PREMIÈRE PARTIE : UN SYSTÈME DE VIOLENCES ENVERS LES FEMMES, AUJOURD'HUI ÉRIGÉ EN NORME PAR L'INDUSTRIE PORNO

« Sur Internet, on dit souvent que “ si quelque chose existe, il en existe également une version pornographique ”. Le moindre fantasme, le moindre désir le plus pervers sont représentés. Tout existe. » : ainsi s'exprimait Elsa Labouret, porte-parole de l'association Osez le féminisme ! , le 20 janvier 2022, à l'occasion de la première audition de la délégation aux droits des femmes consacrée aux pratiques de l'industrie pornographique.

L'industrie de la pornographie est aujourd'hui, d'abord et avant tout, une industrie , qui a fait de l'exploitation et de la marchandisation du corps et de la sexualité des femmes, notamment, un business à l'échelle mondiale .

Depuis une quinzaine d'années et l'avènement des « tubes », véritables robinets à images pornographiques sans aucun contrôle, la pornographie, en raison de ses nouveaux modes de diffusion, de production et de consommation , a généré un véritable système de violences à l'encontre des femmes.

Tant le volume existant des contenus pornographiques accessibles à toutes et tous que leur nature-même ont contribué à banaliser les actes sexuels violents envers les femmes et à ériger en norme des violences que l'on peut aujourd'hui qualifier de systémiques . La pornographie constitue donc aujourd'hui, à l'évidence, un élément important de la « culture du viol » dans notre société.

I. UNE MASSIFICATION DE LA DIFFUSION DU PORNO SUR INTERNET

L'architecture et le « visage » de l'industrie pornographique ont été profondément bouleversés au milieu des années 2000 avec l'apparition des « tubes », grandes plateformes numériques de diffusion de milliers de vidéos pornographiques, pour la plupart d'accès libre et gratuit , sans véritable contrôle a priori des contenus diffusés.

Cette massification, à l'échelle industrielle, de la diffusion du porno en ligne, et la diversification des supports de diffusion de contenus pornographiques accessibles à toutes et à tous, ont contribué à l'apparition de contenus de plus en plus « trash » et violents , à la mise en ligne de vidéos souvent piratées, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits. Si bien que cette diffusion massive d'images et vidéos pornographiques gratuites et libres d'accès a permis de façonner un nouveau modèle économique et commercial dans lequel les violences systémiques à l'encontre des femmes sont devenues la norme .

A. LES TUBES, LEADERS DE LA PROPAGATION DES CONTENUS PORNOGRAPHIQUES

1. Un tournant au milieu des années 2000 : l'apparition des « tubes » et la massification de la pornographie en ligne, gratuite et libre d'accès
a) Les tubes, des robinets à images pornographiques, sans aucun contrôle

La massification de l'accès à la pornographie correspond à l'apparition, à partir de 2006-2007, de grandes plateformes Internet, appelées « tubes », qui diffusent gratuitement et sans aucune restriction d'accès, une multitude de contenus pornographiques, par ailleurs souvent piratés.

Ces nombreux sites de diffusion massive, dont les plus connus sont aujourd'hui Pornhub.com et Y ouporn.com , ont constitué un vecteur important de « popularisation » de l'accès démultiplié au porno et sont pour la plupart détenus par quelques sociétés financières dont le siège est souvent localisé dans des paradis fiscaux. Cette nouvelle architecture numérique a favorisé la mise en place d'un système opaque, dans lequel il est très difficile d'identifier les responsables du contenu diffusé, qui génère un chiffre d'affaires annuel de plusieurs milliards de dollars à partir de nombreux contenus émanant d'autres sites plus petits et piratés par les plus gros tubes .

