EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 octobre 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Capo-Canellas, rapporteur spécial, sur l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

M. Claude Raynal , président . - Notre collègue Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial des crédits du programme « Expertise, information géographique et météorologie », nous présente maintenant les conclusions de son contrôle sur l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

M. Vincent Capo-Canellas , rapporteur spécial . - Nous vivons dans un « monde de la donnée ». Les données géolocalisées sont au coeur de nos vies, des usages personnels et professionnels mais aussi, c'est moins connu, elles sont bien souvent indispensables à la prise de décision politique, à la mise en oeuvre et à l'évaluation de nos politiques publiques, parfois les plus régaliennes. Elles permettent aux services de secours d'intervenir de façon rapide et efficace, elles décrivent les évolutions du territoire, une dimension fondamentale de la mise en oeuvre de nos politiques publiques, elles nous aident à mieux nous prémunir des risques naturels, elles sont indispensables aux activités opérationnelles de nos forces armées, au guidage des systèmes d'armes, etc. - et je pourrais poursuivre encore longtemps cette énumération.

Sans une maîtrise indépendante des données géolocalisées, c'est tout un pan de notre souveraineté qui s'en trouverait menacé. Toutefois, cet enjeu stratégique n'est pas visible, on n'en prend réellement conscience que lorsqu'une crise survient mais il est alors déjà trop tard.

L'IGN - et vous comprenez que c'est pour moi sa principale légitimité -, est notre meilleur outil pour garantir la maîtrise indépendante de nos données géolocalisées souveraines.

Mais désormais, une seconde source de légitimité doit également nous conduire à être attentifs à cet opérateur : son rôle grandissant et indispensable d'appui à notre stratégie environnementale, ainsi qu'aux politiques de prévention des risques, notamment inondation et submersion, dans un contexte de périls accrus par les dérèglements climatiques. S'agissant de l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN), c'est l'IGN qui va produire un outil pour nous aider à mesurer les effets de l'urbanisation.

Or, il y a de cela encore quelques années, l'IGN a été confronté à une crise existentielle, remis en cause dans son identité, contesté dans sa légitimité, concurrencé par de nouveaux acteurs publics comme privés, sa pérennité a pu être mise en doute. En parallèle, la politique d'ouverture et de gratuité des données publiques imposait à l'IGN de développer un nouveau modèle économique. Dans ce contexte, un risque d'obsolescence guettait l'opérateur. Il devait absolument se réformer.

À partir de 2019, il a entamé une profonde transformation. Elle se traduit par une refondation totale de son modèle économique. Si cette transition va dans le bon sens, la viabilité financière de ce nouveau modèle présente d'incontestables fragilités et repose encore sur de nombreuses incertitudes.

En préambule, il est d'abord nécessaire de préciser que l'IGN est bien loin d'être le seul acteur public à produire de l'information géographique. Les collectivités locales sont de plus en plus investies dans ce domaine. Or, un déficit de coordination notoire perdure. Le paysage atomisé de la production de données géolocalisées au sein de la sphère publique conduit à des redondances et à un usage sous-optimal des deniers publics.

Malgré une récente prise de conscience, il reste encore beaucoup à faire pour rationaliser un système encore trop peu structuré. La transformation de l'IGN doit contribuer à cet effort d'optimisation en repositionnant l'opérateur davantage dans un rôle d'expert référent ayant vocation à fédérer l'écosystème de la géodonnée publique.

Je l'ai évoqué en introduction, dans les années 2010, le modèle de l'IGN n'était plus en phase avec l'évolution du monde des données géolocalisées. Sa politique commerciale lui avait fait perdre la confiance de ses partenaires, et en premier lieu, des collectivités locales. Cette situation empêchait d'avancer sur la voie d'une meilleure collaboration entre l'opérateur et le secteur local.

Dans le même temps, l'émergence des GAFAM bouleversait la production d'information géographique, en particulier parce que leur modèle même est fondé sur les données, et notamment les données géolocalisées. La nouvelle concurrence qu'elles ont instaurée menaçait notre capacité à maîtriser nos données souveraines.

