AVANT-PROPOS

Le président et le bureau du Sénat ont confié à notre délégation la mission de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales . Cette mission qui relève notamment de Rémy Pointereau, son premier vice-président, consiste à oeuvrer pour rendre les normes toujours plus intelligibles, pertinentes et efficaces.

De nombreux travaux sur le sujet ont déjà été menés par notre délégation : rapport puis proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme 3 ( * ) , proposition de loi constitutionnelle relative à la compensation de toute aggravation par la loi des charges et contraintes applicables aux collectivités territoriales, résolution tendant à limiter le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à l'urbanisme et à la construction, rapport puis résolution relative à la consolidation du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets...

Évidemment, le chantier est immense et beaucoup reste à faire. Ainsi, un sondage réalisé en novembre 2020 par l'institut CSA, à l'initiative de notre délégation, révèle que la simplification des normes applicables aux collectivités demeure nettement en tête des priorités des élus.

Les priorités pour les élus

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Les priorités selon les catégories d'élus

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Au sein de votre délégation, le diagnostic est largement partagé sur les dégâts causés par notre addiction aux normes. À cet égard, il faut se féliciter que, sur proposition de Vincent Delahaye, Vice-Président du Sénat, le Bureau du Sénat ait mis en place, en janvier 2018, une mission dite « B.A.L.A.I. » (Bureau d'Abrogation des Lois Anciennes et Inutiles) « visant à recenser les lois inappliquées ou inapplicables ». Ce travail a abouti à l'abrogation de nombreuses lois adoptées entre 1800 et 1940 4 ( * ) .

Les mesures ponctuelles de simplification, aussi indispensables soient-elles, apparaissent toutefois insuffisantes au regard de l'ampleur du mal, d'autant qu'elles ne traitent pas le flux mais une partie généralement infime du stock de normes.

De même, des mécanismes comme le rescrit préfectoral ou le pouvoir de dérogation aux normes semblent avoir produit des effets limités 5 ( * ) .

D'une manière générale, les tentatives opérées jusqu'à présent de maîtrise du flux des textes n'ont pas produit des résultats à la hauteur des enjeux. Plus grave : de nombreux élus regrettent que chaque vague de simplification soit l'occasion de la production de nouveaux textes et donc d'une nouvelle couche de complexité . C'est pourquoi il nous appartient de privilégier des solutions « structurelles » ou « systémiques » .

Le présent rapport propose ainsi des améliorations portant sur la fabrique de la norme, pour que cette dernière soit élaborée dans un souci d'utilité, alors que trop souvent la norme crée des contraintes inutiles qui compromettent l'objectif de performance de l'action publique locale.

I. LA COMPLEXIFICATION DES NORMES : UNE TENDANCE LOURDE AUX CAUSES MULTIPLES, UN IMPACT TRÈS NÉGATIF SUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

A. UNE TENDANCE LOURDE AUX CAUSES MULTIPLES

La prolifération et la complexification des normes s'inscrivent dans une tendance lourde dont les causes sont nombreuses .

En premier lieu, comme l'a indiqué à vos rapporteurs Emeric Nicolas, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Picardie Jules Verne, « le phénomène des flux normatifs n'est pas une pathologie de la normativité juridique contemporaine, mais bien l'état normal de la nouvelle fabrique de la norme dans nos sociétés ». En effet, l'innovation économique, sociale et technique vient sans cesse bouleverser l'ordre juridique en lui demandant de bâtir des équilibres toujours plus subtils et plus complexes , jamais pleinement satisfaisants, entre des demandes souvent antinomiques. Ainsi que l'avait relevé Jean-Luc Warsmann en 2008 6 ( * ) , « la complexité est inhérente au fonctionnement de notre société, le droit semble contraint d'en rendre compte [...] la norme cherchant toujours à mieux appréhender la réalité qui se présente à elle ». Ainsi, notre corpus juridique intègre un nombre croissant de politiques publiques, dont chacune poursuit des objectifs aussi légitimes que potentiellement divergents, souvent fondés sur une demande sociale aussi diversifiée que mal encadrée :

- objectifs environnementaux, figurant dans la charte de l'environnement 7 ( * ) inscrite dans notre Constitution depuis 2005 ;

