Rapport d'information n° 202 (2021-2022) de M. Serge BABARY , Mme Anne-Catherine LOISIER et M. Franck MONTAUGÉ , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 24 novembre 2021

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N° 202

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1)
sur la mission «
Économie » du projet de loi de finances pour 2022,

Par M. Serge BABARY, Mme Anne-Catherine LOISIER et M. Franck MONTAUGÉ,

Sénateurs et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi  Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

CHAPITRE IER : L'EXAMEN DES CRÉDITS DE LA MISSION « ÉCONOMIE »

I. SANS LA HAUSSE EXCEPTIONNELLE DES MOYENS ALLOUÉS À LA POSTE ET SANS LA CRÉATION DU PROGRAMME TEMPORAIRE N° 367, QUI POURSUIT UN OBJECTIF PUREMENT FORMEL DE RESPECT DES RÈGLES BUDGÉTAIRES, LES CRÉDITS DE LA MISSION SERAIENT EN RÉALITÉ EN BAISSE

Le projet de loi de finances pour 2022 propose de doter la mission « Économie » de 3,8 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une croissance de 43,30 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2021 (+ 1,2 milliard d'euros). Par ailleurs, 3,2 milliards d'euros d'autorisations d'engagement sont prévus pour 2022, en hausse de 56,35 % par rapport à la LFI 2020 (+1,2 milliard d'euros).

En réalité, cette augmentation en apparence significative ne repose que sur deux mouvements budgétaires, dont l'un des deux obéit à une logiquement purement comptable :

• une augmentation de 522,3 millions d'euros (AE) des crédits destinés à La Poste, au sein de l'action n° 4 « Développement des postes, des télécommunications et du numérique » du programme 134 « Régulation des entreprises ». Au total, l'action n° 4 augmente de 188 % ;

• la création depuis la loi de finances rectificative pour 2021 1 ( * ) d'un nouveau programme n° 367 2 ( * ) au sein de cette mission, doté de 748 millions d'euros en AE et CP, dans le but unique de transférer des recettes budgétaires au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » au fur et à mesure des besoins de ce dernier, compte tenu du fait que les recettes traditionnelles de ce compte se tarissent (l'État n'a pas procédé en 2021 à des cessions de titres qu'il détient).

Décomposition de la hausse des crédits de paiement de la mission, par programme
(en millions d'euros)

Source : commission des affaires économiques.

Lecture : l'augmentation de 389 millions d'euros des crédits de paiement du programme 134 « Développement des entreprises et régulations » est principalement due à la hausse des crédits accordés à La Poste au sein de l'action 4.

Le total de ces crédits de paiement supplémentaires pour La Poste et pour assurer les recettes du compte « Participations financières de l'État » atteint donc 1,27 milliard d'euros, soit près de 110 % de la hausse totale.

Surtout, sans ces deux hausses de crédits, exceptionnelle pour l'une et formelle pour l'autre, les crédits de la mission « Économie » auraient diminué de 36 millions d'euros en AE (-1,7 %)
et de 42 millions d'euros en CP (-1,5 %).

Mouvements significatifs de crédits budgétaires de la mission « Économie »

(en millions d'euros)

Source : commission des affaires économiques.

Ces mouvements s'accompagnent d'une baisse du nombre d'emplois équivalent à 123 ETP, pour un total s'élevant à 10 756 en 2022.

II. L'ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION PAR PROGRAMME

A. LE PROGRAMME 134 « DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES
ET RÉGULATION »

Le projet de loi de finances propose que le programme 134 « Développement des entreprises et régulation » soit abondé, en 2022, à hauteur de 1,62 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 1,63 milliard d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse respectivement de 31,8 % et de 31,3 % par rapport à la loi de finances initiales pour 2021.

Comme vu supra , cette hausse d'environ 390 millions d'euros en AE et CP résulte essentiellement de la hausse des crédits alloués à La Poste. Elle masque en réalité :

• une diminution de 66 millions d'euros des CP de l'action 23 « Industrie et services », elle-même étant essentiellement la conséquence d'une baisse de 58 millions d'euros des crédits de compensation carbone et d'une baisse de 2,5 millions d'euros du soutien budgétaire à la gouvernance des pôles de compétitivité ;

• une diminution de 5 millions d'euros des CP de l'action 7 « Développement international des entreprises et attractivité du territoire » ;

• une diminution de 1,2 million d'euros des CP alloués à l'initiative France Num ( cf. infra ) au sein de l'action 4 « Développement des postes, des télécommunications et du numérique » et une hausse de 2,3 millions d'euros des transferts aux collectivités (autres que les collectivités territoriales) au sein de la même action ;

• une hausse de 5,5 millions d'euros des CP de l'action 24 « Régulation concurrentielle des marchés, protection économique et sécurité du consommateur » ;

Décomposition des mouvements budgétaires du programme 134 par action

(en millions d'euros)

Source : commission des affaires économiques.

Compte tenu de la création du programme 367, doté de 748 millions d'euros, le poids relatif de ce programme 134 dans le total de la mission passerait, par ailleurs, de 59,5 % à 50,1 % en AE et de 42,2 à 42,3 % en CP.

Les crédits d'intervention, qui représentent 63 % des CP totaux du programme 134 contre 51 % en LFI 2021, augmentent de 637 millions d'euros à 1 milliard d'euros. À nouveau, cette hausse est quasi intégralement liée à l'augmentation des moyens alloués à La Poste (en dépit d'une baisse de 64 millions d'euros des crédits d'intervention liés à la compensation carbone).

Cette augmentation des CP d'intervention conduit parallèlement à une diminution de la part des CP du titre 2 (dépenses de personnel), qui passe de 31 à 24 %.

Il convient par ailleurs de noter qu'au sein de l'action 23 « Industrie et services », qui représente 36 % du total des crédits d'intervention du programme 134 (contre 65 % l'an passé), les dépenses d'intervention sont particulièrement émiettées. En dehors de la compensation carbone, en effet, 9 millions d'euros sont prévus pour le soutien à la gouvernance des pôles de compétitivité (en baisse de 3,7 millions d'euros), 6,8 millions d'euros de crédits sont ouverts pour les centres techniques industriels (CTI), 6,4 millions d'euros sont alloués à l'AFNOR, 1,5 million d'euros sont dédiés au soutien à des actions collectives en centrale et en faveur du tourisme (en baisse de 1,8 million d'euros) et 2,9 millions d'euros financent des contributions à des organismes internationaux (comité européen de normalisation, Bureau international des poids et mesures, etc.).

B. LE PROGRAMME 220 « STATISTIQUES ET ÉTUDES ÉCONOMIQUES »

Ce programme retrace les crédits finançant l'INSEE. Par conséquent, chacune des actions est composée d'au moins trois quart de dépenses du titre 2 (dépenses de personnel).

Au total, l'institut devrait bénéficier en 2022 de 432,6 millions d'euros d'AE (+ 1,9 %) et de 435,5 millions d'euros de CP (+ 3,7 %).

Les seules dépenses d'intervention du programme sont portées par l'action 1 « Infrastructures statistiques et mission régaliennes 3 ( * ) », dotée de 130,6 millions d'euros de CP au total, qui regroupe les activités liées à la tenue des comptes nationaux, au calcul de l'indice des prix, au recensement de la population ou à la gestion du répertoire Sirene des entreprises.

Aucune dépense d'investissement n'est par ailleurs prévue.

La maquette de ce programme a évolué en LFI 2021, puisque la fusion de quatre actions a donné lieu à la création de deux nouvelles actions :

• la nouvelle action 8 « Information économique, démographique et sociale », dotée pour 2022 de 119,1 millions d'euros en AE et CP, est issue de la fusion des anciennes actions 2 « Informations sur les entreprises et synthèses économiques » et 3 « Information démographique et sociale » ;

• la nouvelle action 9 « Pilotage, soutien et formation initiale », dotée de 133,6 millions d'euros d'AE et de 136,7 millions d'euros de CP, est issue de la fusion des anciennes actions 5 « Pilotage et soutien » et 7 « Formation initiale ».

C. LE PROGRAMME 305 « STRATÉGIES ÉCONOMIQUES »

Les crédits de ce programme sont en baisse, qu'il s'agisse des AE (- 0,06 %, à 416,7 millions d'euros) ou des CP (-0,06 %, à 417,3 millions d'euros). Le plafond d'emplois est fixé à 1 264 ETPT contre 1 236 en LFI 2021, soit une hausse de 28 emplois.

L'action 1 « Définition et mise en oeuvre de la politique économique et financière de la France dans le cadre national, européen et international » bénéficie de 80 % des crédits totaux du programme (en AE comme en CP), soit 333,3 millions d'euros de CP, en baisse de 0,4 %. Les dépenses de cette action recouvrent celles de la direction générale du Trésor, de l'Agence France Trésor, de l'Agence des participations de l'État, de l'Autorité des normes comptables et de la Mission d'appui au financement des infrastructures.

Il s'agit principalement de dépenses de fonctionnement (261,6 millions d'euros, soit 78 % du total de l'action), dont la grande majorité concerne le paiement à la Banque de France de ses prestations réalisées pour le compte de l'État (à hauteur de 217,6 millions d'euros, soit 83 % de toutes les dépenses de fonctionnement), au premier rang desquelles la tenue du secrétariat des commissions de surendettement (qui entraîne une dépense de 132,1 millions d'euros). Il convient de noter par ailleurs que parmi ces dépenses, la part dévolue au paiement des audits, études de la DG Trésor et décaissements divers (remboursement de mise à disposition de personnels, certification des comptes des activités réalisées pour le compte de l'État par Natixis, etc.) augmente de 4,4 millions d'euros.

D. LE PROGRAMME 367 « OPÉRATIONS PATRIMONIALES ENVISAGÉES EN 2021 ET EN 2022 SUR LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE "PARTICIPATIONS FINANCIÈRES DE L'ÉTAT" »

Ce programme, crée en loi de finances rectificative pour 2021 ( cf. supra ), vise à doter le CAS « PFE », géré par l'Agence des participations de l'État, en recettes en fonction des besoins d'intervention identifiés pour 2022, dès lors que ces dépenses ne constituent pas des interventions en fonds propres, quasi-fonds propres et titre de créance auprès des entreprises stratégiques fragilisées par la crise sanitaire et économique 4 ( * ) .

En effet, compte tenu du tarissement des recettes « habituelles » du CAS « PFE », à savoir les produits de cessions de titres détenus par l'État, certaines opérations (récurrentes ou nouvelles) réalisées à partir de ce compte d'affectation spéciale auraient pu être empêchées. Le législateur a donc crée un nouveau programme, placé au sein de cette mission « Économie » et doté de 748 millions d'euros en AE et en CP, afin d'abonder le CAS « PFE » à mesure que lesdites opérations doivent être mises en oeuvre.

CHAPITRE 2
LES CRÉDITS CONSACRÉS AU COMMERCE
ET À L'ARTISANAT
(RAPPORTEUR POUR AVIS : M. SERGE BABARY)

Alors qu'au sortir de la crise économique, dans laquelle ils ont été durement éprouvés, le commerce et l'artisanat requièrent plus que jamais une politique de long terme et une stratégie cohérente de la part du Gouvernement, la mission « Économie » du PLF 2022 ne contient quasiment plus aucun crédit qui leur soit spécifiquement dédié.

Force est de constater, dès lors, que ces secteurs ne bénéficient que d'un saupoudrage regrettable de crédits épars, sans cohérence ni vision stratégique.

Dans le détail, cette mission ne retrace plus, à destination des commerçants et artisans, que les crédits alloués à l'initiative France Num et ceux bénéficiant aux métiers d'art.

Concernant France Num, la plateforme continue de pâtir d'un manque certain de notoriété et d'une insuffisante fiabilisation des professionnels qui y proposent leurs prestations. En outre, les actions entreprises pour favoriser la transition numérique des PME restent largement en deçà des besoins exprimés par les entrepreneurs, et les formations à la numérisation restent concentrées dans certains territoires uniquement.

Les métiers d'art, quant à eux, gagneraient à bénéficier d'une promotion plus large, ce qui requiert un renforcement du soutien budgétaire apporté à l'Institut national des métiers d'art (INMA), dont les ressources propres ressortent fragilisées de la crise.

I. AU SEIN DE LA MISSION « ÉCONOMIE » : QUASIMENT PLUS AUCUN CRÉDIT CONSACRÉ À CES SECTEURS, HORMIS CEUX DE FRANCE NUM ET CEUX DÉDIÉS AUX MÉTIERS D'ART

Alors qu'une action dédiée aux « Commerce, artisanat et services » existait au sein de la mission « Économie » jusqu'à la LFI pour 2019, elle a été fusionnée, à compter de cette date, au sein de l'action n° 23 intitulée « Industrie et services ». Sans surprise, les quelques crédits qui étaient alloués au commerce et à l'artisanat ont été rapidement asséchés, notamment en raison de la disparition du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac). Désormais, seuls l'initiative France Num et l'Institut national des métiers d'art (INMA) bénéficient encore, au titre du commerce et de l'artisanat, de crédits en provenance de cette mission.

Cet état de fait rappelle, s'il en était besoin, l'absence de politique nationale en faveur du commerce et de l'artisanat, déplorée avec constance par la commission des affaires économiques du Sénat.

A. FRANCE NUM : UN CENTRE DOCUMENTAIRE BIENVENU, MAIS UN TROP FAIBLE ENGAGEMENT DANS L'ACCOMPAGNEMENT DE LA TRANSITION NUMÉRIQUE DES ENTREPRISES

1. Une initiative hybride, à la fois simple distributeur de crédits à divers opérateurs, centre documentaire et plateforme de mise en relation entre « activateurs » et entrepreneurs

L'initiative France Num, créée le 15 octobre 2018 et animée par la Direction générale des entreprises, entend démontrer les apports concrets du numérique pour une petite entreprise et faciliter la réalisation concrète de cette transformation grâce à des ressources pratiques, des aides et un réseau de conseillers (appelés « activateurs »). Son public cible potentiel est constitué d'environ 1,7 million de TPE et PME.

Pour ce faire, France Num déploie une palette d'outils et d'actions variés, recensés plus en détail par le rapporteur dans son avis budgétaire de l'an dernier sur cette mission, et qui vont des campagnes de communication à la télévision ou sur internet à la mise en relation des entrepreneurs désireux d'engager ou approfondir leur transition numérique et de professionnels dont c'est le métier (développeurs web, etc., surnommés les « activateurs »), en passant par la mise à disposition de ressources documentaires sur les bienfaits de la numérisation.

Suite au déclenchement de la crise sanitaire et économique, à l'occasion de laquelle le manque de numérisation des petits commerçants français est apparu préoccupant, France Num a également piloté la mise en place de 30 000 diagnostics numériques.

a) En matière de diagnostics numériques, France Num se contente d'un rôle de distributeur de crédits au réseau consulaire, sans apporter de réelle plus-value

Afin d'encourager et de faciliter la transition numérique des TPE et PME dont la crise a montré le faible degré de numérisation et l'absence de réel soutien public en la matière, l'initiative France Num s'est vue doter de fonds supplémentaires par la loi de finances rectificative n° 3 pour 2020. Ainsi, si la LFI pour 2020 prévoyait seulement 700 000 euros en AE et CP, l'initiative disposait in fine de 11,7 millions d'euros d'AE et de 12 millions d'euros de CP à partir de juillet 2020, pour :

• réaliser 30 000 diagnostics de TPE entre 2020 et 2021 afin de définir avec elles leurs besoins ainsi qu'un plan d'action pour engager leur numérisation ;

• financer des « formations-actions » réalisées par une trentaine d'opérateurs sélectionnés sur appel d'offres par Bpifrance.

Par ailleurs, pour poursuivre ces deux objectifs, la LFI pour 2021 a ouvert de nouveaux crédits pour France Num, à hauteur de 36,1 millions d'euros en AE et de 22 millions d'euros en CP.

Un accord officiel a ainsi été signé le 12 octobre 2020 entre CCI France et le ministre chargé de l'économie, des finances et de la relance, aux termes duquel l'État s'engage à stabiliser le niveau de ressources affectées aux CCI en 2021, en échange notamment d'un renforcement de la mobilisation du réseau consulaire dans la mise en oeuvre du plan de relance, ce qui passait notamment par la réalisation d'une partie desdits diagnostics.

Menée du 20 novembre 2020 au 20 mars 2021 à partir de leur plateforme Digipilote, l'opération des CCI a concerné 5 000 entreprises, prioritairement dans le secteur du commerce de détail et de l'hôtellerie-restauration. Mêlant diagnostics online et entretiens personnalisés, elle a notamment permis de mettre en évidence que les TPE-PME concernées avaient un niveau de maturité numérique « moyen-bas » 5 ( * ) , et que la cohorte suivie était massivement en « fragilité numérique », voire en « retard numérique ». Par ailleurs, sur les 5 000 ressortissants diagnostiqués, 64 % ne réalisent pas de vente en ligne.

Suite au diagnostic, un plan d'action individualisé a été proposé aux entreprises. Dans les trois mois qui ont suivi le diagnostic, 3 005 entreprises (60 %) avaient concrétisé au moins une action numérique, majoritairement en matière de présence et de visibilité en ligne. Environ 40 % des entreprises ayant entrepris une action numérique l'ont fait en étant accompagnées par le réseau des CCI.

De son côté, le réseau des chambres des métiers et de l'artisanat a également conclu une convention avec l'État portant sur 5 000 diagnostics numériques ; par ailleurs, l'engagement d'en réaliser 10 000 supplémentaires d'ici le 31 décembre 2021, financés par France Num, a également été pris. En octobre 2021, environ 9 500 diagnostics avaient été soit finalisés, soit étaient en cours. 73 % des entreprises avaient réalisé ou engagé une ou plusieurs actions.

Au total, le rôle de France Num s'est limité à accorder une subvention de 300 € par diagnostic au réseau consulaire (soit, par exemple, 1,5 million d'euros aux CCI). Autrement dit, France Num n'a servi que de financeur, sans aucune mise en oeuvre opérationnelle du côté de la DGE. Que le Gouvernement confie la réalisation de telles démarches aux acteurs compétents et reconnus est sain, mais le rapporteur s'étonne de la concomitance de ces financements d'actions consulaires par le budget général alors que, dans le même temps, le Gouvernement a choisi, depuis 2019, de réduire drastiquement la fiscalité affectée au réseau. Un schéma impliquant une révision de la trajectoire baissière du financement du réseau par la taxe affectée, afin de pérenniser ce type d'actions sans passer par le budget général, lui paraîtrait de nature à mieux clarifier la répartition des compétences entre l'État et le réseau consulaire.

Ce schéma paraîtrait d'autant plus logique que les CCI, outre ces 5 000 diagnostics, en ont réalisé 7 500 en leur nom en 2021, c'est-à-dire sans financement de France Num.

Cet état de fait soulève en outre d'autres préoccupations : 30 000 diagnostics étant prévus dans la LFI 2021, 5 000 ayant été réalisés par les CCI et 15 000 par les CMA, quand seront réalisés les 10 000 diagnostics restants ?

b) L'intervention de France Num s'apparente souvent à un saupoudrage de crédits dont le suivi et la mesure de l'efficacité sont inexistants
(1) Les « formations-actions » : un dispositif à l'efficacité quasi inexistante un an après son lancement

Au-delà du financement de diagnostics numériques externalisés, France Num finance également des « formations-actions » et des « accompagnements-actions », à hauteur de 300 € par prestation, réalisées par des opérateurs sélectionnés à l'issue d'un appel d'offres organisé par Bpifrance 6 ( * ) .

Deux vagues ont déjà eu lieu et 30 opérateurs ont été choisis, avec l'ambition de toucher plus de 70 000 entreprises. Leur mission est de recruter des TPE et PME éloignées du numérique pour les former à des outils et les sensibiliser à la transformation digitale.

Or, force est de constater que ce dispositif est encore très loin d'être efficace. Outre son caractère confidentiel ( cf. infra ), le petit nombre d'opérateurs se traduit par un très faible nombre de formations/accompagnements disponibles et une couverture très inégale du territoire.

Par exemple, lorsqu'il est demandé un accompagnement pour « développer mes ventes, mon activité » (vraisemblablement un des souhaits les plus exprimés par les TPE-PME), sous forme de « sensibilisation » et en « présentiel », France Num ne donne accès qu'à 5 formations... toutes situées en Provence-Alpes-Côte d'Azur. En outre, aucun des 5 liens prévus pour s'inscrire à ces 5 formations ne fonctionne.

De même, si l'entrepreneur souhaite « communiquer avec mes clients, trouver de nouveaux clients », sous forme de « sensibilisation » et « en ligne », il obtient 10 possibilités : 9 en Auvergne-Rhône-Alpes, 1 en Provence-Alpes-Côte d'Azur. S'il souhaite que la formation ait lieu en présentiel, il n'obtient plus que 2 propositions, les 2 en région PACA !

Si une TPE souhaite être formée au « travail à distance », sous forme de « sensibilisation » et en « présentiel », elle n'obtient qu'un choix : une formation en PACA. Si elle accepte de suivre la formation « en ligne » , 14 propositions lui sont faites : 3 en Île-de-France, 4 en Auvergne-Rhône-Alpes, 2 en PACA, 1 dans le Grand Est, 1 dans les Hauts-de-France, 1 en Nouvelle-Aquitaine, 1 dans les Pays de la Loire et 1 à La Réunion.

Le rapporteur s'alarme donc de la situation d'un dispositif pouvant mobiliser jusqu'à une vingtaine de millions d'euros de crédits budgétaires et dont l'utilité est, à date, quasi-nulle. Il est urgent que France Num soit en mesure de proposer un ensemble de formations certifiées, contrôlées, couvrant l'ensemble du territoire et pouvant se tenir en présentiel 7 ( * ) . En l'état, la prestation offerte par les pouvoirs publics ne semble pas sérieuse, alors même que France Num est devenu la clef de voûte de la politique du Gouvernement de numérisation des entreprises.

Un an et demi après la crise, la transition numérique des entreprises, a fortiori des commerçants, ne semble toujours pas bénéficier d'une attention suffisante, ce qui se traduit notamment dans les chiffres d'accompagnements-actions : seules 500 TPE-PME y ont eu recours, à fin septembre.

« Tout laisse penser que, jusqu'à présent, le Gouvernement
a concentré sa politique sur la communication tous azimuts
de chiffres impressionnants (dizaines de millions d'euros pour France Num,
chèque de 500 € pour la numérisation de 120 000 entreprises, 30 000 diagnostics réalisés), sans égard pour la qualité des services proposés aux entreprises souhaitant s'engager
dans cette transition numérique. »

(2) Les chèques numériques de 500 € semblent avoir trouvé leur public, mais il n'y a pas de suivi de leur usage

L'un des axes majeurs de la communication du Gouvernement sur son soutien à la numérisation des commerçants a résidé, fin 2020, dans l'octroi d'un chèque de 500 € aux TPE souhaitant couvrir leurs dépenses numériques 8 ( * ) (solution pour lancer une activité en ligne, création d'un site internet, adhésion à une plateforme en ligne, logiciel, diagnostic, etc.), dans la limite de 120 000 entreprises.

En octobre 2021, 112 180 chèques avaient été distribués 9 ( * ) . La simplicité et le succès de la mesure rendent légitimes la poursuite et l'amplification de la démarche ; or, ainsi que l'a confirmé la DGE au rapporteur, l'opération ne sera pas renouvelée, ce qui est regrettable.

« Le soutien à la numérisation des entreprises doit s'inscrire dans la durée,
être continu, au plus près des besoins des TPE-PME. Le chèque numérique devrait être renouvelé, car il est l'une des rares mesures du Gouvernement
qui ait les faveurs des entrepreneurs »

(3) Aucun contrôle de la qualité des « activateurs » présents sur la plateforme n'est aujourd'hui mis en place

Environ 3 500 « activateurs », c'est-à-dire des professionnels de la numérisation, sont inscrits sur la plateforme France Num, afin d'apporter leurs services aux entrepreneurs souhaitant engager ou approfondir leur transition numérique. Ils représentent donc le pilier opérationnel sur lequel peuvent s'appuyer les TPE-PME qui souhaitent « se lancer » dans la démarche, généralement peu familières de ce domaine.

Or au-delà de contrôles formels comme la présence de mentions légales ou le bon enregistrement de l'entreprise, France Num ne réalise aucun contrôle de la qualité des prestations proposées ni de la fiabilité des activateurs. Alors que le rapporteur soulignait déjà ce manque majeur dans l'avis budgétaire de l'an dernier, aucune évolution n'a eu lieu en 2021, alors que le nombre d'activateurs a doublé.

Si la DGE a indiqué au rapporteur souhaiter renforcer la qualité des données descriptives des activateurs et de leurs prestations, cette démarche ne suffit pas, car elle ne permet pas de juger de la qualité effective desdites prestations. Le constat effectué l'an passé par le rapporteur s'applique donc toujours : « les petites entreprises non numérisées sont loin de maîtriser, dans leur ensemble, les concepts et le vocabulaire d'un secteur d'activité particulièrement technique et disposant d'un « jargon » propre. Ce faisant, une asymétrie peut se créer entre la TPE et l'activateur, renforcée par le fait que l'utilisateur considère que ce dernier est « validé » par l'État du fait de sa présence sur un site de l'administration 10 ( * ) » .

