II. LES PROBLÉMATIQUES DE SÉCURITÉ ASSOCIÉES À CERTAINS MINEURS NON ACCOMPAGNÉS : LE CONSTAT D'UNE DÉLINQUANCE ACCRUE

A. LA DÉLINQUANCE ASSOCIÉE AUX « JEUNES EN ERRANCE » : UN PHÉNOMÈNE DE PLUS EN PLUS PRÉOCCUPANT

La délinquance des mineurs non accompagnés a fait l'objet de nombreux travaux et de prises de position des pouvoirs publics au cours des dernières années. Le 5 septembre 2018 était diffusée une note du directeur des affaires criminelles et des grâces « relative à la situation des mineurs non accompagnés faisant l'objet de poursuites pénales ». Cette note commence par le constat suivant :

« L'augmentation du nombre de mineurs non accompagnés (MNA) impliqués dans des affaires pénales et détenus est observée par les DIRPJJ, les DISP et les procureurs de la République qui le rapportent régulièrement à la mission mineurs non accompagnés (MMNA) de la DPJJ. Cette information est également relevée lors des comités de pilotage interrégionaux des lieux de détention pour les mineurs.

« Des similarités dans les profils de ces mineurs sont constatées. Il s'agit principalement de jeunes garçons en errance. La plupart de ces jeunes sont déjà en difficulté dans leur pays d'origine, en rupture avec leur famille. Ils sont exploités par des réseaux pour commettre des vols, impliqués dans le trafic de stupéfiants mais sont également consommateurs de ces produits. Ils sont souvent victimes de traite des êtres humains et parfois repérés à l'occasion de délits de subsistance.

« Ces mineurs se trouvent pour l'essentiel dans les grandes métropoles notamment Paris, Marseille, Montpellier, Lille, Lyon, Nantes et Rennes. Ces jeunes, avec lesquels il est parfois plus complexe de tisser un lien, ne sont ni pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, ni par les conseils départementaux. Certains présentent une santé dégradée par leur vécu et leur parcours, tant sur le plan somatique que psychique . »

Trois ans plus tard, ces constats demeurent d'actualité, les difficultés liées à la délinquance des mineurs constituant même un sujet de préoccupation accru pour les pouvoirs publics, entretenu par le relais donné par la presse à certains faits divers.

Face à cette situation, les rapporteurs ont souhaité entendre les acteurs de terrains et ainsi éviter les rapprochements inexacts entre MNA et délinquance.

1. Les jeunes en errance : un profil distinct des MNA pris en charge par l'ASE

La notion de « jeunes en errance », formule employée par le directeur des affaires criminelles et des grâces, paraît plus adéquate que celle de MNA délinquants.

Une part des mineurs non accompagnés pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance fait l'objet de mesures pénales : 15 % à Paris, entre 5 % et 10 % sur l'ensemble du territoire. Il convient néanmoins de souligner que les problématiques liées à la délinquance des MNA pris en charge par l'ASE sont d'une intensité moindre que dans le cas des jeunes en errance et, comme l'a souligné le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, se rapprochent plutôt de celles des autres mineurs pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance .

Pour faire face à certaines de ces situations, le département de la Gironde a fait le choix de placer hors des centres urbains et donc loin des réseaux de délinquance quelques mineurs exposés à leur influence, avec de bons résultats en termes de sortie de la délinquance et d'insertion. En effet, les conditions de prise en charge des MNA peuvent accentuer leur vulnérabilité et le risque pour eux d'entrer dans la délinquance . L'hébergement en structure hôtelière peut notamment en faire la proie de réseaux criminels et favoriser leur basculement dans la délinquance ( cf. Partie I).

Il ressort, notamment des études commandées par la protection judiciaire de la jeunesse, que les jeunes délinquants en errance présentent un profil sociologique distinct des MNA pris en charge par l'ASE . Les jeunes en errance délinquants sont plus âgés en moyenne que les MNA pris en charge par l'ASE, avec une proportion importante de jeunes en réalité majeurs, et proviennent principalement des pays d'Afrique du Nord alors que la majorité des jeunes pris en charge par l'ASE est issue de l'Afrique sub--saharienne. Surtout, ces jeunes délinquants ne sont le plus souvent pas pris en charge par l'ASE et ne s'inscrivent pas dans un parcours d'insertion.