Dans ce contexte, et poussé par la politique d'ouverture et de gratuité des données publiques, l'IGN a entrepris de réformer en profondeur son modèle.

Cette transformation consiste d'abord à concentrer ses activités de production sur les données socles souveraines. Par données socles on entend les références géographiques de bases, dites « primaires », qui constituent une forme de matière première pour concevoir des produits et des services d'informations géographiques dits « secondaires ».

La transformation du modèle de l'IGN passe aussi par le quasi abandon de sa politique commerciale et des multiples petites prestations sur mesure qu'il produisait pour divers clients. L'IGN se concentre désormais sur le pilotage de projets nationaux d'accompagnement de grandes politiques publiques. Réalisés dans le cadre de marchés en quasi régie, ces projets sont financés par leurs commanditaires institutionnels.

Le nouveau modèle de l'IGN a aussi vocation à repositionner l'opérateur au coeur de l'écosystème des données géolocalisées pour en faire un expert, coordinateur, fédérateur, agrégateur, plutôt qu'un simple producteur d'information géographique.

Il est apparu que la trajectoire budgétaire rigoureuse imposée à l'IGN, notamment s'agissant de ses emplois, était manifestement incompatible avec sa transformation, en particulier car cette dernière implique un repyramidage des effectifs et des besoins de nouvelles compétences dans des domaines où le marché de l'emploi est tendu.

Aussi, le PLF 2022 a-t-il proposé une première inflexion portant sur la trajectoire du schéma d'emploi. Cette inflexion a été confirmée par un engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM) signé avec la direction du budget qui stabilise la subvention pour charges de service public (SCSP) de l'IGN jusqu'en 2024 et assouplit encore un peu plus son schéma d'emploi. Cette inflexion était nécessaire pour que l'établissement mette en oeuvre un vaste programme de recrutement et de formation afin de pourvoir, d'ici 2024, 150 postes sur des compétences émergentes.

La situation financière de l'IGN est déjà marquée par son nouveau modèle. À ce titre, 2021 constitue une vraie année charnière. C'est la première fois que les ressources propres de l'établissement, principalement issues des grands projets, dépassent le volume de la SCSP. Le développement du recours à la sous-traitance, en particulier pour les grands projets, produit un effet de levier qui dilate l'activité et le budget de l'IGN qui va passer de 160 à environ 180 millions d'euros. 2022 va quant à elle acter une légère progression de la masse salariale, du fait du plan de recrutement et de mesures d'attractivité.

J'ai pu le constater tout au long de mes travaux, le nouveau modèle de l'IGN est plébiscité par ses partenaires auprès desquels l'opérateur retrouve tout son crédit et sa légitimité. Cependant, j'ai aussi le sentiment qu'il demeure de vraies incertitudes quant à sa viabilité économique. À court terme, jusqu'en 2024, le financement des marchés en cours ainsi que la visibilité et l'assouplissement budgétaire que lui donne son engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM), garantissent son équilibre financier. Cependant, à partir de 2025, le modèle sera mis à l'épreuve. À ce stade, l'analyse prospective de sa viabilité repose sur plusieurs hypothèses fortes qui resteront à démontrer : notamment la stabilité de la SCSP et des effectifs, boucler le financement d'un grand projet pour lequel il manque toujours 15 millions d'euros ou encore trouver de nouveaux marchés pour un montant de 100 millions d'euros entre 2024 et 2027.

Aussi intéressant soit-il, le nouveau modèle de l'IGN présente des fragilités que l'on ne peut ignorer. Pour être viable économiquement, il suppose que l'opérateur conclut avec les ministères un volume suffisant de grands projets.

On ne peut exclure le risque d'un « trou d'air », d'autant que de nombreux ministères ont une connaissance très imparfaite des capacités de l'IGN et que l'opérateur est actuellement très dépendant de ces deux principaux « clients », les ministères des armées et de l'agriculture qui lui apportent 25 % du total de ses ressources. Inversement, l'établissement s'expose aussi au risque de « surchauffe » en cas d'afflux de demandes.