À la question du rapporteur de savoir si la DGE prévoyait de se doter d'un dispositif de suivi des actions engagées suite à la mise en relation TPE/activateur (type d'action, pourcentage d'actions menées à leur terme, etc.), il a été répondu qu'un dispositif aussi fin n'était pas prévu, mais qu'un court questionnaire de satisfaction devrait être bientôt prévu à destination des entrepreneurs, ainsi qu'une révision de la charte d'engagement des activateurs.

Il est urgent d'engager un processus de fiabilisation des activateurs présents sur France Num, qui pourrait passer par exemple par une labellisation de ces professionnels.

c) Une communication de France Num encore trop irrégulière et confidentielle et des supports informationnels encore trop peu connus

Afin de toucher un public de TPE et PME éloignées du numérique, et de se faire connaître, France Num multiplie les initiatives :

• depuis avril 2020, France Num propose une chronique webradio intitulée « Accélérer avec le numérique », diffusée dans la matinale de FrenchWeb.fr chaque mardi et vendredi ;

• France Num est également à l'origine de 3 épisodes de 26 minutes, diffusés entre février et avril 2021 sur BFMTV, RMC Story et RMC Découvertes, intitulés « Connecte ta boîte » et qui relatent l'histoire de 3 TPE accompagnées dans leur transformation numérique durant 2 mois par des experts. L'audience cumulée pour l'ensemble des diffusions s'est élevée à 15 millions de téléspectateurs. Les « replays » sur internet ont généré 20 000 vues, ce qui témoigne cependant d'un faible bouche-à-oreille. Une seconde saison sera diffusée dans les prochains mois avec 3 nouveaux épisodes ;

• France Num est à l'initiative d'un MOOC « Ma TPE a rendez-vous avec le numérique » qui vise à illustrer et mettre en exergue les bénéfices du numérique. La formation a été diffusée à 3 reprises en 2021 (et 1 en 2022) sur la plateforme publique FUN MOOC opérée par France Université Numérique.

Toutes ces initiatives sont utiles et doivent être saluées. Certaines ont permis effectivement d'accroître la notoriété de France Num, comme les épisodes télévisés qui se sont traduits par une augmentation de 20 % des pages vues sur le site de France Num pendant la période de diffusion, et un surcroît de 900 abonnés Twitter.

Pour autant, force est de constater que France Num continue de bénéficier d'une très faible notoriété, soit que certaines de ses initiatives soient en fait réalisées par d'autres acteurs plus familiers des entreprises (comme le réseau consulaire), soit que les moyens déployés pour se faire connaître restent insuffisants.

Le rapporteur note ainsi que plusieurs actions de communication de France Num présentent le défaut de se tenir sur des supports eux-mêmes peu consultés. Ainsi du MOOC, ou de la chronique dans la matinale Frenchweb.fr. Il considère donc que tant que la majeure partie de la communication « grand public » de France Num continuera de reposer sur des canaux aussi confidentiels, il est vain d'en atteindre une plus grande notoriété (qui plus est si les défaillances de qualité relevées supra persistent).

Dès lors, il est peu surprenant que la mise en relation entre TPE-PME et « activateurs » ne remporte qu'un succès très limité : le formulaire « contacter le conseiller » n'a ainsi reçu que 4 000 vues uniques entre le 1 er janvier et le 30 octobre 2021 (pour 3 500 activateurs)...

Il réitère donc sa proposition que France Num lance une vaste campagne de communication sur les principales chaînes de télévision et de radio ainsi que dans la presse quotidienne régionale, à des heures de grande écoute et sur plusieurs mois.

2. Les actions d'accompagnement des entreprises dans leur transition numérique, qui ont bénéficié d'une hausse importante de crédits en 2021, ne devraient toutefois plus être financées à compter de 2023

Les crédits demandés pour 2022 pour l'initiative France Num proviennent de deux missions budgétaires différentes :

• 14,1 millions de crédits de paiement sont prévus au titre de la mission « Plan de relance » ;

• 320 000 euros d'AE et 780 000 euros de CP sont prévus au titre de la mission « Économie » pour financer les dépenses de fonctionnement de ce dispositif, autres que celles de personnel.

Soit un total de près de 15 millions d'euros de CP pour 2022, contre près de 24 millions d'euros en 2021 (- 37,5 %), qui se répartissaient ainsi : 22 millions d'euros de CP en provenance de la mission « Plan de relance » et près de 2 millions d'euros versés depuis la mission « Économie ».

L'analyse des crédits conduite par le rapporteur met cependant en évidence une absence de projection, en termes budgétaires, au-delà de 2022. En effet, en loi de finances initiale pour 2021, la mission « Plan de relance » prévoyait 36,1 millions d'euros (en AE) et 22 millions d'euros (en CP) pour France Num. Or la mission ne prévoit pour 2022 que 14,1 millions d'euros de CP, ce qui correspond exactement à la part des AE qu'il reste à décaisser une fois décomptés les 22 millions d'euros payés en 2021, et aucun nouveau crédit d'AE.

Autrement dit, le Gouvernement ne prévoit pas à ce jour de nouveaux fonds pour que France Num continue ses démarches de sensibilisation et d'accompagnement collectif des TPE et PME engagés dans la transition numérique. Si ce constat n'empêche pas une éventuelle ouverture de crédits dans le PLF pour 2023, il peut être raisonnablement supposé que la tenue des élections présidentielles joue un rôle dans le choix de ne pas s'engager au-delà de 2022, à rebours des logiques de visibilité et de long terme nécessaires à la mise en place d'une telle politique publique.

Évolution des AE et CP alloués à France Num entre 2019 et 2022 ,
en millions

Source : Commission des affaires économiques du Sénat.

Par ailleurs, le rapporteur souligne qu'en loi de finances initiale pour 2021, la mission « Économie » avait abondé de 1,98 million d'euros (en AE et CP) l'initiative France Num, contre 780 000 € de CP pour 2022 - soit une diminution de 61 %, pour financer les dépenses de fonctionnement autres que celles de personnel. Pourtant, rien dans le projet annuel de performance pour 2022 transmis au Parlement n'indique les raisons de cette diminution ; plus encore, les éléments d'explication sont un simple copier-coller de ceux pour 2021, sans égard, donc, pour cette baisse de 1,2 million d'euros.

En dépit des lacunes et insuffisances recensées par le rapporteur dans le fonctionnement et le déploiement de France Num, un abandon des démarches d'accompagnement et de formation ne saurait être envisagé.

Face aux difficultés rencontrées, il faut faire plus et mieux, et non pas moins. Le rapporteur est en effet convaincu que les obstacles constatés sont surmontables et appelle à ne pas assécher les crédits d'une initiative bienvenue et qui pourrait jouer un réel rôle dans la numérisation nécessaire des TPE-PME, pour peu que le Gouvernement fasse preuve de volontarisme.

B. ACCENTUER LES EFFORTS DE PROMOTION DES MÉTIERS D'ART

1. L'Institut national des métiers d'art (INMA), un organisme central pour promouvoir les artisans d'art

Association reconnue d'utilité publique, employant environ 20 personnes, l'INMA mène une mission d'intérêt général qui vise à promouvoir, via différents canaux, les 198 métiers et 83 spécialités que représentent les métiers d'art.

Les missions de l'INMA sont les suivantes :

• observation, veille et analyse de l'activité économique et de la formation dans le secteur des métiers d'art et du patrimoine vivant ;

• transmission des savoir-faire des métiers d'art et du patrimoine vivant ;

• gestion du label des Entreprises du Patrimoine Vivant (EPV).

2. Les ressources de l'INMA, qui mêlent subventions du budget général et ressources propres, ont été impactées par la crise sanitaire

L'action de l'INMA est financée à la fois par ses ressources propres, issues par exemple des études qu'elle conduit ou des adhésions, par le mécénat, ainsi que par deux subventions, l'une du ministère de la culture (630 000 euros en 2021) et l'autre du ministère de l'économie, des finances et de la relance (900 000 euros en 2021). Pour 2022, le montant de cette dernière est fixé à 1,1 million d'euros dans le projet annuel de performance de la mission « Économie ».

Les ressources de l'institut ont été significativement impactées par la crise sanitaire, puisque l'activité de l'INMA en 2020 a été fortement réduite, tous ses évènements ayant été annulés et l'institut ayant dû fermer.

Évolution des ressources de l'INMA, 2019-2021

Source : Commission des affaires économiques du Sénat, à partir des données DGE.

Ainsi qu'en témoigne le graphique ci-dessus, les flux issus du mécénat 11 ( * ) (qui ont pu représenter jusqu'à 41 % du budget total avant la crise) sont, en outre, en diminution, y compris en 2021 alors que l'activité de l'institut a pu redémarrer.

3. Il est nécessaire d'amplifier les démarches de promotion des métiers d'art

Le rapporteur considère nécessaire d'améliorer le soutien financier de l'État à l'INMA, alors qu'il lui est demandé d'instruire un nombre croissant de dossiers pour le label EPV et que la qualité de ses prestations, de même que leur utilité, sont saluées par l'ensemble des acteurs.

Les métiers d'art représentent une importante richesse immatérielle, puisqu'ils participent tant à la préservation du patrimoine français qu'à l'attractivité de la France et à l'innovation. Il importe, dès lors, de renforcer plus avant les moyens de l'INMA afin d'accroître sa capacité à faire connaître ces métiers et ses possibilités d'instruction de dossiers.

II. LE PLAN DE RELANCE « COMMERCE ET ARTISANAT », COMME ANTICIPÉ L'AN DERNIER, S'EST RÉVÉLÉ TRÈS INSUFFISANT ET N'A PAS TENU SES PROMESSES

A. UNE ENVELOPPE DE 20 MILLIONS D'EUROS POUR DES ACTIONS DE REDYNAMISATION COMMERCIALE QUI N'ONT PAS TROUVÉ LEUR PUBLIC

Le plan de relance prévoyait une enveloppe de 40 millions d'euros pour financer des actions en faveur de la numérisation des acteurs de l'économie de proximité dans les territoires, répartie comme suit :

• 20 millions d'euros pour des actions collectives de numérisation (diagnostics et ingénierie relative aux stratégies numériques territoriales, embauche d'un manager de commerce, solutions numériques collectives 12 ( * ) ) ;

• 16 millions d'euros au profit de l'émergence d'une centaine de Manufactures de proximité dans les territoires (tiers-lieu donnant accès à des matériels et infrastructures numériques et à un écosystème de compétences) ;

• 4 millions d'euros redéployés pour le financement des chèques numériques de 500 euros ( cf. supra ).

Le rapporteur note, à cet égard, que les documents budgétaires annexés à la mission « plan de relance » l'an dernier faisaient état d'une enveloppe de 40 millions d'euros pour les seules actions collectives de numérisation, sans inclure les manufactures de proximité et le redéploiement de crédits pour le chèque numérique. Autrement dit, il semble que l'enveloppe pour lesdites actions collectives ait été divisée par deux entre temps.

Concernant ces actions collectives, les demandes de subvention éligibles étaient les suivantes au 29 octobre 2021 :

Au total, donc, seules 337 demandes ont été formulées, pour un total de moins de 9 millions d'euros (pour rappel, l'enveloppe initiale était de 40 puis de 20 millions d'euros), ce qui atteste du faible succès que cette initiative a remporté.

Ces difficultés étaient déjà anticipées par le rapporteur dans son avis budgétaire de l'an dernier : « alors que la relance du commerce de proximité passe nécessairement par des outils flexibles et adaptables aux diverses réalités des territoires, les modalités de déblocage de ces crédits semblent au contraire particulièrement rigides : à chaque action correspondra un forfait de 20 000 euros, ou de 40 000 euros dans le cas des managers de commerce, indépendamment de la taille de la commune, de la profondeur de ses besoins ou de son taux de vacance commerciale. Cet excès de rigidité ne peut aller qu'à l'encontre de l'efficacité de ces actions, compte tenu du besoin de différenciation et d'adaptation qu'implique une politique de revitalisation commerciale ambitieuse ». Il semble que le peu d'intérêt porté par les acteurs locaux à ces actions collectives de numérisation corrobore ce constat. Interrogée sur la territorialisation éventuelle de l'enveloppe, la DGE a par ailleurs concédé qu'elle n'était pas prévue.

En outre, quasiment aucun dispositif de suivi de l'efficacité des actions collectives n'est mis en oeuvre, si ce n'est une étude sur le déploiement des plateformes numériques territoriales menée par la Banque des territoires et dont les résultats seront connus à la fin du 1 er trimestre 2022.

B. LES FONCIÈRES DE REDYNAMISATION COMMERCIALE : UN OUTIL UTILE POUR LUTTER CONTRE LA VACANCE COMMERCIALE, QUI SEMBLE SOUS-DIMENSIONNÉ

Le plan de relance adopté fin 2020 prévoit également la mise en place d'une centaine de foncières de redynamisation commerciale, qui ont vocation à racheter des locaux commerciaux vacants et à les rénover, voire à les démembrer pour offrir des surfaces davantage en adéquation avec les besoins des professionnels, puis à les louer à un tarif attractif. L'objectif est de rénover jusqu'à 6 000 commerces de proximité sur une période de cinq ans (2021-2025). Sont visées en priorité les zones en déprise (Quartier prioritaire de la ville (QPV), ville signataire d'une convention d'opération de revitalisation du Territoire (ORT), ruralité).

Pour ce faire, la Banque des territoires doit investir 100 millions d'euros supplémentaires au capital de foncières locales, en complément des 200 millions d'euros qu'elle y consacre déjà dans le cadre du programme Action coeur de ville. Par ailleurs, compte tenu du déficit d'opération compris entre 10 et 50 % que génèrent ces opérations de réaménagement, un fonds de soutien doté de 60 millions d'euros a également été mis en place pour traiter 1 900 commerces. Il est piloté par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et suivi par un comité de pilotage regroupant ministres 13 ( * ) , la Banque des territoires, l'ANCT, les instances représentatives des collectivités et les réseaux consulaires.

Interrogé par le rapporteur, le ministère a indiqué que l'objectif était de parvenir à 60 foncières mises en place d'ici la fin de l'année (53 l'étaient en juillet 2021). Par ailleurs, les 53 foncières existantes porteraient des plans d'affaires correspondant à la rénovation d'environ 1 000 locaux (dont 105 livrés à ce jour 14 ( * ) ), ce qui interroge sur le réalisme de l'objectif initial de 6 000 commerces rénovés (compte tenu du rythme observé, il faudrait 300 foncières pour y parvenir). De même, la réunion du comité, en juillet 2021, a débouché sur une subvention de 12,7 millions d'euros pour traiter 165 locaux, ce qui semble attester d'un dimensionnement sous-optimal du fonds de 60 millions d'euros (compte tenu du rythme observé, seuls 780 commerces pourraient être traités avant épuisement de l'enveloppe, contre un objectif de 1 900).

Le rapporteur réitère par ailleurs sa mise en garde sur le haut niveau de complexité et d'ingénierie que requiert la mise en oeuvre de ces foncières, susceptible d'exclure du dispositif les plus petites villes, villages ou bourgs qui ne disposent pas forcément des compétences nécessaires.

Une augmentation de l'enveloppe allouée à ces foncières de redynamisation commerciale et au fonds chargé de compenser leurs déficits semble nécessaire, compte tenu de l'importance des enjeux et du coût des projets de rénovation. Une attention plus soutenue aux problématiques des territoires les plus fragilisés est également nécessaire.

CHAPITRE 3
LES CRÉDITS CONSACRÉS AU NUMÉRIQUE ET POSTES
(RAPPORTEURE POUR AVIS : MME ANNE-CATHERINE LOISIER)

La mission « Économie » du PLF 2022 est marquée par une hausse significative des crédits alloués à la compensation du déficit des missions de service public de La Poste, ce qui s'inscrit dans la continuité des travaux récents de la commission des affaires économiques sur le sujet.

Le plan France Très Haut Débit, dont les objectifs devraient être atteints, accélère sa mise en oeuvre opérationnelle, sous réserve d'une attention particulière accordée aux raccordements complexes et à la transition du réseau cuivre vers le réseau fibre optique afin d'assurer une qualité jusqu'au « dernier mètre » et jusqu'au « dernier abonné ».

L'année 2021 a également été marquée par les débuts du déploiement commercial et technique de l'offre 5G sur les fréquences les plus hautes, la commission attirant l'attention sur la nécessité d'avoir un développement maîtrisé et équitable sur le territoire.

I. LA POSTE : UNE PREMIÈRE COMPENSATION DU DÉFICIT DU SERVICE UNIVERSEL POSTAL QUI FAIT NOTAMMENT SUITE AUX RÉCENTS TRAVAUX DU SÉNAT SUR LE SUJET

A. LE SERVICE UNIVERSEL POSTAL : JUSQU'À 520 MILLIONS D'EUROS POUR COMPENSER LE DÉFICIT EN 2022

1. En mars 2021, le Sénat a alerté sur la situation financière inédite du service universel postal qui menace le service public si aucune mesure n'est prise

Tendance de long terme, la baisse du volume du courrier a été fortement accélérée par la crise sanitaire. En effet, le nombre de lettres envoyées était de 18 milliards (Md) en 2008, puis de 13,7 Md en 2013, de 9,1 Mds en 2019 et de 7,5 Md en 2020, soit une baisse supplémentaire du volume du courrier liée à la crise sanitaire estimée à 9 % par La Poste.

La baisse du volume du courrier a un impact financier significatif pour La Poste, faisant diminuer le chiffre d'affaires alors que les coûts fixes demeurent élevés. Par conséquent, le service universel postal est devenu, pour la première fois, déficitaire en 2018 à hauteur de 365 millions d'euros, avec un déficit estimé à 1,1 milliard d'euros par le groupe La Poste pour l'année 2020, ce qui est plus de trois fois plus élevé que le déficit constaté il y a deux ans.

Dans un rapport récent adopté à l'unanimité par la commission des affaires économiques 15 ( * ) , le Sénat a alerté sur la situation financière inédite du service universel postal qui ne fait l'objet d'aucune compensation par l'État car l'équilibre financier du compte du service universel postal était assuré jusqu'en 2017, ce qui permettait également de « justifier » la sous-compensation des trois autres missions de service public exercées par La Poste.

Le Sénat avait donc alerté sur les risques de « réduction » du service public pour les usagers si aucune mesure n'était prise . Concrètement, cela signifierait une accélération des réductions d'emplois, des fermetures de bureaux de poste et un moindre passage du facteur à chaque boîte aux lettres lors des tournées de distribution.

2. En juillet 2021, le Gouvernement a pris des engagements dont la traduction budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2022 est appréciée et significative

À l'issue du comité de suivi de haut niveau du contrat d'entreprise entre l'État et La Poste 16 ( * ) , le Premier ministre s'est engagé à octroyer une dotation budgétaire de 500 millions d'euros pour compenser le déficit du service universel postal pour l'année 2022 . De manière complémentaire et optionnelle, une dotation supplémentaire de 20 millions d'euros pourra être octroyée à La Poste sous réserve du respect de ses objectifs de qualité de service définis au niveau réglementaire.

Budgétairement, cela se traduit par une hausse exceptionnelle globale de 458 millions d'euros en autorisations d'engament (AE) et en crédits de paiement (CP) de l'action 4 « Développement des postes, des télécommunications et du numérique ».

Évolutions budgétaires prévues par le PLF 2022

La commission des affaires économiques rappelle toutefois qu'une dotation budgétaire fait l'objet d'une négociation annuelle et qu'il est indispensable de disposer d'une plus grande visibilité et d'une plus grande sécurité quant aux versements de la dotation de compensation de déficit du service universel postal pour les années à venir . Dans cette perspective, la commission recommande que les montants prévisionnels figurent a minima dans le contrat d'entreprise négocié entre La Poste et les services compétents de l'État.

3. Le PLF 2022 permet également des évolutions législatives souhaitées par le Sénat, mais des précisions méthodologiques doivent encore être apportées

La proposition de loi du Sénat pour l'encadrement des services publics de La Poste du 30 avril 2021 17 ( * ) souhaite assortir le versement des compensations de service public de garanties de contrôle supplémentaires, en confiant notamment à l'Arcep une mission d'évaluation préalable, indépendante et objective du coût du service universel postal à partir de laquelle la compensation de l'État sera déterminée.

Conformément à la proposition du Sénat, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement permettant les évolutions législatives nécessaires afin de confier cette nouvelle mission à l'autorité de régulation. Le PLF 2022 prévoit également une hausse de 4 ETP pour l'Arcep, ce qui devrait notamment permettre de renforcer les équipes chargées des questions postales.

Toutefois, les auditions menées par la rapporteure ont mis en évidence le manque de préparation de l'Arcep sur ce sujet, malgré les demandes réitérées du Sénat et du Gouvernement . La commission des affaires économiques insiste sur la nécessité pour l'Arcep d'élaborer rapidement une méthodologie d'évaluation éprouvée et opérationnelle afin que les compensations versées par l'État soient déterminées sur la base du chiffrage du régulateur dès le PLF 2023.

Les auditions menées par la rapporteure ont également mis en évidence l'absence de définition de la méthodologie qui sera retenue pour décider du versement de la dotation budgétaire optionnelle de 20 millions d'euros, en fonction des résultats de qualité de service de La Poste . Non seulement le nouvel arrêté ministériel relatif aux objectifs de qualité du service universel postal n'a toujours pas été adopté, mais il semble qu'aucune discussion n'ait eu lieu avec l'Arcep, pourtant chargée d'évaluer le respect des objectifs de qualité de service par La Poste, pour préciser les modalités relatives à l'octroi de cette dotation.

B. LES AUTRES MISSIONS DE SERVICE PUBLIC DE LA POSTE : LE SÉNAT ENTENDU SUR PLUSIEURS POINTS BUDGÉTAIRES

1. La mission de contribution à l'aménagement du territoire : la reconduction de la compensation de la baisse des impôts de production adoptée par le Sénat en 2020

La baisse des impôts de production prévue par la loi de finances pour 2021 est notamment permise par la réduction de moitié de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Or, les bases d'imposition de ces deux taxes représentent 99 % de la base d'abattement permettant de financer le fonds postal national de péréquation territoriale (FPNPT) dont les ressources compensent une partie de la mission de contribution à l'aménagement du territoire au titre de laquelle La Poste doit maintenir au moins 17 000 points de contact.

En 2020, grâce à un amendement du Sénat, la loi de finances pour 2021 a prévu une subvention de 66 millions d'euros pour financer le FPNPT, par abondement du programme 134 « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie » du budget général de l'État. Cette année, dès la version initiale du projet de loi de finances pour 2022, une subvention de 74 millions d'euros a été prévue pour compenser l'impact de la baisse des impôts de production sur le FPNPT .

La commission des affaires économiques souligne également le changement de méthode dans le calcul du coût du maillage territorial par l'Arcep, se traduisant par une hausse du coût de la mission de contribution à l'aménagement du territoire, estimé à 325 millions d'euros en 2020 contre 230 millions d'euros en moyenne les années précédentes . Si la direction générale des entreprises a indiqué à la rapporteure que ce « changement de périmètre » avait été pris en compte pour déterminer le montant de la compensation du service universel postal 18 ( * ) , la commission se montrera très attentive à l'évolution du montant des compensations accordées à La Poste au titre de ses missions de service public, notamment parce qu'il n'y a pas de prévisibilité ni d'assurance d'une reconduction de la dotation du service universel postal dans les mêmes montants pour les années à venir .

2. La mission de transport et de distribution de la presse : la mise en oeuvre amorcée d'une réforme nécessaire et attendue

Dans son récent rapport sur les services publics de La Poste, la commission des affaires économiques rappelait la nécessité de réformer la mission de transport et de distribution de la presse et apportait son soutien aux recommandations formulées par Emmanuel Giannesini, conseiller-maître à la Cour des comptes chargé par le Gouvernement de préparer un projet de protocole tripartite qui fait l'objet pour l'instant d'une « rare unanimité » 19 ( * ) .

Dans la perspective de mise en oeuvre de cette réforme, la commission des affaires économiques rappelle qu'une évolution législative demeure nécessaire pour compléter les missions de l'Arcep en matière de transport et de distribution de la presse, ce que permet par exemple la proposition de loi relative à l'encadrement des services publics de La Poste, qui propose également de renforcer les exigences de qualité de service en la matière.

Budgétairement, la mise en oeuvre annoncée de cette réforme se traduit par un transfert de crédits du programme 134 vers le programme 180 « Presse et médias » de 62,3 millions d'euros, alors que les crédits du programme 134 dédiés à la compensation de la mission de service public diminuent de 71,7 millions d'euros par rapport à 2021.

