B. DES CHOIX D'ORGANISATION ENCORE INABOUTIS

La gendarmerie nationale a fait le choix d'une organisation de la formation initiale fondée sur un réseau intégré d'écoles. Pour sa part, la police nationale a fait face aux nouvelles exigences par la création d'une direction centrale dédiée ; son pouvoir d'animation du réseau de formation reste toutefois imparfait. Les difficultés d'articulation entre formation et déroulement d'une carrière au sein de la police comme de la gendarmerie sont particulièrement visibles pour les formateurs, dont le recrutement s'avère, pour les deux forces, difficile.

1. En matière de gouvernance

Les difficultés à adapter le système de formation à la pression croissante liée aux recrutements puis à l'allongement de la durée de scolarité ne sont pas imputables à un manque d'appréhension des enjeux par la police et la gendarmerie nationales. Pour faire face aux exigences d'un recrutement de masse après la période de contraction des moyens qui lui étaient consacrés, la police nationale a procédé à une réforme structurelle importante avec la création en janvier 2017 de la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN).

Cette direction a pu constituer une doctrine de la formation initiale et continue dont les rapporteurs ont pu mesurer le caractère complet et cohérent. Complète, elle prend en compte les besoins pratiques de formation des futurs agents de la police nationale en y intégrant notamment la dimension de l'éthique professionnelle qui est au coeur des relations entre police et population. Elle prend aussi en compte la forte implication que nécessitent des métiers qui impliquent tous les aspects de la vie d'une personne et ne permettent pas de considérer comme distinct le comportement privé et l'exercice professionnel. L'attention portée au recrutement de psychologues capables d'évaluer les élèves et de participer à leur formation est également à souligner. Au-delà de la formation initiale, la direction a également développé une vision de ce que doit être le rôle de la formation permanente des policiers au-delà des « recyclages » obligatoires. L'accent est mis sur la définition par les responsables d'équipe des compétences nécessaires par leurs agents pour l'accomplissement des missions qui leurs sont confiées.

La DCRFPN assure ainsi le recrutement des personnels ainsi que leur formation initiale et continue. Elle constitue de ce fait quasiment une administration de mission au regard des objectifs fixés par les gouvernements successifs. Elle souffre cependant de deux difficultés.

La première est qu'elle entre en concurrence, pour la définition des programmes de formation continue, avec l'Ecole nationale supérieure de la police (ENSP). Ce point a été relevé par la Cour des comptes, qui déplore la définition de deux offres de formation parallèles entre les deux entités. L'ENSP mène en effet d'après la Cour des comptes un processus de définition des offres de formation parallèle à celui conduit par la DCRFPN et ne lui communique pas le contenu de son offre. La tutelle exercée depuis 2020 par la DCRFPN sur l'ENSP ne paraît pas avoir sensiblement amélioré la situation.

Surtout, conçue pour permettre le recrutement et la formation, la DCRFPN souffre depuis l'origine de son manque de lien avec la gestion des ressources humaines. Alors même que plusieurs formations sont liées aux prises de poste, la promotion peut attendre plusieurs mois voire années, ce que les syndicats de police ont dénoncé à plusieurs reprises. En l'absence de lien organique entre formation et ressources humaines, la police nationale n'est pas en mesure de surmonter aisément ces difficultés, la formation n'étant pas suffisamment intégrée au parcours de carrière.

La création d'une Académie de police , annoncée par le président de la République lors de son déplacement sur la sécurité du quotidien à Montpellier le 18 avril 2021, pose à nouveau la question de la conduite des réformes et de l'organisation de la police nationale. Présentée comme une « école de guerre » destinée à la formation continue des policiers, la vocation de cette institution n'est toujours pas arrêtée près de deux ans plus tard. Si le déménagement des services de la DCRFPN à Montpellier dans un nouveau bâtiment et l'adoption d'un nouveau nom, Académie de Police, semble acquise 10 ( * ) , de même que la vocation de cette nouvelle entité à faciliter les liens entre la formation de la police et la recherche universitaire, plusieurs points essentiels demeurent inconnus. Ainsi la possibilité que l'Académie soit véritablement un lieu d'enseignement « dans laquelle passeront l'ensemble de nos forces de police en France » selon l'affirmation du président de la République 11 ( * ) ne semble pas définitivement arrêtée. Surtout, cette Académie sera-t-elle simplement le nouveau lieu d'implantation de la DCRFPN, ou une nouvelle modalité d'organisation de la formation au sein de la police nationale ? Cela ne semble pas tranché.

Semble écartée l'idée d'un lieu commun de formation initiale de tous les grades de la police nationale . Bien que particulièrement difficile à mettre en place cette option répondait à une interrogation récurrente sur la formation initiale de la police. Celle du trop grand cloisonnement entre les formations de gardien de la paix, d'officier et de commissaire . Bien que régulièrement envisagées, des formations initiales communes, même entre officiers et commissaires peines à être mises en oeuvre.

