C. D'IMPORTANTES LACUNES DANS LA RÉMUNÉRATION DE L'EXPERT, RÉVÉLÉES PAR UNE DÉPENSE PUBLIQUE FAIBLEMENT PILOTÉE

Le niveau , l' assujettissement au régime général de la sécurité sociale et les délais de versement concentrent à ce jour l'essentiel des critiques des experts judiciaires en matière pénale concernant leur rémunération.

1. Des rémunérations strictement tarifées

Les rémunérations touchées par les experts judiciaires appartiennent à la catégorie des « frais de justice » , soit l'ensemble des dépenses de procédure qui, résultant d'une décision de l'autorité judiciaire, restent à la charge définitive ou provisoire de l'État. Le niveau général des émoluments compris dans les frais de justice s'inscrit dans l' évolution plus globale des crédits budgétaires attribués au ministère de la justice et qui sont chaque année fixés par le Parlement en loi de finances.

Selon l'angle d'observation adopté - celui du ministère ordonnateur ou celui de l'expert rémunéré - le constat est radicalement opposé : bien que les crédits consacrés à la rémunération des experts n'aient jamais été aussi dynamiques (+ 13,2 % depuis 2018) depuis leur intégration au budget de l'État , les experts se plaignent d'une rémunération qui, considérée par rapport au travail qu'ils fournissent, n'a cessé de diminuer.

Le ministère de la justice a communiqué les chiffres de cette dépense aux rapporteurs sur les trois derniers exercices budgétaires.

(en millions d'euros)

2018

2019

2020

Expertises psychiatriques

19,1

20,2

20,3

Expertises psychologiques

11,3

12,9

14,1

Total

30,4

33,1

34,4

Source : ministère de la justice, d'après le questionnaire des rapporteurs

La rémunération d'un expert chargé d'accomplir une mission de psychiatrie ou de psychologie légale est déterminée par l'article R. 117 du code de procédure pénale, dont les modifications sont issues d'un décret du 27 février 2017 23 ( * ) . L'article dispose que la rémunération d'une expertise se fonde sur le tarif conventionnel pratiqué par l'assurance maladie pour le remboursement à l'assuré des frais engagés lors d'une consultation, multiplié par un coefficient déterminé par arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre du budget.

Aux termes de l'article R. 117, cet arrêté doit s'efforcer de ne pas appliquer de grille tarifaire uniforme à l'expertise , en distinguant les rémunérations « selon la nature et l'étendue des actes prescrits », en prévoyant « une ou plusieurs indemnités complémentaires selon le lieu, le jour ou l'heure de réalisation de la mission », enfin en déterminant « les conditions dans lesquelles, à titre exceptionnel et par une décision motivée de l'autorité judiciaire, certains experts, à raison de la complexité, de l'ampleur ou de la durée de la procédure [...] peuvent être rémunérés, dans la limite d'un plafond, sur présentation d'un devis ». Le principe de la rémunération de l'expert est par conséquent celui d' une tarification prédéfinie, le cas échéant modulée , avec un recours, par exception et dans le respect d'un plafond, au règlement d'un devis .

L'arrêté pris le même jour 24 ( * ) codifie dans le code de procédure pénale l' article A. 43-6 , qui fixe les coefficients de ladite grille tarifaire pour les actes de psychiatrie et de psychologie légale.