Cette réalité a été soulignée avec force par Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde, et par la mission MNA relevant de la direction départementale de la sécurité publique de la Gironde . Alors même que la situation en Gironde, et particulièrement à Bordeaux, a fait l'objet d'une attention médiatique et politique soutenue, les forces de police ont indiqué aux rapporteurs qu'il ne se produit aucun cas où une personne se présentant comme mineure est arrêtée puis remise au département car, inconnus de l'ASE, les délinquants refusent par ailleurs toute prise en charge .

Dominique Versini, conseillère de Paris et adjointe à la Maire en charge des droits de l'enfant et de la protection de l'enfance, a fait le même constat de refus de prise en charge par les jeunes en errance du quartier de la Goutte d'Or, souvent arrivés très jeunes, à l'âge de 12 ou 13 ans, mais intégrés à des filières de délinquance locale et victimes d'addictions et d'exploitation.

La population des jeunes en errance se caractérise en effet par sa vulnérabilité marquée. En particulier, ces jeunes présentent fréquemment une addiction à des substances psychotropes illicites ou à des médicaments détournés de leur usage 80 ( * ) . Ces jeunes sont aussi victimes de violence et d'exploitation sexuelle, voire de traite des êtres humains .

Les rapporteurs se sont interrogés sur l'éventuelle emprise de filières criminelles internationales organisées sur les jeunes en errance . À l'issue de l'audition des administrations concernées et des acteurs de terrain, il apparaît que la question des filières criminelles et de traite des êtres humains, dont il est documenté qu'elles ont recours à des mineurs pour commettre des actes de délinquance, constitue un enjeu grave mais distinct de celui de l'arrivée des MNA en France et de la délinquance de jeunes en errance , les jeunes délinquants des filières étant étroitement contrôlés par le réseau international auquel ils appartiennent et rarement privés de tous liens familiaux.

On constate néanmoins la mainmise de délinquants plus expérimentés sur les plus jeunes dès leur arrivée. Ce phénomène est documenté depuis 2016 dans le quartier de la Goutte d'Or à Paris, où un réseau de délinquance locale à la notoriété fantasmée continue, semble-t-il, à attirer les jeunes en errance. Elle a aussi été présentée comme une réalité à Bordeaux, où les jeunes en errance sont repérés et recrutés dès leur arrivée en gare par des délinquants locaux. De ce fait, il apparaît indispensable tant d'éloigner géographiquement les mineurs soumis à une telle emprise que de former les travailleurs sociaux et les éducateurs à ces situations, afin qu'ils puissent les repérer sans délai et y apporter les réponses adéquates.

Recommandation n° 19 : Afin d'éviter l'emprise de réseaux de délinquance sur les mineurs non accompagnés, généraliser les maraudes mixtes entre l'État et les départements pour identifier les MNA afin de faciliter leur orientation vers les services de protection de l'enfance le plus en amont possible.

Recommandation n° 20 : Éloigner géographiquement les mineurs pris en charge afin, le cas échéant, de les libérer de l'emprise de réseaux criminels organisés.

Recommandation n° 21 : Garantir que les travailleurs sociaux et les éducateurs présentent un niveau de qualification minimal et prévoir que leur formation porte aussi sur les réseaux de délinquance ou de traite d'êtres humains.

2. Une augmentation inquiétante des faits de délinquance liés aux jeunes en errance
a) La délinquance liée aux jeunes en errance : des infractions de plus en plus nombreuses, graves et violentes

Les travaux conduits par les rapporteurs ont permis d'aboutir à un constat sans appel : les infractions commises par les jeunes en errance sont de plus en plus nombreuses, graves et violentes.

