III. L'ACCOMPAGNEMENT DE LA SORTIE DE LA MINORITÉ DES MINEURS NON ACCOMPAGNÉS ET DE LEUR ACCÈS À L'AUTONOMIE : UN INVESTISSEMENT HUMAIN À VALORISER

A. DES JEUNES À L'AVENIR MAL ASSURÉ

À l'issue d'une prise en charge par l'ASE jusqu'à leurs 18 ans, l'arrivée dans la majorité constitue une période d'incertitudes pour les MNA, voire de rupture et de précarité. La prise en charge en protection de l'enfance ne prépare pas suffisamment à l'autonomie des jeunes MNA.

1. En matière de scolarisation des MNA, les situations sont hétérogènes

La scolarité obligatoire des mineurs âgés de moins de 16 ans , prévue à l'article L. 131-1 du code de l'éducation, bénéficie aux MNA comme à tout enfant. Cependant, la grande majorité des MNA sont âgés de plus de 16 ans dès le début de leur prise en charge par les services de l'ASE 99 ( * ) . Il n'en demeure pas moins qu'une obligation de veiller à ce que la scolarisation de ces MNA puisse être assurée, s'ils le souhaitent, incombe aux services de l'État 100 ( * ) . En effet, l'article L. 122-2 du code de l'éducation, aux termes duquel « tout élève qui, à l'issue de la scolarité obligatoire, n'a pas atteint un niveau de formation reconnu doit pouvoir poursuivre des études afin d'atteindre un tel niveau. (...) Tout mineur non émancipé dispose du droit de poursuivre sa scolarité au-delà de l'âge de seize ans » s'applique bien à la situation des MNA de plus de 16 ans. Le droit à l'éducation est garanti à chacun 101 ( * ) .

Pour ces jeunes sur le point de devenir majeurs, l'accès à l'école s'avère un facteur déterminant de leur insertion sociale et de leur autonomie. Les rapporteurs ont toutefois noté de leurs auditions une grande disparité de situations selon les départements et les jeunes quant à la scolarisation effective des MNA .

a) Une absence fréquente de scolarisation tant que se prolonge la phase d'évaluation

Les démarches en vue de la scolarisation du jeune ne sont souvent entamées qu'une fois la phase d'évaluation close et la mesure de placement auprès de l'ASE définitivement confirmée par l'autorité judiciaire . Du fait des délais parfois très longs de l'évaluation de l'isolement et de la minorité puis des recours devant le juge des enfants, cette option pragmatique de la part des conseils départementaux retarde la scolarisation des jeunes de plusieurs mois.

Cette solution est aussi parfois retenue par les services de l'Éducation nationale. Certains centres académiques pour la scolarisation des enfants nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav), responsables de l'affectation en établissement scolaire et du suivi pédagogique des MNA, décident de scolariser les MNA uniquement s'ils bénéficient d'une ordonnance de placement provisoire (OPP).

En outre, les réorientations des MNA selon le dispositif de répartition territoriale puis les phénomènes de réévaluation de la minorité et de l'isolement contribuent à l'inertie qui environne la scolarisation de nombreux MNA . Il a ainsi été porté à la connaissance des rapporteurs des cas de jeunes, finalement reconnus comme mineurs, restés non-scolarisés pendant plus d'une année après leur examen de minorité.

Les Casnav

Au sein de chaque académie, un centre académique pour la scolarisation des enfants nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) exerce, auprès du recteur et des inspecteurs d'académie-directeurs académiques des services de l'éducation nationale (IA-DASEN), un rôle d'expertise sur l'organisation de la scolarité des élèves allophones, sur les ressources pédagogiques ainsi que sur la formation des enseignants et des cadres. Il lui incombe la mission d'être « l'interlocuteur direct des acteurs de terrain sur toutes les questions liées à la scolarisation des élèves allophones » 102 ( * ) .

