B. DÉVELOPPER LES AUDITS DE SÉCURITÉ DES TERRITOIRES DE CHASSE

1. La question de la distance de sécurité autour des lieux habités et des voies de circulation

Au cours des auditions, le thème des distances de protection vis-à-vis des habitations, des routes ou des lieux touristiques est souvent revenu. La pétition de Mila Sanchez demandait notamment « une distance de sécurité égale à la portée maximale des armes utilisées ». Elle avait expliqué lors de son audition qu'« il n'y a pas de mur dans les forêts ».

a) En France pas de périmètre, mais une interdiction de tir vers les zones à protéger

Aujourd'hui, il n'y a pas, en France, d'interdiction de chasser à proximité des habitations ou des bâtiments . La distance de 150 mètres autour des maisons, souvent citée, résulte du fait que dans les départements où il y a des Associations communales de chasse agréées (ACCA), les terrains situés dans un périmètre de 150 mètres autour des maisons ne sont pas inclus dans le territoire de l'ACCA (article L. 422-10 du code de l'environnement).

Néanmoins par la circulaire du 15 octobre 1982 (circulaire n° 82-152) relative à la chasse, à la sécurité publique et à l'usage des armes à feu, le ministre de l'intérieur Gaston Defferre a interdit de faire usage d'armes à feu, qu'elles soient de chasse ou non, sur les routes et chemins publics, ainsi que sur les voies ferrées ou dans les emprises ou enclos dépendant des chemins de fer. Il est interdit de tirer en direction ou au-dessus, dès lors que le tireur est « à portée de fusil ». Il est également interdit de tirer en direction des lignes de transport électrique ou de leurs supports. Il est enfin interdit de tirer dans la direction des stades, lieux de réunions publiques en général et habitations particulières (y compris caravanes, remises, abris de jardin) , ainsi que des bâtiments et constructions dépendant des aéroports.

Ces précisions s'expliquent par le fait que le tribunal administratif de Rennes avait annulé, le 4 février 1982, un arrêté du 23 janvier 1980 par lequel avait été interdit l'usage des armes à feu de chasse dans un rayon de 150 mètres autour des habitations estimant que « l'utilisation de telles armes par les propriétaires à l'intérieur de leur propriété ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour justifier, dans ce cas, une interdiction générale restreignant l'exercice de droits découlant du droit de propriété et notamment ceux de chasse et de destruction des nuisibles ». En effet, la chasse comprend un certain nombre d'actes tendant à la recherche et à la capture du gibier, le rabat du gibier constituant déjà un acte de chasse. Dès lors, l'interdiction de chasse dans un rayon donné autour de ces habitations entraîne donc une gêne, puisque le rabat du gibier se trouve alors interdit. En conséquence, le ministre de l'intérieur a voulu réglementer le tir en général sans interdire la chasse.

L'interdiction de tirer en direction de bâtiments ou de routes doit en outre normalement figurer dans les SDGC, mais tel n'est pas toujours explicitement le cas, comme la mission l'a relevé (cf. chapitre II).

Par ailleurs, les maires, dans le cadre de leurs pouvoirs de police (articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales), peuvent, pour une durée limitée et en raison de circonstances locales, interdire la chasse à proximité des habitations. Il a ainsi été admis que le maire peut interdire la chasse auprès des habitations en établissant un périmètre de 200 mètres en deçà duquel toute chasse est interdite. Il en est d'ailleurs de même pour la chasse à courre sans qu'il y ait usage d'armes à feu (arrêt du Conseil d'État du 4 février 2022).

b) Des périmètres de sécurité existent dans des pays étrangers

Certains pays européens ont édicté des distances de sécurité.

En Espagne , un chasseur doit décharger son arme à moins de 50 mètres d'une autre personne lorsqu'il se dirige dans sa direction. Des zones de sécurité, comprises entre 100 et 250 mètres, sont définies pour protéger les zones habitées, les routes et sentiers, les cours d'eau.

