III. LES DONNÉES GÉOLOCALISÉES PUBLIQUES : UN BESOIN DE RATIONALISATION ET D'UNE DYNAMIQUE COLLABORATIVE

A. LE MAQUIS DE L'INFORMATION GÉOLOCALISÉE PUBLIQUE DOIT ÊTRE RATIONALISÉ

1. Un paysage éclaté marqué par la montée en puissance des collectivités locales

L'IGN est loin d'être le seul acteur à collecter, produire et traiter de l'information géolocalisée publique . En effet, le paysage de l'information géolocalisée publique est atomisé et hétérogène . Il est symptomatique de constater qu'avant la publication du rapport de juillet 2018 sur les données géographiques souveraines, aucune réflexion sur la coordination de la production de données géographiques au sein de la sphère publique n'avait été conduite.

Au sein de ce paysage, la montée en puissance progressive du rôle joué par les collectivités locales, et, au premier rang desquels, des régions, est une tendance lourde . Ainsi, depuis la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi Notre » , les régions ont vu leurs compétences renforcées en matière d'information géographique. Chaque région a désormais la responsabilité d'assurer « la coordination, au moyen d'une plateforme de services numériques qu'elle anime, de l'acquisition et de la mise à jour des données géographiques de référence nécessaires à la description détaillée de son territoire ainsi qu'à l'observation et à l'évaluation de ses politiques territoriales, données dont elle favorise l'accès et la réutilisation » . Les régions sont devenues de véritables pilotes stratégiques de la politique d'information géographique. Parallèlement à la montée en puissance des régions, les grandes métropoles consacrent aussi de plus en plus de moyens à l'information géolocalisée. Certaines métropoles pionnières telles que Nice, Bordeaux, Lyon, Rennes ou encore Strasbourg affichent des ambitions particulièrement fortes dans ce domaine.

Les capacités de production d'informations géographiques de certaines collectivités locales sont élevées mais encore hétérogènes . À titre d'exemples, certaines d'entre-elles, notamment faute de solutions proposées au niveau national par l'IGN, ont pu développer de façon précurseur leurs propres outils, par exemple des systèmes de suivi de l'occupation des sols 48 ( * ) . D'autres sont en mesure de réaliser leurs propres prises de vue aérienne ou encore d'utiliser des technologies très pointues telles que le Lidar 49 ( * ) .

L'Association française pour l'information géographique (Afigéo) anime le réseau des centres de ressources en information géographique (CRIGEs) . Ces CRIGEs constituent les « plateformes régionales d'animation territoriale autour de l'information géographique » prévues par la loi Notre 50 ( * ) . Leurs statuts, leurs compositions, leurs modes de gouvernance et leur fonctionnement sont très hétérogènes. Certaines sont autonomes et d'autres sont intégrées aux services du Conseil régional. Animateurs de l'écosystème de la donnée géolocalisée au niveau régional, les CRIGEs ont vocation à soutenir et accompagner les acteurs territoriaux dans leurs projets d'information géographique.

Le réseau des centres de ressources en information géographique

Source : site internet de l'AFIGEO

Le rapporteur spécial a pu constater qu'en dépit de certaines avancées décrites infra , ce paysage atomisé était encore à l'origine de nombreuses redondances dans la production et le traitement des données géolocalisées publiques . Cette situation conduit à un usage sous-optimal des finances publiques .

L'une des démonstrations les plus évidentes de cette situation se manifeste lorsqu' en l'absence d'outils nationaux standards, certaines collectivités locales en sont venues à développer leurs propres outils d'information géographique avant que, plusieurs années après, un système soit imposé à l'échelle nationale mais selon des spécifications différentes et non interopérables avec les solutions locales. Les investissements engagés par les collectivités concernées, parfois importants, deviennent alors obsolètes . Cette problématique souligne l'enjeu de coordination de l'écosystème sur la question de la standardisation afin d'assurer l'interopérabilité de l'ensemble des systèmes publics d'information géographique développés sur le territoire.