Ce modèle suppose une grande agilité d'organisation et dans la gestion des ressources humaines. L'IGN doit y parvenir dans le cadre contraint qui est celui d'un établissement public administratif (EPA), ce qui n'est pas loin de relever de la gageure. Qui plus est, des failles organisationnelles ont perturbé la bonne mise en oeuvre de la transition. Jusqu'ici, la priorité qui a été donnée aux grands projets s'est faite de façon artisanale, sans réel pilotage et sans s'assurer que des moyens suffisants étaient préservés pour produire les données socles souveraines, pourtant le coeur de la mission de service public de l'opérateur. Afin de maintenir la cohésion du corps social et de susciter l'adhésion autour d'une vision partagée de la nouvelle stratégie de l'institut, la direction doit rapidement remédier à ce problème.

Enfin, le nouveau modèle de l'IGN n'a une chance de prospérer qu'à condition que l'opérateur développe ses partenariats de façon très volontariste, avec les collectivités locales comme avec le secteur privé.

Aussi, afin de mieux baliser le nouveau chemin emprunté par l'IGN et d'en éviter les embûches, je vous propose une série de recommandations structurées autour de quatre axes : un IGN qui réussit sa mutation ; un IGN plus performant ; un IGN qui collabore mieux avec ses partenaires ; un IGN placé au coeur d'un écosystème public de l'information géographique rationalisé.

L'IGN doit faire partager son projet à l'extérieur comme à l'intérieur. C'est une phase toujours compliquée lorsqu'on refonde un tel établissement, qui était en grand risque jusqu'alors et qui tente une voie qui reste à baliser.

M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie. Je note que vous avez pris l'habitude de diriger vos contrôles sur des établissements ou organismes publics complexes, où les questions financières sont toujours à peu près de la même nature : ils manquent de moyens et, globalement, il serait nécessaire qu'ils se réforment pour aller chercher des « clients ». Ce n'est pas toujours encourageant.

On a l'impression qu'on a remplacé un financement d'État par une participation de l'État et forfaitisée, avec des financements de ministères quasi obligatoires. Si on ne veut pas voir le système s'écrouler, il faut que les ministères de l'agriculture et des armées cotisent. Leur liberté est faible. Il est également nécessaire de trouver de nouveaux projets. S'il n'y en a pas, il va falloir les construire, toujours sur financement d'État.

On peine, comme vous le dites en conclusion, à se rassurer totalement sur l'équilibre du modèle lorsque l'on constate qu'il suppose de trouver 100 millions d'euros de nouveaux marchés dans les prochaines années.

Merci de nous avoir dit les choses telles qu'elles sont. Vous nous faites ressentir l'importance de certains secteurs en termes de souveraineté mais, en même temps, le modèle économique ne paraît pas stabilisé à ce jour - c'est le moins que l'on puisse dire.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Vincent Capo-Canellas a l'art de se saisir de dossiers d'analyse concernant des opérateurs publics dont le fonctionnement global est questionné. Je me souviens des alertes au sujet de Météo-France, l'an passé. Ce rapport est devenu d'une actualité brûlante ! Je crois qu'il en est de même pour l'IGN.

Vincent Capo-Canellas va pouvoir offrir ce rapport au Gouvernement, qui a souvent recours, pour des coûts non négligeables, à des cabinets de conseils privés venant en accompagnement de l'État. Ce travail est approfondi, avec des questions sur les données, mais aussi sur l'articulation et la coordination des moyens entre opérateurs.

Je partage l'opinion de Vincent Capo-Canellas sur le fait de conserver une véritable capacité d'expertise au sein de l'IGN, mais tout cela doit être mieux intégré et consolidé entre les opérateurs - et peut être les collectivités - qui, aujourd'hui, ont à travailler sur la donnée, notamment publique.