La commission des affaires économiques sera également attentive à l'évolution de la compensation versée à La Poste pour l'exercice de cette mission de service public , dont les modalités de calcul évoluent avec la mise en oeuvre de cette réforme.

II. LE PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT : APRÈS UNE HAUSSE BUDGÉTAIRE, UNE MISE EN oeUVRE OPÉRATIONNELLE QUI DOIT ÊTRE ÉQUITABLE ET DE QUALITÉ JUSQU'AU DERNIER MÈTRE

A. APRÈS UNE HAUSSE BUDGÉTAIRE BIENVENUE L'ANNÉE DERNIÈRE, L'ACCÉLÉRATION DE LA PHASE DE MISE EN oeUVRE OPÉRATIONNELLE

1. Assurer le décaissement progressif des crédits supplémentaires alloués au financement des réseaux d'initiative publique portés par les collectivités territoriales

La loi de finances pour 2021 a augmenté de 230 millions d'euros, en autorisations d'engagement (AE), le montant des crédits alloués au financement des réseaux d'initiative publique (RIP) dans la mission « Plan de relance ». En y ajoutant les crédits non engagés « recyclés » sur les exercices précédents et ceux engagés par la troisième loi de finances rectificative pour 2020, le Gouvernement estime à 550 millions d'euros les crédits engagés pour assurer le développement de la fibre optique sur l'ensemble du territoire d'ici 2025.

Toutefois, selon certains acteurs du secteur, tels qu'Infranum ou l'Avicca, l'enveloppe totale des investissements dédiés au déploiement de la fibre optique devrait plutôt se situer entre 670 et 680 millions d'euros 20 ( * ) .

Le PLF 2022 ne prévoit pas de nouvelles AE pour le financement des RIP, mais des hausses très significatives de crédits de paiement sont à anticiper pour financer progressivement les projets engagés par les collectivités territoriales depuis 2015 : 600 millions d'euros sont ainsi prévus dans le cadre du programme 343 « Plan France Très Haut Débit » et 50 millions d'euros dans le cadre de la mission « Relance ».

Dans cette perspective, la rapporteure se montrera particulièrement attentive au suivi du décaissement des crédits dédiés au financement des RIP, et réitère ses critiques quant au rattachement d'une partie des crédits au plan de relance plutôt qu'au programme 343.

2. Maintenir le bon rythme de déploiement de la fibre optique qui assure l'essentiel de la hausse de la connectivité sur le territoire pour respecter les objectifs 2022 et 2025

Le premier objectif du programme était la couverture du territoire en bon haut débit à 100 % d'ici la fin de l'année 2020 , ce qui correspond à un pic descendant supérieur ou égal à 8 Mbit/s . Selon les estimations de l'Arcep, 99 % des locaux sont aujourd'hui éligibles au raccordement d'une technologie permettant d'avoir un bon haut débit. Hors accès Internet via satellite, qui présente encore des difficultés notamment pour la pose d'antennes en habitat collectif, ce chiffre est plutôt de 97,5 %.

Le deuxième objectif du programme est la couverture du territoire en très haut débit à 100% d'ici la fin de l'année 2022 , ce qui correspond à un pic descendant supérieur ou égal à 30 Mbit/s. Si les opérateurs privés doivent couvrir 55 % des logements et des locaux professionnels en très haut débit, le reste du territoire doit être couvert grâce aux RIP mis en place par les collectivités territoriales, ce qui représente, selon les estimations de l'Arcep, environ 17 millions de locaux sur les 42 millions de locaux à équiper au niveau national.

Le troisième objectif du programme est la généralisation des déploiements des réseaux de fibre optique jusqu'à l'abonné (Ftth) d'ici la fin de l'année 2025 sur l'ensemble du territoire national . Le développement du très haut débit est essentiellement porté par la fibre optique : sur 16,6 millions d'abonnements très haut débit, 12,4 millions sont des abonnements fibre optique de bout en bout, ce qui représente une hausse d'environ 4 millions d'abonnements en un an.

Au regard de ces deux objectifs, le graphique ci-dessous indique la part des locaux du territoire national couverts en bon débit (nuances de vert) ou en très haut débit (nuances de bleu) selon les différentes technologies existantes.

Source : Arcep.

Aujourd'hui, le déploiement du très haut débit et de la fibre optique par les RIP dans les zones les moins denses est moins avancé que dans les zones plus denses couvertes par les opérateurs privés. Ainsi, 60 % des locaux situés dans les zones moins denses d'initiative publique, soit 10,3 millions de locaux, ne sont pas encore éligibles au Ftth, alors que les opérateurs privés ont un rythme de déploiement soutenu avec environ 5 millions de nouvelles lignes raccordables en 2019 et 6 millions en 2020 .

La Fédération française des télécommunications et l'Arcep ont toutefois indiqué à la rapporteure qu'un basculement de la main d'oeuvre et des efforts s'était amorcé vers les RIP dans les zones les moins denses depuis le début de l'année 2021. En un an, environ 2,5 millions de lignes ont été déployées par les RIP, l'Arcep estimant à la fin du premier semestre 2021 qu'environ 10 millions de lignes devaient encore être raccordées.

La commission des affaires économiques appelle le régulateur à assurer un suivi renforcé du déploiement des RIP afin que les objectifs fixés par le Plan France Très Haut Débit soient respectés, et accordera une vigilance particulière au décaissement des crédits qui ont été ouverts pour déployer ces réseaux .

3. Réévaluer le rôle des opérateurs alternatifs de télécommunications dans le déploiement de la fibre optique

Les opérateurs alternatifs de télécommunications (OAT) ont la spécificité de proposer des services dédiés aux entreprises et aux collectivités territoriales et d'intervenir sur des zones géographiques ciblées, à la différence des opérateurs traditionnels.

Les difficultés d'accès des OTA aux réseaux et infrastructures déjà établis, en particulier au niveau des fourreaux installés sur les concessions autoroutières concédées, ont été portées à l'attention de la rapporteure.

Dans cette perspective, la commission appelle à une plus grande transparence sur ce sujet et invite les pouvoirs publics, ainsi que le régulateur, à interroger leur choix de ne pas contribuer à l'organisation d'un dialogue structuré entre opérateurs historiques, opérateurs alternatifs et gestionnaires de réseaux et d'infrastructures. Les bons résultats du déploiement de la fibre optique en France par les opérateurs traditionnels ne signifient pas pour autant que les opérateurs alternatifs ne peuvent pas jouer un rôle pour accélérer la numérisation des entreprises et la connectivité des collectivités territoriales , deux sujets où les marges d'amélioration demeurent importantes.

B. UNE MISE EN oeUVRE OPÉRATIONNELLE QUI DOIT ASSURER LA QUALITÉ DE SERVICE JUSQU'AU DERNIER MÈTRE ET JUSQU'AU DERNIER ABONNÉ

1. Renforcer les efforts sur les raccordements complexes : la qualité jusqu'au dernier mètre

Afin que l'objectif de couverture de l'ensemble du territoire par les réseaux de fibre optique d'ici la fin de l'année 2025 soit pleinement respecté, il est nécessaire d'adopter une stratégie spécifique pour les « raccordements complexes » afin d'assurer un raccordement jusqu'au « dernier mètre ». Les raccordements complexes, plus coûteux et plus long à réaliser, désignent notamment les échecs de raccordement par les opérateurs, le défaut d'infrastructures de génie civil ou leur manque d'accessibilité permettant un raccordement aux réseaux de fibre optique.

D'un point de vue budgétaire, 150 millions d'euros d'AE pourraient être mobilisés dès 2022 pour financer ces raccordements complexes dans le cadre des crédits alloués au financement des RIP 21 ( * ) .

La commission des affaires économiques souhaiterait insister sur la nécessité d'investir dans les raccordements complexes et suivra avec intérêt les prochaines annonces du Gouvernement sur ce sujet, en particulier en matière de financement. En effet, il apparaît nécessaire qu'une décision claire soit prise pour décider si le coût des raccordements complexes est à la charge des usagers qui en font la demande, à celle des opérateurs privés ou si cela fait partie des attributions de l'opérateur chargé du service universel .

Par ailleurs, la rapporteure estime également qu'une information spécifique du Parlement devrait être prévue concernant les résultats des expérimentations de raccordements complexes menées dans les départements du Gers, des Pyrénées-Orientales, de la Sarthe et du Val-de-Marne .

2. Préciser la stratégie, maintenir la qualité et renforcer le contrôle sur l'extinction progressive du réseau cuivre : la qualité jusqu'au « dernier abonné »

L'année 2021 constitue une année historique de « croisement des courbes » dans la mesure où le nombre d'abonnés utilisant les réseaux de fibre optique a dépassé le nombre d'abonnés utilisant le réseau cuivre dont l'opérateur historique est Orange . Selon son plan stratégique d'extinction progressive du réseau cuivre à horizon 2030, la fermeture commerciale démarrera surtout dès 2023, puis sera suivie de la fermeture technique du réseau.

Or, comme le rappelle l'Arcep, « le haut et très haut débit sur DSL constituent encore aujourd'hui un produit de masse » 22 ( * ) , c'est pourquoi il est indispensable que l'extinction progressive du réseau cuivre et les investissements réalisés dans le déploiement des réseaux de fibre optique ne se traduisent pas par un désengagement de l'opérateur en matière de qualité de service et d'entretien des réseaux pour les très nombreux abonnés dont la connexion dépend encore du réseau cuivre, le seul disponible dans certaines zones.

Ainsi, la rapporteure appelle-t-elle à une transition maîtrisée dès maintenant, la société Orange prévoyant la fermeture commerciale rapide de 13 millions d'adresses pour des produits grand public dépendant du réseau cuivre au courant de l'année 2022 .

Au regard de l'importance des enjeux considérés, le « plan cuivre » annoncé au mois de mai dernier précise les engagements supplémentaires qui doivent être pris par Orange, notamment : (1) le maintien d'un investissement annuel de 500 millions d'euros pour l'entretien du réseau sur l'ensemble du territoire ; (2) la hausse des effectifs et des recrutements fléchés sur les territoires en tension et les interventions en cas de crise ; (3) l'engagement de fournir une solution de secours mobile en 24 heures à compter du signalement d'un incident.

Le suivi et la déclinaison de ce plan doivent être assurés par des comités de concertation départementaux coordonnés par les préfets de département. Toutefois, les auditions menées par la rapporteure mettent en évidence un très faible déploiement de ces comités départementaux et une faible information des élus locaux quant à l'existence de ces comités. La commission des affaires économiques appelle donc au renforcement de l'information des élus locaux et à l'accélération de la déclinaison territoriale du « plan cuivre » .

La commission des affaires économiques reconnaît également l'engagement de l'Arcep sur le sujet, qui a notamment fixé des indicateurs et des seuils de qualité de service à respecter et fournit un encadrement nécessaire à la fermeture progressive du réseau cuivre. À cet égard, le régulateur reconnaît que « le projet d'Orange doit encore largement être précisé » 23 ( * ) , la présidente de l'Arcep ayant indiqué à la rapporteure, lors de son audition, qu'il n'y aurait pas d'hésitation à recourir aux procédures et au pouvoir de sanction de l'Arcep si la société Orange ne respectait pas ses engagements .

III. LE DÉPLOIEMENT DE LA 5G EN FRANCE : UNE OFFRE COMMERCIALE QUI SE DÉVELOPPE MAIS UN DÉPLOIEMENT TECHNIQUE À L'ÉQUITÉ TERRITORIALE ENCORE INCERTAINE

A. UNE OFFRE COMMERCIALE QUI SE DÉVELOPPE RAPIDEMENT MAIS QUI DOIT ÊTRE ASSORTIE D'UN DÉPLOIEMENT TECHNIQUE MAÎTRISÉ

1. Soutenir le bon développement de l'offre 5G pour rattraper le retard de la France

Un an après les attributions d'utilisation des fréquences 3,4 - 3,8 GHz de la bande 5G, la Fédération française des télécommunications (FFT) a indiqué à la rapporteure 24 ( * ) sa satisfaction quant au déploiement des offres commerciales par les quatre opérateurs attributaires : Orange, SFR, Bouygues Télécom et Free Mobile.

Selon les dernières estimations de l'Observatoire de la 5G mis en place par l'Arcep, au 30 juin 2021, près de 17 000 sites 5G étaient ouverts commercialement en France, dont près de 5 000 en bande 3,4 - 3,8 GHz, les autres offres commerciales 5G étant développées à des fréquences plus basses .

L'accélération du déploiement commercial de la 5G devrait permettre à la France de rattraper son retard par rapport aux autres pays de l'Union européenne. En effet, selon l'Indice relatif à l'économie et à la société numériques (DESI) élaboré par la Commission européenne pour l'année 2021, la France se situe à la 15 e position au niveau global, mais à la 17 e position en matière de connectivité.

Plus précisément :

• en matière de « préparation à la 5G », c'est-à-dire le pourcentage de radiofréquences attribuées sur le total du spectre 5G harmonisé, la France se situe au-delà de la moyenne de l'Union européenne depuis l'attribution des fréquences l'année dernière ;

• en matière de « couverture 5G », déterminée en fonction du pourcentage de zones habitées, les chiffres pour la France ne sont pas encore disponibles mais 13 autres États membres avaient déployé au moins un réseau 5G avant.

2. Garantir un déploiement technique maîtrisé des sites 5G

Si l'accélération du déploiement de la 5G est nécessaire et souhaitable pour améliorer la connectivité et la modernisation de notre économie, la commission des affaires économiques insiste sur la nécessité de garantir un déploiement maîtrisé, notamment en raison des risques de brouillage qui peuvent intervenir par la multiplication des infrastructures et des fréquences utilisées . À cet égard, l'Agence nationale des fréquences (ANFR) est notamment chargée de la résolution des brouillages et de la synchronisation des réseaux aux frontières, ainsi que de la prévention des risques de brouillage dans le cadre de la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Afin de mener à bien ces missions, les moyens de l'ANFR ont été récemment renforcés.

Pour cela, l'ANFR peut se prévaloir d'une « taxe de brouillage » de 450 € pour financer le déplacement des équipes techniques afin de résoudre un problème de brouillage, ce qui correspond à environ 1 200 interventions par an. Surtout employée de manière dissuasive, cette taxe est peu utilisée, avec un produit annuel estimé à environ 120 000 euros reversé au budget de l'État.

La rapporteure partage ses réserves quant à la suppression annoncée de cette taxe dans un contexte où les interventions de résolution de brouillage de l'ANFR sont amenées à augmenter avec le déploiement de la 5G et accordera une attention particulière au système de contravention qui sera éventuellement mis en place pour compenser la suppression de cette taxe de brouillage .

B. LE DÉPLOIEMENT TECHNIQUE DE LA 5G DOIT ÊTRE ÉQUITABLEMENT RÉPARTI SUR L'ENSEMBLE DU TERRITOIRE

1. Rappeler les obligations des opérateurs de télécommunications

Dans le cadre de l'attribution des licences d'utilisation des fréquences 3,4 - 3,8 GHz de la bande 5G, des obligations spécifiques en matière d'aménagement numérique du territoire ont été fixées aux opérateurs de télécommunications.

En bande 3,5 GHz, 3 000 sites devront être déployés avant fin 2022, 8 000 en 2024 et 10 500 en 2025. Pour 2024 et 2025, 25 % des sites 5G devront être déployés dans une zone rassemblant les communes des zones peu denses et celles des territoires d'industrie, hors des principales agglomérations .

Obligations de déploiement des sites 5G en France

Source : Arcep.

2. Veiller à ce que le déploiement de la 5G n'accentue pas les inégalités de connectivité

Dans cette première phase de déploiement technique de la 5G, les opérateurs privilégient l'utilisation des infrastructures existantes et l'exploitation dans les zones les plus densément peuplées . Cette situation s'explique à la fois par un souci de rentabiliser les importants investissements réalisés lors de la mise aux enchères des fréquences 3,4 - 3,8 GHz de la bande 5G, mais également par la nécessité de décongestionner les réseaux 4G dans les centres urbains. Par conséquent, de manière très significative sur les cartes ci-dessous, les opérateurs déploient techniquement les équipements 5G dans les aires urbaines les plus densément peuplées, la couverture territoriale plus importante de Free Mobile s'expliquant par le choix de l'opérateur d'exploiter depuis plusieurs années les fréquences les plus basses de la bande 5G.

Cartographie de l'emplacement des sites 5G au 30 juin 2021

Source : Arcep.

Selon les données transmises par l'ANFR 25 ( * ) , début novembre 2021, sur les 30 092 sites 5G autorisés, 13 028, soit 43,3 % des sites 5G, étaient implantés sur le territoire d'une unité urbaine de moins de 50 000 habitants ou hors unité urbaine . À titre de comparaison, début novembre 2021, après un peu moins de dix années de déploiement, sur les 58 210 sites 4G autorisés, 31 334, soit 53,8 % des sites 4G, étaient implantés sur le territoire d'une unité urbaine de moins de 50 000 habitants ou hors unité urbaine.

Malgré ces informations de nature rassurante quant au rythme et au déploiement territorial des sites 5G pour les années à venir, la commission des affaires économiques appelle toutefois à la prudence et se montrera particulière vigilante à ce que le déploiement de la 5G soit conforme aux engagements pris par les opérateurs auprès de l'Arcep afin d'éviter un accroissement des inégalités de connectivité sur notre territoire .

CHAPITRE 4
LES CRÉDITS CONSACRÉS À L'INDUSTRIE
(RAPPORTEUR POUR AVIS :
M. FRANCK MONTAUGÉ)

Le budget pour 2022 devrait être celui de « l'après » : celui d'après la pandémie de Covid-19, d'après la crise économique, surtout celui d'après la relance dont les montants sont aujourd'hui largement engagés et qui touche à sa fin.

Pourtant, le projet de loi de finances présenté par le Gouvernement, en particulier la mission budgétaire « Économie », apparaît comme un budget du passé.

Il traduit un retour à l'ordinaire et révèle un manque de vision stratégique, au vu des défis immenses révélés par la crise économique et que devront relever les industriels dans les années à venir : numérisation, évolution du modèle énergétique, sécurisation des intrants, mutation des filières... Pour ce qui concerne les crédits « Industrie », le projet de loi de finances pour 2022 n'est pas à la hauteur des enjeux en matière de puissance économique, d'emploi et de transition.

I. L'INDUSTRIE FRANÇAISE A FAIT PREUVE DE RÉSILIENCE MAIS DOIT DÉSORMAIS AFFRONTER DE NOUVEAUX DÉFIS TANT CONJONCTURELS QUE STRUCTURELS

A. L'INDUSTRIE A RÉSISTÉ À LA CRISE ET LA REPRISE EST LÀ, MAIS DES FACTEURS DE FRAGILITÉ SUBSISTENT ET LES DEUX PRINCIPALES FILIÈRES SONT EN DIFFICULTÉ

L'année 2021 a permis à l'industrie française de démontrer sa résilience et de rebondir, retrouvant des niveaux de performance proches de l'avant-crise :

- l'activité est inférieure de 3 % environ à celle de la fin de l'année 2019, alors qu'elle avait plongé de plus de 18 % au coeur de la crise. Les carnets de commandes sont aujourd'hui généralement bien remplis ;

- la trésorerie des entreprises a été préservée , en lien avec les prêts garantis par l'État et le chômage partiel notamment. Seules 7 % des entreprises déclarent des difficultés à cet égard, contre 14 % en moyenne de long terme ;

- le taux de marge s'est fortement redressé en début d'année 2021 (38 % contre 29 % en 2020), bien que l'INSEE attende une baisse en fin d'année ;

- en conséquence, les défaillances d'entreprises ont été, durant toute la crise, moins nombreuses que d'ordinaire, limitant les destructions d'emplois et de capacités productives. En général, la confiance des entreprises se maintient ;

- l'investissement dans l'industrie manufacturière s'est maintenu : il a légèrement baissé en 2020 (- 4,5 %), mais a rebondi en 2021 (+ 10 %), grâce aux mesures de soutien à l'investissement du plan de relance et à la reprise de la production notamment. Il dépasse désormais son niveau d'avant-crise ;

- à la mi-2021, l'emploi dans l'industrie manufacturière française était inférieur de 1,5 % environ à son niveau d'avant-crise. Ce recul apparaît limité au regard de l'ampleur du choc économique, des comparaisons internationales (- 9 % en Espagne, - 6 % aux États-Unis) et qui témoigne du soutien précieux offert par l'activité partielle durant la crise. Les recrutements se situent à des niveaux record à l'automne 2021.

Toutefois, des facteurs d'inquiétude persistent :

- la reprise du secteur industriel apparaît moins importante que celle des autres secteurs économiques . Ainsi, la valeur ajoutée du secteur industriel est celle qui connaît toujours le plus grand écart par rapport à sa valeur de 2019. La reprise industrielle apparaît aussi moins importante que celle des autres pays européens ;

- ces chiffres s'expliquent par le fait que deux secteurs structurants pour l'industrie française restent en grande difficulté : les filières automobile et aéronautique , qui exercent elles-mêmes un fort effet d'entraînement sur l'économie, outre leur impact sur la balance commerciale ;

- selon certains économistes, un « rattrapage » des faillites évitées grâce aux mesures d'urgence pourrait intervenir au cours de l'année 2022 , provoquant une hausse des défaillances qui pourrait atteindre 40 % et un report de l'impact social et économique de la crise.

B. TROIS DÉFIS DE TAILLE : LES PÉNURIES D'INTRANTS, L'IMPACT DE LA FLAMBÉE DES PRIX DE L'ÉNERGIE, ET LES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT

À peine sortie de la crise économique, l'industrie française doit en outre affronter trois défis de taille, amplifiés ou parfois simplement mis en évidence par la crise économique, qui contraignent fortement l'offre, empêchent les entreprises de tirer pleinement bénéfice de la reprise .

• Les pénuries d'intrants bouleversent les chaînes de production industrielle et sont un risque pour la souveraineté industrielle

La reprise est freinée par l'impossibilité de nombreuses entreprises industrielles de se fournir en intrants essentiels. Ces pénuries ont d'abord été causées par la pandémie, qui a stoppé la production dans certains pays, mais elles sont désormais principalement liées à la forte demande mondiale d'économies en pleine reprise. Entre la fin de l'année 2019 et août 2021, le prix des matières premières a augmenté de 36,6 % , reflétant cette rareté. Selon l'INSEE, la proportion d'entreprises industrielles françaises connaissant des difficultés d'offre a atteint 40 % en juillet 2021, un niveau inédit depuis la fin de l'année 2000, les filières des biens d'équipement et automobiles étant particulièrement touchées.

Ces pénuries ne sont donc pas uniquement le résultat de la conjoncture, mais révèlent aussi un problème structurel, lié à l'absence de capacités de production nationales, à la vulnérabilité des modes d'approvisionnement de l'industrie française, voire à la dépendance à l'importation de certains produits auprès d'un nombre réduit de producteurs mondiaux, comme l'exemple des semi-conducteurs le démontre cruellement.

• La flambée des prix de l'énergie renchérit les prix de production

Entre décembre 2019 et l'été 2021, les prix de l'énergie ont augmenté d'environ 40 % en France. Selon les chiffres fournis par France Industrie, le tarif moyen pratiqué aux industriels, en fonction de leur mode d'approvisionnement, a été multiplié par 2 pour le carbone, par 4 pour l'électricité et par 7 pour le gaz, franchissant des records historiques .

Les secteurs électro-intensifs, c'est-à-dire ceux dont les procédés de production nécessitent une consommation importante d'énergie, souffrent particulièrement de cette flambée tarifaire. Le poids du poste de l'énergie dans la structure de coûts des entreprises a pu, dans certains cas, doubler, et remet en question les modes d'approvisionnement des industriels .

Ces tensions se répercutent aussi sur les prix de production, qui ont fortement crû dans l'industrie manufacturière (+ 7,2 % en une année). La flambée des coûts de l'énergie est donc susceptible, à court ou moyen terme, de résonner dans l'ensemble de l'économie, des secteurs « aval » utilisateurs de produits manufacturés jusqu'aux prix à la consommation des ménages (dont agroalimentaire), réduisant le pouvoir d'achat.

• Des tensions sur le recrutement

Si l'emploi industriel a subi une légère baisse durant la crise, la reprise économique accroît désormais les besoins des entreprises françaises. En juillet 2021, la proportion de chefs d'entreprises déclarant rencontrer des difficultés de recrutement continue d'augmenter et atteint désormais 44 % , niveau nettement supérieur à sa moyenne récente : près de 80 000 postes seraient à pourvoir dans l'industrie en France. Les embauches ont fortement augmenté et atteignent un niveau inédit depuis 2011, mais ne suffisent pas à assouvir les besoins, conduisant certains industriels à décliner des commandes.