Les tubes sont apparus dans le paysage économique mondial, entre 2006 et 2008, à la faveur de la conjugaison de deux phénomènes numériques de masse : l'explosion de l'utilisation du smartphone couplée à la technologie du streaming , inventée par les ingénieurs de YouTube . Dès lors, ces plateformes de diffusion massive de vidéos pornographiques ont eu pour seul objectif d'aspirer le maximum de contenus afin d'alimenter le marché mondial du sexe, de mettre en ligne des dizaines de milliers de vidéos à caractère sexuel et de les rendre accessibles gratuitement.

Le modèle économique sur lequel repose ces tubes consiste dans la diffusion de contenus majoritairement gratuits, souvent piratés, générant un énorme trafic et qui peuvent renvoyer vers d'autres contenus payants, des espaces de live cam ou des sites de performeurs qui mettent en ligne des vidéos payantes.

Lors de son audition par la délégation aux droits des femmes, le 29 mars 2022, l'auteure et réalisatrice de documentaires Ovidie a décrit aux rapporteures le modèle économique de ces plateformes numériques de la pornographie, qui avait fait l'objet de son documentaire diffusé en 2017, intitulé Pornocratie : les nouvelles multinationales du sexe , résultat d'une enquête de plusieurs années sur l'économie souterraine de la pornographie. Elle a notamment souligné que : « le modèle économique principal des plateformes consiste à générer des millions de clics et à vendre de l'espace publicitaire . Sur ces sites, les vidéos sont dans des cases et sur le côté il y a des publicités pour des sites de live cam ou des produits aphrodisiaques. Lorsque l'on regarde les montages des multinationales, qui ont de nombreuses annexes à Chypre, au Panama, en Irlande ou au Luxembourg, on comprend qu'il y a une circulation de l'argent qui est trouble et fait aussi partie de leur modèle économique. (...) Un grand nombre de professionnels ou anciens professionnels du milieu pornographique sont en guerre contre les plateformes, et pas uniquement parce qu'elles mettent à mal leur activité. Ces plateformes ne sont d'ailleurs pas détenues par des professionnels de l'industrie pornographique mais par des spécialistes de la circulation de l'argent . »

On assiste donc, depuis une quinzaine d'années, à une concentration du secteur économique de diffusion de la pornographie, dans lequel l'acteur économique clé n'est plus le studio, producteur de contenus, mais la plateforme numérique, vecteur de diffusion massive de contenus.

Lors de son audition par la délégation, Grégory Dorcel, PDG du groupe français Dorcel, producteur et diffuseur de contenus pornographiques en France, a ainsi indiqué aux rapporteures : « depuis sept à huit ans, des sites sauvages, notamment les tubes, diffusent des contenus pornographiques sans aucune restriction d'accès, pour des raisons purement commerciales, et au mépris de toutes les conséquences que cela peut avoir sur les enfants. Parallèlement, ces acteurs causent aussi un tort considérable à notre industrie. Avec eux, c'est la double peine : non seulement ils diffusent des contenus pornographiques à n'importe qui - y compris les enfants - mais ils diffusent également n'importe quoi : images extrêmes, avilissantes, etc. Ce nouveau système marketing a permis à quelques sociétés, qui animent ces sites, de réaliser près de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur un marché du X mondial d'environ 8 milliards d'euros . » Il a également précisé que ces sites « sont pour la plupart hébergés à l'étranger, dans des paradis fiscaux . »

En outre, dans ses réponses à un questionnaire adressé par les rapporteures de la délégation, le groupe Dorcel estime que « les tubes ont amené un accès sans limite aux contenus pornographiques (...), un affaiblissement des producteurs voire une dépendance économique, une déresponsabilisation éditoriale et une dérégulation complète sur le web, opposées à la régulation qui règne historiquement sur les réseaux TV. Nous collaborons de façon limitée avec les principaux tubes. Nous sommes réputés pour vouloir imposer aux tubes la protection des mineurs (...) et pour lutter contre le piratage. Nous ne partageons pas les mêmes intérêts que les tubes . »

