B. LES ACTEURS DE LA PRÉVENTION

1. Une multitude d'acteurs

Un très grand nombre d'acteurs publics et privés interviennent dans la prévention des difficultés des entreprises, de manière assez dispersée. À côté des administrations de l'État et des juridictions , il faut mentionner :

- les collectivités territoriales , en particulier les régions , compétentes en matière de développement économique, et qui sont notamment habilitées par la loi à accorder des aides financières aux entreprises en difficulté 26 ( * ) ;

- la Banque de France qui, outre sa mission de cotation des risques, héberge la médiation du crédit, participe aux comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI, voir ci-dessous) et dispose désormais dans chaque département ainsi que dans chaque collectivité d'outre-mer d'un « correspondant TPE-PME » chargé d'accueillir les entrepreneurs, d'élaborer un diagnostic rapide de leur situation et de les orienter vers les interlocuteurs adaptés ;

- les réseaux consulaires - chambres de commerce et d'industrie (CCI), chambres des métiers et de l'artisanat (CMA) et chambres d'agriculture 27 ( * ) - et les ordres professionnels ;

- les organisations patronales et professionnelles ;

- certains organismes de sécurité sociale , en particulier la Mutualité sociale agricole (MSA) qui, à l'intention des exploitants en difficulté, a développé une offre de soutien diversifiée (« Pass'Agri ») combinant des facilités de paiement de cotisations sociales, d'autres aides financières et des prestations de conseil et de formation ;

- les groupements de prévention agréés ;

- les quelques soixante-dix centres d'information sur la prévention (CIP) , associations créées à l'initiative des professionnels du chiffre et du droit, désormais fédérées par un CIP national : les 400 bénévoles des CIP reçoivent les chefs d'entreprise, les informent sur les aides et outils de prévention disponibles et leur apportent un soutien psychologique 28 ( * ) .

De nouvelles initiatives ont été prises au cours de la crise de la covid-19, pour faire face à l'afflux prévisible des demandes. Ainsi, la Banque publique d'investissement , dont le traitement des difficultés des entreprises n'est pas le coeur de métier, mais qui peut néanmoins leur apporter un soutien financier et des conseils, a récemment créé un numéro vert à cet effet.

2. Le rôle des administrations de l'État

Si l'État conserve entre ses mains les principaux leviers de la politique économique, il n'apporte plus guère d'aides individuelles à la création et au développement d'entreprises, qui relèvent désormais de la compétence des régions. En revanche, le suivi et l'accompagnement des entreprises en difficulté relèvent toujours de ses missions. Plusieurs administrations y participent, au niveau central comme au niveau déconcentré.

a) Au niveau central

Si l'on met à part l'élaboration des textes normatifs 29 ( * ) , plusieurs administrations centrales participent au suivi et à l'accompagnement des entreprises en difficulté. Parmi elles, il faut distinguer :

- en premier lieu, les services d'administration centrale , chargés de définir les grandes orientations de la politique gouvernementale et de coordonner l'action des services déconcentrés : la direction générale des entreprises (DGE), qui anime le réseau des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés d'entreprises (CRP), la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), chargée du suivi des plans sociaux, ainsi que la direction générale des finances publiques (DGFiP) ;

- en deuxième lieu, le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) , créé en 1982 et présidé par le ministre chargé de l'économie et des finances, qui pilote les négociations avec les acteurs publics et privés concernés sur la restructuration des entreprises industrielles de plus de 400 salariés ;

- en troisième lieu, un délégué interministériel aux restructurations d'entreprises (DIRE ), institué par un décret du 13 novembre 2017 30 ( * ) et placé auprès des ministres chargés de l'industrie et de l'emploi, qui assume un rôle de coordination de l'ensemble des administrations de l'État impliquées ; en outre, le DIRE (avec ses adjoints et collaborateurs) se charge lui-même de certains dossiers particulièrement complexes qui ne relèvent pas de la compétence du CIRI.

b) Au niveau déconcentré

Au niveau déconcentré, les comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi) , institués par voie de circulaire en 1977, réunissent, sous la présidence du préfet de département, les représentants de toutes les administrations déconcentrées concernées par ces problèmes, à savoir le directeur départemental des finances publiques (vice-président), le commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés d'entreprises (CRP), le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ou le responsable de l'unité territoriale de la Direccte, le directeur de l'URSSAF et celui de la succursale départementale de la Banque de France, ainsi que des observateurs (parmi lesquels le procureur de la République et, quelquefois, le ou les présidents des tribunaux de commerce).

Outre un rôle d'évaluation de la situation économique départementale, les Codefi ont une mission plus opérationnelle de détection et de traitement des difficultés des entreprises. À ce titre, ils sont chargés d'élaborer un diagnostic sur la situation des entreprises identifiées, éventuellement par le biais d'un audit, et d'organiser les négociations entre les parties concernées (associés ou actionnaires, créanciers, clients, fournisseurs...). Ils disposent également de moyens d'intervention, sous la forme notamment de prêts bonifiés financés par le fonds pour le développement économique et social (FDES) 31 ( * ) .

Quant aux commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés d'entreprises (CRP) , qui ont succédé aux commissaires au redressement productif institués en 2012, ils sont plus spécialement chargés du suivi des entreprises en difficulté comptant entre 50 et 400 salariés .

3. Le rôle des juridictions
a) Les prérogatives du président du tribunal

Les présidents de tribunaux judiciaires et de commerce sont également investis par la loi d'un rôle de prévention. Lorsqu'il résulte de tout acte, document ou procédure qu'une entreprise connaît « des difficultés de nature à compromettre la continuité de l'exploitation », ils sont habilités à convoquer ses dirigeants « pour que soient envisagées les mesures propres à redresser la situation ».