En matière de prévention des risques, en particulier au regard des enjeux environnementaux et écologiques, je crois que l'on doit arriver à faire que l'IGN soit un outil de pointe. C'est une question de moyens, d'effectifs, de commandes publiques et privées. Tout n'est pas acquis, mais ce rapport, qui constitue une évaluation presque en temps réel, sera particulièrement utile et nous aidera à nous pencher sur les moyens accordés à cet organisme dans le cadre des prochaines discussions budgétaires.

M. Vincent Delahaye . - La situation est assez complexe. La subvention pour charges de service public baisse de 10 % en dix ans, et les effectifs de 21 % en dix ans. J'en déduis que la subvention par emploi augmente. J'aurais aimé en connaître le chiffre, car elle a crû selon moi de 20 % en dix ans. Ce n'est pas négligeable.

Par ailleurs, j'aurais aimé connaître la décomposition entre commandes publiques et commandes privées. On a en effet l'impression que les ressources propres prennent de plus en plus d'importance.

Je n'ai pas d'idée précise de la situation financière de l'IGN, mais le rapporteur spécial s'est-il demandé s'il ne fallait pas supprimer l'IGN ?

M. Marc Laménie . - Je m'interroge sur les moyens humains, qui ont baissé de façon significative. L'IGN est-il entièrement basé en région parisienne ou existe-t-il des emplois répartis sur les territoires ? Par ailleurs, quel est le devenir des cartes en papier de l'IGN ? Enfin, quel est le lien qu'entretient l'IGN avec les collectivités locales ? L'IGN a notamment un rôle à jouer en matière d'aléas climatiques.

M. Pascal Savoldelli . - Qu'est-ce qui permet de dire que la sous-traitance a constitué un effet de levier pour le nouveau modèle économique de l'IGN ? Je trouve que cette affirmation demande à être étayée par des données.

Ces trois dernières années, peut-être du fait de la pandémie, on a constaté un nouvel élan en faveur des cartes. Il y a là des éléments de rentabilité à prendre en compte.

M. Michel Canévet . - Comme Vincent Delahaye, j'éprouve quelques préoccupations quant au budget de l'IGN. La subvention pour charges de service public couvre-t-elle la masse salariale ou des dépenses supplémentaires ?

Je présume que l'IGN doit réaliser un effort d'investissement dans les nouvelles technologies, de façon que l'institution soit opérante, à défaut de quoi elle sera totalement dépassée. Au regard de ces enjeux, le statut d'établissement public est-il le plus adapté à ce qu'on attend de l'IGN ?

D'autre part, comme Vincent Delahaye, j'observe que les financements publics constituent l'essentiel du financement de l'IGN. On note même que la part des financements privés est en baisse de 50 % depuis 2017, ce qui est très préoccupant.

Enfin, l'IGN postule-t-il également à des programmes européens en matière de recherche géographique ?

Mme Sylvie Vermeillet . - Monsieur le rapporteur spécial, vous avez brièvement évoqué l'idée que l'IGN pourrait aider les collectivités locales en matière de travaux sur le zéro artificialisation nette (ZAN). Est-ce pour mieux définir le type d'artificialisation ?

Par ailleurs, l'IGN peut-il venir en aide aux services du cadastre ? On sait en effet que nombre de certificats d'urbanisme sont refusés à des communes encore sous règlement national d'urbanisme (RNU), au motif que l'implantation d'une maison serait en discontinuité territoriale, alors que ce sont les registres du cadastre qui ne sont pas à jour. L'IGN serait-il capable d'agir en temps réel, ou au fur et à mesure de la mise à jour des données, afin de transmettre plus rapidement celles-ci au cadastre et éviter les refus ?

M. Jean-Baptiste Blanc . - Ma question va dans le même sens : le rapporteur spécial peut-il nous en dire plus sur l'artificialisation du point de vue de l'IGN ? On nous parle de beaucoup d'outils mobilisés autour de ce sujet - Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), et autres. Peut-on savoir qui fait quoi ? Par ailleurs, cela va-t-il générer de nouvelles recettes ? Enfin, l'IGN aura-t-il les moyens d'appréhender le ZAN ?

