C. DES COOPÉRATIONS INTERNATIONALES À RENFORCER

La première stratégie nationale (2015), aujourd'hui désavouée, avait fait de la coopération internationale une pierre angulaire. Il était ainsi précisé que « la dimension internationale conditionne le développement de cette stratégie car l'avenir de cette politique publique repose sur l'instauration de coopérations internationales fortes, aussi bien entre les États concernés qu'entre les industriels » 121 ( * ) . Il était par ailleurs indiqué que « la dimension internationale conditionne l'avenir de cette stratégie. En effet, les travaux conduits par les services de l'État comme par les industriels du secteur regroupés au sein du Cluster Maritime Français, ont montré que l'avenir de cette politique publique repose aussi sur l'instauration de coopérations internationale fortes, que ce soit autant entre les États concernés qu'entre les industriels » 122 ( * ) . L'échec, unanimement reconnu, de cette stratégie s'illustre particulièrement sur le plan des coopérations internationales. En effet, la coopération internationale demeure pour l'heure restreinte à quelques partenariats aussi fructueux que rares et principalement circonscrits au domaine scientifique .

La synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet insiste donc logiquement sur la nécessité de développer ces coopérations. Sa troisième priorité consiste à « mieux comprendre les enjeux de l'exploitation des grands fonds et leurs liens pour une approche globale équilibrée et engager un nouveau partenariat avec les COM et une stratégie multipartenaire aux niveaux européen et mondial » 123 ( * ) . Cependant, ce projet reste à ce stade une simple déclaration d'intention .

1. Des coopérations scientifiques et industrielles à conforter et à encourager
a) Des coopérations dans le domaine de la recherche qui renforcent la position française

Dans le domaine scientifique, la coopération internationale est ancienne et permanente. La synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet souligne que « la France est un acteur historique de l'exploration des grands fonds marins et dispose d'un savoir-faire internationalement reconnu, en particulier pour sa capacité à mener des projets de coopération scientifique à l'international » 124 ( * ) . L'IFREMER notamment s'est imposé comme un acteur incontournable sur la question des fonds marins et a développé de nombreux partenariats. Sans prétendre à l'exhaustivité, il convient toutefois de mentionner entre autres :

• le projet Mining Impact de la Joint Programming Initiative Oceans aux côtés de partenaires académiques européens, achevé en février 2022 et dont les conclusions devraient bientôt être présentées. Ce projet regroupe 32 partenaires de 10 pays différents. Il vise à réaliser un suivi scientifique indépendant de l'impact d'un collecteur de nodules polymétalliques , déployé par le groupe GSR dans la zone de Clarion Clipperton et plus précisément dans des zones couvertes par les permis d'exploration belge et allemands ;

• Depuis 2016, le système de coordination des observatoires sous-marins pluridisciplinaires dit EMSO ( European Multidisciplinary Seafloor and water column Observatory ). EMSO France, composé de l'IFREMER et du CNRS, est membre de l'European Research Infrastructure Consortium et est présent sur différents sites en Europe (Açores,...). EMSO interagit aussi sous l'égide de l'ONU dans le cadre du programme Seabed 2030 de l'UNESCO qui vise à cartographier l'ensemble des fonds marins d'ici à 2030 ;

• le partenariat avec son homologue japonais, le Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology (JAMSTEC).

Le partenariat entre l'IFREMER et le JAMSTEC : un modèle de coopération internationale

Le partenariat entre l'IFREMER et le JAMSTEC remonte à l'accord-cadre signé en 1998. Cette coopération de presque vingt-cinq ans se traduit par de nombreux échanges particulièrement dans le domaine des sciences et technologies marines avec des publications communes (vingt-deux sur la période 2010-2015), des colloques en commun, la mutualisation d'installations de recherche dont des navires et des véhicules sous-marins, des échanges de personnel,...

Cette collaboration a pris une dimension nouvelle récemment avec le projet « Sciences, Innovations et Observatoires sous-marins » dit ScInObs. M. Jean-Marc Daniel avait ainsi exposé lors de son audition que « l'IFREMER a beaucoup d'interactions avec le Japon, qui est un acteur majeur dans le Pacifique, en particulier concernant les observatoires des fonds marins ».

Ce projet ScInObs a donc pour but de déployer deux observatoires des fonds marins, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie . Les éléments relatifs au site de Nouvelle-Calédonie ont été discutés en septembre 2019 à Nouméa lors d'un atelier regroupant les principaux intervenants de l'Ifremer et du JAMSTEC, mais également les parties prenantes de Nouvelle-Calédonie.

L'observatoire en Nouvelle-Calédonie aurait comme objectif principal de « créer, installer et maintenir un système sous-marin d'observation dans le Pacifique sud : mouillages innovants pour surveillance des processus et interactions biologiques, géologiques, chimiques et hydrodynamiques sur les fonds marins et dans la colonne d'eau, dans le parc naturel de la mer de Corail » 125 ( * ) .

Le projet ScInObs fait partie du Plan d'Investissement Exceptionnel de l'Ifremer adopté par le conseil d'administration le 8 octobre 2020 et les investissements s'élèvent à 8,2 millions d'euros pour une durée de 8 ans.

Ce partenariat constitue donc un exemple de coopération internationale réussie car, outre un historique d'échanges scientifiques denses, il a su à la fois associer les populations locales au fil de ses projets tout en dotant lesdits projets des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre .

L'IFREMER est un contributeur important au programme Seabed 2030 particulièrement grâce à son implication au sein de l' European Marine Observation and Data Network (EMODnet), un programme européen visant à assembler les données géographiques marines des États membres et des organisations régionales européennes pour les harmoniser à l'aide de standards communs et les rendre facilement et gratuitement accessibles à tous les publics intéressés. L'IFREMER est partenaire de sept de ces projets et il en coordonne deux autres . Le SHOM a piloté le volet bathymétrie du programme européen . M. Julien Barbière, chef de la section de la politique marine et de la coordination régionale à la Commission océanographique intergouvernementale de l'Unesco, a salué lors de son audition l'apport de la France à ce programme.