En Italie , il est interdit de chasser à moins de 100 mètres autour des bâtiments à usage d'habitation ou de travail et à moins de 50 mètres des voies ferrées et des chaussées. Il est également interdit de chasser à moins de 100 mètres de machines agricoles en fonctionnement. Enfin, il est interdit de tirer en direction d'une zone à protéger à une distance de moins de 50 mètres avec un fusil et d'une fois et demi la puissance maximale pour les carabines.

Aux Pays-Bas , il est interdit de chasser dans les limites des agglomérations définies par chaque conseil municipal.

En Suisse , dans le canton de Vaud, c'est une distance de 200 mètres autour des habitations qui a été retenue.

c) Une question renouvelée par la prolifération du sanglier et le développement de l'usage des carabines

La question se pose sous un jour nouveau du fait de la prolifération du sanglier et du développement de l'usage des carabines que la circulaire de 1982 ne mentionne pas.

Plusieurs interlocuteurs ont fait valoir à la mission l'inefficacité et l'inadaptation de déterminer un périmètre où la chasse serait interdite au regard des enjeux de régulation du sanglier ou d'autres gibiers.

Le sanglier se développe largement dans notre pays et s'installe désormais à proximité immédiate voire à l'intérieur des villes. Des sangliers se sont installés à Montmorency dans des ronds-points ou à Mantes au Val-Fourré au bas des immeubles. La métropole de Bordeaux a dû prendre des mesures spécifiques pour réguler les populations. À l'étranger, on en a vu dans le centre de Rome attaquant les poubelles et, à Barcelone, c'est la chanteuse Shakira qui a été victime dans un parc de deux sangliers qui ont emporté son sac ! Les sangliers doivent donc être régulés avec des moyens appropriés : l'arc, les pièges, mais aussi dans certains cas des tirs à l'agrainage avec des silencieux. Des armes à feu peuvent aussi être nécessaires pour abattre un animal.

Plus largement, en dehors des villes, la portée des balles de chasse est de plusieurs centaines de mètres, voire plusieurs kilomètres avec une carabine, si le tir n'est pas fichant. Cette portée maximale résulte en réalité de tirs fautifs. La retenir pour fixer des distances de sécurité conduirait à interdire la chasse sur la plupart du territoire .

2. Armes de chasse, conserver l'équilibre entre efficacité et sécurité

L'armurier Vincent Vouzelaud a récemment publié un calcul sur la distance de retombée d'une balle lors d'un tir à l'horizontale par un tireur épaulant à 1,6 mètre du sol. Il a d'ailleurs noté que les distances étaient allongées par le tir avec une lunette qui modifie le plan de tir de l'arme. Ces résultats, repris et simplifiés ci-dessous, viennent compléter les données génériques sur la portée des armes de chasse en fonction des munitions utilisées.

Arme / Munitions

Distance utile

Distance horizontale

Distance maximale théorique

Fusil / Grenaille pour le petit gibier

30-40 mètres

-

180 à 320 m

Fusil / Chevrotine

15 mètres

150 m

+ 350 m

Fusil / Balle

35 mètres

140 à 210 m

1 500 m

Carabine / Balle

Jusqu'à 300 mètres (tir en montagne)

350 à 450 m

2 à 5 km

Sources : FNC « Sécurité dix règles d'or » et Grande Faune.

Si le tir à la carabine suscite des inquiétudes en termes de portée maximale, il reste nécessaire pour chasser les gibiers les plus lourds, car la vitesse supérieure de la balle et sa stabilisation, grâce aux rayures à l'intérieur du canon, favorisent la précision du tir et diminuent les ricochets . La balle de carabine dispose également d'un pouvoir létal plus important permettant de tuer sur le coup.

A contrario , les balles de fusil ont une portée beaucoup moins importante compte tenu de leur vitesse moindre. Leur précision est plus faible et elles sont plus sujettes au ricochet. Elles doivent donc être réservées à des tirs à courtes distances en battue (sanglier et chevreuil).

La chevrotine qui a une portée utile encore plus faible et dont la dispersion est importante doit être réservée aux battues pour des tirs à très courtes distances.

