C. AUTONOMIE STRATÉGIQUE : L'IDÉAL ET LE RÉEL

La guerre d'Ukraine montre d'abord l'importance de disposer de partenaires , pour mobiliser tant la masse d'équipements que la technologie requises pour faire la différence sur le champ de bataille. De fait, la haute intensité s'envisage pour la France en coalition.

1. L'OTAN ressuscitée

Après une période de doutes (« Ce qu'on est en train de vivre, c'est la mort cérébrale de l'OTAN » 7 ( * ) ), cette guerre confirme la place de l'OTAN, au coeur de la défense européenne.

L'Alliance, dont les activités s'étaient diversifiées après la fin de la guerre froide (avec la gestion de crises, la coopération dans le domaine de la sécurité) se recentre aujourd'hui sur la défense collective. Le Concept stratégique entériné au Sommet de Madrid en juin 2022 réaffirme que la raison d'être et la responsabilité première de l'Organisation consistent à assurer la défense collective des alliés « suivant une approche à 360 degrés », insistant sur « la nécessité de renforcer sensiblement notre capacité de dissuasion et de défense, qui est la clé de voûte de notre engagement pour la défense mutuelle, inscrit dans l'article 5 ».

Dans le contexte de la guerre d'Ukraine, ce nouveau Concept stratégique comporte des affirmations fortes : « Nul ne doit douter de notre force ni de notre détermination à défendre chaque centimètre carré du territoire des Alliés ». Il réaffirme la garantie ultime que constitue la capacité nucléaire de l'Organisation : « Les forces nucléaires stratégiques de l'Alliance, et en particulier celles des États-Unis, sont la garantie ultime de la sécurité des Alliés. Les forces nucléaires stratégiques indépendantes du Royaume-Uni et de la France ont un rôle de dissuasion propre et contribuent de manière significative à la sécurité globale de l'Alliance. Le fait que ces Alliés aient chacun un centre de décision distinct concourt à la dissuasion en compliquant les calculs d'adversaires potentiels. La posture de dissuasion nucléaire de l'OTAN repose également sur les armes nucléaires des États-Unis déployées à l'avant en Europe, ainsi que sur les moyens mis à disposition par les Alliés concernés ». 8 ( * )

Pour nos partenaires européens, la garantie de l'OTAN, et son « parapluie nucléaire » sont les seuls garants de leur sécurité à long terme . Les progrès de l'Union européenne en matière de défense sont significatifs. L'adoption en 2022 d'une « Boussole stratégique » a confirmé le mouvement de construction d'une défense européenne. Mais la notion d'autonomie stratégique européenne ne saurait être conçue par nos partenaires que comme un processus de long terme.

En tant qu'unique puissance nucléaire de l'UE, la place de la France est singulière. Nos partenaires européens ont une vision nécessairement différente de la nôtre.

2. La France, alliée exemplaire ?

Comme l'indiquait la Revue stratégique de 2017, « En organisant en 2009 son retour dans le commandement militaire intégré de l'Alliance atlantique, tout en préservant son statut spécifique dans le domaine nucléaire, la France a pleinement reconnu la place que l'OTAN joue dans la défense de l'Europe ». La récente Revue nationale stratégique (2022) poursuit cette logique, en affirmant le rôle de la France comme « allié exemplaire dans l'espace euro-atlantique ».

La France a montré sa capacité à contribuer aux missions de l'Alliance atlantique, dans le contexte de la guerre en Ukraine, en participant avec une grande réactivité au renforcement de la posture dissuasive et défensive de l'OTAN sur le flanc oriental de l'Europe :

- en Estonie, dans le cadre de la mission Lynx ( enhanced Forward Presence) , les militaires français sont déployés au sein d'un bataillon multinational commandé par les Britanniques. Quatre Mirage 2000 de l'armée de l'air et de l'espace ont par ailleurs été projetés dans le cadre de l' enhanced Air Policing .