Par ailleurs, M. Philippe Charvis a indiqué lors de son audition par la mission que, pour l'IRD, « il existe deux types de collaboration, d'abord avec les grands pays océanographiques que sont, en Europe, l'Allemagne et le Royaume-Uni et, sur le plan international, les États-Unis et le Japon. Nous avons un certain nombre de coopérations sur des projets comme les grands observatoires qui traitent du fond des mers. Il existe de grands projets communs avec les Japonais, les Américains, etc. Ce sont des coopérations qui impliquent les grands organismes outre-mer, le CNRS, l'IRD, etc. » 126 ( * ) L'IRD présente en outre la particularité, de par sa présence en outre-mer en l'occurrence en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion et en Guyane, de nouer des collaborations avec les États insulaires du Pacifique comme les Fidji, les îles Cook, les Samoa et les Tonga. Ces coopérations sont notamment possibles grâce au réseau de laboratoires mixtes internationaux (LMI) financés depuis 2009 et qui permettent à l'IRD d' être présent dans tous les grands bassins océaniques .

Tous ces acteurs scientifiques ont permis à la France d'être un acteur majeur, respecté et incontournable dans les partenariats internationaux de recherche. Leur expertise renforce en outre la position équilibrée de la France qui ne prône pas une exploitation aveugle des ressources minières mais exprime sa vigilance quant aux considérations environnementales .

M. Philippe Charvis a cependant mis en évidence le fait que « quand on parle de coopération scientifique, on est très en amont des problématiques d'exploitation. La concurrence n'est pas encore très vive. » 127 ( * ) Conclure des partenariats internationaux en matière de recherche scientifique, surtout avec des acteurs aussi reconnus que ceux dont dispose la France n'est en effet pas le plus ardu.

La difficulté réside dans la traduction de ces collaborations intellectuelles en termes de développements technologiques et industriels .

b) Des coopérations encore limitées dans le domaine industriel et qu'il faut donc encourager

Le CNRS a signalé que « quasiment tous les projets de développement technologique auxquels le CNRS est associé ont des partenaires industriels, de préférence français ou européens » 128 ( * ) tout en alertant sur le fait qu'« on doit constater cependant que pour beaucoup de capteurs les fabricants sont extra-européens, alors que parallèlement les besoins d'outils d'exploration et de monitoring marins devraient se développer, pour la recherche, mais aussi pour des objectifs commerciaux » 129 ( * ) .

Lors de son audition, M. Hervé Guillou a ainsi insisté sur le constat que « la coopération avec les autres industriels européens est très peu développée . Ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Espagne il n'existe de business model » 130 ( * ) . Des partenariats internationaux existent bien comme par exemple celui entre le Cluster maritime français et la Deep Sea Mining Alliance , son équivalent en Allemagne. Néanmoins, à part cette coopération, d'autres partenariats s'apparentent plus à des contrats répétés avec des entreprises internationales qu'à une réelle coopération .

Le rapport du Groupe d'Expertise Économie maritime des conseillers du commerce extérieur (GEEM), présidé par M. Philippe Louis-Dreyfus, promeut une stratégie nationale qui soit « un projet ambitieux, à l'échelle de la France et s'appuyant sur les outre-mer, avec des objectifs de coopérations techniques et scientifiques des savoir-faire français pour développer les intérêts économiques nationaux et européens » 131 ( * ) . Comment expliquer qu'en dépit de ce savoir-faire reconnu par nos partenaires, les partenariats tardent à se développer ?

La France est ainsi perçue positivement, en raison de ses capacités scientifiques et industrielles et de son intérêt pour les enjeux environnementaux. Mais ses intentions demeurent floues. Une forte impulsion politique est nécessaire pour montrer notre détermination et ouvrir la voie à la construction de partenariats dans la durée.

Ce constat est partagé par M. Hervé Guillou qui a indiqué à la mission : « S'agissant de la coopération industrielle entre États, nous sommes favorables à des programmes européens en la matière. Cela passe là encore par la commande publique . Deux voies sont possibles : la voie de la coopération en matière de défense avec des pays comme les Pays-Bas, le Portugal ou l'Espagne, qui disposent d'un vaste espace maritime, coopération que la France pourrait pousser même si la connaissance des grands fonds est un enjeu de souveraineté ; la voie de la coopération en matière civile, inexistante à ce jour dans les programmes européens » 132 ( * ) .

Ces observations rejoignent celles dressées précédemment : en matière industrielle, s'agissant de la structuration de la filière comme des coopérations éventuelles, la commande publique est un indispensable préalable . Les coopérations internationales doivent donc être fortement encouragées dans la Stratégie française. Or, si cet aspect est bien présent, il tarde à se concrétiser.

2. Des partenariats potentiels nombreux mais qui tardent à se concrétiser

Au premier abord, il peut sembler ontologiquement contradictoire d'encourager des coopérations avec des concurrents voire des adversaires. Cette aporie peut être résolue si l'on considère que, face à des puissances telles que la Chine, la Russie ou les États-Unis, la France ne pourra lutter qu'avec de solides partenariats . La ministre de la mer, lors de l'audition inaugurale de la mission, rappelait ainsi que « l'Allemagne et la Norvège manifestent un intérêt pour la recherche et l'exploration des grands fonds. La France n'est donc pas seule en Europe » 133 ( * ) .

L'implication des États-Unis et de la Chine doit être soulignée : la France doit se tenir prête à y répondre, avec ses partenaires. La Chine est particulièrement active dans l'Océan Pacifique , où elle propose ses services pour le développement de projets dans les fonds marins. Les États-Unis préparent également le terrain pour être présents et offrir leurs services, le cas échéant. Les pays européens ne sauraient se contenter d'être de simples spectateurs : ils doivent être présents et faire valoir leurs atouts non seulement en termes scientifiques et techniques, mais aussi sur le plan des valeurs, principes et normes à instituer pour garantir un usage durable et raisonné des fonds marins.