Tableau des rémunérations tarifaires
des actes de psychiatrie et psychologie légale

Type d'expertise

Contenu de l'expertise

Auteur de l'expertise

Tarif applicable

Psychiatrie légale

Expertise comportant un ou plusieurs examens

Salarié ou COSP

312 euros

Libéral

429 euros

Expertise comportant un ou plusieurs examens et concernant une infraction sexuelle

Salarié ou COSP

331,5 euros

Libéral

448,5 euros

Psychologie légale

Expertise comportant un ou plusieurs examens

Salarié ou COSP

253,5 euros

Libéral

370,5 euros

Expertise médico-psychologique pratiquée par un médecin ayant aussi la qualité de psychologue

Salarié ou COSP

253,5 euros

Libéral

370,5 euros

Source : article A. 43-6 du CPP

Note : les rémunérations indiquées se fondent sur les tarifs conventionnels issus de la convention quinquennale signée en 2016 et organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie. Son échéance initiale du 24 octobre 2021 a été reportée au 31 mars 2023 par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

En application du décret précité, le même arrêté codifie un article A. 43-6-1 , dédié au cas exceptionnel de l'expertise « hors-normes » (EHN) , qui pose une triple limite aux cas de rémunération de l'expert sur présentation de devis :

- elle n'est ouverte qu'aux experts libéraux ;

- la limite de la rémunération est portée à 750 euros hors taxe ;

- la complexité de l'expertise doit être vérifiée par trois critères cumulatifs : un déplacement de plus de 200 kilomètres depuis la résidence de l'expert, une mission comportant des questions inhabituelles nécessitant des recherches spécifiques, enfin la complexité ou le contexte particulier de la procédure.

Le contenu de l'arrêté du 27 février 2017 inspire aux rapporteurs plusieurs remarques, toutes déduites d'un diagnostic unique : les mesures régissant concrètement la rémunération des experts vont à l'encontre des intentions contenues dans le décret qui en définissait les principes .

En premier lieu, la grille de l'article A. 43-6 du CPP, bien que prétendant définir des rémunérations « tarifaires », s'apparente davantage à une grille « forfaitaire » . En effet, il n'est prévu aucune variation dans la rémunération de l'expert psychiatre ou psychologue selon le nombre d'examens requis par l'autorité judiciaire, l'expertise étant alors définie comme la somme de ces examens. Or, de l'avis unanime des personnes auditionnées, le nombre d'examens, qui sont autant d'actes prescrits visés par le décret, peut être un indice assez fiable de la complexité de la mission de l'expert et devrait par conséquent être pris en compte dans la modulation du tarif.

De façon plus générale, l'arrêté ne tient que très partiellement compte des orientations du décret, qui s'était montré attentif à ce que la rémunération de l'expert reflète l'intensité du travail fourni . La seule modulation prévue - limitée aux actes de psychiatrie légale et non étendue à ceux de psychologie légale - qui concerne les expertises requises en cas d'infraction sexuelle, présente un double problème :

- d'une part, retenir le seul critère de la nature de l'infraction ne rend que très imparfaitement compte du travail fourni par l'expert ;

- d'autre part, l'article 706-47-1 du code de procédure pénale ayant prévu l' obligation d'une expertise médicale avant tout jugement au fond en cas d'infraction sexuelle (mais aussi de crime de meurtre commis sur mineur ou en état de récidive légale et de crime de torture ou de violence sur mineur), la réévaluation de l'expertise psychiatrique dans de pareils cas présente un risque inflationniste sans que ce dernier ne se justifie pour autant par l'exigence des travaux conduits.

Pour compléter la description de l'indemnisation de l'expert, l'article R. 112 du code de procédure pénale prévoit le versement d'une indemnité spécifique lorsque, en plus de l'élaboration de leur rapport, la juridiction d'instruction ou de jugement (essentiellement les cours d'assises) souhaite recueillir leur témoignage. Cette indemnité forfaitaire, actuellement de 44,05 euros éventuellement majorés si l'expert justifie d'une perte de revenu consécutive à la déposition, a été fortement décriée par les experts auditionnés comme couvrant très imparfaitement l'effort et l'épreuve subis par l'expert contraint de témoigner. Celui-ci doit en effet se replonger dans un dossier traité il y a parfois plusieurs années et se trouve confronté, lors de l'audience, non plus à la seule question du discernement mais souvent à de nouvelles questions tenant aux motivations et aux conditions de possibilité de l'acte.