II. LE BUDGET POUR 2022 DEVRAIT INCARNER LA VISION DE L'APRÈS-RELANCE...

A. LES BUDGETS DE RELANCE CONSACRÉS À L'INDUSTRIE ONT GLOBALEMENT JOUÉ LEUR RÔLE, MAIS TOUCHENT À LEUR FIN

Les auditions du rapporteur ont fait remonter un sentiment général de satisfaction vis-à-vis de la mise en oeuvre du plan de relance français, les entreprises industrielles ayant pu renouer avec un niveau de production proche de la normale sans dommages structurels trop importants. Toutefois, plusieurs critiques ont été exprimées :

Ø si les mesures de soutien à l'investissement ont été appréciées et largement utilisées par les entreprises, une grande partie des montants dédiés à l'industrie dans le cadre du plan de relance sont déjà épuisés, alors qu'ils devaient servir à financer des actions, jusqu'à la fin de l'année 2022. Ainsi, en matière de chaleur bas-carbone, les fonds ont été intégralement engagés et il manquerait, selon la DGEC, de l'ordre de 400 à 600 millions d'euros, ne serait-ce que pour accompagner les dossiers déjà déposés. Les enveloppes des fonds de modernisation automobile et aéronautique ont également été entièrement engagées, de même que les montants dédiés à l'Industrie du Futur ;

Ø il convient donc de prendre garde à ce que la fin anticipée de la relance industrielle, avec l'épuisement des crédits, ne conduise pas à un « trou d'air » qui dégrade la confiance des entreprises et réduise le coefficient multiplicateur effectif du plan de relance. Un « débranchement » des aides avant leur terme annoncé, a fortiori dans un contexte marqué par l'incertitude sur les coûts de l'énergie et une reprise qui n'est que partielle dans plusieurs secteurs, pourrait être lourd de conséquences ;

Ø or, si des redéploiements ont permis, au cours de l'année 2021, d'abonder certaines enveloppes très demandées, et de réduire les montants prévus pour d'autres (comme les prêts participatifs), le budget pour 2022 ne prévoit que des abondements très limités des enveloppes du plan de relance. La forte médiatisation du plan de relance, qui a permis à beaucoup d'entreprises de s'en saisir, ne doit pas se limiter aux effets d'annonce de fin 2020 : l'effort doit être mené jusqu'au bout ;

Ø une attention particulière devra être portée aux petites et moyennes entreprises, plus vulnérables que les ETI ou leurs donneurs d'ordres. Bien qu'une partie non négligeable des aides du plan de relance leur ait bénéficié (notamment en matière d'Industrie du futur), certains de ces dispositifs ont été des échecs. C'est le cas du guichet dédié aux petits projets de décarbonation, pour lequel 200 projets ont été accompagnés au lieu des 1 000 attendus. Or, ces PME, qui sont le coeur du tissu productif territorial, sont en moyenne dans des situations financières plus fragiles et investissent moins : elles ne doivent pas être oubliées ;

Ø certains estiment que la plus faible mobilisation des dispositifs territoriaux ou de ceux à l'égard des PME reflète une territorialisation inaboutie des dispositifs de relance , contrairement à ce qui a été promis en 2020. Les administrations ou opérateurs nationaux n'auraient pas su assurer une présence suffisante dans les territoires (notamment l'Ademe) ; et le manque de réflexion commune sur les critères de sélection a été déploré.

B. LA NÉCESSITÉ DE PENSER LA TRANSITION ENTRE LA POLITIQUE DE RELANCE ET LA POLITIQUE D'AVENIR EST SOULIGNÉE PAR TOUS

L'année 2022 sera donc charnière : pour l'industrie, elle correspondra à l'arrêt des principaux dispositifs de relance, au coeur d'une période toujours critique marquée par les difficultés d'offre et le ralentissement durable de deux secteurs prépondérants.

• Penser la transformation à long terme

L'ensemble des personnes auditionnées ont souligné la nécessité de penser la transition entre la politique de relance et la politique d'avenir . Quelles priorités, quelle direction la France souhaite-t-elle se fixer en matière d'industrie ? Comment se donner les moyens d'atteindre les objectifs ambitieux de la SNBC ? Comment faire mieux que simplement défendre la survie des entreprises industrielles françaises, pour amplifier la réindustrialisation et garantir que les capacités de production essentielles à l'économie de demain s'ancreront sur le sol français ?

La communication autour du plan de relance annonçait « construire la France de demain » , mettant en avant les budgets dédiés à la « relocalisation », à la décarbonation de l'industrie, ou encore à « l'industrie du futur ». En réalité, comme le souligne le comité d'évaluation du plan France relance dans son rapport d'octobre 2021, la dimension transformative à long terme de ces mesures a été largement surestimée, celles-ci ayant surtout servi à financer de l'investissement productif dans la modernisation de l'appareil ou l'ouverture d'usines nouvelles. Le comité déplore l'insuffisance des critères d'instruction des projets ou des prérequis en matière d'innovation de rupture - c'est-à-dire pour la transformation radicale des procédés, en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou encore l'absence de réflexion préalable sur les filières réellement stratégiques pour l'économie de 2030.

• Anticiper l'ajustement des filières et accompagner la mutation de l'emploi

Les réseaux territoriaux de soutien aux entreprises en difficulté
- notamment les cellules régionales mises en place lors de la crise et les commissaires au redressement productif - ont pour l'instant joué leur rôle, mais on aurait pu espérer un renforcement de leurs moyens et de leurs effectifs au regard de ces enjeux.

Enfin, l'adaptation des filières tant à la situation économique qu'aux nouvelles normes - comme l'interdiction de la vente de véhicules à moteur thermique - entraînera des bouleversements structurels que la puissance publique devrait accompagner.

• Dépasser les dispositifs de ciblage géographique pour accompagner l'ensemble du territoire français

La mobilisation des crédits du plan de relance s'est en partie appuyée sur des dispositifs préexistants, au premier rang desquels « Territoires d'Industrie ». Ce programme, qui n'avait jusqu'ici jamais été doté de crédits budgétaires spécifiques, est le principal outil de déploiement d'une forme de politique industrielle à l'échelon territorial.

Toutefois, ce programme répond à une logique de ciblage géographique : il comprend aujourd'hui environ 500 intercommunalités sur les plus de 1 200 que compte la France. Les crédits du plan de relance n'ont donc pas été ouverts au bénéfice de l'ensemble des projets industriels du pays.

Le rapporteur n'a pas été convaincu par les justifications du Gouvernement sur ce choix de ciblage : il est dommage que la démarche, au demeurant pertinente et qui donne enfin des moyens de fond à ce dispositif de forme, s'appuie sur une forme de ségrégation spatiale. Pourquoi deux entreprises produisant dans le même secteur, à projets équivalents, l'une incluse dans un périmètre « Territoire d'Industrie », l'autre non, n'auraient pas le droit au même soutien ? Pour l'avenir, l'ensemble des territoires et des entreprises devront être accompagnés, dans une logique plutôt sectorielle que géographique, sous peine de créer volontairement des zones laissées pour compte de l'effort global de transformation.

III. ... MAIS LE GOUVERNEMENT PRÉSENTE UN PROJET DE LOI ERRATIQUE ET SANS VISION STRATÉGIQUE

A. DE PIA EN PLANS, UNE POLITIQUE ÉCONOMIQUE DE PLUS EN PLUS ILLISIBLE

Le projet de loi de finances pour 2022 poursuit la dynamique de multiplication, de superposition et de fractionnement des dispositifs budgétaires. Après que les années 2020 et 2021 ont été marquées par la mobilisation de moyens en faveur des mesures d'urgence, puis par la création d'une mission servant de support au plan de relance ainsi que du lancement d'un PIA 4, le Gouvernement a présenté, lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, un nouveau plan « France 2030 », doté de 34 milliards d'euros d'autorisations d'engagement.

Cette surenchère constante, qui creuse de plus en plus la dette publique de la France, cumule quatre défauts critiques : (1) l'absence d'une doctrine d'investissement cohérente et publique, (2) l'absence de débat parlementaire sincère, (3) l'absence d'évaluation satisfaisante, et enfin (4) la dégradation de la lisibilité budgétaire liée à l'accumulation des dispositifs et au recyclage de crédits.

À titre d'exemple, l'annonce du lancement d'un nouveau PIA 4 de 20 milliards d'euros lors du budget pour 2021 est intervenue alors même que les crédits du PIA 3 n'était pas encore consommés, ni même engagés. Le PIA 4 n'a à ce stade pas encore été réellement débuté : les stratégies correspondant aux différents secteurs d'action n'ont, à date, pas toutes été élaborées.

Le Gouvernement annonce pourtant déjà un nouveau plan « France 2030 » , devant préparer la France de 2030, tout comme le devait aussi le plan France Relance au titre de la communication gouvernementale... Mais ce plan « France 2030 » vient en remplacement du PIA 3, s'appuyant sur l'architecture existante. Quelle est la crédibilité de ce nouveau plan, dont la déclinaison thématique ou sectorielle n'a été évoquée que de manière évasive lors des débats à l'Assemblée nationale ? Où est son évaluation préalable, alors qu'il a été ajouté au projet de loi de finances par amendement ?

Sur le fond, l'articulation de ce nouveau plan avec les dispositifs préexistants n'est aucunement précisée, alors même que de nombreuses superpositions avec les lignes du plan France Relance ou du PIA 4 existent : c'est le cas de l'hydrogène vert, de la décarbonation de l'industrie, des véhicules et de l'avion du futur, de la sécurisation de l'accès aux intrants, de la numérisation, qui sont tous déjà financés par ces autres plans. Parmi les 10 thèmes évoqués du plan « France 2030 », 8 sont déjà traitées par le PIA 4. Il reste à expliquer pour quelle raison - mis à part l'effet d'annonce - le Gouvernement a choisi de présenter un nouveau plan « France 2030 » superposé au PIA 3, plutôt que d'abonder simplement le PIA 4 ou de créer une nouvelle mission budgétaire dédiée.

Ces choix traduisent un manque d'anticipation préoccupant. On ne peut que douter de la cohérence et de la consistance de la doctrine d'investissement et d'innovation de l'État, qui présente de nouveaux plans chaque année pour financer toujours les mêmes actions, sans attendre ni évaluation ni clôture des budgets précédents . La Cour des comptes regrettait d'ailleurs récemment dans un référé que « plus de dix ans après le lancement du programme, l'évaluation reste partielle et inégale selon les actions et les opérateurs. »

Notons en outre que seulement 3,5 milliards de crédits de paiement sont effectivement budgétés en 2022, soit environ 10 % des autorisations d'engagement prévues et ce, principalement sur des thématiques bénéficiant d'ores et déjà de crédits du plan de relance ou du PIA (les véhicules et médicaments du futur par exemple), ou ayant fait l'objet d'annonces ou d'engagements internationaux (comme en matière de fonds d'investissement en capital ou des PIIEC européens). Le Gouvernement explique que les crédits de paiement seront « ouverts progressivement et calibrés en fonction des décisions de l'État » , sans aucun échéancier prévisionnel ; mais une révision est prévue dès juin 2022. Le Gouvernement se ménage donc la possibilité d'interrompre sous six mois les actions entreprises, sans débat parlementaire.

Il est donc difficile de voir pour l'instant dans ce plan sans substance autre chose qu'une grande annonce, dans un contexte préélectoral, qui sollicite du Parlement un véritable chèque en blanc pour que le Gouvernement se constitue une réserve de dépenses venant compléter la longue liste de celles décidées au cours des derniers mois, au mépris de toute responsabilité budgétaire et fiscale.

Il est dommageable que l'intention, au demeurant justifiée, d'augmenter l'investissement dans l'innovation, pêche de telle manière. En effet, le projet de loi de finances apporte par ailleurs, en matière de soutien à l'innovation, des avancées intéressantes, telles que la modification proposée de la doctrine d'investissement permettant d'étendre le champ d'investissement aux projets de développement et de transformation de la base industrielle française. Il apporte aussi des sujets nouveaux et pertinents, tels les composants stratégiques et l'accès aux matières premières.

B. CRÉDITS DÉDIÉS À L'INDUSTRIE DE LA MISSION ÉCONOMIE : UN BUDGET « ORDINAIRE » EN MANQUE D'ANTICIPATION

À l'inverse de la multiplication des annonces gouvernementales rivalisant de milliards, le budget de la mission « Économie » dédié à l'industrie traduit un retour à la normale qui tranche avec sa mobilisation dans le cadre de la relance.

La forte hausse des autorisations d'engagement et crédits de paiement (+ 58 et + 44 % respectivement) de la mission n'est due qu'à l'important abondement de deux lignes budgétaires, dédiées respectivement à une subvention au profit de La Poste et à l'ouverture de crédits à destination du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » (520 millions et 748 millions d'euros respectivement). En dehors de ces efforts budgétaires très spécifiques, dont l'incidence sur le secteur industriel reste à démontrer, le reste des crédits de la mission poursuit sa tendance baissière.

Le rapporteur souhaiterait souligner deux points d'attention , sur lesquels le budget pour 2022 apparaît manquer d'anticipation :

• Quel accompagnement des entreprises en difficulté, des filières en transition et de leur personnel en 2022 ?

Les moyens humains de l'administration centrale, lorsqu'ils ne poursuivent pas leur baisse, se stabilisent. Ce plateau interroge la capacité de l'État à faire face, le cas échéant, à une nouvelle dégradation de la situation économique. La plupart des services et opérateurs chargés de la mise en oeuvre des mesures d'urgence, puis de la relance, ont renforcé leurs effectifs au cours de l'année 2020 ou 2021. Si ces deux types de mesures arrivent désormais à leur terme, il est nécessaire d'anticiper au mieux tant la transition hors des soutiens publics que les éventuelles difficultés qui en résulteront.

Par ailleurs, la politique publique devra prendre en compte tant les difficultés d'entreprises qui seraient susceptibles d'intervenir au cours de l'année 2022 - à la suite des faillites précitées notamment - que l'impact de ces dynamiques sur le personnel.

Part d'entreprises déclarant des pénuries de main-d'oeuvre
limitant leur activité dans l'industrie manufacturière (en %)

Source : Rapport du comité d'évaluation du plan France Relance, octobre 2021.

L'industrie se caractérise par une situation paradoxale : environ 80 000 emplois seraient aujourd'hui vacants, et le taux d'entreprises industrielles déclarant rencontrer des difficultés de recrutement n'a jamais été aussi élevé. Dans le même temps pourtant, de nombreux emplois industriels (notamment à temps partiel) ont été détruits sous l'effet de la crise, dont environ 20 000 emplois dans le seul secteur de la fabrication de matériels de transport, et ce en dépit des mesures de chômage partiel.

Les grands défis qui se profilent - au premier rang desquels le développement d'une filière intégrée du véhicule électrique en France - amplifieront ces tendances : on estime que 60 000 emplois, voire 100 000 emplois à l'horizon 2035 pourraient être détruits dans la filière automobile, en raison des évolutions technologiques impliquées (notamment au regard du déclin du bloc moteur). Repenser et réorganiser la chaîne de valeur est un enjeu existentiel pour la filière automobile, tandis qu'il est du ressort de l'État d'assurer l'attractivité de la terre de production française dans cette nouvelle distribution des rôles au niveau européen.

Cependant, les employés des entreprises industrielles ne sont pas égaux face à l'enjeu de reconversion et de formation : à titre d'exemple, les travailleurs du secteur de la fabrication de matériels de transport sont assez peu mobiles, et seuls 3 % d'entre eux changent de secteur au cours de leur carrière (Trésor Eco, n° 287, juin 2021, « Compétences et réallocations sectorielles des emplois après la crise ») .

Le rapporteur estime donc qu'il faut miser gros sur la formation. C'est là une formidable opportunité de réconcilier les jeunes Français avec l'industrie, tout en assurant la transmission des savoir-faire et en soutenant la réindustrialisation du territoire.

Or, ce pan de politique publique est réellement sous-dimensionné et ne fait pas l'objet d'un accompagnement suffisant de l'État. Beaucoup de fonds sont dédiés à la « modernisation des entreprises », pour le capital ou l'investissement, mais trop peu s'adressent directement à la formation des salariés. La filière automobile, par exemple, a mis en place un fonds de 50 millions d'euros pour les salariés des entreprises en procédure collective : c'est un exemple à suivre, mais qu' il convient d'amplifier et d'accompagner de moyens publics. Il conviendrait d'élaborer des stratégies détaillées par filière, identifiant des feuilles de route de transformation et offrant un soutien spécifique pour la formation et la reconversion des personnels.

• Pas de budgétisation du financement de la garantie de Bpifrance

Le rapporteur souligne par ailleurs, à nouveau, que le Gouvernement propose également l'extinction de la ligne budgétaire dédiée à l'activité de garantie de Bpifrance , qui avait pu être conservée en 2021 uniquement à l'initiative du Parlement pour maintenir la possibilité de financer, en tant que de besoin, cette activité. Là aussi, avec la fin projetée des prêts garantis par l'État (PGE) et la fin des enveloppes budgétaires de la mission « Plan de relance », il apparaît imprudent de supprimer le financement de Bpifrance en matière de garantie, qui n'est aujourd'hui ni assuré, ni transparent. Afin de soutenir les entreprises françaises qui feraient face à des difficultés d'accès au crédit, il est préférable de maintenir une forme de budgétisation des moyens d'action de Bpifrance.

C. LE VERSEMENT AVANCÉ DE LA COMPENSATION CARBONE : UNE RUSTINE D'URGENCE FACE AUX INTERROGATIONS SUR LE MODÈLE ÉNERGÉTIQUE

La mission « Économie », et plus particulièrement l'action 23 « Industrie et services » du programme 134 « Développement des entreprises et régulations », porte les crédits dédiés à la compensation des coûts indirects de l'électricité subis par les industries électro-intensives , dite compensation carbone. Il s'agit de l'un des principaux postes de dépenses de la mission « Économie », représentant environ 15 à 35 % du budget hors personnel selon les années.

Cette compensation vise à prévenir les risques de fuite carbone
- c'est-à-dire de délocalisation en raison d'un plus faible coût du carbone - des entreprises européennes, en particulier celles dont les procédés sont plus consommateurs d'électricité. Au sein du cadre fixé par l'Union européenne, elle permet aux États membres de verser aux entreprises concernées, au nombre de 450 en France, une aide correspondant à 75 % du prix du volume d'électricité consommé, fixé en fonction du prix moyen annuel des quotas carbone.

La forte hausse des prix du carbone (multipliés par deux depuis la fin de l'année 2019) et, par ricochet, de l'électricité (multipliés par 4) aura deux effets majeurs. D'abord, elle pèse plus lourdement sur les entreprises électro-intensives et remet en question leur capacité à s'approvisionner et la rentabilité de leur activité - certaines envisageant même des arrêts temporaires de production. D'autre part, elle impliquera, avec un effet décalé dans le temps, une répercussion budgétaire pour l'État . Tandis que la compensation carbone est d'un montant plus faible cette année (344 millions d'euros en 2022 contre 403 millions d'euros en 2021), reflétant le « creux » lié à la pandémie de Covid-19, son montant devrait fortement augmenter dans les années à venir sous l'effet combiné de la hausse des prix de l'énergie (gaz et carbone) et du fait de la reprise économique.

Les règles européennes imposent en fait une double contrainte : outre la poursuite encouragée de la hausse du prix du carbone, en période de tension sur les intrants énergétiques, le système de tarification (qui retient la dernière production appelée) ne permet pas à la France de bénéficier du « retour sur investissement » de sa politique de développement de l'énergie nucléaire , qui lui permet de disposer d'un mix énergétique plus décarboné. Bien que ce mix lui permette des émissions réduites de 10 kt de CO 2 par GWh en comparaison avec ses voisins européens, ce prix plus compétitif n'est que partiellement répercuté.

Les incertitudes conjoncturelles, ainsi que les biais structurels du cadre européen sont source d'insécurité pour les entreprises industrielles électro-intensives. Une telle volatilité pourrait aussi mettre en péril les investissements dans la décarbonation , ceux-ci nécessitant une longueur de vue et une rentabilité sur plusieurs années, voire plusieurs dizaines d'années.

Alors qu'un bouclier budgétaire a été mis en place à destination des ménages français, de telles mesures d'amortissement n'avaient pas été prévues pour les entreprises, qui souffriraient de l'effet cumulé d'une fiscalité énergétique plus pesante et d'une compensation carbone bien moindre que l'impact réel de la flambée des prix sur leur budget.

Lors de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a présenté un amendement visant à prévoir, à compter de 2022, une semi-contemporéanisation partielle du versement de la compensation carbone. Cette avance représenterait en 2022 un montant de 150 millions d'euros , déduit du versement opéré l'année suivante. Cette mesure, à impact budgétaire perceptible uniquement cette année, est un soutien bienvenu à la trésorerie et à la production de centaines d'entreprises industrielles en France. Toutefois, il ne règle pas les sujets de long terme : le défi que pose l'augmentation du prix du carbone, et donc l'augmentation de la compensation pour les budgets publics européens, ainsi que l'insuffisance parfois subie de l'innovation industrielle qui permettrait d'accélérer la décarbonation.

Il faut rappeler que l'industrie est le secteur économique français qui s'est le plus décarboné au cours des trente dernières années (- 12 % pour l'ensemble de l'économie contre - 44 % pour l'industrie), quasiment exclusivement grâce aux progrès de leurs procédés et à l'amélioration de l'efficacité carbone - parfois au prix de sa compétitivité et de l'abandon de certains secteurs d'activité. En effet, si les émissions françaises ont diminué, tous secteurs confondus, de 17 % entre 1995 et 2015, l'empreinte carbone du pays a, dans le même temps, augmenté de 18 %, en partie en raison des importations industrielles.

À défaut de véritable accentuation des dispositifs de soutien à l'investissement dans le verdissement des procédés, le versement anticipé de la compensation carbone, aussi bienvenu soit-il, ne restera qu'une rustine d'urgence , apportant un soutien très temporaire face à la flambée des prix de l'énergie.

Facteurs de réduction des émissions de gaz à effet de serre
dans l'industrie française entre 2000 et 2018 (en MtCO2eq)

Source : DG Trésor Working Paper, n° 2021/3.

Il appartient ainsi au Gouvernement de défendre auprès de l'Union européenne non seulement l'amélioration du caractère incitatif des règles de tarification, afin de favoriser les mix énergétiques décarbonés, mais aussi la mise en place rapide du « mécanisme d'inclusion carbone aux frontières » qui, seul, permettra réellement de restaurer une forme de compétitivité écologique de l'industrie française .

Le projet de loi de finances ne propose aucune avancée en ce sens, exception faite des annonces floues du plan « France 2030 ». Les crédits du Plan de relance, dont la mobilisation touche à sa fin, ne suffiront pas à mener à terme la décarbonation de l'industrie française. Aucune des recommandations du CGE, dans son rapport récent (« La décarbonation des entreprises en France », février 2021), qui propose par exemple un crédit d'impôt au verdissement de l'industrie, tel que l'a déjà proposé le Sénat, ou un « Clean Energy Fund » à effet de levier sur l'investissement sur le modèle australien, n'a été reprise à ce stade. Insuffisance sectorielle des moyens financiers et manque d'ambition stratégique caractérisent le budget de la mission « Économie » pour 2022 .

TRAVAUX EN COMMISSION

Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie,
des finances et de la relance
(Mercredi 17 novembre 2021)

Mme Sophie Primas , présidente . - Monsieur le ministre, comme chaque année, notre commission est saisie pour avis des crédits de la mission « Économie » du projet de loi de finances (PLF) pour 2022. Et, pour la deuxième année consécutive, elle est aussi saisie des crédits de la mission « Plan de relance ». Il s'agit du dernier PLF du quinquennat, un exercice budgétaire toujours particulier, qui tient à la fois du bilan parce qu'il résulte des précédents PLF - notamment en matière de dette -, et de la promesse. Des promesses oserais-je dire, car le Gouvernement n'en est naturellement pas avare en cette période électorale.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, monsieur le ministre, je souhaiterais faire une digression, et vous remercier de bien vouloir consacrer du temps à cette chambre qui vous voit si peu. Il est vrai que dans votre dernier livre, Un éternel soleil , on peut lire que vous considérez que nous, sénateurs, sommes trop nombreux à vous contrôler, à vous interroger, et que notre pouvoir parlementaire devrait être limité en matière budgétaire à de simples observations et à une approbation sans droit d'amendement. Vous proposez même de mettre fin au « principe de double examen des lois par l'Assemblée nationale et le Sénat ».

Vous comprendrez que cette attaque du bicamérisme, bien que médiatique, soit fraîchement accueillie dans cette assemblée. Il est vrai que rester entre vous au sein d'une majorité qui vous est acquise serait sans doute plus confortable que de devoir débattre devant une assemblée libre de son point de vue. Ici, nous représentons tous les territoires de France et les sénateurs, étant au plus près du terrain, apportent au débat législatif un point de vue indépendant, un regard ancré dans le quotidien des Français, une vision alimentée par des années d'expérience en tant qu'élus locaux. Nous avons la faiblesse de penser que cet apport améliore la qualité des textes issus du Parlement, et ce, quelle que soit la configuration entre majorité présidentielle et majorité sénatoriale.

