D. MIEUX UTILISER LE LEVIER DE LA COMMANDE PUBLIQUE

La commande publique représente environ 200 milliards d'euros, soit 8 à 10 % du PIB. Elle constitue donc un levier significatif pour engager les entreprises dans la responsabilité sociale et environnementale, y compris pour les inciter à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) à toutes les étapes du cycle de vie des biens, produits, services ou travaux qu'elle engendre et contribuer ainsi à l'objectif d'une économie bas carbone.

Outre l'Etat et les établissements publics, , il revient aux collectivités locales, principaux acteurs de la commande publique d'utiliser ce levier pour favoriser la prise en compte de la RSE dans les entreprises.

1. De récentes lois encouragent l'achat public responsable...

La recommandation n°14 du rapport précité de la Délégation aux entreprises de juin 2O2O, portait sur ce sujet majeur : « Faire évoluer les règles et les pratiques de la commande publique afin d'inciter les acheteurs publics à utiliser pleinement les dispositions du code des marchés publics en matière d'achat responsable ; d'encourager les collectivités territoriales à recourir aux entreprises responsables, quel que soit leur statut, lors de la passation de marchés publics ; de refonder une approche plus transversale et globale des marchés publics, en prenant en compte non seulement la construction d'une infrastructure publique mais aussi son exploitation . »

Depuis lors, et comme indiqué au début du présent rapport, de nouveaux textes sont venus renforcer les règles encourageant l'achat responsable au travers des marchés publics, avec en particulier les lois « ASAP » (accélération et simplification de l'action publique) du 7 décembre 2020, et « Climat et résilience » du 22 août 2021.

2. ...mais les bonnes pratiques doivent se généraliser

Les entités publiques disposent désormais de nombreux leviers qu'il convient d'utiliser pleinement pour participer à l'atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale comme le prescrit désormais le Code de la commande publique. CCI France recommande ainsi 148 ( * ) de faire de la commande publique « un levier efficace de la lutte contre le réchauffement climatique », qui constitue l'un des éléments de la RSE.

Le Code de la commande publique permet de mieux répondre aux exigences RSE de l'acheteur public par des spécifications techniques adaptées. La nature et l'étendue des besoins à satisfaire peuvent être déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte les objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. L'acheteur public peut formaliser son besoin par des spécifications techniques, notamment par référence à des normes ou labels ou caractéristiques environnementales.

Les entités publique peuvent également recourir plus fréquemment aux variantes qui permettent à l'entreprise de présenter une offre qui s'écarte des critères définis dans les pièces du marché rédigées par l'acheteur public afin de faire émerger des solutions alternatives innovantes 149 ( * ) .

Les entités publiques pourraient également utiliser davantage les procédures de passation privilégiant la négociation comme le marché de partenariat (public-privé), le partenariat d'innovation, le dialogue compétitif, la procédure avec négociation ou les marchés publics à procédure adaptée.

Les critères d'attribution des marchés publics peuvent 150 ( * ) s'affranchir du critère du prix ou du coût global (lequel intègre le cycle de vie) lorsqu'une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figurent des aspects qualitatifs, environnementaux (« les performances en matière de protection de l'environnement ») ou sociaux (« insertion professionnelle des publics en difficulté »), sont retenus. Toutefois , in fine , le choix doit se porter sur l'offre « économiquement la plus avantageuse » 151 ( * ) .

Par ailleurs , les conditions d'exécution du marché peuvent prendre en compte des considérations relatives à l'économie, à l'innovation, à l'environnement, au domaine social, à l'emploi ou à la lutte contre les discriminations 152 ( * ) . Une méthode d'évaluation, concertée entre les contractants, pourrait consister en une analyse de la prise en compte des enjeux RSE.

Afin d'aller plus loin, le rapport « Pour une commande publique sociale et environnementale : état des lieux et préconisations », de Mme Sophie Beaudouin-Hubière , députée de la Haute-Vienne et de Mme Nadège Havet , sénatrice du Finistère, a été remis au Premier ministre le 20 octobre 2021 a fixé 5 objectifs :

1. Proposer une méthode de suivi afin d'atteindre des objectifs précis en termes d'achat durable, d'intégration de critères sociaux, environnementaux et inclusifs ;

2. Évaluer les externalités positives de la commande publique (gains économiques ainsi qu'environnementaux). Cela nécessite de développer des grilles d'analyse en coût complet des projets ;

3. Proposer des méthodes pour mieux prendre en compte les critères sociaux et environnementaux dans les marchés publics. Par exemple, développer l'approche en cycle de vie des produits et services ;

4. Améliorer la formation des acheteurs et la diffusion des mesures mises en place et bonnes pratiques d'achats ;

5. Proposer des évolutions tant au niveau français qu'européen tout en garantissant la sécurité juridique pour les acheteurs.