Devant le constat d'insatisfaction de cette situation, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône a par exemple indiqué, lors de son audition, avoir changé récemment de doctrine en acceptant d'entamer les démarches de scolarisation de certains jeunes avant la fin de la période d'évaluation.

b) Des délais variés d'affectation en établissement scolaire

Une fois les démarches entamées, la scolarisation effective des MNA peut encore être compliquée. Plusieurs étapes, dont les délais varient fortement selon les départements , s'avèrent nécessaires à la scolarisation des MNA primo-arrivants.

La scolarisation des MNA

Une circulaire du ministère de l'Éducation nationale du 2 octobre 2012 103 ( * ) régit la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) dont font partie les MNA, y compris, dans leur grande majorité, ceux originaires de pays d'Afrique francophone. En effet, le français constituant rarement leur langue maternelle, leur maîtrise linguistique n'est généralement pas suffisante pour suivre un enseignement scolaire.

Pour les jeunes de moins de 16 ans, une évaluation préalable des compétences pédagogiques, surtout en français et mathématiques, est menée par le Casnav. Par la suite, l'affectation dans une unité pédagogique, relevant de la direction départementale de l'Éducation nationale (DDEN) en lien avec le Casnav, doit prendre en compte le lieu d'hébergement de l'élève.

Pour les MNA ayant entre 16 et 18 ans, un entretien avec un conseiller du centre d'information et d'orientation (CIO) est organisé, avec l'appui du Casnav. Les jeunes subissent un test pédagogique et de positionnement avant de connaitre leur affectation. La circulaire précise que les jeunes EANA âgés de plus de 16 ans, « ne relevant pas de l'obligation d'instruction, doivent bénéficier, autant que faire se peut, des structures d'accueil existantes ».

Les MNA sont le plus souvent orientés vers une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A) dans laquelle les élèves du second degré suivent un enseignement de français intensif de douze heures hebdomadaires minimum. Des UPE2A sont également spécialisées dans l'accueil d'élèves pas ou peu scolarisés antérieurement (UPE2A - NAS). Parallèlement, le jeune est obligatoirement inscrit dans une classe ordinaire, en veillant à ce que l'écart entre son âge et l'âge de référence de la classe ne dépasse pas deux ans, au sein de laquelle son inclusion est un objectif. La circulaire incite à leur participation aux cours dans lesquels la maîtrise du français n'est pas fondamentale (musique, EPS, arts plastiques...) et aux activités scolaires.

Certains dispositifs de la mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) à destination des élèves en rupture scolaire prennent aussi en charge des MNA. Les pôles d'accompagnement à la persévérance scolaires (PAPS) dont certains proposent des modules de français langue de scolarisation (FLS) peuvent accueillir pendant quelques mois des MNA aux côtés d'autres enfants déscolarisés en vue de les préparer et de les inscrire à une formation professionnelle qualifiante comme un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou un contrat d'apprentissage en centre de formation d'apprentis (CFA).

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que les délais imposés au jeune de plus de 16 ans et son éducateur pour l'obtention d'un rendez-vous en centre d'information et d'orientation (CIO) peuvent courir de deux semaines à six mois dans certains départements . La chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur note que, dans le département des Bouches-du-Rhône, pour l'année scolaire 2019-2020, le délai moyen de passage des tests Casnav par les MNA s'élève à deux mois et demi après leur prise en charge par l'ASE 104 ( * ) . De même, dans sa contribution écrite, Dominique Versini a précisé aux rapporteurs que la crise sanitaire, après avoir bloqué pendant un temps le système d'inscription, avait considérablement augmenté les délais d'accès au test Casnav.

Une fois l'entretien et le test réalisés, l'affectation dans un établissement scolaire dépend de la période de l'année scolaire et des places disponibles dans les unités pédagogiques appropriées. En l'absence de places en UPE2A, la scolarité des MNA peut être différée à la rentrée de l'année scolaire suivante. La Défenseure des droits témoigne ainsi, dans une décision du 3 février 2021, de la situation d'un jeune MNA guinéen de 15 ans et demi pris en charge à l'ASE en novembre 2017 et scolarisé seulement en septembre 2018 en raison d'un manque de place en UPE2A 105 ( * ) .

c) Des dispositifs ad hoc de scolarisation

Les rapporteurs souhaitent saluer certains dispositifs mis en oeuvre par les structures accueillantes afin de faciliter la scolarité des jeunes MNA et leur intégration professionnelle.