Ainsi que l'indiquait à la délégation, au cours d'une table ronde réunissant chercheurs et juristes sur la production de contenus pornographiques, le 3 février 2022, Béatrice Damian-Gaillard, docteur HDR en sciences de l'information et de la communication, professeure à l'Université Rennes 1, chercheuse à Arènes (laboratoire CNRS) : « dans un contexte de concentration de ce secteur économique, l'acteur économique clé n'est plus aujourd'hui le studio mais la plateforme. La plupart des plateformes sont (...) aujourd'hui la propriété de l'entreprise multinationale de publication Internet spécialisée dans la pornographie, MindGeek . Parallèlement, les acteurs et actrices comptent de plus en plus sur les revenus qu'ils tirent, non plus des contrats avec les studios, mais des rémunérations qu'ils ou elles reçoivent sur leurs comptes personnels depuis des plateformes telles qu' Onlyfans . Les montages juridiques et économiques des structures vont donc aujourd'hui d'acteurs qui sont autoentrepreneurs à des groupes multinationaux . »

« L'acteur économique clé n'est plus aujourd'hui le studio mais la plateforme » Béatrice Damian-Gaillard, docteur HDR en sciences de l'information et de la communication, professeure à l'Université Rennes 1, chercheuse à Arènes

Dans la réédition datant de 2020 de l'ouvrage 1 ( * ) de référence de Gail Dines, sociologue américaine, intitulé Pornland : comment le porno a envahi nos vies , l'auteur de la postface Tom Farr, chercheur britannique au sein du CEASE 2 ( * ) , décrit très bien la structure entrepreneuriale de l'industrie du porno telle qu'elle existe aujourd'hui : « actuellement, la méga-entreprise derrière le rideau est Mindgeek , un conglomérat international qui possède plus de 80 % des sites pornographiques , y compris des sites majeurs et des studios de production comme Pornhub et Brazzers . Son fonctionnement consiste à racheter tous les sites rentables, puis à prendre une part des bénéfices au travers de leur hébergement, de la publicité et de la vente de produits. Les plus populaires d'entre eux sont les sites de type « tube » comme Pornhub et YouPorn , qui sont en réalité des gigantesques plateformes proposant un éventail presque illimité de contenus gratuits , avec toutes sortes d'images et de vidéos véhiculant des stéréotypes racistes, misogynes et pédocriminels. En particulier pour Pornhub , MindGeek réalise des bénéfices avec la publicité, grâce aux milliards de visites que le site enregistre chaque année, tandis que ceux qui apparaissent dans les vidéos voient leurs bénéfices diminuer, car la majorité du contenu du site est libre d'accès, conformément à la stratégie déployée par MindGeek sur l'ensemble de l'industrie ».

MindGeek, la multinationale du porno

L'entreprise MindGeek détient de nombreux tubes , ces plateformes agrégeant des contenus pornographiques en ligne, dont les plus connus sont Pornhub , YouPorn et RedTube .

En 2017, dans un documentaire intitulé « Pornocratie, les nouvelles multinationales du sexe », la réalisatrice Ovidie a dénoncé l'opacité autour de cette multinationale, dont il est quasiment impossible de connaître la structure capitalistique, les noms des réels propriétaires, le nombre de filiales ou encore les revenus.

Établie physiquement à Montréal, Mindgeek déclare employer 1 000 de ses 1 800 salariés sur le sol canadien. Cependant, elle a des activités dans le monde entier, possède des bureaux à Chypre, à Londres, à Bucarest et Los Angeles, et héberge du contenu à l'extérieur du Canada. Son siège social est basé au Luxembourg.

Son chiffre d'affaires annuel avoisinerait les 800 millions d'euros selon certaines estimations publiées dans la presse.

Le modèle économique de MindGeek repose non seulement sur les bénéfices générés par la publicité présente sur ses principaux sites de diffusion de contenus gratuits mais aussi sur sa plateforme de jeux en ligne ou encore sur certains abonnements payants permettant d'accéder à un autre type de contenus.

