B. L'ÉVOLUTION DE LA COUVERTURE VACCINALE : L'ATTEINTE INQUIÉTANTE DU « PLAFOND DE VERRE »

Outre la définition de la cible vaccinale, deux principaux facteurs sont susceptibles d'expliquer le rythme de progression de la couverture :

- l' organisation matérielle de la dispensation des doses ;

- l'accompagnement de l' adhésion de la population à la mesure par les pouvoirs publics .

Les différents travaux de la commission des affaires sociales du Sénat ont permis de mettre les quelques difficultés d'approvisionnement éprouvées aux mois de décembre 2020 et janvier 2021 en perspective des efforts engagés, à l'échelle de l'Union européenne, pour garantir une négociation des prix plus favorable aux finances publiques et - surtout - une sécurité sanitaire accrue des doses reçues. Dès les débuts de la campagne vaccinale, la France a donc affiché un rythme de livraison similaire à celui des pays qui lui sont comparables .

Le rapport Pittet souligne par ailleurs que l'écart important constaté entre les pays de l'Union européenne, d'une part, et les États-Unis ou Israël, d'autre part, doit beaucoup au volume des engagements initiaux auprès des laboratoires ainsi qu'à la proportion importante au sein des commandes passées de vaccins à ARN messager, qui n'ont reçu en France d'autorisation de mise sur le marché (AMM) que le 2 février 2021.

S'agissant en revanche de l' administration des doses , il est apparu que la France accusait un léger retard par rapport à ses voisins. Parmi les explications avancées par le rapport Pittet, figure la « priorité effective donnée aux personnes âgées plus difficiles à mobiliser », également preuve d'une rigidité peut-être plus prononcée de la cible vaccinale.

Nombre de doses administrées pour 100 habitants au 28 février 2021

Source : rapport Pittet

C'est cependant dans l' accompagnement des patients vers la vaccination par les pouvoirs publics que se situent les failles les plus importantes.

Dès janvier 2021, la commission des affaires sociales, soucieuse que ne se reproduisent pas les erreurs majeures ayant émaillé la gestion de la crise lors de la première vague, interrogeait explicitement le ministre des solidarités et de la santé sur la place des professionnels de santé libéraux dans la vaccination , en regard des centres de vaccination spécifiquement mis en place. Le ministre avait alors répondu que l'implication de ces derniers serait essentielle, dès l'arrivée de « vaccins plus simples, qui ne sont pas à utiliser dans les quatre ou cinq jours et qui peuvent voyager plus de douze heures sans casser des brins d'ARN » 7 ( * ) . Le professeur Antoine Flahault confirmait en effet, le 13 janvier 2021 devant la même commission 8 ( * ) , que seul le vaccin Pfizer échappait aux capacités d'utilisation des officines de ville ou des cabinets libéraux, qui demeuraient toutefois capables d'administrer les vaccins Moderna ou AstraZeneca.

Il a pourtant fallu attendre le 25 février pour qu'une habilitation des professionnels libéraux à la vaccination en cabinet - d'abord limitée aux seuls vaccins AstraZenaca et Jannsen , puis étendue le 25 mai seulement au vaccin Moderna - soit prévue, sans que cette dernière se traduise par une évolution sensible de la couverture vaccinale . Deux raisons principales expliquent la faiblesse de ce résultat :

- d'une part, plusieurs maladresses de communication vis-à-vis des médecins libéraux lors de leurs premières livraisons du vaccin AstraZeneca : en mars, près de 400 000 doses ont accusé d'importants retards de livraison et n'ont pu être utilisées dans les calendriers préalablement définis par les prescripteurs, refroidissant ainsi leur engagement dans la démarche ;

- d'autre part, et surtout, la vaccination en cabinet a fortement pâti de la crainte qu'a inspirée le vaccin AstraZeneca, alors seulement attributaire d'une AMM conditionnelle, à la suite d' événements graves thromboemboliques et hémorragiques survenus chez des personnes l'ayant reçu en première dose . Entre le 11 mars, date de la suspension temporaire d'utilisation de ce vaccin par plusieurs pays européens dont la France, et le 19 mars, date de la remise d'un avis de la HAS incitant à sa réintroduction pour les seuls publics âgés de plus de 55 ans, s'est durablement installée à l'égard de cette solution vaccinale spécifique une méfiance qui s'est indéniablement traduite par la désertion des cabinets libéraux et le report de la demande sur les autres vaccins.

