B. UNE REMISE EN CAUSE DE L'AUTORITÉ DE L'INSTITUTION

1. Un délitement progressif des prérogatives de l'enseignant en matière d'évaluation

L'évaluation des élèves est une prérogative de l'enseignant, comme le précise l'article L. 912-1 du code de l'éducation. Or, au nom de la co-éducation et d'une « éducation bienveillante » prônée par la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, cette mission intrinsèque au métier d'enseignant s'est délitée.

L'école a été traversée ces dernières décennies par un débat sur « la fin des notes chiffrées », à l'image de la conférence nationale sur l'évaluation, présidée par Étienne Klein et réunie par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l'éducation nationale. Les conclusions de cette instance ont notamment préconisé la fin des notes chiffrées jusqu'à la classe de 6ème comprise, ainsi que la création d'un guide de l'évaluation par le ministère. Si toutes les recommandations n'ont pas été mises en oeuvre - notamment la fin des notes chiffrées jusqu'en 6ème -, la circulaire du 31 décembre 2015 relative à l'évaluation des acquis scolaires des élèves et au livret scolaire, à l'école et au collège vise « à faire évoluer et à diversifier les modalités de notation et d'évaluation des élèves de l'école primaire et du collège pour éviter une « notation-sanction » à faible valeur pédagogique et privilégier une évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles ».

Afin d'avoir « une école qui ne stigmatise pas les difficultés » et de lutter contre l'orientation subie, la loi de 2013 pour la refondation de l'école de la République a retiré au chef d'établissement la décision d'orientation pour la confier aux parents. Par ailleurs, le décret n° 2014-1377 du 18 novembre 2014 relatif au suivi et à l'accompagnement pédagogique des élèves pris en application de cette loi confère au redoublement « un caractère exceptionnel ».

S'est ainsi développée une remise en cause latente par l'institution elle-même de l'autorité des enseignants et de leurs prérogatives en termes d'évaluation des élèves.

À cela se sont ajoutées la réforme du baccalauréat et la mise en place du contrôle continu qui ont accentué les contestations sur l'évaluation. Il ressort des auditions et des témoignages d'enseignants des remises en cause récurrentes des notes par les élèves, mais aussi par leurs parents ou encore, une absence de certains élèves aux contrôles avec la complicité de leurs parents lorsqu'ils estiment avoir obtenu une moyenne suffisante pour le trimestre.

2. Un comportement de certains parents qui interpelle

Les témoignages recueillis par la mission font état d'un dévoiement de la co-éducation par certains parents devenus trop intrusifs. Ceux-ci somment les enseignants de justifier les punitions, les notes ou encore soutiennent coûte que coûte leurs enfants et remettent en cause la parole de l'enseignant. L'enquête auprès des personnels du 1er degré réalisée par l'autonome de solidarité laïque révèle que 35,4 % des enseignants du 1er degré ont été victimes de diffamation - celle-ci portant dans 9 cas sur 10 sur le travail (et 10 % sur la vie privée) -, les parents en étant les principaux auteurs38(*).

Pour certains enseignants, un basculement est intervenu au moment du confinement, où les parents ont fait, par la force des choses, irruption dans les classes. Par ailleurs, les difficultés de recrutement d'enseignants et les campagnes de « job dating » véhiculent pour ceux-ci l'illusion que tout le monde peut être enseignant.

Les deux tableaux ci-après, issus des travaux de Georges Fotinos, illustrent la place prépondérante occupée par les parents dans les intimidations et agressions verbales ou physiques dont sont victimes les personnels de direction et les directeurs d'école.

Auteurs des agressions dont ont été victimes des directeurs d'école (2018)

Catégories

Élèves

Parents

Personnels

Autres

Insultés

15 %

78 %

4 %

3 %

Bousculés

43 %

51 %

   

Frappés

84 %

13 %

   

Harcelés

1 %

69 %

27 %

3 %

Auteurs des agressions dont ont été victimes des personnels de direction (second degré)
Comparaison 2017 et 2019

Catégories

Élèves

Parents

Intrus

Personnels

2017

2019

2017

2019

2017

2019

2017

2019

Insultés

30 %

30 %

51 %

60 %

13 %

8,5 %

6 %

1,5 %

Bousculés

 

52 %

 

28 %

 

20 %

 

< 1 %

Frappés

 

25,5 %

 

46,5 %

 

28 %

 

< 1 %

Harcelés

3 %

< 1 %

52 %

64 %

3 %

< 1 %

44 %

35 %

Source : La victimation des personnels de direction et des directeurs d'école - Georges Fotinos