Il apparaît toutefois pour l'heure que le développement des partenariats, pourtant au centre de l'un des projets de la Stratégie nationale, demeure très lent, alors que les options à disposition sont diverses et potentiellement fructueuses.

a) Les partenaires les plus « naturels » : l'Allemagne et la Norvège

Le cinquième projet défini par la synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet consistait à « avancer sur une stratégie multipartenaire au niveau européen en particulier avec l'Allemagne et d'autres États européens et dans la zone indopacifique avec des États partageant des objectifs communs ». L'Allemagne est donc perçue comme notre partenaire le plus évident.

(1) L'Allemagne, une approche comparable à la stratégie nationale mais bien plus avancée

La stratégie allemande semble particulièrement conciliable avec la position française . Elle reconnaît que les risques pour les écosystèmes en haute mer sont très sensibles et encore trop méconnus et qu'il est nécessaire de continuer à étudier les conséquences sur l'environnement avant d'envisager une exploitation commerciale des ressources minières des grands fonds marins.

En outre, les coopérations entre la France et l'Allemagne sont déjà nombreuses tant sur le plan scientifique - l'IFREMER, l'Office fédéral allemand pour les recherches géologiques et minières et le centre Helmholtz pour la recherche océanique ont oeuvré conjointement dans plusieurs projets européens - que dans le domaine industriel, par exemple entre l'entreprise TechnipFMC et la DeepSea Mining Alliance , le lobby industriel allemand pour l'exploitation minière des océans.

En effet, bien que consciente des enjeux écologiques, l'Allemagne est loin d'exclure une exploitation des fonds marins. L'Allemagne doit en effet anticiper un besoin important d'approvisionnement en matières premières pour répondre aux demandes de son secteur industriel, vital pour son économie. L'Allemagne ne souhaite ni prendre de retard sur d'autres pays, ni passer à côté d'une opportunité de sécuriser de nouvelles sources d'approvisionnement en matières premières. La stratégie allemande reconnaît ses propres ambiguïtés en prônant le concept de « Climate Smart Mining ».

La onzième mesure de la stratégie allemande, déclinée en dix-sept mesures concrètes, vise ainsi à « soutenir l'industrie extractive durable dans les pays en développement et les pays émergents » 134 ( * ) et à « rendre le secteur minier plus sensible au climat et plus respectueux de l'environnement » 135 ( * ) .

L'Allemagne a toutefois voté en faveur de la motion demandant un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins présentée par l'UICN le 8 septembre 2021. L'UICN, lors de son audition, a confirmé ce paradoxe en indiquant que « la Belgique et l'Allemagne s'interrogent sur leur positionnement » 136 ( * ) .

En dépit de ce flou sur les réelles volontés allemandes, force est de constater qu'alors que l'Allemagne dispose, comme la France, de deux permis d'exploration dispensés par l'AIFM, elle a défini sa stratégie dès 2010 et a procédé à une importante actualisation en décembre 2019. Son avance sur la France en termes de calendrier est donc considérable .

La déclaration d'intention de la stratégie allemande semble correspondre à l'approche française, puisqu'elle spécifie que « le gouvernement fédéral s'engage à poursuivre l'établissement de normes élevées dans l'industrie minière à l'échelle européenne et internationale dans l'optique d'un développement durable sous ses aspects économiques, écologiques et sociaux » 137 ( * ) . Mais l'Allemagne n'attendra pas que la France lance enfin sa stratégie, et ce d'autant que d'autres pays en Europe avancent rapidement. C'est le cas de la Norvège.

(2) La Norvège, un partenaire incontournable

La synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet l'affirme : « la Norvège fait figure de référence en matière de mine durable » 138 ( * ) . Si on peut s'interroger sur ce propos, au regard du traitement par la Norvège de ses déchets miniers terrestres, la mission d'information s'est néanmoins rendue en Norvège pour interroger les principaux protagonistes d'une stratégie d'exploration des ressources minières des fonds marins qui est l'une des plus avancées au monde.

Confrontée aux défis de la transition énergétique, au déclin prévisible de son secteur pétrolier et à la dégradation du contexte géopolitique, la Norvège a en effet mis en place une feuille de route en vue de l'exploration puis éventuellement de l'exploitation de ses grands fonds marins.

Cette feuille de route est conduite par une agence dépendant du ministère du pétrole et de l'énergie, le Norwegian Petroleum Directorate (NPD) dont l'effectif total est de 220 personnes. Le NPD mène des travaux d'exploration depuis déjà plusieurs années , après de premières découvertes il y a quinze ans. Chargé d'établir une cartographie des ressources potentielles , le NPD a mené plusieurs expéditions sur les dorsales de Mohns et de Knipovich. Des systèmes hydrothermaux actifs et inactifs ont été découverts et des échantillons ont été collectés. Sur la seule année 2022, 30 millions de couronnes norvégiennes (NOK), soit environ 3 millions d'euros sont alloués à la cartographie des ressources minérales des fonds marins.

Cette forte détermination politique s'est traduite par l'adoption de la loi du 22 mars 2019 ( Seabed Mineral Act) qui met en place le cadre juridique de l'exploration et de l'exploitation des ressources du plateau continental. La loi dispose notamment que toute exploration ou exploitation doit faire l'objet d'une évaluation préalable de la zone par le Ministère du Pétrole et de l'Énergie. Le programme d'évaluation est soumis à consultation publique, de même que les résultats de ces évaluations. À l'issue de ces travaux d'évaluation, le Seabed Mineral Act permet la délivrance de permis d'exploration minière pour une durée de cinq ans et de licences d'exploitation minière pour une durée de dix ans. La Norvège dispose donc à la fois des moyens industriels, juridiques et techniques pour commencer à exploiter les ressources minérales de sa ZEE à très court terme .