En outre, loin de tenir compte de la circonspection française à l'égard du déploiement de la solution vaccinale, les pouvoirs publics ont aggravé cette tendance par plusieurs actions de communication inopportunes , sinon malencontreuses. Le rapport Pittet est le premier à relever que « la France, à la différence des autres pays européens, n'a pas mis en place de campagne d'incitation à la vaccination à destination de la population », en raison d'une « très grande prudence des autorités politiques et même scientifiques visant à rassurer la population sur le strict respect du consentement et le rejet de toute forme de pression indirecte ».

Aussi, malgré le niveau globalement satisfaisant de la dynamique vaccinale à compter de fin mars , l'étroitesse de la cible définie et l'absence de politique volontariste menée par le Gouvernement ont abouti depuis début mai à son ralentissement relatif , mesurable à l'écart croissant entre le nombre des personnes ayant reçu une première dose de vaccin et le nombre des personnes bénéficiant d'une couverture vaccinale complète.

Comme le souligne le comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son avis du 9 juin 2021, « l'objectif concernant le nombre de personnes ayant reçu une première injection a été fixé à 35 millions pour la fin du mois de juin, laisse penser que l'immunité collective de la population française, si l'on prend en compte le nombre de personnes adultes ne souhaitant pas se faire vacciner, ne serait pas atteinte à la fin de l'été 2021 » 9 ( * ) .

Source : data.gouv.fr, données relatives aux personnes vaccinées contre la covid-19

C'est dans ce contexte de ralentissement de l'adhésion vaccinale que le Gouvernement a annoncé le 31 mai 2021, à la suite de la délivrance de l'autorisation de l'agence européenne des médicaments (AEM), l'ouverture de la cible aux personnes âgées de plus de 18 ans . Dès 15 juin, la possibilité s'élargissait aux enfants de plus de 12 ans .

Pour bienvenues qu'elles soient, ces extensions ne paraissent pas encore de nature à enrayer la tendance très nette à l'essoufflement de la couverture vaccinale . Aussi, dans la course contre la montre qui s'est soudainement engagée à l'approche de la période estivale et alors que le Gouvernement a décidé la levée de toutes les mesures de restriction sanitaire, le débat sur l' obligation vaccinale , soigneusement évité depuis le début de la campagne, semble de plus en plus inévitable .

Initialement limitée aux seuls professionnels de santé, sans d'ailleurs que la question ait à ce jour été tranchée, l'hypothèse d'une obligation légale de recours à la vaccination en population générale était posée comme fondamentalement contradictoire avec le postulat choisi par le Gouvernement pour fonder sa politique vaccinale : celui du consentement exprès du patient à recevoir le vaccin. À cette opposition entre recueil du consentement et obligation vaccinale s'est juxtaposée une autre opposition, plus spécieuse et d'un maniement malheureusement plus répandu, entre bénéfice individuel et bénéfice collectif de la vaccination .

En effet, les termes de l'avis du CCNE précité suggèrent à la fois que le bénéfice collectif de la vaccination ne peut se concevoir s'il contredit le bénéfice individuel que chacun pourrait en tirer, mais aussi, de manière plus contestable, que le bénéfice individuel de cette vaccination ne se mesure qu'à l'exposition directe du patient à la pathologie .

Fort de ces principes, le CCNE a alerté le Gouvernement sur les risques éthiques qu'il entrevoit à solliciter la contribution d'une population très peu concernée par les effets du virus - les enfants et adolescents âgés de plus de 12 ans - au seul motif que cette dernière aiderait à atteindre le bénéfice collectif. A minima , les implications de cette analyse méritent d'être discutées . En effet, limiter le bénéfice individuel de la vaccination aux seuls risques d'infection directe du patient occulte une dimension pourtant essentielle de la crise sanitaire : la contamination par transmission par un porteur asymptomatique .


* 7 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210111/soc.html#toc2

* 8 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210111/soc.html#toc2

* 9 Avis du CCNE, Enjeux éthiques relatifs à la vaccination contre la covid-19 des enfants et des adolescents, 9 juin 2021.

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