Les échanges qu'ont pu avoir les rapporteurs avec des personnels administratifs et notamment des personnes aux accueils témoignent d'une forme de sans-gêne de certains parents, qui se présentent dans l'établissement scolaire sans rendez-vous, avec virulence et demandent à être reçus immédiatement. Afin de disposer d'une réponse unifiée face à ces remises en cause de l'autorité de l'école, les rapporteurs recommandent de mettre en place des formations communes à l'ensemble des agents publics présents dans l'établissement pour les former aux situations de tension et de conflits avec les élèves, mais aussi leurs parents et des tiers. Il est important d'y associer les personnels des collectivités territoriales, notamment les personnels d'accueil, qui sont en première ligne face à des demandes parfois agressives de parents d'élèves ou de tiers de rencontre avec un enseignant ou le chef d'établissement.

Recommandation : mieux préparer les agents de l'éducation nationale et des collectivités territoriales (y compris le personnel d'accueil) aux situations de tension et de conflit en favorisant la mise en place d'une culture partagée de la sécurité : à cette fin, développer notamment les formations communes sur les attitudes à adopter face aux élèves, aux parents et aux tiers dans les classes et au sein des établissements.

L'article L. 111-3-1 du code de l'éducation, issu de la loi pour une école de la confiance, rappelle que le lien de confiance qui doit unir les élèves et leurs familles au service public de l'éducation nationale implique le respect par les élèves et leurs parents des personnels et de l'institution scolaire.

Les parents sont membres de la communauté éducative et leur investissement participe à la réussite scolaire de leurs enfants. Néanmoins, face aux dérives constatées, que ce soit dans la remise en cause des choix pédagogiques de l'enseignant, quels qu'en soient les motifs, un désaccord sur l'évaluation, ou encore des contestations dans le contenu de l'enseignement qui n'est que l'application d'un programme national scolaire obligatoire, il est nécessaire de rappeler chaque année aux parents, au moment de la rentrée scolaire, les prérogatives de l'enseignant, le caractère obligatoire des cours et des programmes et les sanctions encourues en cas de menaces sur le personnel éducatif ou d'entrave à l'enseignement.

La charte des parents, élaborée par le Conseil des sages de la laïcité sur demande du cabinet du ministre courant 2021, pourrait également être utilisée. Restée lettre morte, elle avait pour objet de rappeler les principes du service public d'éducation et les règles à respecter par les parents d'élèves à l'intérieur de l'établissement scolaire.

Les rapporteurs proposent de faire signer aux parents cette charte qui pourrait être annexée au règlement intérieur et complétée par des paragraphes consacrés au délit d'entrave à l'enseignement récemment créé ainsi qu'a des exemples concrets.

La mission tient à rappeler un principe : les programmes de l'éducation nationale ne se discutent pas dans l'enceinte de l'établissement public et privé sous contrat ; ils s'appliquent.

Recommandation : Dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat, rappeler systématiquement aux parents en début d'année les prérogatives de l'enseignant (en matière de notation, liberté pédagogique, choix des textes), le caractère obligatoire des programmes scolaires en insistant sur les chapitres ou enseignements (natation en EPS) susceptibles d'être source de contestations, ainsi que les sanctions pénales en cas d'entrave à l'enseignement.

Pour cela, faire signer aux parents une « charte des parents » et y inclure spécifiquement le délit d'entrave à l'enseignement, assorti d'exemples concrets ; l'annexer au règlement intérieur.

Par ailleurs, la mission souhaite renforcer la responsabilisation des parents face aux comportements répétés de leurs enfants qui perturbent le fonctionnement d'un établissement scolaire. C'est en effet l'ensemble d'une classe, voire d'un établissement scolaire, qui peut se voir déstabilisé par un ou plusieurs élèves perturbateurs. Or, chaque enseignant et chaque élève a le droit d'évoluer au sein d'un climat scolaire serein.

Tout comme l'assiduité scolaire, le respect du fonctionnement et de la vie collective de l'établissement scolaire fait partie des devoirs de l'élève prévus à l'article L. 511-1 du code de l'éducation.

Certes, il existe le protocole d'accompagnement et de responsabilisation des parents (PAR) instauré par la circulaire n° 2019-122 du 3 mars 2019 relative à la prévention et à la prise en charge des violences en milieu scolaire. Mais ses conditions de mise en place sont beaucoup trop restrictives pour en faire un outil rapidement mobilisable.