La question fondamentale est celle du lien entre l'Académie et les écoles . La création d'un label commun au réseau de formation, évoquée comme une des pistes possibles par le directeur général adjoint de la police nationale, est très en deçà d'une intégration de la gouvernance, qui serait seule à même de garantir la cohérence de la formation initiale et continue. L'idée d'une Académie de police destinée à remplacer la DCRFPN et à devenir une vraie tête du réseau de formation peine à s'imposer.

L'absence de diagnostic clair sur les difficultés rencontrées et sur les besoins en termes de pilotage combiné avec un projet présidentiel visiblement inabouti ne permettent pas d'offrir des perspectives claires pour l'avenir de la gouvernance de la formation au sein de la police nationale. Cela empêche par ailleurs d'intégrer la formation à la réforme de la police nationale, qui est en cours avec la création des directions départementales de la police nationale et des filières métier. Ceci ne peut conduire qu'à marginaliser la formation dans le processus de décision des responsables territoriaux de la police.

On peut de plus regretter que le lien entre formation et gestion des ressources humaines reste impensé. Surtout la conduite de cette réforme écarte la formation de la réforme territoriale de la police nationale. Comme le souligne à plusieurs reprises le rapport des inspections sur cette réforme 12 ( * ) , la formation pourrait donc devenir le seul métier de la police nationale non intégré en filière. Elle ne serait donc pas intégrée au champ de compétence du directeur départemental de la police nationale, ce qui ne peut que continuer à éloigner la formation continue des préoccupations des responsables des équipes opérationnelles.

La gendarmerie nationale semble avoir choisi de se doter d'une structure proche de la DCRFPN, à partir d'un commandement intégré des écoles de formation. Depuis 1959 existe en effet un commandement des écoles de la gendarmerie nationale, dont l'état-major est implanté à Rochefort-sur-Mer. Dans une démarche globale de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences, la fonction d'ingénierie de formation a été transférée au 1 er octobre 2022 au commandement des écoles de la gendarmerie nationale (CEGN), devenu opérateur unique du recrutement et de la formation. La plus forte intégration de l'organisation de la gendarmerie nationale rend ces évolutions plus aisées à mener à leur terme.

Proposition : Renforcer la cohérence de la formation initiale de tous les grades au sein de la police nationale et rétablir le lien organique entre formation et ressources humaines dans la police nationale afin notamment de garantir la prise en compte des formations et concours dans le déroulement de carrière.

2. Pour le recrutement des formateurs

Le manque d'attractivité des postes de formateurs est établi de longue date, que ce soit pour les matières théoriques « généralistes » ou, surtout, pour les techniques et la sécurité en intervention (TSI). Nécessitant un investissement personnel important en termes de formation, la qualification de formateur souffre du manque d'attractivité financière comme de perspectives d'évolution ou de prise en compte des compétences acquises lors d'un retour en unité active. Par ailleurs, il s'avère particulièrement complexe de combiner, pour des agents ayant la qualification de formateur, l'exercice de cette fonction à temps partiel avec un poste en unité.

La police nationale doit, pour faire face à l'augmentation des recrutements, disposer dès l'année 2023 de 124 formateurs supplémentaires répartis en formation initiale (65), formation continue (44) et formation drones (15). À ces nouveaux postes s'ajoute la nécessité de pourvoir les postes déjà vacants dans les structures. La DGPN indique que 353 candidats ont été recensés : le ratio candidats/postes est donc inférieur à celui de trois par poste relevé par la Cour des comptes pour 2021, lui-même en baisse par rapport à 2017 où il s'élevait à cinq candidats par poste.

Doivent également être pris en compte les besoins en psychologues, soit 45 en formation initiale et 5 en formation continue. Leur recrutement sera lancé au 1er semestre 2023.

Le processus de formation des formateurs impose nécessairement un délai avant leur entrée en fonction. Les candidats retenus suivront une formation d'une durée d'au moins 10 semaines, et de 18 semaines pour les candidats aux fonctions de formateurs TSI (FTSI). Ces formations spécialisées se déroulent au sein du centre national des techniques et sécurité en intervention et du centre national de tir.

Les rapporteurs ont pu noter lors de leurs entretiens le sentiment d'usure professionnelle des formateurs en école, spécialement en FTSI. Celui-ci découle de la pression constante à laquelle ils font face pour faire parvenir les élèves à un niveau conforme aux exigences de la police dans un délai particulièrement contraint et sans interruption entre les promotions. C'est sur eux que pèse l'ensemble des contraintes matérielles et temporelles ; ainsi lorsque le temps nécessaire aux formalités administratives, à l'installation des nouveaux élèves dans une école de police puis aux vacances, ampute en pratique le temps théorique de formation de cinq à dix jours.