Le 4 décembre 2020, une enquête publiée par le New York Times faisait état de vidéos publiées sur le site Pornhub de victimes, parfois mineures, de viols dans le cadre de tournages pornographiques et de vidéos diffusées sans le consentement des femmes concernées. Suite à ces révélations, des compagnies telles que Mastercard et Visa ont bloqué leur accès à Pornhub . Le site Pornhub avait alors annoncé la suppression des vidéos publiées par des utilisateurs ne s'étant pas soumis au processus de « vérification » du site, soit plusieurs millions de contenus.

En outre, un cabinet d'avocats international a intenté, en 2021, une action en justice aux États-Unis contre MindGeek pour la mise en ligne de vidéos d'exploitation sexuelle présumée : trente-quatre femmes ont ainsi porté plainte contre MindGeek accusant l'entreprise d'avoir hébergé des vidéos de violences sexuelles dont elles ont été victimes.

Le 4 mars 2021, une centaine de victimes d'exploitation sexuelle appelaient également le Canada à mener une enquête criminelle à l'encontre de MindGeek , accusée de violer la législation canadienne en matière de protection de l'enfance.

Au mois de juin 2022, une nouvelle enquête publiée dans le magazine The New Yorker a fait état des échecs de la modération du site Pornhub se basant sur des témoignages de jeunes adolescentes mineures victimes de la diffusion d'images filmées sous la contrainte.

b) Quels revenus générés aujourd'hui par l'industrie mondiale de la pornographie ?

S'agissant des revenus générés par l'industrie mondiale de la pornographie, les chiffres dont a pu prendre connaissance la délégation diffèrent selon les interlocuteurs.

Grégory Dorcel, PDG du groupe Dorcel, principal leader de la production pornographique française, a évoqué devant la délégation un « marché mondial du X d'environ 8 milliards de dollars » de chiffre d'affaires.

Le groupe Dorcel a ainsi estimé la ventilation du chiffre d'affaires mondial de la pornographie :

- 2 milliards de dollars pour les tubes ;

- 1,5 milliard de dollars pour la live cam ;

- 2 milliards de dollars pour la production traditionnelle ;

- 2 milliards de dollars pour les plateformes de création de contenus (type Onlyfans , etc.).

Soit un marché global de l'ordre de 7,5 milliards de dollars auquel s'ajoute 1 milliard de dollars de chiffres d'affaires des groupes audiovisuels traditionnels en TV et VOD .

Un article 3 ( * ) publié sur le site capital.fr daté du 22 mai 2020, indique que, « depuis 2012, le chiffre d'affaires de l'industrie du X a bondi de 50 % pour passer à 7,5 milliards de dollars, et la plupart des grandes entreprises du secteur affichent une santé florissante. Il faut dire que, boostées par les avancées technologiques, ces sociétés - dont la plupart n'existaient pas il y a quinze ans - ont réussi à se façonner un modèle économique totalement nouveau, à des années-lumière des vieilles lunes du cinéma porno et autrement plus rentables ». Le même article précise, par ailleurs, que « pour maximiser les profits, ils appliquent à la porn industry les recettes de la Silicon Valley , inondent la planète avec leurs sites aux contenus gratuits, captent l'essentiel de la pub grâce à des techniques d'affiliation dernier cri et, fort de leurs milliards de connexions mensuelles, écrasent sans pitié la concurrence, à la manière de Google ou d' Amazon ».

Le trafic généré par les tubes est tel que même un faible pourcentage de « clics » sur les bannières publicitaires affichées sur ces sites suffit à les rentabiliser. L'article précité, publié sur le site capital.fr , cite ainsi Magalie Rheault, PDG d' Evil Angel , un des derniers producteurs indépendants de vidéos pornographiques : « il faut bien comprendre que MindGeek n'est pas une entreprise de porno, c'est une régie publicitaire. La nature du contenu ne les intéresse pas, ils veulent juste attirer le plus de visiteurs possible pour vendre des bannières et du trafic ».

