B. UN DÉFAUT DE PILOTAGE DES GRANDS PROJETS

La logique de projets inhérente au nouveau modèle de l'IGN est particulièrement exigeante aussi d'un point de vue organisationnel et de gouvernance. Elle exige une acculturation de l'ensemble du corps social et de nouveaux modes de fonctionnement. Elle suppose aussi et surtout un pilotage très rigoureux permettant de mobiliser efficacement les équipes de l'IGN autour de ces programmes. Or, le rapporteur spécial a pu constater que jusqu'à présent un défaut de pilotage des grands programmes a largement contribué à entraver une mise en oeuvre efficace et sereine du nouveau modèle de l'opérateur. Il considère que si cette situation peut s'expliquer par les difficultés initiales à basculer dans un mode d'organisation radicalement nouveau, elle doit absolument être traitée en priorité par la direction afin de préserver la cohésion du corps social tout en assurant la bonne réalisation des missions de l'IGN dans le contexte de son nouveau modèle.

Ainsi, depuis 2019, l'IGN a donné la priorité aux grands projets sans que la gouvernance d'ensemble permettant à l'établissement de s'organiser pour la mettre en oeuvre concrètement n'ait fait l'objet d'une réflexion suffisante. Ce défaut de pilotage conduit à des situations déstabilisantes pour certains personnels amenés parfois, presque du jour au lendemain, à être basculés d'une mission à une autre, d'un projet à un autre. Ce pilotage erratique et artisanal, source d'un déficit manifeste de visibilité pour les personnels, a pu générer un sentiment d'insécurité professionnelle. Ces phénomènes se sont notamment manifestés de façon exacerbée sur le programme de suivi de l'artificialisation des sols (OCS GE).

C. ÉVALUER LES GAINS D'EFFICIENCE ET SANCTUARISER LA MISE À JOUR DES DONNÉES SOCLES

1. La production des données socles ne doit pas devenir la variable d'ajustement du nouveau modèle

Le défaut de pilotage de la priorisation des grands projets évoqué supra se double d'une absence de réflexion approfondie sur les effectifs nécessaires pour assurer la mise à jour en continu (MAJEC) des référentiels de données socles. Les effectifs consacrés à cette activité sont en diminution au profit d'un renforcement des équipes dédiées aux grands projets. Actuellement, une centaine d'agents de l'IGN est dédiée à la mise à jour des données socles. Toutefois, cette évolution des effectifs, guidée par la priorité donnée aux grands programmes, ne s'est pas accompagnée d'une évaluation des moyens humains requis pour assurer la continuité de cette activité de base, au coeur des missions de service public de l'établissement.

Le risque est que , faute de réaliser cette évaluation, la mise à jour des référentiels de données souveraines socles devienne , par voie de conséquence, la variable d'ajustement de la mise en oeuvre du nouveau modèle de l'IGN. Le rapporteur spécial signale qu'une telle perspective est inacceptable puisqu'elle reviendrait à sacrifier ce qui fait l'essence même de la vocation de l'opérateur et fonde sa légitimité.

Le rapporteur spécial a conscience que les innovations technologiques, l'automatisation, le déploiement de l'intelligence artificielle ou encore l'enrichissement collaboratif des bases de données vont permettre de réaliser des gains de productivité sur la MAJEC. Néanmoins, ces effets doivent impérativement être objectivés et documentés .

Aussi, le rapporteur spécial considère que l'IGN doit rapidement objectiver les moyens humains nécessaires à la mise à jour des données socles afin de sanctuariser cette mission de service public fondamentale.

2. Des gains de productivité à évaluer

Aujourd'hui, l'IGN ne souhaite pas s'avancer sur une évaluation des perspectives de gains de productivité qu'il pourra dégager du fait de sa transformation, de son recentrage sur le coeur de son activité et les grands projets publics (générateur d'économies d'échelle à travers une concentration des moyens sur des projets à forts enjeux), de l'incorporation d'innovations, de l'usage de l'intelligence artificielle ou encore du développement de l'enrichissement collaboratif de ses bases de données. Pourtant, une telle évaluation est indispensable et doit être réalisée pour nourrir la réflexion sur la soutenabilité à long terme du nouveau modèle économique de l'institut.

Le rapport des inspections de novembre 2017 faisait notamment le constat de « coûts de production et d'organisation trop élevés » . Il considérait que des gains d'efficience étaient possibles dans la production des données et l'organisation de l'établissement. Si aucun objectif de gains de productivité ne figure dans l'engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM), ceux-ci sont bien mentionnés dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024.

Les objectifs de gains de productivité auxquels s'est engagé l'IGN
dans son contrat d'objectifs et de performance (COP)

Ce dernier prévoit que l'IGN « recherchera la contribution d'autres acteurs via des dispositifs collaboratifs d'élaboration des données et optimiser l'usage des ressources consacrées à l'entretien des données socles » .

