N° 727

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er juillet 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d'activités (1) relatif à la stratégie vaccinale à mettre en oeuvre pour limiter la quatrième vague de la pandémie ,

Par M. Bernard JOMIER,

Sénateur

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Bernard Jomier, président ; MM. Jean-Michel Arnaud, Roger Karoutchi, rapporteurs ; Mme Esther Benbassa, M. Henri Cabanel, Mme Laurence Cohen, MM. Martin Lévrier, Franck Menonville, Mmes Sophie Primas et Sylvie Robert, vice-présidents ; MM. Michel Laugier et Olivier Paccaud, secrétaires ; Mme Catherine Deroche, MM. Fabien Genet, Olivier Henno, Mme Muriel Jourda, MM. Alain Milon, Sebastien Pla et Mme Évelyne Renaud-Garabedian.

I. L'ENJEU VACCINAL AU CoeUR DE L'ENDIGUEMENT DU VIRUS

Avant d'exposer les résultats de l'étude commandée par la mission commune d'information destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d'activités à l'agence nationale de la recherche scientifique (ANRS) Maladies infectieuses émergentes, deux préalables sont nécessaires :

- au fondement de la dynamique vaccinale, se trouve une « stratégie » définie par les autorités publiques visant à identifier les « cibles » successives de la vaccination . Ces cibles obéissent à des choix et à des priorités, largement guidés par des considérations de santé publique émises par des agences sanitaires, mais dont il est essentiel que le débat démocratique puisse pleinement se saisir ;

- après une dynamique intéressante au cours des derniers mois, la diffusion de la couverture vaccinale connaît depuis peu une certaine diminution de son rythme . Persuadé de la sensibilité de cette donnée aux discours publics et aux avis rendus par divers organismes compétents, votre rapporteur a éprouvé l'urgence de faire entendre un autre écho que celui actuel, à son sens excessivement optimiste, qui entoure la levée récente des restrictions sanitaires.

A. LA DÉFINITION DE LA CIBLE VACCINALE : LA PRIORITÉ INITIALE DONNÉE AUX PUBLICS VULNÉRABLES

À l'heure où se sont ouverts les travaux de la mission d'information, le déploiement de la stratégie vaccinale, dans laquelle la grande majorité des acteurs publics ont reconnu l'outil le plus certain de la sortie de crise , en était encore à ses balbutiements.

Par plusieurs travaux - dont certains prémonitoires - le Sénat s'était dès juillet 2019 saisi de la question vaccinale en produisant, dans le cadre de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et de la commission des affaires sociales, plusieurs notes et rapports dont les conclusions ont utilement orienté les décisions publiques en la matière.

Une note scientifique de l'OPECST, présentée par notre collègue Florence Lassarade ainsi que Jean-François Eliaou et Cédric Villani, députés 1 ( * ) , posait en juillet 2019 le constat préoccupant d'une inquiétude marquée de nos concitoyens vis-à-vis de la sécurité des vaccins, aggravée dans les cas où la vaccination s'assortit d'une obligation légale . Comme l'indiquait la directrice de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France devant l'OPECST, à l'occasion d'une table ronde tenue en février 2020, « en 2018, l'étude réalisée pour l'ONG Wellcome dans 144 pays montre que la France est le pays dont la population est la plus défiante vis-à-vis de la vaccination » 2 ( * ) .

Ce constat se doublait d'une observation en termes de stratégie vaccinale , dont la suite des événements devait confirmer le caractère crucial : la définition des publics prioritairement concernés par un vaccin se déduit moins souvent d'une prescription univoque de la communauté scientifique que d'un arbitrage politique en faveur de telle ou telle cible vaccinale , souvent fonction d'une appréciation de son degré d'exposition.

Ainsi, la note souligne que, « dans le cas de la grippe, la France privilégie à la fois une protection individuelle en vaccinant les personnes âgées et atteintes de pathologie chronique, et une protection collective via la vaccination des personnels de santé [alors que] d'autres pays recommandent la vaccination des enfants car ils constituent le principal foyer de transmission de la grippe ». Alors que la stratégie vaccinale française semble privilégier, dans une approche que l'on pourrait qualifier de directe , les publics immédiatement exposés aux risques de la pathologie , d'autres stratégies, adoptant une approche plus indirecte , prétendent assurer une meilleure protection de ces publics en visant les vecteurs de transmission , même lorsque ces derniers ne sont pas les plus à risque.

Parallèlement aux travaux menés par l'OPECST, la commission des affaires sociales du Sénat s'est très tôt saisie de la définition de la stratégie vaccinale, par l'organisation de plusieurs tables rondes à l'issue desquelles se sont progressivement confirmées les intentions du Gouvernement en la matière.