En premier lieu, la délinquance liée à ce public représente, sur la période récente, une part croissante de la délinquance en général et de la délinquance des mineurs en particulier . S'il n'existe pas de statistiques nationales sur le sujet, les données transmises par la préfecture de police de Paris et par la préfecture des Bouches-du-Rhône sont singulièrement inquiétantes :

- sur le ressort de la préfecture de police de Paris : la part des jeunes en errance sur le total des mis en cause a plus que doublé entre 2016 (3 %) et 2020 (7 %). Sur l'année 2020, des jeunes en errance ont été mis en cause à 9 939 reprises, contre 4 244 en 2016. Si l'on effectue une analyse par catégorie d'infractions, le constat est tout aussi alarmant. Pour cette même année 2020, les jeunes en errance représentaient 40 % des mis en cause pour des faits de vol à la tire et 29 % pour faits de cambriolages (contre 3 % en 2016) ;

- sur le ressort de la préfecture des Bouches-du-Rhône : la part des jeunes en errance sur la totalité des mises en cause a augmenté d'environ trois points sur les deux dernières années pour se porter à 7,1 % . Sur la seule année 2020, pourtant marquée par la crise sanitaire, le nombre de mineurs étrangers mis en cause a progressé de 23,3 %. Ainsi, les services préfectoraux estiment qu'il n'est « pas déraisonnable de penser qu'ils sont à l'origine de près de la moitié des faits relatifs [à la délinquance de voie publique] ».

En second lieu, les infractions commises par les jeunes en errance tendent à être de plus en plus graves et de plus en plus violentes. Cette délinquance est avant tout une délinquance de voie publique, avec une forte prégnance des atteintes aux biens et aux personnes. Selon la direction départementale de la sécurité publique de Gironde, les faits de délinquance imputables aux mineurs étrangers représentaient ainsi en 2019 près de 73 % des infractions de voies publiques.

Sur la période récente, les faits constatés se caractérisent par une intensité croissante. Alors que les principales catégories d'infractions identifiées étaient, par le passé, les vols à la tire, on constate le développement sur la période récente des vols par effraction et, surtout, des vols avec violence . À titre d'illustration, les jeunes en errance représentaient 27 % des mis en cause sur le ressort de la préfecture de police de Paris pour des faits de vol avec violence en 2020 contre seulement 8 % en 2016, soit une multiplication par 3,3 en l'espace de quatre ans. Selon les données transmises par cette institution, le volume de jeunes en errance mis en cause pour des faits violents 81 ( * ) a augmenté de 407 % en cinq ans , en passant de 290 en 2016 à 1 471 en 2020.

La préfecture de police de Paris rapporte également le fait que « ces mineurs occupent indûment les parcs, des véhicules, des domiciles inoccupés, des laveries ou tout établissement ouverts la nuit et entretiennent un sentiment d'insécurité parmi la population des quartiers qu'ils fréquentent ». Dans cet ordre d'idée, Dominique Versini a, au cours de son audition, mis en avant la situation particulière du quartier de la Goutte d'Or dans le XVIII e arrondissement de Paris, où la concentration de MNA marocains s'est traduite par une augmentation significative de la délinquance sur les dernières années.

Cette tendance est accentuée par l'usage de plus en plus régulier d'armes blanches . Ainsi, en 2020, 55 jeunes en errance interpellés sur le ressort de la préfecture des Bouches-du-Rhône étaient par ailleurs porteurs d'armes de cette catégorie.

Statistiques relatives à la délinquance des mineurs étrangers sur le ressort
de la préfecture de police de Paris

2016

2017

2018

2019

2020

VPE

VT

VV

VPE

VT

VV

VPE

VT

VV

VPE

VT

VV

VPE

VT

VV

Mis en cause

3 749

4 474

4 103

4 096

4 799

4 136

4 419

5 257

4 415

4 932

6 609

4 736

6 209

5 249

4 561

Dont mineurs étrangers

140

1 699

319

425

1 836

700

517

2 153

1 069

769

2 925

993

1 784

2 187

1 227

En %

4 %

38 %

8 %

10 %

38 %

17 %

12 %

41 %

24 %

16 %

44 %

21 %

29 %

42 %

27 %

VPE : vol par effraction / VT : vol à la tire / VV : vol avec violence.