Lors de son audition, Baptiste Cohen, directeur du pôle protection de l'enfance de la fondation Apprentis d'Auteuil, a ainsi présenté les dispositifs de la fondation en faveur de l'accompagnement de la scolarité des MNA accueillis. Un programme, financé par le mécénat, a permis de recruter des enseignants en français langue étrangère (FLE) afin de proposer à 430 jeunes des cours de français représentant un volume de 14 200 heures d'enseignement.

Le département de la Gironde, en créant en mars 2018 un centre MNA sur la commune rurale de Saint-Macaire, a permis la réorientation de 28 jeunes vers les établissements scolaires du territoire et a ainsi allégé la demande tendue de scolarisation en métropole bordelaise. Le département a choisi, en outre, de contractualiser avec deux CFA afin de détacher partiellement un enseignant en FLE apportant un soutien spécifique aux MNA scolarisés dans ces centres de formation.

2. La sortie des jeunes pris en charge par l'ASE est insuffisamment anticipée
a) Le difficile accès au droit au séjour des MNA devenus majeurs

Si des procédures dédiées d'obtention d'un titre de séjour existent, les rapporteurs ont pu constater au cours de leurs travaux que, dans la pratique, les MNA sont confrontés à d'importantes difficultés dans leurs démarches.

Les voies ouvertes aux MNA pris en charge par l'ASE
pour obtenir un titre de séjour

En l'état du droit, les mineurs étrangers ne sont pas soumis à l'obligation de détenir un titre de séjour pour demeurer sur le territoire national. En effet, l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impose cette obligation aux seuls majeurs étrangers souhaitant séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois et exclut, de fait, les MNA. La seule exception concerne le cas où un mineur souhaite travailler avant l'acquisition de sa majorité. Un jeune recueilli par l'ASE avant l'âge de 16 ans peut ainsi se voir délivrer, à partir de ses 16 ans et à sa demande, une carte de séjour « vie privée et familiale » l'autorisant à exercer une activité professionnelle 106 ( * ) .

À l'obtention de la majorité, les possibilités d'obtention d'un titre de séjour des MNA différent selon l'âge de leur prise en charge par l'ASE. Les mineurs recueillis avant l'âge de 16 ans obtiennent de droit à leur majorité une carte de séjour « vie privée et familiale » , valable pour une durée d'un an, sous réserve que trois conditions soient réunies 107 ( * ) :

- le caractère réel et sérieux de la formation suivie ;

- la nature des liens avec la famille restée dans le pays d'origine : est ainsi examinée la stabilité et l'intensité des liens développés sur le territoire national ;

- un avis positif de la structure d'accueil sur l'insertion dans la société française.

S'agissant des mineurs recueillis entre 16 et 18 ans, ils peuvent, en premier lieu, obtenir une carte de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire » par le biais de la procédure d'admission exceptionnelle au séjour 108 ( * ) , mais il ne s'agit pas d'un droit automatique. Pour ce faire, ils doivent justifier du suivi d'une formation professionnelle qualifiante depuis au moins six mois et satisfaire les trois critères développés précédemment. En second lieu, une circulaire en date du 28 novembre 2012 109 ( * ) a autorisé les préfets, en application de leur pouvoir discrétionnaire, à leur délivrer une carte de séjour temporaire « étudiant » sous la double condition que les trois critères précités soient réunis et que le mineur étranger concerné suive des études secondaires ou universitaires avec assiduité et sérieux.

Pour les MNA dont la situation satisfait aux critères d'obtention d'une carte de séjour, les difficultés rencontrées peuvent être classées en trois catégories.

