidemment se satisfaire d'un status quo . Les rapporteurs y voient la preuve de l'urgence du groupe de travail dont ils ont précédemment demandé la création, afin que praticiens et magistrats puissent communément s'entendre sur quelques critères de régulation.

Toutefois, un premier pas pourrait être franchi en déchargeant quelque peu les experts psychiatres de leur monopole imposé par le législateur de l'expertise post-sentencielle, en y associant davantage les experts psychologues .

Proposition n° 1 : associer davantage les experts psychologues à la réalisation des expertises post-sentencielles.


* 5 Loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques

* 6 Le nombre des experts psychiatres était de 800 en 2007, de 537 en 2012 et de 465 en 2014.

* 7 Cf. infra (III. B. 3.)

* 8 La matière correctionnelle se compose des infractions que la loi punit d'une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de 10 ans, ou d'une peine d'amende supérieure à 3 750 euros.

* 9 Issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, la comparution à délai différé permet au procureur de la République, à des fins d'enquête approfondie, de solliciter du juge des libertés et de la détention (JLD) une détention provisoire ne pouvant excéder deux mois d'une personne soupçonnée d'avoir commis un délit, avant qu'elle ne comparaisse devant le tribunal correctionnel. Le JLD peut faire droit à cette demande ou la commuer en contrôle judiciaire ou assignation à domicile.

* 10 Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

* 11 Circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions applicables le 1 er octobre 2014 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

* 12 Article 706-53-13 du code de procédure pénale.

* 13 Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs.

* 14 Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

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