Le protocole d'accompagnement et de responsabilisation (PAR) : un outil de dialogue et de mobilisation des parents, mais difficilement utilisable

Lorsqu'un chef d'établissement accueille un élève ayant fait l'objet au cours de la même année scolaire de deux exclusions définitives, il peut saisir le DASEN pour qu'un protocole d'accompagnement et de responsabilisation soit mis en place. Selon les informations transmises par les services de l'éducation nationale, le PAR « doit permettre de poursuivre un dialogue avec les personnes responsables de l'élève et de les guider, en cas de besoin, vers le service ou le dispositif de soutien adapté ». Les services médico-sociaux sont également associés.

Le représentant légal de l'élève est convoqué pour un entretien avec le DASEN dans les 10 jours qui suivent la saisine par le chef d'établissement pour leur présenter le sens des engagements qu'ils doivent respecter. Le PAR indique les engagements des parents pour l'amélioration du comportement de leur enfant, ainsi que les actions d'accompagnement à mettre en place dans l'établissement scolaire qui l'accueille.

Ce document est signé par le DASEN et les parents de l'élève, en présence du chef d'établissement.

Les rapporteurs regrettent que le PAR ne puisse concerner qu'un élève ayant fait l'objet de deux exclusions définitives au cours de la même année scolaire, ce qui en réduit très fortement son périmètre de recours pour les chefs d'établissement. C'est pourquoi, ils proposent qu'il puisse être utilisé dès la première exclusion de l'élève - temporaire ou définitive.

En complément, et à l'instar de la contravention de quatrième classe qui existe pour non-respect de l'assiduité scolaire (art. R624-7 du code pénal)39(*), ils proposent que soit créée une sanction similaire prenant la forme d'une contravention pour non-respect répété des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements. Celle-ci pourrait être prononcée par le juge judiciaire en tenant compte des engagements pris par les parents dans le cadre de la signature du protocole d'accompagnement et de responsabilisation.

Recommandation : afin de mettre fin au non-respect répété des règles du vivre ensemble au sein d'établissements scolaires par un élève perturbateur :

o prévoir la signature d'un protocole d'accompagnement et de responsabilisation des parents (PAR) dès la première exclusion, entre les parents et l'autorité académique, en présence du chef d'établissement. Ce protocole précise les engagements des parents de l'élève pour permettre l'amélioration du comportement de leur enfant ainsi que les mesures d'accompagnement mises en oeuvre au sein de l'établissement ;

o créer une sanction pénale, sur le modèle de la sanction pour non-respect de l'obligation d'assiduité scolaire, pour non-respect répété des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements.

3. Une judiciarisation des rapports entre les familles et l'école

À l'instar des autres services publics, l'école connaît une judiciarisation des rapports avec les élèves et leurs familles. Les sanctions disciplinaires, en tant que sanction administrative, doivent respecter les principes généraux du droit, notamment l'individualisation et la proportionnalité de la sanction ainsi que le principe du contradictoire, y compris pour des sanctions prononcées par le chef d'établissement décidant seul, pouvant aller de l'avertissement à l'expulsion temporaire d'une durée inférieure à huit jours. L'élève en cause doit pouvoir présenter des observations écrites ou orales à sa demande, se faire assister ou représenter, dans un délai de deux jours - ce délai était de trois jours avant 2019.

Le fonctionnement du conseil de discipline

Réuni par le chef d'établissement, le conseil de discipline peut prononcer toutes les sanctions prévues par le code de l'éducation, y compris celles qui peuvent l'être par le seul chef d'établissement. Il est composé de trois catégories de membres :

- l'équipe de direction : le chef d'établissement, son adjoint, le conseiller d'éducation, le gestionnaire ;

- les représentants du personnel : cinq représentants du personnel, dont quatre des personnels enseignants et un au titre des personnels administratifs, sociaux et de santé, techniques, ouvriers et de services ;

- les représentants des usagers : trois représentants des parents d'élèves (deux en lycée), deux représentants des élèves (trois dans les lycées).

Le chef d'établissement convoque, par pli recommandé ou remise en main propre contre signature, l'élève en cause et s'il est mineur son représentant légal et éventuellement la personne chargée de le conseiller. Le décret n° 2019-906 du 30 août 2019 relatif à la discipline dans les établissements d'enseignement a simplifié les modalités de convocation des membres du conseil de discipline : la convocation est transmise « par tout moyen », y compris télécopie ou courriel.

Le délai de convocation d'un conseil de discipline a également été raccourci de huit à cinq jours. Si le quorum n'est pas atteint, le nouveau conseil de discipline se tient dans un délai minimum de cinq jours et maximum de dix jours, au lieu des huit et quinze jours auparavant.

