N° 900

SÉNAT

2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 septembre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur l' industrie de la pornographie ,

Par Mmes Annick BILLON, Alexandra BORCHIO FONTIMP, Laurence COHEN
et Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrices

Tome I - Rapport

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer, Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.

AVANT-PROPOS

Pour la première fois dans l'histoire parlementaire, un rapport d'information est entièrement consacré aux pratiques de l'industrie pornographique .

Après plus de six mois de travaux, des dizaines d'heures d'auditions, une analyse des principaux contenus pornographiques en ligne aujourd'hui ; après avoir entendu, à huis clos, des victimes de violences dans le milieu pornographique ; après avoir constaté l'hypocrisie et le cynisme des représentants du secteur, les rapporteures dénoncent sans détour une industrie qui génère des violences systémiques envers les femmes de façon générale , que ce soit celles qui se retrouvent dans ces productions comme celles qui subissent une sexualité calquée sur les normes de violences véhiculées par le porno.

L'objectif du présent rapport est avant tout d'alerter le Gouvernement et l'opinion publique sur les violences perpétrées et véhiculées par et dans l'industrie pornographique, ainsi que sur les représentations sexistes, racistes, homophobes et inégalitaires qu'elle génère. Il s'agit d'établir un constat clair des pratiques et normes aujourd'hui promues par cette industrie.

Le rapport de la délégation s'intéresse donc aux pratiques de l'industrie pornographique à l'ère de la massification de la production, de la diffusion numérique et de la consommation des contenus pornographiques . Il traite essentiellement de la pornographie communément qualifiée de « mainstream », qui correspond aux contenus pornographiques les plus visionnés, s'adressant principalement à un public hétérosexuel. Il ne traite notamment pas spécifiquement de la pédopornographie : interdite et illégale, celle-ci relève bien évidemment de la classification pénale, sans que cela ne puisse faire l'objet d'aucun débat.

La pornographie renvoie à l'exploitation commerciale de la représentation explicite de pratiques sexuelles non simulées . Elle se distingue ainsi de l'érotisme et des scènes de sexe simulé dans le cinéma traditionnel.

Les conditions dans lesquelles s'est exercée cette activité ont significativement évolué : renvoyant d'abord à de la littérature pornographique puis à l'émergence, dans les années 1970, de films pornographiques abusivement associés à la libération sexuelle, la pornographie a franchi, à partir du milieu des années 2000, une nouvelle étape avec la massification de la diffusion de vidéos pornographiques en ligne générant un trafic mondial massif et véhiculant des contenus de plus en plus extrêmes et violents.

La pornographie est ainsi devenue une industrie mondialisée qui génère plusieurs milliards d'euros de profit chaque année, dans des conditions souvent opaques, et qui a fait de l'exploitation et de la marchandisation du corps et de la sexualité des femmes un business à l'échelle internationale. Cette industrie repose en grande partie sur des multinationales souvent basées dans des paradis fiscaux.

Dès lors, les rapporteures estiment nécessaire de prendre conscience de ce changement de paradigme et d'appréhender la pornographie comme une industrie qui contribue à banaliser socialement les actes sexuels violents envers les femmes et à ériger en norme des violences que l'on peut aujourd'hui qualifier de systémiques .

La délégation s'alarme tout particulièrement de l'accès facilité, démultiplié et massif des mineurs et jeunes adultes à des contenus pornographiques violents et toxiques . Le porno, y compris le porno le plus « trash » et extrême, est accessible gratuitement en quelques clics. Deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers de ceux de moins de 12 ans ont déjà été exposés à des images pornographiques, volontairement ou involontairement. Chaque mois, près d'un tiers des garçons de moins de 15 ans se rend sur un site porno.

Les conséquences sont nombreuses et inquiétantes : traumatismes, troubles du sommeil, de l'attention et de l'alimentation, vision déformée et violente de la sexualité, difficultés à nouer des relations avec des personnes du sexe opposé, (hyper) sexualisation précoce, développement de conduites à risques ou violentes, etc. Ces conséquences ne se limitent d'ailleurs pas au seul public mineur, le porno a également un impact sur les adultes, leurs représentations d'eux-mêmes, des femmes et de la sexualité.

Le présent rapport s'inscrit également dans un contexte particulier, celui du traitement pénal, pour la première fois en France, de violences commises dans un contexte de pornographie sur des femmes victimes de graves maltraitances, sexuelles, physiques et psychologiques, perpétrées par des criminels de l'industrie pornographique, faisant aujourd'hui l'objet de diverses mises en examen, notamment pour viol, viol aggravé, complicité de viol avec acte de torture et de barbarie, traite des êtres humains aux fins de viol, proxénétisme...

Les rapporteures saluent le travail mené par les enquêteurs et les magistrats du parquet et de l'instruction dans le cadre de ces dossiers. Elles souhaitent que les informations judiciaires en cours ouvrent la voie à la prise de parole et au dépôt de plaintes par d'autres victimes de violences pornographiques.

Elles saluent également le soutien apporté aux victimes par les associations de défense des droits des femmes et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui se sont, pour la plupart, constituées partie civile, aux côtés des victimes, dans le cadre des deux instructions judiciaires en cours (affaires dites French Bukkake et Jacquie et Michel ).

Elles saluent enfin les enquêtes circonstanciées de journalistes, véritables lanceurs d'alerte, qui ont permis d'informer l'opinion publique sur les pratiques de cette industrie et ont contribué à ouvrir les yeux de toutes et tous sur l'ampleur systémique des violences pornographiques.

Les rapporteures dénoncent fermement ces violences et expriment leur soutien aux victimes de cette industrie, notamment à celles qu'elles ont rencontrées dans le cadre de leurs travaux et qui leur ont courageusement livré un témoignage accablant sur les violences subies, les modes opératoires systématiques de leurs agresseurs et la difficulté à faire entendre leur voix.

De nombreux experts auditionnés par la délégation ont fait état d'une grande porosité entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie.

Au vu de ces constats et de l'omerta qui entoure encore aujourd'hui les violences pornographiques, les rapporteures appellent à une prise de conscience de toutes et de tous sur ce système de violences et à mettre un terme au déni et à la complaisance dont bénéficie encore l'industrie pornographique. Il y a urgence à engager un débat public sur les pratiques de cette industrie et sur son existence même .

Elles formulent vingt-trois recommandations qui s'articulent autour de quatre grands axes :

• faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique ;

• faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l'oubli ;

• appliquer enfin la loi sur l'interdiction d'accès des mineurs et protéger la jeunesse ;

• mettre en oeuvre les séances d'éducation à la vie sexuelle et affective et sensibiliser les parents, professionnels de santé et professionnels de l'éducation aux enjeux liés à la pornographie.

Avertissement : le contenu du présent rapport fait parfois référence à du langage sexuel explicite et à la description de scènes de violences sexuelles.

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