Aussi, au cours d'une audition du 16 décembre 2020 3 ( * ) de la Haute Autorité de santé (HAS) , chargée au titre de sa mission de droit commun d'évaluation des risques des produits de santé de définir la doctrine vaccinale encore en formation , sa présidente Dominique Le Guludec a indiqué que cette dernière devrait tenir compte d'une « priorisation des publics à vacciner dans l'hypothèse d'une restriction de doses ». Appréciant différemment les deux volets de l'efficacité vaccinale - la protection des patients de la maladie et la limitation de la transmission - les recommandations de la HAS ont privilégié la protection contre les formes sévères de la maladie et dégagé deux critères de priorisation vaccinale : la vulnérabilité des personnes, liée à leur âge et à l'association de comorbidités, et le degré de leur exposition dans le cadre de vie. C'est le cumul de ces deux critères qui a conduit à privilégier dès décembre 2020 les personnes âgées hébergées en établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad) .

Cette cible relativement étroite , outre le critère épidémiologique, se justifiait initialement par les deux principales limites alors éprouvées :

- l'interrogation persistante sur les modalités d'approvisionnement, qui faisait encore ignorer le nombre de doses dont la France pourrait disposer dans les prochains mois ;

- l'état des connaissances scientifiques de l'époque, qui ne permettait pas de déterminer avec précision l'efficacité du vaccin contre la transmission du virus et incitait donc à cibler prioritairement les publics vulnérables - et non les publics vecteurs.

Outre les publics vulnérables, il est rapidement apparu essentiel d'associer à la priorité vaccinale les professionnels de santé ainsi que ceux travaillant au sein d'établissements médico-sociaux 4 ( * ) .

La légitimité des critères de ces premières cibles, ainsi que le facteur retenu pour leur élargissement progressif - la vulnérabilité des populations concernées - ne font pas véritablement débat. En revanche, la levée progressive des deux limites initiales (difficultés d'approvisionnement et incertitude scientifique sur l'efficacité du virus en matière de transmission) ne s'est pas traduite par une inflexion particulière de la stratégie vaccinale.

Cette « rigidité » doctrinale a suscité quelques interrogations, dont celles exprimées lors de l'audition le 10 mars 2021 par la commission des affaires sociales du professeur Alain Fischer, président du conseil d'orientation de la stratégie vaccinale 5 ( * ) . Les données hospitalières d'alors montraient en effet que, contrairement à la première et à la deuxième vagues, de plus en plus de personnes de moins de 65 ans, par définition en-dehors de la cible vaccinale, étaient pourtant atteintes de formes sévères de la covid-19 , voire admises en réanimation.

Ce phénomène, lié à l'apparition successive de variants plus contagieux du virus, n'a pas immédiatement donné lieu à une modification majeure de la stratégie, qui est demeurée, tout au long du premier semestre 2021, strictement attachée aux seuls critères de l'âge et de la fragilité du patient .

La France, en la matière, ne s'est pas distinguée de ses voisins européens, qui ont pour la plupart opté pour la priorité donnée à « la protection, d'une part, des personnes les plus fragiles, [et] d'autre part, des personnes à fort risque d'exposition » 6 ( * ) . En revanche, on peut noter une différence assez nette dans le phasage de la stratégie et dans le rythme d'élargissement progressif de la cible : la France - à l'instar de l'Italie, du Royaume-Uni et de la Suède - a engagé une ouverture assez tardive des publics éligibles , à rebours des stratégies adoptées par l'Allemagne, l'Espagne et la Suisse qui ont, dès le second temps de la diffusion vaccinale, ouvert le vaccin en population générale. Aussi, comme le note le rapport précité, « l'âge moyen des personnes vaccinées, selon les données du ministère des solidarités et de la santé, se situe en France aux environs de 72 ans contre respectivement 67, 57 et 53 ans en Allemagne, en Espagne et en Italie ».

Nombre de personnes totalement vaccinées par groupe d'âge en France (juin 2021)

Source : data.gouv.fr, données relatives aux personnes vaccinées contre la covid-19


* 1 Note scientifique de l'OPECST n° 17, La politique vaccinale en France, juillet 2019.

* 2 Rapport n° 344 (2019-2020) sur l'hésitation vaccinale, de Fl. LASSARADE, sénatrice, J.?Fr. ELIAOU et C. VILLANI, députés, au nom de l'OPECST, février 2020.

* 3 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20201214/soci.html#toc2

* 4 À ce titre, on ne peut que s'étonner que les données relatives à la vaccination des professionnels de santé en général ne soient pas disponibles, alors que sont publiées celles relatives à la vaccination des professionnels travaillant en Ehpad et en unité de soins de longue durée (USLD) : ces taux s'élèvent au 11 juin 2021 à près de 70 % (source : data.gouv.fr).

* 5 https://www.senat.fr/rap/r20-722/r20-72213.html#toc427

* 6 Pr. D. PITTET (dir.), Rapport final de la mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques , mars 2021.

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