II. FAIRE DU TEMPS DE PLACEMENT JUDICIAIRE UN TEMPS D'APPRENTISSAGE

A. DES MINEURS DÉLINQUANTS EN GRANDE MAJORITÉ DÉSCOLARISÉS

1. La construction d'un projet professionnel : clé de la sortie de la délinquance

Le rapport d'information sénatorial sur la réinsertion des mineurs enfermés 67 ( * ) de 2018 appelait, « tout en veillant à limiter l'incarcération », à « mettre à profit une éventuelle période d'enfermement pour amorcer un travail de réinsertion ». En outre, comme cela a été répété à plusieurs reprises lors des auditions, « il s'agit certes de délinquants, mais aussi d'enfants ». Les rapporteurs partagent ces deux visions. La formation des mineurs sous main de justice et la construction d'un projet professionnel sont des éléments indispensables pour lutter contre la récidive .

Les témoignages recueillis par les rapporteurs convergent vers une proportion très importante des jeunes suivis par la PJJ, déscolarisés ou en échec scolaire. Au quartier des mineurs de la maison d'arrêt de Nanterre, sur les 13 jeunes détenus au moment de la venue des rapporteurs, seuls 3 étaient scolarisés à leur arrivée.

À la rupture avec l'institution scolaire s'ajoutent souvent une addiction aux drogues - 90 % des jeunes pris en charge par la PJJ à Avignon sont consommateurs de stupéfiants - ainsi que des problèmes de santé mentale . À plusieurs reprises, les difficultés d'accès à des pédopsychiatres et à des psychiatres ont été soulignées.

Lors des auditions et des déplacements, les acteurs de terrain ont plusieurs fois exprimé la nécessité de « profiter de ce passage en centre éducatif fermé ou en détention pour remettre le pied à l'étrier » de ces jeunes en matière de formation et d'insertion professionnelle.

L'enjeu de la formation est primordial : les services de la PJJ des Hauts-de-Seine ont indiqué que 70 % des jeunes qu'ils suivent ne réitèrent pas s'ils ont un projet professionnel construit. Le défi à relever est important au regard du statut scolaire de ces jeunes au moment de leur prise en charge . L'étude réalisée auprès des jeunes suivis par la PJJ de Marseille en 2016 montre que 65 % d'entre eux n'ont pas de projet scolaire au moment de leur prise en charge par la PJJ.

2. Une obligation de formation dans les centres fermés et les centres de détention

Les rapporteurs rappellent que les mineurs sous main de justice - y compris ceux détenus - ont un droit à l'éducation. L'État a, envers le mineur détenu, les mêmes devoirs qu'envers les autres élèves : il est tenu de lui proposer jusqu'à 18 ans des modalités effectives de formation .

La convention entre le ministère de la justice et le ministère de l'éducation nationale du 15 octobre 2019 précise que « l'enseignement ou la formation constitue l'activité essentielle du mineur incarcéré [...] . Il s'agit de l'axe structurant et prioritaire de la prise en charge du mineur délinquant ».

Ces apprentissages reposent, en fonction de l'âge du mineur et des conditions de son placement, sur un enseignement scolaire assuré par du personnel de l'éducation nationale, des activités proposées par la PJJ, mais aussi, lorsque sa situation le permet et notamment en fin de processus pour les mineurs en centre éducatif fermé, des actions de formation en lien avec des associations ou des entreprises .

En milieu carcéral, les apprentissages se font par groupe de 4 à 7 jeunes. Ces groupes « prennent en compte les profils des élèves, leurs parcours scolaires, les situations éventuelles de décrochage scolaire, la durée prévisible de détention et la motivation pour une reprise de formation initiale. L'enseignement est fondamentalement centré sur l'individualisation du parcours du jeune dans un contexte collectif » 68 ( * ) . Dans les faits, Anne Rouville-Drouche, cheffe d'établissement de la maison d'arrêt de Nanterre, a indiqué aux rapporteurs que ces groupes - qui restent les mêmes pour tous les temps de vie communs en détention - sont constitués « en fonction de la capacité des jeunes d'un même groupe à vivre ensemble ». À titre d'exemple, à la maison d'arrêt de Nanterre, un même groupe réunit un jeune ne parlant pas français, un jeune dont le niveau est proche de celui d'un élève de CE2, un troisième dont le niveau est proche de celui d'un élève de 5 ème et enfin un préparant l'épreuve de français du baccalauréat.