Ce rapport préconise en particulier que les acheteurs publics engagent des mesures incitatives en faveur de l'achat durable , plus rapides à mettre en oeuvre et plus efficaces que l'ajout de nouvelles normes :

- les fonctionnaires des services de l'État ou d'une collectivité territoriale de plus 3 500 habitants réalisant des achats se verraient assigner annuellement des objectifs en termes d'achats durables ;

- les subventions versées par l'État aux communes, aux EPCI et aux départements dans le cadre des dotations annuelles d'équipement des territoires ruraux (DETR), de soutien à l'investissement local (DSIL), de dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) ou des contrats de plan État-Région pourraient être « conditionnées à l'atteinte de certains taux de considérations environnementales et sociales dans les achats publics » ;

- le sourçage 153 ( * ) autorise les acheteurs, pour préparer leurs marchés, donc en amont de toute consultation, à « effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de leur projet et de leurs exigences ». Cette pratique est ainsi à la fois une mesure d'anticipation de la part de l'administration, une action visant à connaître le marché sur un secteur spécifique et une occasion pour les fournisseurs de se faire connaître et de valoriser leur savoir-faire. Il est un levier de la performance environnementale comme de la performance sociale et peut faciliter l'accès des PME à la commande publique. Cette méthode permet à l'acheteur de connaître les entreprises susceptibles de répondre à son besoin spécifique, de prendre connaissance des technologies et des méthodes du secteur, de la structure des prix, mais aussi des impacts environnementaux, sociaux et économiques des achats. Le sourçage pourrait être mutualisé entre collectivités d'un même territoire ;

- la mutualisation des achats (création de centrales d'achats et de groupements de commandes) et le développement de services communs de la commande publique entre les 130 000 acheteurs publics.

Ces préconisations s'inscrivent, dans leur esprit, dans celles du précédent rapport de la Délégation aux entreprises de 2020.

Une modification du Code de la commande publique permettrait de mieux prendre en considération les efforts des entreprises soumettantes en matière de RSE. En cas d'égalité de prix, les offres les mieux disantes en matière de RSE pourraient être retenues. En effet, il n'existe pas de disposition permettant d'attribuer, à prix égal, un marché à une entreprise qui serait mieux disante sur le plan environnemental. Certes, le cas est théorique, car la note finale pour attribuer un marché se fait toujours par la combinaison de plusieurs notes dont la pondération est choisie en amont par l'acheteur, et affichée dans les documents de la consultation (prix, qualité technique de l'offre, qualité de service, délais de livraison, développement durable dont critères environnementaux et sociaux. De fait, il est rare que la combinaison des seuls critères prix et techniques aboutissent à une égalité parfaite. Si le cas venait à se présenter, la note relative au développement durable ferait naturellement la différence, en fonction de la pondération des différentes notes dans la note finale.

Le Code de la commande publique permettant déjà d'intégrer des exigences de la RSE, dont les Objectifs de développement durable, une écoconditionnalité prévoyant que le processus d'attribution du marché dépende plus impérativement d'exigences « bas carbone » introduirait une contrainte potentiellement contre-productive . Pour CCI France, « promouvoir des solutions adaptées à chaque marché en laissant aux parties contractantes, publiques et privées, la flexibilité nécessaire à une prestation de qualité seraient des voies de progrès bien plus efficaces que des contraintes imposées par des textes législatifs ou réglementaires. Cela étant, cette flexibilité peut aussi se traduire par la nécessité de préciser certains textes afin de la favoriser ».

Recommandation n° 12 :

Introduire dans le Code de la commande publique un principe général faisant référence à la « performance sociale et environnementale des biens, des produits et des services ».

Introduire la notion d'« offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » afin de mieux appréhender les considérations environnementales.

Instaurer un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en matière de RSE, à égalité de prix ou à équivalence d'offre.


* 148 « Les entreprises face au défi climatique : quelles incitations ? Quels accompagnements ? », janvier 2021.

* 149 Dans les procédures formalisées, il incombe au pouvoir adjudicateur de les autoriser expressément dans le document de la consultation. Il conviendrait donc de recommander aux acheteurs publics d'autoriser, voire d'encourager les variantes proposant des solutions favorables à la transition bas carbone. Dans les procédures non formalisées (marchés publics à procédure adaptée, MAPA), très prisées des PME, les variantes sont par principe autorisées ; les entreprises devraient s'en saisir davantage pour proposer des solutions innovantes en termes de performances climatiques.

* 150 En application de l'article R.2552-7 du Code de la commande publique.

* 151 Article L. 2152-7 du Code de la commande publique.

* 152 Article L. 2112-2 du Code de la commande publique.

* 153 Article R. 2111-1 du code de la commande publique, qui transpose l'article 40 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014.

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