Les associations féministes entendues par la délégation ont, quant à elles, fait état de « revenus du porno » beaucoup plus élevés à l'échelle internationale.

Ainsi, Claire Charlès, porte-parole de l'association Les Effronté.es , a souligné, lors de son audition le 20 janvier 2022, « tous ces contenus charrient énormément d'argent. 136 milliards de vidéos sont visionnés chaque année ; 35 % des vidéos sur Internet sont de la pornographie . Les revenus du porno s'élèvent à 140 milliards de dollars par an, dont 17 milliards aux États-Unis , soit plus que Netflix et la National Basketball Association ( NBA ) réunis. Nous devons nous interroger sur les intérêts financiers colossaux qui se cachent derrière cette industrie (...) ».

De même, Céline Piques, porte-parole de l'association Osez le féminisme ! , a indiqué à la délégation : « 25 % de la bande passante sur Internet sont aujourd'hui consacrés à la pornographie. C'est un problème financier mais aussi écologique, puisque l'industrie consomme énormément. Les milliards d'euros suivent derrière. En termes de contrôle européen ou mondial, les plateformes de diffusion type Pornhub ou xVideos sont hors de tout contrôle. MindGeek , la maison mère de Pornhub , est par exemple une société de droit canadien ayant placé son argent dans des paradis fiscaux, notamment en Europe, en particulier au Luxembourg . »

Dans son cinquième rapport mondial sur le système prostitutionnel, publié en 2019, la Fondation Scelles estimait, quant à elle, qu'en 2006, le chiffre d'affaires de l'industrie pornographique avait atteint 97,06 milliards de dollars, dont 13,33 milliards générés rien qu'aux États-Unis. Le premier chiffre correspond au chiffre d'affaires combiné des GAFAM ( Google , Apple , Facebook , Amazon , Microsoft ) et le second est largement supérieur aux 9 milliards de dollars enregistrés par l'industrie cinématographique américaine.

Cette recherche du profit à tout prix explique pourquoi l'industrie de la pornographie est devenue aveugle au contenu diffusé sur ces gros sites de streaming de vidéos X et a pu encourager la production de contenus de plus en plus violents, véhiculant des stéréotypes racistes, sexistes, homophobes et lesbophobes.

2. Les chiffres de consultation des principaux sites pornographiques dans le monde et en France
a) Les vidéos porno : plus d'un quart de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde

D'après des données internationales publiées sur le site SimilarWeb , parmi les 50 sites Internet les plus fréquentés au monde figurent six sites pornographiques , classés dans la catégorie « Adulte ».

Il s'agit des sites suivants : xVideos , classé 10 e site générant le plus de trafic au monde, Pornhub , classé 12 e , Xnxx , 13 e site, xHamster , 26 e site mondial, Realsrv , classé 44 e et enfin Stripchat , classé 48 e .

Le site Pornhub aurait généré un total de 42 milliards de visites en 2019 et afficherait un nombre de près de 220 000 vidéos vues chaque minute dans le monde .

D'après un rapport 4 ( * ) du think tank Shift Project , datant de juillet 2019, sur la sobriété numérique, les vidéos pornographiques hébergées sur des plateformes de streaming de contenus pornographiques ( Pornhub , YouPorn , xVideos , etc.), constituent plus d'un quart ( 27 %) de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde, 16 % du flux total de données sur Internet et 5 % du total des émissions de gaz à effet de serre dues au numérique .

Poids des vidéos pornographiques dans le trafic Internet mondial

de l'ensemble du trafic vidéo en ligne

du flux total de données sur Internet

des émissions de gaz à effet de serres dues au numérique

Source : The Shift Project, 2019

La demande de contenus pornographiques sur Internet est également très forte puisqu'elle correspond à une recherche sur huit sur ordinateur et à une recherche sur cinq sur mobile .