Le conseil de discipline entend l'élève concerné et sur sa demande son représentant légal et la personne éventuellement chargée de l'assister. Il entend également deux professeurs de l'élève, désignés par le chef d'établissement, deux délégués de la classe de l'élève, la personne ayant demandé au chef d'établissement le déclenchement d'une procédure de sanction contre l'élève, les témoins ou les personnes susceptibles d'éclairer le conseil sur les faits motivant sa convocation, ainsi que toute personne ayant des informations sur l'élève de nature à éclairer les débats. Le procès-verbal doit être transmis au recteur dans les cinq jours suivant la séance.

S'il estime que la réunion du conseil de discipline risque d'entraîner des troubles dans ou aux abords de son établissement, le chef d'établissement peut prendre la décision, après avis de l'équipe éducative - ou de la commission éducative - de le « délocaliser » dans un autre établissement ou dans les locaux de la direction des services départementaux de l'éducation nationale. Les membres du conseil de discipline sont ceux de l'établissement d'origine.

Dans des cas restreints (atteinte grave aux principes de la République, faits graves sur des biens ou des personnes), s'il estime que la sérénité des débats ne peut être assurée, le chef d'établissement peut saisir le conseil de discipline départemental qui statuera à la place du conseil de discipline de l'établissement.

Il n'est ainsi plus rare pour les chefs d'établissement de recevoir des courriers d'avocats défendant un élève contre une sanction, ou encore être confrontés à des dépôts de plainte non fondés. Outre l'aspect déstabilisant pour un chef d'établissement - ou un enseignant - d'une mise en accusation non fondée, cette situation est chronophage : un principal indiquait ainsi être sommé par le rectorat pour la troisième fois et pour les mêmes faits de justifier de ce dont l'enseignant était accusé sans aucun fondement.

Il est impératif d'améliorer l'accompagnement des chefs d'établissement dans la mise en oeuvre des procédures disciplinaires. C'est parfois par crainte d'une remise en cause de la sanction par le juge administratif sapant l'autorité de l'institution scolaire tout entière que le chef d'établissement renonce à agir.

Parallèlement, face à des menaces de procès non fondés qui, dans les faits, sont une forme de pression exercée sur les enseignants et les équipes administratives, il est essentiel d'informer l'ensemble des personnels sur la portée réelle - et souvent nulle - des menaces de poursuites judiciaires de la part des parents.

Recommandation : sécuriser juridiquement les procédures disciplinaires afin de limiter les risques contentieux ; informer les personnels sur la portée réelle du risque de judiciarisation par les parents.

De manière générale, la mission rappelle que si la sanction se doit d'être éducative pour l'élève concerné, elle a également vocation, en le faisant réfléchir et changer de comportement ou le cas échéant en l'excluant définitivement en cas de faits graves, à permettre aux enseignants et aux autres élèves de travailler et poursuivre sereinement leur scolarité dans un climat scolaire apaisé. À trop se focaliser sur l'élève auteur des faits, il convient de ne pas oublier les autres élèves et les personnels de l'établissement. En cela, les procédures des conseils de discipline doivent être simplifiées.

Recommandation : afin de protéger les enseignants et les élèves et permettre une scolarité dans un climat scolaire apaisé, simplifier les procédures des conseils de discipline.

Cette judiciarisation accrue change en profondeur les relations entre les enseignants, les élèves et leurs parents. Un enseignant a indiqué peser chaque mot lorsqu'il répond à un message d'un parent sur « Pronote ». D'autres expliquent toujours recevoir l'élève ou le parent en présence d'un témoin ou a minima pour le chef d'établissement en laissant la porte donnant sur le secrétariat ouverte. Enfin à plusieurs reprises, il a été mentionné que certains parents enregistrent les conversations téléphoniques ou en face-à-face - parfois sans en informer l'interlocuteur - pour disposer d'une preuve des propos tenus pour contester ultérieurement une décision.

4. L'absence de soutien de la hiérarchie

Lors de son discours aux recteurs et aux inspecteurs d'académie en juin 2017, peu de temps après sa prise de poste, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l'éducation nationale, a déclaré « le pas de vague, c'est fini ».