2. L'affirmation du Conseil national de l'information géolocalisée (CNIG) est un prérequis indispensable à la rationalisation de l'écosystème de la géo-donnée publique

L'affirmation du rôle du Conseil national de l'information géolocalisée (CNIG) , recommandée par le rapport de juillet 2018 sur les données géographiques souveraines, constitue un jalon important sur la voie de la rationalisation du paysage des données géolocalisées publiques. Il apparaît absolument essentiel que le CNIG assume pleinement son rôle de coordonnateur de l'écosystème.

Le rapport de juillet 2018 faisait le constat d'une insuffisante coordination des acteurs de l'écosystème public des données géographiques souveraines et d'une prise en compte sous-optimale des besoins des utilisateurs publics d'information géographique. Mais plutôt que de revoir en profondeur la gouvernance de la production de données géographiques publiques, il estimait que « l'instance de gouvernance partenariale et agile » nécessaire à la rationalisation de cette production existait déjà « sur le papier » en la présence du CNIG. Le rapport notait néanmoins que des acteurs de l'écosystème estimaient que le CNIG n'avait pas, jusqu'ici, joué pleinement son rôle en raison notamment d'une absence de vision stratégique.

Dans le prolongement du rapport de 2018 et sous l'impulsion de son nouveau président, le CNIG est revenu au-devant de la scène et s'emploie à jouer pleinement son rôle de coordination et de fédération des acteurs du monde de la donnée géolocalisée publique. Modifiant le décret n° 2011-127 du 31 janvier 2011 relatif au Conseil national de l'information géographique, le décret n° 2022-1204 du 30 août 2022 , attendu depuis plusieurs mois, est venu confirmer le renouveau du CNIG. Outre qu'il étend les compétences du conseil à l'ensemble des données géolocalisées, le décret prévoit de faire passer son comité plénier de 35 à 43 membres 51 ( * ) .

Le rapporteur spécial considère que la réaffirmation du CNIG est une bonne nouvelle pour la cohérence du modèle de production des données géolocalisées publiques en France. Pour parvenir à une véritable rationalisation du système, il appelle à ce que cette évolution soit confirmée et confortée.

3. Le nouveau positionnement de l'IGN et le concept de « géocommuns » doivent être clarifiés et concrétisés

L'IGN doit prendre toute sa part dans l'entreprise de rationalisation du paysage de la production des données géolocalisées . Son nouveau modèle, qui induit notamment un repositionnement de l'institut au sein de l'écosystème, a vocation à y participer . Ce modèle suppose que l'IGN se replace au centre de cet écosystème, assumant un rôle de référence , coordinateur ayant vocation à en fédérer les acteurs . Dans le nouveau cadrage stratégique, le directeur général a fait de ce nouveau positionnement un concept, les « géo-communs » . Pour mener à bien sa mission de facilitateur, l'IGN entend ainsi multiplier les espaces d'échanges 52 ( * ) propices à briser le fonctionnement en silos qui tend encore à prédominer.

Ce concept, qui repose sur l'idée que l'information géographique constitue un bien commun, porte aussi l'ambition de généraliser une gouvernance ouverte des productions et bases de données de l'institut afin de favoriser leur appropriation, leur maîtrise et leur valorisation par les différents acteurs de l'écosystème.

Le programme de géoplateforme est au coeur du repositionnement de l'IGN et du concept de « géo-communs ». Destiné à prendre le relai de l'actuel géoportail, voué à devenir la composante géographique de « l'État plateforme », ce programme, piloté par l'IGN, est développé avec de très nombreux partenaires 53 ( * ) . La géoplateforme doit constituer une infrastructure mutualisée pour la gestion et la diffusion de l'information géographique. Pour favoriser les synergies au sein de l'écosystème, elle suppose une interopérabilité, des standards et des spécifications communes entre les données des producteurs ainsi qu'un accès simple et rapide aux informations qui y seront agrégées via des API ( application programming interface ).