M. Christian Bilhac . - Je félicite le rapporteur spécial pour la qualité de son rapport.

Sur le plan stratégique, la souveraineté stratégique et militaire a un coût qu'il faut assumer. Quelle est la part de ce coût, et n'y a-t-il pas surtout, pour le contribuable, une double dépense ? Quand les collectivités locales font appel à d'autres sociétés que l'IGN, c'est l'impôt qui paye. Il ne faut jamais le perdre de vue.

Je crois que l'on doit conserver l'IGN pour des raisons stratégiques mais favoriser le partage de compétences entre l'État et les collectivités locales, afin d'éviter une double dépense pour le contribuable. On joue sur les mots : l'IGN va moins encaisser, mais ce qui compte, c'est ce qui sort de la poche du citoyen !

M. Jean-Marie Mizzon . - Ma question rejoint celle de Sylvie Vermeillet et Jean-Baptiste Blanc.

Il me semble que le ZAN constitue une opportunité en termes d'activité pour l'IGN, dès lors qu'on aura une définition, à partir des décrets qui sont contestés, de ce qui est artificialisé et de ce qui ne l'est pas vraiment.

Il y a là un chantier qui couvre plusieurs décennies, au moins jusqu'en 2050, sans parler par la suite de la surveillance de ce qui est « naturé », « renaturé » ou artificialisé.

M. Jean Pierre Vogel . - J'adresse tous mes remerciements au rapporteur spécial pour son excellent travail.

Existe-t-il un partenariat entre l'IGN, le nouveau système d'alerte des populations, FR-Alert, qui a remplacé le désastreux système d'alerte et d'information des populations (SAIP), et le système Cell Broadcast en cas de submersion marine, de gros incendies, d'attentats, etc. ? Cela me semblerait opportun.

M. Jean-Michel Arnaud . - Merci à Vincent Capo-Canellas pour le travail de qualité qu'il a fourni, comme toujours.

J'observe que, dans les territoires, les collectivités locales s'organisent en développant leur propre système de gestion des données locales, avec intervention de propositions privées.

Comment se fait-il que l'IGN ne mette pas à la disposition des collectivités locales une proposition opérationnelle mutualisée à moindre coût ? Les collectivités locales connaissent peu l'offre commerciale de l'IGN, alors que le rapporteur spécial a évoqué le devoir de l'IGN de développer d'autres sources de revenus. Je ne comprends pas comment un établissement public comme celui-ci soit aussi peu mobilisé par les collectivités locales pour la gestion des données de proximité.

M. Vincent Capo-Canellas , rapporteur spécial . - Le sujet est ardu. L'IGN est une sorte de maquis, dont le langage est particulier. C'est celui des géographes, des géodonnées, avec un écosystème extrêmement compliqué.

C'est une maison d'ingénieurs, dotée d'un véritable acquis scientifique, mais qui est confrontée à des attaques tous azimuts et à des choix difficiles que doit effectuer le Gouvernement.

J'ai insisté sur le fait que, les différentes lois, comme la loi NOTRe, ont confié des compétences aux collectivités, qui commencent à travailler avant de se tourner vers l'IGN. Chaque région ou métropole réalise un travail de cartographie, et l'IGN doit être capable de jouer un rôle d'ensemblier, sans référentiel commun. Ce n'est donc pas extrêmement simple. On a tendance à beaucoup demander à l'IGN, mais les moyens sont peu nombreux et les choix ne sont pas très clairs.

Merci au président qui a souligné que j'avais tenté de m'attaquer à des sujets difficiles. En tant que rapporteur spécial des crédits de Météo-France, j'ai essayé de vous livrer des éléments sur la stratégie de cet organisme. J'ai fait le même travail sur la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et ses grands programmes de modernisation de la navigation aérienne. Je me penche à présent sur l'IGN pour en étudier les crédits.

Le président a insisté sur la question des moyens, qui constitue un point central. Que demande-t-on à ce type d'opérateur ? On a fait évoluer la subvention pour charges de service public à la baisse. Désormais, le financement des grands projets qui viennent pour l'essentiel des ministères est plus important que cette subvention. Il existe donc bien une fragilité financière inhérente à ce modèle.