Source : Préfecture de police de Paris

La montée en puissance de la délinquance liée aux jeunes en errance est également perceptible dans les chiffres transmis par les services du ministère de la justice. À titre d'exemple, la section compétente du parquet de Paris a traité, pour les trois premiers mois de l'année 2021, un total de 1 870 mesures de garde à vue à l'encontre de tels jeunes, soit une moyenne de 15,6 gardes à vue par jour . Sur les mineurs déférés par le parquet, 85 % l'ont été pour des atteintes aux biens tandis que 7 % des mesures concernaient des atteintes aux biens ou de violence comme circonstance aggravante d'une autre infraction. Si le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris a souligné le fait que seule une minorité de mineurs étrangers très visible semble basculer dans la délinquance, celle-ci tend à prendre une place croissante dans l'activité de ses services et constitue un sujet d'inquiétude majeur.

Il convient de souligner à nouveau que les jeunes en errance auteurs de ces faits délictueux se distinguent des MNA pris en charge par l'ASE. Dans un certain nombre de cas, la minorité même de ces personnes hostile à toute forme de prise en charge est sujette à caution. Pour autant, les rapporteurs entendent insister sur l'augmentation ininterrompue de la délinquance liée aux jeunes en errance sur les cinq dernières années. Il est impératif que la lutte contre ce phénomène soit affirmée comme une priorité par les pouvoirs publics et que l'ensemble des acteurs impliqués bénéficient de moyens à la hauteur des enjeux .

b) Une tendance renforcée par la crise sanitaire

La crise de la covid-19 et les mesures de restriction qui l'ont accompagnée depuis 2020 ont favorisé cette tendance à la commission d'infractions de plus en plus violentes de la part des jeunes en errance. Si la première phase de confinement mise en place entre mars et mai 2020 s'est traduite par une diminution nette des infractions, le parquet de Paris a relevé que, par la suite, l'activité des mineurs étrangers délinquants s'était caractérisée par un durcissement des infractions commises et un recours accru à la violence.

Part de la délinquance des jeunes en errance sur les principales infractions
de voie publique dans le ressort de la préfecture de police de Paris

VPE : vol par effraction / VT : vol à la tire / VV : vol avec violence.

Source : Préfecture de police de Paris

Ce phénomène est une conséquence directe des différentes mesures mises en place pour lutter contre la pandémie. La diminution du nombre de touristes du fait des mesures de restriction aux frontières associée aux obligations de distanciation ont tout d'abord limité les possibilités de vol à la tire pour les jeunes en errance, et ce alors qu'il s'agissait de leur « activité » principale. En conséquence, ces derniers ont eu nouvellement tendance à commettre des infractions à l'encontre de personnes franciliennes et dans des quartiers plus huppés. Surtout, il a été constaté un déport du vol à la tire vers des vols avec violence, là encore aggravé par le port récurrent d'armes blanches.

Ce déport vers d'autres catégories d'infractions a également été relevé dans la région girondine où les faits de cambriolage imputables à des mineurs étrangers ont augmenté de 18,5 % sur l'année 2020 82 ( * ) .

c) Un phénomène qui tend à se propager sur l'ensemble du territoire

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs auprès des services de l'État que la délinquance des jeunes en errance est principalement localisée dans les centres-villes des grandes communes du territoire . Les villes de Paris, Bordeaux et Marseille intra-muros sont ainsi concernées au premier chef par le phénomène. Cette localisation peut même être constatée à l'échelle d'un seul quartier, comme c'est le cas du quartier de la Goutte d'Or dans le XVIII e arrondissement de Paris ( cf. infra ).

Néanmoins, les observations convergent dans le sens d'une propagation de la délinquance liée aux jeunes en errance dans les communes périphériques, voire dans certaines zones rurales . La préfecture de police de Paris relève ainsi que « le phénomène demeure encore majoritairement parisien mais touche de plus en plus les départements de petite couronne, en particulier la Seine-Saint-Denis ». Les données communiquées aux rapporteurs permettent, en effet, d'observer une inflexion très nette de la répartition entre Paris et la petite couronne des faits de délinquance perpétrées par des jeunes en errance d'origine maghrébine. Si 79 % d'entre eux étaient mis en cause à Paris en 2016, cette proportion descend à 57 % pour l'année 2020, contre 43 % pour la banlieue (dont 22 % dans le seul département de la Seine-Saint-Denis). Sur les cinq premiers mois de l'année 2021, cette répartition est désormais à l'équilibre.