Ce projet doit être finalisé d'ici 2024 et son coût total est estimé à 14,4 millions d'euros dont 3,6 millions d'euros sont financés par le fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP), le reste (10,8 millions d'euros) étant pris en charge par le budget de l'IGN.

La géoplateforme présentée dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

Infrastructure ouverte et mutualisée, cet espace public de l'information géographique et forestière permettra de partager des données et des services géolocalisés avec plus de fluidité et de transparence, au service de communautés d'usages, ainsi que de les entretenir de façon collective.

Elle sera aussi un accélérateur d'innovation favorable à la création de produits et de services à valeur ajoutée. Jouant un rôle transversal en appui à la transformation numérique des administrations, notamment pour la dématérialisation des procédures, la Géoplateforme est enfin la capacité de pointe dont l'État a besoin pour administrer en toute indépendance les données géographiques et forestières nécessaires à l'exercice souverain des politiques publiques.

Source : contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

Le rapporteur spécial considère que le nouveau positionnement de l'IGN et les intentions affichées par sa direction sont intéressants et de nature à optimiser le fonctionnement global de l'écosystème des géo-données. Néanmoins, au cours de sa mission de contrôle, il a été frappé de constater que de nombreux acteurs du monde de l'information géographique peinaient encore à définir le concept des « géo-communs ». Aussi estime-t-il nécessaire de clarifier ce concept et de lui donner une vraie consistance en concrétisant rapidement les évolutions annoncées. La mise en oeuvre effective de la géoplateforme et sa capacité à répondre aux attentes fortes qu'elle suscite seront absolument décisifs à cet égard.

4. L'IGN n'a pas vocation à tout faire seul : développer et formaliser l'enrichissement collaboratif des bases de données

Compte tenu de la pluralité des acteurs collecteurs et producteurs de données géolocalisées, et pour garantir un meilleur usage des deniers publics en évitant les doublons, l'enrichissement collaboratif des référentiels de données géolocalisées publiques est une nécessité . L'IGN ne peut et ne doit pas produire l'intégralité des données. Deux acteurs de l'écosystème des géodonnées publiques ne doivent pas produire la même donnée pour l'intégrer dans deux outils différents ayant la même vocation et, qui plus est, ne partageant pas les mêmes spécifications techniques. Par ailleurs, il est indispensable de tenir compte de la dilatation considérable de l'univers des données géolocalisées. Désormais, avec le développement rapide des technologies de l'information et de la communication, de l'intelligence artificielle ou des objets connectés, chaque individu ou presque collecte des données. Des communautés engagées dans des domaines multiples, bien souvent composées de passionnés, se sont engagées dans la collecte de données et le renseignement de référentiels d'information géolocalisée. L'IGN doit impérativement tenir compte de cet environnement et, tout en veillant à la qualité des données collectées, s'inscrire avec volontarisme dans cette dynamique collaborative porteuse de gains d'efficience pour les finances publiques et d'une actualisation plus rapide des produits d'information géolocalisée publique. À titre d'exemple, sur cette question, la collaboration avec un acteur tel qu'OpenStreetMap France 54 ( * ) , engagée par l'IGN, devrait être confortée.

Le rapporteur spécial considère que l'enrichissement collaboratif formalisé et encadré de référentiels d'informations géolocalisées à partir de données collectées selon des formats interopérables est une approche qui doit être encouragée et généralisée dans toutes les circonstances où elle se justifie.

Si le rapporteur spécial a pu constater que l'IGN a amorcé cette dynamique et que de premiers pas ont été franchis en ce sens, beaucoup de chemin reste encore à parcourir . Il a pu noter qu'en plus de ses moyens propres, pour mettre à jour différentes couches du référentiel à grande échelle (RGE), l'IGN pouvait parfois agréger des données collectées par des partenaires, principalement issus de la sphère publique. Un espace collaboratif qui préfigure la géoplateforme permet notamment à l'IGN de recueillir des données collectées par les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), les géomètres-experts, des collectivités locales ou des parcs naturels. En règle générale, notamment dans le cadre de la mise à jour en continue (MAJEC) de la BD Uni, l'IGN recourt de plus en plus à des données collectées auprès de partenaires extérieurs 55 ( * ) de façon systématique ou plus ponctuelle.