Un entretien individuel initial est également organisé à l'arrivée du mineur, afin d'établir un bilan pédagogique. Chaque mineur détenu doit pouvoir bénéficier de l'intervention d'un psychologue de l'éducation nationale en appui du bilan scolaire et afin de l'aider à préciser son projet de poursuite d'études ou de formation.

Enfin, les jeunes en détention bénéficient également d'un suivi par un éducateur de la PJJ du milieu ouvert , qui a pour mission de travailler le retour à des dispositifs de droit commun et à la réinsertion. En effet, comme l'ont souligné à plusieurs reprises les acteurs de la PJJ, par principe un mineur n'a pas vocation à rester en détention . L'objectif, lorsque sa situation le permet, est de lui faire quitter le plus rapidement possible ce lieu de détention et d'avoir un suivi en milieu ouvert. Cela présente également l'avantage d'un suivi sans rupture du jeune au moment de sa majorité : alors qu'en milieu carcéral, le jeune quitte le quartier des mineurs à ses 18 ans, la PJJ continue à les suivre jusqu'à ses 21 ans, en milieu ouvert.

L'organisation des apprentissages au quartier des mineurs
de la maison d'arrêt de Nanterre

Les détenus mineurs de la maison d'arrêt de Nanterre bénéficient chaque semaine de 3 heures de français et de mathématiques, ainsi que d'une heure trente d'histoire géographie, anglais, informatique et atelier de citoyenneté. À ces 12 heures de cours s'ajoute un entretien individuel hebdomadaire de 20 minutes avec l'enseignant. Selon l'équipe éducative, il s'agit, pour la plupart de ces détenus du maximum d'heures qu'ils sont capables de suivre, en raison de leur relation conflictuelle avec l'école.

L'équipe pédagogique est composée de 3 enseignants présents depuis de nombreuses années à la maison d'arrêt (13 ans, 10 ans et 18 ans) et titulaires d'une formation spécifique pour enseigner auprès des adolescents et des adultes en difficultés d'apprentissage. À l'initiative de la cheffe de l'établissement pénitentiaire, le suivi de ces enseignements a été rendu obligatoire pour tous les mineurs, avant même la mise en place de l'obligation de formation pour les 16-18 ans. Selon les témoignages recueillis, les 13 détenus mineurs ont 13 niveaux différents - et une relation avec l'institution scolaire qui leur est propre - nécessitant une approche personnalisée pour chacun d'entre eux. Un projet avec l'institut des jeunes aveugles pourrait avoir lieu l'année prochaine.

À ces enseignements scolaires s'ajoutent des activités organisées par la PJJ (sport, arts du cirque, slam - en lien avec l'éducation nationale -, graphe, atelier BD dans le cadre du concours organisé conjointement par le festival de la bande dessinée d'Angoulême et la PJJ, atelier de citoyenneté et partenariat avec l'ONAC, ...). Deux éducateurs sont présents à la maison d'arrêt.

Tous les mardis matin, l'ensemble des intervenants - équipe enseignante, éducateur de la PJJ, surveillants pénitentiaires - auprès des mineurs se réunissent pour échanger sur la situation des mineurs. Ces temps d'échange, rassemblant à chaque fois les mêmes personnes, permettent de fluidifier les échanges entre les administrations.

Lorsqu'un nouveau jeune arrive en détention, il bénéficie d'un parcours « d'arrivant » pendant une semaine. Après avoir recueilli l'avis de l'ensemble des adultes l'ayant côtoyé pendant cette période (équipe enseignante, éducateurs de la PJJ, surveillants pénitenciers), il est affecté à un groupe.

Une fois par mois (hors période covid), une réunion est organisée avec les familles, permettant notamment de présenter l'ensemble des adultes présents au quotidien auprès de leurs enfants.

Il est à noter que cet établissement n'a pas été conçu initialement pour accueillir un quartier mineur. Ceux-ci sont entourés d'adultes, avec des conséquences pratiques : obstruction de portes vitrées ou d'une partie des grilles entourant leurs espaces de promenade/terrain de sport afin d'éviter tout contact.

Les professeurs nouvellement nommés, que ce soit à temps plein ou à mi-temps, doivent bénéficier d'une formation obligatoire d'adaptation à l'emploi composée de deux modules : le premier est un « module de découverte et d'acculturation au milieu pénitentiaire de cinq jours, organisé par l'école nationale d'administration pénitentiaire », le second est un « module de professionnalisation à l'emploi en milieu pénitentiaire de 52 heures », réparti en deux fois cinq jours et qui s'intègre dans la préparation du certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive (Cappei) 69 ( * ) .