En fin de compte, les chiffres retenus pour les tarifs sont unanimement dénoncés par les experts auditionnés comme nettement insuffisants au regard des missions accomplies.

À ce titre, les rapporteurs soulignent qu'il était initialement prévu qu'intervienne à compter du 1 er janvier 2019 une revalorisation des coefficients appliqués aux tarifs conventionnels pour les seuls experts COSP, qui n'aurait cependant pas débouché sur une réévaluation de la rémunération de ces experts mais qui aurait eu pour seule ambition de « tenir compte des charges sociales salariales qui devront à compter de cette date être déduites du revenu brut » 25 ( * ) , afin d'apporter une réponse au problème récurrent des cotisations sociales impayées 26 ( * ) .

Ce point particulier fera l'objet d'un développement spécifique ultérieur. À ce stade, il suffit de signaler que le ministère de la justice, contraint d'abandonner provisoirement l'application de ce précompte des cotisations salariales sur la rémunération en raison de problèmes techniques, a considéré qu'une « évolution du tarif des expertises psychologiques et psychiatriques pour les experts relevant du statut de COSP ne se justifiait plus », ce qui ne laisse pas de surprendre...

Vos rapporteurs ont acquis de toutes ces observations la conviction que les articles A. 43-6 et A. 43-6-1 du CPP devaient être intégralement réécrits .

Dans le contexte précédemment décrit d'une démographie défavorable des experts psychiatres et psychologues, la double question de l' attractivité financière de l'expertise et de l' adéquation de la rémunération à l'investissement personnel de l'expert est absolument centrale. Pour cela, il est indispensable que :

- les tarifs soient définis à raison de chaque examen demandé, et non à raison de l'expertise considérée globalement ;

- les tarifs, qui intègrent depuis le 1 er janvier 2019 le montant des cotisations sociales salariales, soient réévalués en tenant compte de leur montant net ;

- pour moduler la rémunération de l'expert en fonction de la complexité de la mission, les tarifs tiennent compte de critères objectifs autres que la seule nature de l'infraction considérée. Ainsi la compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d'appel (CNEPCA) et l'association nationale des psychiatres experts judiciaires (ANPEJ) suggèrent que soient retenues le niveau de qualification du praticien ainsi que le temps requis pour la réalisation de la mission ;

- enfin, pour le cas des EHN ouvrant droit à une rémunération sur devis, qui sont par définition moins fréquentes, leur recours soit ouvert aux experts COSP et que seules deux des trois conditions prévues par l'article A. 43-6-1 du code de procédure pénale soient réunies.

Proposition n° 6 : réévaluer la tarification des actes de psychiatrie et de psychologie légale, en prêtant une attention particulière à la modulation de la rémunération en fonction de l'ampleur de l'affaire et de l'investissement requis de l'expert.

Afin de contenir l'évolution budgétaire induite par les mesures ci-dessus proposées, il est nécessaire de les accompagner d' une rationalisation du nombre d'expertises demandées , que vos rapporteurs ont déjà appelée de leurs voeux et pour laquelle ils renvoient aux propositions suivantes .

Il est en effet regrettable qu'en raison d'un nombre croissant d'expertises, la variable d'ajustement du budget de l'expertise judiciaire en matière pénale soit le tarif de la mission. La tendance à la forfaitisation remplace la volonté affirmée de prise en compte du travail réellement fourni. Les développements qui suivent (notamment ceux consacrés aux expertises post-sentencielles, dont la demande connaît un mouvement exponentiel) se consacreront plus amplement à cette question.

2. L'assujettissement des experts au régime général de la sécurité sociale : une régularisation tardive par l'État et un problème de lisibilité de la rémunération

Ainsi que l'illustre le tableau précédent, les tarifs versés aux experts diffèrent selon leur statut - COSP ou libéral - lequel détermine l'affiliation du bénéficiaire à un régime de sécurité sociale.