Trois zones ont ainsi été ouvertes à l'évaluation pour leur potentiel en sulfures polymétalliques et encroûtements de manganèse, sur une vaste superficie de 600 000 km 2 , soit 1,5 fois la superficie de la Norvège terrestre.

Norvège : de vastes zones ouvertes à l'évaluation

Source : Ministère norvégien du pétrole et de l'énergie

Schéma de production des sulfures

Impacts environnementaux de l'extraction des minéraux des fonds marins

Source : Ministère norvégien du pétrole et de l'énergie

Le programme d'évaluation d'impact a été soumis à consultation publique en janvier 2021, avant d'être adopté en septembre. L'évaluation a été confiée à un consultant, Akvaplan Niva, les résultats étant attendus à l'automne 2022. Plusieurs organismes de recherche sont mis à contribution dans le cadre de cette évaluation d'impact en cours : l'Université de Bergen, l'Institut de Recherche marine, l'Institut polaire norvégien etc. De premières licences d'exploration pourraient être attribuées dès 2023 .

Un cap clair est donc fixé et d'importants moyens sont mis en oeuvre , tant par l'État norvégien que par des entreprises historiques ou par des start-ups qui se sont créées pour se consacrer à cette activité.

La Norvège bénéficie en effet du savoir-faire de ses industries offshore du secteur pétrolier et gazier . Le tissu industriel norvégien est, dans ce domaine, très dense, avec des entreprises de toutes tailles bénéficiant de plusieurs décennies d'expérience et recherchant une diversification de leurs activités. Dans un rapport de novembre 2020 sur le potentiel des minéraux marins en Norvège, la société Rystad Energy a estimé que l'exploitation minière pourrait générer jusqu'à 20 milliards de dollars de revenus annuels en Norvège d'ici à 2050.

L'État norvégien mène donc une politique volontariste, de nature à encourager les partenariats. La mission a pu apprécier le dynamisme des entreprises du secteur, leur capacité d'innovation (Kongsberg maritime, Loke minerals, Green minerals...) et leur volonté de se développer à l'international .

Kongsberg maritime développe en particulier depuis 25 ans tout une gamme de drones sous-marins (AUV) susceptibles de répondre à divers besoins (scientifiques, commerciaux, militaires...) et pouvant plonger jusqu'à 6 000 mètres de profondeur. Ce sont des drones de ce type (Hugin) qui ont été mis en oeuvre par le navire Seabed constructor de l'entreprise américaine Ocean infinity , choisie par le ministère des armées pour localiser l'épave du sous-marin La Minerve au large de Toulon, en 2019. Les États-Unis ont également utilisé ce type d'équipement avec les capteurs associés pour explorer la fosse des Marianne.

L'Ifremer, le CNRS et des universités françaises sont partenaires de plusieurs instituts de recherche en Norvège. L'Ifremer dispose en particulier, depuis 2019, d'un partenariat avec l'Institut de Recherche Maritime. Un partenariat entre l'Ifremer et Equinor dans la Zone internationale, sous contrat AIFM, a un temps, été envisagé, avant d'être abandonné.

Cependant l'écueil principal au développement des partenariats avec la Norvège réside probablement dans le manque de détermination et de moyens dans la mise en oeuvre de la stratégie française .

Par ailleurs, la mission d'information a également pu constater que les orientations du gouvernement norvégien restaient sujettes à controverses et que de multiples interrogations subsistaient de la part des ONG, des instituts de recherche, et des organismes publics en charge de la protection de l'environnement .

Lors de la consultation publique sur le programme d'évaluation d'impact, plusieurs organismes ont en effet estimé que le calendrier retenu était trop court pour que puissent être comblées au préalable les lacunes importantes qui demeurent dans la connaissance des écosystèmes des fonds marins et la compréhension de leur rôle dans le fonctionnement du système océanique. Le ministère norvégien du climat et de l'environnement a fait le même constat. L'institut de recherche NORCE a souligné, en outre, les lacunes existant dans l'analyse des besoins en minerais , compte tenu des réserves terrestres et des perspectives ouvertes par le recyclage.

Des ONG telles que WWF craignent des impacts irréversibles sur les espèces marines et les habitats, ainsi que la perte d'opportunités futures (en termes de sécurité alimentaire, de découvertes pharmaceutiques...) : au regard de ces risques, WWF estime que le gouvernement norvégien agit trop rapidement et sur une superficie trop vaste pour que l'impact environnemental de l'exploitation minière puisse être réellement pris en compte. En outre, cet impact environnemental devrait être mesuré sur l'ensemble du cycle de vie de la ressource, donc en incluant le traitement des minéraux une fois débarqués à terre. L'ONG demande pour cette raison la mise en place d'un moratoire sur les activités minières dans les fonds marins .

Source : WWF

b) Des partenariats pour l'instant à l'arrêt

La circulaire du Premier ministre n° 6266/SG du 5 mai 2021 rappelle que le sixième projet de la stratégie nationale consiste à « avancer vers la mise en place d'une stratégie internationale qui ne peut être que multipartenaires, au niveau européen avec des États comme l'Allemagne et la Norvège, et dans la zone indopacifique, avec des pays tels que l'Inde, la Corée du Sud et le Japon » 139 ( * ) . Elle expose entre autres « qu'au cours des 18 premiers mois, il est possible dans le champ européen d'engager la construction d'un partenariat avec dans un premier temps l'Allemagne et la Norvège, si l'accord de partenariat entre Equinor et l'IFREMER se confirme, sans exclure d'autres États européens » 140 ( * ) .