L'IGN allait vraisemblablement mourir. Le choix a été fait de tenter une autre aventure, la seule possible peut-être, mais les risques sont là. J'insiste sur le fait qu'il y aura un problème si on ne trouve pas de grands projets à hauteur de 100 millions d'euros dans trois à quatre ans.

Cela fait partie des interrogations. La démarche conduite par le directeur général et par l'équipe de l'IGN va dans le bon sens, mais présente des risques.

Je précise que je ne crois pas aux clients privés pour fournir un volume d'affaires à l'IGN. L'État diminue sa subvention pour charges de service public. Il finance par ailleurs de grands projets. Tout est question de rythme. Si on veut stabiliser les choses, il faut donner de la visibilité à l'IGN.

Merci au rapporteur général au sujet de Météo-France. On va voir ce qu'il advient à la suite de ce que nous avons dit l'année dernière. Il y a aura, du fait notamment des événements tragiques qui ont eu lieu dernièrement, six postes de plus pour Météo-France.

Le ministre m'a dit l'autre jour qu'il lisait les bons auteurs. J'ai cru comprendre que notre alerte a permis au ministre, qui connaît bien le Sénat, de dire à ses équipes que cela ne pouvait se passer comme prévu. Souhaitons que cela ait des effets. On le verra ensemble dans quelques semaines.

Il faut effectivement travailler sur la prévention des risques. Plusieurs d'entre vous ont abordé ce sujet. L'IGN a plusieurs rôles en la matière. Il collabore avec les services d'intervention pour leur fournir des outils de navigation fiables et souverains. Il joue un rôle déterminant dans la prévention des risques inondation et submersion marine, notamment en mettant à jour les données altimétriques, la cartographie du réseau hydrographique ou encore en déterminant l'évolution du trait de côte. Après des catastrophes naturelles, notamment des inondations, l'IGN est aussi sollicité pour réaliser en urgence des prises de vues aériennes des zones sinistrées afin de mieux organiser les secours. L'IGN n'est cependant pas dans l'opérationnel direct, contrairement aux préfectures ou à la sécurité civile.

Le rapporteur général l'a dit : nous sommes au milieu du gué financier, avec un certain nombre de risques majeurs.

Vincent Delahaye pose la question de savoir si l'on a toujours besoin de l'IGN. C'est le sujet qui m'a guidé au départ. On peut se poser intellectuellement la question mais, en matière de souveraineté militaire et de sécurité civile, ce serait folie de se priver d'un institut de référence qui fournit à la France une cartographie souveraine et les évolutions de celle-ci. A défaut nous risquerions de nous retrouver entre les mains des GAFAM. Nous avons donc besoin de l'IGN. C'est un élément stratégique pour l'avenir. Certains, dans l'administration, m'ont dit que nous n'y mettions pas assez d'argent, car la donnée est souveraine, même si on a ouvert la voie à la politique des données publiques gratuites. Il convient de faire attention.

S'agissant de la subvention par emploi, question posée par Vincent Delahaye, l'IGN a en effet subi une double peine : on a baissé la subvention pour charges de service public et réduit encore plus le nombre d'effectifs. Cela a permis de financer certains projets et des mesures d'attractivité, mais il y a également eu un effet « sous-traitance », comme le dit Pascal Savoldelli.

L'IGN a à la fois fait appel à la sous-traitance pour abaisser ses coûts et parce qu'il est parfois confronté à un trop grand volume d'affaires.

Le directeur général a eu une excellente analyse en disant qu'il fallait conserver la compétence des métiers de base. Il y a des compétences stratégiques qu'il ne sous-traitera pas. Il faut que l'IGN puisse parfois faire appel au secteur privé lorsqu'il en a besoin, mais sache exercer tous ses métiers stratégiques. C'est subtil, mais assez habile. Cela a temporairement gonflé le budget de 20 millions d'euros. Cependant, il faut demeurer très vigilant et ne pas perdre les métiers et les compétences essentiels.

Pour répondre à Marc Laménie, il existe cinq directions territoriales, une école, des activités de recherche.