Le principe énoncé au bulletin officiel des finances publiques (Bofip), issu d'une réponse ministérielle à une question posée le sénateur Jean-Pierre Sueur 27 ( * ) , est, en application de l'article L. 640-1 du code de la sécurité sociale (CSS) celui de l' affiliation au régime social des professions libérales . En conséquence, les cotisations et contributions sociales dues par l'expert libéral - d'un niveau approchant 46 % de sa rémunération nette 28 ( * ) - doivent être calculées par lui-même sur les revenus perçus à ce titre au cours de l'année civile précédente, et versées aux Urssaf.

Toutefois, aux termes de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale (CSS), tout médecin ou psychologue exerçant des activités d'expertise, s'il n'est pas affilié à un régime de travailleurs non-salariés , bénéficie automatiquement de la qualité de COSP, qui entraîne l'affiliation obligatoire aux assurances sociales du régime général. C'est concrètement le cas des psychiatres et des psychologues qui exercent leurs fonctions en établissement de santé ou dans une structure qui les salarie. Selon l'article D. 311-3, cette affiliation des experts COSP au régime général suppose une obligation de l'organisme pour le compte duquel est effectuée la mission de verser aux Urssaf les cotisations et contributions sociales - d'un niveau d'environ 56 % de la rémunération nette 29 ( * ) .

La sollicitation d'un expert COSP ou d'un expert libéral change donc fondamentalement le niveau et le cycle de la dépense pour le magistrat tarificateur. Jusqu'au 1 er janvier 2019, une expertise menée par un COSP coûtait au ministère de la justice, en sus du tarif net, l'ensemble des cotisations et contributions sociales afférentes. Le surcoût relativement important représenté par cette charge a historiquement conduit le ministère de la justice à tenter d' inciter les juridictions à recourir à des experts psychiatres et psychologues libéraux .

Cette incitation à « libéraliser » le travail des experts psychiatres et psychologues ne s'est néanmoins pas retrouvée dans le différentiel des tarifs énoncés à l'article A. 43-6 du CPP qui, pour les deux professions, prévoient des rémunérations nettes 30 ( * ) beaucoup plus intéressantes pour les COSP, échouant ainsi à « attirer » les professionnels libéraux vers la pratique de l'expertise.

Aussi, la question du traitement social de la rémunération des experts reste particulièrement délicate et donne lieu depuis 2014 à d' épineux débats opposant le ministère de la justice, organisme débiteur des cotisations pour les COSP, et le ministère de la santé, favorable au maintien d'une affiliation des experts COSP au régime général.

Le problème des cotisations sociales salariales impayées des experts COSP

Les conclusions d'une mission interministérielle rendues en juillet 2014 ont formulé un constat sans appel sur la rémunération des experts COSP employés par le ministère de la justice, qui ne leur appliquait, en contradiction manifeste avec le principe général d'une affiliation des COSP au régime général de sécurité sociale, « aucun assujettissement aux cotisations sociales ».

Comme l'a souligné Virginie Duval dans un entretien de 2016, « la situation s'est aggravée en décembre 2015 quand Christiane Taubira [alors garde des sceaux] a voulu régler la question des COSP pour lesquels on venait de découvrir que les charges n'avaient pas été payées depuis 30 ans. Sur les 48 600 travailleurs concernés, 40 500 relevaient du ministère de la justice, dont les experts psychiatres. Il y avait plusieurs solutions : soit on les rattachait au régime général et c'est donc le contribuable qui payait, soit on décidait d'en faire des travailleurs indépendants assumant leurs propres charges, soit on les laissait choisir, en fonction de leurs autres activités » 31 ( * ) .