La gendarmerie semble connaître moins de difficultés de recrutement. Dans le cadre du « plan 10 000 », 209 ETP ont été créés pour la formation et 252 ETP sont prévus dans le cadre de la Lopmi (140 ETP en formation initiale, 112 ETP en formation continue). Mieux intégré au déroulement de carrière, mieux valorisé, le passage par des fonctions de formateur paraît a priori plus souple en gendarmerie. Les échanges des rapporteurs avec des formateurs laissent cependant penser que le retour au sein des unités opérationnelles pourrait encore gagner en fluidité.

Lors de leur déplacement au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier, unanimement reconnu comme un pôle d'excellence de la gendarmerie, les rapporteurs ont pu assister à des séances de formation initiale et continue de formateurs en intervention opérationnelle. Elles ont pu constater le haut niveau d'exigence et la nécessité pour des personnels ayant une pratique de terrain de savoir la remettre en cause pour faire évoluer les techniques d'intervention. Elles ont également pu noter l'écart qui existe nécessairement entre la présentation théorique des enseignements et la réalité des gestes enseignés pour les interventions opérationnelles. La gendarmerie nationale avait, dès le début des années 2000, abandonné la technique parfois dite de « l'étranglement », considérée, à juste titre, comme dangereuse. En pratique cependant, des gestes tendant à maîtriser un adversaire en agissant sur sa capacité à respirer ont été enseignés jusqu'à la fin des années 2010. Ils ne le sont plus aujourd'hui et les formateurs ont en charge de faire partager cette évolution aux élèves qu'ils peuvent avoir à nouveau, qu'ils aient été formés en tant que gendarmes adjoints volontaires ou qu'ils participent à une formation continue.

Les formateurs ont présenté, tant du côté de la police que de la gendarmerie, leur mission comme étant double. Elle est bien sûr pédagogique et destinée à permettre à des jeunes issus de la vie civile d'intégrer les forces de sécurité et de surmonter les appréhensions liées à leurs fonctions, que ce soit le contact avec le public ou le maniement des armes. Mais elle est aussi de garantir l'adaptation des enseignements aux évolutions des réalités de terrain et des attentes de la société . Il s'agit donc de pouvoir remettre en cause les savoirs acquis et intégrer les nouvelles connaissances. Les rapporteurs ont ainsi pu entendre le témoignage d'une formatrice intervenante spécialisée sur les violences sexuelles. Demander à une victime de viol comment elle était habillée est perçue comme une remise en cause. Cette formatrice a expliqué qu'il s'agissait à l'origine pour les policiers à qui cette question était enseignée de chercher à récupérer des preuves matérielles. Son action en tant que formatrice est notamment de faire prendre conscience de la violence que peut subir la victime du fait des questions qui lui sont posées et d'enseigner comment conduire un entretien qui permette tout à la fois l'investigation et le respect des personnes.

Tant les représentants de la police que de la gendarmerie ont insisté sur la nécessité d'enseigner les fondamentaux en formation initiale et, à cette fin, de recourir à des formateurs issus respectivement de chacun des forces. Il est incontestablement nécessaire que les élèves puissent avoir devant eux des formateurs qui ont eu l'expérience du terrain. Néanmoins la prise en compte de l'environnement général au sein duquel évoluent policiers et gendarmes est également importante.

Les rapporteurs souhaitent donc que puissent se développer les partenariats avec les barreaux et les cours d'appel , afin que des avocats et magistrats puissent intervenir dès la formation initiale et en formation continue. La pratique décrite par le directeur central de la formation de la police nationale s'agissant de l'intervention des délégués de la Défenseure des droits sur la question des pratiques de la police est aussi particulièrement intéressante et montre l'intérêt de cette ouverture 13 ( * ) . Plus largement, des enseignants issus du monde scolaire et universitaire et du sport pourraient aussi venir enrichir les formations, voire soulager le manque de formateurs recrutés en interne.

Proposition : Mieux intégrer les fonctions des formateurs au développement de carrière des policiers et gendarmes.

Proposition : Ouvrir davantage, par voie de convention, les formations initiales à d'autres acteurs que les policiers et gendarmes (magistrats, avocats des barreaux, associations).


* 10 Les déclarations du ministre de l'Intérieur en février 2022 ont été confirmées par le directeur général adjoint de la police nationale lors de son audition par la commission des lois le 8 février 2023. Ce bâtiment devrait être livré en juin 2027.

* 11 Discours de clôture du Beauvau de la sécurité, 14 septembre 2021.

* 12 Bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations des directions départementales de la police nationale, Inspection générale de l'administration, Inspection générale de la justice, Inspection générale de la police nationale, janvier 2023.

* 13 Audition de MM. Jérôme Leonnet, directeur général adjoint, Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation, de la police nationale, et le général de corps d'armée Bruno Arviset, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale, mercredi 8 février 2023.

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