À l'issue de cet entretien, ou si les dirigeants n'ont pas déféré à la convocation, le président du tribunal peut exercer d'importants pouvoirs d'enquête : la loi l'autorise en effet à se faire communiquer par les commissaires aux comptes, les membres et représentants du personnel, les administrations publiques, les organismes de sécurité et de prévoyance sociale ainsi que les services de la Banque de France chargés de la centralisation des risques bancaires et des incidents de paiement « des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique et financière », même lorsque ces informations sont couvertes par le secret.

Afin de suivre l'ensemble des entreprises du ressort, le président du tribunal délègue généralement une partie de ses attributions à d'autres magistrats . Au tribunal de commerce de Lille-Métropole, par exemple, une cellule de prévention a été constituée, composée de huit juges consulaires dont l'un est chargé de la détection et les sept autres de recevoir les dirigeants d'entreprise sur convocation. Ces « entretiens de prévention » permettent d'établir un premier diagnostic et d'orienter les dirigeants vers les dispositifs les plus appropriés, notamment les procédures de négociation amiable, voire, lorsque les difficultés sont devenues trop graves, les procédures collectives.

C'est enfin au président du tribunal qu'il appartient, le cas échéant, de désigner un mandataire ad hoc , d'ouvrir une procédure de conciliation et de constater un accord de conciliation . L'homologation d'un tel accord relève, quant à elle, de la compétence du tribunal.

b) Le rôle du greffe

Afin d'identifier les entreprises en difficulté, les présidents des tribunaux de commerce peuvent s'appuyer sur les données détenues et retraitées par les greffes .

Les greffiers des tribunaux de commerce et le groupement d'intérêt public Infogreffe ont développé plusieurs types d'outils à cet effet :

- un « indicateur de performance » qui mesure la probabilité de défaillance des entreprises, sur la base d'un traitement algorithmique de données comptables, mais aussi des informations issues des registres de publicité légale et des registres judiciaires ; cet indicateur est accessible gratuitement et confidentiellement aux dirigeants par le biais du service en ligne Monidenum ;

- des logiciels de prévention qui permettent aux juges d'obtenir une liste d'entreprises susceptibles de rencontrer des difficultés, sur la base de différents critères (structure de bilan, inscriptions de sûretés, procédures en cours...) dont la pondération peut être modifiée ;

- des applications destinées aux entretiens de prévention , grâce auxquelles le juge peut avoir accès à l'ensemble des informations pertinentes relatives à l'entreprise concernée.

c) Un rôle de prévention faiblement assumé par les tribunaux judiciaires, à la différence des tribunaux de commerce

En pratique, selon les informations recueillies par les rapporteurs, les présidents de tribunaux judiciaires exercent très peu ce rôle de prévention : Benjamin Deparis, président du tribunal judiciaire d'Évry, a par exemple fait état en audition de deux enquêtes seulement diligentées en deux ans. Cette situation s'explique par l'engorgement des tribunaux judiciaires et la surcharge de travail des magistrats, mais aussi par le fait que leurs greffes ne disposent ni des mêmes informations 32 ( * ) , ni des mêmes moyens de les exploiter que ceux des tribunaux de commerce. Les conséquences doivent en être tirées, ce à quoi la mission s'est attachée.

d) Les auxiliaires de justice

Les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires , qui exercent des professions réglementées investies de compétences exclusives dans le cadre des procédures collectives, interviennent également en amont de celles-ci, notamment au cours des phases les plus tardives de la prévention. C'est à ces spécialistes de la restructuration d'entreprises que les présidents de juridiction font le plus souvent appel en tant que mandataires de justice, dans le cadre des procédures amiables de mandat ad hoc et de conciliation .

Au cours de la crise de la covid-19, les deux professions ont pris des initiatives afin d'intervenir plus en amont dans l'accompagnement des entreprises en difficulté. Ainsi, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ) a mis en place au mois de mars 2020 un numéro d'appel gratuit afin d'aider les entrepreneurs à faire un diagnostic de leur situation et de les orienter vers les procédures adaptées.


* 26 II de l'article L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales.

* 27 Rappelons que les chambres consulaires, « corps intermédiaires de l'État », sont des établissements publics placés sous la tutelle de l'État et administrés par des dirigeants d'entreprise élus. Elles représentent leurs ressortissants auprès des pouvoirs publics et sont, en outre, investies d'une mission d'appui et de conseil aux entreprises. Les prestations qu'elles délivrent aux entreprises peuvent être gratuites ou payantes.

* 28 Le CIP national participe au dispositif APESA (aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance psychologique aiguë) et prend en charge, à ce titre, les honoraires de psychologue.

* 29 Laquelle relève en partie de la direction des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice.

* 30 Décret n° 2017-1558 du 13 novembre 2017 instituant un délégué interministériel aux restructurations d'entreprises .

* 31 Voir la circulaire du 9 janvier 2015 relative aux modalités d'accueil et de traitement des dossiers des entreprises confrontées à des problèmes de financement .

* 32 Les sociétés d'exercice libéral ainsi que les sociétés coopératives agricoles et leurs unions qui sont tenues de déposer leurs comptes annuels s'acquittent de cette obligation auprès du greffe du tribunal de commerce (qui tient le registre du commerce et des sociétés), et non du tribunal judiciaire. De même, les principaux registres de publicité légale de sûretés mobilières sont tenus par les greffes des tribunaux de commerce, que le constituant ou le créancier nanti aient ou non la qualité de commerçant ou d'artisan.

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