Le groupement de gendarmerie départementale de la Gironde arrive à la même conclusion. Dans le département de la Gironde, les jeunes en errances sont, en effet, une population caractérisée par une forte mobilité. Il est établi qu'ils prennent le train dans les centres-villes pour se rendre dans les zones de la gendarmerie nationale afin de commettre des infractions. Ce constat est partagé par les autres services de l'État sur le territoire auditionnés et plaide pour une coopération accrue entre les services de la police et de la gendarmerie nationales, d'une part, et pour le renforcement de la sécurisation dans les transports ferroviaires, d'autre part .

d) Un point de vigilance particulier : la situation à Mayotte

S'agissant de la problématique des MNA et des jeunes en errance, la situation à Mayotte appelle une vigilance particulière. Le nombre de mineurs non accompagnés y est élevé : il est estimé à plus de 4 000 personnes en 2021 . Or, Mayotte est confrontée à un contexte sociodémographique spécifique qui complexifie la prise en charge des mineurs non accompagnés, caractérisé par la conjonction de trois phénomènes.

En premier lieu, le territoire connaît une croissance démographique particulièrement dynamique . Avec 4,68 enfants par femme, le département enregistre le plus fort indice conjoncturel de fécondité de France et avec plus de 9 000 naissances annuelles 83 ( * ) , la maternité de Mamoudzou connaît la plus forte activité d'Europe. Nettement supérieur au nombre annuel de décès, ce nombre important de naissances contribue à la croissance démographique dynamique du territoire : en 2020, 9 180 enfants sont nés à Mayotte selon l'Insee, portant le solde naturel à 8 210.

De cette croissance démographique résulte la jeunesse de la population mahoraise : en 2017, lors du dernier recensement, l'âge moyen des Mahorais était de 23 ans, tandis que la moitié de la population avait moins de 18 ans et que trois Mahorais sur dix avaient moins de 10 ans. La structure démographique propre au territoire soumet donc l'ensemble des services chargés de la prise en charge de ce public, notamment s'agissant des mineurs non accompagnés, à une situation particulièrement difficile .

En deuxième lieu, Mayotte est confrontée à d'importants flux migratoires , principalement 84 ( * ) en provenance de l'Union des Comores 85 ( * ) , que l'État ne parvient qu'imparfaitement à maîtriser. Si l'importance des flux migratoires irréguliers est par nature difficile à quantifier, il a été procédé par l'État à plus de 27 000 éloignements au cours de l'année 2020. Ces flux migratoires mal maîtrisés, qui contribuent au dynamisme démographique que connaît le territoire 86 ( * ) , soumettent l'ensemble des services publics à une forte pression , à plus forte raison ceux ayant pour mission la prise en charge des mineurs non accompagnés.

Enfin, la conception de la parentalité ayant cours à Mayotte peut différer de celle d'autres territoires français. Comme le rappelle le schéma départemental de l'enfance et de la famille élaboré par le conseil départemental de Mayotte 87 ( * ) , « la parentalité dans l'archipel des Comores ne s'exerce pas selon les canons du code civil français 88 ( * ) ». En particulier, « les enfants aux Comores sont très souvent appelés à circuler entre leur foyer maternel et d'autres foyers familiaux apparentés, voire non apparentés s'agissant plus spécifiquement du confiage ou foundi 89 ( * ) de l'école coranique ». Ces spécificités tendent à rendre plus délicat le suivi des mineurs concernés , en complexifiant leur parcours et en multipliant les interlocuteurs chargés de leur prise en charge.

Si les difficultés de prise en charge rendent difficile le décompte exact des mineurs non accompagnés, un rapport de la chambre régionale des comptes de La Réunion et de Mayotte de 2019 estimait à 4 446 le nombre de mineurs non accompagnés sur le territoire mahorais en 2016 90 ( * ) , reprenant à son compte une estimation fournie par l'Observatoire des mineurs isolés. Interrogé en séance publique au Sénat sur le sujet par le sénateur Thani Mohamed Soilihi, Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, estimait à seulement 300 le nombre de mineurs non accompagnés à Mayotte, jugeant que « plus de 4 000 jeunes ne sont pas véritablement isolés, ils ont de la famille sur place » 91 ( * ) .