Or, cet accord ne paraît pas devoir se concrétiser et c'est tout le projet de développement d'une stratégie internationale qui semble être actuellement à l'arrêt . La recherche de partenariats se heurte à l'absence de financements en vue de l'exploitation. Mme Caroline Krajka, sous-directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles au ministère de l'Europe et des affaires étrangères a rappelé à la mission que « chaque pays finance ses participants et qu'il n'existe pas de financement européen direct » et a explicitement spécifié que « le délai de dix-huit mois ne sera pas respecté ». Ce constat est d'autant plus alarmant que nos partenaires potentiels s'allient de leur côté. Par exemple, en novembre 2020, le groupe allemand DeepSea Mining Alliance et le Forum Norvégien des Minéraux Marins ont signé un accord de coopération pour développer l'industrie de l'exploitation des fonds marins. L'objectif de cet accord de coopération est de fonder une coopération industrielle, technologique et scientifique entre l'Allemagne et la Norvège qui s'étende à toutes les disciplines et étapes nécessaires à l'extraction durable des minéraux marins.

Les perspectives offertes par l'Union européenne pourraient éventuellement permettre de pallier les écueils connus dans le développement de coopérations internationales, bien qu'un financement européen direct soit illusoire. Le rôle joué par l'Union européenne apparaît toutefois insuffisant jusqu'à présent pour offrir de réelles opportunités en la matière.

3. L'Union européenne doit s'affirmer davantage sur la question des fonds marins

La synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet évoque l'hypothèse d'un déploiement du démonstrateur dans la ZEE d'un pays européen. La stratégie nationale envisageait cette option notamment car elle « pourrait constituer un cas exemplaire de coopération au niveau européen et ainsi encourager l'Union européenne à éclaircir son positionnement dans les domaines de l'exploration et de l'exploitation des grands fonds marins » 140 ( * ) .

Alors que des « États continents » tels que la Chine ou les États-Unis ont des stratégies d'approvisionnement en minéraux stratégiques au niveau mondial, l'Union européenne a pris tardivement conscience de cette problématique en lien avec la transition énergétique.

a) Une position européenne sans ambiguïté sur la question de l'exploitation des grands fonds

Dans une résolution du 9 juin 2021 141 ( * ) , le Parlement européen s'est prononcé une première fois pour un « moratoire sur l'exploitation des grands fonds marins, y compris auprès de l'Autorité internationale des fonds marins, jusqu'à ce que les effets de l'exploitation des grands fonds marins sur le milieu marin, la biodiversité marine et les activités humaines en mer aient fait l'objet d'études et de recherches suffisantes et que l'exploitation des grands fonds marins puisse être gérée de façon à ne provoquer aucune perte de biodiversité marine ni aucune dégradation des écosystèmes marins ». Cette résolution souligne, en particulier, « qu'il faut que la Commission mette fin au financement du développement de technologies d'exploitation minière des grands fonds marins conformément à une économie circulaire fondée sur la réduction au minimum, le réemploi et le recyclage des minerais et des métaux ».

La Commission européenne a indiqué, en mai 2020 que « l'Union devrait défendre la position selon laquelle les ressources minérales situées dans la zone internationale des fonds marins ne peuvent pas être exploitées avant que les effets de l'exploitation minière en eaux profondes sur le milieu marin, la biodiversité et les activités humaines n'aient fait l'objet de recherches suffisantes , que les risques n'aient été correctement évalués et qu'il ne soit établi que les technologies et les pratiques opérationnelles envisagées ne portent pas gravement atteinte à l'environnement, conformément au principe de précaution » 142 ( * ) .

Dans une nouvelle résolution 143 ( * ) , adoptée le 3 mai 2022, le Parlement européen a confirmé sa position, en invitant « l'Union à interdire l'ensemble des activités industrielles d'extraction néfastes pour l'environnement, telles que l'exploitation minière et l'extraction de combustibles fossiles dans les zones marines protégées » et en demandant « à la Commission et aux États membres de soutenir un moratoire international sur l'exploration minière des grands fonds marins ».

Outre les groupements soutenus par des investissements communautaires comme le programme EMODnet évoqué précédemment, l'Union européenne s'est fixée pour objectif, dans le cadre des programmes du programme-cadre européen pour la recherche et l'innovation, Horizon Europe 2021-2027, d'assainir notre océan et notre milieu aquatique . Cet objectif s'inscrit naturellement dans la volonté d'oeuvrer pour le respect de l'objectif de développement durable n° 14 adopté par l'Assemblée générale des Nations unies, « Conserver et exploiter de manière durable les océans et les mers aux fins du développement durable ».

Cette mission appelée « Mission Starfish 2030 » est structurée autour de cinq axes : enrichir les connaissances et créer un lien émotionnel, atteindre le zéro pollution, améliorer la gouvernance, régénérer les écosystèmes marins et aquatiques et décarboner nos océans, nos mers et nos eaux. Elle s'inscrit dans la même logique que l'engagement de l'Union européenne à l'issue du One Ocean Summit , tenu du 9 au 11 février 2022 à Brest, de se doter d'un jumeau numérique de l'océan qui permettra de rassembler les savoirs et de tester des scénarios d'action, au service de la croissance bleue européenne et de la gouvernance mondiale.

Si les axes de la « Mission Starfish 2030 » englobent des sujets autres que les fonds marins, il est toutefois précisé, dans le rapport de lancement de la mission du 21 septembre 2020 144 ( * ) , qu'un des objectifs d'ici 2025 est que « l'Union européenne introduise une interdiction totale de l'ensemble des activités qui entraînent la perte ou la dégradation de l'habitat des fonds marins , dont les pratiques de pêche destructrices et l'exploitation minière des fonds marins . »

Le dogme de l'Union, s'il apparaît donc initialement plus radical que celui de la France en appelant à ce moratoire ou à cet objectif d'interdiction totale, demeure pourtant compatible avec la stratégie nationale . L'IFREMER a ainsi mené une consultation pour le compte de la Commission européenne dans le cadre de la « Mission Starfish 2030 » et d'autres institutions françaises (CNRS, Cluster Maritime Français, Office Français de la Biodiversité, Plateforme Océan Climat, Nausicaa,...) sont aussi partenaires de cette opération.

