C. DE PREMIERS RÉSULTATS APPRÉCIABLES

1. Des recrutements à mettre en regard de la hausse du nombre de personnes placées sous main de justice et de la diversification des tâches des SPIP

Les efforts de recrutement en faveur des SPIP doivent bien sûr être analysés au regard de l'évolution de leur charge de travail : renforcer les effectifs ne se traduira pas par une amélioration de la qualité de la prise en charge si le nombre de PPSMJ augmente fortement en parallèle.

Concernant la population carcérale, si l'on met de côté le moment très particulier du confinement du printemps 2020, la tendance est à l'augmentation et les établissements pénitentiaires, notamment les maisons d'arrêt, demeurent largement sur-occupés. Ainsi, la population carcérale a retrouvé, au 1 er janvier 2023 un niveau proche de son record historique, soit 72 173 11 ( * ) personnes, à comparer à un effectif de 72 575 personnes détenues en mars 2020. Après être passé sous les 100 % pendant la crise sanitaire, le taux de densité carcérale atteint aujourd'hui 119 % pour l'ensemble des établissements de détention et 141,3 % pour les seules maisons d'arrêts.

À titre de comparaison, 70 059 personnes étaient incarcérées au 1 er janvier 2019, peu de temps avant l'entrée en vigueur de la LPJ, et 67 075 l'étaient au 1 er janvier 2014, la population carcérale ayant ainsi augmenté de 7,6 % en neuf ans.

Le milieu ouvert a lui aussi connu une hausse d'activité qui s'explique notamment par le développement de la surveillance électronique. Or, ce mode de surveillance impacte directement les personnels des SPIP qui ont parmi leurs missions d'évaluer la faisabilité de telles mesures puis d'en assurer la mise en oeuvre et le suivi.

Au stade pré-sentenciel ou post-sentenciel, la surveillance électronique a connu un essor considérable depuis une dizaine d'années, en raison de la volonté des pouvoirs publics de développer les alternatives à l'incarcération. Concernant la surveillance électronique fixe 12 ( * ) , on ne dénombrait que 5 000 placements simultanés en mars 2010 mais ce nombre a atteint les 10 000 trois ans plus tard. Une nouvelle impulsion a été donnée par la LPJ du 23 mars 2019, qui a encouragé la libération sous contrainte avant la fin de la peine. Au début de l'année 2022, on comptait ainsi près de 15 000 placements.

S'agissant de la surveillance électronique mobile, l'évolution la plus notable a été le déploiement, à compter d'octobre 2020, du bracelet anti-rapprochement (BAR), destiné à protéger les victimes de violences conjugales. En août 2022, près de 800 auteurs de violences et autant de victimes portaient un BAR.

Ce bref rappel montre que l'augmentation des moyens des SPIP a été absorbée, pour partie, par la hausse de leur volume d'activité. En additionnant milieu ouvert et milieu fermé, les SPIP prennent en charge autour de 250 000 personnes, ce qui est considérable, d'autant que ces personnes présentent des profils très divers.

2. Une baisse du nombre de dossiers par CPIP

Le nombre de dossiers à traiter par conseiller semble être un indicateur relativement fiable de la charge de travail supportée par les SPIP. À cet égard, le nombre moyen de PPSMJ suivies par un même CPIP a été positivement impacté par les efforts de recrutement fournis depuis 2018. Ainsi, ce taux a connu une baisse de 11,6 % entre 2018 et 2021, passant de 79,9 PPSMJ par CPIP à 70,6.

Des témoignages de terrain ont confirmé cette amélioration : une CPIP en poste dans l'établissement pénitentiaire des Baumettes a par exemple indiqué aux rapporteurs avoir assumé la charge de 160 dossiers au moment de son entrée en fonction il y a vingt ans, contre 90 aujourd'hui. Le portefeuille reste important mais la réduction est notable.

Cette amélioration statistique doit toutefois être relativisée à deux titres. Le premier est que l'objectif de 60 PPSMJ par CPIP, qui sert de référence au niveau européen, reste encore lointain et nécessitera des efforts supplémentaires. Le second est que cette moyenne nationale cache des situations très différentes d'un territoire à un autre ( cf. tableau infra ). À titre d'exemple, l'évolution la plus favorable est celle connue outre-mer (- 31 %) mais le ratio y demeure le moins bon à l'échelle nationale.

DISP

2018

2019

2020

2021

Évolution
2018-2021

Nombre
de PPSMJ suivies
par CPIP

Bordeaux

75,7

71,6

69,0

71,0

- 6,2 %

Dijon

81,6

80,7

74,9

73,2

- 10,3 %

Lille

72,6

70,0

65,6

65,4

- 9,9 %

Lyon

77,3

74,9

71,1

71,5

- 7,5 %

Marseille

73,1

67,9

67,0

68,6

- 6,1 %

MOM

109,1

73,2

73,7

75,3

- 31,0 %

Paris

80,9

80,2

67,2

69,5

- 14,1 %

Rennes

80,1

78,9

72,8

72,1

- 9,9 %

Strasbourg

79,0

73,1

65,6

67,4

- 14,7 %

Toulouse

86,9

80,0

73,5

74,5

- 14,3 %

Moyenne

79,9

75,3

69,7

70,6

- 11,6 %

Source : direction de l'administration pénitentiaire.

3. Une évaluation qualitative plus délicate

L'évolution de la qualité du travail des SPIP est plus délicate à apprécier, ne pouvant être saisie au travers d'indicateurs statistiques mais seulement au gré des témoignages recueillis.