- objectifs de développement économique ;

- objectifs de protection et de mise en valeur du patrimoine culturel ;

- objectifs démocratiques, en particulier le développement de la démocratie implicative 8 ( * ) ou le renforcement de la place des femmes dans la vie publique ;

- objectifs d'inclusion des personnes en situation de handicap ;

- objectifs de protection des données personnelles (RGPD) ;

- objectifs de décentralisation, qui, par nature, augmentent le nombre d'acteurs institutionnels concernés et accroissent ainsi les besoins de coordination entre eux ;

- objectif d'égalité de traitement entre les différents destinataires de la norme ;

- objectif de précision normative pour répondre à la judiciarisation de notre société. Ce point mérite que l'on s'y arrête : en effet, les destinataires de la norme, en particulier les élus et fonctionnaires locaux, réclament des normes toujours plus détaillées pour se prémunir d'une mise en jeu de leur responsabilité, notamment au plan pénal. Le besoin de protection agit ainsi comme un « facteur inflationniste ». Ainsi, Olivier Wolf, Directeur général des services dans la commune de Clichy-sous-Bois (Ile-de-France) a indiqué à vos rapporteurs que les normes constituent une « feuille de route » nécessaire pour les services municipaux, citant notamment le cas des normes sécuritaires (incendie, amiante, ordre public...).

En second lieu, le droit communautaire est également responsable de cette logorrhée normative et c'est pourquoi vos rapporteurs préconisent, a minima , de veiller à lutter contre les surtranspositions des directives (cf. infra) , ce qui, du reste, doit être complété par une vigilance accrue en amont sur les projets de règlements , la commission européenne faisant un usage croissant de cet instrument juridique directement applicable sur le territoire national.

Enfin, l'emballement normatif tient sans doute à une croyance quasi-mystique dans la capacité de la norme à améliorer l'intérêt général . Il s'agit là d'un mal très français : quand ils ne savent pas répondre à une question ou qu'ils manquent de moyens financiers, les pouvoirs publics cèdent volontiers à la création de la norme « magique » , afin de donner l'impression, voire l'illusion, qu'ils ont réglé la question. Nous avons parfois, sous l'effet de l'émotion par exemple, tendance à légiférer à partir de ce qui est bien souvent un épiphénomène. Notre société développe une culture de la norme « miraculeuse », qui prévient, qui empêche et qui guérit. Toutes ces lois d'émotion ont été prises comme si les citoyens pensaient que la norme pouvait être un « médicament » . Force est d'admettre que les parlementaires portent une part de responsabilité dans ce culte voué à la norme.


* 3 Aujourd'hui, environ 80 % des dispositions contenues dans la proposition de loi ont été intégrées dans le corpus juridique.

* 4 Il y a eu deux volets à la mission dite BALAI, concrétisés par l'adoption de deux lois :

- BALAI 1 : la loi n° 2019-1332 du 11 décembre 2019 tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes et qui prévoit l'abrogation en tout ou partie de 49 lois. Elle porte sur des lois adoptées entre 1800 et 1940 ;

- BALAI 2 : la loi n° 2022-171 du 14 février 2022 tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit et qui prévoit l'abrogation de 115 lois. Ces abrogations concernent des lois adoptées entre 1941 et 1980 ;

- BALAI 3 : une proposition de loi devrait être déposée dans les prochaines semaines. Elle devrait porter sur l'abrogation de dispositifs applicables aux collectivités territoriales.

En conclusion, ce sont donc 164 lois qui ont été abrogées depuis 2019, à l'initiative du Sénat.

* 5 Voir la table-ronde organisée le 21 juillet 2022 par la délégation : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220718/dct_bulletin_2022-07-18.html

* 6 Rapport sur la qualité et la simplification du droit de M. Jean-Luc Warsmann, décembre 2008.

* 7 En particulier, cette charte consacre, en son article 5, le principe de précaution, qui a sans doute largement contribué à l'inflation normative.

* 8 Voir le rapport d'information de Mme Françoise Gatel et M. Jean-Michel Houlegatte, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, rapport n° 520 (2021-2022) - 17 février 2022.

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