Le ministère de la transition écologique a d'ailleurs souligné cette concordance entre les objectifs européens et français lors de son audition en rappelant que « la France et l'Union européenne appellent au respect du droit international en vigueur : le traité BBNJ ne doit pas remettre en cause les zones de gestion déjà existantes » 145 ( * ) et que « l'Union européenne et la France défendent, dans les discussions internationales, les études environnementales et les études d'impact » 146 ( * ) .

b) Une compatibilité entre les stratégies nationale et européenne que la France ne peut guère exploiter pour l'heure

L'Union européenne semble peiner à faire entendre sa voix dans les instances de gouvernance internationale .

La mission d'information a ainsi obtenu des échos contradictoires sur le poids exact de l'Union notamment au sein de l'AIFM. M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes, a précisé qu'il faisait « confiance à l'AIFM, qui n'est pas une entreprise commerciale ou capitalistique, pour proposer une position mesurée ; elle constitue une forme de garantie, d'autant que l'Union européenne a pris un certain leadership sur ces sujets » 147 ( * ) , tandis que M. Olivier Guyonvarch, représentant permanent de la France auprès de l'AIFM, a affirmé que « l'Union européenne n'est pas présente au Conseil et s'exprime très peu à l'assemblée. Cette année, avant la réunion de novembre, elle a voulu prendre le lead sur ces questions, comme elle l'avait fait dans la négociation sur la Convention cadre sur la protection de la biodiversité marine au-delà des zones de juridiction nationale (BBNJ). Elle a donc tenté de s'exprimer au nom des États membres, mais cette tentative a été rejetée par les États membres et par le service juridique du Conseil » 148 ( * ) .

La Commission européenne a précisé, à l'article 2 d'une proposition de décision du Conseil du 5 janvier 2021, relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, lors des réunions du Conseil et de l'Assemblée de l'Autorité internationale des fonds marins que « la position de l'Union au sein du Conseil de l'Autorité internationale des fonds marins visée à l'article 1 er est exprimée et défendue par les États membres de l'Union qui sont membres du Conseil de l'Autorité internationale des fonds marins chaque fois que l'Union est restreinte pour exprimer sa propre position en raison de son statut d'observateur limité » 149 ( * ) .

La volonté de l'Union européenne d'assurer un leadership sur les questions relatives aux fonds marins est donc endiguée par son statut d'observateur au sein de l'AIFM. La ministre de la mer lors de son audition par la mission avait évoqué le fait que « le Parlement européen ne s'engage pas sur l'exploration des grands fonds, à la différence de notre pays » 150 ( * ) , confirmant ainsi une des faiblesses notables identifiée dans la synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet à savoir « une absence d'action coordonnée entre membres de l'Union européenne » 151 ( * ) .

L'Union européenne compte dès lors sur ses États membres pour porter sa vision dans les instances de gouvernance internationale. Or, comme exposé précédemment et comme rappelé en annexe de la proposition de décision du conseil précitée, « l'UE devrait défendre la position selon laquelle les ressources minérales situées dans la zone internationale des fonds marins ne peuvent être exploitées avant que les effets de l'exploitation minière en eaux profondes sur le milieu marin, la biodiversité et les activités humaines n'aient fait l'objet de recherches suffisantes, que les risques n'aient été correctement évalués et qu'il ne soit établi que les technologies et les pratiques opérationnelles envisagées ne portent pas gravement atteinte à l'environnement, conformément au principe de précaution » 152 ( * ) .

Cette vision semble s'accorder avec les objectifs de la stratégie nationale et il est donc indispensable que la France joue un rôle majeur pour permettre à l'Union européenne d'assumer ce leadership qu'elle vise . Cela renforcerait son poids dans le jeu des puissances luttant pour la maîtrise des fonds marins et faciliterait les coopérations avec les pays de l'Union européenne partageant la même vision de la stratégie à mener.

Cela permettrait en outre de s'appuyer sur les investissements européens dans divers domaines. Sur le sujet spécifique des câbles sous-marins, Mme Marianne Péron-Doise soulignait ainsi que « pour permettre à la France de consolider ses capacités d'action dans la région sous un angle stratégique, c'est-à-dire militaire, économique et politique, il faut accentuer les coopérations existantes , ne pas hésiter à parler de mutualisation des moyens et s'appuyer, peut-être plus qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, sur les capacités de l'Union européenne , qui est un investisseur très important dans la zone » 153 ( * ) .

Il existe un risque qu'un autre pays prenne le leadership au sein de l'Union européenne, si la France n'assume pas ce rôle. Il est aussi de plus en plus probable que chaque pays européen mette seul en oeuvre sa stratégie nationale sans réelle concertation européenne. Mais, si la France ne parvient pas à construire une véritable coopération internationale et à co-développer une stratégie européenne, une vision beaucoup moins soucieuse de l'environnement risque fort de dominer . M. Laurent Kerléguer, directeur général du SHOM, résume ainsi ces craintes : « il faut que la France et l'Europe montrent la façon de faire , avant que d'autres nations, peut-être moins soucieuses du respect de l'environnement, ne conduisent ces explorations « à la hussarde » 154 ( * ) . Sur cet aspect également, la France doit agir à la hauteur de ses ambitions annoncées .

La France a joué un rôle moteur dans la consolidation de l'Europe de la défense, qui s'est concrétisée récemment par la création de plusieurs instruments de coopération dans les domaines capacitaire et opérationnel. La Présidente Ursula von der Leyen a appelé, lors de sa nomination, à ce que la Commission soit « géopolitique ». La guerre en Ukraine a constitué un nouveau tournant majeur en ce sens. Or l' « Europe puissance » ne saurait advenir sans défendre ses positions sur des questions majeures telles que celle des fonds marins.

4. L'importance des partenariats potentiels qu'offrent les territoires d'outre-mer

« Il faut rappeler que la moitié du G 20 voit la façade pacifique et il est donc important de nous positionner résolument pour un développement de ce cube océanique qu'est la ZEE polynésienne » 155 ( * ) . M. Tearii Alpha, vice-président du Gouvernement de la Polynésie française, ministre en charge du domaine, de l'économie bleue et de la recherche, a mis en lumière lors des Assises économie de la mer 2021 l'importance des coopérations internationales dans la zone Pacifique, évoquant notamment l'axe « États -Unis-Australie qui s'intéresse au Pacifique » 156 ( * ) . La ZEE des États-Unis est en l'occurrence principalement située autour des îles américaines du Pacifique.

