C. AMÉLIORER EN FRANCE LE PILOTAGE DE LA POLITIQUE DU MÉDICAMENT, BIEN COMMUN DE L'HUMANITÉ

1. Améliorer le dialogue entre autorités et agences publiques en matière d'approvisionnement en médicaments

Au niveau national, la politique du médicament est actuellement éparpillée entre agences et services de l'État. Sous le poids des difficultés d'approvisionnement des cadres ont été fixés et des normes édictées. Pour autant, la question de la faiblesse du politique, de l'absence de pilote de la politique du médicament demeure. Chaque agence a une mission précise à accomplir, au niveau national comme européen. La division de tâches clairement identifiées pour chacune d'entre elles se retrouve d'ailleurs dans les pays européens comparables.

L'organisation française est le fruit d'une histoire administrative et politique marquée par plusieurs scandales sanitaires, dont le plus emblématique reste ceux du sang contaminé et du Médiator. Mais il en résulte ce que Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé, lors de son audition par la commission, a appelé « un mal français : on a éloigné du centre de décision politique les centres d'action et de contrôle ».

Et face à ce qu'il nommait le « déni » du gouvernement, il expliquait que « c'est au ministère, pas forcément au cabinet du ministre, surtout avec les contraintes pesant sur les effectifs de conseillers ministériels, et à ses directions de suivre les dossiers. Il ne peut pas dire : “Ce n'est pas moi : ce sont les agences.” »691(*).

La pandémie a montré combien assurer la santé restait une prérogative des États, une des premières attentes des citoyennes et des citoyens. Il est donc devenu urgent de surmonter les divergences existant entre la politique de santé décidée avenue de Ségur et la contrainte budgétaire imposée par Bercy. Des solutions intelligentes ont été inventées pour agir ensemble au profit de tous ; c'est le sens de la liste des médicaments essentiels enfin établie : d'abord un intérêt thérapeutique fort, ensuite une exigence industrielle.

Mais il n'existe toujours pas aujourd'hui, en France, d'instance ou de ministère en charge de la politique du médicament dans son ensemble, ni de structure qui coordonne l'action des différents acteurs.

Au sein même du ministère de la santé et de la prévention, la gestion de cette politique est encore conçue en silos : la réglementation est confiée à la direction générale de la santé, le médicament hospitalier et le financement des programmes de recherche hospitaliers relève de la direction générale de l'offre de soins et la maitrise des dépenses de la direction de la sécurité sociale.

Faudrait-il dès lors désigner un des organismes ou agences existantes comme chef de file de l'ensemble de la politique du médicament ?

Le CEPS est un organisme interministériel placé sous l'autorité conjointe des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'économie. Il est principalement chargé par la loi de fixer les prix des médicaments (et les tarifs des dispositifs médicaux à usage individuel) pris en charge par l'assurance maladie obligatoire. Il contribue également, par ses propositions, à la définition de la politique économique des produits de santé. Même si beaucoup de ses membres appartienne au champ du ministère chargé de la santé, il est donc essentiellement une instance à visée économique et financière

Comme le soulignait Agnès Buzyn, alors ministre des solidarités et de la santé dans le contrat d'objectifs et de performance 2019-2023 de l'agence, l'ANSM « joue un rôle de premier plan dans la surveillance et la mise à disposition de produits de santé sûrs, efficaces et innovants. Les missions de l'ANSM, qui portent sur l'ensemble du champ des produits de santé, lui confèrent une responsabilité étendue vis-à-vis de la société ». Cette agence dispose en effet d'une expertise reconnue mais qui ne s'étend pas à l'économie du médicament.

Parce que le médicament est un bien précieux, qui engage l'avenir de toutes les Françaises et de tous les Français et constitue une des manifestations les plus éclatantes de la solidarité nationale, il doit relever d'une instance placée sous l'autorité de la Première ou du Premier ministre. Un secrétariat général au médicament, structure souple et légère, doit détenir autorité sur l'ensemble des services, tant du ministère de la santé que de ceux en charge de l'industrie et de la recherche et des agences concernées. Ce secrétariat n'a évidemment pas vocation à ajouter de la lourdeur à des procédures déjà décriées pour le manque de réactivité. Elle ne saurait davantage se substituer aux instances et agences existantes, dont le nombre s'est d'ailleurs déjà accru en début d'année avec la création de l'Agence d'innovation en santé. Mais parce que la coordination et l'anticipation font aujourd'hui défaut, il est important de placer au niveau interministériel l'instance en charge de la politique du médicament. Ce secrétariat aura notamment pour mission de sécuriser l'approvisionnement de la France en médicaments critiques, qui est désormais reconnu comme un élément de sa souveraineté.

La création de ce secrétariat général ne constituerait pas une simple opération de simplification administrative. Elle suppose une volonté politique forte de faire du médicament une politique transversale, clairement identifiable en France comme à l'échelon européen. La personnalité choisie pour exercer cette fonction doit avoir une dimension politique à la mesure des enjeux, afin de faire vivre cette politique et d'être en mesure d'assurer la fabrication et l'animation interministérielle.

Recommandation n° 35 : Créer un secrétariat général au médicament placé sous l'autorité de la Première Ministre chargé notamment de sécuriser l'approvisionnement de la France en médicaments critiques et de favoriser sa souveraineté sanitaire.

2. Assurer la souveraineté de la France sur les médicaments critiques

Les pénuries de médicaments sont devenues un phénomène structurel que rien ne semble pouvoir arrêter. Il faut à la fois lutter contre les pénuries existantes et s'armer pour prévenir les difficultés d'approvisionnement qui ne manqueront pas de subvenir dans un futur proche. C'est pourquoi il est impératif d'engager sans délai un plan d'urgence et de mettre en chantier une réforme structurelle de la politique du médicament, avec pour objectif de parvenir au « zéro pénurie ».

Mais pour ne plus subir sans pouvoir faire face à des situations d'urgence, comme cela a failli être le cas au début de la pandémie lors de l'explosion totalement inattendue de curares, il est impératif de se doter d'une « force d'action rapide », sous pilotage public, pour une liste restreinte de médicaments critiques : lorsque l'industrie pharmaceutique ne répond pas à une situation critique, la puissance publique doit reprendre la main et mobiliser tous les moyens à sa disposition.

Dans une telle situation, le secrétariat général au médicament devrait mobiliser l'Ageps à la capacité de façonnage restaurée, les PUI et Santé publique France autour de la production de quelques médicaments essentiels à la continuité des soins des Françaises et des Français. Un tel groupement d'intérêt public gérerait l'achat et l'approvisionnement de médicaments identifiés comme sensibles par l'Etat sous le double critère de la criticité thérapeutique et de la carence de la production privée.

Cette force d'action rapide serait la contribution française à la réserve européenne d'urgence, au sein du réseau « Fab EU », doté d'une capacité de production en veille de fabrication de médicaments et vaccins en cas d'urgence. Elle pourrait également constituer le pilier français de l'établissement pharmaceutique européen à but non lucratif, dont la France devrait promouvoir l'idée auprès des autres États membres.

Recommandation n° 36 : Confier au nouveau secrétariat général au médicament le pilotage de la production d'une liste restreinte de médicaments critiques lors des situations d'urgence.


* 691 Audition de M. Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé, le 16 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230515/ce_penurie.html#toc3

Les thèmes associés à ce dossier