La première d'entre elles recouvre les difficultés liées à la situation documentaire des MNA. Le défaut ou le manque de fiabilité des documents d'état civil présentés par les MNA est, en effet, la difficulté principale évoquée par les services déconcentrés de l'État. La question de l'authenticité des documents produits peut notamment conduire à une réévaluation a posteriori de la majorité de l'individu au moment de son admission à l'ASE et fonder une mesure d'expulsion . Cela s'explique par le fait que la décision du juge des enfants a pour unique objet le placement du jeune à l'ASE et est rarement accompagnée d'une investigation approfondie de l'authenticité de ces documents. Surtout, elle ne lie pas le préfet qui peut, au cours de l'instruction de la demande de titre de séjour, détecter leur caractère frauduleux et établir la majorité de l'individu au moment de son admission à l'ASE. Dans ce cas de figure, les conditions d'admission prévues au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont plus satisfaites et une mesure d'expulsion est fondée.

À titre d'exemple, 15 % des MNA présentant une demande de titre de séjour en Gironde en 2020 ont vu leurs documents retenus par la police aux frontières pour vérifications 110 ( * ) . Ces vérifications, pour utiles qu'elles soient, sont trop tardives et contribuent à prolonger les délais d'obtention de carte de séjour.

Dans son référé précité du 8 octobre 2020, la Cour des comptes recommandait de consolider l'état civil des MNA pendant la période de leur prise en charge, sans attendre la demande de titre de séjour . Par exemple, dès l'entrée des MNA dans le dispositif de l'ASE, les services départementaux des Hautes-Alpes se chargent d'obtenir des documents d'identité authentifiés en sollicitant les autorités consulaires du pays d'origine 111 ( * ) . Cette préconisation apparait comme essentielle aux rapporteurs.

La seconde catégorie a trait aux conditions de mise en oeuvre de la procédure. Au cours de son audition, la Défenseure des droits a, par exemple, mis en avant l'existence de délais de prise de rendez-vous ou d'instruction particulièrement longs dans certains cas, qui entravent l'accès au droit au séjour de MNA pourtant éligibles. Ces délais peuvent s'avérer particulièrement problématiques lorsque la majorité est acquise avant qu'une décision ne soit rendue et que la détention d'un titre de séjour devient une obligation légale.

La dernière catégorie regroupe les difficultés liées à la législation en matière de titres de séjour. D'une part, l'âge d'arrivée du MNA sur le territoire français détermine le régime juridique qui s'applique ( cf. encadré ci-dessus) . Il apparait clair que, l'âge de 16 ans révolu, plus l'accueil d'un MNA en protection de l'enfance est retardé, moins il conserve de chances d'être régularisé à 18 ans. Comme a pu le confirmer la préfecture de Police de Paris aux rapporteurs, les MNA entrés tardivement en France ou confiés tardivement à l'ASE remplissent peu souvent les conditions légales d'obtention d'un titre de séjour. D'autre part, la procédure d'admission exceptionnelle est fermée aux MNA suivant une formation professionnelle qualifiante de moins de 6 mois et, surtout, le dépôt d'une demande ne vaut pas autorisation de travail. Cet état de fait constitue un frein sérieux aux recherches d'une formation professionnelle qualifiante pour les MNA concernés.

b) Un accompagnement des MNA vers l'autonomie qui n'est pas à la hauteur des enjeux

Le plein accès à l'autonomie des MNA s'avère un défi de taille. S'ils ont su se débrouiller pour arriver en France sans famille après un voyage aux épreuves parfois traumatisantes, l'intégration dans une société culturellement éloignée de celle de leur pays d'origine ajoute de nouvelles difficultés à celles, déjà nombreuses, de la sortie de la minorité des jeunes en protection de l'enfance.

Au sein de l'ASE, les MNA sont bénéficiaires des mêmes mesures d'accompagnement vers l'autonomie que les autres jeunes pris en charge ; aucun dispositif particulier n'est prévu dans la loi. Si, une fois encore, les situations sont très hétérogènes, le constat général est celui d'une insuffisance d'anticipation et de suivi concernant le basculement dans la majorité. Les MNA subissent, d'abord, le manque d'accompagnement dont souffrent tous les jeunes sortants de l'ASE, la spécificité de leur profil pouvant néanmoins l'accroitre.

(1) La préparation en amont

L'Union nationale pour l'habitat des jeunes (Unhaj), dont les structures adhérentes ont accueilli 2 045 jeunes MNA en 2019, a indiqué aux rapporteurs constater dernièrement « un raccourcissement des délais de préparation à la sortie, ce qui génère des situations de rupture à la majorité ».