Après quelques atermoiements 32 ( * ) , un décret du 2 juin 2016 33 ( * ) a finalement retenu la solution d'une affiliation de l'ensemble des experts psychiatres et psychologues COSP au régime général de sécurité sociale. À compter de cette date, les augmentations de crédits budgétaires consacrés à la couverture des frais de justice doivent essentiellement se lire comme des mesures de compensation destinées à couvrir les cotisations salariales désormais mises à la charge de l'État, calculées à part de la rémunération versée . Les rapporteurs ignorent si ces mesures, d'un montant fixe depuis 2018 de 32,3 millions d'euros 34 ( * ) , assurent la couverture ex ante de tous les droits ouverts, ou seulement la couverture ex post des cotisations effectivement versées par le ministère de la justice aux Urssaf.

Les crédits consacrés à l'augmentation nette des tarifs appliqués aux prestations d'expertise (couvrant l'intégralité des experts judiciaires, au-delà des seuls psychiatres et psychologues) ont pour leur part connu une évolution très modique, voire dégressive : 7,6 millions d'euros au titre de la loi de finances (LF) pour 2017 et 3,8 millions d'euros au titre de la LF pour 2018.

La discussion parlementaire du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019 a failli trancher la question dans un sens favorable au ministère de la justice, en excluant, par un amendement adopté à l'Assemblée nationale 35 ( * ) , les experts judiciaires de la liste des professionnels affiliés au régime général de la sécurité sociale. Le Sénat a toutefois rectifié la mesure en réintroduisant le principe, toujours en vigueur, d'une affiliation obligatoire au régime général en cas de non-affiliation à un régime de travailleurs non-salariés .

C'est donc par un autre moyen que le coût budgétaire endossé par le ministère de la justice au titre de l'affiliation sociale des experts aurait normalement dû être allégé.

À partir du 1 er janvier 2019 , le magistrat tarificateur aurait normalement dû appliquer une déductibilité directe des cotisations sociales salariales du montant versé à l'expert (soit environ 7,5 % de l'assiette) . Ne seraient donc restées à sa charge que les cotisations sociales patronales 36 ( * ) .

Pour l'expert, la rémunération prévue par l'article A. 43-6 du code de procédure pénale serait ainsi passée d'une rémunération nette à une rémunération brute et, comme l'indique explicitement la note interne mentionnée ci-dessus, les augmentations tarifaires pratiquées (la dernière datant du 1 er janvier 2019) auraient été entièrement consacrées à la couverture des cotisations salariales. Pis, ces augmentations n'auraient manifestement pas suffi à compenser pour l'expert la perte nette engendrée par la déductibilité directe de ses cotisations salariales : en effet, les tarifs n'auraient augmenté entre 2017 et 2019 que de 5,45 %, pour une baisse du montant net de 7,5 %. Entre 2017 et 2019, la perte sèche sur la rémunération - phénomène inédit - aurait donc pu être évaluée à près de 2 % .

Outre cet impact dommageable sur la rémunération nette de l'expert COSP, les rapporteurs protestent avec force contre la méthode de la déductibilité directe des cotisations salariales de la rémunération , pour deux raisons principales :

- elle est en contradiction manifeste avec la volonté exprimée par le législateur, au cours de la discussion du PLFSS pour 2019, de maintenir l'affiliation des experts au régime général dans sa version issue du décret de 2016 ;

- elle est également contraire à la lettre de l'article D. 311-2 du CSS, qui dispose que toutes les cotisations (salariales comme patronales) sont calculées « sur les rémunérations versées [...] ou pour chaque acte ou mission ». Il est univoquement indiqué que la rémunération tarifaire doit servir de base au calcul des cotisations sociales , qui ne peuvent donc se déduire de cette dernière.

La pratique de la déductibilité directe des cotisations salariales doit donc être écartée comme contraire au droit en vigueur . En conséquence, les rapporteurs en appellent à un maintien de la pratique actuelle, selon laquelle le tarif énoncé par les articles A. 43-6 et A. 43-6-1 du CPP est un tarif net.