Vous êtes plusieurs à avoir évoqué le ZAN. Une demande a été adressée par des ministères à l'IGN pour fournir un outil d'évaluation. Ce sera un sujet compliqué. Le financement de cet outil se situe à hauteur de 18,6 millions d'euros jusqu'en 2024. Il faudra ensuite 2 millions d'euros tous les ans pour réaliser l'actualisation. Cette somme n'est pas garantie à ce stade.

Quant aux cartes papier, il faut bien évidemment les maintenir. Leur impression va être rationalisée. L'IGN a entrepris de moderniser et d'optimiser cette activité qui sera décentralisée dans le Cher. Après une analyse économique, l'IGN a prévu d'externaliser les gros tirages mais de conserver en régie les tirages inférieurs à 500 exemplaires.

Plusieurs d'entre vous ont posé la question des relations avec les collectivités. L'IGN leur fournissait, il fut un temps, des services payants, et c'était mal vu. L'IGN peut apporter des compétences, mais peu de moins en moins le faire sur sa subvention pour charges de service public. Il y a donc un moment où il faut se tourner vers un partenariat, notamment à propos de certains projets. C'est un équilibre à trouver, qui devient malheureusement nécessaire.

Michel Canévet a posé la question de la masse salariale. Celle-ci a baissé et la subvention également, mais non de manière proportionnelle, pour les raisons que j'ai indiquées. Il faut financer l'investissement et des mesures d'attractivité.

S'agissant du statut d'EPA, j'ai écrit dans le rapport que ce n'est pas un tabou, mais qu'il faut d'abord retrouver un modèle financier qui se tienne. Est-on dans une fuite en avant ? Ce n'est pas impossible. On était auparavant dans une logique récessive, qui était pire que tout. Une fois que l'on aura une vue bien claire de ce modèle financier, en 2025, il faudra se poser la question de savoir si cela tient. Je propose une évaluation extérieure et que l'on se pose à ce moment-là des questions sur l'évolution du statut.

Poser la question du statut pourrait soulever celle du maintien de cet établissement. Cela fait sens de le conserver dans le domaine public. Je n'ai aucun doute à ce sujet. Si l'on réfléchit au statut, il faut le faire avec beaucoup de prudence et un cadre très clair, dans l'optique de lui donner davantage d'agilité.

Sylvie Vermeillet a évoqué le ZAN. Je pense lui avoir répondu, de même qu'à Jean-Baptiste Blanc et Jean-Marie Mizzon qui en ont aussi parlé.

Elle a soulevé la question du cadastre. Il faut effectivement que la direction générale des finances publiques et l'IGN avancent sur la question de la fiabilisation du plan cadastral et le projet de représentation parcellaire cadastrale unique afin de répondre aux très fortes attentes des collectivités sur le sujet.

Certes, chacun a sa façon de travailler. Il faut trouver le bon modus vivendi . Ce n'est pas optimal aujourd'hui.

Christian Bilhac a dit qu'il fallait assumer le coût de la souveraineté. C'est en effet essentiel. On ne peut être absent, sans quoi c'est le secteur privé qui se chargera de tout, et on se retrouvera entre ses mains et celles de pays étrangers. Quels moyens avons-nous ? Soit ce nouveau modèle tourne convenablement et tout va bien, soit il faudra se poser des questions et majorer la subvention pour charges de service public, au moins temporairement.

Jean-Pierre Vogel évoquait la question des systèmes d'alerte. J'ai répondu au rapporteur général sur ce point.

Jean-Michel Arnaud a lui aussi posé la question des collectivités locales et du développement des partenariats équilibrés. L'ouverture gratuite des données a paradoxalement amélioré les relations entre l'IGN et les collectivités locales. Nous avons beaucoup de doutes - et il y a lieu d'en avoir -, mais l'IGN se transforme et ses partenaires trouvent cela formidable. Tout le monde estime qu'on a besoin d'un référentiel d'informations géolocalisées de base qui ne peut être que celui de l'IGN.

M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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