Outre son impact sociétal, cette consommation de bande passante sur Internet au niveau mondial a également une forte incidence environnementale .

Classement des sites Internet les plus fréquentés au niveau mondial

Classement

Site Internet

Catégorie

Durée moyenne de la visite

Pages/
visite

1

Google.com

Moteurs de recherche

00:10:59

8.70

2

Youtube.com

Streaming et TV en ligne

00:21:48

11.82

3

Facebook.com

Réseaux de médias sociaux

00:09:52

8.69

4

Twitter.com

Réseaux de médias sociaux

00:10:57

10.36

5

Instagram.com

Réseaux de médias sociaux

00:07:39

11.06

6

Baidu.com

Moteurs de recherche

00:05:37

8.03

7

Wikipedia.org

Dictionnaires et encyclopédies

00:03:52

3.13

8

Yandex.ru

Moteurs de recherche

00:10:45

9.58

9

Yahoo.com

Éditeurs d'actualités et médias

00:07:47

5.70

10

Xvideos.com

Adulte

00:09:41

9.28

11

Whatsapp.com

Réseaux de médias sociaux

00:04:17

2.15

12

Pornhub.com

Adulte

00:08:23

8.60

13

Xnxx.com

Adulte

00:08:37

11.37

14

Amazon.com

Marketplace

00:07:18

8.95

Source : SimilarWeb (août 2022)

b) La France : 4e pays le plus consommateur de porno dans le monde

En France, d'après les données publiées sur le site SimilarWeb en août 2022, cinq sites pornographiques sont classés parmi les cinquante sites les plus fréquentés, dont quatre sites situés dans le Top 25 : Pornhub , en 11 e position - avant lefigaro.fr ou lemonde.fr , xVideos , classé 18 e xHamster , classé 20 e site et Xnxx , classé 23 e . Le cinquième site le plus consulté est Stripchat.com .

Classement des sites pornographiques
parmi les trente sites les plus fréquentés en France

Classement

Site Internet

Catégorie

11

Pornhub.com

Adulte

12

Live.com

E-mail

13

Yahoo.com

Éditeurs d'actualités et médias

14

Netflix.com

Streaming et TV en ligne

15

Programme-tv.net

Streaming et TV en ligne

16

Ouest-France.fr

Éditeurs d'actualités et médias

17

Lefigaro.fr

Éditeurs d'actualités et médias

18

Xvideos.com

Adulte

19

Lemonde.fr

Éditeurs d'actualités et médias

20

Xhamster.com

Adulte

21

Lequipe.fr

Sports

22

Meteofrance.com

Cartes

23

Xnxx.com

Adulte

Source : SimilarWeb (août 2022)

D'après des données chiffrées que la délégation a pu consulter, en 2021 près d'un millier de sites pornographiques accessibles depuis la France est recensé pour les calculs d'audience, parmi lesquels environ un quart affiche une audience notable de plus 80 000 visiteurs uniques par mois. En outre, d'après les données fournies par le groupe Dorcel, les Français effectuent chaque mois un total de plus de 650 millions de visites sur l'ensemble des sites pornographiques accessibles dans le monde. En outre, sept Français sur dix consulteraient mensuellement au moins une plateforme pornographique.

En moyenne, en 2021, les sites pornographiques comptabilisent en France une audience mensuelle moyenne de 19,3 millions de visiteurs uniques (personnes qui se rendent chaque mois au moins une fois sur un site classifié « adulte »), soit 36 % des internautes français , dont 2,3 millions de mineurs , soit 12 % de l'audience.