Le travail des CPIP est aujourd'hui davantage formalisé et il donne lieu à un plus grand nombre d'écrits. Les CPIP rendent compte plus fréquemment de leur activité et ont souvent le sentiment que le niveau d'exigence à leur égard s'est accru. Comme le souligne l'Association nationale des juges d'application des peines (ANJAP), « les missions des SPIP ont très fortement évolué et se sont complexifiées, leur demandant des démarches supplémentaires, une pluri-disciplinarité : suivis radicalisation, BAR, violences intra-familiales entre autres (victimes à aviser, veiller aux interdictions de contact ou de paraître, prévoir éventuellement un BAR...). Les condamnés souffrent souvent d'addiction et/ou de troubles de comportement, sont particulièrement précarisés » 13 ( * ) . Les transformations du métier rendent plus difficiles les comparaisons à travers le temps.

Beaucoup de magistrats entendus ont cependant indiqué que la qualité des écrits avait augmenté, ce qui est cohérent avec les évolutions décrites précédemment concernant le recrutement et la formation des CPIP. Le niveau de compétences des CPIP s'est élevé en ce qui concerne les connaissances juridiques, la conduite d'entretien ou la rédaction de rapports. Pour l'ANJAP, la qualité du travail réalisée par les CPIP a progressé, comme l'illustre notamment leur implication réussie dans les dispositifs de lutte contre la radicalisation ou l'attention nouvelle portée, ces dernières années, aux violences intrafamiliales, les SPIP ayant pris l'habitude d'aviser les victimes à chaque étape de la procédure ou de travailler avec France Victimes.

Pour autant, toutes les difficultés n'ont pas été résorbées, l'association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice (ANVP) regrettant par exemple la persistance de trop nombreuses sorties de prison insuffisamment préparées. Dans ses réponses écrites au questionnaire des rapporteurs, l'association indique ainsi être sollicité « souvent au dernier moment pour prendre en charge des personnes sans aucune organisation de leur sortie hors un ticket de transport et un peu d'argent de leur pécule s'ils ont pu travailler » 14 ( * ) .

Le Conseil national des barreaux (CNB) est peut-être l'interlocuteur qui porte le jugement le plus sévère sur l'activité des SPIP. Selon lui, « malgré le renforcement des moyens alloués aux SPIP, les avocats ne constatent pas d'évolution dans la qualité du travail réalisé par ces derniers » 15 ( * ) . Il évoque les difficultés rencontrées par les avocats comme par leurs clients pour rencontrer les CPIP. Il déplore que les rapports remis par les SPIP au juge d'application des peines soient trop souvent transmis à l'avocat « la veille ou le jour même de l'audience devant le juge d'application des peines. Ces délais ne permettent pas à l'avocat d'apporter des éléments constructifs au dossier en vue d'éclairer la décision du juge et de défendre efficacement son client » 16 ( * ) . Le CNB pointe également un défaut de culture juridique des CPIP concernant le droit des étrangers, les estimant « insuffisamment formés sur les durées et modalités des procédures (renouvellement de pièces, mesure d'éloignement) et sur les délais de recours qui sont extrêmement courts pour les détenus étrangers, ce qui peut, en conséquence, entraver la capacité de ces derniers à exercer leurs droits » 17 ( * ) .

On peut se demander si ce jugement sévère ne reflète pas un problème plus structurel de positionnement des SPIP par rapport aux avocats et une insuffisante présence des SPIP auprès des juridictions de jugement, point qui sera examiné plus loin dans ce rapport.

Par ailleurs, il semble particulièrement difficile d'évaluer l'impact des modifications structurelles connues par les SPIP sur la récidive et la réinsertion des PPSMJ. Une telle évaluation nécessiterait de mener des travaux de recherche universitaire ad hoc en lien étroit avec l'administration pénitentiaire qui ne sont pas encore mis en oeuvre, comme le souligne Martine Herzog-Evans, professeur à l'Université de Reims : « Malheureusement l'administration pénitentiaire n'a pas, contrairement à d'autres États, une politique d'ouverture à la recherche indépendante qui permettrait de mesurer les effets de changements de politique institutionnelle » .

Toutefois, la DAP indique avoir débuté en 2022 des travaux nécessaires à l'interconnexion de données, dans le but de rénover son approche de l'évaluation de la récidive. Elle souhaite, d'une part, appréhender la récidive sur la base d'une « comparaison avec un groupe de contrôle qui, bien qu'ayant des caractéristiques égales (même motif de condamnation, même âge, etc. ) n'a pas été détenu » afin de mieux évaluer l'efficacité du système pénitentiaire. Elle souhaite également accompagner l'évaluation de la récidive d'autres indicateurs et évaluer le système pénitentiaire en regardant « bien au-delà de la seule incarcération, en prenant notamment en compte l'ensemble du parcours pénal » .


* 11 L'ensemble de ces chiffres sont issus des statistiques mensuelles de l'administration pénitentiaire.

* 12 La surveillance électronique fixe peut être prononcée au stade pré-sentenciel (assignation à résidence sous surveillance électronique), en tant que peine correctionnelle (détention à domicile sous surveillance électronique) ou dans le cadre d'un aménagement de peine ou d'une libération sous contrainte.

* 13 Réponse écrite au questionnaire des rapporteurs.

* 14 Réponse écrite au questionnaire des rapporteurs.

* 15 Réponse écrite au questionnaire des rapporteurs.

* 16 Ibidem .

* 17 Ibidem .

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