Mal mesurée, la situation des mineurs non accompagnés à Mayotte conduit donc à une insuffisante prise en charge des publics concernés . Cette prise en charge déficiente nourrit l'insécurité chronique que connaît le territoire . Ainsi, comme le relevait un rapport d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale de janvier 2019, « le niveau de la délinquance générale est élevé, avec près de 9 000 faits enregistrés [en 2018] , la part occultée étant sans doute plus importante encore ici qu'ailleurs (l'absence de “culture du dépôt de plainte” est avérée) » 92 ( * ) . Le même rapport relevait que les faits de délinquance en cause concernent plus souvent des mineurs que dans l'Hexagone : « la mise en cause des mineurs - des garçons à 96 %, ¼ ayant moins de 16 ans et près de la moitié entre 16 et 17 ans - dans les actes de délinquance est bien supérieure à ce que l'on constate sur le reste du territoire, et en augmentation continue depuis plus de six ans ».

Or, dans la formulation de leurs revendications relatives à l'insécurité, les Mahorais estiment généralement que les faits de délinquance, notamment avec violences, à Mayotte ne sont pas pas sans lien avec l'importante immigration irrégulière que connaît le territoire, perçue comme un élément de contexte propice à l'éruption de violences. Dans un territoire où « les violences intercommunautaires à l'égard des étrangers en situation irrégulière ont pris une nouvelle ampleur » 93 ( * ) et où la délinquance est plus qu'ailleurs le fait de mineurs, la présence d'un nombre important de mineurs non accompagnés demeure perçue par les Mahorais comme concourant à leur insécurité .


* 80 Rivotril et Lyrica sont les deux médicaments le plus souvent cités.

* 81 Comprenant les homicides, vols violents et avec arme, violences non-crapuleuses dont séquestration, viols et agressions sexuelles.

* 82 Chiffres communiqués par la direction départementale de la sécurité publique de Gironde.

* 83 Depuis 2015, le nombre annuel de naissances d'enfants de mères domiciliées à Mayotte a systématiquement été supérieur à 9 000 : 9 000 en 2015, 9 500 en 2016, 9 760 en 2017, 9 590 en 2018 et, 9 770 en 2019. Les statistiques sur les naissances et décès à Mayotte produites par l'Insee jusqu'à 2019 sont accessibles à l'adresse suivante : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4645183 .

* 84 Il est généralement estimé que l'immigration en provenance des Comores représente 95 % des flux.

* 85 En particulier de l'île d'Anjouan.

* 86 Les flux migratoires irréguliers contribuent d'autant plus à l'accroissement de la population vivant à Mayotte que le taux de fécondité des femmes comoriennes, d'environ 6 enfants par femme, est supérieur à celui des femmes natives de Mayotte, d'environ 3,5 enfants par femme.

* 87 Schéma départemental de l'enfance et de la famille (2017-2021), élaboré par le conseil départemental de Mayotte, accessible à l'adresse suivante : https://www.cg976.fr/actualite/544/schema-departemental-de-lenfance-et-de-la-famille-sdef-2017-2021 .

* 88 Comme le rappelait le même schéma, « 30 % des familles sont monoparentales, avec 9 fois sur 10 une femme à leur tête. L'éducation des enfants est d'abord la responsabilité de leur mère, mais aussi des oncles et tantes maternelles, et plus largement de la famille maternelle, avant même qu'intervienne le père. L'oncle maternel est une figure éducative plus fréquente que le père. »

* 89 « Maître » ou « enseignant » en langue régionale.

* 90 Chambre régionale des comptes de la Réunion et de Mayotte, Département de Mayotte, Aide sociale à l'enfance , rapport d'observations définitives , 15 février 2019.

* 91 Compte rendu intégral des débats, séance du 9 février 2021, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/cra/s20210209/s20210209_5.html .

* 92 Rapport d'information en conclusion d'une mission effectuée à Mayotte du 24 au 28 septembre 2018, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale par Yaël Braun-Pivet, Philippe Gosselin et Stéphane Mazars, accessible à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b1592_rapport-information#_Toc256000006 .

* 93 Voir le rapport d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale précité, qui précise notamment que « Mayotte a connu, au printemps 2016 et au printemps 2018, des phénomènes de destructions d'habitations et d'expulsions massives de groupes de personnes d'origine comorienne quelle que soit leur situation administrative ».

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