Audiences des sept sites pornographiques mis en demeure par l'Arcom
(moyenne mensuelle du nombre de visiteurs uniques en 2021)

Ensemble

2-17 ans

18 ans et plus

Total Internet

53 367 023

7 919 377

45 447 646

Total catégorie Adulte

19 321 055

2 252 355

17 068 700

Pornhub

9 165 726

1 584 342

7 581 385

xHamster

4 522 531

343 542

4 178 989

XVideos

4 496 208

532 720

3 963 488

Tukif

2 888 879

388 107

2 500 772

Xnxx

1 012 710

35 103

977 606

Youporn

2 862 985

200 857

2 662 127

RedTube

788 248

45 005

743 243

Source : Arcom

Pornhub est le site pornographique qui génère le plus de trafic en France. D'après les données publiées en 2021 par ce site, la France se situe au quatrième rang mondial des pays les plus consommateurs de pornographie , en termes de nombre de consultations journalières, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon, et devant l'Italie.

L'audience mensuelle en visiteurs uniques de Pornhub en France s'élève, en 2021, à 7,6 millions de majeurs et 1,6 million de mineurs , soit 17 % de l'audience totale mensuelle du site en moyenne.

c) L'industrie de la pornographie en France dominée par deux acteurs principaux : les groupes Dorcel et ARES (« Jacquie et Michel »)

Le secteur de la pornographie en France regroupe au total une dizaine de sociétés de productions françaises avec autant de réalisateurs. Une vingtaine d'acteurs masculins travaillent pour ces sociétés. Les femmes intervenant dans ces productions sont, quant à elles, beaucoup plus nombreuses et leur nombre difficile à quantifier.

L'industrie de la pornographie en France est toutefois dominée par deux entités principales : le groupe Dorcel, à la fois producteur et diffuseur de contenus, et le groupe ARES (détenteur de la marque Jacquie et Michel ), qui se présente comme simple diffuseur de contenus.

(1) Dorcel, leader de l'industrie pornographique en France

Le groupe Dorcel, groupe français de plus de 45 ans d'existence, emploie une centaine de collaborateurs et réalise un chiffre d'affaires annuel de près de 35 millions d'euros .

Le groupe possède cinq sites Internet qui totalisent approximativement deux millions de visiteurs par mois .

Les activités du groupe sont réparties entre le média et le « retail » :

- son activité historique est l'activité média, qui regroupe l'achat et la production de programmes et l'édition de cinq chaînes de télévision diffusées auprès de 300 opérateurs tels que Orange , Free , SFR , etc. dans plus de 75 pays . Le groupe gère également les offres télé et VOD de dizaines d'opérateurs TV. Le groupe tourne environ 35 productions par an : vingt-cinq en France, cinq aux États-Unis, cinq en Hongrie et deux ou trois en Espagne ;

- l'activité retail représente près de la moitié du chiffre d'affaires du groupe et regroupe la fabrication et la distribution de produits et accessoires destinés au « plaisir sexuel » distribués dans leurs propres réseaux de magasins, en ligne et chez des distributeurs classiques tels que La Redoute , Veepee , Vente Privée , etc.

D'après les informations fournies par le groupe Dorcel aux rapporteures de la délégation, les sources de revenus concernant l'activité média du groupe se répartissent ainsi : la moitié est issue de la vente directe au public de chaînes TV et de contenus à l'acte et en abonnement ; l'autre moitié est issue de la vente aux opérateurs TV de contenus et de chaînes TV.

(2) ARES, multi-diffuseur de nombreux contenus pornographiques

Le groupe ARES détient 26 sites Internet , visités par une quinzaine de millions de personnes mensuellement d'après des données fournies par le groupe à la délégation.

La marque Jacquie et Michel est la plus connue en France mais le groupe détient également des marques telles que Colmax ou Hot Vidéo . La vidéo représente 15 % du chiffre d'affaires du groupe, qui s'est élevé à environ 20 millions d'euros en 2021. Le groupe emploie une cinquantaine de collaborateurs . Pour le reste de son activité, le groupe opère dans le retail (boutiques), les réseaux sociaux et les sites de rencontre.