Proposition n° 7 : revenir sur le projet de déductibilité directe par le magistrat tarificateur des cotisations salariales sur le tarif net versé à l'expert, cette pratique étant manifestement contraire aux dispositions en vigueur.

3. Des difficultés de l'expert lors de la liquidation des frais et honoraires

Les développements précédents sur la rémunération de l'expert ont montré que les critères retenus pour définir les tarifs ne prenaient que très imparfaitement en compte la difficulté du cas et le temps consacré à son étude .

Or, comme l'a clairement indiqué le professeur Daniel Zagury, un « dossier peu fourni et un cas clinique simple » peuvent ne donner lieu qu'à « une heure de travail », lorsqu'un « dossier étoffé aux incidences pronostiques majeures » entraîne un investissement pouvant « dépasser largement dix à quinze heures de travail » 37 ( * ) .

Ce problème de l'inadéquation des tarifs au travail réellement fourni peut être parfois doublé d'un problème d'engagement de la parole du magistrat prescripteur de l'expertise . Dans une contribution écrite parvenue aux rapporteurs, le professeur Zagury leur a fait état de deux anecdotes : dans le cadre de l'affaire Troadec d'une part, et dans celui d'une affaire impliquant l'Église de scientologie d'autre part, son expertise comme psychiatre a été sollicitée au cours de l'information judiciaire par le juge d'instruction des tribunaux judiciaires de ces deux ressorts (Nantes et Versailles respectivement), donnant lieu à chaque fois à la production d'un devis personnalisé, validé et signé par le juge d'instruction ainsi que par le vice-procureur de la République . Malgré cette double validation, la tarification du rapport d'expertise a à chaque fois été rapportée par le magistrat taxateur à 312 euros, soit le tarif d'une seule expertise de psychiatrie légale perçue par un praticien COSP.

Dans le cas d'espèce, il ne s'agit pas pour les rapporteurs de dénoncer l'application stricte de l'article A. 43-6 du code de procédure pénale par le magistrat taxateur , c'est-à-dire l'autorité chargée d'apurer les débets de la juridiction, mais de s'étonner qu'un devis validé par l'autorité prescriptrice de l'expertise n'ait pas engagé l'autorité judiciaire à l'égard de l'expert . Cela paraît d'autant plus contestable que, selon une réponse apportée par le ministère de la justice à une question écrite du sénateur Jean Louis Masson, « les experts n'ont pas la possibilité, dans le respect des règles procédurales, de retenir leur rapport tant qu'ils n'ont pas été réglés de leurs frais et honoraires ». Ce n'est donc qu'après avoir fourni leur travail que les experts ont connaissance de leur rémunération, sans que cette dernière ne corresponde obligatoirement au devis produit.

Ce problème est le fruit d'une ambiguïté du circuit de la dépense applicable aux frais de justice , entretenue par les textes en vigueur. En effet, les articles R. 107 et suivants du code de procédure pénale, qui traitent de la négociation des « frais et honoraires » des experts lorsque ces derniers dépassent 460 euros, identifient clairement la juridiction commettante de l'expertise comme décisionnaire concernant la discussion tarifaire avec l'expert . En cas de dépassement du montant de 460 euros, l'expert doit en informer le juge d'instruction, qui en informe lui-même le ministère public, lequel peut saisir, par l'intermédiaire du procureur général, le président de la chambre d'instruction, dont la décision est alors définitive.

Pour autant, l'article R. 227 du même code désigne « le président de chaque juridiction ou le magistrat qu'il délègue » comme magistrat taxateur. Autrement dit, le pouvoir taxateur de la juridiction est exercé - directement ou par délégation - par le président du tribunal judiciaire ou le président de la cour d'appel, qui président les cours auxquelles appartiennent respectivement le juge d'instruction et le président de la chambre d'instruction. Aux yeux des rapporteurs, cette dichotomie entre l'autorité judiciaire chargée de l'engagement de la dépense et celle chargée de sa liquidation peut exposer l'expert à des divergences d'appréciation préjudiciables au moment de la validation de son devis .