Cependant, les modalités d'enrichissement collaboratif en vigueur actuellement sont balbutiantes et présentent plusieurs limites . Elles sont largement artisanales , non formalisées et sous-optimales dans la mesure où elles sont réalisées en l'absence de spécifications et standards homogènes . Elles se caractérisent aussi par leur fragilité dans la mesure où elles ne font pas l'objet de conventions et ne reposent bien souvent que sur la seule bonne volonté de partenaires et sur des compétences individuelles qui ne garantissent aucunement la continuité des procédures.

La dynamique collaborative concernant l'enrichissement des référentiels de données géolocalisées publiques s'inscrit parfaitement dans la transformation de l'IGN visant à renforcer son rôle d'expert coordinateur, facilitateur et agrégateur au coeur de l'écosystème ainsi que dans la démarche des « géo-communs ». À ce titre, l'un des principaux chantiers du nouveau cadrage stratégique de l'IGN prévoit que l'institut « se nourrisse de la richesse des communautés » en mettant en place un système de label lui permettant de saisir cette « opportunité immense d'enrichissement de données » en autorisant certains partenaires de confiance habilités à mettre à jour directement la BD Uni. La création de la géoplateforme doit aussi favoriser les synergies et l'enrichissement collaboratif de bases de données partagées.

Lors de son déplacement à la direction territoriale sud-ouest, à Saint-Médard-en-Jalles, le rapporteur spécial s'est vu présenter un projet de partage voire de délégation de la mise à jour de la BD Uni à la collectivité de Bordeaux métropole . Après son évaluation, une telle expérimentation pourrait être généralisée au niveau national afin de rationaliser et d'optimiser la MAJEC de la BD Uni. Le rapporteur spécial note également que le portail IGNrando , qui rassemble plus de 3 000 communautés contributives, est un modèle intéressant tandis que le déploiement d'une base de données de gestion des partenaires du collaboratif (BDGC) pourrait permettre d'optimiser le développement de l'approche collaborative avec le secteur local. L'optimisation de l'intégration de données tierces dans les référentiels de l'IGN passera par la conception et le déploiement d'outils d'appariement permettant de systématiser la collecte d'informations en masse .

Le rapporteur spécial ne saurait que trop encourager l'IGN à poursuivre avec volontarisme dans la voie de l'enrichissement collaboratif des référentiels d'information géolocalisée. Il souligne naturellement que cette dynamique doit s'accompagner d'un travail approfondi d'encadrement, de standardisation nécessaire à garantir l'interopérabilité des données mais aussi de qualification ou d'habilitation pour garantir la qualité des informations collectées.


* 48 À titre d'exemple, la région Occitanie a développé son propre système dès 2013.

* 49 C'est le cas notamment du département de Charente-Maritime ou de la région Occitanie.

* 50 Certaines d'entre-elles étant même antérieures à la loi.

* 51 Il intègrera ainsi désormais dans sa composition le ministère des transports, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, l'administrateur général des données (directeur interministériel du numérique), l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), l'Office français de la biodiversité (OFB), la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), l'association OpenData France ainsi que l'association OpenStreetMap France.

* 52 Dont certains ont déjà été initiés par l'IGN tels que la « fabrique des géo-communs » ou le « forum IGN fab ».

* 53 Le ministère de la Transition écologique, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), la direction interministérielle du numérique (DINUM) la direction générale de la prévention des risques (DGPR), le Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi), l'Agence des services de paiement (ASP), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'Office national des forêts (ONF), le service hydrographique et océanographique de la marine (Shom), plusieurs plateformes régionales, etc.

* 54 Pour rappel, depuis le 1 er septembre, cet acteur est désormais membre du conseil plénier du CNIG.

* 55 Des ministères, des services déconcentrés de l'État, des établissements de santé, des entreprises publiques, des établissements sportifs, etc.

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