Source : groupe ARES

Le catalogue vidéo du groupe est composé d'environ un millier de vidéos au total et le groupe diffuse environ cinq nouvelles vidéos par semaine.

Au cours de son audition par la délégation aux droits des femmes, le groupe ARES a fait savoir, par la voix de son avocate, Maître Charlotte Galichet, que le groupe « n'est pas producteur de contenus, mais seulement diffuseur ». Par ailleurs, il a précisé que « deux types de contenus sont diffusés : les uns, professionnels, réalisés par des actrices dont c'est la principale source de rémunération ; les autres, amateurs ou pro-amateurs, mettant en scène des intervenants ponctuels . »

Dans ses réponses à un questionnaire adressé par la délégation, le groupe ARES a également indiqué que « le groupe ARES ne produit aucun contenu, puisqu'il est diffuseur (...). Aussi le groupe ne donne aucune consigne aux producteurs co-contractants quant au produit final si ce n'est le respect de notre contrat et de notre charte. En d'autres termes, le groupe n'interfère jamais dans la réalisation ou le contenu des scènes. (...) Les seules consignes qui sont données aux producteurs sont d'ordre purement technique : luminosité de la scène, son, ambiance conviviale, et gimmick de la marque « merci qui ?... ». Aussi, et de manière très concrète, si des problèmes ou des dérives tels que révélés dans la presse apparaissaient sur des tournages, il n'y avait aucune remontée d'informations jusqu'au diffuseur : ni de la part du co-contractant producteur, ni de la part des victimes ».

Qu'il soit pourtant permis aux rapporteures de la délégation de questionner cette absence de responsabilité du diffuseur quant au contenu des vidéos diffusées sur ses sites et aux conditions dans lesquelles ces vidéos sont tournées et produites. Le statut de simple diffuseur n'exonère pas les dirigeants du groupe ARES de leurs responsabilités à l'égard des victimes présumées de productions diffusées sur les sites dont le groupe est propriétaire.

À cet égard, le journaliste Robin D'Angelo, auteur d'un ouvrage 5 ( * ) d'enquête sur le milieu de la pornographie en France, a précisé aux rapporteures lors de son audition par la délégation le 17 février 2022, « je me suis (...) intéressé au système économique de ce porno français . (...) On y observe réellement une hiérarchie, mâtinée de cynisme, entre les diffuseurs et les producteurs. Dans ce circuit, les diffuseurs font tout pour ne pas être légalement responsables des producteurs . Ils savent très bien que certaines vidéos sont tournées dans des conditions déplorables, avec des abus. Ils mettent tout en oeuvre pour ne pas être responsables . Je pense évidemment à Dorcel ou à Jacquie et Michel , qui installent des barrières. Ils essaient aujourd'hui de développer un marketing autour de vidéos éthiques, en mettant en place une charte. Comprenez bien que des années durant, ces sites ont bien été informés du fonctionnement de leurs producteurs. Ils ont réussi à se protéger légalement en n'étant pas directement liés à ces derniers . Une réflexion me semble nécessaire quant à l'interaction entre la responsabilité des plateformes qui diffusent et celle des producteurs . »

La délégation ne peut que souscrire à ce constat et rappeler l'engagement de la responsabilité du diffuseur quant au contenu diffusé même lorsque le diffuseur se dit étranger aux conditions de production de ce contenu .


* 1 Pornland : comment le porno a envahi nos vies , Gail Dines, Éditions LIBRE, 2020.

* 2 Centre pour en finir avec toutes les exploitations sexuelles.

* 3 Pornhub, XVideos... les secrets des GAFA du sexe , article de Jacky Goldberg, publié sur le site capital.fr le 22 mai 2020.

* 4 Climat : l'insoutenable usage de la vidéo en ligne , The Shift Project, juillet 2019.

* 5 Robin D'Angelo, Judy, Lola, Sofia et moi , Éditions Goutte d'Or, 2018.

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