Les rapporteurs ne peuvent que rappeler la nécessité d'un suivi de ces formations par tout enseignant avant d'intervenir en milieu carcéral, tant l'organisation des enseignements et le profil des élèves sont spécifiques, y compris dans la situation actuelle de forte tension de recrutements à l'éducation nationale .

L'union pédagogique régionale sur l'académie de Créteil

Le dispositif d'enseignement en milieu pénitentiaire comporte trois niveaux : le niveau national avec une commission nationale de suivi de l'enseignement, co-organisée par la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale et la direction de l'administration pénitentiaire, le niveau inter-régional avec une unité pédagogique régionale (UPR) implantée dans chaque direction inter-régionale des services pénitentiaires et enfin le niveau local (unité locale d'enseignement implantée dans chaque établissement pénitentiaire et comprenant l'ensemble des enseignants titulaires affectés par l'éducation nationale ainsi que les personnels vacataires rémunérés en heures supplémentaires effectives - HSE).

Le proviseur-directeur de l'UPR est rattaché administrativement et hiérarchiquement au ministère de l'éducation nationale. Il reçoit ses instructions conjointement des recteurs d'académie et du directeur interrégional des services pénitentiaires.

Il doit être associé systématiquement aux projets et décisions ayant des implications sur la politique de l'enseignement, notamment les projets relatifs à la prise en charge des détenus, l'aménagement des régimes de détention, mais aussi les programmes immobiliers et les conditions d'utilisation des outils numériques. Il doit être destinataire de toute information ayant une incidence sur l'enseignement en détention. L'UPR de Paris regroupe trois académies : Paris, Créteil et Versailles.

Dans les centres de l'administration pénitentiaire situés sur l'académie de Créteil, l'unité pédagogique régionale met à disposition 30 enseignants permanents (1 professeur agrégé, 4 professeurs certifiés, 4 contractuels du second degré, 3 professeurs de lycée professionnel et 18 professeurs des écoles), ainsi que 47 enseignants vacataires (4 professeurs agrégés, 18 professeurs certifiés, 2 professeurs contractuels du second degré, 12 professeurs de lycée professionnel, 2 professeurs des écoles, ainsi que 9 autres personnes ne relevant pas de ces catégories, mais appartenant à l'équipe éducative).

Lors de l'année 2020-2021, l'académie de Créteil dénombrait 124 détenus mineurs scolarisés (à la maison d'arrêt de Villepinte).

Source : convention entre le ministère de la justice et le ministère
de l'éducation nationale du 15 octobre 2019 et rectorat de Créteil

3. Des expériences intéressantes : le restaurant d'insertion et l'école numérique d'apprentissage

À Avignon, un restaurant d'insertion des jeunes, « graine de piment », vient d'ouvrir, dirigé par l'association Le Village et créé en partenariat avec la PJJ, le centre départemental enfance famille du Vaucluse et la mission locale jeunes Grand Avignon. La préparation des repas et le service sont assurés par des jeunes sans emploi ni formation ainsi que des jeunes en parcours de sortie du centre éducatif fermé d'Avignon, alors encadrés par des éducateurs de la PJJ. Le but est de remobiliser les jeunes, ainsi que de valoriser et développer leurs compétences .

Le restaurant d'insertion « graine de piment »

Ce restaurant d'insertion a ouvert en avril 2022. La cuisine et le service sont assurés par des jeunes en réinsertion, à partir de produits locaux. Le but principal n'est pas de les former à un métier, mais de recréer une accroche (le jeune se découvrant une vocation et souhaitant en faire son métier pourra être accompagné dans des formations et l'association cherche également à mettre en place des stages d'immersion chez des professionnels). La restauration permet en effet un contact avec la clientèle et d'inscrire le jeune dans la ville et dans un rythme.

Chaque jour, 7 jeunes sont mobilisés sur le restaurant - ce ne sont pas tout le temps les mêmes. Ils disposent d'un contrat allant de quelques heures jusque 24 heures hebdomadaires.

Le restaurant propose également aux clients de participer à une cagnotte solidaire afin de financer des repas pour des personnes n'ayant pas les moyens de se rendre au restaurant. Il peut notamment s'agir de la famille des jeunes qui travaillent dans le restaurant, contribuant à la valorisation de leur travail et à la construction de leur estime de soi. Enfin, l'association souhaite ouvrir une résidence d'artistes à proximité immédiate du restaurant avec un projet conjuguant art et cuisine.