Si l'Australie ne développe guère de stratégie des fonds marins, les ressources à exploiter dans sa ZEE étant perçues comme insuffisantes, elle s'intéresse néanmoins au Pacifique et notamment à la situation des îles Cook qui disposent pour leur part de ressources minérales importantes, convoitées par de nombreuses entreprises étrangères. La société belge d'exploitation minière Global Sea Mineral Resources (GSR) a ainsi indiqué à la mission avoir déjà conclu un accord à 50/50 avec la Cook Islands Investment Corporation pour l'exploration de la ZEE des îles Cook à la recherche de nodules. La lutte d'influence dans la zone indo-pacifique est déjà lancée et la France ne doit pas négliger des partenariats qui pourraient se révéler cruciaux dans cette zone .

Auditionné par la mission, M. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la culture, de l'environnement et des ressources marines du Gouvernement de la Polynésie française, résumait la problématique du bassin Pacifique : « Sur l'exemple des îles Cook, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie ne pourraient-ils pas être les porte-parole d'une politique française commune avec nos voisins du Pacifique ? À défaut, c'est la Chine, l'Inde ou l'Australie qui prendra les devants . Pour nous, la réponse consiste en l'édification d'un grand mur bleu dans le Pacifique avec nos amis de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi les îles Cook, Samoa, Tonga et tous les autres pays représentés au Forum des îles du Pacifique ». 157 ( * )

Les collectivités du Pacifique ont entamé des partenariats avec les États voisins : ainsi Wallis-et-Futuna envisage de constituer avec Fidji et Tuvalu « un parc marin d'importance écologique et biologique constituée de trois ZEE ». 158 ( * ) Il apparaît primordial d'encourager et de développer ces coopérations notamment au sein des pays du Forum des îles du Pacifique où deux dogmes s'affrontent entre les partisans d'une exploitation minière et les pays qui privilégient la préservation de l'environnement.

Certaines de ces coopérations sont déjà particulièrement fructueuses particulièrement sur le plan scientifique. Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a en effet rappelé que « des coopérations scientifiques actives existent dans le domaine des géosciences marines et terrestres avec les Australiens et surtout les Néo-zélandais (continent Zeelandia) » 159 ( * ) .

À l'image du Forum des îles du Pacifique, la France via La Réunion est membre, dans l'océan Indien, de la Commission de l'océan Indien (COI) qui se penche notamment sur la question des câbles sous-marins, avec l'organisation en 2021 de la première consultation régionale sur la protection et la résilience des câbles sous-marins. Or, dans ce bassin également, la compétition s'intensifie. « Les pays de la zone - Madagascar, Maurice, Seychelles - sont des partenaires de longue date, mais nous devons aussi faire face à des concurrents, comme l'Allemagne, l'Inde ou la Corée du Sud, qui disposent de licences d'exploration dans la région délivrées l'AIFM » 160 ( * ) précisait M. Idriss Ingar, référent climat-énergie au conseil départemental de la Réunion qui a au demeurant indiqué que Madagascar, également membre de la COI et qui dispose d'importantes ressources minières, a conclu un accord de coopération militaire avec la Russie.

Le cadre de la COI semble pertinent pour renforcer les partenariats en cours ou pour initier de nouvelles coopérations , d'autant plus qu'un de ses domaines d'action principale réside dans son oeuvre pour l'économie bleue dont la gestion durable des ressources des fonds marins compose une part importante. M. Wilfrid Bertile, président de la commission des affaires générales, financières, européennes, et relations Internationales, conseiller en charge du co-développement régional, de la pêche et des relations extérieures au conseil régional de la Réunion a d'ailleurs affirmé qu'il « pourrait être envisagé de solliciter la COI, avec un financement de l'Europe sur certains projets » 161 ( * ) .

Enfin, dans le bassin Atlantique, les perspectives de partenariats internationaux sont aussi particulièrement intéressantes . « Les États de la Caraïbe, les petits États indépendants qui nous entourent n'ont pas forcément les moyens financiers nécessaires pour aller vers l'exploration et les études, mais il y a des personnels formés dans certaines de ces îles. Nous devrions pouvoir en bénéficier dans le cadre d'une coopération internationale. Notre souhait, celui du président Serge Letchimy, est de développer cette coopération dans la grande Caraïbe et, au-delà, avec l'Amérique latine et l'Amérique du Nord » 162 ( * ) expliquait ainsi Mme Patricia Telle, deuxième vice-présidente de la collectivité territoriale de Martinique, chargée de la coopération et des relations internationales. Elle a toutefois souligné que l'essentiel demeurait d'établir une réelle coopération entre l'hexagone et les outre-mer. La sénatrice Annick Petrus a par ailleurs spécifié que pour le conseil territorial de Saint-Martin, « le sujet des coopérations internationales arrive trop tôt dans la démarche territoriale » 163 ( * ) .

Si selon le bassin les coopérations potentielles sont à des états d'avancement divers, chaque exemple témoigne de l' impérieuse nécessité pour la France de ne pas sacrifier les partenariats que peuvent nouer les outre-mer sur l'autel d'un tropisme trop exclusivement européen .

Les acteurs nationaux ont intégré les fortes possibilités de partenariats qu'offraient les outre-mer. Par exemple, l'Agence française de développement (AFD) gère plusieurs projets centrés autour des territoires ultramarins, dont l'initiative Kiwa, qui vise à renforcer le bien-être et la résilience des communautés du Pacifique face au changement climatique grâce à la conservation de la biodiversité. Cette initiative, qui ambitionne à la fois de soutenir la gestion durable et efficace des espaces marins tout en renforçant la coopération entre les bailleurs, les États et territoires insulaires du Pacifique et les organisations régionales, associe la France, l'Union européenne, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

L'appui technique et le principal soutien au développement, outre naturellement l'AFD, est assuré par le Programme régional océanien de l'environnement , une organisation intergouvernementale de vingt-cinq membres dont vingt-et-un pays et territoires insulaires du Pacifique qui a pour objectif de promouvoir la coopération, d'appuyer les efforts de protection et d'amélioration de l'environnement du Pacifique insulaire et de favoriser son développement durable.