Ainsi, selon les articles 3 et 4 de l'arrêté ministériel du 1 er août 1986, certaines armes sont interdites en raison de leur puissance insuffisante . C'est le cas pour le tir des ongulés (tous les grands gibiers) de toute arme d'un calibre inférieur à 5,6 millimètres ou dont le projectile ne développe pas une énergie minimale de 1 kilojoule à 100 mètres.

L'article 4 oblige de tirer à balle ou avec un arc de chasse le cerf, le daim, le mouflon, le chamois ou l'isard, le chevreuil et le sanglier .

Toutefois, il existe deux exceptions :

- dans tous les départements, les préfets peuvent autoriser par arrêté le tir du chevreuil à plomb, car c'est un gibier plus léger (le poids maximal d'un mâle est d'environ 30 kilogrammes - un cerf peut dépasser 200 kg) ;

- dans les départements présentant des formations de garrigues ou maquis , le ministre peut autoriser par un arrêté annuel, sur proposition du préfet, après avis du président de la fédération départementale des chasseurs, l'emploi de chevrotines pour le tir du sanglier en battues collectives . C'est notamment le cas dans les Landes. En Corse, cette autorisation est donnée par un arrêté triennal. Récemment, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du préfet du Bas-Rhin qui autorisait l'emploi de la chevrotine du 15 août au 15 décembre autour des parcelles agricoles en cours de récolte, cette munition n'étant pas autorisée dans ce département.

Par ailleurs, l'article 4 interdit l'emploi pour des raisons de sécurité d'autres munitions que les cartouches à balle expansive et les plus grosses chevrotines, c'est-à-dire celles d'un diamètre supérieur à 4 millimètres ou de grenaille sans plomb d'un diamètre supérieur à 4,8 millimètres.

Proposition n° 2 :  Ne pas interdire les carabines, le danger résultant d'un tir dans une direction dangereuse ou mal maîtrisée et l'équilibre devant être maintenu entre l'efficacité du tir pour le respect des animaux et la sécurité pour les chasseurs et les riverains.

Actualiser la circulaire de 1982 en incluant les carabines, au besoin en portant les règles générales au niveau législatif.

3. Développer des audits de sécurité des territoires de chasse

Les questions soulevées autour de l'établissement de périmètres de sécurité ou l'interdiction des armes les plus puissantes peuvent trouver une réponse à travers le développement des audits de sécurité des territoires de chasse qui doivent conduire à adapter les jours, les modes et les armes de chasse à chaque territoire voire à chaque poste.

La FDC de Haute-Savoie et l'ONF sont deux exemples en ce domaine sachant que d'autres fédérations, comme l'Isère, ont pris des mesures en ce sens ou que l'ANCGG s'est engagée dans cette démarche.

a) Le zonage du territoire en Haute-Savoie

La mission voudrait ici donner l'exemple de l'action remarquable menée par la fédération départementale des chasseurs de Haute-Savoie qui a été auditionnée.

Dans ce département, trois accidents graves touchant des non-chasseurs, trailer , vététiste et promeneur, ont eu lieu en 2015, 2018 et 2021. Ces accidents ont suscité une forte prise de conscience et une réaction tout aussi déterminée pour prendre en compte la grande fréquentation des milieux naturels. Dans ces trois cas, la FDC s'est d'ailleurs portée partie civile et a obtenu la reconnaissance de son préjudice.

Dès l'accident de 2015, la FDC a mis en place un plan d'action mobilisant les 300 associations communales et intercommunales de chasse. À l'issue de 30 réunions et quatre mois de concertation, la FDC a adopté un zonage du territoire en fonction de l'importance de la fréquentation et des dangers. Il a été approuvé par arrêté préfectoral le 10 juillet 2016 .

Il distingue trois zones verte, orange et rouge déterminant l'organisation de la chasse .

Les zones rouges regroupent 3 271 hectares en « réserve de chasse sécuritaire ». La chasse y est interdite sauf les 2 e et 4 e jeudis de chaque mois pour le grand gibier soumis à plan de chasse et le renard. Des opérations dérogatoires peuvent être déclenchées pour limiter les dégâts et préserver l'équilibre agro-sylvo-cynégétique.