Le déplacement à Avignon a également été l'occasion d'aller à la rencontre de l'école numérique des apprentissages. Cette association propose de s'appuyer sur le média audiovisuel et la radio pour aborder les apprentissages.

Ce projet, co-construit notamment avec le précédent directeur académique des services de l'éducation nationale et la direction territoriale de la PJJ, poursuit un triple objectif : réconcilier les jeunes avec les apprentissages, favoriser l'employabilité des jeunes et développer un réseau avec les entreprises du secteur pour favoriser l'insertion professionnelle.

L'école numérique des apprentissages (Avignon)

Lors de son déplacement à Avignon, les rapporteurs sont allés à la rencontre de l'équipe dirigeante de l'école numérique des apprentissages et de plusieurs jeunes. Cette association propose de s'appuyer sur le média audiovisuel et la radio pour aborder les apprentissages.

Une cinquantaine de jeunes âgés de 15 à 21 ans - décrocheurs, absentéistes, jeunes en rupture scolaire, jeunes suivis par la PJJ et l'ASE - y sont accueillis pour une période de 6 semaines environ (entre deux vacances scolaires). Les jeunes réalisent ensemble un projet collectif autour des médias.

Ils bénéficient également d'apprentissages plus scolaires, le niveau des jeunes allant du CM2 à la terminale. Selon l'équipe éducative, le niveau scolaire est très hétérogène, certains préparant un examen, alors que pour d'autres l'objectif est de renforcer leurs compétences écrites et orales en français, ainsi qu'en mathématiques. Outre des professionnels de l'audiovisuel et des acteurs du monde économique, l'équipe pédagogique est également constituée d'un professeur technique « culture et savoir de base » de la PJJ, un éducateur de la PJJ et d'une enseignante de l'éducation nationale.

Les jeunes rencontrés ont fait part de leur enthousiasme vis-à-vis des activités réalisées dans le cadre de cette association. Selon l'un des jeunes rencontrés, « avant de venir ici, je ne suis quasiment pas allé en cours pendant trois ans. Je suis là depuis quatre mois et je viens pratiquement tous les jours. En plus des apprentissages numériques, l'association m'a également accompagné et soutenu pour passer mon BAFA » . Il s'agit de redonner aux jeunes un rythme de vie, une estime de soi et les réconcilier avec l'envie d'apprendre.

Aussi, il est regrettable que le label de « persévérance scolaire » et le demi-poste d'enseignant aient été retirés pour la rentrée 2022 - sans concertation de la part des services académiques à la suite d'un changement de DASEN selon les informations transmises aux rapporteurs 70 ( * ) - à l'école numérique des apprentissages d'Avignon. Selon Fouziya Limoan, directrice de l'association « par l'image et le son » qui gère cette structure, les services départementaux de l'éducation nationale justifient cette décision par le fait que « les jeunes accueillis par la structure ne sont pas des jeunes scolaires, mais des jeunes de la PJJ », alors même qu'un certain nombre ont moins de 16 ans et relèvent de l'obligation scolaire. Cet exemple souligne la nécessité de laisser un peu de temps à ces dispositifs innovants de faire leur preuve : en effet, souvent ce sont des solutions au cas par cas qui doivent être trouvées pour réussir à remobiliser un jeune en rupture scolaire et d'insertion professionnelle depuis longtemps.


* 67 Rapport d'information n° 726, « Une adolescence entre les murs : l'enfermement dans les limites de l'éducatif, du thérapeutique et du répressif », 2017-2018.

* 68 Convention du 15 octobre 2019 entre le ministère de la justice et le ministère de l'éducation nationale.

* 69 Circulaire d'orientation sur l'enseignement en milieu pénitentiaire du 9 mars 2020.

* 70 « La nouvelle directrice des services académiques n'a pas attendu la tenue du comité de pilotage. Elle a pris la décision sans concertation avec la PJJ, remettant en question ce qui était précédemment prévu, de retirer le label "dispositif de persévérance scolaire", ainsi que les moyens en termes d'enseignant. [...] Ce qui faisait la force de ce dispositif c'était l'alliance PJJ et éducation nationale », propos de Benoît Belvalette, directeur territorial de la PJJ Alpes Vaucluse.

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