L'anticipation du passage de la majorité devrait être préparée par un entretien à l'âge de 17 ans conformément à la loi précitée du 14 mars 2016. Alors même qu'il ne s'agit là que d'une préparation minimale, que certains départements renforcent par d'autres temps de construction avec le jeune de son projet d'autonomie, cet entretien n'est pas mis en oeuvre sur tout le territoire ( cf. infra ).

(2) La mobilisation insuffisante du contrat jeune majeur

Le contrat jeune majeur, dont le dispositif a été détaillé supra ( cf. I. B. 3.), apparaît particulièrement adapté pour les jeunes MNA qui sont volontaires pour s'investir dans une insertion sociale et professionnelle après leur dix-huitième anniversaire.

Toutefois, au cours de leurs auditions et de leur déplacement, les rapporteurs dressent le constat que la pratique des contrats jeune majeur est systématique dans certains départements, rare voire inexistante dans d'autres . En effet, si, en 2013, 93 % des MNA sortant de l'ASE bénéficiaient d'un contrat jeune majeur 112 ( * ) , l'arrivée massive de mineurs isolés à partir de 2015 a obligé un certain nombre de départements à durcir leurs critères d'attribution d'un tel contrat d'accompagnement . Selon Unicef France, entendu en audition, les taux d'octroi des contrats jeune majeur sont en diminution ces dernières années.

Des départements ont, en effet, fait le choix de conditionner l'octroi d'un contrat jeune majeur à une prise en charge préalable au sein de l'ASE de deux ans minimum . Une telle condition a pour conséquence directe de refuser le contrat jeune majeur à la plupart des MNA, lesquels entrent majoritairement dans les dispositifs de protection de l'enfance après 16 ans.

La fondation Apprentis d'Auteuil identifie également la durée très courte des contrats jeune majeur comme une des principales difficultés pesant sur les MNA à leur sortie de l'ASE. Certains départements choisissent de contractualiser pour de brèves périodes de temps - quelques mois - et éventuellement de renouveler la démarche. Les rapporteurs ont tout de même constaté que d'autres collectivités accordaient un contrat jeune majeur à quasiment tous les MNA jusqu'à leur 21 ans.

(3) Les mesures exceptionnelles dues à la crise sanitaire

Comme il a pu être indiqué plus haut 113 ( * ) , des mesures exceptionnelles interdisent de mettre fin à la prise en charge des jeunes accueillis par l'ASE à la date de rédaction de ce rapport. Cette prise en charge obligatoire a été décidée en mars 2020 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et a été réactivée par la seconde déclaration d'état d'urgence puis prolongée le temps du régime transitoire prévue par la loi du 31 mai 2021. Du 24 mars au 10 juillet 2020 et depuis le 17 octobre 2020, la crise épidémique de la covid-19 a donc eu pour effet d'uniformiser sur le territoire la situation des MNA devenus majeurs en les maintenant dans le dispositif de la protection de l'enfance.

Toutefois, ce maintien obligatoire de la prise en charge des jeunes confiés à l'ASE parvenant à échéance le 30 septembre 2021 , la question du soutien et du suivi des anciens MNA devenus majeurs se pose de nouveau avec le risque de voir un accompagnement insatisfaisant se répéter dans certains départements.

3. La précarité du statut des jeunes devenus majeurs déstabilise leur insertion sociale et professionnelle
a) Des ruptures dans le parcours d'insertion

La rupture administrative, que connaissent les MNA ne disposant pas tout de suite d'une carte de séjour à 18 ans, ou une fin de non-recevoir opposée à une demande de contrat jeune majeur mettent à mal, lorsqu'elles se réalisent, le parcours d'intégration du MNA. En sortant de la minorité, ces jeunes accueillis en protection de l'enfance basculent soudainement dans la précarité, que ce soit celle de leur statut, de leur situation financière ou de leur hébergement.