- Du 25 novembre 2022 à fin mars 2023, la France déploie un détachement de 4 Rafale de la Base aérienne 118 de Mont-de-Marsan en Lituanie.

- En Pologne, les Rafale de l'armée de l'air et de l'espace mènent des missions de police du ciel.

- En Roumanie, les militaires français sont déployés dans le cadre de la mission Aigle, en coopération avec les Belges puis plus récemment avec les Néerlandais. Renforcé par un système sol-air moyenne portée Mamba au printemps, ce bataillon multinational a également été doté d'un escadron de chars Leclerc à l'automne.

- Déployé en Méditerranée, le Groupe aéronaval (GAN) a été repositionné le 3 mars en Méditerranée centrale pour renforcer la posture dissuasive et défensive de l'OTAN sur le flanc est de l'Europe. Un ATL2 a par ailleurs été déployé à la Sude (Crète).

La France contribue à l'effort d'armement de l'Ukraine, dans le cadre du groupe de coordination de Ramstein, qui réunit des pays membres et non membres de l'OTAN.

L'effort fourni par la France est important mais il met aussi en évidence le caractère échantillonnaire de certaines de nos capacités . En donnant 18 systèmes CAESAR , nous avons donné près d'un quart de nos stocks, ce qui laisse peu de marges de manoeuvre pour aller plus loin. La France donne également 12 CAESAR supplémentaire s par le biais du fonds de soutien à l'Ukraine avec un possible prélèvement anticipé sur son propre stock. Quant aux chars Leclerc , leur nombre insuffisant est aujourd'hui l'un des obstacles à une livraison à l'Ukraine, l'hypothèse d'une éventuelle cobelligérance « escalatoire » étant a priori levée par l'annonce de la fourniture à l'Ukraine de chars lourds allemands (Leopard), américains (Abrams) et britanniques (Challenger 2).

De la même façon, nos lacunes dans la défense sol-air ne nous ont pas permis de répondre pour le moment favorablement à la demande des Ukrainiens s'agissant du Système de moyenne portée Mamba, dont la France dispose de huit exemplaires . Les marges de manoeuvre sont également réduites concernant le système Crotale NG (12 exemplaires théoriques, dont 2 déjà donnés à l'Ukraine). Les ordres de grandeur sont à peu près les mêmes pour le lance-roquettes unitaire (13 exemplaires théoriques, dont seulement 8 seraient opérationnels, dont 2 cédés à l'Ukraine).

3. Soit la France sera un allié exemplaire au sein de l'OTAN, soit elle sera marginalisée.

La Revue nationale stratégique reconnaît le rôle incontournable de l'OTAN pour la sécurité européenne. La guerre d'Ukraine a confirmé ce rôle et relancé une Alliance plus que jamais attractive, depuis que la Suède et la Finlande ont demandé à y adhérer, ce qui constitue un tournant historique pour l'Europe.

La France s'est particulièrement impliquée dans l'OTAN en 2022 mais elle aurait intérêt à s'y investir encore davantage, au niveau de la conception, de l'élaboration des doctrines et des normes , sans pour autant renoncer à disposer de ses propres capacités d'appréciation.

Être un allié exemplaire au sein de l'Alliance, c'est aussi disposer de capacités conventionnelles suffisantes pour intervenir le cas échéant en coalition dans un contexte de haute intensité et pouvoir fournir si nécessaire de l'armement conventionnel à nos partenaires, comme nous le faisons aujourd'hui pour l'Ukraine. La France est reconnue pour sa compétence, sa maîtrise de la technologie et la qualité de ses équipements. Mais les quantités disponibles doivent être accrues afin de ne pas contraindre nos capacités d'action et de décision.


* 7 Emmanuel Macron (novembre 2019).

* 8 Bien que l'information ne soit pas publique, 5 pays de l'OTAN sont généralement considérés comme pays hôtes de ces armes nucléaires américaines : l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas et la Turquie.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page