IV. UNE CONJUGAISON D'ÉLÉMENTS HANDICAPANT LE FABRIQUÉ EN FRANCE
A. UNE RÈGLEMENTATION EUROPÉENNE QUI ANALYSE L'INDICATION DE L'ORIGINE COMME UNE « MESURE D'EFFET ÉQUIVALENT » À UNE « RESTRICTION QUANTITATIVE À L'IMPORTATION »
Le marquage systématique de l'origine des produits commercialisés dans l'espace national par un État est actuellement considéré comme contraire au traité de fonctionnement sur l'Union Européenne (TFUE) qui interdit les restrictions quantitatives à l'importation et toutes les mesures d'effet équivalent.
Or, il existe un double paradoxe :
· Alors que les règles douanières européennes permettent de déterminer l'origine nationale de chaque produit importé, cette indication est prohibée pour les produits des États-membres de l'Union au nom de la libre concurrence, ce qui bénéficie aux produits des autres pays européens comme aux pays non européens. Cette règle européenne a donc une portée mondiale alors que la concurrence libre et non faussée est loin d'être la règle hors d'Europe, tant sont nombreux les pays qui subventionnent massivement leurs exportations ;
· L'indication de l'origine est en revanche obligatoire dans le secteur alimentaire, pour un certain nombre de denrées alimentaires d'origine agricole ou de règles sectorielles.
L'information sur la provenance d'un produit devrait être considérée par l'Union européenne non comme un obstacle mais comme une condition de la concurrence libre et non faussée. Les règles du secteur alimentaire pourraient être généralisées au secteur non-alimentaire.
B. UNE DÉSINDUSTRIALISATION MASSIVE QUI EMPÊCHE UNE OFFRE ADÉQUATE
L'offre de produits français s'est rétrécie à proportion de la désindustrialisation et des délocalisations, ou de l'internationalisation de multinationales d'origine française qui visent désormais le marché mondial. La part de l'industrie manufacturière dans le PIB est de 11 % au plus. La part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB place la France en 2023 en 24e position sur 27 pays de l'Union européenne avec 13,4 %, devant Malte (8,5 %) Chypre (7,4 %) et le Luxembourg (5,2 %).
Selon l'INSEE14(*), le fabriqué en France, défini comme le contenu en valeur ajoutée française de la demande intérieure finale française, a baissé de 11 points entre 1965 et 2019, passant de 89 % à 78 %. Si elle est commune aux pays européens, elle est particulièrement prononcée en France pour les produits manufacturiers, pour lesquels il est passé, pour la même période, de 82 % à 38 %.
La France a pris conscience, lors de la crise sanitaire de 2019, de ses vulnérabilités liées à un long et profond déclin industriel. Cette situation est documentée par une commission d'enquête de l'Assemblée nationale15(*) de janvier 2022, un rapport de la Cour des comptes consacrée aux politiques industrielles16(*), de novembre 2024, ou de nombreuses notes de thinks tanks.
La détérioration de la situation est telle que la mention du pays de fabrication peut révéler l'ampleur des délocalisations et porter préjudice aux entreprises qui se prévalent de l'image de marque d'un savoir-faire « national » alors que leurs produits sont fabriqués à l'étranger. La France n'a jamais été, n'est pas et ne sera jamais en autarcie. Vouloir la promotion du fabriqué en France ne vise pas une autonomie illusoire mais une meilleure information du consommateur ainsi que la promotion de stratégies industrielles pertinentes de relocalisation de certains produits.
La difficulté de relocaliser : l'exemple de l'industrie pharmaceutique
L'augmentation des coûts de production dus à l'innovation, conjuguée à la pression de l'État pour baisser les prix des médicaments, a fragilisé la production nationale. La France est passée du 1er au 6e rang européen pour sa production. La crise du COVID a révélé cette fragilité, avec le paracétamol qui n'est plus produit sur le territoire national depuis 2008. Pourtant, la dimension de relocalisation, condition de la restauration de la souveraineté sanitaire, n'est toujours pas prise en considération. Si la loi de financement de la sécurité sociale a ajouté en 2022 aux critères légaux de fixation du prix, un nouveau critère permettant la prise en compte de la sécurité d'approvisionnement apportée par la localisation des sites de production, ce point n'est toujours pas opérationnel. Comme l'a constaté la Cour des comptes17(*) en juin 2024, la doctrine de l'État « sur la conciliation des intérêts financiers de l'assurance maladie et de la souveraineté industrielle et d'approvisionnement de la France en produits de santé stratégiques » n'est toujours pas précisée.
* 14 https://www.insee.fr/fr/statistiques/7702892
* 15 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cecifccpi/l15b4923_rapport-enquete*
* 16 https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-11/20241128-10-ans-de-politiques-publiques-en-faveur-industrie.pdf
* 17 https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-10/20241029-S2024-1037-Comite-economique-des-produits-de-sante-CEPS.pdf