Le COP identifie une série d'activités pour lesquels « l'allocation de ressources sera réduite » en raison de la réalisation de gains d'efficience :

- l'entretien des réseaux géodésiques grâce à l'évolution des techniques de positionnement par satellite ;

- la couverture du territoire par ortho-images grâce à de nouveaux moyens de prise de vue, une automatisation des traitements et un recours à l'imagerie satellitaire ;

- la production de cartes au 1 : 25 000 grâce à la dématérialisation de la cartothèque ;

- la réalisation de l'inventaire forestier grâce à différentes perspectives d'optimisation ;

- le suivi de l'artificialisation des sols grâce aux technologies d'intelligence artificielle.

Source : contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

D'importants gains de productivité sont notamment à attendre de la diffusion des technologies d'intelligence artificielle au sein de l'établissement. En matière d'optimisation du traitement des données géolocalisées, les perspectives les plus prometteuses sont à rechercher du côté des techniques d'apprentissage profond (ou « deep learning » ). Le traitement des images aériennes et satellitaires est particulièrement concerné. À titre d'exemple, la nouvelle méthode de production de l'outil de suivi de l'artificialisation des sols (OCS GE) recourt largement à l'intelligence artificielle. Le 24 février 2022, l'IGN a formalisé sa stratégie dans une « feuille de route sur l'intelligence artificielle ». Il a notamment l'ambition de constituer un vivier de 30 à 40 ingénieurs en intelligence artificielle d'ici à 2024 et développe une offre de formation spécifique au sein de son école.

3. L'impression des cartes IGN : des gains d'efficience nécessaires

Si désormais les produits cartographiques de l'IGN sont principalement numériques, l'établissement a maintenu une activité d'impression de cartes papier. Cette activité d'impression est internalisée à l'IGN, réalisée au moyen d'une presse offset 71 ( * ) installée à Saint-Mandé. Alors que l'usage de cartes en ligne se diffuse de plus en plus, en dix ans, le nombre d'impressions annuelles de l'IGN a été divisé par trois , passant de 5 millions à 1,8 million d'exemplaires.

Le rapport des inspections de 2017 en avait déjà fait le constat, l'organisation de l'activité d'impression de cartes à l'IGN constitue une source de gains de productivité à mobiliser. Aussi, en 2020, l'institut a-t-il lancé un groupe de travail sur le thème « imprimer les cartes IGN sans disposer de la presse offset ». Le groupe de travail a étudié différent scénarios prévoyant une externalisation totale ou seulement partielle. Le scénario que l'IGN estime le plus pertinent économiquement serait celui d'une externalisation de l'impression offset 72 ( * ) destinée aux gros tirages mais du maintien d'une capacité propre d'impression numérique pour les plus petites séries 73 ( * ) . Cette capacité d'impression serait relocalisée sur le site de Villefranche-sur-Cher qui s'occupe aujourd'hui de la finition, du pliage et du stockage des cartes.

Douze agents de l'IGN sont concernés par la réorganisation de l'activité d'impression. Un accompagnement spécifique leur est proposé. Certains ont accepté une mobilité géographique vers le site de Villefranche-sur-Cher tandis que d'autres se verront proposer des solutions de reconversion au sein de la « chaîne graphique » de l'établissement.

Le rapporteur spécial considère que la réorganisation et l'optimisation de l'activité d'impression des cartes sont une nécessité . La solution pragmatique issue des réflexions du groupe de travail va dans le bon sens . La réorganisation doit désormais rapidement être concrétisée. Il est également conscient des conséquences sociales d'une telle transformation et souligne l'importance de proposer un accompagnement renforcé des agents concernés. À ce titre, il soutient la décision de l'IGN visant à proposer au ministère de la transition écologique la prise d'un arrêté de restructuration grâce auquel les agents concernés pourront recourir à des aides individuelles cofinancées par le fonds d'aide interministériel aux ressources humaines (FAIRH).

4. Optimiser la collecte des données aériennes

L'acquisition de données aériennes est l'une des activités de base de l'IGN . Traditionnellement, il recourt largement aux ortho-images aériennes, collectées par sa propre flotte aérienne ou par des sous-traitants. Il renouvelle ainsi tous les trois ans la couverture aérienne du territoire national.

Comme beaucoup d'autres domaines du secteur de l'information géographique, la collecte de données aériennes est aujourd'hui révolutionnée par les évolutions technologiques. L'utilisation d'images satellitaires ou de drones se développe . Dans ce contexte, à la fois pour rester à la pointe mais aussi pour réaliser des gains de productivité (le coût annuel moyen de l'acquisition d'images aériennes pour l'établissement est de 4 millions d'euros), l'IGN doit viser une répartition optimale entre les différents outils de collectes. Le rapporteur spécial soutient ainsi les travaux lancés par l'institut pour réévaluer son « mix technologique » en matière d'acquisition de données aériennes .


* 71 L'offset est le principal procédé d'impression.

* 72 À l'automne 2023, au terme de l'échéance du contrat de maintenance de la presse.

* 73 Moins de 500 tirages.

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