Vous le savez, monsieur le ministre, sous notre République, le Parlement ce sont deux chambres, une navette, des débats. Lors des premiers mois de la crise de la covid, nous avons encore prouvé que nous savons être constructifs, que nous savons débattre dans des délais très courts, et trouver des solutions transpartisanes et concrètes. Tout cela prend du temps, mais c'est utile, notamment au bon fonctionnement de ce qu'on appelle « la démocratie ».

Sur de nombreux points, comme la crise des gilets jaunes, la crise du logement ou les conséquences du confinement, cette assemblée a su anticiper la réaction de nos compatriotes. À nous ignorer, à ne pas écouter vos contradicteurs, à juger nos propos inutiles, vous pensez gagner du temps, mais vous en perdez. Vous croyez gagner en rapidité, mais vous perdez en efficacité. C'est dire, monsieur le ministre, si je vous remercie de votre présence et de l'immense effort que vous faites donc aujourd'hui.

Cette audition sera certainement l'occasion de dresser un bilan de la politique économique menée lors du quinquennat écoulé. À ce titre, et au regard de votre longévité à Bercy qu'il faut dire impressionnante, quel regard rétrospectif portez-vous sur ces cinq années ?

Je vais peut-être vous surprendre, monsieur le ministre, mais s'agissant du plan de relance, je voudrais commencer par un satisfecit . Il faut en effet se féliciter des investissements prévus par le plan France Relance à hauteur de 100 milliards d'euros, soit 4 % du PIB, presque le niveau moyen des plans de relance de la zone euro, situé à 5,5 %. Il faut aussi se féliciter du déploiement de ce plan, presque aussi rapide qu'en Allemagne. Enfin, il faut se féliciter d'une croissance économique estimée à 6,75 % pour 2021, presque similaire à celle du Royaume-Uni. En somme, ce plan de relance est presque un succès !

Cependant, ce succès n'est pas complet. Le comité de suivi et d'évaluation des mesures de soutien aux entreprises, présidé par Benoît Coeuré, a jugé que l'effet à court terme de ce plan était sans doute positif pour relancer le moteur. La reprise et même certaines tensions inflationnistes le confirment. En revanche, s'il est trop tôt pour juger, le comité Coeuré se montre beaucoup plus circonspect sur l'effet à moyen terme du plan de relance, quant à sa capacité à transformer en profondeur notre modèle économique. Un seul exemple : en matière de rénovation thermique des bâtiments, le plan a essentiellement financé des rénovations monogestes, dont nous savons qu'elles ne sont pas les plus efficientes en gain d'énergie. Ainsi, la qualité des investissements et leur contribution aux transitions numérique et écologique restent sans doute à ajuster. Vous l'assumez d'ailleurs pour partie, en affirmant qu'il fallait d'abord se soucier de relancer le moteur. Cependant, certains estiment que le moteur tourne, mais à vide, et que l'on ne voit plus très bien dans quelle direction il nous propulse. Il est vrai que si ce plan laisse filer la dette sans résultat probant à moyen terme, et qu'il compromet notre capacité à mener dans les prochaines années des investissements efficients, dans les infrastructures par exemple, alors nous aurons perdu sur les deux tableaux. Vous nous expliquerez sans doute en quoi cette analyse manque de justesse.

Vous avez commencé le quinquennat en tant que chantre de la « start-up nation », et vous le finissez en promoteur de la réindustrialisation. Ce gouvernement a mis à l'arrêt la centrale nucléaire de Fessenheim, et voilà que vous annoncez la construction de nouveaux réacteurs EPR. Vos premières mesures ont consisté en une réforme avantageuse de la fiscalité du capital, et vous terminez en distribuant des chèques pour le pouvoir d'achat face à la hausse des prix de l'énergie. C'est sans doute l'effet du « en même temps » et des circonstances, mais je serais heureuse que vous nous expliquiez le fil conducteur de ces mesures, qui pourraient paraître contradictoires.

Votre réponse nous importe, monsieur le ministre, car nous avons le sentiment que nous prenons du retard par rapport à nos voisins allemands, dans le redressement de nos comptes publics, comme dans celui du commerce extérieur, pour lequel les progrès sont très réduits, et ce phénomène ne cesse de nous préoccuper. En juillet, le déficit commercial français s'est de nouveau creusé, pour atteindre presque 7 milliards d'euros sur un mois, et près de 68 milliards d'euros sur l'année. Ces résultats confirment que le déficit commercial français de l'année 2021 représentera vraisemblablement un triste record. À titre de comparaison, l'Allemagne a dégagé un excédent commercial de presque 18 milliards d'euros en juillet 2021, soit un excédent de près de 216 milliards d'euros sur les douze derniers mois. Nous en ferions des choses, avec 216 milliards d'euros !

Cette situation a des conséquences économiques, des conséquences pour l'emploi, notamment industriel, mais également pour notre autonomie. La crise économique liée à la pandémie a souligné nos vulnérabilités quant aux produits critiques, et l'autonomie stratégique est devenue une priorité partagée. La France abordera-t-elle 2022, monsieur le ministre, avec une économie plus autonome stratégiquement qu'en 2017 ?

M. Serge Babary , rapporteur pour avis de la mission « Économie » . - Monsieur le ministre, le 30 août dernier, le Gouvernement a reconnu l'importance de soutenir la filière de l'événementiel et a déclaré qu'un plan d'action spécifique serait élaboré. Début octobre, il a évoqué que les consultations se poursuivaient pour définir les mesures de soutien. Or, fin novembre, rien n'est encore acté. Certains dispositifs pourraient néanmoins avoir besoin d'un vote du Parlement pour trouver leur plein effet dès le 1 er janvier 2022. Aujourd'hui, alors que le PLF est examiné par le Sénat, les acteurs de l'événementiel restent dans l'incertitude. Il est pourtant indispensable que cette filière puisse bénéficier d'un plan de relance dès maintenant, sachant que le début de l'année 2022 est déjà impacté par la fragilité des entreprises clientes, l'absence programmée de clientèle internationale, et la reprise de l'épidémie en Europe. Il y a donc urgence à annoncer rapidement les mesures qui inciteront les entreprises à réutiliser ces outils à fort effet de levier que sont les salons, congrès, foires et événements d'entreprise.

Ma seconde question porte sur le développement du commerce de centre-ville et à sa redynamisation. Il y a un an, le financement d'une centaine de foncières était annoncé, pour racheter environ 6 000 locaux vacants, les rénover et les louer à un tarif abordable. Parallèlement, un fonds de 60 millions d'euros était créé pour prendre en charge les déficits naissant naturellement de ce type de schémas. Or, d'après les informations transmises, cette enveloppe pourrait être épuisée bien avant que son objectif ne soit atteint. Envisagez-vous d'abonder à nouveau cette enveloppe ou avez-vous choisi de réviser l'ambition à la baisse ?

Mme Sophie Primas , présidente . - Monsieur le ministre, je vous propose de nous adresser votre propos liminaire, et de répondre ensuite à ces premières questions.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance . - Madame la présidente, je voudrais d'abord répondre à votre interpellation, même si nous ne sommes pas ici en commission des lois. Je voudrais dire très clairement que je ne fais aucun effort en venant au Sénat. J'y viens depuis que je suis élu à l'Assemblée nationale, soit depuis près de quinze ans, j'y viens avec plaisir, et c'est toujours un honneur d'être entendu par les sénateurs. J'ai d'ailleurs toujours considéré que les sénateurs et leur avis étaient utiles, et que vous aviez une compréhension très fine des attentes des Français. Le Sénat est à ce titre un bon sismographe de la société française et je l'apprécie comme ministre, et comme élu de l'Assemblée. Cependant, je confirme avoir la conviction profonde, depuis plusieurs années, qu'il faut rééquilibrer le partage des responsabilités entre Sénat et Assemblée nationale, et revoir notre procédure législative. Ce n'est pas notre propos d'aujourd'hui, mais comme je n'ai pas l'habitude de mettre mes convictions dans les poches, je ne voudrais pas qu'on lise comme une insulte ce qui relève simplement de la conviction profonde. Et je n'ai pas sur ce sujet la prétention de l'originalité, puisque le général de Gaulle lui-même affirmait qu'il était temps de rénover le Sénat ; c'est une absolue nécessité. Je ne fais donc que m'inscrire dans les pas de celui qui a toujours guidé mes convictions politiques.

M. Fabien Gay . - Vous êtes à nouveau de droite ?

M. Bruno Le Maire, ministre . - Je veux bien que l'on ouvre un débat politique sur le sujet, mais je rappelle que le général de Gaulle lui-même disait qu'il n'était ni de droite ni de gauche, et qu'il refusait cette distinction. J'ai l'habitude, en tant que responsable politique, de défendre des convictions. Je le fais devant vous, librement et à visage découvert, comme je le fais dans mes ouvrages, et comme je le fais publiquement. Ce n'est un mystère pour personne que je défends depuis des années l'idée qu'il faut interroger notre fonctionnement législatif, qu'il faut aller vers plus de simplicité et de rapidité dans l'examen de la loi, qu'il faut associer davantage les Français à la fabrique de la loi et rééquilibrer le partage des responsabilités entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Je pense qu'un responsable politique a la liberté de défendre ses convictions, comme vous avez la liberté de vous y opposer.

Mme Sophie Primas , présidente . - Absolument !

M. Bruno Le Maire, ministre . - Je reviens à notre sujet du jour, qui est celui de la situation économique du pays. Après plus de quatre années passées au ministère de l'économie et des finances, j'ai parfaitement conscience que la situation reste difficile pour beaucoup de Français, que des millions d'entre eux continuent de s'interroger sur la manière dont ils vont finir le mois, que pour beaucoup et malgré tous les efforts qui ont été faits, le travail ne paye pas suffisamment, et que de très nombreux Français estiment encore que la différence entre travailler ou ne pas travailler reste trop ténue dans notre pays. Par conséquent, le travail qui nous attend est encore plus important que celui que nous avons déjà réalisé. Je le dis avec beaucoup d'humilité, parce que je me déplace suffisamment souvent en France et j'entends suffisamment les Français pour savoir que la tâche qui reste devant nous est immense. Notre capacité à nous en saisir dépendra de la manière dont nous défendrons une valeur fondamentale, celle du travail. Et si j'avais un seul fil rouge à retenir de ces cinq années passées au ministère de l'économie et des finances, ce serait celui du travail. En effet, la valorisation, la dignité et la meilleure rémunération du travail ont composé le fil rouge économique de ce quinquennat.

Et je constate que cette politique donne des résultats. Même si pour beaucoup de Français, je le répète, la vie reste difficile, les résultats économiques de la France forcent le respect de nos partenaires étrangers. Notre croissance atteindra au moins 6,25 % en 2021, ce qui représente l'un des meilleurs résultats de la zone euro, et tire la croissance de l'Union européenne. L'investissement est à la hausse, la consommation est dynamique et surtout, puisque c'est sur cela que nous devons être jugés : la situation de l'emploi est meilleure après la crise qu'avant. Chacun le reconnaîtra, en mars, avril et mai 2020, ce que nous redoutions n'était pas la hausse des prix, mais une vague de faillites et une flambée du chômage. Nous les avons évitées, et nous avons défendu nos entreprises, protégé nos salariés et créé 1 million d'emplois sur la durée du quinquennat.

Comment avons-nous obtenu ces bons résultats ? J'évoquerai trois raisons. La première, que je tiens à rappeler, réside dans la politique structurelle que nous menons avec le Président de la République depuis 2017. Cette politique a consisté à valoriser le travail, à simplifier la vie des entreprises, à améliorer leur compétitivité et à baisser la pression fiscale qui s'exerce sur les Français. Je rappelle que nous avons baissé les impôts de 52 milliards d'euros, à parts égales entre les ménages et les entreprises, que nous avons tenu tous nos engagements vis-à-vis des entreprises en matière de baisse d'impôts, et que nous avons même été au-delà de ces engagements. Dans cette même salle, j'avais promis que nous ramènerions l'impôt sur les sociétés de 33,3 à 25 % pour toutes les entreprises. Ce sera fait dès 2022. Et nous avons fait mieux encore, puisque le taux d'impôt réduit à 15 % pour les petites et moyennes entreprises (PME) a été rendu accessible à un nombre plus important de PME, grâce à une augmentation du plafond de chiffre d'affaires, qui est passé de 7,65 millions d'euros à 10 millions d'euros. Et nous avons fait mieux encore, puisque nous avons baissé les impôts de production de 10 milliards d'euros pour soutenir les relocalisations industrielles. Cette baisse d'impôts a aussi permis de mieux valoriser le travail et de permettre aux Français de garder davantage le fruit de leur travail. Le dernier rapport remis par l'Institut des politiques publiques (IPP) établit que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les Français ont perdu en moyenne 15 euros de revenus par an, qu'ils ont gagné en moyenne 75 euros de revenus par an sous le quinquennat de François Hollande, et 396 euros de plus en moyenne sous le quinquennat d'Emmanuel Macron. Nous aurons l'occasion, j'en suis certain, de discuter des conséquences plus détaillées de ce rapport, mais il établit une chose et le dit de manière très objective : les gagnants du quinquennat d'Emmanuel Macron, ce sont les Françaises et les Français qui travaillent. C'était la promesse initiale de cette majorité et du Président de la République : faire en sorte que ceux qui travaillent vivent mieux de leur travail. Cette promesse a été tenue.

La deuxième raison expliquant ces bons résultats économiques est la manière dont nous avons soutenu les entreprises et les salariés pendant la crise, notamment grâce à l'activité partielle. Ce soutien a été massif et sans précédent dans l'histoire de France. Certes, il nous a menés à une dette publique de 115 % du PIB. Mais là aussi, j'en reviens au rapport de l'IPP, qui établit de manière très claire et convaincante que si nous n'avions pas apporté ce soutien, le coût de l'augmentation du chômage et de l'augmentation des faillites aurait provoqué une hausse de la dette publique de dix points supplémentaires. Nous n'en serions donc pas à 115 %, mais très exactement et selon les chiffrages de l'IPP, à 126 % de dette publique. La conclusion est simple, et je la défends avec l'ensemble du Gouvernement depuis 2020 : protéger est moins coûteux que réparer. C'est moins coûteux socialement et économiquement, mais aussi pour les finances publiques.

La troisième raison de ces perspectives économiques positives est l'efficacité de la relance de 100 milliards d'euros ; dont 70 milliards seront engagés d'ici la fin de l'année 2021.

Quels sont les risques devant nous ? D'abord, j'en reviens au mot « humilité ». En effet, ayons l'humilité de reconnaître que personne n'avait prévu les risques qui sont devant nous, ni les économistes, ni les scientifiques, ni les responsables politiques. Si vous trouvez une publication scientifique, économique ou politique, datant du milieu de l'année 2020 et prédisant qu'au regard de cette pandémie, le risque majeur serait représenté par les pénuries de main-d'oeuvre et de matières premières, et l'inflation, je serais curieux de la lire ! Cela conduit à beaucoup de prudence quant aux prévisions à venir, en matière économique comme en matière politique.

Le premier risque, ce sont effectivement les pénuries, de main d'oeuvre, de matières premières et de semi-conducteurs. Sur ces trois chantiers majeurs, nous agissons et continuerons d'agir. Tout d'abord, la meilleure façon de remédier au problème de main-d'oeuvre est de rendre certains secteurs plus attractifs pour l'embauche, et je sais qu'ils y sont prêts. Je salue notamment les efforts menés dans l'hôtellerie et la restauration, qui se sont remis en question en profondeur, pour essayer de rendre leur métier plus attractif et d'attirer des jeunes qui s'en détournent. C'est une affaire de rémunération, mais aussi une affaire de perspective de carrière et d'organisation du temps de travail. Il est facile de dire que les jeunes ne veulent plus travailler, mais je pense que c'est faux, et qu'au contraire ils sont engagés, dynamiques, volontaristes, et veulent réussir leur vie, mais sans nécessairement sacrifier tous leurs week-ends et leurs soirées. Nos amis restaurateurs en ont conscience et font évoluer les temps de travail pour permettre aux jeunes de s'engager. De notre côté, nous avons prévu la défiscalisation des pourboires en plus de celle des heures supplémentaires, ce qui contribuera à rendre le métier plus attractif. Si je tire une conclusion de cette question de l'attractivité des métiers, c'est que la réponse ne peut être que collective. Ainsi, plutôt que de se réfugier dans des slogans un peu faciles, de pointer du doigt les uns ou les autres, il est plus efficace de se rassembler, de considérer les difficultés et d'apporter des réponses communes. Quand le Gouvernement, le Parlement et les filières choisissent une même politique et la mettent en oeuvre rapidement, c'est en général efficace.

L'autre volet de la réponse, ce sont les décisions prises sur l'assurance chômage. Elles sont critiquées, mais nous estimons qu'à partir du moment où il y a des pénuries d'emplois et que l'activité redémarre aussi fort, il est légitime de mettre en vigueur la réforme de l'assurance chômage, et d'appliquer les règles telles qu'elles sont définies. Quand vous refusez deux offres d'emploi raisonnables, au bout d'un certain temps, on vous retire votre allocation, et cela me paraît juste.

Enfin, la réponse sur la main-d'oeuvre passe aussi par une politique extrêmement offensive que nous conduisons en matière de formation et de qualification. En effet, certains métiers connaissent des pénuries parce qu'on les a délaissés et, dans certaines filières, il faut à nouveau former des jeunes à certaines qualifications. Dans le cas de la filière nucléaire par exemple, à force de dire qu'on allait fermer tous les réacteurs nucléaires, les jeunes se sont détournés de la soudure ou de la chaudronnerie dans ce domaine. Il nous appartient aussi de revitaliser ces filières, pour qu'elles attirent à nouveau des compétences et des qualifications.

J'en viens aux semi-conducteurs, qui représentent un sujet absolument stratégique pour la France et l'Union européenne, et constituent un combat que je livre au quotidien. Ce combat est difficile, va demander des investissements très lourds et un partage des responsabilités entre États européens. Nous avons la chance de compter sur notre territoire l'entreprise STMicroelectronics, installée à Grenoble, qui est d'une qualité exceptionnelle. Cependant, il nous faut rapidement augmenter nos capacités de production. Des investissements sont donc nécessaires, mais il faut aussi faire venir des acteurs étrangers et je suis en négociation avec un certain nombre d'entre eux pour les inciter à investir en France. D'autres investissements seront faits en Allemagne, et il est important de conserver un équilibre entre nos deux pays, pour qu'un seul État ne concentre pas l'intégralité des capacités de production de semi-conducteurs en Europe. En matière d'innovation sur les semi-conducteurs, la France a une carte à jouer, notamment avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et il faut réfléchir à des investissements substantiels dans la recherche sur les semi-conducteurs aux gravures les plus fines - deux à cinq nanomètres. C'est un combat, qu'à la demande du Président de la République j'ai commencé à livrer, c'est un combat de longue haleine, difficile, dans lequel la compétition entre les pays est ardue. Mais nous le livrerons, pour que la France reste l'un des grands producteurs de semi-conducteurs dans le monde.

Le deuxième risque occupe légitimement médias et débat public, et il s'agit de l'inflation. Selon les chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l'inflation est aujourd'hui à 2,6 % en glissement annuel et, selon nous, elle sera transitoire. Toutefois, je veux être très clair vis-à-vis des Français : il ne s'agira pas d'une transition de quelques semaines, mais de plusieurs mois. Je n'envisage donc pas de baisse des prix avant la fin de l'année 2022, notamment parce que cette inflation est principalement tirée par les prix de l'énergie. Et l'augmentation des prix de l'énergie a certes une composante conjoncturelle - une conjoncture vouée à durer - mais elle a aussi une composante structurelle. Cette analyse représente d'ailleurs l'un des rares points de divergence entre notre partenaire allemand et nous. La part conjoncturelle de l'augmentation des prix de l'énergie est liée à la forte demande et à la reprise économique plus forte que prévu partout dans le monde. D'autre part, dès lors que les investissements dans les énergies fossiles baissent et que la tarification CO 2 des énergies fossiles augmente, on observe une augmentation du prix de l'énergie qui est bien structurelle.

La transition prendra donc des mois et, à ce titre, nécessite une réaction politique. Ne rien faire serait en effet irresponsable et nous avons décidé, avec le Premier ministre et le Président de la République, de protéger les Français contre la première composante de l'augmentation des prix : les prix de l'énergie. Nous avons mis en place un « bouclier énergie », qui va permettre de geler les prix du gaz et de plafonner l'augmentation des prix de l'électricité à 4 % au lieu de plus de 15 % si l'on n'intervenait pas. Pour des millions de Français, cela représentera un immense changement. Protéger les Français contre l'augmentation des prix de l'énergie est un enjeu absolument majeur.

La réponse à plus long terme, c'est le combat que je livre au sein de l'Union européenne pour modifier le marché européen de l'énergie. Aujourd'hui, le prix de l'électricité dépend en partie du prix du gaz. Il est compliqué d'expliquer aux Français qu'il faut investir dans l'énergie décarbonée, et notamment dans l'énergie nucléaire qui représente 70 % de notre mix énergétique actuel, mais que dans le même temps ils doivent payer pour l'énergie fossile parce que les prix de l'électricité dépendent des prix du gaz. Je veux obtenir une décorrélation entre les prix de l'électricité tels qu'ils sont produits en France et les prix du gaz qui, je le rappelle, dépendent en grande partie de la fourniture de gaz venu de Russie. Il s'agit d'autonomiser le prix de l'électricité, de façon à ce que les Français puissent recueillir les fruits de notre investissement dans le nucléaire et l'énergie décarbonée. C'est un combat aussi difficile que celui que j'ai livré sur la taxation des géants du digital.

Je rappelle également que nous avons mis en place une indemnité inflation qui va toucher plus de 38 millions de Français et permettre de protéger les plus fragiles. Voilà les réponses que nous voulons apporter sur cette question de l'inflation et de l'augmentation des prix de l'énergie, qui préoccupe beaucoup les Français.

Enfin, le troisième risque qui pèse sur la croissance, après les pénuries et l'inflation, est la reprise épidémique. Je voudrais rappeler qu'il est vital que nous respections les gestes barrières, que les Français qui ne sont pas encore vaccinés aillent se faire vacciner, et que ceux qui sont éligibles à la troisième dose la reçoivent. Je ne voudrais pas avoir à revivre ce que nous avons dû imposer aux Français par nécessité de sécurité sanitaire : la fermeture des commerces et le confinement, qui créent de la difficulté sociale et beaucoup d'inquiétudes économiques, et représenteraient pour tous les commerçants, entrepreneurs et salariés, une difficulté supplémentaire dont nous n'avons pas besoin.

Je terminerai par les défis de long terme, et j'en vois trois se dessiner pour la France. Le premier est celui des finances publiques, qu'il faudra rétablir au lendemain de la crise. En effet, nous avons pu lever de l'argent de façon massive afin de protéger notre économie et cela s'est avéré efficace. Il est donc de ma responsabilité, en tant que ministre des finances, de faire en sorte que si demain une nouvelle crise économique ou sanitaire devait frapper, nous aurions les réserves financières nécessaires pour y faire face, pour à nouveau mettre en place de l'activité partielle et des prêts garantis par l'État, et à nouveau protéger notre économie. Pour ce seul principe de responsabilité, il est indispensable de rétablir progressivement, mais fermement, les finances publiques de la France. Nous le faisons en décidant que toutes les recettes fiscales supplémentaires seront consacrées à la réduction des déficits publics, en ramenant le déficit à 5 % du PIB pour 2022 et la dette publique à 113,5 %. Ensuite, je crois à une méthode reposant à la fois sur un calendrier clair - nous devons repasser sous les 3 % de déficit public en 2027 - et sur des instruments clairs - croissance, pluriannualité de la dépense et réformes de structure, assurance chômage et réforme des retraites en tête.

Le deuxième grand défi a été rappelé par madame la présidente et je partage entièrement son avis sur le sujet. Il s'agit de garantir l'indépendance économique de la France et de restaurer notre balance commerciale, les deux étant liés. Si nous voulons réindustrialiser le pays comme nous avons commencé à le faire, et reconquérir des filières industrielles, il faut investir. Nous le faisons avec le plan France 2030, dans l'hydrogène, dans les batteries électriques, dans les semi-conducteurs, dans l'intelligence artificielle, dans le calcul quantique. Tout cela doit permettre de rétablir une balance commerciale positive, ce qui ne s'est pas produit depuis le début des années 2000. C'est l'un des enjeux des prochaines années. De plus, si nous poursuivons cette politique de compétitivité, de redressement de l'industrie, de création de nouvelles filières industrielles, de formation et de qualification, nous pourrons d'ici dix ans retrouver le plein emploi que nous n'avons pas connu depuis un demi-siècle. Oui, la France est embourbée dans le chômage de masse depuis un demi-siècle... Et cela fait un demi-siècle que l'on nous explique qu'il n'y a rien à faire contre cela. Je pense pourtant que le plein emploi est à portée de main si nous poursuivons notre politique. Et la restauration de notre commerce extérieur l'est aussi. Avant les années 2000, notre balance commerciale était positive, mais tous les discours sur la désindustrialisation, l'industrie sans usine - la « fabless industry » - ont causé un tort considérable et inacceptable à l'économie française. Nous devons emprunter la voie de la relocalisation industrielle, qui rétablira notre balance commerciale extérieure.