Cet exemple illustre la nécessité d'une part de s'appuyer sur les coopérations existantes et potentielles développées par les outre-mer et d'autre part d'encourager les efforts des organismes, tels que l'AFD, qui disposent d'une vision globale de l'ensemble des enjeux inhérents aux fonds marins et des capacités à faciliter les synergies entre les différents acteurs aux visions parfois peu compatibles .

Recommandation

20) Accentuer l'effort de l'Agence française de développement en faveur de projets portant sur les grands fonds marins, qui sont au coeur de problématiques économiques, environnementales et culturelles à l'intersection de plusieurs préoccupations de l'Agence (biodiversité, changement climatique, transition énergétique...).


* 121 Stratégie nationale relative à l'exploration et à l'exploitation minières des grands fonds marins approuvée en comité interministériel de la mer du 22 octobre 2015.

* 122 Ibid.

* 123 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 124 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 125 Projet ScInObs : Sciences, innovations et observatoires sous-marins, présentation générale en ligne, 27 mai 2021.

* 126 Audition de scientifiques autour de MM. Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique et Didier Lahondère, adjoint au directeur des géoressources du service géologique national (BRGM).

* 127 Ibid.

* 128 Réponse écrite du CNRS au questionnaire de la mission d'information.

* 129 Ibid.

* 130 Audition de M. Hervé Guillou, président du Comité stratégique de filière des industriels de la mer (CSF IM) et vice-président du Groupement des industries de construction et activités navales (Gican).

* 131 Souveraineté et maritime, rapport du Groupe d'Expertise Économie maritime des conseillers du commerce extérieur, 2022.

* 132 Audition de M. Hervé Guillou, président du Comité stratégique de filière des industriels de la mer (CSF IM) et vice-président du Groupement des industries de construction et activités navales (Gican).

* 133 Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer.

* 134 Mise à jour de la stratégie des matières premières du Gouvernement fédéral par le Gouvernement fédéral allemand le 14 janvier 2020.

* 135 Ibid.

* 136 Audition de Maître Virginie Tassin Campanella, avocat à la Cour, experte auprès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et Mme Anne Caillaud, chargée de programme outre-mer à l'UICN.

* 137 Mise à jour de la stratégie des matières premières du Gouvernement fédéral par le Gouvernement fédéral allemand le 14 janvier 2020.

* 138 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 139 Circulaire n° 6266/SG du 5 mai 2021 du Premier ministre sur la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins.

* 140 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 141 Résolution du Parlement européen du 9 juin 2021 sur la stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030: Ramener la nature dans nos vies (2020/2273(INI))

* 142 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030, Ramener la nature dans nos vies, 20 mai 2020.

* 143 Résolution du Parlement européen du 3 mai 2022 : Vers une économie bleue durable au sein de l'Union : le rôle des secteurs de la pêche et de l'aquaculture (2021/2188(INI)).

* 144 European Commission, Directorate-General for Research and Innovation, Lamy, P., Citores, A., Deidun, A., et al., Mission Starfish 2030 : restore our ocean and waters , Publications Office, 2020, https://data.europa.eu/doi/10.2777/70828.

* 145 Audition de M. Mehdi Mahammedi Bouzina, conseiller parlementaire, M. Vincent Hulin, conseiller eau et biodiversité, Mme Sophie-Dorothée Duron, adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité et M. Jean François Gaillaud, chef du bureau de la politique des ressources minérales non énergétiques au ministère de la transition écologique, le 22 mars 2022.

* 146 Ibid.

* 147 Audition de M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes.

* 148 Audition de M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque, Représentant permanent auprès de l'Autorité internationale des fonds marins.

* 149 Proposition de décision du Conseil relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, lors des réunions du Conseil et de l'Assemblée de l'Autorité internationale des fonds marins COM(2021) 1 final du 5 janvier 2021.

* 150 Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer.

* 151 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 152 Proposition de décision du Conseil relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, lors des réunions du Conseil et de l'Assemblée de l'Autorité internationale des fonds marins COM(2021) 1 final du 5 janvier 2021.

* 153 Enjeux stratégiques de la maîtrise des fonds marins - Audition de Mme Camille Morel, chercheuse en relations internationales à l'université Jean Moulin Lyon-3, M. Nicolas Mazzucchi, chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et Mme Marianne Peron-Doise, chercheuse Asie du Nord, stratégie et sécurité maritimes, Institut de recherche stratégique de l'école militaire (Irsem).

* 154 Audition de scientifiques : MM. Jean-Marc Daniel, directeur du département « ressources physiques et écosystèmes de fond de mer » de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), Laurent Kerléguer, directeur général du service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), Joachim Claudet, conseiller « océan » du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Mme Mathilde Cannat, mandatée par le CNRS comme pilote dans la feuille de route « grands fonds » dans le cadre de France 2030.

* 155 Regards croisés Outre-mer : quelle ambition maritime pour nos jeunes ultramarins ?, échange aux Assises économie de la mer, le 15 septembre 2021.

* 156 Ibid.

* 157 Table ronde Séquence bassin de l'océan Pacifique (Nouvelle-Calédonie, province des îles Loyauté et îles Wallis et Futuna).

* 158 Réponse écrite de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna au questionnaire de la mission d'information.

* 159 Réponse écrite du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie au questionnaire de la mission d'information.

* 160 Table ronde Séquence bassin de l'océan Indien.

* 161 Ibid.

* 162 Audition séquence bassin de l'océan Atlantique.

* 163 Ibid.

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