Comme il l'a indiqué devant la mission d'information, « il s'agissait alors de rompre avec cette culture du renoncement au signalement motivé par la volonté de ne pas inquiéter ». Le nombre de conseils de discipline fait partie des critères retenus pour les classements des établissements scolaires établis par la presse : pour éviter de donner une mauvaise réputation au collège ou au lycée, certains chefs d'établissement peuvent avoir tendance à minorer les incidents. Par ailleurs, d'autres, par crainte d'un effet négatif sur leurs évaluations de carrière, ont pu avoir cette même attitude. Face à ce constat, l'ancien ministre a indiqué avoir donné des consignes dès juin 2017 pour que les chefs d'établissement ne soient pas évalués en fonction du nombre de signalements effectués. Il n'en demeure pas moins que rompre avec une culture administrative, ancrée depuis de nombreuses années dans le quotidien des établissements scolaires, prend du temps. Aussi, il est nécessaire de rappeler cette règle clairement établie il y a désormais près de sept ans et indispensable pour mettre fin au « pas de vague ». Comme a pu le rappeler Jean-Michel Blanquer devant la mission, « soit l'établissement est pacifique, et les signalements sont peu nombreux ; soit il ne l'est pas et, signe de la qualité du chef d'établissement, des signalements sont effectués ».

Recommandation : afin de conforter les chefs d'établissement dans les signalements d'incidents, rappeler le principe selon lequel ils ne sont pas évalués en fonction du nombre de signalements effectués.

Parallèlement, le dispositif « Faits établissement » a été renforcé et élargi pour permettre une remontée d'informations plus fluide aux services académiques et au ministère. Des cellules « Valeurs de la République » ont vu le jour dans chaque académie, avec pour mission de pouvoir se rendre dans les établissements et épauler un chef d'établissement ou un enseignant confronté à une atteinte à la laïcité et aux valeurs de la République.

Toutefois, la culture du « pas de vague » perdure ou, à tout le moins, une présomption de défiance des enseignants vis-à-vis de leur hiérarchie lorsqu'ils sont confrontés à une contestation d'enseignement, des pressions ou des menaces. La première enquête de climat scolaire auprès des personnels de l'éducation nationale montre qu'un enseignant du second degré public sur trois estime ne pas bénéficier de soutien suffisant dans les situations difficiles40(*). Dans un sondage réalisé par l'IFOP deux ans plus tard, seuls 54 % des enseignants disent avoir reçu un soutien total de leurs personnels de direction41(*).

Ce taux descend à 21 % pour le soutien apporté par le rectorat, traduisant la coupure qui existe entre les enseignants, et de manière générale les personnels en contact avec les élèves d'une part, et les services déconcentrés d'autre part.

La suppression du temps banalisé sans élève le premier jour de classe suivant l'assassinat de Samuel Paty a été particulièrement mal vécue, laissant les enseignants seuls et sans préparation face à leur classe, aux questions et réactions des élèves.

Au final, pour Iannis Roder, professeur d'histoire-géographie et directeur de l'observatoire de l'éducation de la fondation Jean Jaurès, les causes d'un taux relativement faible de signalement de contestations d'enseignement au personnel de direction (56 %) et de manière notoire au service du rectorat (5 %) est à aller chercher « du côté du sentiment de manque de soutien, et donc de confiance, des enseignants envers leurs personnels de direction ».

Les rapporteurs rappellent que les enseignants ont la possibilité de saisir directement un « fait établissement » sur le site du ministère. Cela permet de faire remonter l'information en cas d'absence de réaction et de transmission de la part du chef d'établissement. Cette procédure reste aujourd'hui très mal connue du corps enseignant.

Recommandation : rappeler la possibilité ouverte à tout enseignant de signaler directement un « fait établissement » au ministère, sans passer par le chef d'établissement.

Les chefs d'établissement se trouvent dans une situation difficile, souffrant également d'une absence de réponse de la part du rectorat, en dehors des questions liées à la contestation de la République pour lesquelles des équipes dédiées ont été créées. Tel est le cas de ce chef d'établissement confronté à une absence de réponse juridique sur des questions relatives au licenciement d'un assistant d'éducation ou de cet autre chef d'établissement faisant face à une menace d'alerte à la bombe.


* 38 École primaire, école pour tous ? enquête auprès des personnels, évolution 2011-2023, Éric Debarbieux, Benjamin Moignard, pour l'autonome de solidarité laïque, octobre 2023.

* 39 Art. R624-7 du code pénal « Le fait, pour l'un ou l'autre parent d'un enfant soumis à l'obligation scolaire ou pour toute personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, après avertissement donné par le directeur académique des services de l'éducation nationale agissant sur délégation du recteur d'académie et mise en oeuvre des procédures définies à l'article R. 131-7 du code de l'éducation, de ne pas imposer à l'enfant l'obligation d'assiduité scolaire sans faire connaître de motif légitime ou d'excuse valable ou en donnant des motifs d'absence inexacts est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe ».

* 40 DEPP, n° 19.53, décembre 2019.

* 41 Les enseignants face aux contestations de la laïcité et au séparatisme, fondation Jean Jaurès, janvier 2021.

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