Enfin, le troisième grand défi est celui du climat et du risque de grandes divergences entre les États du Sud et les États du Nord, entre les pays en développement et les pays développés. Tous ces sujets sont étroitement liés. Si nous ne réglons pas le problème climatique et si nous n'apportons pas un soutien aux pays en développement, ce que nous connaissons en matière migratoire à la frontière entre Biélorussie et Pologne, nous le connaîtrons au centuple aux frontières maritimes entre l'Afrique et l'Union européenne.

Le changement climatique et les difficultés économiques touchent en priorité les pays en développement. Ce serait irresponsable de détourner le regard des pays en développement et de les laisser à leur sort. La politique que nous menons contre le réchauffement climatique et pour le soutien au développement des pays les plus fragiles est aussi dans l'intérêt national et européen.

Je réponds maintenant à Serge Babary. Nous sommes sortis du « quoi qu'il en coûte » et il n'y a pas de raison d'y revenir dans les circonstances actuelles. En revanche, pour un petit nombre de secteurs qui doivent se projeter, la situation reste difficile. En effet, pour les traiteurs ou les secteurs de l'événementiel et de l'organisation de mariages ou de fêtes, envisager quoi que ce soit à 2 ou 3 mois est bien plus difficile du fait de la persistance des difficultés sanitaires. Nous apporterons très rapidement, avec le Premier ministre, des réponses aux demandes légitimes de ce secteur.

S'agissant des foncières commerciales, nous avons engagé 13 millions d'euros sur les 60 millions d'euros prévus. Il n'est donc nul besoin, pour le moment, de réabonder l'enveloppe. Quelque 53 foncières sont opérationnelles et 6 000 commerces ont déjà été rénovés. Nous ferons un point précis sur cette politique le 1 er décembre lors des Assises du commerce, auxquelles j'attache une importance vitale. En effet, je vois trop de communes moyennes en proie à des difficultés considérables d'animation de leur centre-ville ou de maintien de commerces ouverts. Il faut les aider. Avoir un commerce de bouche, une librairie ou une droguerie ouverte en centre-ville est absolument vital pour des dizaines de milliers de communes.

M. Jean-Claude Tissot . - Monsieur le ministre, s'agissant de la nécessaire relocalisation de l'industrie et de la production dans notre pays, vous avez présenté, le 12 octobre dernier, dans le plan d'investissement France 2030, dix objectifs sectoriels. Cette planification pour la décennie à venir paraît justifiée pour faire en sorte que notre pays retrouve une force de production. N'oublions pas les secteurs d'activité non pris en compte dans ce plan, tels que l'industrie textile ou la fabrication de chaussures. La relocalisation de la production de baskets dans notre pays est ainsi rendue impossible dans son ensemble du fait de la perte de savoir-faire. Quelles sont les intentions de votre ministère et du Gouvernement pour accompagner la relocalisation de ces productions et ces savoir-faire spécifiques ?

Vous répétez régulièrement votre attachement à la valeur travail. Il serait nécessaire de la relier à la formation régulière des salariés, afin retrouver des savoir-faire. Certains pays comme le Danemark ont instauré une semaine de formation régulière par an avec l'objectif de se former tout au long de la vie. Sur cet aspect, quel bilan dressez-vous de ce quinquennat et quels sont vos objectifs précis pour l'année à venir ?

M. Fabien Gay . - Monsieur le ministre, en votre présence je suis comme un enfant qui voit le Père Noël, puisque c'est une fois par an. En revanche, vous ne nous amenez pas de jolis cadeaux au pied du sapin !

Il me semble qu'on ne souffre pas de trop de parlementarisme ni de trop de débat démocratique dans notre pays, mais plutôt de trop de verticalité. Par exemple, dans la crise que nous traversons, le choix de l'exécutif de vouloir gérer seul et de se passer du Parlement constitue l'un des problèmes. L'urgence n'est pas de réduire le nombre de parlementaires, mais de redonner sa place à l'ensemble du Parlement.

L'année dernière, vous appeliez à la modération des dividendes et je vous avais interpellé sur ce sujet. Quelque 28,6 milliards d'euros de dividendes étaient versés pour l'année 2019, contre 51 milliards pour l'année 2020. Votre appel à la modération des dividendes de ces entreprises qui ont touché le plan de relance ou le chômage partiel a-t-il été entendu ?

Concernant le plan France Relance, j'ai du mal à voir la cohérence et les secteurs stratégiques sur lesquels il se concentre. On a l'impression d'un coup par coup et on peine à maintenir nos fleurons industriels. À cet égard, que pensez-vous de la vente d'une partie d'Engie, Equans, à Bouygues ?

Par ailleurs, vous ne pouvez pas dire que l'Institut des politiques publiques annonce, dans son récent rapport, que tout va bien. Certes, le pouvoir d'achat des ménages augmente de 1,6 % en moyenne. Néanmoins, il baisse de 0,5 % pour les 5 % des ménages qui gagnent moins de 972 euros par mois, tandis que les 1 % les plus privilégiés voient un accroissement de leur pouvoir d'achat de 2,8 %, et les 0,1 % les plus riches une hausse de 4,1 %. Les gens ne veulent pas de chèques énergie ou de chèques repas, mais l'augmentation des salaires. Vous avez appelé le patronat à augmenter les salaires mais il vous a répondu qu'il n'en était pas question. Que comptez-vous faire sur cette question d'augmentation des salaires, notamment des salaires les plus faibles ?

M. Jean-Pierre Moga . - S'agissant des prêts garantis par l'État, vous avez récemment affirmé qu'il n'y aura pas de report supplémentaire de remboursement. Néanmoins, des exceptions, notamment pour les PME ou les TPE sont-elles prévues en cas de difficultés ?

Ma seconde question porte sur la soutenabilité des moyens déployés par l'État au travers des prêts garantis. Il s'agit d'éviter un cercle vicieux entre faillites des entreprises et impact sur les finances publiques. Quel taux de faillite anticipez-vous et quelle est votre évaluation de la soutenabilité à long terme de ces politiques de soutien aux entreprises ? Quelle articulation est selon vous nécessaire entre le niveau national et européen ?

M. Bernard Buis . - Taux de chômage historiquement faible, taux de croissance qui pourrait tutoyer les 6,5 %, consommation des ménages qui a bondi de 5 %, contribuant pour 2,5 % à la croissance du PIB entre juillet et septembre, ces bons résultats économiques de la France ne seraient-il pas mis en difficulté suite à des problèmes d'approvisionnement et de main-d'oeuvre, voire par la hausse de la dette publique et de l'inflation ?

M. Michel Bonnus . - Jusqu'à quand la flat tax restera-t-elle en vigueur ?

L'hôtellerie et le commerce en général sortent de plusieurs années très compliquées entre les « gilets jaunes » et les confinements successifs. Ces secteurs ont donc besoin de passerelles via les formations.

S'agissant de la défiscalisation des pourboires, cela fait trente ans que j'exerce ce métier et je n'ai jamais vu quelqu'un déclarer un pourboire. Il faut intéresser nos agents au résultat pour créer une synergie dans nos entreprises.

M. Patrick Chaize . - Vous avez évoqué, monsieur le ministre, l'état de la dette en invoquant surtout l'effet covid. Il me semble néanmoins que l'augmentation de la dette n'est pas exclusivement due au covid-19. Je pense aux 90 milliards d'euros d'accroissement de la dette qui ne sont pas liés au covid-19. Pouvez-vous nous le confirmer ?

S'agissant de La Poste, le Gouvernement souhaite confier à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) le contrôle du coût net du service universel postal, comme le proposait une mission d'information du Sénat. Je regrette que le Gouvernement ait suivi une proposition du Sénat - comme quoi le Sénat a une certaine utilité - sans que ce dernier y ait été associé.

Il semble aussi que l'Arcep ait modifié sa méthode de calcul sur la mission « Cohésion des territoires », présentant un déséquilibre assez profond par rapport aux années précédentes. Je voudrais que vous nous rassuriez sur le fait que la compensation effective des missions de service public de La Poste est pérenne et totale pour les années à venir.

Mme Sylviane Noël . - Les entreprises fournisseurs des équipementiers et constructeurs automobiles subissent une très forte baisse de leur activité pour la seconde année consécutive, de l'ordre de 50 voire 75 %. Cette situation se traduit par la constitution de stocks de pièces non livrées aux clients et qui pèsent lourd sur la trésorerie des entreprises, d'autant plus que ces pièces ont été fabriquées avec des matières premières payées au prix fort.

En outre, la hausse des coûts de l'énergie a un impact fort, tout comme les nouvelles taxes instaurées par les fournisseurs de matières premières, sans que ces hausses soient réglementées. In fine , on observe une rapide dégradation de la trésorerie de ces constructeurs. Cela se traduit par un recours massif à l'activité partielle, notamment dans le cadre de l'activité partielle de longue durée (APLD). Face à cette situation critique, la filière automobile réclame des assouplissements liés au recours et au remboursement des prêts garantis par l'État (PGE), une exonération des charges temporaires et une prolongation de l'APLD au-delà des deux ans prévus et un doublement du volume de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh) pour modérer cette hausse des prix de l'énergie.

Compenser l'augmentation des coûts énergétiques pour l'ensemble de la chaîne industrielle est donc une priorité. Envisagez-vous d'élargir l'avance de compensation des coûts indirects du carbone de 150 millions d'euros destinés pour le moment aux entreprises électro-intensives, sachant que les entreprises de décolletage, très consommatrices d'électricité, ne rentrent pas dans cette catégorie ? Je souhaite avoir votre avis sur l'ensemble de ces mesures.

M. Yves Bouloux . - Les fonderies d'aluminium d'Ingrandes, dans la Vienne, cherchent un repreneur. Pour sauver cette entreprise et ses 350 salariés, il faut trouver 25 millions d'euros et des discussions sont en cours entre l'État, Renault et la région Nouvelle-Aquitaine. L'État prendra-t-il sa part ? Si oui, à quelle hauteur ?

M. Daniel Gremillet . - Sur quoi les négociations européennes sur la réforme du marché de l'électricité ont-elles achoppé ? Quand et comment le Gouvernement entend-il les faire aboutir ?

Je considère que les grandes oubliées du bouclier tarifaire sont les entreprises. Je considère comme très optimistes les perspectives tablant sur une inflation de 2,6 % pour 2022. Toutes les entreprises qui sont en train de travailler sur les budgets 2022 émettent des perspectives beaucoup moins encourageantes. Quels seront les moyens mis à disposition des entreprises pour les aider à passer ce cap difficile ?

Le Président de la République a annoncé la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Comment seront-ils financés : par une nouvelle régulation du nucléaire, par une garantie de l'État ou par une gestion des actifs ?

M. Rémi Cardon . - Je m'inquiète de la suppression de 1 500 postes équivalents temps plein dans votre ministère, et notamment sur la qualité des services rendus à la population.

J'espère que vous ne resterez pas dans vos convictions de 2016, date à laquelle vous aviez proposé la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires. Étant donné que vous remettez en cause l'utilité du Sénat, qu'en est-il de celle de la Cour des comptes, qui rapporte qu'en 2018, les temps d'attente sont jusqu'à trois heures dans certains centres de finances publiques ? Comment comptez-vous répondre aux attentes de nos concitoyens éloignés des services publics qui ne maîtrisent pas forcément l'usage du numérique et qui sont pris dans des « galères » administratives ?

M. Pierre Cuypers . - Je l'ai dit tout à l'heure en questions au Gouvernement, mais vous n'y étiez pas : s'agissant de l'énergie, en particulier du gaz, j'ai eu l'impression que vous laissiez de côté la possibilité d'intervenir sur le prix du gaz, sur sa disponibilité et sur les conséquences d'un manque de gaz pour la fabrication de l'ensemble de nos fertilisants agricoles.

Quelles mesures allez-vous prendre pour, d'ici quelques semaines, faire en sorte que l'azote soit accessible et que le gaz soit disponible ?

Mme Sophie Primas , présidente . - Pensez-vous que nous assisterons, à la fin de l'année, à une baisse ou à une stabilisation des prix ?

S'agissant de la croissance de 6,25 % que vous envisagez pour 2022, nous avons connu une décroissance de 8 % l'année dernière ; ce me semble donc relever du phénomène de rééquilibrage.

Pourriez-vous nous expliquer l'articulation exacte des plans d'investissements français entre les programmes d'investissements d'avenir, France 2030, France Relance et le plan de relance européen ? On se trouve parfois perdu dans le labyrinthe des investissements. Où en sommes-nous du décaissement du plan de relance européen ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je vois que mes propositions de réforme du Sénat rencontrent un succès d'estime. Je tiens seulement à préciser que je n'ai jamais nié l'utilité du Sénat, mais que je propose une rénovation en profondeur de notre procédure législative et du fonctionnement des deux chambres. C'est tout le contraire que de reléguer le rôle de ces chambres que j'estime précieux et, notamment pour le contrôle exercé, très important.

S'agissant de la dernière question posée par la présidente sur le rééquilibrage de la croissance, oui, la France a connu une récession très forte en 2020. Simplement, la vigueur de la reprise surprend tout le monde, y compris les observateurs étrangers. Il serait dommage de dévaloriser les résultats de l'économie française et des salariés français. Dans le meilleur des scénarios du FMI et de la Commission européenne, la France retrouvait son niveau d'activité économique pré-crise dans le courant du premier trimestre 2022. Nous l'avons retrouvé début novembre 2021. C'est un exploit de l'économie française, des salariés, des entrepreneurs et des investisseurs. Et je pense très sincèrement que cela tient beaucoup aux transformations de fond menées au début du quinquennat.

Aujourd'hui, un investisseur qui cherche à investir en Europe ne se tourne plus systématiquement vers l'Allemagne, mais, grâce à la baisse des impôts de production, n'hésite plus à se tourner vers la France. Cela participe de la vigueur de la reprise que nous connaissons aujourd'hui.

Concernant l'architecture des plans d'investissement, la relance avait un seul objectif : la relance de l'économie. Il s'agit d'un investissement de 1 pour 1. On dépense pour que l'économie redémarre, sans que cela ne rapporte plus que ce qui est dépensé. C'est le cas de MaPrimeRénov', du soutien à l'emploi des jeunes, des primes pour l'embauche des jeunes apprentis ou des primes à la conversion pour les véhicules.

Le plan d'investissement est très différent. On estime que c'est un rapport de 1,5 pour 1. C'est-à-dire que les 30 milliards d'euros doivent remporter au moins 45 milliards d'euros de richesses supplémentaires. C'est le cas du Programme d'investissements d'avenir (PIA) ou du plan France 2030. Cela n'a rien à voir avec l'argent européen ou avec la relance européenne : c'est bien un investissement national qui vise à accroître les capacités de production et la productivité de notre économie.

Avec le Président de la République, nous ne nous résignons pas à une croissance faible et carbonée pour la France ; nous voulons une croissance forte et décarbonée. J'ai la conviction qu'en investissant 9 milliards d'euros dans l'hydrogène, on crée des milliers d'emplois dans notre pays, comme ce sera le cas à Belfort et en Normandie. Dans le même temps, les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer, c'est-à-dire les deux grandes aciéries de Mittal, sont décarbonés.

Il n'en reste pas moins que réorganiser l'investissement en France et clarifier le pilotage de l'investissement notre pays est une vraie question à laquelle nous répondrons d'ici la fin de l'année 2021.

S'agissant de l'inflation, je le redis, celle que nous connaissons aujourd'hui est, selon nous, une inflation transitoire qui se compte en mois beaucoup plus qu'en semaines et qui devrait perdurer jusqu'à la fin de l'année 2022. Les prix de l'énergie devraient donc rester élevés jusqu'à cette période. Cela appelle des politiques publiques - nous les avons mises en place avec le Premier ministre -, une très grande vigilance ainsi qu'une réflexion sur des mesures complémentaires. Si, l'augmentation du prix de la tonne de blé est très élevée, c'est notamment du fait de la flambée des engrais azotés suite à l'augmentation du prix des énergies fossiles.

Aussi, concernant l'inflation, le chiffre de 2,6 % que j'indiqué est un glissement annuel moyen sur l'ensemble des prix et, effectivement, les prix de l'énergie sont en augmentation plus forte.

Les entreprises agricoles ou industrielles, dont les coûts de production sont très dépendants des prix de l'énergie, en particulier les électro-intensifs, connaissent des difficultés particulières. Ainsi, le vrai problème de l'inflation, aujourd'hui, est le prix de l'énergie. C'est le problème le plus important auquel nous nous sommes attaqués avec le Premier ministre.

Concernant les relocalisations, qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur ce que nous entendons par relocalisation industrielle. Nous n'allons pas rapatrier sur le territoire français les productions de base, parce que nous ne serions pas compétitifs et que nous investirions de l'argent à perte. Toutefois, dans certains secteurs comme le petit électroménager ou le textile, il peut y avoir de la valeur ajoutée liée à une marque, un savoir-faire et un design français. Sur des niches sectorielles comme le textile technique, respirant ou de sport, la France est très forte et crée de la valeur ajoutée soit par la technicité du produit, soit par le visa. En revanche, je ne crois pas à l'idée de relocaliser en France toute la production textile.

Nous avons beaucoup investi depuis le début du quinquennat dans la formation régulière : 15 milliards d'euros dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC). C'est probablement l'un des sujets les plus importants pour réussir l'objectif du plein emploi dans les années qui viennent et nous devons encore nous améliorer.

Merci, Fabien Gay, de m'avoir traité de Père Noël à quelques semaines de Noël, cela va me rendre populaire auprès de mes quatre garçons. S'agissant des dividendes, je rappelle qu'aucune entreprise ayant bénéficié d'aides de l'État n'en a versé. Ils sont élevés car ils récompensent le risque pris par les actionnaires, y compris des millions de Français qui ont un plan d'épargne en actions (PEA) ou une assurance-vie libellée en unités de compte et qui investissent dans les PME ou dans les entreprises françaises. On ne peut pas appeler les Français à participer au financement de l'économie sans qu'ils en aient le juste retour.

Les secteurs stratégiques ne sont pas uniquement les secteurs de demain, mais aussi les secteurs d'aujourd'hui qu'il faut accompagner dans leur mutation. Il y a les biotechs, l'hydrogène, les batteries électriques, le nucléaire, les lanceurs spatiaux, mais il y a aussi l'automobile et l'aéronautique. Ces derniers nécessitent des investissements considérables parce qu'ils sont confrontés à des mutations très rapides, comme il en arrive une fois dans le siècle.

Pour ce qui concerne l'aéronautique, tout le monde m'expliquait il y a un an que c'était fichu et qu'il n'y aurait pas de redressement avant 2026 ou 2027. Aujourd'hui, Airbus vient d'enregistrer la commande la plus importante des 15 dernières années. Dans le reste du monde, le transport aérien et les commandes aéronautiques redémarrent fort. On a bien fait d'investir dans l'aéronautique et l'argent des Français a été bien placé en dépensant des milliards d'euros sur l'activité partielle dans ce secteur. Nous n'avons pas perdu nos ingénieurs, nos ouvriers qualifiés et nos techniciens de maintenance et Airbus peut livrer ses avions.

On avait beaucoup critiqué la décision de Guillaume Faury d'ouvrir une ligne de production de l'A321 Neo à Toulouse en pleine épidémie. Aujourd'hui, les commandes sont là et nous sommes bien contents d'avoir ouvert cette nouvelle ligne de production en France, parce que sinon, c'était tout pour les Allemands et rien pour les Français.

S'agissant du pouvoir d'achat, je conteste le chiffre de - 0,5 % avancé par l'Institut des politiques publiques pour la simple et bonne raison que n'y sont comptabilisés ni l'indemnité inflation que nous venons de mettre en place, ni la revalorisation des prestations sociales actée en 2018, ni d'autres éléments comme le remboursement à 100 % des soins dentaires et des soins optiques. Cette étude se discute.

M. Fabien Gay . - Vous ne contestez pas que cela a bénéficié aux salaires les plus élevés ?

M. Bruno Le Maire, ministre . - Non, je conteste la partie qui concerne les salaires les plus faibles.

Je rappelle à cet égard que nous sommes le seul pays développé dans lequel le salaire minimum a une revalorisation automatique indexée sur les prix, ce qui est une excellente chose et qui doit être maintenue.

Toutes les politiques que nous avons mises en place - prime d'activité, abaissement des cotisations patronales, défiscalisation des heures supplémentaires ou des pourboires - permettent à un salarié au niveau du SMIC de toucher non pas 1 270, mais 1 492 euros net par mois, c'est-à-dire presque 1 500 euros.

Sur les PGE, l'évaluation de la Banque de France estime à moins de 3 % les entreprises menacées de ne pas pouvoir rembourser leurs prêts garantis par l'État. C'est pour cette raison que je ne suis pas favorable à une mesure transversale repoussant à nouveau la date de début de remboursement du PGE.

Je l'ai fait une fois : le remboursement devait avoir lieu au printemps 2021 et j'ai considéré que la reprise n'était pas là, que la situation restait compliquée et qu'il fallait donc reporter d'un an l'échéance. J'ai également considéré qu'il pouvait être bon de donner la possibilité aux entreprises nécessitant davantage de trésorerie de souscrire un nouveau PGE, en étendant la durée de souscription jusqu'à l'été 2022. Une mesure transversale pour toutes les entreprises ne serait pas la bonne solution : ce serait repousser le problème un peu plus loin en accumulant les intérêts.

Je prends l'engagement qu'il n'y a pas une entreprise confrontée à une difficulté de remboursement du PGE qui ne sera pas accompagnée par les dispositifs mis en place au niveau départemental pour examiner la situation des entreprises et leur apporter des solutions en termes de trésorerie.

Je partage ce que Michel Bonnus a dit sur l'intéressement et la participation et voudrais rappeler à toutes les entreprises françaises, notamment les PME, que nous avons supprimé la taxe à 20 % sur l'intéressement et nous avons simplifié les dispositifs d'intéressement : les plus petites entreprises peuvent les conclure sur une seule année. Maintenant que nous sortons de la crise et que la croissance est au rendez-vous, je voudrais vraiment que chaque petite entreprise profite de ces dispositifs pour mettre en place des accords d'intéressement. Quant à la flat tax , je vous confirme que je suis favorable à la stabilité fiscale ; il n'est donc pas question de toucher aux dispositifs fiscaux que nous avons mis en place. Enfin, sur la non-déclaration des pourboires, je vais faire comme si je n'avais rien entendu.

S'agissant du contrôle du coût net du service universel postal par l'Arcep, c'est la preuve que le Sénat fait de bonnes propositions. Cette proposition du Sénat été reprise et adoptée par le Gouvernement qui la mettra en oeuvre avec le Sénat, La Poste et l'Arcep. Quant à la compensation du service universel postal, elle s'élèvera à 500 millions d'euros environ par an suivant des indicateurs de qualité qui seront ensuite à atteindre par la Poste.

La situation des équipementiers automobiles est vitale et extraordinairement difficile. La transformation technologique de l'industrie automobile va beaucoup plus vite que prévu. Nous basculons vers l'électrique à un rythme beaucoup plus soutenu que prévu, ce qui pose évidemment des difficultés majeures à un certain nombre de sous-traitants, notamment dans le secteur des fonderies. Je rappelle qu'il y a quatre fois moins d'aluminium ou de fonte dans un moteur électrique que dans un moteur thermique.

À cela s'ajoute l'augmentation des coûts de l'énergie et des intrants, notamment l'aluminium, ce qui met un certain nombre d'entreprises en grande difficulté. Nous proposerons dans les prochaines semaines, avec le Président de la République et le Premier ministre, un nouveau plan automobile visant à accompagner notamment les équipementiers et les sous-traitants automobiles.

Pour ce qui concerne la fonderie de la Vienne, j'attends les offres de reprise d'ici le 10 janvier. L'État a répondu présent en soutenant l'entreprise via un prêt de fonctionnement et a financé des audits pour repositionner l'entreprise sur des marchés plus porteurs. Toutes les fonderies font d'ailleurs l'objet d'un accompagnement particulier parce que la bascule est tellement rapide qu'il faut envisager des restructurations et des accompagnements pour chacune d'entre elles.

Pourquoi la réforme d'EDF a-t-elle été un échec ? Tout simplement parce que j'ai préféré mettre un terme aux discussions quand j'ai vu que la seule proposition qui retenait l'accord de la commission aboutissait à un démantèlement d'EDF.