(1) L'intégration professionnelle compromise

L'exécution d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation est suspendue à la délivrance d'une autorisation de travail ( cf. encadré ci-dessous) et de la régularisation du séjour du jeune devenu majeur. Des délais excessifs ou des refus de délivrance de ces décisions administratives emportent donc des conséquences graves sur le parcours des MNA.

Les rapporteurs ont pourtant constaté que les MNA étaient généralement désireux de s'investir professionnellement et qu'ils étaient appréciés des employeurs 114 ( * ) . La Fondation Apprentis d'Auteuil remarque ainsi que « ces jeunes ont beaucoup d'apprentissages à assimiler dans un temps très restreint. Leur implication et leur résilience est continuellement remarquée et relevée au sein de nos équipes mais également auprès des employeurs ».

L'autorisation de travail pour les MNA

Les MNA sont soumis au régime de droit commun de l'article L. 5221-5 du code du travail disposant qu'un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable une autorisation de travail. Ce même article prévoit toutefois que « cette autorisation est accordée de droit aux mineurs isolés étrangers pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, sous réserve de la présentation d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation ».

L'article R. 5221-22 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le décret n° 2021-360 du 31 mars 2021 relatif à l'emploi d'un salarié étranger, prévoit ainsi que le MNA pris en charge à l'ASE à la date de sa demande d'autorisation de travail, se voit délivrer de droit, s'il a déjà conclu un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation, une autorisation à ce titre.

Ce même article prévoit qu'une fois devenu majeur, un MNA confié à l'ASE après 16 ans bénéficie d'une autorisation de travail s'il satisfait aux critères d'obtention de la carte de séjour portant mention « salarié » ou « travailleur temporaire ».

L es rapporteurs identifient des phénomènes de cercle vicieux dans lesquels sont projetés les MNA dont le statut administratif n'est pas stabilisé. L'incertitude sur la régularité de l'embauche d'un MNA, devenu majeur ou en passe de l'être, provoque parfois des réticences de la part des entreprises à accepter ces jeunes en apprentissage ou en alternance.

L'absence de formation qualifiante peut, en retour , contrarier la signature d'un contrat jeune majeur. Le collectif Réseau d'éducation sans frontière (RESF) souligne, par exemple, que le contrat jeune majeur est parfois conditionné à la signature d'un contrat d'apprentissage. Sans l'aide matérielle du département, l'intégration sociale et professionnelle du MNA se retrouve encore davantage menacée.

De même, lorsqu'ils sont encore mineurs accueillis à l'ASE, les MNA qui ne parviennent pas à obtenir rapidement une autorisation de travail leur permettant de suivre un apprentissage ou une alternance compromettent ensuite leurs chances d'être régularisé à 18 ans . C'est ce que confirme Dominique Versini, dans sa contribution écrite adressée aux rapporteurs : « à Paris, l'autorisation de travail est particulièrement difficile à obtenir, ce qui limite ensuite l'obtention d'un titre de séjour “travail”, seule reste alors la possibilité d'obtenir un titre de séjour étudiant, moins protecteur ».

(2) Les difficultés matérielles

La fin de l'aide des départements fait entrer les anciens MNA dans une insécurité matérielle. L'arrêt de toute prise en charge par l'ASE provoque une incertitude sur la capacité des MNA de faire face aux charges financières de la vie quotidienne.

L'Union nationale de l'habitat des jeunes (Unhaj), entendue en audition, a mis en lumière les conséquences du désengagement des départements. Le maintien dans un logement d'un jeune au coeur d'un « trou d'air administratif » tient à la bonne volonté des structures accueillantes qui financent sur leurs budgets la poursuite de l'hébergement .

b) Des cas d'anciens MNA bien intégrés pourtant menacés d'expulsion du territoire français

La conjugaison des difficultés liées à l'obtention de la régularisation ( cf. supra ) peut conduire à des refus de délivrance de titres de séjour, parfois particulièrement regrettables. La Défenseure de droits, de même que les associations entendues lors des auditions, ou bien encore le conseil départemental de la Gironde, ont dénoncé la mise en place récurrente de mesures d'expulsion dès l'acquisition de la majorité à l'encontre de MNA pourtant insérés dans un parcours académique ou professionnel.