Ces dernières sont par ailleurs évitables , en ce que le second alinéa de l'article R. 227 autorise le président du tribunal judiciaire à déléguer au juge d'instruction la taxation des frais qu'il a engagés . Il serait opportun que cette dérogation devienne la règle, afin de fiabiliser la signature du magistrat prescripteur de l'expertise. Le risque d'une dépense budgétaire moins contrôlée qu'entraînerait la validation de devis excessifs, resterait contenu par la possibilité de recours que conserve le ministère public devant la chambre de l'instruction.

En effet, une jurisprudence récente ayant montré que le juge taxateur était parfaitement apte à mettre à la charge de l'État une rémunération de l'expert pénal supérieure au plafond de 750 euros défini pour l'expertise hors-normes 38 ( * ) , les rapporteurs, confiants dans la mesure que sauront montrer les magistrats, se déclarent favorables au principe d'une fixation souveraine 39 ( * ) par le magistrat prescripteur du prix de l'expertise qu'il requiert .

Proposition n° 8 : inscrire à l'article R. 227 du code de procédure pénale le principe selon lequel le magistrat ayant engagé des frais d'expertise est chargé de leur taxation, en conservant la voie de recours ouverte au ministère public.


* 23 Décret n° 2017-248 du 27 février 2017 relatif aux modalités de fixation des tarifs des actes prescrits dans le domaine de la médecine légale, de la psychologie légale, de la toxicologie, de la biologie et de la radiologie et relevant des frais de justice.

* 24 Arrêté du 27 février 2017 pris pour l'application des 2° et 7° de l'article 2 et de l'article 3 du décret n° 2017-248 du 27 février 2017 relatif aux modalités de fixation du tarif des actes prescrits dans le domaine de la médecine légale, de la psychologie légale, de la toxicologie, de la biologie et de la radiologie et relevant des frais de justice.

* 25 Note interne du 28 février 2017 adressée par la direction des services judiciaires aux chefs de cour ainsi qu'aux référents « frais de justice », n° SJ17.69-FIP4.

* 26 Cf. infra .

* 27 Question écrite n° 07671 publiée dans le JO Sénat du 26 février 2009.

* 28 Haut Conseil du financement de la protection sociale, Rapport sur la protection sociale des travailleurs indépendants , septembre 2020.

* 29 Ibid.

* 30 Le montant des tarifs versés aux experts libéraux doit être réduit de 46 % pour atteindre la rémunération nette.

* 31 Gazette du Palais , 14 juin 2016, n° 22.

* 32 À l'issue desquels le Conseil d'État a rappelé la compétence exclusive du législateur pour déterminer les catégories de bénéficiaires du régime général de la sécurité sociale.

* 33 Décret n° 2016-744 du 2 juin 2016 modifiant le décret n° 2015-1869 du 30 décembre 2015 relatif à l'affiliation au régime général de sécurité sociale des personnes participant de façon occasionnelle à des missions de service public.

* 34 Annexe au PLF pour 2020, Bilan des relations financières entre l'État et la sécurité sociale .

* 35 Article 20 ter du PLFSS pour 2019.

* 36 D'après le ministère de la justice, dans les réponses qu'il apporte au questionnaire de vos rapporteurs, « cette solution dite cible, validée lors des réunions interministérielles, nécessitait des évolutions techniques complexes et coûteuses [...] qui n'ont pu émerger en raison de calendriers de déploiement incompatibles ».

* 37 D. ZAGURY, « L'expertise psychiatrique pénale : une honte française », loc. cit .

* 38 Cour d'appel de Riom, 1 er juin 2017, n° 17/00037.

* 39 Ce principe de fixation « souveraine » est énoncé par une décision de la Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2015, n° 14-85.888.

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