S'agissant des suppressions d'emplois dans mon ministère, je considère ce dernier comme exemplaire sur les gains d'efficacité ou la digitalisation - on l'a vu par exemple avec la retenue à la source. Ma politique n'est pas de supprimer des emplois pour supprimer des emplois, mais de se rapprocher le plus possible des Français. Une des politiques que j'ai le plus portée depuis plusieurs mois est la déconcentration des services de l'État : la direction générale des finances publiques est ainsi en train d'ouvrir des antennes dans de nombreuses villes. Je considère que déconcentrer des services de Paris vers des villes moyennes ou petites est un des dispositifs les plus efficaces et les plus attendus par nos compatriotes.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cette audition et vos réponses, même s'il en manque quelques-unes, notamment sur la dette.

Examen en commission
(Mardi 23 novembre 2021)

Réunie le mardi 23 novembre 2021, la commission a examiné le rapport d'information sur les crédits relatifs au commerce et à l'artisanat de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2022.

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - La présidente Sophie Primas m'a chargée de vous présenter ses excuses et de conduire notre réunion, au cours de laquelle nous examinerons trois avis budgétaires. Nous commencerons par l'examen des crédits relatifs au commerce et à l'artisanat retracés par la mission « Économie ».

M. Serge Babary , rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au commerce et à l'artisanat . - Comme je vous l'annonçais l'an dernier, la mission « Économie » ne contient quasiment plus aucun crédit directement affecté au commerce et à l'artisanat en tant que tels. Il s'agit d'un choix regrettable du Gouvernement, qui a supprimé il y a quelques années l'action dédiée à ces secteurs au sein de la mission, pour la fondre dans l'action concernant l'industrie et les services, avant de supprimer le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce ( Fisac).

Désormais, le commerce et l'artisanat ne sont plus concernés que par des crédits très épars, logés dans différents programmes de différentes missions, ce qui complexifie encore le suivi de la politique gouvernementale, et traduit l'absence de vision claire quant à la politique à conduire.

J'ai choisi d'axer mon analyse sur les performances de l'initiative « France Num », dont les crédits sont rattachés à la mission « Économie » et que le Gouvernement place au coeur de sa politique de numérisation des petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que sur le soutien aux métiers d'art et le suivi des foncières de redynamisation commerciale.

Tout d'abord, en ce qui concerne France Num, la politique conduite me semble insuffisante, et l'étude de sa trajectoire budgétaire manifeste le caractère exceptionnel du surcroît de crédit dont elle a bénéficié en 2021.

Je voudrais également rappeler que France Num est à l'origine une plateforme qui met en relation commerçants et artisans souhaitant avoir accès à la numérisation avec des professionnels du numérique capables de les aider. La crise sanitaire ayant permis au Gouvernement de comprendre combien il était urgent d'accélérer la transition numérique des très petites entreprises (TPE) - ce sur quoi le Sénat ne cessait d'alerter -, France Num a été dotée de nouveaux crédits significatifs tout au long de l'année 2020, puis dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021. L'objectif de ces nouveaux crédits était de financer environ 30 000 diagnostics de numérisation qui devaient être conduits par le réseau consulaire, ainsi que des formations au numérique mises en oeuvre par des organismes tiers, et enfin une partie du chèque numérique de 500 euros, versé aux TPE en ayant fait la demande.

Après un an, quels sont les résultats de cette politique ? Dans son rôle de mise en relation, la plateforme France Num reste trop peu connue des commerçants et artisans, notamment en raison d'une communication encore trop axée sur des supports qui ne sont fréquentés que par les acteurs déjà familiers du sujet. Des efforts ont été entrepris cette année, des épisodes télévisés ayant été diffusés sur BFM Business et RMC Story, et il faut les saluer, d'autant qu'ils répondent à nos recommandations de l'an dernier. Pour autant, France Num continue de bénéficier d'une très faible notoriété, ce qui ne changera pas tant que la majeure partie de sa communication grand public continuera de reposer sur des canaux aussi confidentiels.

Dès lors, il n'est pas très surprenant que la mise en relation entre TPE-PME d'un côté et professionnels du numérique de l'autre ne remporte qu'un succès très limité. Ainsi, le formulaire « contacter le conseiller » n'a reçu que 4 000 vues uniques entre le 1 er janvier et le 30 octobre 2021, pour 3 500 professionnels inscrits sur la plateforme. Il faudrait donc que France Num lance une vaste campagne de communication sur les principales chaînes de télévision et de radio à des heures de grande écoute, ainsi que dans la presse quotidienne régionale.

En outre, malgré notre mise en garde de l'an dernier, la qualité des professionnels présents sur la plateforme n'est pas contrôlée, ce qui ne participe pas à créer un climat de confiance favorable pour les commerçants et artisans qui font, en se lançant, un véritable investissement en temps et argent.

Les formations-actions ont quant à elles manqué leur cible, en raison notamment d'un site internet dysfonctionnel et d'un très faible maillage territorial des formations. Pourtant, 30 opérateurs ont été sélectionnés pour dispenser ces formations, avec l'ambition de toucher plus de 70 000 entreprises, France Num finançant chaque formation à hauteur de 300 euros.

J'ai voulu tester ce catalogue de formations, comme un chef d'entreprise le ferait s'il souhaitait engager la transition numérique de son entreprise. Le résultat est édifiant et inquiétant. En effet, j'ai indiqué sur la plateforme mon souhait de développer mon activité via une formation en présentiel, et France Num ne m'a proposé que cinq formations, toutes situées en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). En outre, aucun des liens prévus pour s'inscrire à ces formations ne fonctionnait. J'ai ensuite demandé à bénéficier d'une formation pour trouver de nouveaux clients, en acceptant qu'elle se fasse en ligne, et j'ai obtenu dix propositions, dont neuf en Auvergne-Rhône-Alpes et une en PACA. Lorsque j'ai demandé à faire la même formation en présentiel, seules deux m'ont été proposées, qui avaient lieu en PACA. Ainsi, malgré les fonds engagés dans ces formations-actions, le résultat n'est pas à la hauteur.

Quant aux diagnostics numériques, ils ont en réalité été conduits par le réseau consulaire, France Num n'ayant servi qu'à verser les fonds aux chambres.

Une note positive toutefois, puisque la distribution des chèques numériques a été saluée par les professionnels, et ce sont 112 000 TPE qui en ont bénéficié, pour financer des équipements numériques comme des logiciels, des ordinateurs ou des achats de sites internet. Malheureusement, en dépit de la simplicité du dispositif qui est appréciée par les premiers concernés, rien n'est prévu en la matière pour 2022.

J'en viens à présent aux métiers d'art, dont la promotion et l'accompagnement restent surtout le fait de l'Institut national des métiers d'art (INMA), association reconnue d'utilité publique qui emploie environ vingt personnes. Cet institut gère notamment le label « Entreprise du patrimoine vivant » (EPV), le dispositif « Maîtres d'art-Élèves », ainsi que des opérations de valorisation visant à donner une plus grande visibilité à ces professions qui participent du rayonnement du pays mais aussi de l'innovation, et de la transmission d'un savoir-faire rare et précieux.

L'action de l'INMA est financée à la fois par ses ressources propres, issues par exemple des études qu'elle conduit ou des frais d'adhésion qu'elle génère, par le mécénat, et par deux subventions, l'une du ministère de la culture, qui s'élevait à 630 000 euros en 2021, et l'autre du ministère de l'économie, dont le montant était de 900 000 euros en 2021. Pour 2022, son montant est fixé à 1,1 million d'euros dans le projet annuel de performance de la mission « Économie », et je me félicite de cette augmentation.

Cependant, elle ne permettra pas de compenser la baisse parallèle des ressources propres de l'Institut suite à la crise, et son budget devrait donc diminuer dans les années à venir. Or, il lui est demandé dans le même temps d'instruire un nombre croissant de dossiers pour le label EPV. En outre, certaines conventions de mécénat pourraient s'éteindre à compter de 2022. Si leur reconduction semble vraisemblable, il importe toutefois que l'hypothèse inverse soit dûment anticipée, afin de ne pas pénaliser le financement de certains dispositifs, comme le programme Maîtres d'art-Élèves. Il semble donc nécessaire d'améliorer le soutien financier de l'État à cet institut qui promeut une importante richesse immatérielle, celle de notre patrimoine.

Enfin, permettez-moi de m'éloigner quelque peu des crédits de la mission « Économie » pour dresser un premier bilan de la mise en place des foncières de redynamisation commerciale, créées l'an dernier. L'objectif de ces foncières, dont le capital est financé par la Banque des territoires et dont le déficit opérationnel est pris en charge par un fonds dédié, est d'acquérir, de rénover et de louer à bas prix 6 000 commerces d'ici 2025.

Cependant, les 53 foncières existant à ce jour portent des plans d'affaires correspondant à la rénovation d'environ 1 000 locaux, dont 105 ont été livrés à ce jour, ce qui interroge sur le réalisme de l'objectif initial de 6 000 commerces. En effet, compte tenu du rythme observé, il faudrait 300 foncières pour y parvenir. De même, la subvention de 13 millions d'euros issue du fonds de compensation a servi à traiter 165 locaux, ce qui semble attester d'un sous-dimensionnement du fonds de 60 millions d'euros. En continuant de suivre le rythme actuel, seuls 780 commerces pourront être traités avant épuisement de l'enveloppe.

Je note à cet égard une divergence entre ce que nous a dit le ministre en audition et ce qu'indique la Banque des territoires. En effet, alors que le premier a expliqué qu'il n'était pas question d'abonder à nouveau ce fonds, la Banque a affirmé : « l'abondement de la seconde tranche de financement du fonds en 2022, au-delà des 60 millions d'euros budgétés en 2021, constitue un enjeu fort de poursuite de la dynamique enclenchée ».

Mes chers collègues, le vote sur les missions budgétaires étant réservé pour le moment, je me contenterai de vous indiquer que si nous avions à nous prononcer sur la mission « Économie » dans les jours à venir, je vous proposerais de rejeter les crédits.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Je souhaiterais poser une question sur les foncières immobilières, qui sont essentielles pour un certain nombre de territoires. Comment sont-elles réparties géographiquement ? Sont-elles notamment développées dans des territoires faisant l'objet d'opérations de revitalisation ? Ces éléments permettraient de nous assurer de leur bon déploiement dans les zones où l'on en a véritablement besoin.

M. Serge Babary , rapporteur . - Malheureusement je n'ai pas eu accès à ces éléments, mais nous pourrons tenter de les obtenir. J'ajoute qu'en moyenne chaque commerce rénové coûte 78 000 euros, sans doute beaucoup plus que prévu.

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Je vous remercie, monsieur le rapporteur. Nous passons à présent à l'examen des crédits relatifs au numérique, aux télécommunications et aux postes.

Réunie le mardi 23 novembre 2021, la commission a examiné le rapport d'information sur les crédits relatifs au numérique, aux télécommunications et aux postes de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2022.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure pour avis sur les crédits relatifs au numérique, aux télécommunications et aux postes . - Dans le cadre de la mission « Économie », des changements significatifs concernant les crédits dédiés au numérique, aux télécommunications et aux postes sont intervenus depuis l'année dernière, plusieurs de ces changements s'inscrivant dans la continuité de travaux récemment menés par notre commission.

J'ai souhaité cette année me concentrer sur trois points : la compensation des déficits des missions de service public de La Poste, le suivi de la mise en oeuvre du plan France Très haut débit, et l'évaluation de la première année de déploiement de la 5G dans nos territoires.

Sur le premier point, je souhaiterais commencer par saluer la qualité des travaux menés par mes collègues Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon dans le cadre de leur rapport d'information et de leur proposition de loi relative à l'encadrement des services publics de La Poste. Si ces travaux ne datent que de quelques mois, les recherches et auditions que j'ai menées en tant que rapporteure m'ont néanmoins permis d'effectuer une première « actualisation » utile, et d'identifier des éléments de satisfaction, des points sur lesquels nous avons été entendus par le Gouvernement, mais aussi quelques points d'alerte.

En ce qui concerne le service universel postal, première mission de service public de La Poste, qui permet d'assurer sur l'ensemble du territoire la distribution du courrier et des colis six jours sur sept, le déficit pour l'année 2020 est estimé à 1,1 milliard d'euros, la crise sanitaire ayant fortement accéléré la tendance structurelle à la baisse des échanges de courrier.

Afin d'éviter une réduction de la mission de service public qui se traduirait par une accélération de la fermeture des bureaux de poste, des baisses d'effectifs et un moindre passage du facteur à chaque boîte aux lettres lors des tournées de distribution, notre commission avait alerté sur la nécessité de compenser cette mission dès 2022. Dans la continuité de nos travaux et conformément aux engagements pris par le Premier ministre au mois de juillet dernier, une dotation budgétaire exceptionnelle de 500 millions d'euros est prévue par ce PLF, qui pourra éventuellement être complétée par une dotation optionnelle de 20 millions d'euros, en fonction des résultats de qualité de service de La Poste.

Au regard des enjeux financiers considérés, notre commission avait interpellé le Gouvernement et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) sur la nécessité pour le régulateur d'évaluer chaque année le coût net de cette mission de service public, afin que la dotation de l'État puisse être déterminée sur la base d'une évaluation objective et indépendante. Dans cette perspective, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement qui confie à l'Arcep cette mission, reprenant ainsi l'une des principales dispositions de la proposition de loi du Sénat relative à l'encadrement des services publics de La Poste, que nous avons été plus de 120 à cosigner.

Si nous pouvons nous satisfaire de ces avancées, je souhaite toutefois partager avec vous quelques points d'alerte. D'une part, l'Arcep ne s'est toujours pas saisie de cette nouvelle mission d'évaluation et, au regard des délais nécessaires de préparation, il est indispensable qu'une méthodologie de calcul soit éprouvée et opérationnelle en vue du PLF pour 2023. D'autre part, il semble qu'aucune méthodologie précise n'ait été définie pour décider de l'octroi de la dotation optionnelle de 20 millions d'euros. Je me permets également de rappeler que nous attendons depuis plus d'un an qu'un nouvel arrêté ministériel relatif aux objectifs de qualité du service universel postal soit pris, alors que les attentes de nos concitoyens sont de plus en plus fortes sur le sujet.

Par ailleurs, sur la mission de contribution à l'aménagement du territoire, lors de l'examen du PLF pour 2021, notre amendement de 66 millions d'euros visant à compenser la baisse des impôts de production avait été définitivement adopté. Cette année, une dotation exceptionnelle de 74 millions d'euros est directement prévue dans le PLF pour compenser l'impact de cette baisse pour l'année 2022, ce qui est satisfaisant.

En ce qui concerne la mission de transport et de distribution de la presse, le Gouvernement a enfin décidé de mettre en oeuvre la réforme recommandée par M. Emmanuel Giannesini, et négociée avec La Poste et les éditeurs de presse. D'un point de vue budgétaire, cela se traduit par un transfert de 62 millions d'euros de crédits vers le programme 180, relatif à la presse et aux médias, alors que la baisse de crédits enregistrée dans le programme 134 est de 71 millions d'euros. Il nous faudra veiller, avec nos collègues de la commission de la culture, à ce que la mise en oeuvre de cette réforme ne masque pas une baisse injustifiée de la compensation de cette mission de service public.

J'en viens à présent au suivi du plan France Très haut débit, qui est entré dans sa phase de mise en oeuvre, après une hausse budgétaire significative en 2020, due aux 240 millions d'euros issus du plan de relance et à une rallonge de 30 millions d'euros que j'avais obtenue, en lien avec la commission des finances, dans le cadre de la loi de finances rectificative. On ne compte pas cette année d'autorisation d'engagement supplémentaire, et il nous faudra suivre avec attention les décaissements des crédits de paiement, qui augmenteront dans les années à venir pour financer les réseaux d'initiative publique (RIP) portés par les collectivités territoriales. Aujourd'hui, les efforts doivent se concentrer sur le déploiement de ces RIP dans les zones moins denses, dont 60 % des locaux, soit 10,3 millions de locaux, doivent encore être raccordés à la fibre optique. Je rappelle que l'ensemble du territoire devra en être équipé d'ici la fin de l'année 2025.

C'est également dans ces zones que les raccordements complexes sont les plus nombreux. Si un budget spécifique de 150 millions d'euros est prévu dans ce PLF, des annonces du Gouvernement sur le sujet sont attendues prochainement et nous devrons y être attentifs car la qualité de service doit être assurée jusqu'au dernier mètre.

L'Arcep, comme la Fédération française des télécoms (FFT), sont confiants quant à l'atteinte des objectifs fixés, le déploiement de la fibre optique sur notre territoire s'étant fortement accéléré, avec plus de 4 millions d'abonnements et plus de 6 millions de lignes déployées par les opérateurs en un an. À ce titre, l'année 2021 est historique. Elle marque en effet un croisement des courbes, le nombre d'abonnés à la fibre optique ayant dépassé celui des abonnés utilisateurs du réseau cuivre, dont l'opérateur historique est Orange. Il est néanmoins indispensable d'assurer une transition jusqu'au dernier abonné, l'extinction progressive du réseau cuivre étant prévue d'ici 2030, et la fermeture commerciale rapide de 13 millions d'adresses étant programmée dès l'année prochaine.

Certes, l'opérateur Orange a pris des engagements supplémentaires, l'Arcep a fixé des objectifs de qualité de service, et le Gouvernement a fait des annonces sur le sujet, mais la stratégie doit encore être largement précisée. À cet égard, j'attire votre attention sur la lenteur du déploiement territorial du plan cuivre annoncé en mai dernier par le Gouvernement, très peu de préfectures départementales ayant mis en place les « comités cuivre » prévus pour permettre d'accompagner la transition.

Enfin, je souhaiterais porter à l'attention de notre commission les difficultés rencontrées par les opérateurs télécoms alternatifs pour accéder aux réseaux et infrastructures, notamment à ceux des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Les bons résultats du déploiement de la fibre optique par les opérateurs traditionnels ne doivent pas empêcher les opérateurs alternatifs de jouer un rôle pour accélérer la numérisation des entreprises et la connectivité des collectivités territoriales, deux sujets sur lesquels les marges d'amélioration demeurent importantes. Je suis donc favorable à davantage de transparence en ce qui concerne les difficultés d'accès rencontrées par ces opérateurs et les tarifs pratiqués à leur égard, ainsi qu'à l'organisation, par le Gouvernement et l'Arcep, d'un dialogue structuré sur le sujet.

Enfin, j'ai souhaité m'intéresser au déploiement de la 5G dans notre pays, un an après l'octroi des licences d'utilisation des fréquences les plus hautes aux quatre opérateurs d'envergure nationale. Le déploiement commercial de l'offre 5G est rapide et satisfaisant. Selon les dernières estimations de l'Observatoire du déploiement 5G mis en place par l'Arcep, près de 17 000 sites 5G étaient ouverts commercialement au 30 juin 2021, dont près de 5 000 en bande 3,4-3,8 GHz.

Je me permets toutefois d'attirer votre attention sur la nécessité de concilier une exigence de rapidité du déploiement pour rattraper notre retard au niveau européen, avec une exigence de maîtrise technique de ce déploiement. À cet égard, l'audition de l'Agence nationale des fréquences (ANFR) s'est avérée particulièrement instructive, en particulier sur les risques de brouillage de fréquences, renforcés par le déploiement de la 5G.

Par ailleurs, concernant la répartition territoriale de ce déploiement, ce sont surtout les grands centres urbains qui en bénéficient, ce qui n'est pas une grande surprise. Cela s'explique à la fois par un impératif technique de décongestion des sites 4G, mais également par un souci d'amortissement et de rentabilisation des investissements réalisés par les opérateurs. Afin d'éviter que le déploiement de la 5G ne renforce les inégalités de connectivité dans nos territoires, il est prévu que 25 % des 8 000 sites devant être déployés d'ici 2024, et des 10 500 sites qui doivent l'être d'ici 2025, se situent dans des zones peu denses ou industrielles. L'Arcep, en tant que régulateur, est chargée de faire respecter cette obligation et nous avons, en tant que sénateurs, un rôle à jouer pour informer l'Autorité des difficultés de déploiement rencontrées sur le terrain, par les entreprises, et dans les zones peu denses.

M. Patrick Chaize . - Je voudrais d'abord remercier la rapporteure pour cet exposé précis et complet. Au sujet de La Poste, qui compte quatre missions de service public, nous avons appris il y a quelques jours que l'Arcep avait modifié sa méthodologie de calcul du coût net du maillage territorial. Or, ce changement de méthodologie risque de perturber de façon considérable les équilibres financiers puisque l'on passerait d'un déficit de 230 millions d'euros à un déficit de 330 millions d'euros pour la mission de contribution à l'aménagement du territoire, traduisant ainsi le glissement comptable de 100 millions d'euros depuis la mission de service universel postal, ce qui démontre bien que les quatre missions ne sont pas indépendantes et qu'il faut appréhender les compensations de façon globale. Néanmoins, chaque mission a ses particularités, ses méthodes de contrôle et d'accompagnement. Cela pose un problème de gouvernance et d'organisation, et il serait sans doute intéressant d'insister sur ce point dans le cadre du PLF.

En ce qui concerne le très haut débit, j'observe une attitude relevant du déclaratif et de la timidité. Je regrette le manque de lisibilité, et l'absence d'un engagement politique clair, qui nous permettrait d'envisager l'avenir de façon sereine. La fibre optique doit être déployée d'ici la fin 2025 sur l'ensemble du territoire, et nous continuons d'y croire, même si beaucoup d'élus sont dubitatifs. Par ailleurs, le cuivre doit disparaître avant 2030, et il nous faut préparer des outils d'accompagnement, notamment des outils financiers. Je pense au fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT), qui existe depuis plus de dix ans et n'a toujours pas reçu un centime. Ce fonds a intérêt à faire en sorte qu'il y ait une péréquation nationale des tarifs d'accès aux réseaux de communication électronique. Dans ce cas aussi, je regrette que cette année encore, nous n'ayons pas d'information sur le sujet.

Enfin, derrière la 5G se cache un ensemble de technologies qui sont toutes intéressantes prises individuellement, mais qui ne sont pas facilement lisibles. J'ai notamment une inquiétude en ce qui concerne l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur l'utilisation des fréquences de 26 GHz. En effet, cet avis sur la dernière fréquence de la 5G, qui devrait permettre de développer les objets connectés, n'a toujours pas été rendu, ce qui n'est pas rassurant et n'offre pas un gage de transparence. Il nous faudrait insister pour obtenir cet avis, qui donnerait plus de sérénité au déploiement de cette technologie.

M. Franck Montaugé . - Je voudrais aussi réagir à la question de la 5G, dont le véritable enjeu concerne plus les entreprises que les particuliers. Je rappelle à ce sujet que ces technologies ne seront pas encore toutes déployées avant l'année prochaine, et qu'il faudra donc attendre avant de se faire une idée claire de leur impact sur la compétitivité et la transformation des entreprises. Par ailleurs, il serait intéressant pour notre commission de se pencher sur la bataille qui oppose Gafam et opérateurs de télécommunication, en particulier français, sur le territoire national, notamment sur la question du positionnement par rapport aux futurs data centers qui accompagneront le développement de la 5G, mais aussi sur celle de la récupération du réseau hertzien actuel. Il serait intéressant d'entendre des experts sur ces sujets, afin de nous faire une idée du paysage actuel et de son évolution à venir. Il s'agit là d'un enjeu de souveraineté nationale.

Je voudrais également revenir sur l'initiative « Territoires d'industrie ». En effet, je ne comprends toujours pas la motivation de la nature géographique du critère essentiel permettant de participer à cette démarche, qui exclut ainsi certaines entreprises de la possibilité de bénéficier des aides et de l'accompagnement de l'État. Cela me semble aberrant et contribue à instaurer une inégalité entre des entreprises qui n'ont pas besoin d'affronter cette concurrence en plus des difficultés liées à la conjoncture.

Enfin, sur la question de l'équipement en data centers du territoire, l'État joue un rôle important, ce que la commission d'enquête sur la souveraineté numérique avait bien souligné. Il faudra veiller à ce que ces centres soient opérés par des acteurs nationaux.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure pour avis . - Sur la compensation des missions de service public de La Poste, les éléments de calculs sont flous, l'Arcep ne nous a pas précisé le changement de méthodologie pour la mission de contribution à l'aménagement du territoire, et nous n'avons qu'une idée générale de l'avancement de la dotation optionnelle de 20 millions d'euros. Dans mon rapport budgétaire, je demande que le Gouvernement et l'Arcep soient bien plus précis et calent les choses pour le prochain PLF.

Nous avons interrogé l'Arcep sur l'extinction du réseau cuivre, elle s'est dite prête à sanctionner tout manquement avéré, je vous incite à surveiller ce qu'il en est et à saisir l'Arcep si besoin est. Il faut également voir avec le préfet comment fonctionnent les comités « cuivre », car il semble que la plupart ne sont pas mis en place, il faut être vigilants.

J'entends l'alarme lancée par Franck Montaugé, il faut travailler sur le sujet. Je crois aussi que le dispositif visé ne concerne pas seulement les territoires non industriels, mais aussi les territoires qualifiés de « peu denses », attention aux lectures trop restrictives - je l'ai vu sur mon territoire, où j'ai dû intervenir pour faire retenir les dossiers de territoires peu denses.