Dénoncées par les associations spécialisées, ces situations sont à l'origine d'importantes mobilisations citoyennes et rencontrent un fort écho médiatique. Au cours de leurs travaux, les rapporteurs ont observé que, en l'absence d'anticipation, l'acquisition de la majorité peut avoir un effet « couperet » , et ce alors même que la prise en charge du jeune par l'ASE représente un investissement humain et financier de plusieurs années pour la collectivité publique.

La délivrance de titres de séjour aux jeunes majeurs étrangers :
un sujet qui mobilise fortement l'opinion publique

À titre d'exemple, le cas de Fode Traoré, un jeune Guinéen pris en charge par l'ASE à l'âge de 16 ans et en apprentissage à partir de 2019 dans une boulangerie de Besançon, a particulièrement marqué l'opinion publique. Arrivé à sa majorité, il n'a pas obtenu de titre de séjour et s'est vu notifier une obligation de quitter le territoire français (OQTF). À la suite d'une grève de la faim de son employeur et de la signature d'une pétition plaidant pour sa régularisation par plus de 240 000 personnes, cette décision a été retirée en janvier 2021.

Signe de la sensibilité du sujet, un appel en faveur des jeunes majeurs étrangers recevant une OQTF à leur majorité a été émis en février dernier par environ 70 organisations spécialisées. Une tribune a également été publiée dans le journal Le Monde en mars par un collectif de 220 personnalités et appelle à faciliter drastiquement l'accès au séjour de ces jeunes.

c) Une absence préjudiciable de suivi de la situation des anciens MNA

Les situations dans lesquelles se retrouvent les jeunes MNA sortis de la protection de l'enfance demeurent largement méconnues. Dans son rapport de novembre 2020, la Cour des comptes pointe une absence de suivi qui empêche de mesurer la proportion de MNA dont le statut est précaire ou inconnu une fois qu'ils ont quitté l'ASE 115 ( * ) .

Les rapporteurs se joignent aux regrets de la Cour concernant l'absence d'un outil statistique national, mais aussi d'un suivi dans chaque département, à même de donner un panorama complet et précis de la situation des anciens MNA pris en charge en France.


* 99 Cf. supra I. A.

* 100 Ainsi que le rappelle la circulaire interministérielle du 25 janvier 2016 relative à la mobilisation des services de l'État auprès des conseils départementaux concernant les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et les personnes se présentant comme tels.

* 101 Selon la formule de l'article L. 111-1 du code de l'éducation.

* 102 Circulaire n° 2012-143 du 2 octobre 2012 relative à l'organisation des Casnav.

* 103 Circulaire n° 2012-141 du 2 octobre 2012 relative à l'organisation de la scolarité des élèves allophones nouvellement arrivés.

* 104 Chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur, Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, exercices 2013 et suivants, rapport d'observations définitives , 3 novembre 2020.

* 105 Décision du Défenseur des droits n° 2021-010 relative à la situation d'un mineur non accompagné confié à l'Aide sociale à l'enfance et décédé dans un hôtel et à l'accueil et la prise en charge des mineurs non accompagnés dans le département.

* 106 Article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 107 Article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 108 Article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 109 Circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière (NOR : INTK1229185C).

* 110 Pour un taux de fraude détectée de 8 %.

* 111 Chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur, Département des Hautes-Alpes, exercices 2013 et suivants, rapport d'observations définitives , 8 juin 2020, p. 31.

* 112 Ined, Les mineurs isolés étrangers et les inégalités de prise en charge en protection de l'enfance en France , juin 2018.

* 113 Cf. I. A. 2. b)

* 114 Un article de presse paru avant le déclenchement de la crise épidémique de covid-19 rendait compte de l'engouement des employeurs pour les MNA, contrarié par l'absence d'autorisation de travail : Julia Pascual, « Mes petits gars ne peuvent pas travailler », Le Monde , 12 février 2020.

* 115 Cour des comptes, La protection de l'enfance : une politique inadaptée au temps de l'enfant , novembre 2020, p. 119.

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