Les zones orange regroupent 27 400 hectares où le tir est interdit le dimanche après-midi, c'est-à-dire à partir de 11h30.

Dans les zones vertes, la chasse reste régie par les règles habituelles.

Suite à l'accident de 2018, la fédération a renforcé les mesures de sécurité. Elle a lancé un diagnostic de tous les territoires qui doit être achevé cette année . Ce diagnostic a pour but d'adapter les modes de chasse aux spécificités des lieux, de prendre en compte les aménagements locaux et les pratiques des autres usagers. Les réserves de chasse, où elle est interdite, peuvent être déplacées sur les zones les plus fréquentées.

Par ailleurs, dans les zones périurbaines, le marquage et l'identification des postes de battue sur le terrain sont devenus obligatoires dans les communes urbanisées à plus de 60 %. Leur identification sur carte est jugée suffisante pour une urbanisation moins importante.

b) L'adaptation de la chasse à la fréquentation des forêts par l'ONF

La mission voudrait également donner l'exemple des forêts gérées par l'ONF où la pratique de la chasse s'adapte en fonction de la fréquentation des autres usagers , car les forêts domaniales, à la différence des forêts privées, sont ouvertes au public.

Comme l'a montré l'audition de son directeur général et contrairement à l'idée répandue, la chasse n'y est pas systématiquement interdite le week-end ou le dimanche . En réalité, dans les 3 300 lots de chasse en forêt domaniale, le principe est que l'allocataire dispose de seulement deux jours pour organiser des chasses collectives à tir par semaine maximum, sauf disposition contraire . En revanche, la chasse individuelle, à l'approche ou à l'affût, peut se pratiquer tous les jours, sauf ceux où se déroule une chasse à courre.

L orsque les forêts connaissent une importante fréquentation par les riverains ou le tourisme, la chasse peut être interdite le dimanche (40 % des cas), entièrement le week-end ou de manière encore plus restrictive. Ainsi, en Île-de-France , la chasse ne se pratique que 10 à 15 jours en semaine dans l'année dans de nombreux massifs.

La mission estime que ces exemples devraient servir de modèle sur l'ensemble du territoire . Il faut regarder au cas par cas. À l'instar des actions menées sur les infrastructures routières pour diminuer les accidents de la circulation, un travail en amont sur l'identification des risques structurels et leur prise en compte sera de nature à renforcer la sécurité. La mission note que l'ANCGG s'est engagée dans cette démarche de longue haleine .

Comme en Haute-Savoie ou comme le fait l'ONF, il faut cartographier le territoire selon les risques propres puis descendre dans le détail en examinant, là où c'est nécessaire, les postes de battue. La mission a reçu de nombreux témoignages sur tel poste dangereux car mal placé, tel autre où un mirador serait nécessaire, telle chasse au chevreuil où l'usage de grenaille serait plus sécurisant... Dans d'autres cas, ce sont les méthodes et les armes qui sont à adapter compte tenu de la proximité des habitations ou des routes. L'arc peut par exemple être préféré pour minimiser la gêne ou les risques. La traque-affût peut également être une solution.

La FDC de l'Isère a indiqué à la mission que pour en assurer la mise en oeuvre locale, il conviendrait de modifier l'article R. 422-64 du code de l'environnement relatif aux règles de chasse des ACCA afin d'intégrer « l'adaptation des modes et pratiques de chasse ».

Il ne s'agit donc ni de décréter une interdiction générale ni de systématiser une seule méthode ou un seul type d'arme, mais de développer l'intelligence de situation en fonction de l'analyse du terrain, du gibier chassé et de l'accidentologie. C'est évidemment un travail de terrain long et itératif demandant un fort investissement des chasseurs.

Proposition n° 3 :  Développer les audits de sécurité des territoires de chasse au niveau départemental et local.

Adapter le code de l'environnement pour assurer sa déclinaison dans les ACCA.

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