Enfin, pour l'équipement des data center , j'observe que certains de ces centres sont installés et que des collectivités territoriales peinent à s'y associer, il faut mieux informer et sensibiliser sur les outils disponibles.

Réunie le mardi 23 novembre 2021, la commission a examiné le rapport d'information sur les crédits relatifs au numérique, aux télécommunications et aux postes de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2022.

M. Franck Montaugé , rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'industrie . - Nous avions connu l'année dernière un budget d'exception pour l'industrie. Plus de cinq milliards d'euros avaient été dédiés, pour l'année 2021, au soutien d'urgence, puis à la relance de l'industrie française. Nous avions défendu et porté, collectivement, une certaine ambition en matière de réindustrialisation, de décarbonation et de modernisation.

Les crédits d'urgence et de relance ont globalement rempli leur rôle. Les niveaux d'activité industrielle ont retrouvé un niveau proche de l'avant-crise, la trésorerie des entreprises a été relativement préservée grâce aux prêts garantis par l'État (PGE), et l'impact sur l'emploi a été limité avec une perte de 2 % de l'emploi industriel total sur la période alors que l'activité avait pu chuter jusqu'à 40 %.

Je veux tirer un bref bilan de ces crédits de soutien à l'industrie que nous avons votés l'année dernière. Vous savez combien je suis attaché à ce que nous, parlementaires, effectuions ce travail de suivi et d'évaluation.

Une grande partie des enveloppes de relance industrielle prévues pour 2021 a été consommée au cours de l'année. Certains dispositifs comme les aides à l'investissement dans la chaleur bas carbone des entreprises industrielles, le fonds de modernisation automobile ou aéronautique, ou encore l'investissement dans la numérisation, ont même vu la demande excéder largement les capacités de financement et les montants prévus plutôt pour 2022 ont déjà été débloqués pour 2021.

J'apporterai deux nuances à ce constat.

Premièrement, la seule vitesse de consommation n'est pas un bon indicateur de qualité de la relance. Le comité d'évaluation de la relance estime par exemple que les objectifs de moyen-terme affichés, comme la transformation de l'industrie et la décarbonation, sont passés au second plan. Des projets sans lien avec ces objectifs, voire même en dehors du secteur industriel, ont été financés. Autre exemple : les enveloppes territoriales et nationales ont été instruites sans coordination nationale des critères d'examen, conduisant à des incohérences. La territorialisation promise est encore inaboutie. Enfin, certains dispositifs à destination spécifique des PME n'ont pas eu le succès escompté, comme le guichet pour les petits projets de décarbonation : il faut intensifier les efforts pour susciter l'intérêt des chefs d'entreprises, aider les petites entreprises à monter leurs dossiers, sous peine qu'elles ne soient les laissées pour compte de la reprise.

Deuxièmement, s'il est plutôt de bon augure que les entreprises se soient saisi des dispositifs de relance, attention au « trou d'air » pour 2022. L'épuisement des enveloppes de relance bouleverse quelque peu le calendrier annoncé. Or, l'industrie n'est pas encore tirée d'affaire et la reprise n'est que partielle. Prenons garde à ce qu'un arrêt trop brutal du soutien public ne cause une rechute. Le budget pour 2022 ne comporte pourtant presque aucun ré-abondement sur ces actions qui ont fonctionné : ne faudrait-il pas en tirer les conséquences pour compléter les budgets « ordinaires » ?

Et troisièmement, au regard de la manière si rapide avec laquelle certaines entreprises se sont saisies des dispositifs d'aides que je qualifierai de structurels, je pose la question : auraient-elles été aidées de la même manière sans la crise sanitaire alors que, covid ou pas, la transformation s'impose à elles pour garantir leur compétitivité dans la « transition - compétition » qui est engagée ?

Malgré la reprise relative, l'industrie française reste dans une situation difficile. Elle fait face à quatre grands défis, en sus de la transformation numérique.

Premièrement, deux des secteurs prépondérants de notre industrie sont encore en berne : l'automobile et l'aéronautique. Pour l'aéronautique, la demande reste réduite et le futur est incertain. Pour l'automobile, en sus de l'impérieuse et très complexe obligation de transformation de la chaîne de valeur liée au moteur électrique, une crise d'offre a pris le relais de la pandémie, notamment en raison des pénuries d'intrants essentiels (comme les semi-conducteurs) qui empêchent de retrouver un rythme de croisière. En un an et demi, le prix des matières premières industrielles a augmenté de 36 %, chiffre inédit dans l'histoire récente : 40 % des entreprises françaises connaissent aujourd'hui des difficultés d'offre. Cela renforce nos interrogations sur notre dépendance aux importations et la vulnérabilité de nos capacités de production. Le cumul des difficultés de ces deux filières risque aussi de peser durablement sur notre balance commerciale.

Deuxièmement, la flambée des prix de l'énergie est un sujet de premier ordre, tant pour les ménages que pour les entreprises. Le prix du carbone a été multiplié par deux en un an et demi, et celui de l'électricité par quatre... Cette explosion bouleverse les modèles d'approvisionnement, pèse lourd sur les coûts des entreprises (notamment électro-intensives), voire pour certaines leur fait envisager un arrêt de la production.

Je le dis en ayant en tête les chocs de 1973 et 1979 : prenons garde que cette hausse des coûts de production ne se répercute pas sur le reste de l'économie (c'est-à-dire les secteurs aval), mais aussi sur le pouvoir d'achat des ménages. J'attends de voir l'efficacité du Gouvernement, là-dessus aussi.

Troisièmement, la filière industrielle connait toujours d'importantes difficultés de recrutement : 80 000 postes seraient aujourd'hui à pourvoir, et 44 % des entreprises déclarent peiner à trouver des employés. Bien que les embauches aient fortement repris, la situation reste tendue et pourrait contraindre encore la reprise.

Enfin, il est possible que dans certains cas, les mesures d'urgence et de relance n'aient fait que décaler les difficultés des entreprises. Dans ces cas, on pourrait observer au cours de l'année 2022, avec l'arrêt progressif des soutiens publics, une dégradation des conditions financières des entreprises industrielles, des faillites jusqu'ici évitées, voire certaines fermetures de site comme cela a déjà commencé...

Face à ces défis, quelle réponse apporte le Gouvernement avec ce projet de loi de finances ?

Ce que l'on nous propose est un retour à l'ordinaire, comme si la reprise était acquise.

Les crédits de la mission « Économie » renouent avec la baisse, si l'on exclut les montants dédiés au groupe La Poste et ceux à destination du compte d'affectation spéciale « participations financières de l'État ».

Pas de moyens adaptés, en effectifs supplémentaires notamment, pour les administrations centrales et les équipes déconcentrées, donc pas d'anticipation de la restructuration des filières, des éventuelles faillites et de l'accompagnement des entreprises au moment du débranchement des aides. Pourtant, les opérateurs du budget de l'État (notamment Bpifrance, les réseaux des commissaires aux restructurations et prévention des difficultés ou le comité interministériel aux restructurations industrielles) sont déjà surchargés.

Pas de budget supplémentaire non plus pour mettre en oeuvre les contrats de filière, alors qu'ils joueront un rôle clef dans la transformation de l'industrie.

Pas d'abondement ni de pérennisation des actions du plan de relance qui ont fait leurs preuves et répondent, même hors crise, à de vraies défaillances de marché.

Pas de crédits nouveaux non plus pour financer les actions menées au niveau territorial. De surcroît, comme je l'avais souligné l'année dernière, je ne souscris pas à la logique de zonage géographique de « Territoires d'industrie ». Pourquoi deux entreprises identiques, actives dans la même branche, n'auraient pas le droit aux mêmes aides selon qu'elles sont situées dans telle intercommunalité ou dans telle autre ? Je ne suis pas convaincu par les arguments du Gouvernement sur ce point.

Je ne vois aucune politique cohérente et concrète en matière de formation des personnels, alors que la mutation sectorielle de l'industrie entraîne des destructions d'emplois et des créations dans d'autres filières. La réforme de l'assurance chômage n'aura aucun effet sur ce point. Il faut miser gros sur le volet compétences nouvelles et formation. Il est fondamental pour l'économie, sa dimension sociale et tout autant environnementale. C'est la condition pour l'attractivité de notre industrie, la transmission des savoir-faire et la base de compétences nécessaire à la réindustrialisation.

À la place de ces actions nécessaires - mais certes moins attrayantes du point de vue de la communication - le Gouvernement nous présente un énième grand plan. Depuis 2017, c'est donc le quatrième : Programme d'investissement d'avenir (PIA) 3 puis 4, France Relance, et maintenant France 2030, pour un montant total de crédits budgétaires de plus de 100 milliards d'euros, en grande partie débudgétisés. On n'attend même plus que l'un soit épuisé, ou même évalué, pour lancer le suivant. Ces divers plans sont ensuite librement re-ventilés, réorientés, redéployés, au gré des opportunités budgétaires et du calendrier politique du moment. La Cour des comptes ne cesse d'en souligner les défaillances, mais l'on continue : pourquoi se priver en 2022 d'un nouveau chèque en blanc de 34 milliards d'euros, amené par amendement à l'Assemblée nationale sans étude d'impact ? Je note que huit des dix actions indicatives de France 2030 sont déjà traitées dans le PIA 4, annoncé il y a moins d'un an et qui n'est pas encore déployé... Ces choix traduisent au mieux un manque d'anticipation préoccupant, qui conduit à présenter chaque année de nouveaux plans plus gros encore, pour financer toujours les mêmes secteurs ; au pire, un mépris du principe de sincérité budgétaire, qui permet au Gouvernement de se constituer une réserve de dépenses en période pré-électorale. Notons d'ailleurs qu'une révision de ce plan France 2030 est prévue dès juin prochain...

Je ne retrouve pas l'ambition qui devrait être portée par notre pays en matière industrielle. L'assouplissement des règles d'aides d'État et le montant colossal de la relance ne doivent pas faire tourner les têtes : avant tout, il faut une vision stratégique pour la réindustrialisation - loin des seules « relocalisations vitrines », avec un effort global de compétitivité - et entamer de manière proactive la transformation des filières. L'innovation est un levier prépondérant, mais n'oublions pas l'accompagnement de terrain et les dispositifs d'aides à l'investissement.

Je souhaiterais enfin aborder la compensation carbone. Je l'ai dit, la flambée des coûts de l'énergie remet en question le modèle d'approvisionnement énergétique de notre industrie. Elle peut même désinciter certains à investir dans l'électrification de certaines branches, ce qui est pourtant vecteur de décarbonation.

L'Assemblée nationale a adopté un amendement pour un versement anticipé, chaque année, d'une partie de la compensation carbone aux industries électro-intensives. C'est une bonne chose, qui soulagera cette année les entreprises des filières concernées, mais ce n'est qu'une rustine d'urgence.

Là aussi, il faut voir plus loin : peser sur les discussions au niveau européen, pour que la France dispose d'un retour sur investissement de sa production nucléaire et plus largement de son mix énergétique, et pour garantir une compétitivité durable, au sens du développement durable, de notre industrie. Il faut aussi accélérer la mise en place du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, pour casser la spirale de la désindustrialisation couplée à la dégradation de notre empreinte carbone globale. Surtout, il faut amplifier l'investissement dans le verdissement - je préfère d'ailleurs parler de durabilité - de l'industrie française.

Pourtant, le comité d'évaluation du plan de relance estime insuffisant l'impact environnemental des mesures de relance ; et le budget pour 2022 ne reprend pas les recommandations du rapport récent du conseil général de l'économie (CGE) sur la décarbonation de l'industrie, c'est regrettable.

En conclusion, j'estime que ce budget pour 2022 est un budget de retour à l'ordinaire qui manque d'ambition en matière de transformation stratégique durable de l'industrie française.

Le Gouvernement a-t-il tiré tous les enseignements de la mise en oeuvre du plan de relance, plutôt positive, et des évènements récents, comme celui des prix de l'énergie et du carbone ou celui des intrants stratégiques importés qui viennent perturber considérablement la donne nationale et internationale ?

Notre commission se ralliera à cette idée que, dans les années à venir, la politique industrielle française doit être au coeur du projet national refondateur que constitue la transition du modèle énergétique, environnemental et social de la France. Pas grand-chose dans ce budget 2022 pour s'en convaincre. Et surtout pas la politique des grandes annonces actuelles qui renoue ou poursuit celles des décennies passées dont nous ne savons que trop ce qu'il en est advenu.

Vous me permettrez donc de vous dire ma circonspection et mon inquiétude après l'examen attentif de ce budget 2022.

M. Michel Bonnus . - La semaine dernière en audition, le ministre Bruno Le Maire nous a dit qu'il souhaitait un effort sur les salaires, tout en nous demandant de ne pas nous projeter à trois mois, tant le contexte était incertain. Je trouve que c'est contradictoire et un peu court, de parler des salaires alors qu'on ne sait pas ce qui va se passer dans quelques semaines, et alors même qu'on se souvient ce qui s'est passé ces dernières années dans notre pays sur le plan social - je tenais à le dire, parce que cette attitude a quelque chose de frustrant, voire dangereux.

Mme Valérie Létard . - Face à la transition majeure que nous vivons, qui est numérique, technologique et climatique, soit nous gérons les choses au coup par coup, au gré des accidents - et l'élue du territoire d'implantation d'Ascoval que je suis, sait ce qu'il en est -, soit on définit une stratégie pour anticiper, plutôt que subir. Les outils nouveaux ne manquent pas, avec le fonds friches en particulier, mais si de l'autre côté le Gouvernement enlève leurs moyens aux intercommunalités, en particulier via la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), il réduit leur rôle de cofinancement, qui est indispensable, ce qui revient à empêcher d'une main ce qu'on propose de l'autre.

Ensuite, le Gouvernement trouve une solution d'urgence pour les entreprises électro-intensives, mais le problème demeure. Aussi faut-il élargir la recherche de solution : peut-on renégocier avec l'Europe, pour permettre un accès à l'énergie à un prix raisonnable pour les industries électro-intensives, afin qu'elles puissent conserver leur compétitivité ?

Enfin, s'agissant de la taxe carbone, qui est un levier déterminant pour agir : que compte faire le Gouvernement pour qu'on anticipe, plutôt qu'on ne subisse les évolutions ?

Mme Florence Blatrix Contat . - Je partage cette analyse des défis et des enjeux pour notre industrie, et je crois également que nous avons besoin d'une ambition forte en matière industrielle. La question du numérique a été évoquée, elle est décisive et nous devons accompagner nos entreprises industrielles dans la transition numérique, pour ne pas renoncer à notre souveraineté.

Notre commerce extérieur est en berne, notre déficit s'est accru lourdement ces dernières années. Business France, qui promeut l'attractivité de la France, atteint ses objectifs et doit redéfinir prochainement sa convention pluriannuelle d'objectifs et de moyens : peut-être est-ce l'occasion de réfléchir aux façons dont nous pourrions améliorer la présentation et la vente de nos produits à l'étranger.

Quant à la protection des consommateurs, la DGCCRF voit ses moyens réduits, les associations de consommateurs nous disent que leurs moyens se réduisent également, cela tombe mal quand les prix augmentent : le Gouvernement doit revoir sa copie dans ce secteur.

M. Daniel Gremillet . - . Des pays prennent des décisions qui vont contre la COP26, la Chine par exemple a bloqué les prix de l'énergie pour retrouver sa compétitivité, c'est que la bataille économique fait rage. Et il y a l'effet domino : que va-t-il se passer pour les entreprises qui n'ont pas été choisies dans le plan de relance, alors qu'elles sont sur les mêmes marchés ? Le prix de l'énergie va avoir des conséquences sur la vie en général, sur les consommateurs, il faut mesurer ce qui arrive, nous devons avoir cette lucidité.

Mme Martine Berthet . - Une entreprise historique de mon territoire m'a alertée sur le fait qu'elle a vu son coût de l'énergie tripler, sans capacité de négocier. J'aimerais signaler aussi un autre problème, qui a trait à la réglementation sur les taux de poussières résiduelles dans les locaux industriels : un décret du Premier ministre est en préparation, il était prévu que les industriels auraient deux ans pour s'adapter aux nouvelles règles, il semble que le délai soit ramené à une année seulement, ce que les industriels disent insuffisant : est-ce le cas ? Cette réglementation est utile, puisqu'elle protège la santé des salariés, mais il ne faut pas que les conditions d'application alourdissent encore les conditions faites à nos industries
- d'autant que cette nouvelle norme n'est pas imposée à l'échelle européenne.

Mme Sylviane Noël . - Je veux souligner les difficultés de l'aéronautique et de l'automobile, ces deux secteurs doivent pouvoir bénéficier du mécanisme d'activité partielle de longue durée, au-delà des deux ans que nous venons de passer, car leur main d'oeuvre est difficile à fidéliser et la période est particulièrement sensible.

M. Franck Montaugé , rapporteur pour avis . - Merci pour toutes ces remarques et pour vos questions - je ne peux que vous recommander la lecture de mon rapport, où vous trouverez les réponses aux questions que vous me posez... L'effet domino crée un risque réel, c'est aussi pourquoi j'appelle à la définition d'une véritable stratégie en matière industrielle.

Pour terminer, je précise que si je n'ai pas assisté à l'audition mercredi dernier du ministre de l'économie, c'est pour un problème de santé ; je tenais à ce que vous le sachiez, par respect pour chacune et chacun d'entre vous et en considération de la conception qui est la mienne de notre devoir à l'égard des travaux du Sénat et de notre commission.

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Je rappelle que nous avons réservé notre vote à la fin de l'examen de toutes les missions.

Examen en commission
(Mercredi 24 novembre 2021)

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, à la suite du rejet de la première partie du projet de loi de finances pour 2022, les avis budgétaires portant sur les missions de la seconde partie du PLF sont devenus sans objet et ne seront pas discutés en séance publique.

Notre commission avait décidé de réserver son vote et de surseoir à se prononcer lors de la présentation des rapports pour avis successifs. Afin de tirer les conséquences de ce choix, il nous revient désormais d'autoriser formellement la publication sous forme de rapports d'information des différents tomes correspondant aux missions budgétaires relevant de notre commission.

Il n'y a pas d'opposition ?

Je vous remercie.

La commission des affaires économiques autorise la publication de ces rapports d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Personnes entendues par M. Serge Babary

Jeudi 4 novembre 2021

- Direction générale des entreprises : M. Franck TARRIER , sous-directeur des matériels de transport, de la mécanique et de l'énergie, M. Jean TATO-OVIÉDO , chef du bureau des affaires budgétaires, Mme Bénédicte ROULLIER , cheffe du pôle transformation numérique des entreprises.

Lundi 15 novembre 2021

- Institut national des métiers d'art : M. Luc LESÉNÉCAL , président, Mme Anne-Sophie DUROYON-CHAVANNE , directrice générale.

Contribution écrite

- Banque des territoires

Personnes entendues par Mme Anne-Catherine Loisier

Mardi 9 novembre 2021

- Agence nationale des fréquences : M. Gilles BRÉGANT , directeur général, M. Christophe DIGNE , directeur général adjoint.

Vendredi 12 novembre 2021

- Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse : Mmes Laure DE LA RAUDIÈRE , présidente, et Cécile DUBARRY , directrice générale.

Mardi 16 novembre 2021

- Ministère de l'économie et des finances - Direction générale des entreprises : MM. Antoine JOURDAN , sous-directeur des communications électroniques et des postes, Clément BECK , directeur de projets « Postes et presse » et Thomas HOARAU , directeur de projet couverture numérique du territoire.

- Représentants des opérateurs de téléphonie - M. Laurentino LAVEZZI , directeur des affaires publiques (Fédération française des télécoms - Orange), Mme Roxane BESSIS , responsable des relations institutionnelles (Altice SFR), M. Corentin DURAND , responsable affaires publiques (Bouygues Telecom), M. Olivier RIFFARD , directeur des affaires publiques (Fédération française des télécoms), Mmes Aude BOISSERANC , responsable des relations institutionnelles (Fédération française des télécoms) et Ombeline BARTIN , directrice des relations institutionnelles (Iliad Free).

Personnes entendues par M. Franck Montaugé

Mardi 2 novembre 2021

- Direction générale de l'énergie et du climat : Mme Mathilde PIERRE , cheffe du bureau des économies d'énergie et de la chaleur renouvelable, MM. Gilles CROIZE-POURCELET , chargé de mission fonds chaleur à la sous-direction efficacité énergétique et qualité de l'air, Timothée FUROIS , sous-directeur des marchés de l'énergie et des affaires sociales, Julien VIAU , chef de bureau des marchés du carbone, Mme Marine PLASSIER , chargée de mission décarbonation de l'industrie et compétitivité.

Jeudi 4 novembre 2021

- Direction générale des entreprises : MM. Franck TARRIER , sous-directeur des matériels de transport, de la mécanique et de l'énergie, Jean TATO-OVIÉDO , chef du bureau des affaires budgétaires, Mme Bénédicte ROULLIER , cheffe du pôle transformation numérique des entreprises.

Mardi 9 novembre 2021

- Plateforme de la filière automobile et des mobilités : Mme Louise D'HARCOURT , chargée des affaires parlementaires.

Mercredi 10 novembre 2021

- Banque publique d'investissement (Bpifrance) : M. Daniel DEMEULENAERE , directeur de la stratégie, Mme Sophie RÉMONT , directrice de l'expertise et des programmes au sein de la direction de l'innovation, M. Jean-Baptiste MARIN-LAMELLET , responsable des relations institutionnelles.

- France Stratégie : MM. Vincent AUSSILLOUX , chef du département Économie - Finances, François-Xavier BOELL , inspecteur des finances, Mme Sylvie MONTOUT , cheffe de projet, MM. Philippe FROCRAIN , chef de projet, Mohamed HARFI , expert référent pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation, Rémi LALLEMENT , chef de projet.

Contribution écrite

France Industrie

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2022.html


* 1 Loi n° 2021-953 du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021.

* 2 367 - Financement des opérations patrimoniales envisagées en 2021 et en 2022 sur le CAS « PFE ».

* 3 Avant la LFI 2021, l'action s'intitulait « Infrastructures statistiques ».

* 4 Ces dépenses sont financées par le programme 358 « Renforcement exceptionnel des participations financières de l'État dans le cadre de la crise sanitaire ».

* 5 À partir d'un questionnaire de maturité reposant sur cinq thématiques principales : transformation de l'offre (présence en ligne, webmarketing, voix du client, expérience client), fonctionnement interne (équipements et usages, dématérialisation), ressources humaines (compétences et formations), data (sécurisation des données, sécurité et conformité), projets numériques (stratégie numérique).

* 6 Le troisième appel à projets s'est terminé le 29 octobre 2021.

* 7 À cet égard, la DGE a indiqué au rapporteur dans sa réponse au questionnaire que « la DGE, via l'opérateur Bpifrance, est attentive à ce point et à l'ancrage local et sectoriel des projets retenus ». Il semble qu'une marge de progression existe encore.

* 8 Les factures de dépenses de numérisation d'un montant minimum de 450 euros ont été demandées en pièces justificatives.

* 9 L'opération a eu lieu du 21 janvier au 31 juillet 2021, initialement à destination des commerces fermés administrativement puis, à partir du 6 mai, au bénéfice des TPE de moins de 11 salariés.

* 10 Avis n° 139 (2020-2021) de M. Serge Babary, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 novembre 2020, sur la mission « Économie ».

* 11 Fondation Bettencourt Schueller, réseau des CMA, Le Figaro, France Télévisions, pour ne citer qu'eux.

* 12 Par exemple, solution d'analyse de flux de piétons, programme de fidélité, site de vente en ligne, solution de click&collect, etc. Le choix de la solution technique revient au bénéficiaire et ne constitue pas un critère d'attribution de la subvention.

* 13 Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des PME.

* 14 L'an passé, le Gouvernement indiquait souhaiter que 600 commerces soient rénovés en 2021.

* 15 Rapport de la commission des affaires économiques sur les services publics de La Poste du 31 mars 2021.

* 16 Communiqué de presse de la commission des affaires économiques du 23 juillet 2021 .

* 17 Proposition de loi n° 547 pour l'encadrement des services publics de La Poste du 30 avril 2021 .

* 18 Réponse écrite à la suite de l'audition de la direction générale des entreprises du 16 novembre 2021.

* 19 Avis « Presse et médias » sur le PLF 2022 du 10 novembre 2021 de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat.

* 20 Avis budgétaire « Numérique et postes » sur le PLF 2021 du 25 novembre 2020 de la commission des affaires économiques du Sénat .

* 21 Réponse du ministère de l'économie, des finances et de la relance au questionnaire budgétaire.

* 22 Réponse écrite de l'Arcep à la suite de l'audition du 12 novembre 2021.

* 23 Ibid.

* 24 Audition du 16 novembre 2021.

* 25 Réponse écrite à la suite de l'audition du 9 novembre 2021.

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